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Contesté aux États-Unis après une série de scandales, le Lincoln Project s’attaque aussi à Zemmour

Le stratège américain Steve Schmidt, cofondateur du « Lincoln Project », lobby anti-Trump aux méthodes contestables, est venu en France pour lancer un avertissement contre Eric Zemmour. En réalité, son comité regroupe aussi ceux qui ont peur de voir la France se retirer du commandement militaire intégré de l’OTAN.


Le « Never Trumper » Steve Schmidt est l’un des sept fondateurs républicains du « Lincoln Project », ce Super Comité d’action politique (PAC) créé en 2019 dans le but d’empêcher la réélection de Donald Trump. De passage en France fin novembre en France, cet ancien collaborateur du président George W. Bush, de John McCain et Arnold Schwarzenegger a exprimé dans L’Obs et Les Échos, avec l’essayiste franco-américain Félix Marquardt, sa crainte de voir Éric Zemmour accéder à l’Élysée.

Le Lincoln Project a récemment été critiqué lors de la campagne pour l’élection gouvernorale du 2 novembre en Virginie après avoir monté une fausse manifestation raciste en faveur du candidat soutenu par Trump. Schmidt avait été accusé en mars dernier par le New York Times de mener une campagne contre l’autoritarisme pour des motifs financiers.

Un comité et des traquenards…

Comme les Démocrates et la plupart des médias, le « Lincoln Project » a accusé Donald Trump de collusion avec la Russie. L’enquête fédérale a récemment démontré que l’affaire du Russiagate reposait sur un dossier monté par l’entourage de la rivale du républicain, Hillary Clinton, conclusions dont seul L’Express a parlé en France parmi les médias de référence. Ce désaveu n’empêche pas le PAC de continuer sa propagande et des journaux français de lui donner la parole.

Alors que l’ancien président américain appuyait le républicain Glenn Youngkin, candidat au poste de gouverneur de Virginie, le « Lincoln Project » avait diffusé des publicités tentant d’associer Youngkin aux manifestations de Charlottesville d’août 2017 contre le retrait de la statue du général Lee auxquelles s’étaient joints de suprématistes blancs. Ces derniers avaient utilisé des torches tiki pour éclairer la ville. Le « Lincoln Project » avait envoyé des manifestants munis de telles torches se tenir devant le bus de campagne de Youngkin et déclarer être d’accord avec son projet. L’entourage politique du gouverneur démocrate sortant Terry McAuliffe, avait aussitôt saisi l’occasion pour dénoncer les idées de Youngkin, mais quelques heures plus tard le « Lincoln Project » a avoué être à l’initiative de l’évènement. Un aveu qui lui a valu les foudres non seulement des Républicains, mais aussi de médias démocrates qui estiment que cela fait le jeu de la défiance envers les opposants à Trump. Depuis sa naissance, le « Lincoln Project » tente d’associer le trumpisme au suprématisme blanc, alors même que le vice-président de la Nation navajo, Myron Lizer, avait déclaré en août 2020 que son peuple n’avait « jamais été invité dans le rêve américain […] jusqu’à ce que le président Trump prenne ses fonctions. » Les accusations du PAC sont également contredites par les propos du célèbre avocat noir et défenseur des droits civiques Leo Terrell, Démocrate devenu Républicain sous Donald Trump, pour qui ce dernier a davantage fait en trois ans pour les Noirs qu’Obama en huit ans.

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Peu importent les faits, Steve Schmidt et son comité tentent d’imposer leur récit présentant l’ancien président et ses soutiens au sein du Parti républicain comme étant racistes. Pour ce faire, ils ont choisi le nom du président Abraham Lincoln, le républicain qui abolit l’esclavage. Aujourd’hui, Schmidt est affilié au Parti démocrate, qui soutint l’esclavage et, dans le sud, la ségrégation raciale… Désormais, il s’attaque également au candidat Zemmour.

Trump, Zemmour, même menace pour la démocratie selon le «Lincoln Project»

Au cours de l’entretien accordé à L’Obs, Steve Schmidt et Félix Marquardt mettent en garde, le premier disant ouvertement être « là pour lancer un avertissement ». Divers pays, dont la France, seraient menacés soit par le populisme, soit par l’autoritarisme, soit par le proto-fascisme. Éric Zemmour est mis dans le même sac que Jair Bolsonaro, Boris Johnson, Viktor Orban, ou encore le Philippin Rodrigo Duterte – qui fait assassiner des trafiquants et consommateurs de drogue. Selon les deux hommes, la disparition des derniers survivants de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah conduit à oublier comment est né et a triomphé le fascisme qui menacerait à nouveau le monde.

Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006

Schmidt ajoute que Zemmour et le Rassemblement national absorbent la droite, et il opère une comparaison avec le Parti républicain qui n’a pas réussi à contrer le glissement vers le trumpisme. Avant d’affirmer que le président avait encouragé et fomenté l’assaut du Capitole, ce sans ignorer que le rapport d’enquête du FBI remis en août n’a pas trouvé de preuve étayant cette accusation.

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Dans son parallèle entre Trump et Zemmour, Schmidt va jusqu’à assurer que l’ancien dirigeant américain accuse les minorités, particulièrement les Noirs, « d’avoir falsifié les résultats de l’élection sans les nommer expressément ». Le soupçon suffit quand bien même il ne repose sur rien hormis un supposé indice : les Républicains veulent que les électeurs présentent des documents d’identité pour voter, ce que refusent les Démocrates – qui assurent pourtant craindre que les élections ne soient truquées -, car certains Américains n’en disposent pas, notamment des Afro-Américains âgés.

Les motivations du «Lincoln Project»: néo-conservatisme et monétisation de l’alarmisme démocratique

Derrière ces accusations présentées comme motivées par le rejet du racisme et le souci démocratique, faut-il voir une opposition à la volonté de Zemmour de retirer la France du commandement militaire intégré de l’OTAN, l’organisation qu’appréciait très peu Donald Trump ? Pour The American Conservative, un magazine de tendance républicaine et anti-interventionniste comme Trump, « Les loups néo-conservateurs sont revêtus des habits Never Trumper ». Dans un article du 10 août 2020, le magazine affirmait que si l’assaut du « Lincoln Project » contre le président était une manne du ciel pour les opposants à ce dernier, c’était un avertissement pour « ceux d’entre nous qui ont été appelés « conservateurs antipatriotiques » pour avoir refusé de suivre les néo-conservateurs qui dominaient Washington avant la guerre en Irak ».

Mais surtout, l’argent semble être la grande motivation du PAC. Le « Lincoln Project »a notamment reçu des dons de milliardaires Démocrates et Républicains durant la campagne présidentielle, et il a été rejoint par d’autres proches politiques du président George W. Bush ou ceux des anciens candidats John McCain et Mitt Romney. En juin de l’an dernier, l’un de ses fondateurs, John Weaver, a été accusé d’avoir sexuellement harcelé des hommes en échange de son appui, et Steve Schmidt a dû quitter le conseil d’administration du PAC pour l’avoir couvert. Le scandale a conduit des donateurs à tarir leur générosité, et les médias de tendance Démocrate ont pris leurs distances.

Dans un article du 8 mars, le New York Times raconte comment Schmidt et d’autres fondateurs ont détourné une partie des 87 millions de dollars reçus par le « Lincoln Project« , en créant une entreprise, LTP Media, dans le cadre de laquelle ils se sont attribué des revenus estimés à des millions de dollars. Pour le New York Times, en dépit des critiques, « les proches de M. Schmidt entendent continuer une campagne médiatique moderne contre les forces mondiales de l’autoritarisme, tout en monétisant leur mouvement. » Cité par le quotidien, Schmidt avait expliqué refuser de démissionner, car il y avait urgence à lutter contre « un véritable mouvement autocratique qui constitue une menace pour la démocratie ». D’autres organisations d’anciens membres du Parti républicain opposés à Donald Trump ont vu le jour pour contrer le président qui avait remporté 94 % des votes lors des primaires de 2020. Ainsi, durant la campagne présidentielle, 200 responsables ayant servi dans les gouvernements Bush entre 2001 et 2009 avaient lancé le Super Pac 43 Alumni for Biden, mais sans obtenir la même visibilité que le « Lincoln Project » qui publie quantité de vidéos contre Trump.

