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11-Septembre, vingt ans après

C’est une somme. Et un grand livre. Dans 11-Septembre, une histoire orale (Les Arènes, 2021), Garrett M. Graff retrace, à travers plus de 500 témoignages, la journée d’horreur qui nous a fait basculer dans le xxie siècle.


On sait qu’il est toujours difficile, en histoire, de dater le début d’un siècle. Le xixe commence-t-il en 1789 ou à la chute de Napoléon ? Le xxe commence-t-il en 1914 avec le début de la Grande Guerre, en 1917 avec la révolution russe ou en 1918 avec l’armistice ? Ces choix ne sont pas anodins, ils indiquent un prisme idéologique, comme l’a montré par exemple L’Âge des extrêmes (1995), dans lequel l’historien marxiste Eric Hobsbawm a parlé d’« un court vingtième siècle » allant de 1914 à 1991, date de la fin de l’URSS.

Il y a cependant une date qui semble aujourd’hui évidente pour marquer le début du xxie siècle, c’est le 11 septembre 2001. On célèbre ce mois-ci le 20e anniversaire de cette journée d’horreur sidérante où New York, symbole d’une mondialisation qu’on nous avait présentée comme la fin de l’histoire, a été frappée par l’attentat terroriste le plus spectaculaire. Ainsi, en quelques heures, l’humanité est-elle entrée dans la réalité du choc des civilisations théorisé par Samuel Huntington.

Le 11-Septembre avait surtout été une histoire visuelle jusqu’à présent

Pour raconter cet événement dont on n’a pas fini, vingt ans après, de subir l’onde de choc, Garrett M. Graff, historien et journaliste américain, publie un livre documenté et bouleversant dont l’originalité du point de vue est visible dès le titre : 11-Septembre, une histoire orale. En effet, ce sont les voix des protagonistes, célèbres ou inconnus, qu’il privilégie pour rendre compte de l’événement, heure par heure.

Le projet est d’autant plus novateur que le 11-Septembre a surtout été une histoire visuelle. C’est le premier événement de l’histoire filmé en direct, au moins pour l’effondrement des tours jumelles. Des images iconiques, comme l’avait remarqué en son temps Jean Baudrillard, d’autant plus effroyables qu’elles étaient plastiquement parfaites, infiniment et monstrueusement plus réelles que n’importe quel film catastrophe. Cela a aussi été une histoire écrite, notamment par la commission du 11-Septembre qui a consacré des années de travail et des milliers de pages à rendre compte, de manière exhaustive, des conditions et des circonstances des attentats.

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L’ambition de Garrett M. Graff est ailleurs. Littéralement, il s’agit de rendre la parole, au sens propre, à un peuple tout entier, au moment où il vivait l’événement et parfois en mourait. On rappellera que le mémorial du 11-Septembre donne un décompte de 2 983 victimes : 2 606 au World Trade Center, 125 au Pentagone, 206 dans les trois avions détournés, 40 dans le vol United Airlines 93 où les passagers ont tenté de reprendre courageusement le contrôle de l’appareil, auxquels s’ajoutent les six victimes de l’attentat de 1993 au WTC qui était, huit ans avant, un sinistre avertissement. Garrett M. Graff indique par ailleurs que plus de 3 000 enfants ont perdu un parent le 11-Septembre et que 6 000 personnes ont été blessées, sans compter celles qui ont souffert et souffrent encore de séquelles psychologiques.

15 ans d’écriture

L’auteur a passé quinze ans sur cette Histoire orale. Il a recueilli, lu ou écouté près de 5 000 histoires enregistrées, en a retenu plus de 500. Il signale d’ailleurs un étrange paradoxe sur cette question du témoignage. Le traumatisme a été tel que la plupart des personnes qui ont vécu l’événement ont du mal à écouter celui des autres tant le besoin de raconter le sien est viscéral.

Le livre s’ouvre par le témoignage de l’astronaute Frank Culberton arrivé à bord de la Station spatiale internationale un mois avant et qui, ce jour-là, était le seul Américain à ne pas être sur Terre : « À environ 4 000 miles au-dessus de New York, j’apercevais clairement la ville. Tous les États-Unis baignaient dans un grand ciel bleu et ensoleillé, et la seule activité notable était une large colonne de fumée noire qui s’élevait depuis New York et s’étalait au-dessus de Long Island, puis de l’océan Atlantique. […] Aucun avion ne traversait plus l’espace aérien américain, à l’exception d’un appareil qui quittait un aérodrome du centre des États-Unis. C’était Air Force One, avec le président Bush à son bord. »

Garrett Graff (C = Avid Reader Press)

La force du livre de Garrett M. Graff réside dans son montage, dirait-on en termes cinématographiques. L’auteur est invisible, n’intervenant que pour quelques paragraphes de liaisons entre les différents moments qui s’enchaînent : New York à 8 heures du matin, le premier avion, le deuxième, l’évacuation des tours jumelles, la décision de faire atterrir tous les avions en vol, les corps qui se jettent dans le vide, les deux effondrements, l’attaque du Pentagone, le nuage de fumée et de gravats, les premières recherches… Peu à peu, le lecteur est pris dans le rythme hypnotique et haché de la catastrophe. Les témoignages savamment découpés dépassent rarement quelques lignes et la multiplicité des points de vue sur la même situation accentue l’anxiété et la confusion ressenties alors.

Un pur chef d’œuvre

Il y a surtout, tout au long de cette tragédie, cette confrontation avec l’indicible, l’impensable, parfaitement illustrée quand Garrett M. Graff fait se succéder, par exemple lors du premier effondrement, des témoins qui cherchent en vain une comparaison. Un chirurgien, Gregory Fried déclare : « Impossible de trouver une analogie valable » ; Bill Spade, un pompier, essaie pourtant : « Comme six ou huit rames de métro qui débarquent en même temps en faisant crisser leurs freins. » Pour un urgentiste, c’est « comme mille trains qui déraillent à pleine vitesse ». Pour d’autres, c’est comme un lustre qui s’écrase, une mitrailleuse, 30 000 avions qui décollent, une avalanche…

On va d’une salle d’école où des profs essaient de rassurer des élèves au bunker de la Maison-Blanche avec Dick Cheney, en passant par les bateaux qui évacuent les gens piégés dans South Manhattan ou l’intérieur d’Air Force One que le porte-parole adjoint de la Maison-Blanche, présent à bord, définit en ce moment précis comme « l’endroit à la fois le plus sûr et le plus dangereux du monde ».

Ce qui apparaît progressivement au lecteur, au long de ces 500 pages serrées, c’est qu’il n’a pas seulement affaire à un document unique et poignant mais aussi, et cela peut-être à l’insu même de son initiateur Garrett M. Graff, à un livre qui appartient de plein droit à la littérature, comme si une forme nouvelle avait été trouvée ici : celle d’un roman vrai, qui englobe à travers des centaines de perceptions purement subjectives et éclatées la totalité du réel.

Autant dire qu’au-delà d’un intérêt historique de premier plan, 11-Septembre, une histoire orale est un pur chef-d’œuvre.

Le vivre ensemble dans les années soixante

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Souvenirs d’un monde disparu: quand les médecins recevaient les patients chez eux


Quand j’étais petit, mon père qui était médecin à Paris travaillait à la maison : il recevait ses patients chez nous.

Chez nous, les malades (comment on disait à l’époque) attendaient dans le salon au milieu des objets et des meubles de famille, la secrétaire travaillait dans la salle à manger, ma mère faisait la cuisine et nettoyait les instruments du cabinet médical en bavardant avec sa sœur, et nous, ma sœur et moi, nous jouions au milieu de tout cela sans trop nous gêner. Mon père de temps à autre sortait de son cabinet avec un air sévère pour demander un peu de silence à ses enfants ou à sa femme, intimait même parfois de suspendre un instant la cuisson d’un plat trop odorant.

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Pour faire bonne mesure d’ailleurs, il invitait souvent le dernier patient du matin ou de l’après-midi à partager en famille le déjeuner ou le dîner pour peu qu’il le connût un peu, ou, s’il venait de faire sa connaissance, pour poursuivre une conversation qu’ils avaient commencée pendant l’examen médical ; art, vieille France et pays lointains, époque de la guerre ou du lycée, philosophie antique, littérature, tout était bon. Mon père combinait ainsi sa sociabilité, son goût pour la conversation, son désir de faire valoir la culture et le talent culinaire de son épouse et d’une façon générale sa liberté, et sa capacité de se lier avec les gens les plus divers. Ma mère et nous trouvions cela normal.

Cinquante ans plus tard…

Quand j’y pense, plus de cinquante ans après, je me rends compte à quel point nous avons changé. Tous. En recevant ainsi chez lui tous ces gens pour les soigner, mon père se livrait, dans son logis, tout entier, avec sa femme, ses enfants, son histoire, son cadre de vie, ses objets, son argent, à des inconnus, à l’aléatoire d’un mauvais coup, d’une agression. Il disait que de toute sa longue période d’exercice, on ne lui avait pris que deux des objets exposés dans son salon, ils étaient vraiment tentants, excusait-il, et en plus ils étaient de la bonne taille pour entrer dans un cabas ou une serviette ; il n’aurait pas dû les laisser mais ce n’était pas bien grave, les gens sont gentils en fait et bien élevés. Pendant la même période, il avait dû mettre à la porte un ou deux gars et cela ne lui avait pas fait peur. Pendant quelques mois, dans les années soixante-dix, il y avait eu des coups de fil menaçants le soir à la maison ; il avait dit à ma mère qu’il pensait savoir qui c’était puis cela s’était arrêté.

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Maintenant, qui peut même seulement imaginer faire entrer le monde chez soi pour travailler ? On imagine tout de suite le risque, la menace, la vulnérabilité ; à l’instant même, moi-même, je me dis à quel point mettre ce monde extérieur au contact de sa famille est lui faire courir, à cette famille bien-aimée, tous les jours un risque très grand, un risque disproportionné, impensable quand on réfléchit à tous les conflits, aux propos menaçants, à toutes les insultes, à toute la tension qui existent, à la nécessité désormais de prévoir dans toutes les consultations hospitalières des recours, des secours, de la sécurité, de la loi, dans tous ces lieux qui offrent pourtant du soin, de l’aide, des réponses à la souffrance ; ces lieux devraient être marqués par un mutuel préjugé de bienveillance, par une confiance réciproque, parce que c’est la bonne façon d’être efficace. Maintenant, ce ne sont que des lieux neutres et des relations tout aussi neutres avant d’être éventuellement adoucies après que des gages eussent été donnés de part et d’autre. Mais en aucun cas, plus jamais, on ne mettra entre le médecin et son patient le bruit des enfants en train de jouer ou de pleurer et l’odeur de la soupe en train de cuire.

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Marine Le Pen n’a pas dit son dernier mot

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Eric Zemmour, à l’extrême droite de Marine Le Pen ? Dire cela est réducteur, parce que Eric Zemmour ne peut pas seulement se définir ainsi. Il n’empêche que sur certains thèmes, Marine Le Pen se retrouve confrontée à cette situation bizarre qu’elle n’a jamais connue, d’être dépassée sur le plan de l’extrémisme !

Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle a commencé un autre type de dédiabolisation. Comme, malgré la séparation politique d’avec son père et son refus de s’abandonner à quelque délire historique que ce soit, en dépit de sa participation à des démonstrations collectives consensuelles, on ne la jugeait pas crédible, elle a décidé d’attiédir son programme, démarche qui pour l’instant n’a pas réussi à son parti, qu’on songe aux élections régionales.

Selon Eric Zemmour, elle n’aurait aucune chance

Il est évident que cette tentative de banalisation du projet donne un espace à Eric Zemmour qui s’y engouffre avec une volupté sadique, d’autant plus qu’on sait qu’il ne la crédite d’aucune chance de l’emporter en 2022 parce qu’elle serait « nulle ».

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Jusqu’à maintenant Marine Le Pen assume avec élégance, une sorte de patience qui a de l’allure, l’irruption politique et médiatique d’Eric Zemmour dans son pré carré. Elle rappelle son parcours, sa durée, sa constance, elle assure faire preuve du calme « des vieilles troupes » et n’est pas loin de considérer que de la part de l’essayiste qui n’a pas encore déclaré sa candidature, il va s’agir d’un feu de paille comparable selon elle à tant d’autres de brèves incandescences. Elle fait contre mauvaise fortune bon cœur en espérant que sa descente nette dans les intentions de vote ne sera que temporaire et qu’elle reviendra à son niveau habituel. Elle peut d’autant plus se consoler sur ce plan qu’Eric Zemmour paraît mordre également sur l’électorat des Républicains et qu’au fond elle n’est pas la seule à souffrir.

Elle se trouve en fait dans un étau à l’égard d’Eric Zemmour, et c’est là où les choses se compliquent. Elle doit demeurer dans une attitude sans acrimonie mais en même temps elle n’a pas le droit d’attaquer vigoureusement un projet qui, certes plus radical que le sien, a une substance qui est peu ou prou de la même eau, en tout cas sur ces thèmes prioritaires pour eux de l’immigration et de l’insécurité.

Les jeux sont ouverts

On peut tout imaginer à partir de la configuration d’aujourd’hui. L’intuition majoritaire qu’elle ne gagnera pas en 2022, son déclin persistant dans les sondages, la cause d’Eric Zemmour demeurant aux alentours de 10% ou baissant, pourraient faire espérer la présence d’un Républicain au second tour si la droite sort enfin d’un labyrinthe qui l’a constituée comme la plus lente et la plus bureaucratique du monde.

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Le président de la République semble caracoler dans les sondages mais officieusement en campagne depuis plusieurs semaines et distribuant à tout-va, il retarde le plus possible son entrée officielle dans la joute parce que devenu candidat, il perdra ce que le statut présidentiel lui octroie et dont il abuse. Ceux qui prétendent que la campagne présidentielle sera sans intérêt et que les personnalités qui concourront n’auront pas le niveau ont bien tort. La vie politique réserve des surprises. Pourquoi 2022 échapperait-il à cette loi qui fait que les jeux ne sont jamais faits ?