Effondrement du niveau en mathématiques: réquisitoire contre les fossoyeurs d’une excellence française

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L’avenir de la France se joue aussi dans l’enseignement des mathématiques à l’école. Qu’attendons-nous pour relever nos exigences en la matière ?


Souvent relayé par les médias à l’occasion de la sortie des divers classements internationaux, le constat est implacable : le niveau des élèves français en mathématiques n’a pas seulement baissé avec une étonnante régularité ces dernières décennies, il s’est effondré. Alors qu’il y a encore trente ans notre enseignement des mathématiques était universellement reconnu comme étant l’un des meilleurs du monde, nous sommes aujourd’hui classés derniers des pays de l’Union Européenne, et avant-dernier des pays de l’OCDE, derrière le Kazakhstan [1]!     

« On peut parfaitement exceller en mathématiques sans calculer correctement. Il ne faut pas dégoûter les élèves avec ça. » Cette phrase, maintes fois entendue en formation par des générations d’enseignants consternés, est la mère de tous les reniements…

Les répercussions de cet effondrement se font d’ailleurs sentir dans toute la société. Interrogez un peintre en bâtiment : il vous expliquera que ses stagiaires sont incapables de prévoir les quantités de peinture nécessaires, faute de savoir calculer la surface d’un rectangle. Demandez à une infirmière expérimentée : elle vous apprendra que ses jeunes collègues sont souvent perdues dans leurs dosages car vaincues par une règle de trois…

Exagération ? Pessimisme outrancier ? Si votre enfant est au lycée, faites ce test : demandez-lui d’effectuer une addition à quatre chiffres, une soustraction de même, une multiplication à deux chiffres, et une division d’un nombre supérieur à 1000 par 12. Sachez que si votre enfant parvient sans aide extérieure à effectuer ces quatre opérations à la main, il fait désormais partie d’une élite. Ne vous réjouissez pas trop vite : faites le test d’abord. L’expérience de tout enseignant à ce niveau montre que votre enfant a moins d’une chance sur dix de le réussir. Il va de soi que si ces notions extrêmement basiques ne sont pas maîtrisées, le reste est à l’avenant.

La France, terre historique d’un enseignement des mathématiques redoutablement performant

Pourtant, dans le monde entier, tout élève du secondaire, comme du supérieur, peut constater la surprenante occurrence de patronymes français dans la dénomination des grands théorèmes au programme. Cette réalité témoigne de l’importance de l’école française de mathématiques au cours de l’histoire, et notamment à partir de l’Époque Moderne. Descartes, Pascal, Fermat, Fourier, Laplace, Cauchy… Tous ces grands noms, et tant d’autres qui sont venus s’y ajouter depuis, ont irrigué l’enseignement des mathématiques.

Consciente de cette tradition, et convaincue de l’importance stratégique des mathématiques durant la révolution industrielle, l’école de la Troisième République mettra un point d’honneur à faire exceller le système éducatif français en la matière. Pendant un siècle, les élèves français ont bénéficié de ce qui peut se faire de mieux en termes de pédagogie et de contenus. Les résultats parlaient d’eux-mêmes : à la sortie du primaire, on maîtrisait parfaitement le calcul numérique et les constructions géométriques. On était en mesure de résoudre des problèmes assez complexes, comme les fameux « problèmes de robinets ». À la sortie du collège, la maîtrise du calcul algébrique élémentaire était complète et l’étude de la géométrie classique permettait une entrée très exigeante dans la notion de démonstration. Jusque dans les années 80, l’organisation des filières scientifiques en sections C et D réalisait un compromis remarquable entre excellence et accessibilité. Les meilleurs lycéens dépassaient un solide BAC+1 d’aujourd’hui…

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Comment donc sommes-nous passé d’un tel niveau d’excellence à la situation actuelle ? S’il est indispensable d’en comprendre les causes, elles sont loin d’être aussi complexes et multifactorielles qu’on veut le faire croire.

Avant toute chose, qu’est-ce qu’un « bon » enseignement des mathématiques ?

Les mathématiques forment une discipline fondée sur la manipulation et l’étude d’objets abstraits tels que les nombres, les ensembles, les fonctions, les figures géométriques, ainsi que sur des raisonnements logiques portant sur ces objets. Les mathématiques constituent à la fois un langage commun pour les sciences, et aussi une discipline à part entière. Pour atteindre l’excellence dans ce domaine de l’esprit, il est nécessaire pour l’élève de bénéficier de quatre facteurs pédagogiques déterminants :

  1. Une entrée dans les concepts patiente et pleine de bon sens, ayant pour but de maximiser la compréhension profonde des objets étudiés. Cette pédagogie doit aller du concret vers l’abstrait, et du simple vers le complexe.
  2. Un entraînement technique progressif et répétitif permettant de développer des réflexes et de « muscler » sa puissance cognitive : calcul mental et écrit, techniques de résolution, constructions géométriques… L’entraînement fournit aussi des techniques prêtes à l’emploi, qui soulagent l’élève, lorsqu’il doit réfléchir sur l’essentiel.
  3. Une pratique régulière et progressive du raisonnement logique, au travers de la résolution de nombreux problèmes adaptés au niveau attendu. La démonstration mathématique, cœur de la discipline, doit rapidement devenir naturelle et constituer un objectif pédagogique en tant que tel.
  4. Un programme scolaire ambitieux, permettant de développer une expertise vaste et de disposer d’une vraie culture mathématique. Des contenus suffisamment riches sont aussi indispensables pour dévoiler la beauté de la discipline et donc motiver les élèves et susciter des vocations.

Il est aisé de se rendre compte que ces quatre points cruciaux, qui fondent un bon enseignement des mathématiques, sont actuellement exécutés avec soin dans les pays asiatiques qui caracolent en tête des classements internationaux. Pourquoi sommes-nous, et dans quelle mesure, sortis de cette tétralogie gagnante ?

La mère de tous les reniements: l’abandon du calcul et de l’entraînement technique

« On peut parfaitement exceller en mathématiques sans calculer correctement. Il ne faut pas dégoûter les élèves avec ça. » Cette phrase, maintes fois entendue en formation par des générations d’enseignants consternés, est la mère de tous les reniements. Imaginez un entraîneur de football qui vous expliquerait qu’il n’est pas nécessaire que ses joueurs sachent courir ! On nage dans l’absurdité.

Si on refuse d’être musclé et endurant, on finit par arrêter de pratiquer du sport à un certain niveau. C’est exactement ce qu’il se passe aujourd’hui en mathématiques, mais dans le domaine de l’esprit. De moins en moins de calcul, puis des calculs de moins en moins ambitieux, puis l’utilisation exclusive de la calculatrice à partir du collège, ont ruiné cet aspect pédagogique fondamental pour former des scientifiques.

Refaire des textes officiels qui donnent sa juste part à un entraînement sérieux, répétitif, régulier et progressif, devrait suffire à inverser cette tendance. La pratique régulière du calcul enclenche un cercle vertueux : sa maîtrise permet à l’élève de se concentrer sur les concepts et les raisonnements et la compréhension de la matière en est immédiatement améliorée.

Cette mesure est facile à mettre en œuvre et gratuite ! Qu’attend-on ?

Le raisonnement logique: autre victime des mathématiques institutionnelles d’aujourd’hui

Nous sommes là au cœur de la discipline. L’essence des mathématiques est de développer une démarche fondée sur un raisonnement logique parfaitement rigoureux pour résoudre des problèmes, concrets ou non.

Le chute du niveau en calcul, lequel est un outil fondamental au service du raisonnement, peut (presque) à lui seul expliquer l’enclenchement d’un cercle vicieux d’échecs de l’institution dans ce domaine. En effet, tel un chauffeur devant s’appuyer sur des réflexes pour adapter sa conduite à l’environnement extérieur, l’élève a besoin de réflexes intériorisés pour rester concentré sur sa stratégie de résolution. Mais quand on décide que la pratique du raisonnement rigoureux est, comme le calcul, un formalisme exagéré, on torpille littéralement la discipline.

Pourtant, le raisonnement mathématique « à la française » était bien le grand point fort de notre école par le passé. Quand certains pays misaient trop sur la performance brutale en calcul, l’école française de mathématique s’ingéniait à promouvoir très tôt dans la scolarité d’élégantes résolutions de problèmes, rédigées avec soin et avec une certaine grâce, privilégiant même l’esthétique d’une réflexion brillante à la froideur d’une approche trop calculatoire. Cette tradition bien française découle des écrits des grands mathématiciens du XVIIe siècle, Pascal en tête.

Aujourd’hui, la véritable démonstration a totalement disparu de l’enseignement des mathématiques à l’école. Nos élèves ne sont plus initiés à ce chef d’œuvre qu’est la rédaction française de résolution de problèmes. Même au lycée, la nécessité de rattraper le temps perdu entraîne une forme de bachotage via des problèmes types très légers en termes de raisonnement. De plus, on entretient dans les faits un relativisme de la rigueur mathématique, en corrigeant les copies avec une largesse coupable en termes de rigueur (« cet élève a compris, même si ce qu’il écrit est faux. Mettez les points. »). Le triste résultat est une ruine des capacités cognitives des élèves.

Un sous-calibrage des programmes aux airs de Bérézina

Les programmes de mathématiques sont aujourd’hui vidés de leur substance. Ils attristent les enseignants motivés et produisent des moues de pitié chez nos homologues étrangers. 

Nous en sommes aux dernières conséquences du cercle vicieux exposé plus haut : un entraînement technique cacochyme et une faiblesse endémique dans le raisonnement logique entraînent mécaniquement une baisse des capacités des élèves à comprendre des concepts trop complexes. Et plutôt que de remédier à ces lacunes, on préfère diminuer les contenus. Confrontés à la réalité, certains enseignants en arrivent même à demander eux-mêmes ces diminutions afin de pouvoir coller aux objectifs. Après quelques années, élèves comme enseignants s’encroûtent et prennent l’habitude des nouveaux programmes. Le niveau global baisse d’autant plus et une nouvelle diminution des programmes devient nécessaire…

Pour renouer avec l’excellence, il faut mettre fin au dogme égalitariste à l’école

D’un point de vue pédagogique, comme nous l’avons expliqué plus haut, la route à suivre est bien tracée. Il faut remettre l’entraînement aux techniques de calcul à l’honneur, car c’est un prérequis indispensable pour permettre aux élèves de pénétrer le cœur du sujet, qui est l’apprentissage du raisonnement rigoureux et la rédaction de démonstrations. Il faut aussi des programmes plus ambitieux, contenant suffisamment de notions intéressantes pour éveiller la curiosité et l’esprit mathématique.

Ce retour de l’ambition intellectuelle à l’école, au service de nos enfants, s’oppose frontalement au dogme égalitariste qui mine l’Éducation nationale depuis trop longtemps. Cette idéologie ne bénéficie à aucun enfant et n’a eu pour seule conséquence qu’un nivellement par le bas. Un exemple édifiant nous est donné par une étude de la DEPP, service dépendant du ministère de l’Éducation nationale lui-même. Cette étude, qui date de 2019, montre que le niveau actuel en calcul des enfants de CM2 des classes sociales les plus favorisées (CSP+) est inférieur à celui des enfants de la classe ouvrière de 1987 !

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Il faut donc en finir avec l’égalitarisme dévoyé qui empêche les enfants de s’épanouir dans toute leur diversité. Pour cela, des parcours différenciés doivent être proposés dès le collège, pour permettre à chaque élève de donner le meilleur de lui-même. Au lycée, la création de sections de niveau avancé en mathématiques doit être accompagnée avec une valorisation des parcours avec peu ou sans mathématiques, qui doivent eux-aussi être sélectifs. Car il va sans dire que l’on peut accomplir des études brillantes sans nécessairement faire beaucoup de mathématiques !

Le constat que nous avons dressé pour les mathématiques est malheureusement beaucoup plus général. Les mêmes mécanismes et les mêmes dogmes pédagogiques ont partout les mêmes conséquences. Qui se souvient que c’est dans l’étude des langues anciennes, écoles de la rigueur, que plus d’un mathématicien a découvert et aimé le raisonnement logique ? L’abandon indigne de ces langues, qui sont aux sources de notre civilisation, s’est bien sûr accompagné d’un effondrement dans la maîtrise du français chez les élèves… Or c’est la langue qui structure la pensée et permet de raisonner. Un relèvement du niveau en mathématiques doit donc obligatoirement passer pas un relèvement similaire du niveau en français, en remettant au goût du jour l’étude de sa grammaire, de sa syntaxe et la lecture des grands auteurs.

L’avenir de la France se joue à l’école !

L’enseignement des mathématiques en France est arrivé à un point qui ne se peut plus soutenir, et des réformes de fond doivent être mises en place sans plus tarder. L’effondrement actuel se paie déjà dans la société : des erreurs élémentaires de logique gangrènent tous les débats et le peu de capacité en raisonnement se traduit par l’élévation en compensation du sentimentalisme et de l’émotivité. Au-delà de son rôle dans la formation intellectuelle de nos enfants, cette discipline fournit le langage dans lequel s’exprime la physique, la chimie, les sciences de l’ingénieur, l’informatique et même certains domaines de pointe en biologie. C’est donc un savoir indispensable pour l’avenir de notre pays, pour son industrie, pour le rayonnement de sa recherche scientifique, pour sa capacité à innover et à maintenir sa place dans le monde.

Le chantier de reconstruction de l’école, que nous appelons de nos vœux, est immense. Il n’y a plus de temps à perdre pour remettre la transmission des savoirs, l’intelligence, la passion, l’excellence, au centre des préoccupations. À la veille de l’élection présidentielle, cet enjeu majeur doit tenir la place qu’il mérite. Fort est de constater que la plupart des candidats sont issus de partis qui ont soutenu, et ce pendant des décennies, les politiques ayant mené au désastre. Ceci leur enlève toute crédibilité sur le sujet. D’autres sont victimes d’une analyse simpliste de la situation et ne voient dans les difficultés de l’école qu’une question de moyens. Certains, certes de moins en moins nombreux, vont jusqu’à nier l’existence des problèmes.

Éric Zemmour est le seul qui montre un attachement sincère et sans faille à l’école publique. Il a démontré sa lucidité en affirmant haut et fort que ce sont bien des choix pédagogiques et idéologiques qui ont conduit à renier, puis à perdre, les principes sur lesquels l’excellence de l’école française était fondée. On peut lui faire confiance pour avoir le courage, le temps venu, de mettre en application les réformes nécessaires qui permettront d’inverser la tendance et d’œuvrer à une excellence retrouvée, pour le bien de tous nos jeunes. L’école de la République n’a pas dit son dernier mot !


[1] Selon l’étude comparative TIMSS (Trends in Mathematics and Science Study), publiée en 2020, qui mesure le niveau de connaissance scolaire des élèves de CM1 et de 4e en mathématiques et en sciences.

La Nouvelle-Calédonie, un atout français méconnu dans le Pacifique

Le 12 décembre 2021, les électeurs de Nouvelle-Calédonie exprimaient leur souhait de demeurer français à l’issue d’un troisième référendum en trois ans, certes boycotté par les indépendantistes. Au-delà des mines de nickel et du combat politique des partisans de l’autodétermination, les Français de métropole connaissent mal cet archipel d’îles jouxtant l’Australie en mer de Corail. S’y joue pourtant une partie essentielle dans l’affrontement des puissances.  