Solde migratoire: l’échange inégal

Nous exportons des jeunes diplômés aux idées libérales et nous importons des familles sous-qualifiées aux mœurs rétrogrades. Ce système de vases communicants se traduira par un appauvrissement du pays.


En 2019, 275 000 adultes originaires d’un pays extérieur à l’Union européenne se sont installés en France, parmi lesquels environ 50 000 personnes dont la situation illégale a été régularisée par faveur du gouvernement [1]. Ces chiffres résultent du rapport annuel du ministre de l’Intérieur au Parlement. C’est la seule source dont nous disposons sur le sujet, une source particulièrement difficile à comprendre pour qui n’est pas au fait des arcanes juridiques du Ceseda, le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Les données pour 2020 n’ont pas encore été publiées.

275 000 personnes, c’est une ville de la dimension de Bordeaux ou de Strasbourg. Ce chiffre ne comprend pas les enfants, mais il inclut les étudiants, qui ne devraient pas s’y trouver. Peu importe au demeurant ! Les volumes suffisent à souligner l’ampleur du phénomène, d’autant que ce nombre ne fait qu’augmenter, année après année. En 2015, les nouveaux entrants étaient 217 500. En cinq ans, 1 229 000 personnes se sont installées en France dans le cadre de l’immigration, toutes ou presque destinées à y faire souche. La majorité se concentre dans les mêmes territoires. La moitié vient d’Afrique, le tiers du Maghreb. C’est une constante de notre histoire migratoire depuis un demi-siècle, les étrangers les plus nombreux à vouloir s’installer en France proviennent d’Algérie. Quand on sait les relations que la France entretient avec ce pays depuis son indépendance, le constat ne manque pas d’étonner.

Je rencontre des femmes qui résident en France depuis des décennies sans parler un mot de français

Pourtant, cet apport de plus d’un million d’habitants n’a pas eu d’incidence sur le volume global de la population car, dans le même temps, le même nombre de Français, ou presque, a émigré à l’étranger. Terre d’immigration pendant longtemps, la France est devenue un réservoir de main-d’œuvre pour d’autres pays à l’attractivité plus grande. D’une certaine façon, à travers ce mécanisme de vases communicants, est en train de s’opérer le remplacement d’une population par une autre. C’est sans doute ce phénomène qui inquiète le plus les Français, même si la statistique publique ne permet pas d’en mesurer la portée. En dehors du nombre des Français de l’étranger qui participent aux élections, elle ne sait rien de ceux qui partent. Intuitivement, en regardant autour d’eux, les Français savent que ce sont pour l’essentiel des jeunes gens formés dans les meilleures écoles et que ceux qui arrivent sont le plus souvent dépourvus de tout bagage scolaire. Je n’échappe pas à la règle. J’ai, comme tous mes amis, des enfants installés à l’étranger et des petits-enfants de nationalité étrangère.

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Rapporté de cette façon, le mouvement migratoire serait globalement neutre. Le rapport du ministère insiste d’ailleurs, dans son introduction, sur notre mauvaise appréciation du sujet. Son rédacteur – anonyme – souligne que le nombre des étrangers estimé par l’Insee n’est que de 5 millions de personnes, soit 7,5 % de la population totale du pays, et que la part des personnes nées à l’étranger ne dépasse pas 12,5 %. Comparée aux autres pays de l’Union européenne, la France comprendrait ainsi un taux de personnes étrangères plus faible que ses voisins. Pourquoi, dès lors, les Français seraient-ils inquiets ?

En vérité, il est impossible de comparer les pays de l’Union européenne en se fondant sur la seule distinction qu’offre le droit, c’est-à-dire la nationalité, car dans un pays comme le nôtre, où l’accès à la nationalité est plus rapide que dans la plupart des autres, le pourcentage des étrangers est mécaniquement plus faible. C’est d’autant plus évident que la presque totalité des enfants nés en France deviennent français avant leur majorité, ce qui n’est pas le cas ailleurs.

La cité Félix-Pyat dans les quartiers nord de Marseille (photographie tirée d’un reportage sur le collectif de rap Guirri Mafia, 7 octobre 2017). © Adlan Mansri/SIPA

Le droit français de la naturalisation est, de surcroît, demeuré libéral. Il accepte que le nouveau Français conserve sa nationalité antérieure, respecte deux allégeances, qu’il possède deux passeports et use de l’une ou l’autre de ses nationalités à sa convenance, y compris pour voter. Dans ces conditions, si la possession de la nationalité française constitue une qualification juridique probante, facile à utiliser pour l’arithmétique des grands nombres, elle reste sujette à caution pour qui voudrait mesurer les effets de l’assimilation. C’est une réflexion que j’entends très souvent concernant les cités que je visite : « Ils sont français ! » Certes, mais de quelle manière sont-ils français ? Beaucoup d’adolescents, qui ont acquis la nationalité de manière automatique, n’ont pas une idée très précise de la nation à laquelle ils appartiennent.

En vérité, les flux croisés de population ne peuvent être neutres. Ils soulèvent même de considérables difficultés pour la société d’accueil. Que ce soit en matière d’usage de la langue, de niveau d’éducation ou de pratique religieuse, la confrontation des modes de vie provoque de vraies tensions au sein de la société française. Et elle en provoque d’autant plus que la France ne peut se concevoir comme une juxtaposition de communautés différentes mises au service d’une minorité dirigeante, sur le modèle de la mondialisation anglo-saxonne. L’harmonie est rompue. L’école, ouverte à tous, est à la peine face au nombre grandissant des élèves allophones. Dans les transports en commun franciliens, le français devient une langue minoritaire. Et les Français craignent de devenir la minorité autochtone d’un pays ouvert au multiculturalisme, dont l’islam serait la religion dominante.

En deux mots, ce n’est pas l’immigration qui pose problème, mais notre capacité à intégrer des familles qui ne parlent pas notre langue, ne comprennent pas notre culture et ne partagent pas nos principes. Comme dans la cuisine, la mixité a des vertus quand les dosages sont respectés. Il n’est pas interdit de rajouter de la farine dans la sauce, mais quand la saturation provoque des grumeaux, il est temps d’arrêter. En matière d’immigration, les grumeaux, ce sont les îlots communautaires qui parsèment notre géographie d’enclaves refermées sur elles-mêmes, mais reliées à un autre pays du monde grâce au miracle de la 4G et du transport aérien low cost.

Le plus grave reste à venir, car l’immigration non encadrée – les Français l’ont appris à leurs dépens au cours des quarante dernières années – bénéficie d’un fort capital de croissance. Un étranger qui s’installe en France, quel que soit son parcours, s’ouvre le droit d’épouser à l’étranger un conjoint de nationalité étrangère et de vivre en France en famille. Ce couple, s’il provient d’un pays d’Afrique ou d’Asie, aura probablement des enfants en nombre plus grand qu’un couple d’origine française du même âge. Nous savons que la surfécondité des femmes étrangères est surtout évidente à la première génération, les comportements ayant tendance à se rejoindre à la génération suivante. Entre-temps, il est possible que le premier émigré ait acquis la nationalité française et qu’il soit sorti des statistiques. Si tel est le cas, ce Français ou cette Française pourra épouser à l’étranger une ou un conjoint étranger et leur union sera qualifiée de « mixte », fournissant aux chantres de l’intégration heureuse un argument pour leur office.

Un exemple suffit à l’expliquer. M. est entré en France de manière clandestine en 2000. En 2005, il a obtenu une régularisation de sa situation. Titulaire d’une carte de séjour, il peut retourner dans son pays pour épouser la jeune femme choisie par la famille. En 2019, 90 000 étrangers sont entrés en France au titre d’un motif dit « familial ». Très vite, le couple a trois enfants, élevés par la mère dans la culture du pays d’origine. En 2015, après dix années de séjour régulier (c’est la moyenne), M. devient français par naturalisation. Ses enfants le deviennent aussi. Le bailleur social, dans le respect des normes gouvernementales, a installé la famille dans un quartier où elle a retrouvé d’autres familles de la même ethnie ou de la même région. Si l’école n’existait pas, les enfants ignoreraient le pays où ils vivent. Je rencontre des femmes qui résident en France depuis des décennies sans parler un mot de français. Dans cinq ans, les aînés seront en âge de se marier, selon le même processus, avec un conjoint choisi dans le pays d’origine. M. aura six petits-enfants, ou plus. En deux générations, la décision de franchir la frontière se sera traduite par un ensemble familial de quatorze individus. En 2000, 30 000 clandestins environ ont franchi l’une de nos frontières.

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Les processus enclenchés dès 1976, et qui ont abouti à la situation que nous connaissons aujourd’hui dans les banlieues françaises, sont toujours à l’œuvre : enfermement des nouveaux arrivés dans des quartiers spécifiques, pénurie d’emplois, échec scolaire… En 1976, l’immigration concernait à titre principal les épouses de travailleurs demeurés en France. Aujourd’hui, elle concerne d’abord des conjoints de Français d’origine étrangère. Surtout, c’est la part de ceux qui s’installent en France sans y avoir été conviés ou acceptés qui déséquilibre le mouvement naturel de l’intégration. Ceux-là sont, par construction, dépourvus d’emploi et de formation. Ce sont majoritairement des hommes jeunes, de moins de 25 ans, qui généreront, comme dans notre exemple, une nouvelle migration, régulière cette fois. Surtout, ces nouveaux migrants proviennent de pays de plus en plus étrangers à notre langue et à nos modes de vie.

Au moment où j’écris ces lignes, c’est la question des réfugiés afghans qui interpelle les médias. Il va de soi qu’on ne saurait abandonner à leur sort les Afghans qui se sont engagés pour la France, comme nous avons abandonné jadis les Harkis à leur infortune. Ils sont 7 000, nous dit-on ! On peut s’étonner du nombre. Avons-nous bénéficié du concours de 7 000 supplétifs ? En tout état de cause, ces réfugiés rejoindront bientôt les 50 000 Afghans déjà installés en France. Tous ou presque sont de jeunes adultes – des hommes exclusivement – ayant quitté leur pays pour rejoindre l’Angleterre et qui se sont trouvés pris au piège dans la nasse de Calais. Ils parlent anglais et ont fini, faute de mieux, par demander l’asile en France. Ils y représentent désormais le premier contingent de demandeurs d’asile. La moitié d’entre eux a été déboutée. On comprend mal que de jeunes résistants afghans se soient trouvés en France alors que leur pays allait être plongé dans le chaos. Ils sont restés faute de pouvoir être reconduits. J’ignore où la population afghane va s’installer. Les Russes tchétchènes, qui ont suivi avant eux le même parcours, sont majoritairement installés en Alsace où ils ont leurs mosquées et leurs institutions. Ces Afghans, qui pratiquent un islam sunnite rigoriste, feront eux aussi venir leurs épouses, peu enclines à abandonner la burqa, et auront des enfants, en nombre sans doute plus grand que le Monsieur M. de notre exemple.

Évidemment, tous les nouveaux venus ne seront pas insensibles à la culture française. Certains maîtriseront la langue, liront sa littérature, acquerront une situation professionnelle stable et envisageront de se marier en dehors de leur communauté. Certains porteront haut les couleurs de la France et leurs enfants appartiendront peut-être à l’élite de ce pays. Mais pour un médecin, combien de livreurs de pizza ? Et pour une avocate, combien de mères au foyer, gardiennes de la tradition ?

En tout état de cause, la politique de l’immigration n’est pas sans faire penser à la politique budgétaire. Les intérêts se payent sur le long terme, quand ceux qui ont pris les décisions ne sont plus là pour en rendre compte. À tout le moins, un ensemble de tableaux chiffrés, difficiles à croiser, ne peut faire une opinion. Le rapport au Parlement issu de l’article L. 111-10 du Ceseda ne suffit pas à embrasser l’étendue de la question. La crainte de générer des discriminations a restreint le champ de la recherche. On ne débat, sur ces questions, que de l’écume d’une vague qui a pourtant l’ampleur d’une lame de fond. L’inquiétude des Français repose sur des constats du quotidien, que formulent les enseignants dans leurs classes, les bailleurs sociaux, les élus locaux, les salariés confrontés à la concurrence de nouveaux venus ou les usagers du RER immergés dans le brouhaha des langues, mais les chiffres qu’on leur fournit ne répondent pas à leurs questions. Dans ces conditions, on ne saisit pas la façon dont seront organisés les référendums que proposent certains candidats à la présidence de la République. Dès lors que les considérants sont aussi mal connus, comment formuler la question ?

Personne, évidemment, ne s’oppose à l’arrivée de nouvelles familles ; beaucoup sont même ravis de trouver à bon compte une main-d’œuvre peu regardante quant à ses conditions de travail. C’est l’effet de masse qui inquiète, dès lors qu’elle se traduit par l’agrégation dans les mêmes territoires de populations de même origine. En tout état de cause, il faudrait pour les loger 200 000 appartements de plus quand nous en avons construit, l’an dernier, 76 000. Et la crise budgétaire qui s’annonce n’aidera pas à trouver des solutions. Quant à la politique implicite qui consiste à favoriser le départ des diplômés pour accueillir à leur place des personnes en difficulté d’intégration, elle ne manquera pas de provoquer à court terme un durable appauvrissement du pays.

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[1] L’Observatoire de l’Immigration et de la Démographie parle pour sa part de 469.000 titres de séjour octroyés en 2019. La discordance entre les deux chiffres tient aux mineurs isolés et aux demandeurs d’asile qui ne reçoivent pas un titre de séjour stricto sensu mais sont autorisés à rester en France durant l’examen de leur dossier. Cependant, qu’ils obtiennent ou pas le statut de réfugié, la plupart resteront en France et finiront donc par gonfler les statistiques de l’immigration légale (lors de régularisations).

[Vidéo] Suicide de Roland Jaccard, Une “immonde” de « Causeur », Mathieu Bock-Côté: la semaine de Causeur

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La semaine de Causeur revient sur les articles les plus consultés sur le site Causeur.fr durant la semaine écoulée. Notre Directeur adjoint de la rédaction Jeremy Stubbs commente et analyse.


La semaine de Causeur a commencé de la manière la plus triste qui soit avec la disparition de Roland Jaccard, du grand Roland Jaccard, à qui Jérôme Leroy a rendu un hommage aussi vibrant qu’émouvant. 

Ce qu’il y a de consolant dans la mort d’un écrivain, c’est qu’il nous reste ses écrits. Nous pourrons relire les « Billets du vaurien » qu’il donnait chaque semaine à Causeur, ainsi que ses nombreux livres, sur la psychanalyse ou sur Cioran, ses récits ou ses journaux intimes, dont le monumental Le Monde d’avant. Comme le dit Jérôme Leroy, « Je suis content d’avoir ses livres dans ma bibliothèque. »

D’aucuns ont été choqués par la une de Causeur « Souriez, vous êtes grand-remplacés. » 

Jean-Paul Brighelli nous explique que ces bien-pensants ont oublié que les chiffres donnés proviennent d’un organisme, France Stratégie, qui n’a rien de réactionnaire. Le différentiel de reproduction entre femmes françaises et femmes immigrées s’agrandit. Et l’assimilation se délite. À côté de cela, l’école républicaine est en panne. Comme l’a dit Elisabeth Lévy, le problème n’est pas le caractère multi-ethnique de la société mais son caractère multiculturel

Le plus drôle, c’est qu’un grand nombre des enfants issus de l’immigration n’a rien en commun avec les bobos parisiens de la Fondation Jean Jaurès ou de l’électorat d’Anne Hidalgo.

Mathieu Bock-Côté nous explique que la nationalité française n’est plus qu’un « droit », sans rapport aucun avec une quelconque identité historique. 

Les thuriféraires de la modernité invoquent à tout bout de champ le principe de la diversité des peuples, mais en réalité ils promeuvent l’interchangeabilité des populations. C’est ainsi que les traditions culturelles d’une nation sont traitées comme un stock de coutumes privées sans aucune dimension politiquement fondatrice. Résultat des courses : le lien entre la citoyenneté et l’identité est sectionné. Au rythme actuel des changements, on pourra dire un jour : ci-gît la nation française.  

Qui allons-nous écouter ? Ceux qui tirent la sonnette d’alarme ? Ou les fossoyeurs ?

La route de Kaboul passe par Islamabad

On n’empêchera pas l’Afghanistan de redevenir une base arrière du terrorisme international et un exportateur de migrants sans la coopération du Pakistan. Mais celle-ci est peu probable car, depuis 2001, Islamabad ne partage plus les mêmes intérêts que Washington dans la région. Des divergences que l’arrivée des talibans ne fera qu’accentuer.


« Lorsqu’on écrira l’histoire, il sera dit que l’ISI [le plus important service de renseignement pakistanais, ndlr] a vaincu l’Union soviétique en Afghanistan avec l’aide de l’Amérique. Puis que l’ISI, avec l’aide de l’Amérique, a vaincu l’Amérique. » Cette phrase a été prononcée en 2014 par le général Hamid Gul, ancien chef de l’ISI de 1987 à 1989. Elle signifie que l’ISI a utilisé l’aide fournie par les États-Unis dans le cadre de leur guerre contre le terrorisme, déclenchée après le 11 septembre 2001, pour soutenir et financer les talibans. Il est vrai que le général Gul, décédé en 2015, était au moment de l’entretien un personnage public un peu « has been ». Mais il résumait ainsi la principale raison – parmi une liste assez longue – de l’échec américain en Afghanistan : le double jeu pakistanais. Contrairement à ce qui est souvent tenu pour une règle, on peut battre une insurrection populaire et une guérilla sauf si les insurgés bénéficient de l’aide de votre principal allié dans la région et d’une base arrière chez lui. Alors ils sont effectivement imbattables. Le problème afghan (et taliban) est d’abord une question pakistanaise.

Depuis un demi-siècle, le Pakistan considère le contrôle de l’Afghanistan comme un intérêt vital

Le Pakistan est né en 1947 sans que ses pères fondateurs aient une idée claire de l’identité de la nation qui allait « habiter » la nouvelle entité géopolitique. Langue commune ? Appartenance ou origine ethniques ? Religion ? Haine des Indiens ? Ce sont finalement les deux dernières qui sont devenues les vecteurs de cristallisation nationale.

L’islam est sans-frontiériste, c’est sa force et sa faiblesse

Le résultat est que le Pakistan peut être grossièrement réduit à une institution – l’armée qui incarne l’hostilité à l’Inde – et à une idéologie – l’islamisme. Et c’est un général, Mohammed Zia ul Hak qui, à partir de son arrivée au pouvoir par un coup d’État en 1977, a mis fermement en place cette alliance du sabre et du croissant qui domine toujours le destin du pays. Il n’est donc pas étonnant qu’en sept décennies, cet État ne soit pas arrivé à enfanter une véritable nation. L’islamisme comme le nationalisme se sont avérés des dénominateurs identitaires communs faibles. L’armée pakistanaise a été battue par celle de l’Inde. Et l’exemple bangladeshi montre bien que l’islam ne suffit pas non plus à faire nation : le Pakistan de l’Est, province musulmane de l’Inde britannique, a pris son indépendance en tant que Bangladesh en 1971. L’islam – c’est sa force et sa faiblesse – est trop sans-frontiériste pour servir à lui seul d’identité nationale. De plus, il laisse trop de pouvoir aux religieux et aux illuminés charismatiques (des « mahdis » ou des « mullahs fous ») pour fonder un régime stable. L’obsession de sa compétition avec l’Inde explique largement les deux choix géostratégiques d’Islamabad. Le premier est la bombe nucléaire, dont le Pakistan s’est doté à la fin du xxe siècle (il détient aujourd’hui un arsenal de 165 ogives). Le deuxième est l’installation d’un gouvernement ami à Kaboul. Convaincu que l’Inde cherche à le diviser en instrumentalisant ses failles ethniques, le Pakistan a voulu que l’Afghanistan lui serve de « profondeur stratégique » et de tremplin pour des insurrections contre l’agresseur indien.

L’Afghanistan avait certes reconnu le Pakistan et établi des relations diplomatiques avec lui très tôt, mais il n’a admis la ligne Durand (tracée par les Britanniques) comme frontière entre les deux pays qu’en 1976 ! Pis encore, l’Afghanistan entretenait des relations amicales avec l’Inde, ce qui n’a pas arrangé son cas auprès des généraux pakistanais. Résultat : avant même l’occupation soviétique de l’Afghanistan en 1979, le Pakistan a autorisé les islamistes afghans à s’organiser sur son territoire. On peut donc affirmer que, dès le milieu des années 1970, avant la révolution iranienne et la radicalisation saoudienne qui s’en est ensuivie, Islamabad expérimentait l’islamisme djihadiste comme arme géopolitique.

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En même temps, dans le contexte de la guerre froide, tandis que l’Inde prenait la direction des pays « non alignés », le Pakistan se rangeait dans le camp occidental, à la tête duquel les Américains se substituaient progressivement aux Britanniques. À partir de 1979, la résistance à l’occupation soviétique crée donc une convergence entre l’alliance américaine et le djihadisme, permettant à l’ISI d’avancer ses propres objectifs à l’ouest de la ligne Durand grâce à l’argent et à l’armement américains.

Une drôle d’alliance

Cependant, les deux alliés étaient loin d’avoir les mêmes intérêts en Afghanistan. Si les États-Unis ont, via le Pakistan, armé et financé les moudjahidines, c’était dans l’unique but de saigner l’URSS. L’avenir de l’Afghanistan après le départ des Soviétiques leur importait peu. En revanche, les Pakistanais ont vu dans le djihad antisoviétique une occasion de faire de l’Afghanistan un État-satellite. Ils ont donc favorisé les moudjahidines les plus fondamentalistes dans l’espoir qu’un futur gouvernement sous leur contrôle rejetterait l’influence de l’Inde, alliée des plus modérés qui allaient plus tard constituer l’alliance du Nord de Massoud.

Ces contradictions ont fini par envenimer les relations américano-pakistanaises. Même après le 11-Septembre, quand le Pakistan est devenu le centre logistique des forces américaines en Afghanistan, les militaires, inquiets de l’influence de l’Inde à Kaboul, ont soutenu les talibans. Il faut dire que pendant les premières années de l’opération américaine, ils ont pu compter sur l’erreur stratégique de Washington qui a ignoré les talibans pour se concentrer exclusivement sur la chasse d’Al-Qaïda. Puis la guerre en Irak a détourné l’attention et les moyens américains. Vers 2005-2006, la situation sur le terrain afghan a commencé à se dégrader.

En 2009, avec l’arrivée d’Obama à la Maison-Blanche, le Pentagone abat sa dernière carte : « The Surge », le déploiement en masse de troupes sur le sol afghan, accompagné de la mobilisation de moyens considérables. Dès 2011, il était clair que cela ne marchait pas. Au même moment, Ben Laden a été tué dans sa tanière à Abbottābād, au Pakistan, où il se cachait depuis des années avec la complicité de l’ISI… L’échec est alors patent et certains pays de l’OTAN commencent à retirer leurs forces. Mais il faudra encore quelques années pour que Trump décide et que Biden exécute le désengagement militaire.

Une solution durable, qui empêcherait l’Afghanistan de redevenir une base arrière pour le djihad mondial et un exportateur de migrants, drogues, armes et terrorisme, semble aujourd’hui impossible à atteindre sans la coopération du Pakistan. Or, celle-ci est peu probable compte tenu de l’instabilité inhérente à l’édifice politique pakistanais. Pour rappel, les talibans ont été « adoptés » par l’ISI en 1994. Le gouvernement d’Islamabad était alors dirigé par une certaine Benazir Bhutto…

1763, déjà les antivax…

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Quand le vaccin contre la variole divisait l’Académie des sciences sous Louis XV.


1763. L’épidémie se répandant à nouveau dans Paris, où elle a occasionné vingt-mille décès, une méthode, recommandée par le Dr Tronchin, qui a depuis bien longtemps prouvé son efficacité, consiste à inoculer aux bien-portants le germe de la maladie. Lady Montagu, épouse de l’ambassadeur de Grande Bretagne auprès de l’Empire Ottoman, où la pratique est devenue courante depuis fort longtemps, a fait inoculer son fils de six ans. 

La pratique s’est répandue en Europe, à l’exception de la France dont la population semble réticente. L’inoculation des Princes d’Orléans au Palais Royal en 1756 avait déjà fait grand bruit. Le voisinage de médecins pratiquant l’opération s’en était plaint. La police avait reçu de nombreuses dénonciations, les rumeurs les plus folles alimentant la crainte. 

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Au mois de juin, le comte du Lauraguais, membre de l’Académie des sciences, a prononcé un fervent discours en faveur de l’inoculation qui continue cependant de fédérer de nombreux adversaires. Des personnalités telles que Voltaire et d’Alembert ont beau répéter que cette pratique diminue sensiblement les risques, elle est toujours jugée dangereuse. La faculté de médecine a délibéré sur l’opportunité de l’inoculation. Sur douze commissaires, six se sont déclarés favorables, six contre. 

Opposition de l’Église

Mais l’opposition la plus formelle vient des autorités ecclésiastiques. Outre la menace de mort qu’elle fait peser sur les bien-portants, ses adversaires se demandent si l’inoculation ne risquerait pas d’introduire, en même temps que le germe de la maladie, celui du vice chez les vertueux, celui de l’incrédulité chez les croyants et celui des roturiers dans celui des nobles.   

Piqué au vif, le comte du Lauraguais s’en est pris ouvertement à la faculté de théologie, arguant que celle-ci n’était fondée à donner son avis que sur des « choses sans conséquences » telles que la pénitence ou la consécration. Le scandale lui a valu une lettre de cachet de Sa Majesté. Il purge depuis sa peine dans la citadelle de Metz.

Par un arrêt du 8 juin 1763, le Parlement de Paris a « fait défense de pratiquer l’inoculation dans les villes et faubourgs du ressort de la cour » et interdit l’accès des villes aux inoculés avant la sixième semaine. Il faut se rendre dans un endroit où l’opération est tolérée sous peine d’amendes. L’inoculateur peut recevoir le patient en ville, lui rendre visite dans sa maison, mettre sur pied une préparation préalable à l’opération avec des bains ou régimes, mais la variolisation elle-même doit avoir lieu loin du centre.

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Le Roi contaminé

La question trouva son plus funeste épisode au printemps 1770, quand sa Majesté se réveilla un matin incommodée, et fut soudain prise de violents maux de tête et d’une forte fièvre. Elle se rendit tout de même à la chasse, mais se coucha sans souper. Le diagnostic posé, on écarta la famille royale pour éviter tout risque de contagion et Sa Majesté fut transportée à Versailles selon la volonté de son premier chirurgien prétextant que : « c’est à Versailles qu’il faut être malade. » Le 8 mai, la maladie redoubla. Le Roi délirait et la suppuration diminua. Dans l’après-midi, Louis XV, le visage noirci et déformé par les croûtes, s’éteignit.

Voltaire écrivit aussitôt un éloge du souverain défunt se terminant ainsi : «Que l’inoculation nous assure la conservation de notre nouveau Roi, de nos princes et de nos princesses!» La famille royale persuadée enfin par l’évidence des faits les plus authentiques et les plus multipliés, qu’il n’existait qu’un moyen de se mettre désormais en sûreté contre les malheurs qui la menaçaient encore de toute part, prit tout à coup, seule et sans impulsion étrangère, le parti courageux de recourir à l’inoculation.

Destiné à être diffusé à Paris et dans les principales villes du Royaume, Le Bulletin du Roi, en date du 24 juin 1774, informa l’opinion publique d’une grande nouvelle : « Le jeune Roi Louis XVI, vers qui se portent alors tant d’espérances, a accepté de se faire inoculer la variole, ainsi que ses deux frères cadets, le comte de Provence et le comte d’Artois. Et tous se portent bien ».