À 18 000 km et onze fuseaux horaires de Paris, la Nouvelle-Calédonie constitue l’un des derniers ensembles de territoires français qui offrent un accès à la sphère Asie-Pacifique. Dans une zone du globe dominée par l’élément maritime et où les distances se mesurent en milliers de kilomètres, sa proximité relative avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande et tout un ensemble de micro-États indépendants, autonomes ou sous administration directe, contribue à en faire une base de départ pour intervenir dans des crises régionales. Autrefois considérée comme un territoire dont l’éloignement constituait l’un des principaux intérêts, notamment pour y déporter ses forçats, cette exception française dans une partie du monde largement anglophone demeure fragile. L’affirmation de la Chine en tant que puissance économique et militaire, dans un contexte de rivalité croissante avec les mondes océanien et nord-américain, a contribué à redonner au « caillou » une importance accrue. Pourtant, malgré les richesses dont elle regorge, les moyens alloués à sa défense et au rayonnement de la France dans une région cruciale demeurent limités, alors même que le caractère stratégique de sa position, apparu décisif au cours de la Seconde Guerre mondiale en tant que base arrière majeure des forces armées américaines, ne s’est jamais démenti.


Antoine de Prémonville

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I. La France contestée

Exception française dans une zone d’influence anglo-saxonne (A), la Nouvelle-Calédonie n’en est pas moins un territoire multiculturel où l’attachement à la France varie selon les époques et les communautés (B), au point que le sentiment indépendantiste y constitue une alternative crédible (C).

A. Exception française aux antipodes anglo-saxons

Malgré l’intérêt de la monarchie finissante pour les expéditions lointaines outre-mer (Bougainville, La Pérouse) afin de rétablir un prestige écorné par les conséquences de la guerre de Sept Ans [1], les vicissitudes de la Révolution et les préoccupations continentales de l’Empire ne permirent pas à feu la Royale [2] de soutenir la comparaison avec la Royal Navy, maîtresse incontestée des océans. De fait, jusqu’au milieu du XIXe siècle, la France doit abandonner ses prétentions dans le Pacifique.

Si les côtes de la Nouvelle-Calédonie sont découvertes par Cook le 4 septembre 1774, le pays demeure longtemps quasi inconnu, car jugé sans intérêt. Elle voit apparaître sur ses rivages explorateurs, baleiniers et autres missionnaires vers 1840. Théâtre d’une compétition entre missionnaires catholiques et protestants, la Nouvelle-Calédonie est l’objet d’un projet, avorté, de conquête sous Louis-Philippe. Napoléon III reprend l’idée pour en faire une colonie pénitentiaire (1867-1897).  Quoiqu’il craigne moins la réaction de Londres que le Roi des Français – la guerre de Crimée est sur le point d’éclater –, l’annexion est discrètement menée en 1853. Malgré ce succès emporté au détriment de l’arrondissement du domaine australien des Britanniques, la rivalité demeure s’agissant des points de relâche pour les marins et pécheurs, et de l’évangélisation des populations.

Parent pauvre de l’empire colonial français, tourné vers l’Afrique et l’Indochine, la Nouvelle-Calédonie se développe comme elle peut sous l’impulsion d’investisseurs privés et d’administrateurs coloniaux. La découverte du nickel permet alors de tisser des partenariats commerciaux avec la Chine (1884) et le Japon (1892), d’abord pour attirer de la main-d’œuvre, puis pour exporter le minerai [3]. Bien que consciente de l’importance du Pacifique dans l’avenir, la France de l’entre-deux-guerres ne peut y consacrer les moyens souhaités et se contente de consolider un modeste existant. Craignant à la fois la montée du « péril jaune » et l’expansion américaine, des voix s’élèvent même au gouvernement et dans les états-majors pour demander un retrait du Pacifique [4], voire l’échange de la colonie avec un territoire africain [5] !

Antoine de Prémonville

B. Une mosaïque ethnique

Mosaïque ethnoculturelle, la société calédonienne demeure fracturée par les rivalités de populations aux intérêts opposés. Vivant principalement aux abords des agglomérations, souvent selon un mode de vie traditionnel dans le cadre de tribus, les Kanaks (mélanésiens) constituent la population autochtone originelle de la Nouvelle-Calédonie (41,2% [6]). Malgré un sentiment identitaire fort illustré par le projet indépendantiste de « Kanaky », le monde kanak est culturellement hétérogène – vingt-huit langues différentes en plus du français – et apparaît à la marge sur le plan économique.

Sévèrement sanctionnés suite à la tentative d’insurrection de 1878 menée en réaction à la colonisation, les Kanaks sont soumis au statut de l’indigénat de 1887 à 1946. Obtenant la nationalité française en raison du ralliement précoce de la colonie à la France Libre, ils s’insèrent dans le jeu politique dans les années 1950 avec un discours autonomiste initialement modéré et dénué de considérations ethnicistes. Tant l’échec de ce projet que la réaffirmation de leur identité spécifique dans les années 1970 sous la houlette de chefs charismatiques comme Jean-Marie Tjibaou, Yeiwéné Yeiwéné ou Éloi Machoro, vont provoquer une évolution du discours et des revendications. Dès lors, le terme « calédonien » ou « caldoche » tend à désigner les Européens par opposition aux « kanaks ».

Représentant un quart de la population, les « Caldoches » sont principalement les descendants des travailleurs du secteur minier. Bien que l’héritage de l’ancienne colonie pénitentiaire demeure vif, les colons européens et les bagnards ont relativement peu contribué au peuplement du « caillou » [7]. Comme les Kanaks, le monde caldoche est pluriel et des différences notables s’expriment entre ceux de Nouméa et ceux de la Brousse, entre les « gros » et les « petits » colons, entre les « libres » et les « bagnards », générant autant de microsociétés longtemps cloisonnées [8]. De plus, contrairement à une idée reçue, la société caldoche n’a pas été imperméable au métissage puisque le surnombre d’hommes célibataires dans les premiers temps de la colonisation a favorisé les unions mixtes entre Européens et femmes kanakes. Un phénomène qui n’a pas permis d’aplanir le mur séparant les deux principales communautés.

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Envisageant le projet indépendantiste à travers les exemples de l’Algérie, des Nouvelles-Hébrides – ou dans une certaine mesure, de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud –, les caldoches sont très majoritairement fermement opposés à l’autodétermination. En effet, ils sont trop conscients que, dans le cadre d’une Kanaky indépendante, la faiblesse de leur poids démographique provoquerait de profondes réformes sociales, agraires et économiques qui modifieraient à leur détriment les rapports de forces hérités de la société coloniale. Farouchement hostiles à l’indépendance, les Caldoches éprouvent toutefois un attachement relatif à cette France dont la politique est jugée pro-kanake depuis les accords de Matignon et Nouméa. Exacerbant des traits culturels liés à une histoire singulière, les Caldoches ont développé quant à eux une identité propre très influencée par la présence américaine au cours de la Seconde Guerre mondiale.

À la croisée de ce clivage communautaire, quoique globalement partisans du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans le giron de la France, d’autres communautés, d’un poids démographique varié peuplent le territoire. Citons ainsi des populations originaires de Wallis et Futuna (8,3%), de Java, mais aussi des « Arabes » descendants des Kabyles déportés suite à la révolte des Mokrani [9] et quelques Japonais [10] en proportions plus anecdotiques.

C. L’indépendantisme

Initialement, les mouvements politiques calédoniens étaient autonomistes modérés, prônant un projet ne se fondant pas sur une assise ethno-raciale. Le maintien d’un lien avec la France visait alors à garantir le développement économique d’un territoire aspirant à pouvoir s’exprimer sur les grandes affaires locales sans subir la tutelle d’une administration lointaine.

Or, le recul de l’autonomie politique et l’ingérence néfaste de Paris qui interdit toute immixtion de capitaux étrangers dans l’économie vont progressivement convertir les autonomistes à l’indépendantisme au cours des années 1970 [11]. La décennie suivante est marquée par de violentes tensions communautaires et prises à partie des forces de l’ordre. Face au discours des indépendantistes stigmatisant une puissance coloniale oppressante – l’ONU considère d’ailleurs toujours la Nouvelle-Calédonie comme un territoire à décoloniser [12] –, le Premier ministre Jacques Chirac essaye de trouver une sortie politique à la crise. Un premier référendum d’autodétermination en 1987 est boycotté par les indépendantistes donnant le « non » victorieux à 98,3%.