Mélanie Laurent s’intéresse à la folie au XIXe siècle

L’actrice/réalisatrice/auteure/chanteuse réalise un sixième film réussi adapté d’un roman de Victoria Mas. Il suit une jeune femme persuadée de communiquer avec les morts…


Amazon Prime, la plateforme de vidéos à la demande la moins intéressante, nous a réservé cependant une merveilleuse surprise. Le bal des folles, qui est le sixième film de la réalisatrice et actrice Mélanie Laurent. Elle a pris un risque, en adaptant le roman éponyme de Victoria Mas, paru en 2019, qui traite des femmes considérées folles, enfermées à la Salpêtrière, pour servir de cobayes à Charcot, « l’inventeur » de la notion plus ou moins vague d’hystérie.

Le mystère Eugénie Cléry

La réalisatrice aurait pu prendre un parti voyeuriste, le sujet s’y prête. Mais elle parvient à traiter de la folie de manière subtile, presque tranquille. Son approche de ces femmes, qui souffrent de pathologies quelquefois inconnues pour l’époque – l’hystérie est un fourre-tout bien pratique, qui souvent servait de prétexte pour faire taire des femmes trop dérangeantes – est si sensible, si empathique au vrai sens du terme (être avec), qu’elle semble justement faire corps avec elles.

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Dérangeante, Eugénie Cléry l’est assurément. C’est une jeune fille issue de cette bourgeoisie si étouffante de la fin du XIXe siècle. Cette jeune fille intense veut échapper à son monde, aller dans les cafés de Montmartre pour « lire et fumer ». Elle a suivi avec passion les funérailles nationales de Victor Hugo… Ce film a quelques relents hugoliens, qui comme chacun sait faisait tourner les tables : Eugénie dit communiquer avec les morts. C’est pour cette raison que sa famille la fit enfermer. Elle subit les traitements du docteur Charcot, qui s’apparentaient à de la torture : barres de fer dans le vagin ou l’utérus (on connaît l’origine du mot hystérie, hysteros soit utérus en grec), bains froids, baillons d’éther… L’infirmière sadique, l’isolement dans des cachots sordides où l’on jette de la nourriture comme on ne le feraient même pas pour des chiens. Tout cela est filmé de manière certes réaliste, au plus près de ces corps malmenés, mais aussi avec une paradoxale douceur, comme si la réalisatrice, plus d’un siècle plus tard, avait voulu rendre hommage à ces femmes, en leur offrant une sorte de consolation. La photographie du film est de toute beauté. Picturale, quelquefois monochrome : le bleu profond des salons bourgeois, quelquefois rappelant les peintres Flamand, l’obscurité grise et marronnasse éclairée à la bougie, où s’immiscent des rais de lumière.

Occultisme et excès de réel

Mais pourquoi ce titre, Le bal des folles ? Tous les ans à la mi-Carême, la Salpêtrière organisait un bal où les bourgeois venaient s’encanailler avec les folles, déguisées en costumes de Pierrot ou de gitanes. Ils s’y encanaillaient comme on va au zoo, en espérant assister à une scène d’hystérie. Pendant le carnaval, qui était une inversion des valeurs, une catharsis, on a toujours côtoyé la folie. Certainement pour ne pas devenir fou soi même. Mais la frontière entre un fou et un sain d’esprit est ténue. Tarte à la crème que cela, mais qui a vécu ne saurait me contredire. Les femmes en pâture, espéraient quant à elles, un regard, un mot, quelque tendresse, l’espace d’un instant. 

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Au XIXe siècle, siècle qui nous propulsa dans la modernité, qui a inventé le capitalisme moderne, les classes sociales, la bourgeoisie triomphante ou le positivisme, est aussi le siècle d’un retour esthétique au Moyen-Age et à l’occultisme. Comme pour se protéger d’un excès de réel. Hugo en fit un roman de plusieurs centaines de pages et les poètes symbolistes étaient friands de magie et d’ésotérisme. Ésotérisme que l’on assimile, avec raison, à l’idéologie d’extrême droite. Cependant, dans son indispensable ouvrage de 600 pages, Le XIXème siècle à travers les âges, Philippe Muray nous parle d’occulto-socialisme, avec en exergue cette citation de Flaubert : « La Magie croit en la transformation immédiate des formules, exactement comme le socialisme ». Cela est lumineux ! Le pouvoir des mots ne change rien, encore faut-il y croire. Mitterrand ne voulait-il pas changer la vie ? Abracadabra. 

Mais nous nous égarons. Revenons à nos « folles » : Eugénie finit par s’échapper de la Salpêtrière, d’une drôle de manière, et grâce à ses dons paranormaux. Dans les derniers plans du film, nous la voyons au bord de la mer, façon Antoine Doisnel dans Les 400 coups. Les voyants ont toujours raison.

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Le Z et l’hologramme

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Le débat télévisé opposant Eric Zemmour à Jean-Luc Mélenchon a permis aux téléspectateurs de prendre connaissance de deux projets pour la France antinomiques. Malgré un fact-checking journalistique douteux, l’auteur de La France n’a pas dit son dernier mot a enchaîné les démonstrations convaincantes. S’il se présente à l’élection présidentielle, il sera un candidat redoutable.


Difficile de résumer fidèlement en quelques lignes deux heures d’affrontement verbal. Plutôt qu’une liste à la Prévert de sujets abordés et de citations plus ou moins percutantes, voici donc une vision d’ensemble de ce qui est, d’une manière ou d’une autre, le premier véritable débat de la campagne présidentielle.

Une opposition claire, frontale, assumée

Les deux hommes ont en commun d’avoir identifié un problème à leurs yeux majeur, une menace existentielle pesant sur la France, et d’organiser tout leur projet politique autour d’un impératif absolu : faire face à cette menace. La submersion migratoire et islamique pour Eric Zemmour, la submersion par la montée des eaux pour Jean-Luc Mélenchon.

Ils ont aussi en commun d’avoir chacun « une certaine idée de la France » qui ne se réduit pas à une approche gestionnaire et comptable, quoi que ces idées soient radicalement différentes. La France éternelle pour Zemmour, la République née en 1789 pour Mélenchon. En découlent l’éloge de l’assimilation par Zemmour, et celui de la créolisation par Mélenchon.

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Tous deux assument leurs positions passées, mais là encore de manière diamétralement opposée : Eric Zemmour se flatte de sa cohérence, Jean-Luc Mélenchon se vante de savoir changer d’avis. Ils ont enfin en commun d’avoir été confrontés à un « fact-checking » d’une nullité crasse, BFM TV ayant accumulé des erreurs si grossières qu’il est difficile de ne pas y voir des mensonges éhontés et orientés.

Hervé Le Bras, un très curieux fact-checkeur!

Commençons par BFM. Un parti-pris manifeste, contre Zemmour plutôt que pour Mélenchon, affiché sans aucune pudeur dans les discussions navrantes qui précédèrent le débat – il faut bien mettre le téléspectateur en condition.

Sur l’immigration, le « fact-checking » reprend tels quels les éléments de langage d’Hervé Le Bras, dont Michèle Tribalat et l’Observatoire de l’Immigration et de la Démographie ont pourtant méthodiquement démontré et démonté la fourberie.

Quand Jean-Luc Mélenchon évoque – et il a raison – les personnes qui renoncent à s’éclairer ou se chauffer l’hiver en raison du coût de l’électricité, on lui rétorque : « trêve hivernale », pas de coupures d’électricité en hiver. Il fallait être profondément malhonnête ou totalement stupide pour ne pas comprendre que Mélenchon parlait de gens qui renoncent d’eux-mêmes à s’éclairer ou se chauffer correctement pour ne pas se retrouver en incapacité de payer, et non de personnes à qui on couperait l’électricité. Eh oui, il y a aujourd’hui en France, et notamment dans les zones rurales, des personnes qui en hiver ne chauffent qu’une seule pièce de leur maison – ce qui provoque parfois des ruptures de canalisations en cas de gel – et réduisent leur consommation d’énergie à moins que ce que la plupart appelleraient « le strict minimum ».

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Bataille de chiffres

Quand Eric Zemmour cite les chiffres de Charles Prats sur la fraude sociale – 50 milliards d’euros par an – BFM prétend s’appuyer sur un rapport de la Cour des comptes pour affirmer qu’il ne s’agirait en réalité que d’1 milliard d’euros, insistant soigneusement pour dire que ça fait « 50 fois moins ». Fact-checkons les soi-disant fact-checkers : ce milliard correspond uniquement à la fraude clairement identifiée, et la Cour des comptes elle-même estime que la fraude non détectée se chiffre entre 14 et 45 milliards d’euros.

Manque d’objectivité flagrant et accumulation de contre-vérités : une chose au moins est certaine, BFMTV n’était pas totalement à la hauteur des enjeux d’un tel face-à-face.

Marche contre « l’islamophobie ». De gauche à droite, Jean-Luc Mélenchon, Farida Amrani et Danièle Simonnet de la France Insoumise © NICOLAS CLEUET / HANS LUCAS / AFP

Du débat lui-même, l’essentiel se réduit à ceci : Jean-Luc Mélenchon, au mépris de l’évidence et des faits, nie toutes les problématiques dont la prise en compte l’obligerait à remettre en cause ses présupposés idéologiques – et sans doute clientélistes, la manif de la honte du 10 novembre n’est pas loin…. À l’inverse, Eric Zemmour assume ses priorités, mais hiérarchise les autres problématiques sans jamais les nier ni les perdre de vue : avoir une vision d’ensemble ne l’empêche pas de trancher et de décider. Aveuglement d’un côté, courage de l’autre.

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Déni mélenchonien : il n’y aurait pas de sexisme dans les banlieues, les causes de la délinquance seraient uniquement sociales et non culturelles (il gagnerait à lire Maurice Berger au lieu d’insulter les vrais pauvres), ou encore « en France, la religion républicaine est respectée par tout le monde. » Manifestement pas par les auteurs des plus de 40 000 menaces de viol et de mort reçues par Mila, ni par les juges puisqu’un tribunal vient de considérer qu’appeler publiquement à la haine des Juifs est parfaitement légal si c’est fait au moyen de citations d’un texte religieux (présentées sans la moindre distance critique). Dommage (mais pas surprenant) que les « fact-checkers » ne l’aient pas relevé…

Les idées de Zemmour en progression

En outre, Eric Zemmour est cohérent, alors que Jean-Luc Mélenchon s’emmêle dans ses contradictions. Trois cas pour l’illustrer : Mélenchon affirme vouloir lutter contre le rejet de CO2 dans l’atmosphère et pourtant veut « sortir du nucléaire » (alors que la situation catastrophique de l’Allemagne en termes de rejets de carbone suffit à démontrer l’absurdité d’une telle posture, ce que Zemmour a parfaitement compris). Il prétend que la France doit s’appuyer sur une autorité « morale, scientifique, culturelle » tout en appelant à la disparition de sa culture par la fameuse créolisation, qu’il illustre par l’exemple gallo-romain, dont la Guerre des Gaules nous apprend pourtant qu’il ne fut pas à proprement parler pacifique : répéter Alésia est-il le projet de Mélenchon pour le peuple français ? Et enfin : quelques secondes avant de faire l’éloge des mutazilites (en « oubliant » qu’ils ont tous été massacrés par les hanbalites il y a plus de mille ans) Jean-Luc Mélenchon déclare « ne dites pas qu’il y aurait des religions bienveillantes ! » Voici la non-violence du jaïnisme ramenée au niveau des sacrifices humains aztèques, on appréciera la pertinence de l’analyse.

Zemmour n’est toujours pas officiellement candidat. Pourtant, que l’on partage ou non ses convictions il faut bien admettre que ce sont ses thématiques qui se sont imposées dans le débat, comme elles s’imposent de plus en plus largement dans le débat public. Et ça, c’est déjà une première victoire pour lui.


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Oregon: l’Etat Castor est-il au bord de la sécession?

Aux Etats-unis, le projet étonnant d’une nouvelle « République du Pacifique »…


« L’état Castor » est-il au bord de la sécession ?

Une récente enquête publiée par l’institut de sondage YouGov a montré que de nombreux habitants de l’Oregon ne seraient pas opposés à une séparation totale d’avec le reste des États-Unis afin de former, avec d’autres États, une nation indépendante. Cette « République du Pacifique » intégrerait les États de Washington, de Californie, d’Hawaï et de l’Alaska. Sur un panel de 2 750 Américains interrogés, 39 % soutiendraient cette néo-sécession. Cette tendance se répand sur tout le continent depuis l’accession à la Maison-Blanche du démocrate Joe Biden. Ce projet apparemment anachronique rassemble au-delà des clivages politiques. Parmi les sondés favorables à cette partition, on trouve en effet 47 % d’Américains se réclamant du Parti démocrate et 27 % du Parti républicain. Pourtant, d’après la presse locale, cette idée émane essentiellement de « Stop the Steal » (« Arrêtez le vol » [de l’élection]), un mouvement pro-Donald Trump qui a fait le buzz sur Facebook en novembre 2020. Déjouant tous les paramètres de sécurité du célèbre réseau social, il a recueilli presque 400 000 abonnés en 24 heures avant d’être définitivement fermé par Mark Zuckerberg. On peut aussi citer l’influence du roman d’Ernest Callenbach, Écotopia (1975), très prisé des milieux écolos.

Inquiet de cette montée du séparatisme, le think tank Bright Line Watch, qui étudie les menaces pesant sur les institutions démocratiques, estime que cette « fièvre » sécessionniste est « très alarmante » bien que « fondée sur l’émotion du moment ».


11-Septembre, vingt ans après

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New York, 11 septembre 2001. © SPENCER PLATT / Getty Images via AFP

C’est une somme. Et un grand livre. Dans 11-Septembre, une histoire orale (Les Arènes, 2021), Garrett M. Graff retrace, à travers plus de 500 témoignages, la journée d’horreur qui nous a fait basculer dans le xxie siècle.


On sait qu’il est toujours difficile, en histoire, de dater le début d’un siècle. Le xixe commence-t-il en 1789 ou à la chute de Napoléon ? Le xxe commence-t-il en 1914 avec le début de la Grande Guerre, en 1917 avec la révolution russe ou en 1918 avec l’armistice ? Ces choix ne sont pas anodins, ils indiquent un prisme idéologique, comme l’a montré par exemple L’Âge des extrêmes (1995), dans lequel l’historien marxiste Eric Hobsbawm a parlé d’« un court vingtième siècle » allant de 1914 à 1991, date de la fin de l’URSS.

Il y a cependant une date qui semble aujourd’hui évidente pour marquer le début du xxie siècle, c’est le 11 septembre 2001. On célèbre ce mois-ci le 20e anniversaire de cette journée d’horreur sidérante où New York, symbole d’une mondialisation qu’on nous avait présentée comme la fin de l’histoire, a été frappée par l’attentat terroriste le plus spectaculaire. Ainsi, en quelques heures, l’humanité est-elle entrée dans la réalité du choc des civilisations théorisé par Samuel Huntington.

Le 11-Septembre avait surtout été une histoire visuelle jusqu’à présent

Pour raconter cet événement dont on n’a pas fini, vingt ans après, de subir l’onde de choc, Garrett M. Graff, historien et journaliste américain, publie un livre documenté et bouleversant dont l’originalité du point de vue est visible dès le titre : 11-Septembre, une histoire orale. En effet, ce sont les voix des protagonistes, célèbres ou inconnus, qu’il privilégie pour rendre compte de l’événement, heure par heure.

Le projet est d’autant plus novateur que le 11-Septembre a surtout été une histoire visuelle. C’est le premier événement de l’histoire filmé en direct, au moins pour l’effondrement des tours jumelles. Des images iconiques, comme l’avait remarqué en son temps Jean Baudrillard, d’autant plus effroyables qu’elles étaient plastiquement parfaites, infiniment et monstrueusement plus réelles que n’importe quel film catastrophe. Cela a aussi été une histoire écrite, notamment par la commission du 11-Septembre qui a consacré des années de travail et des milliers de pages à rendre compte, de manière exhaustive, des conditions et des circonstances des attentats.

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L’ambition de Garrett M. Graff est ailleurs. Littéralement, il s’agit de rendre la parole, au sens propre, à un peuple tout entier, au moment où il vivait l’événement et parfois en mourait. On rappellera que le mémorial du 11-Septembre donne un décompte de 2 983 victimes : 2 606 au World Trade Center, 125 au Pentagone, 206 dans les trois avions détournés, 40 dans le vol United Airlines 93 où les passagers ont tenté de reprendre courageusement le contrôle de l’appareil, auxquels s’ajoutent les six victimes de l’attentat de 1993 au WTC qui était, huit ans avant, un sinistre avertissement. Garrett M. Graff indique par ailleurs que plus de 3 000 enfants ont perdu un parent le 11-Septembre et que 6 000 personnes ont été blessées, sans compter celles qui ont souffert et souffrent encore de séquelles psychologiques.

15 ans d’écriture

L’auteur a passé quinze ans sur cette Histoire orale. Il a recueilli, lu ou écouté près de 5 000 histoires enregistrées, en a retenu plus de 500. Il signale d’ailleurs un étrange paradoxe sur cette question du témoignage. Le traumatisme a été tel que la plupart des personnes qui ont vécu l’événement ont du mal à écouter celui des autres tant le besoin de raconter le sien est viscéral.

Le livre s’ouvre par le témoignage de l’astronaute Frank Culberton arrivé à bord de la Station spatiale internationale un mois avant et qui, ce jour-là, était le seul Américain à ne pas être sur Terre : « À environ 4 000 miles au-dessus de New York, j’apercevais clairement la ville. Tous les États-Unis baignaient dans un grand ciel bleu et ensoleillé, et la seule activité notable était une large colonne de fumée noire qui s’élevait depuis New York et s’étalait au-dessus de Long Island, puis de l’océan Atlantique. […] Aucun avion ne traversait plus l’espace aérien américain, à l’exception d’un appareil qui quittait un aérodrome du centre des États-Unis. C’était Air Force One, avec le président Bush à son bord. »

Garrett Graff (C = Avid Reader Press)

La force du livre de Garrett M. Graff réside dans son montage, dirait-on en termes cinématographiques. L’auteur est invisible, n’intervenant que pour quelques paragraphes de liaisons entre les différents moments qui s’enchaînent : New York à 8 heures du matin, le premier avion, le deuxième, l’évacuation des tours jumelles, la décision de faire atterrir tous les avions en vol, les corps qui se jettent dans le vide, les deux effondrements, l’attaque du Pentagone, le nuage de fumée et de gravats, les premières recherches… Peu à peu, le lecteur est pris dans le rythme hypnotique et haché de la catastrophe. Les témoignages savamment découpés dépassent rarement quelques lignes et la multiplicité des points de vue sur la même situation accentue l’anxiété et la confusion ressenties alors.

Un pur chef d’œuvre

Il y a surtout, tout au long de cette tragédie, cette confrontation avec l’indicible, l’impensable, parfaitement illustrée quand Garrett M. Graff fait se succéder, par exemple lors du premier effondrement, des témoins qui cherchent en vain une comparaison. Un chirurgien, Gregory Fried déclare : « Impossible de trouver une analogie valable » ; Bill Spade, un pompier, essaie pourtant : « Comme six ou huit rames de métro qui débarquent en même temps en faisant crisser leurs freins. » Pour un urgentiste, c’est « comme mille trains qui déraillent à pleine vitesse ». Pour d’autres, c’est comme un lustre qui s’écrase, une mitrailleuse, 30 000 avions qui décollent, une avalanche…

On va d’une salle d’école où des profs essaient de rassurer des élèves au bunker de la Maison-Blanche avec Dick Cheney, en passant par les bateaux qui évacuent les gens piégés dans South Manhattan ou l’intérieur d’Air Force One que le porte-parole adjoint de la Maison-Blanche, présent à bord, définit en ce moment précis comme « l’endroit à la fois le plus sûr et le plus dangereux du monde ».

Ce qui apparaît progressivement au lecteur, au long de ces 500 pages serrées, c’est qu’il n’a pas seulement affaire à un document unique et poignant mais aussi, et cela peut-être à l’insu même de son initiateur Garrett M. Graff, à un livre qui appartient de plein droit à la littérature, comme si une forme nouvelle avait été trouvée ici : celle d’un roman vrai, qui englobe à travers des centaines de perceptions purement subjectives et éclatées la totalité du réel.

Autant dire qu’au-delà d’un intérêt historique de premier plan, 11-Septembre, une histoire orale est un pur chef-d’œuvre.

Le vivre ensemble dans les années soixante

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Souvenirs d’un monde disparu: quand les médecins recevaient les patients chez eux


Quand j’étais petit, mon père qui était médecin à Paris travaillait à la maison : il recevait ses patients chez nous.

Chez nous, les malades (comment on disait à l’époque) attendaient dans le salon au milieu des objets et des meubles de famille, la secrétaire travaillait dans la salle à manger, ma mère faisait la cuisine et nettoyait les instruments du cabinet médical en bavardant avec sa sœur, et nous, ma sœur et moi, nous jouions au milieu de tout cela sans trop nous gêner. Mon père de temps à autre sortait de son cabinet avec un air sévère pour demander un peu de silence à ses enfants ou à sa femme, intimait même parfois de suspendre un instant la cuisson d’un plat trop odorant.

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Pour faire bonne mesure d’ailleurs, il invitait souvent le dernier patient du matin ou de l’après-midi à partager en famille le déjeuner ou le dîner pour peu qu’il le connût un peu, ou, s’il venait de faire sa connaissance, pour poursuivre une conversation qu’ils avaient commencée pendant l’examen médical ; art, vieille France et pays lointains, époque de la guerre ou du lycée, philosophie antique, littérature, tout était bon. Mon père combinait ainsi sa sociabilité, son goût pour la conversation, son désir de faire valoir la culture et le talent culinaire de son épouse et d’une façon générale sa liberté, et sa capacité de se lier avec les gens les plus divers. Ma mère et nous trouvions cela normal.

Cinquante ans plus tard…

Quand j’y pense, plus de cinquante ans après, je me rends compte à quel point nous avons changé. Tous. En recevant ainsi chez lui tous ces gens pour les soigner, mon père se livrait, dans son logis, tout entier, avec sa femme, ses enfants, son histoire, son cadre de vie, ses objets, son argent, à des inconnus, à l’aléatoire d’un mauvais coup, d’une agression. Il disait que de toute sa longue période d’exercice, on ne lui avait pris que deux des objets exposés dans son salon, ils étaient vraiment tentants, excusait-il, et en plus ils étaient de la bonne taille pour entrer dans un cabas ou une serviette ; il n’aurait pas dû les laisser mais ce n’était pas bien grave, les gens sont gentils en fait et bien élevés. Pendant la même période, il avait dû mettre à la porte un ou deux gars et cela ne lui avait pas fait peur. Pendant quelques mois, dans les années soixante-dix, il y avait eu des coups de fil menaçants le soir à la maison ; il avait dit à ma mère qu’il pensait savoir qui c’était puis cela s’était arrêté.

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Maintenant, qui peut même seulement imaginer faire entrer le monde chez soi pour travailler ? On imagine tout de suite le risque, la menace, la vulnérabilité ; à l’instant même, moi-même, je me dis à quel point mettre ce monde extérieur au contact de sa famille est lui faire courir, à cette famille bien-aimée, tous les jours un risque très grand, un risque disproportionné, impensable quand on réfléchit à tous les conflits, aux propos menaçants, à toutes les insultes, à toute la tension qui existent, à la nécessité désormais de prévoir dans toutes les consultations hospitalières des recours, des secours, de la sécurité, de la loi, dans tous ces lieux qui offrent pourtant du soin, de l’aide, des réponses à la souffrance ; ces lieux devraient être marqués par un mutuel préjugé de bienveillance, par une confiance réciproque, parce que c’est la bonne façon d’être efficace. Maintenant, ce ne sont que des lieux neutres et des relations tout aussi neutres avant d’être éventuellement adoucies après que des gages eussent été donnés de part et d’autre. Mais en aucun cas, plus jamais, on ne mettra entre le médecin et son patient le bruit des enfants en train de jouer ou de pleurer et l’odeur de la soupe en train de cuire.

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Marine Le Pen n’a pas dit son dernier mot

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Marine Le Pen en campagne à Hayange (57), 23 septembre 2021 © Alain ROBERT/SIPA Numéro de reportage : 01039836_000007

Eric Zemmour, à l’extrême droite de Marine Le Pen ? Dire cela est réducteur, parce que Eric Zemmour ne peut pas seulement se définir ainsi. Il n’empêche que sur certains thèmes, Marine Le Pen se retrouve confrontée à cette situation bizarre qu’elle n’a jamais connue, d’être dépassée sur le plan de l’extrémisme !

Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle a commencé un autre type de dédiabolisation. Comme, malgré la séparation politique d’avec son père et son refus de s’abandonner à quelque délire historique que ce soit, en dépit de sa participation à des démonstrations collectives consensuelles, on ne la jugeait pas crédible, elle a décidé d’attiédir son programme, démarche qui pour l’instant n’a pas réussi à son parti, qu’on songe aux élections régionales.

Selon Eric Zemmour, elle n’aurait aucune chance

Il est évident que cette tentative de banalisation du projet donne un espace à Eric Zemmour qui s’y engouffre avec une volupté sadique, d’autant plus qu’on sait qu’il ne la crédite d’aucune chance de l’emporter en 2022 parce qu’elle serait « nulle ».

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Jusqu’à maintenant Marine Le Pen assume avec élégance, une sorte de patience qui a de l’allure, l’irruption politique et médiatique d’Eric Zemmour dans son pré carré. Elle rappelle son parcours, sa durée, sa constance, elle assure faire preuve du calme « des vieilles troupes » et n’est pas loin de considérer que de la part de l’essayiste qui n’a pas encore déclaré sa candidature, il va s’agir d’un feu de paille comparable selon elle à tant d’autres de brèves incandescences. Elle fait contre mauvaise fortune bon cœur en espérant que sa descente nette dans les intentions de vote ne sera que temporaire et qu’elle reviendra à son niveau habituel. Elle peut d’autant plus se consoler sur ce plan qu’Eric Zemmour paraît mordre également sur l’électorat des Républicains et qu’au fond elle n’est pas la seule à souffrir.

Elle se trouve en fait dans un étau à l’égard d’Eric Zemmour, et c’est là où les choses se compliquent. Elle doit demeurer dans une attitude sans acrimonie mais en même temps elle n’a pas le droit d’attaquer vigoureusement un projet qui, certes plus radical que le sien, a une substance qui est peu ou prou de la même eau, en tout cas sur ces thèmes prioritaires pour eux de l’immigration et de l’insécurité.

Les jeux sont ouverts

On peut tout imaginer à partir de la configuration d’aujourd’hui. L’intuition majoritaire qu’elle ne gagnera pas en 2022, son déclin persistant dans les sondages, la cause d’Eric Zemmour demeurant aux alentours de 10% ou baissant, pourraient faire espérer la présence d’un Républicain au second tour si la droite sort enfin d’un labyrinthe qui l’a constituée comme la plus lente et la plus bureaucratique du monde.

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Le président de la République semble caracoler dans les sondages mais officieusement en campagne depuis plusieurs semaines et distribuant à tout-va, il retarde le plus possible son entrée officielle dans la joute parce que devenu candidat, il perdra ce que le statut présidentiel lui octroie et dont il abuse. Ceux qui prétendent que la campagne présidentielle sera sans intérêt et que les personnalités qui concourront n’auront pas le niveau ont bien tort. La vie politique réserve des surprises. Pourquoi 2022 échapperait-il à cette loi qui fait que les jeux ne sont jamais faits ?

Solde migratoire: l’échange inégal

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Évacuation d’un camp de migrants et de sans-abris, place des Vosges à Paris, 30 juillet 2021. © GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Nous exportons des jeunes diplômés aux idées libérales et nous importons des familles sous-qualifiées aux mœurs rétrogrades. Ce système de vases communicants se traduira par un appauvrissement du pays.