L’année suivante, des activistes armés espèrent profiter du contexte des élections présidentielles pour mener une action d’éclat. C’est la prise de la gendarmerie d’Ouvéa aux Loyautés. Paris choisit de répondre par la force et l’assaut mené sur la grotte se solde par la mort de dix-neuf preneurs d’otages. Pour les indépendantistes, dont certains avaient espéré un soulèvement général de la Nouvelle-Calédonie, c’est un échec. Quelques mois plus tard, sous l’impulsion du Président réélu François Mitterrand, les accords de Matignon jouent la carte de l’apaisement via une amnistie générale et la promesse d’un futur référendum d’autodétermination. Dix ans plus tard, les accords de Nouméa (5 mai 1998) accordent d’importants transferts de compétences au territoire tandis que la France conserve les compétences régaliennes. La question de l’autodétermination est, quant à elle, repoussée à plus tard. De 2018 à 2021, trois référendums posent la question de l’indépendance. Fortement mobilisés et bénéficiant d’une loi favorable qui exclut du corps électoral de nombreux européens, les indépendantistes ne parviennent pas l’emporter lors du second scrutin pourtant beaucoup plus serré que prévu (victoire du « non » à 53%, en recul par rapport à 2018, 56,67%).  L’ultime scrutin, qui s’est tenu le 12 décembre 2021, voit l’écrasante victoire du « non » à l’indépendance en raison de l’appel des partis indépendantistes à s’abstenir. En 2020, le dépouillement des résultats, très variables d’une province à l’autre, est une radiographie de la démographie néo-calédonienne. En effet, majoritairement peuplée d’européens, la province sud, autour de Nouméa, a réaffirmé son attachement à la France, tandis que la province nord et les îles loyautés, majoritairement autochtones, se sont déclarées principalement pour l’indépendance.

II. Territoire stratégique

Territoire français au bout du monde doté de forces de souveraineté à peine suffisantes pour assurer les missions qui lui sont dévolues, la Nouvelle-Calédonie renferme pourtant dans son sol une ressource stratégique qui depuis longtemps attise les convoitises.

A. Un sous-sol convoité

La relative prospérité de la Nouvelle-Calédonie – comparativement aux outres collectivités d’outre-mer – repose en partie sur les transferts en provenance de la Métropole et sur le nickel. Avec le deuxième gisement mondial (11%), les fruits du sous-sol néo-calédonien représentent l’essentiel des exportations. Par conséquent, son économie est lourdement tributaire des variations des cours mondiaux.

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Exploité depuis les années 1870, ce minerai suscite les convoitises de nombreux voisins dont les industries sidérurgiques sont grandes consommatrices. Depuis la fin du XIXe siècle, l’Asie est un partenaire commercial important ; de nos jours, le japonais Nishin Steel détient encore 10% du capital de la SLN, la principale entreprise minière de Nouvelle-Calédonie. Très tôt acteur de la mondialisation et dominant le marché mondial, le nickel calédonien s’est rapidement confronté à la concurrence du Canada puis de l’Australie [13]. Ressource stratégique, notamment pour la fabrication d’aciers spéciaux pour la construction navale et l’armement, le nickel confère longtemps une importante rente de situation à des investisseurs privés. Refusant toute immixtion de capitaux étrangers qui auraient pu moderniser l’appareil productif, au prix d’une perte de contrôle d’un actif stratégique, le général de Gaulle réussit à faire échouer les tentatives de partenariat dans les années 1960, au grand dam des partisans de…

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[1] Après le désastreux traité de Paris (1763) qui met un terme à la guerre de Sept Ans moyennant la perte de la majeure partie de son premier empire colonial, la France envisage ainsi le monde océanien comme la promesse de reconstitution d’un nouveau domaine impérial et rétablir ainsi son prestige écorné

[2] Tancrède Josseran, « Et la Royale fut détruite », in Renaud Escande (dir.), Le livre noir de la Révolution française, Cerf, 2008.

[3]  « C’est pendant la Grande Guerre que les premières expéditions de minerais de nickel vers le Japon sont effectuées. Cette diversification des exportations perdure après la fin des hostilités alors que la sidérurgie japonaise connaît un développement rapide. Pourvoyeur de main-d’œuvre jusqu’à la guerre, le Japon devient un client de la principale activité économique de l’archipel. Il devient aussi un investisseur. Dans les années 1920, plusieurs sociétés minières à capitaux japonais sont constituées dans la colonie. Les deux plus importantes sont la société Le Fer et la Société minière de l’Océanie. Avec la montée des tensions internationales, ces sociétés sont parfois considérées comme des « paravents » des ambitions japonaises en Nouvelle-Calédonie. » Yann Bencivengo, « L’immigration japonaise en Nouvelle-Calédonie : une illustration de l’affirmation du Japon dans le Pacifique », Journal de la Société des Océanistes, n°135, 2012, p. 215-228, p.225.

[4] Citons Henry Simon, rapporteur du budget des Affaires étrangères à la Chambre le 20 janvier 1920 : « Nos successeurs, il faut le reconnaître, ont déjà paru à l’horizon et la loi va jouer contre nous. La jeune Amérique, vous le savez, est penchée sur les problèmes du Pacifique, dont nous tiennent éloignés nos soucis de frontières, notre natalité diminuée, notre faiblesse monétaire et l’exiguïté de nos capitaux. » Jacques Binoche, « La politique extrême-orientale française et les relations franco-japonaises de 1919 à 1939 », Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 76, n°284-285, 1989, p.263-275, p.264.

[5] « Ainsi, dans ses Théories stratégiques, l’amiral Castex rappelle qu’elles sont dépourvues des trois valeurs essentielles à une base stratégique (la situation géographique, l’autonomie défensive et les possibilités de ravitaillement) et que la position française y est des plus médiocres. Il conclut sur la nécessité de les échanger avec un territoire en Afrique-Occidentale, de préférence la Sierra Leone. » Thomas Vaisset, « Une défense sous influence. L’amiral Thierry d’Argenlieu et la dépendance de la France libre à l’égard des alliés dans les territoires français du Pacifique (1940-1942) », Revue historique des armées, n°257, 2009, p.101-121, p.102.

[6] Données tirées du recensement de 2019. Institut de la statistique et des études économiques Nouvelle-Calédonie, https://www.isee.nc/population/recensement/communautes, consulté le 11/10/2021.

[7] Benoît Carteron, « La quête identitaire des caldoches en Nouvelle-Calédonie », Ethnologie française, 2015/1, vol. 45, Presses Universitaires de France, p.155-166, p.157.

[8] Ibid., p.158.

[9] Mélica Ouennoughi, « Les déportés maghrébins en Nouvelle-Calédonie. Naissance d’une micro-société (de 1864 à nos jours) », Insaniyat / إنسانيات, n°32-33, 2006, p. 53-68.

[10] Yann Bencivengo, « L’immigration japonaise en Nouvelle-Calédonie : une illustration de l’affirmation du Japon dans le Pacifique », Journal de la Société des Océanistes, n°135, 2012, p. 215-228.

[11] Robin S. Gendron, “At Odds Over INCO: The International Nickel Company of Canada and New Caledonian Politics in the 1960s”, Journal of the Canadian Historical Association / Revue de la Société historique du Canada, n°20/2, 2009, p.112–136, p.134.

[12] Des 72 territoires initialement inscrits par l’Assemblée Générale des Nations-Unies sur la liste des territoires non-autonomes, la Nouvelle-Calédonie est l’un des dix-sept derniers. En l’espèce, incluant la Nouvelle-Calédonie dans son argumentaire, l’ONU réitère régulièrement sa volonté « d’éradiquer une fois pour toute le colonialisme » selon les propres mots d’Antonio Guterres. « L’ONU reste déterminée à éradiquer le colonialisme même si la décolonisation avance lentement », ONU Info, 21/02/2021 https://news.un.org/fr/story/2020/02/1062311, consulté le 11/10/2021.

[13] Yann Bencivengo, « Naissance de l’industrie du nickel en Nouvelle-Calédonie et au-delà, à l’interface des trajectoires industrielles, impériales et coloniales (1875-1914) », Journal de la Société des Océanistes, n°138-139, 2014, p.137-149, p.137-139.

Antoine Compagnon, Vichy et… un certain malaise

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François Kasbi s’est replongé dans Le cas Bernard Faÿ – Du Collège de France à l’indignité nationale, d’Antoine Compagnon (Gallimard, 2009) et nous en propose une lecture critique.


Quel étrange livre : on en ressort mal à l’aise, troublé. Comme si tout ce que l’on avait lu était à double détente. Ainsi de Bernard Faÿ (1893-1978) : esprit cosmopolite, proustien distingué, supposé raffiné, amant de la moderne Amérique, professeur au Collège de France. Ou encore : esprit borné, duplice, envieux, arrogant, flagorneur, condamné aux travaux forcés à la Libération et à l’indignité nationale. Oui, c’est le même. Peut-être a-t-on dû pour affiner le trait, lire, en complément indispensable au portrait de Faÿ que dresse Antoine Compagnon, la somme impeccable de Martine Poulain [1] – dont Compagnon reconnaît le mérite du bout des lèvres et de mauvaise grâce. Ils consacrent au même sujet, Bernard Faÿ, un nombre substantiel de pages : on peut dire que leurs perspectives diffèrent voire divergent, comme leurs jugements par ailleurs – car, quoiqu’il en ait, M. Compagnon juge – même par défaut, et c’est un des problèmes de son livre.

Ce n’est pas faire injure à la mémoire de Bernard Faÿ que de se résigner à admettre qu’il y a loin de la dilection particulière que celui-ci put concevoir pour Stendhal ou Gobineau à la revendication légitime au titre de Fils de roi qu’exalte Gobineau dans ses Pléiades. Tant il y a loin d’un Bernard Faÿ à un Fils de roi – et pas seulement l’hérédité.

À ce titre, le livre de Compagnon est, sans doute à son insu, accablant pour le cas traité. Ajoutez-y le réquisitoire implacable de Martine Poulain, étayé par des citations irréfutables et graves – et la messe est dite. Et si l’on s’en tient à Gobineau – auquel Faÿ dédie un portrait dans le numéro-anniversaire que La NRF consacra à Gobineau (février 1934, rééd. 1991) -, on précisera qu’entre des préfaciers aussi divers et éloignés que Paul Morand et Roger Vailland d’un côté – et Bernard Faÿ de l’autre, il y a toute la distance qui sépare, disons, en forçant à peine le trait, le talent du néant, l’érudit du mondain, l’écrivain du bavard, l’éminence du zéro. La dilution chez Faÿ remplace la condensation : c’est peu dire qu’on y perd. Et que Gobineau n’y gagne rien.

À lire Gobineau et Bernard Faÿ, mais aussi Antoine Compagnon et Martine Poulain, on remarque que s’il y a une qualité dont semble n’avoir jamais fait preuve Bernard Faÿ, c’est la noblesse d’âme. Et si l’on évoque cette catégorie de pensée, c’est que Vichy certes fut une époque historique – qui à ce titre intéresse les historiens. Mais qu’il – le régime de Vichy, cette époque – est aussi devenu un symptôme. Dont Bernard Faÿ peut être considéré comme une illustration. Et alors il intéresse les moralistes.

Vichy, ce fut un peu comme une leçon de choses sur la nature humaine : il a alors acquis sa dimension d’expérience existentielle. A ce titre, il n’est pas erroné de dire qu’il y a eu aussi, de tout temps, des Juifs collaborateurs, et des Juifs résistants. Ce n’est pas l’époque qui confère telle ou telle qualité : c’est un tempérament, et l’époque ne permet que d’en révéler la vérité (dudit tempérament). Il y eut d’autres périodes similaires dans l’histoire de France, périodes de crise où les tempéraments précipitent : la Révolution française, l’Affaire Dreyfus, l’Algérie – les guerres franco-françaises donc, par exemple.

Vichy, ce fut un moment où certains choisirent la démission ou l’adhésion enthousiaste, et d’autres la résistance – et cela a fait souche. Dorénavant il y aura – à vie – la catégorie du résistant, et celle du collaborateur. Evidemment, avec le temps (et de nombreuses études historiques), on a fait litière d’une France en noir et blanc, et l’on plaide plutôt pour le gris. Comme dans la vie, oui – où il est non moins rare que tout soit blanc ou noir.

Simon Epstein [2], a montré qu’il y avait aussi bien des dreyfusards à Vichy et dans ses parages (ou d’anciens communistes ou SFIO ou radicaux ou… Déat, Doriot, Bergery, etc.) que des maurrassiens à Londres. Des héros de la Résistance comme Henri Frenay (Combat) ou Henri d’Astier de la Vigerie (à Alger) venaient plutôt d’un milieu conservateur, traditionnel, voire de l’Action française. Donc, décidément, évitons le manichéisme et rendons à la Résistance sa complexité, et ne la dénions pas, cette complexité, à la vie – simplement.

Tout cela pour dire qu’en 1940 s’offrait à Bernard Faÿ un autre choix que celui de la collaboration et de la délation – obscène et ignoble (l’exact opposé des Fils de roi de Gobineau donc). Et que d’autres que Faÿ firent ce choix.

Il y eut même un certain nombre d’intellectuels de haut-vol qui ne choisirent pas tout à fait la Résistance (euphémisme) et qui ne s’abîmèrent pas, eux, dans l’abjection. Exemples : Philippe Ariès, Alfred Fabre-Luce, Bertrand de Jouvenel, voire Jacques Isorni – dont la remarquable biographie de G. Antonowicz a suffisamment dit la complexité et l’intérêt. Mais aussi Gaxotte et Bainville, deux plumes et têtes bien faites, qui contribuèrent au prestige de l’Action française de l’avant-guerre. Eux – leurs œuvres respectives – sont aujourd’hui disponibles en poche, constamment réédité(e)s. Et de Jacques Laurent à Jacques Rupnik, nombreux sont ceux à avoir rendu hommage au don d’analyse-prescience que manifeste Bainville dans Les conséquences politiques de la paix – tandis que Faÿ a littéralement disparu des librairies. Cela, sans doute pas à cause de l’infamie de la délation (Céline est dans la Pléiade), plus sûrement à cause de la médiocre qualité de son œuvre – datée et bavarde (donc).

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Tout cela encore pour dire combien, lecture faite du livre de Compagnon, effaré, nous avons considéré le temps passé à retracer la biographie non pas d’un « salaud » – cela est justifiable et courant s’il n’est pas que cela – mais d’un personnage falot, dont l’intérêt, même renseignements pris, ne nous semble pas être de « première importance ». Il y a tant à lire et écrire. Compagnon lui-même a donné l’exemple, il y a quelques années, avec Brunetière, « le grand et fanatique et injuste et faux et honnête Brunetière » (C. Péguy, Notre jeunesse), qui méritait, lui, mal connu et méconnu, une de ces enquêtes approfondies (sa biographie recèle son lot de retournements, pas si éloignés de ceux que connut B. Faÿ).

Qu’eût pensé de Faÿ, d’ailleurs, un Brunetière qui écrivait ceci : « Les aptitudes intellectuelles, que certes je ne méprise pas, n’ont qu’une valeur relative. Pour moi, dans l’ordre social, j’estime beaucoup plus haut la trempe de la volonté, la force du caractère, la sûreté du jugement, l’expérience pratique » ? A votre avis ?

Là où en outre, nous avons été plus troublé, c’est lorsque A. Compagnon découvre, ou feint de découvrir, ou ne découvre pas (on ne sait), que l’on peut être un personnage guère recommandable et cultivé, élégant, mondain. On ne sache pas que le débat soit très nouveau (chaque publication de Céline est l’occasion du même increvable débat – écrivain de génie, véritable salaud, délateur, etc.). On sait en revanche qu’il nous semble éculé et vain parce qu’insoluble : chaque tentative d’élucidation en a été, jusqu’aujourd’hui, l’administration de la preuve. Il n’en a pas moins été abordé par un poète de génie comme Paul Celan (à propos de Heidegger) ou un Georges Steiner dans son fameux Dans le château de Barbe-Bleue.