En 2019, 275 000 adultes originaires d’un pays extérieur à l’Union européenne se sont installés en France, parmi lesquels environ 50 000 personnes dont la situation illégale a été régularisée par faveur du gouvernement [1]. Ces chiffres résultent du rapport annuel du ministre de l’Intérieur au Parlement. C’est la seule source dont nous disposons sur le sujet, une source particulièrement difficile à comprendre pour qui n’est pas au fait des arcanes juridiques du Ceseda, le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Les données pour 2020 n’ont pas encore été publiées.

275 000 personnes, c’est une ville de la dimension de Bordeaux ou de Strasbourg. Ce chiffre ne comprend pas les enfants, mais il inclut les étudiants, qui ne devraient pas s’y trouver. Peu importe au demeurant ! Les volumes suffisent à souligner l’ampleur du phénomène, d’autant que ce nombre ne fait qu’augmenter, année après année. En 2015, les nouveaux entrants étaient 217 500. En cinq ans, 1 229 000 personnes se sont installées en France dans le cadre de l’immigration, toutes ou presque destinées à y faire souche. La majorité se concentre dans les mêmes territoires. La moitié vient d’Afrique, le tiers du Maghreb. C’est une constante de notre histoire migratoire depuis un demi-siècle, les étrangers les plus nombreux à vouloir s’installer en France proviennent d’Algérie. Quand on sait les relations que la France entretient avec ce pays depuis son indépendance, le constat ne manque pas d’étonner.

Je rencontre des femmes qui résident en France depuis des décennies sans parler un mot de français

Pourtant, cet apport de plus d’un million d’habitants n’a pas eu d’incidence sur le volume global de la population car, dans le même temps, le même nombre de Français, ou presque, a émigré à l’étranger. Terre d’immigration pendant longtemps, la France est devenue un réservoir de main-d’œuvre pour d’autres pays à l’attractivité plus grande. D’une certaine façon, à travers ce mécanisme de vases communicants, est en train de s’opérer le remplacement d’une population par une autre. C’est sans doute ce phénomène qui inquiète le plus les Français, même si la statistique publique ne permet pas d’en mesurer la portée. En dehors du nombre des Français de l’étranger qui participent aux élections, elle ne sait rien de ceux qui partent. Intuitivement, en regardant autour d’eux, les Français savent que ce sont pour l’essentiel des jeunes gens formés dans les meilleures écoles et que ceux qui arrivent sont le plus souvent dépourvus de tout bagage scolaire. Je n’échappe pas à la règle. J’ai, comme tous mes amis, des enfants installés à l’étranger et des petits-enfants de nationalité étrangère.

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Rapporté de cette façon, le mouvement migratoire serait globalement neutre. Le rapport du ministère insiste d’ailleurs, dans son introduction, sur notre mauvaise appréciation du sujet. Son rédacteur – anonyme – souligne que le nombre des étrangers estimé par l’Insee n’est que de 5 millions de personnes, soit 7,5 % de la population totale du pays, et que la part des personnes nées à l’étranger ne dépasse pas 12,5 %. Comparée aux autres pays de l’Union européenne, la France comprendrait ainsi un taux de personnes étrangères plus faible que ses voisins. Pourquoi, dès lors, les Français seraient-ils inquiets ?

En vérité, il est impossible de comparer les pays de l’Union européenne en se fondant sur la seule distinction qu’offre le droit, c’est-à-dire la nationalité, car dans un pays comme le nôtre, où l’accès à la nationalité est plus rapide que dans la plupart des autres, le pourcentage des étrangers est mécaniquement plus faible. C’est d’autant plus évident que la presque totalité des enfants nés en France deviennent français avant leur majorité, ce qui n’est pas le cas ailleurs.

La cité Félix-Pyat dans les quartiers nord de Marseille (photographie tirée d’un reportage sur le collectif de rap Guirri Mafia, 7 octobre 2017). © Adlan Mansri/SIPA

Le droit français de la naturalisation est, de surcroît, demeuré libéral. Il accepte que le nouveau Français conserve sa nationalité antérieure, respecte deux allégeances, qu’il possède deux passeports et use de l’une ou l’autre de ses nationalités à sa convenance, y compris pour voter. Dans ces conditions, si la possession de la nationalité française constitue une qualification juridique probante, facile à utiliser pour l’arithmétique des grands nombres, elle reste sujette à caution pour qui voudrait mesurer les effets de l’assimilation. C’est une réflexion que j’entends très souvent concernant les cités que je visite : « Ils sont français ! » Certes, mais de quelle manière sont-ils français ? Beaucoup d’adolescents, qui ont acquis la nationalité de manière automatique, n’ont pas une idée très précise de la nation à laquelle ils appartiennent.

En vérité, les flux croisés de population ne peuvent être neutres. Ils soulèvent même de considérables difficultés pour la société d’accueil. Que ce soit en matière d’usage de la langue, de niveau d’éducation ou de pratique religieuse, la confrontation des modes de vie provoque de vraies tensions au sein de la société française. Et elle en provoque d’autant plus que la France ne peut se concevoir comme une juxtaposition de communautés différentes mises au service d’une minorité dirigeante, sur le modèle de la mondialisation anglo-saxonne. L’harmonie est rompue. L’école, ouverte à tous, est à la peine face au nombre grandissant des élèves allophones. Dans les transports en commun franciliens, le français devient une langue minoritaire. Et les Français craignent de devenir la minorité autochtone d’un pays ouvert au multiculturalisme, dont l’islam serait la religion dominante.

En deux mots, ce n’est pas l’immigration qui pose problème, mais notre capacité à intégrer des familles qui ne parlent pas notre langue, ne comprennent pas notre culture et ne partagent pas nos principes. Comme dans la cuisine, la mixité a des vertus quand les dosages sont respectés. Il n’est pas interdit de rajouter de la farine dans la sauce, mais quand la saturation provoque des grumeaux, il est temps d’arrêter. En matière d’immigration, les grumeaux, ce sont les îlots communautaires qui parsèment notre géographie d’enclaves refermées sur elles-mêmes, mais reliées à un autre pays du monde grâce au miracle de la 4G et du transport aérien low cost.

Le plus grave reste à venir, car l’immigration non encadrée – les Français l’ont appris à leurs dépens au cours des quarante dernières années – bénéficie d’un fort capital de croissance. Un étranger qui s’installe en France, quel que soit son parcours, s’ouvre le droit d’épouser à l’étranger un conjoint de nationalité étrangère et de vivre en France en famille. Ce couple, s’il provient d’un pays d’Afrique ou d’Asie, aura probablement des enfants en nombre plus grand qu’un couple d’origine française du même âge. Nous savons que la surfécondité des femmes étrangères est surtout évidente à la première génération, les comportements ayant tendance à se rejoindre à la génération suivante. Entre-temps, il est possible que le premier émigré ait acquis la nationalité française et qu’il soit sorti des statistiques. Si tel est le cas, ce Français ou cette Française pourra épouser à l’étranger une ou un conjoint étranger et leur union sera qualifiée de « mixte », fournissant aux chantres de l’intégration heureuse un argument pour leur office.

Un exemple suffit à l’expliquer. M. est entré en France de manière clandestine en 2000. En 2005, il a obtenu une régularisation de sa situation. Titulaire d’une carte de séjour, il peut retourner dans son pays pour épouser la jeune femme choisie par la famille. En 2019, 90 000 étrangers sont entrés en France au titre d’un motif dit « familial ». Très vite, le couple a trois enfants, élevés par la mère dans la culture du pays d’origine. En 2015, après dix années de séjour régulier (c’est la moyenne), M. devient français par naturalisation. Ses enfants le deviennent aussi. Le bailleur social, dans le respect des normes gouvernementales, a installé la famille dans un quartier où elle a retrouvé d’autres familles de la même ethnie ou de la même région. Si l’école n’existait pas, les enfants ignoreraient le pays où ils vivent. Je rencontre des femmes qui résident en France depuis des décennies sans parler un mot de français. Dans cinq ans, les aînés seront en âge de se marier, selon le même processus, avec un conjoint choisi dans le pays d’origine. M. aura six petits-enfants, ou plus. En deux générations, la décision de franchir la frontière se sera traduite par un ensemble familial de quatorze individus. En 2000, 30 000 clandestins environ ont franchi l’une de nos frontières.

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Les processus enclenchés dès 1976, et qui ont abouti à la situation que nous connaissons aujourd’hui dans les banlieues françaises, sont toujours à l’œuvre : enfermement des nouveaux arrivés dans des quartiers spécifiques, pénurie d’emplois, échec scolaire… En 1976, l’immigration concernait à titre principal les épouses de travailleurs demeurés en France. Aujourd’hui, elle concerne d’abord des conjoints de Français d’origine étrangère. Surtout, c’est la part de ceux qui s’installent en France sans y avoir été conviés ou acceptés qui déséquilibre le mouvement naturel de l’intégration. Ceux-là sont, par construction, dépourvus d’emploi et de formation. Ce sont majoritairement des hommes jeunes, de moins de 25 ans, qui généreront, comme dans notre exemple, une nouvelle migration, régulière cette fois. Surtout, ces nouveaux migrants proviennent de pays de plus en plus étrangers à notre langue et à nos modes de vie.

Au moment où j’écris ces lignes, c’est la question des réfugiés afghans qui interpelle les médias. Il va de soi qu’on ne saurait abandonner à leur sort les Afghans qui se sont engagés pour la France, comme nous avons abandonné jadis les Harkis à leur infortune. Ils sont 7 000, nous dit-on ! On peut s’étonner du nombre. Avons-nous bénéficié du concours de 7 000 supplétifs ? En tout état de cause, ces réfugiés rejoindront bientôt les 50 000 Afghans déjà installés en France. Tous ou presque sont de jeunes adultes – des hommes exclusivement – ayant quitté leur pays pour rejoindre l’Angleterre et qui se sont trouvés pris au piège dans la nasse de Calais. Ils parlent anglais et ont fini, faute de mieux, par demander l’asile en France. Ils y représentent désormais le premier contingent de demandeurs d’asile. La moitié d’entre eux a été déboutée. On comprend mal que de jeunes résistants afghans se soient trouvés en France alors que leur pays allait être plongé dans le chaos. Ils sont restés faute de pouvoir être reconduits. J’ignore où la population afghane va s’installer. Les Russes tchétchènes, qui ont suivi avant eux le même parcours, sont majoritairement installés en Alsace où ils ont leurs mosquées et leurs institutions. Ces Afghans, qui pratiquent un islam sunnite rigoriste, feront eux aussi venir leurs épouses, peu enclines à abandonner la burqa, et auront des enfants, en nombre sans doute plus grand que le Monsieur M. de notre exemple.

Évidemment, tous les nouveaux venus ne seront pas insensibles à la culture française. Certains maîtriseront la langue, liront sa littérature, acquerront une situation professionnelle stable et envisageront de se marier en dehors de leur communauté. Certains porteront haut les couleurs de la France et leurs enfants appartiendront peut-être à l’élite de ce pays. Mais pour un médecin, combien de livreurs de pizza ? Et pour une avocate, combien de mères au foyer, gardiennes de la tradition ?

En tout état de cause, la politique de l’immigration n’est pas sans faire penser à la politique budgétaire. Les intérêts se payent sur le long terme, quand ceux qui ont pris les décisions ne sont plus là pour en rendre compte. À tout le moins, un ensemble de tableaux chiffrés, difficiles à croiser, ne peut faire une opinion. Le rapport au Parlement issu de l’article L. 111-10 du Ceseda ne suffit pas à embrasser l’étendue de la question. La crainte de générer des discriminations a restreint le champ de la recherche. On ne débat, sur ces questions, que de l’écume d’une vague qui a pourtant l’ampleur d’une lame de fond. L’inquiétude des Français repose sur des constats du quotidien, que formulent les enseignants dans leurs classes, les bailleurs sociaux, les élus locaux, les salariés confrontés à la concurrence de nouveaux venus ou les usagers du RER immergés dans le brouhaha des langues, mais les chiffres qu’on leur fournit ne répondent pas à leurs questions. Dans ces conditions, on ne saisit pas la façon dont seront organisés les référendums que proposent certains candidats à la présidence de la République. Dès lors que les considérants sont aussi mal connus, comment formuler la question ?

Personne, évidemment, ne s’oppose à l’arrivée de nouvelles familles ; beaucoup sont même ravis de trouver à bon compte une main-d’œuvre peu regardante quant à ses conditions de travail. C’est l’effet de masse qui inquiète, dès lors qu’elle se traduit par l’agrégation dans les mêmes territoires de populations de même origine. En tout état de cause, il faudrait pour les loger 200 000 appartements de plus quand nous en avons construit, l’an dernier, 76 000. Et la crise budgétaire qui s’annonce n’aidera pas à trouver des solutions. Quant à la politique implicite qui consiste à favoriser le départ des diplômés pour accueillir à leur place des personnes en difficulté d’intégration, elle ne manquera pas de provoquer à court terme un durable appauvrissement du pays.

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[1] L’Observatoire de l’Immigration et de la Démographie parle pour sa part de 469.000 titres de séjour octroyés en 2019. La discordance entre les deux chiffres tient aux mineurs isolés et aux demandeurs d’asile qui ne reçoivent pas un titre de séjour stricto sensu mais sont autorisés à rester en France durant l’examen de leur dossier. Cependant, qu’ils obtiennent ou pas le statut de réfugié, la plupart resteront en France et finiront donc par gonfler les statistiques de l’immigration légale (lors de régularisations).

[Vidéo] Suicide de Roland Jaccard, Une “immonde” de « Causeur », Mathieu Bock-Côté: la semaine de Causeur

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La semaine de Causeur revient sur les articles les plus consultés sur le site Causeur.fr durant la semaine écoulée. Notre Directeur adjoint de la rédaction Jeremy Stubbs commente et analyse.


La semaine de Causeur a commencé de la manière la plus triste qui soit avec la disparition de Roland Jaccard, du grand Roland Jaccard, à qui Jérôme Leroy a rendu un hommage aussi vibrant qu’émouvant. 

Ce qu’il y a de consolant dans la mort d’un écrivain, c’est qu’il nous reste ses écrits. Nous pourrons relire les « Billets du vaurien » qu’il donnait chaque semaine à Causeur, ainsi que ses nombreux livres, sur la psychanalyse ou sur Cioran, ses récits ou ses journaux intimes, dont le monumental Le Monde d’avant. Comme le dit Jérôme Leroy, « Je suis content d’avoir ses livres dans ma bibliothèque. »

D’aucuns ont été choqués par la une de Causeur « Souriez, vous êtes grand-remplacés. » 

Jean-Paul Brighelli nous explique que ces bien-pensants ont oublié que les chiffres donnés proviennent d’un organisme, France Stratégie, qui n’a rien de réactionnaire. Le différentiel de reproduction entre femmes françaises et femmes immigrées s’agrandit. Et l’assimilation se délite. À côté de cela, l’école républicaine est en panne. Comme l’a dit Elisabeth Lévy, le problème n’est pas le caractère multi-ethnique de la société mais son caractère multiculturel

Le plus drôle, c’est qu’un grand nombre des enfants issus de l’immigration n’a rien en commun avec les bobos parisiens de la Fondation Jean Jaurès ou de l’électorat d’Anne Hidalgo.

Mathieu Bock-Côté nous explique que la nationalité française n’est plus qu’un « droit », sans rapport aucun avec une quelconque identité historique. 

Les thuriféraires de la modernité invoquent à tout bout de champ le principe de la diversité des peuples, mais en réalité ils promeuvent l’interchangeabilité des populations. C’est ainsi que les traditions culturelles d’une nation sont traitées comme un stock de coutumes privées sans aucune dimension politiquement fondatrice. Résultat des courses : le lien entre la citoyenneté et l’identité est sectionné. Au rythme actuel des changements, on pourra dire un jour : ci-gît la nation française.  

Qui allons-nous écouter ? Ceux qui tirent la sonnette d’alarme ? Ou les fossoyeurs ?

La route de Kaboul passe par Islamabad

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Le Premier ministre pakistanais Imran Khan rencontre une délégation de talibans, Islamabad, 18 décembre 2020. © Pakistan’s Ministry of Foreign Affairs

On n’empêchera pas l’Afghanistan de redevenir une base arrière du terrorisme international et un exportateur de migrants sans la coopération du Pakistan. Mais celle-ci est peu probable car, depuis 2001, Islamabad ne partage plus les mêmes intérêts que Washington dans la région. Des divergences que l’arrivée des talibans ne fera qu’accentuer.


« Lorsqu’on écrira l’histoire, il sera dit que l’ISI [le plus important service de renseignement pakistanais, ndlr] a vaincu l’Union soviétique en Afghanistan avec l’aide de l’Amérique. Puis que l’ISI, avec l’aide de l’Amérique, a vaincu l’Amérique. » Cette phrase a été prononcée en 2014 par le général Hamid Gul, ancien chef de l’ISI de 1987 à 1989. Elle signifie que l’ISI a utilisé l’aide fournie par les États-Unis dans le cadre de leur guerre contre le terrorisme, déclenchée après le 11 septembre 2001, pour soutenir et financer les talibans. Il est vrai que le général Gul, décédé en 2015, était au moment de l’entretien un personnage public un peu « has been ». Mais il résumait ainsi la principale raison – parmi une liste assez longue – de l’échec américain en Afghanistan : le double jeu pakistanais. Contrairement à ce qui est souvent tenu pour une règle, on peut battre une insurrection populaire et une guérilla sauf si les insurgés bénéficient de l’aide de votre principal allié dans la région et d’une base arrière chez lui. Alors ils sont effectivement imbattables. Le problème afghan (et taliban) est d’abord une question pakistanaise.

Depuis un demi-siècle, le Pakistan considère le contrôle de l’Afghanistan comme un intérêt vital

Le Pakistan est né en 1947 sans que ses pères fondateurs aient une idée claire de l’identité de la nation qui allait « habiter » la nouvelle entité géopolitique. Langue commune ? Appartenance ou origine ethniques ? Religion ? Haine des Indiens ? Ce sont finalement les deux dernières qui sont devenues les vecteurs de cristallisation nationale.

L’islam est sans-frontiériste, c’est sa force et sa faiblesse

Le résultat est que le Pakistan peut être grossièrement réduit à une institution – l’armée qui incarne l’hostilité à l’Inde – et à une idéologie – l’islamisme. Et c’est un général, Mohammed Zia ul Hak qui, à partir de son arrivée au pouvoir par un coup d’État en 1977, a mis fermement en place cette alliance du sabre et du croissant qui domine toujours le destin du pays. Il n’est donc pas étonnant qu’en sept décennies, cet État ne soit pas arrivé à enfanter une véritable nation. L’islamisme comme le nationalisme se sont avérés des dénominateurs identitaires communs faibles. L’armée pakistanaise a été battue par celle de l’Inde. Et l’exemple bangladeshi montre bien que l’islam ne suffit pas non plus à faire nation : le Pakistan de l’Est, province musulmane de l’Inde britannique, a pris son indépendance en tant que Bangladesh en 1971. L’islam – c’est sa force et sa faiblesse – est trop sans-frontiériste pour servir à lui seul d’identité nationale. De plus, il laisse trop de pouvoir aux religieux et aux illuminés charismatiques (des « mahdis » ou des « mullahs fous ») pour fonder un régime stable. L’obsession de sa compétition avec l’Inde explique largement les deux choix géostratégiques d’Islamabad. Le premier est la bombe nucléaire, dont le Pakistan s’est doté à la fin du xxe siècle (il détient aujourd’hui un arsenal de 165 ogives). Le deuxième est l’installation d’un gouvernement ami à Kaboul. Convaincu que l’Inde cherche à le diviser en instrumentalisant ses failles ethniques, le Pakistan a voulu que l’Afghanistan lui serve de « profondeur stratégique » et de tremplin pour des insurrections contre l’agresseur indien.

L’Afghanistan avait certes reconnu le Pakistan et établi des relations diplomatiques avec lui très tôt, mais il n’a admis la ligne Durand (tracée par les Britanniques) comme frontière entre les deux pays qu’en 1976 ! Pis encore, l’Afghanistan entretenait des relations amicales avec l’Inde, ce qui n’a pas arrangé son cas auprès des généraux pakistanais. Résultat : avant même l’occupation soviétique de l’Afghanistan en 1979, le Pakistan a autorisé les islamistes afghans à s’organiser sur son territoire. On peut donc affirmer que, dès le milieu des années 1970, avant la révolution iranienne et la radicalisation saoudienne qui s’en est ensuivie, Islamabad expérimentait l’islamisme djihadiste comme arme géopolitique.

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En même temps, dans le contexte de la guerre froide, tandis que l’Inde prenait la direction des pays « non alignés », le Pakistan se rangeait dans le camp occidental, à la tête duquel les Américains se substituaient progressivement aux Britanniques. À partir de 1979, la résistance à l’occupation soviétique crée donc une convergence entre l’alliance américaine et le djihadisme, permettant à l’ISI d’avancer ses propres objectifs à l’ouest de la ligne Durand grâce à l’argent et à l’armement américains.

Une drôle d’alliance

Cependant, les deux alliés étaient loin d’avoir les mêmes intérêts en Afghanistan. Si les États-Unis ont, via le Pakistan, armé et financé les moudjahidines, c’était dans l’unique but de saigner l’URSS. L’avenir de l’Afghanistan après le départ des Soviétiques leur importait peu. En revanche, les Pakistanais ont vu dans le djihad antisoviétique une occasion de faire de l’Afghanistan un État-satellite. Ils ont donc favorisé les moudjahidines les plus fondamentalistes dans l’espoir qu’un futur gouvernement sous leur contrôle rejetterait l’influence de l’Inde, alliée des plus modérés qui allaient plus tard constituer l’alliance du Nord de Massoud.

Ces contradictions ont fini par envenimer les relations américano-pakistanaises. Même après le 11-Septembre, quand le Pakistan est devenu le centre logistique des forces américaines en Afghanistan, les militaires, inquiets de l’influence de l’Inde à Kaboul, ont soutenu les talibans. Il faut dire que pendant les premières années de l’opération américaine, ils ont pu compter sur l’erreur stratégique de Washington qui a ignoré les talibans pour se concentrer exclusivement sur la chasse d’Al-Qaïda. Puis la guerre en Irak a détourné l’attention et les moyens américains. Vers 2005-2006, la situation sur le terrain afghan a commencé à se dégrader.

En 2009, avec l’arrivée d’Obama à la Maison-Blanche, le Pentagone abat sa dernière carte : « The Surge », le déploiement en masse de troupes sur le sol afghan, accompagné de la mobilisation de moyens considérables. Dès 2011, il était clair que cela ne marchait pas. Au même moment, Ben Laden a été tué dans sa tanière à Abbottābād, au Pakistan, où il se cachait depuis des années avec la complicité de l’ISI… L’échec est alors patent et certains pays de l’OTAN commencent à retirer leurs forces. Mais il faudra encore quelques années pour que Trump décide et que Biden exécute le désengagement militaire.

Une solution durable, qui empêcherait l’Afghanistan de redevenir une base arrière pour le djihad mondial et un exportateur de migrants, drogues, armes et terrorisme, semble aujourd’hui impossible à atteindre sans la coopération du Pakistan. Or, celle-ci est peu probable compte tenu de l’instabilité inhérente à l’édifice politique pakistanais. Pour rappel, les talibans ont été « adoptés » par l’ISI en 1994. Le gouvernement d’Islamabad était alors dirigé par une certaine Benazir Bhutto…

1763, déjà les antivax…

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Gravure du Roi Louis XV (1710 - 1774) © MARY EVANS/SIPA Numéro de reportage : 51009183_000001

Quand le vaccin contre la variole divisait l’Académie des sciences sous Louis XV.


1763. L’épidémie se répandant à nouveau dans Paris, où elle a occasionné vingt-mille décès, une méthode, recommandée par le Dr Tronchin, qui a depuis bien longtemps prouvé son efficacité, consiste à inoculer aux bien-portants le germe de la maladie. Lady Montagu, épouse de l’ambassadeur de Grande Bretagne auprès de l’Empire Ottoman, où la pratique est devenue courante depuis fort longtemps, a fait inoculer son fils de six ans. 

La pratique s’est répandue en Europe, à l’exception de la France dont la population semble réticente. L’inoculation des Princes d’Orléans au Palais Royal en 1756 avait déjà fait grand bruit. Le voisinage de médecins pratiquant l’opération s’en était plaint. La police avait reçu de nombreuses dénonciations, les rumeurs les plus folles alimentant la crainte. 

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Au mois de juin, le comte du Lauraguais, membre de l’Académie des sciences, a prononcé un fervent discours en faveur de l’inoculation qui continue cependant de fédérer de nombreux adversaires. Des personnalités telles que Voltaire et d’Alembert ont beau répéter que cette pratique diminue sensiblement les risques, elle est toujours jugée dangereuse. La faculté de médecine a délibéré sur l’opportunité de l’inoculation. Sur douze commissaires, six se sont déclarés favorables, six contre. 

Opposition de l’Église

Mais l’opposition la plus formelle vient des autorités ecclésiastiques. Outre la menace de mort qu’elle fait peser sur les bien-portants, ses adversaires se demandent si l’inoculation ne risquerait pas d’introduire, en même temps que le germe de la maladie, celui du vice chez les vertueux, celui de l’incrédulité chez les croyants et celui des roturiers dans celui des nobles.   

Piqué au vif, le comte du Lauraguais s’en est pris ouvertement à la faculté de théologie, arguant que celle-ci n’était fondée à donner son avis que sur des « choses sans conséquences » telles que la pénitence ou la consécration. Le scandale lui a valu une lettre de cachet de Sa Majesté. Il purge depuis sa peine dans la citadelle de Metz.

Par un arrêt du 8 juin 1763, le Parlement de Paris a « fait défense de pratiquer l’inoculation dans les villes et faubourgs du ressort de la cour » et interdit l’accès des villes aux inoculés avant la sixième semaine. Il faut se rendre dans un endroit où l’opération est tolérée sous peine d’amendes. L’inoculateur peut recevoir le patient en ville, lui rendre visite dans sa maison, mettre sur pied une préparation préalable à l’opération avec des bains ou régimes, mais la variolisation elle-même doit avoir lieu loin du centre.

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Le Roi contaminé

La question trouva son plus funeste épisode au printemps 1770, quand sa Majesté se réveilla un matin incommodée, et fut soudain prise de violents maux de tête et d’une forte fièvre. Elle se rendit tout de même à la chasse, mais se coucha sans souper. Le diagnostic posé, on écarta la famille royale pour éviter tout risque de contagion et Sa Majesté fut transportée à Versailles selon la volonté de son premier chirurgien prétextant que : « c’est à Versailles qu’il faut être malade. » Le 8 mai, la maladie redoubla. Le Roi délirait et la suppuration diminua. Dans l’après-midi, Louis XV, le visage noirci et déformé par les croûtes, s’éteignit.

Voltaire écrivit aussitôt un éloge du souverain défunt se terminant ainsi : «Que l’inoculation nous assure la conservation de notre nouveau Roi, de nos princes et de nos princesses!» La famille royale persuadée enfin par l’évidence des faits les plus authentiques et les plus multipliés, qu’il n’existait qu’un moyen de se mettre désormais en sûreté contre les malheurs qui la menaçaient encore de toute part, prit tout à coup, seule et sans impulsion étrangère, le parti courageux de recourir à l’inoculation.

Destiné à être diffusé à Paris et dans les principales villes du Royaume, Le Bulletin du Roi, en date du 24 juin 1774, informa l’opinion publique d’une grande nouvelle : « Le jeune Roi Louis XVI, vers qui se portent alors tant d’espérances, a accepté de se faire inoculer la variole, ainsi que ses deux frères cadets, le comte de Provence et le comte d’Artois. Et tous se portent bien ».