Alors ? Du nouveau avec Bernard Faÿ (BF) ? Rien moins. Et pour dire notre sentiment profond quant à la capacité du genre Essai à sonder l’origine, les racines de la trahison : on s’en remet bien plus volontiers au roman, seul à même de rendre la complexité du réel, le caractère hybride, trouble de la vie, des sentiments (et de leur expression). On préfère donc – pour faire vite – lire Javier Marias et sa trilogie Ton visage, demain (en dépit de ses longues longueurs), géniale archéologie de la trahison – où le narrateur tente de comprendre comment le meilleur ami de son père (celui aussi qui l’a trahi) a, de toujours, eu la vocation du traître. Ou plutôt comment lui, son père, n’a pas vu chez son meilleur ami, « (son) visage (de traître), demain ». Là, oui, avec Marias, bon… compagnon, on avance. 

Ce que révèle le cas BF en fait, c’est un tempérament, cette lâcheté qui est, comme l’écrit P. Morand [4], « le climat mondain et la vertu des gens distingués ». On a pu longtemps se tromper sur BF – l’image sulpicienne de l’esprit cosmopolite, etc. – jusqu’à ce qu’une situation, historique celle-ci (Vichy donc), soit l’occasion de la révélation. Pour lui, de se révéler : tout est faux chez Faÿ, le côté duplice évoqué ci-avant. Et l’histoire est l’agent de révélation de ce tempérament.

Oui, il a fallu Vichy, et l’obsession du pouvoir chez Faÿ, pour que celui-ci ôte son masque et délivre son vrai visage – et c’est atterrant. Mais la rencontre d’un tempérament et d’une situation historique, cela peut, aussi, donner cela. Hasard ? Voire : « Je sais qu’il n’y a pas de hasard à choisir ce qui vous déshonore » disait Camus. Les exemples et contre-exemples abondent. Les Mémoires de Daniel Cordier [5] témoignent de la transformation d’un jeune homme plutôt maurrassien qui allait devenir le collaborateur le plus proche de Jean Moulin, figure héroïque de la Résistance.

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En fait, le cas Faÿ nous rappelle une chose – que Stendhal et Gobineau, âmes et écrivains d’élite, avaient bien anticipée : qu’il ne s’est pas agi, à Vichy, de politique (redisons-le : les maurrassiens de Londres vs les communistes qui ne désavouent pas le Pacte germano-soviétique du 23 août 1939 !) mais de morale. Pas la morale que l’on fait. Non, l’autre : la morale personnelle, l’éthique, qu’en un procès continuel, délibération sans cesse reconduite, l’on se forge, de soi à soi. L’historien Henri Michel ne dit pas autre chose : « La véritable question qui sépare Vichy de la Résistance est moins d’ordre matériel que moral et, en quelque sorte, de principe. Lorsqu’un pays a été battu, qu’il risque de perdre son indépendance, et peut-être son âme, faut-il se résigner à sa déchéance, ruser avec le vainqueur – ou faut-il se battre (au risque certes de grandes pertes et souffrances) pour la liberté des personnes comme de la nation ? L’histoire répond que les peuples qui survivent sont ceux qui se battent. » [6].

Enfin, à propos de BF au Collège de France – qui a l’air de fort impressionner Antoine Compagnon. Il y a évidemment de grands professeurs au Collège – pour les anciens, et pour éviter toute polémique : Bergson, Lévi-Strauss, Barthes, Foucault, Le Roy Ladurie – mais Bernard Faÿ, professeur au Collège de France n’est exemplaire, monumental, édifiant que pour qui veut bien se laisser édifier. D’autres savent ou pensent que la fonction ne crée pas forcément l’organe. Où l’on retrouve Gobineau et ses Fils de roi qui n’ont de noble et royale que l’âme – une certaine qualité d’âme. Non l’hérédité – donc. D’ailleurs, le Comte de Gobineau était certes un « titan indigné », mais n’avait rien d’un comte, sinon la noblesse… de ses vues.


Coda – à propos des sources d’A. Compagnon. On en citera deux, les plus perturbantes pour le supposé sérieux du travail (parmi pléthore qui posent problème – mais on n’a plus la place, ni – aveu – l’envie) : quand il s’agit d’Abel Bonnard, c’est le révisionniste patenté, homologué, pronazi (sic) revendiqué – Olivier Mathieu – que Compagnon cite, sans précision ni note, alors que le livre cité de Mathieu est postfacé par… Léon Degrelle, le chef rexiste (oui – quand même). En outre, Mathieu est un historien passionnant et novateur. La preuve ? Sur le Troisième Reich : « Le plus grand sursaut de l’Europe et de l’âme humaine ». Cela nous avait échappé. Et sur Vichy, c’est, entre autres certes, Annie Lacroix-Riz qui est requise par Compagnon – Lacroix-Riz que l’on sait obsédée par la Synarchie ( !) et ses complots, et membre du PRCF (Pôle de Renaissance communiste en France, marxiste-léniniste). Il n’y a plus aujourd’hui qu’Antoine Compagnon, professeur au Collège de France, pour lui conférer un crédit que plus personne parmi les historiens de la période (et pas seulement…) ne lui accorde. La dernière fois que nous avons entendu parler d’A. Lacroix-Riz, c’était lors d’un « débat » avec… Dieudonné… et cela ne nous a pas fait rire. Cher Antoine Compagnon : tout cela n’est PAS sérieux.

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[1] Livres pillés, lectures surveillées – les bibliothèques françaises sous l’Occupation (Gallimard, 2008)

[2] Un paradoxe français : antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance (Albin Michel, 2008)

[3] Pauvert, 2008

[4] Préface à Adelaïde, de Gobineau (Livre de Poche, 1959)

[5] Alias Caracalla, Gallimard, 2009

[6] Pétain et le Régime de Vichy, PUF, 1978

Macron favori, mais pour quoi faire?

Tous les sondages [1] prédisent la réélection du chef de l’État en avril prochain. La révolution qu’il avait annoncée n’a pourtant pas eu lieu. Comme ses prédécesseurs, il a défendu une Europe ouverte à tous, un « pognon de dingue » pour les aides sociales et le progressisme culturel. Le candidat de 2022 ne pourra pas faire les mêmes promesses que celui de 2017.


Emmanuel Macron apparaît indiscutablement en cet automne comme le principal favori de la prochaine élection présidentielle. Avec plus de 40 % d’opinions favorables, il bénéficie d’une cote de popularité très supérieure à celle qu’affichaient, à la même époque, ses deux prédécesseurs (31 % pour Nicolas Sarkozy, 16 % pour François Hollande, Odoxa, octobre). Les sondages prédisent une victoire nette du président sortant quel que soit le concurrent qu’il affronterait au second tour [1], avec un score autour de 57 % contre Éric Zemmour, 55 % contre Marine Le Pen et 53 % contre Xavier Bertrand (Harris Interactive, 20 octobre). Son pire adversaire, c’est lui-même, ou plutôt son identité politique pour le moins problématique.

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Un homme de foi

Qui est Emmanuel Macron ? Depuis cinq ans, le Fregoli de l’Élysée entretient sur son compte et sur le courant qu’il veut incarner à lui seul un flou pour le moins artistique, venant de la gauche et draguant à droite, oscillant sur les mêmes sujets entre les positions les plus diverses, théorisant le dépassement et le « en même temps » comme panacée politique. Si l’on veut bien dépasser cet épais brouillard tactique, son positionnement est toutefois assez clair… et probablement inadapté aux futures échéances. Car les trois éléments qui le caractérisent sont en effet en situation de crise avancée.