Mélanie Laurent s’intéresse à la folie au XIXe siècle

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Affiche du film (détail) Amazon Prime Video.

L’actrice/réalisatrice/auteure/chanteuse réalise un sixième film réussi adapté d’un roman de Victoria Mas. Il suit une jeune femme persuadée de communiquer avec les morts…


Amazon Prime, la plateforme de vidéos à la demande la moins intéressante, nous a réservé cependant une merveilleuse surprise. Le bal des folles, qui est le sixième film de la réalisatrice et actrice Mélanie Laurent. Elle a pris un risque, en adaptant le roman éponyme de Victoria Mas, paru en 2019, qui traite des femmes considérées folles, enfermées à la Salpêtrière, pour servir de cobayes à Charcot, « l’inventeur » de la notion plus ou moins vague d’hystérie.

Le mystère Eugénie Cléry

La réalisatrice aurait pu prendre un parti voyeuriste, le sujet s’y prête. Mais elle parvient à traiter de la folie de manière subtile, presque tranquille. Son approche de ces femmes, qui souffrent de pathologies quelquefois inconnues pour l’époque – l’hystérie est un fourre-tout bien pratique, qui souvent servait de prétexte pour faire taire des femmes trop dérangeantes – est si sensible, si empathique au vrai sens du terme (être avec), qu’elle semble justement faire corps avec elles.

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Dérangeante, Eugénie Cléry l’est assurément. C’est une jeune fille issue de cette bourgeoisie si étouffante de la fin du XIXe siècle. Cette jeune fille intense veut échapper à son monde, aller dans les cafés de Montmartre pour « lire et fumer ». Elle a suivi avec passion les funérailles nationales de Victor Hugo… Ce film a quelques relents hugoliens, qui comme chacun sait faisait tourner les tables : Eugénie dit communiquer avec les morts. C’est pour cette raison que sa famille la fit enfermer. Elle subit les traitements du docteur Charcot, qui s’apparentaient à de la torture : barres de fer dans le vagin ou l’utérus (on connaît l’origine du mot hystérie, hysteros soit utérus en grec), bains froids, baillons d’éther… L’infirmière sadique, l’isolement dans des cachots sordides où l’on jette de la nourriture comme on ne le feraient même pas pour des chiens. Tout cela est filmé de manière certes réaliste, au plus près de ces corps malmenés, mais aussi avec une paradoxale douceur, comme si la réalisatrice, plus d’un siècle plus tard, avait voulu rendre hommage à ces femmes, en leur offrant une sorte de consolation. La photographie du film est de toute beauté. Picturale, quelquefois monochrome : le bleu profond des salons bourgeois, quelquefois rappelant les peintres Flamand, l’obscurité grise et marronnasse éclairée à la bougie, où s’immiscent des rais de lumière.

Occultisme et excès de réel

Mais pourquoi ce titre, Le bal des folles ? Tous les ans à la mi-Carême, la Salpêtrière organisait un bal où les bourgeois venaient s’encanailler avec les folles, déguisées en costumes de Pierrot ou de gitanes. Ils s’y encanaillaient comme on va au zoo, en espérant assister à une scène d’hystérie. Pendant le carnaval, qui était une inversion des valeurs, une catharsis, on a toujours côtoyé la folie. Certainement pour ne pas devenir fou soi même. Mais la frontière entre un fou et un sain d’esprit est ténue. Tarte à la crème que cela, mais qui a vécu ne saurait me contredire. Les femmes en pâture, espéraient quant à elles, un regard, un mot, quelque tendresse, l’espace d’un instant. 

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Au XIXe siècle, siècle qui nous propulsa dans la modernité, qui a inventé le capitalisme moderne, les classes sociales, la bourgeoisie triomphante ou le positivisme, est aussi le siècle d’un retour esthétique au Moyen-Age et à l’occultisme. Comme pour se protéger d’un excès de réel. Hugo en fit un roman de plusieurs centaines de pages et les poètes symbolistes étaient friands de magie et d’ésotérisme. Ésotérisme que l’on assimile, avec raison, à l’idéologie d’extrême droite. Cependant, dans son indispensable ouvrage de 600 pages, Le XIXème siècle à travers les âges, Philippe Muray nous parle d’occulto-socialisme, avec en exergue cette citation de Flaubert : « La Magie croit en la transformation immédiate des formules, exactement comme le socialisme ». Cela est lumineux ! Le pouvoir des mots ne change rien, encore faut-il y croire. Mitterrand ne voulait-il pas changer la vie ? Abracadabra. 

Mais nous nous égarons. Revenons à nos « folles » : Eugénie finit par s’échapper de la Salpêtrière, d’une drôle de manière, et grâce à ses dons paranormaux. Dans les derniers plans du film, nous la voyons au bord de la mer, façon Antoine Doisnel dans Les 400 coups. Les voyants ont toujours raison.

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Le Z et l’hologramme

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De gauche à droite: Jean-Luc Mélenchon, Maxime Switek, Aurélie Casse et Eric Zemmour, le 23 septembre 2021 © Bertrand Guay/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22608460_000001

Le débat télévisé opposant Eric Zemmour à Jean-Luc Mélenchon a permis aux téléspectateurs de prendre connaissance de deux projets pour la France antinomiques. Malgré un fact-checking journalistique douteux, l’auteur de La France n’a pas dit son dernier mot a enchaîné les démonstrations convaincantes. S’il se présente à l’élection présidentielle, il sera un candidat redoutable.


Difficile de résumer fidèlement en quelques lignes deux heures d’affrontement verbal. Plutôt qu’une liste à la Prévert de sujets abordés et de citations plus ou moins percutantes, voici donc une vision d’ensemble de ce qui est, d’une manière ou d’une autre, le premier véritable débat de la campagne présidentielle.

Une opposition claire, frontale, assumée

Les deux hommes ont en commun d’avoir identifié un problème à leurs yeux majeur, une menace existentielle pesant sur la France, et d’organiser tout leur projet politique autour d’un impératif absolu : faire face à cette menace. La submersion migratoire et islamique pour Eric Zemmour, la submersion par la montée des eaux pour Jean-Luc Mélenchon.

Ils ont aussi en commun d’avoir chacun « une certaine idée de la France » qui ne se réduit pas à une approche gestionnaire et comptable, quoi que ces idées soient radicalement différentes. La France éternelle pour Zemmour, la République née en 1789 pour Mélenchon. En découlent l’éloge de l’assimilation par Zemmour, et celui de la créolisation par Mélenchon.

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Tous deux assument leurs positions passées, mais là encore de manière diamétralement opposée : Eric Zemmour se flatte de sa cohérence, Jean-Luc Mélenchon se vante de savoir changer d’avis. Ils ont enfin en commun d’avoir été confrontés à un « fact-checking » d’une nullité crasse, BFM TV ayant accumulé des erreurs si grossières qu’il est difficile de ne pas y voir des mensonges éhontés et orientés.

Hervé Le Bras, un très curieux fact-checkeur!

Commençons par BFM. Un parti-pris manifeste, contre Zemmour plutôt que pour Mélenchon, affiché sans aucune pudeur dans les discussions navrantes qui précédèrent le débat – il faut bien mettre le téléspectateur en condition.

Sur l’immigration, le « fact-checking » reprend tels quels les éléments de langage d’Hervé Le Bras, dont Michèle Tribalat et l’Observatoire de l’Immigration et de la Démographie ont pourtant méthodiquement démontré et démonté la fourberie.

Quand Jean-Luc Mélenchon évoque – et il a raison – les personnes qui renoncent à s’éclairer ou se chauffer l’hiver en raison du coût de l’électricité, on lui rétorque : « trêve hivernale », pas de coupures d’électricité en hiver. Il fallait être profondément malhonnête ou totalement stupide pour ne pas comprendre que Mélenchon parlait de gens qui renoncent d’eux-mêmes à s’éclairer ou se chauffer correctement pour ne pas se retrouver en incapacité de payer, et non de personnes à qui on couperait l’électricité. Eh oui, il y a aujourd’hui en France, et notamment dans les zones rurales, des personnes qui en hiver ne chauffent qu’une seule pièce de leur maison – ce qui provoque parfois des ruptures de canalisations en cas de gel – et réduisent leur consommation d’énergie à moins que ce que la plupart appelleraient « le strict minimum ».

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Bataille de chiffres

Quand Eric Zemmour cite les chiffres de Charles Prats sur la fraude sociale – 50 milliards d’euros par an – BFM prétend s’appuyer sur un rapport de la Cour des comptes pour affirmer qu’il ne s’agirait en réalité que d’1 milliard d’euros, insistant soigneusement pour dire que ça fait « 50 fois moins ». Fact-checkons les soi-disant fact-checkers : ce milliard correspond uniquement à la fraude clairement identifiée, et la Cour des comptes elle-même estime que la fraude non détectée se chiffre entre 14 et 45 milliards d’euros.

Manque d’objectivité flagrant et accumulation de contre-vérités : une chose au moins est certaine, BFMTV n’était pas totalement à la hauteur des enjeux d’un tel face-à-face.

Marche contre « l’islamophobie ». De gauche à droite, Jean-Luc Mélenchon, Farida Amrani et Danièle Simonnet de la France Insoumise © NICOLAS CLEUET / HANS LUCAS / AFP

Du débat lui-même, l’essentiel se réduit à ceci : Jean-Luc Mélenchon, au mépris de l’évidence et des faits, nie toutes les problématiques dont la prise en compte l’obligerait à remettre en cause ses présupposés idéologiques – et sans doute clientélistes, la manif de la honte du 10 novembre n’est pas loin…. À l’inverse, Eric Zemmour assume ses priorités, mais hiérarchise les autres problématiques sans jamais les nier ni les perdre de vue : avoir une vision d’ensemble ne l’empêche pas de trancher et de décider. Aveuglement d’un côté, courage de l’autre.

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Déni mélenchonien : il n’y aurait pas de sexisme dans les banlieues, les causes de la délinquance seraient uniquement sociales et non culturelles (il gagnerait à lire Maurice Berger au lieu d’insulter les vrais pauvres), ou encore « en France, la religion républicaine est respectée par tout le monde. » Manifestement pas par les auteurs des plus de 40 000 menaces de viol et de mort reçues par Mila, ni par les juges puisqu’un tribunal vient de considérer qu’appeler publiquement à la haine des Juifs est parfaitement légal si c’est fait au moyen de citations d’un texte religieux (présentées sans la moindre distance critique). Dommage (mais pas surprenant) que les « fact-checkers » ne l’aient pas relevé…

Les idées de Zemmour en progression

En outre, Eric Zemmour est cohérent, alors que Jean-Luc Mélenchon s’emmêle dans ses contradictions. Trois cas pour l’illustrer : Mélenchon affirme vouloir lutter contre le rejet de CO2 dans l’atmosphère et pourtant veut « sortir du nucléaire » (alors que la situation catastrophique de l’Allemagne en termes de rejets de carbone suffit à démontrer l’absurdité d’une telle posture, ce que Zemmour a parfaitement compris). Il prétend que la France doit s’appuyer sur une autorité « morale, scientifique, culturelle » tout en appelant à la disparition de sa culture par la fameuse créolisation, qu’il illustre par l’exemple gallo-romain, dont la Guerre des Gaules nous apprend pourtant qu’il ne fut pas à proprement parler pacifique : répéter Alésia est-il le projet de Mélenchon pour le peuple français ? Et enfin : quelques secondes avant de faire l’éloge des mutazilites (en « oubliant » qu’ils ont tous été massacrés par les hanbalites il y a plus de mille ans) Jean-Luc Mélenchon déclare « ne dites pas qu’il y aurait des religions bienveillantes ! » Voici la non-violence du jaïnisme ramenée au niveau des sacrifices humains aztèques, on appréciera la pertinence de l’analyse.

Zemmour n’est toujours pas officiellement candidat. Pourtant, que l’on partage ou non ses convictions il faut bien admettre que ce sont ses thématiques qui se sont imposées dans le débat, comme elles s’imposent de plus en plus largement dans le débat public. Et ça, c’est déjà une première victoire pour lui.


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Oregon: l’Etat Castor est-il au bord de la sécession?

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© AP Photo/Paula Bronstein/AFP

Aux Etats-unis, le projet étonnant d’une nouvelle « République du Pacifique »…


« L’état Castor » est-il au bord de la sécession ?

Une récente enquête publiée par l’institut de sondage YouGov a montré que de nombreux habitants de l’Oregon ne seraient pas opposés à une séparation totale d’avec le reste des États-Unis afin de former, avec d’autres États, une nation indépendante. Cette « République du Pacifique » intégrerait les États de Washington, de Californie, d’Hawaï et de l’Alaska. Sur un panel de 2 750 Américains interrogés, 39 % soutiendraient cette néo-sécession. Cette tendance se répand sur tout le continent depuis l’accession à la Maison-Blanche du démocrate Joe Biden. Ce projet apparemment anachronique rassemble au-delà des clivages politiques. Parmi les sondés favorables à cette partition, on trouve en effet 47 % d’Américains se réclamant du Parti démocrate et 27 % du Parti républicain. Pourtant, d’après la presse locale, cette idée émane essentiellement de « Stop the Steal » (« Arrêtez le vol » [de l’élection]), un mouvement pro-Donald Trump qui a fait le buzz sur Facebook en novembre 2020. Déjouant tous les paramètres de sécurité du célèbre réseau social, il a recueilli presque 400 000 abonnés en 24 heures avant d’être définitivement fermé par Mark Zuckerberg. On peut aussi citer l’influence du roman d’Ernest Callenbach, Écotopia (1975), très prisé des milieux écolos.

Inquiet de cette montée du séparatisme, le think tank Bright Line Watch, qui étudie les menaces pesant sur les institutions démocratiques, estime que cette « fièvre » sécessionniste est « très alarmante » bien que « fondée sur l’émotion du moment ».