Emmanuel Macron, c’est d’abord la foi indéfectible dans les bienfaits du libre-échange et de la construction européenne. Il est le meilleur représentant de cette élite nouvelle qui mesure les progrès de l’humanité aux volumes des flux circulant en tous sens et fait de la frontière une survivance archaïque. C’est cette croyance presque religieuse qui l’a conduit par exemple, au début de l’épidémie de Covid, à retarder autant qu’il l’a pu les contrôles à l’entrée du territoire, tandis que ses ministres répétaient en boucle cette fausse évidence : « Les virus n’ont pas de passeport. »

De même, le président, sans aller jusqu’à un fédéralisme affiché, est-il convaincu que les vieilles nations ne disposent plus de la masse critique et que les problèmes, comme les succès, se gèrent désormais à l’échelle de l’UE. Tous les prétextes sont donc bons pour en élargir les compétences, comme la gestion déléguée des achats de vaccins l’a montré, sans toutefois véritablement convaincre. Cette ouverture généralisée s’accompagne, à l’intérieur, d’un libéralisme, il est vrai, plus modéré. Ce qui a fait Emmanuel Macron, l’a distingué des autres hauts fonctionnaires de sa génération et a lancé sa carrière politico-administrative jusqu’au sommet que l’on sait, c’est d’avoir été le rapporteur, en 2007, d’une commission présidée par Jacques Attali qui prétendait, sur le modèle de ses lointains prédécesseurs Jacques Rueff et Louis Armand en 1960, lever les obstacles structurels à la croissance française. Le président de la République a mis en pratique les idées du jeune inspecteur des finances : il a œuvré pour libéraliser le marché du travail, baisser la fiscalité sur le capital et la production, améliorer l’attractivité du pays. C’est probablement l’aspect le moins contestable de son bilan, mais aussi celui qui a été le moins bien compris (peut-être parce qu’il a pris la forme d’une série de micromesures très techniques), a suscité le plus de méfiance et a été poussé le moins loin.

Payer… pour réparer les effets de sa politique

La seconde caractéristique du macronisme est d’avoir maintenu un niveau de dépense publique et singulièrement de dépenses sociales (celle-ci étant la principale composante de celle-là) extrêmement élevé. La France se classe en effet, depuis de nombreuses années, nettement en tête des pays comparables de l’OCDE et elle a même dépassé les pays nordiques, traditionnellement plus prodigues. Le président actuel n’a pas mis fin à cette exception mais l’a même, à la faveur de la crise du Covid, accentué, portant la dépense publique au taux inégalé de 61,6 % du PIB en 2020. Il est donc faux de dire, comme on l’entend trop souvent, qu’il a sacrifié la politique sociale : il a, au contraire, conforté une tendance très discutable qui fait de l’État une vaste caisse de redistribution tous azimuts, au détriment de ses autres fonctions, notamment ses missions régaliennes ou planificatrices de l’avenir par l’investissement. Cette remarque peut sembler en contradiction avec le libéralisme affiché par Emmanuel Macron.

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Alors quoi ? Ouverture au grand large de l’économie ou socialisation et extension du poids financier de l’État ? Les deux tendances ne sont peut-être pas aussi opposées qu’on le croit et forment même, ensemble, un système aussi cohérent que pervers. La puissance publique a décidé en effet de compenser le coût social de la mondialisation et de la dérégulation et s’est instituée en une sorte de contre-assureur de la société. Quoi qu’il arrive, l’État vous couvre ! La prime de 100 euros, versée pour corriger la hausse des cours mondiaux du pétrole et du gaz, est à cet égard révélatrice.

Une devise: progressisme, européisme, mondialisme.

La dernière caractéristique du macronisme est son progressisme culturel. Des réformes dites « sociétales » ont ainsi émaillé le quinquennat, en particulier l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Le président a restitué des œuvres d’art premier pourtant conservées dans des collections publiques (et donc à ce titre inaliénables) aux pays africains, dont ils étaient originaires (voire l’article de Jérôme Serri pages 34-36 de notre numéro de décembre). Il a qualifié la colonisation de crime contre l’humanisé et a recherché avec l’Algérie les voix d’une mémoire commune (n’obtenant en retour que des rebuffades). Il a promu la diversité, y compris au sein de la haute fonction publique (c’était une des motivations de sa réforme de l’ENA). Il a pris, sur la question du multiculturalisme ou l’existence au contraire d’une identité nationale, des positions chaloupées. Sur tous ces sujets, Emmanuel Macron est allé aussi loin que le permettaient le contexte politique et son statut de président d’une république une et indivisible.

Macron se situe dans la droite ligne de ses prédécesseurs et si rupture il y a, elle tient plus à la forme de son pouvoir solitaire et affranchi des lourdes structures partidaires, qu’au fond des politiques suivies

Europe ouverte à tous les vents, progressisme « sociétal », défense de l’État social : Emmanuel Macron a porté haut et fort ce mix politique mais il ne l’a pas inventé. Avec quelques nuances ou quelques inflexions, celui-ci inspire les gouvernements successifs depuis le milieu des années 1980. La spécificité de l’actuel président est d’avoir voulu en accentuer le contenu et en accélérer le rythme. Pour le reste, il se situe dans la droite ligne de ses prédécesseurs et, si rupture il y a, elle tient plus à la forme de son pouvoir solitaire et affranchi des lourdes structures partidaires, qu’au fond des politiques suivies. Emmanuel Macron, c’est le jeune énarque pressé qui licencie pour insuffisance professionnelle ou pour trop faible investissement personnel la vieille classe politique. Le problème, pour celui qui l’a si bien incarné, c’est que ce programme a aujourd’hui terriblement vieilli et présente de réels signes de faiblesse.

Fin de la récréation

L’Europe d’abord. L’Union européenne ne parvient pas, c’est un euphémisme, à protéger ses citoyens dans la mondialisation. L’Europe-puissance est une utopie française à laquelle personne ne croit plus. Le « couple franco-allemand » n’existe que dans les phantasmes du conjoint délaissé et d’ailleurs, personne en Allemagne n’utilise cette expression. Le bilan de Mme Merkel, partie sous les louanges des commentateurs français énamourés, se résume à trois décisions unilatérales aux effets pour le moins contestables : la sortie du nucléaire en 2011, le traitement draconien appliqué à la Grèce entre 2010 et 2015, l’accueil sans condition de 1,5 million de « migrants » en 2015. L’idée que la nation prise isolément serait une formule dépassée et que de vastes ensembles pèseraient davantage dans un monde globalisé est tout simplement fausse, comme le montrent, depuis trente ans, les succès économiques de la Corée du Sud, de Taïwan, d’Israël ou de Singapour… L’Union est fragilisée et Emmanuel Macron ne pourra plus, comme en 2017, conclure sa campagne aux sons de l’Hymne à la joie.

Emmanuel Macron rencontre de jeunes sportifs lors d’und éplacement à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis), dans le cadre de la préparation des Jeux olympiques, 14 octobre 2021. Crédit: Denis Allard/Leextra/Leemage.

Le modèle de redistribution sociale gonflé pour contenir les effets de la mondialisation s’essouffle lui aussi. Il alimente un déficit récurent et une dette grandissante, qu’une hausse des taux d’intérêt rendrait insupportable. L’évolution du système suscite également des interrogations. Depuis plus de quarante ans, les gouvernements successifs, sans sacrifier les mécanismes d’assurance, ont privilégié des logiques d’assistance. Emmanuel Macron a, plus que les autres, revendiqué cette inflexion, affirmant, en 2017 dans une interview au Point, sa préférence pour un système de solidarité de type « beveridgien ». Or, si celui-ci est plus redistributif, il est aussi moins intégrateur que le système d’assurance « bismarckien ». Il sépare nettement ceux qui reçoivent les prestations de ceux qui les financent, souvent lourdement, sans jamais vraiment en bénéficier, y compris lorsqu’il s’agit de salariés modestes ou de petits travailleurs indépendants. Cette rupture du lien contributif est probablement une des causes profondes du mouvement des Gilets jaunes. Emmanuel Macron peut-il continuer sur cette voie au risque de fracturer encore davantage la société ? Doit-il au contraire renouer avec les mécanismes d’assurance, ceux de la « Sécu » de 1945, par exemple en développant un nouveau risque pour l’extrême vieillesse et la dépendance ? La protection sociale mériterait en tout cas d’être un sujet majeur de la présidentielle.

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Restent les questions sociétales, et là encore, les perspectives sont délicates. Depuis un an, le président lui-même semble ralentir la cadence. Sur la question sensible de l’allongement du délai de l’IVG de douze à quatorze semaines, il a tempéré les ardeurs de sa majorité. Dans le dossier brûlant de l’euthanasie, revenu dans débat parlementaire en avril dernier à la suite du dépôt d’une proposition de loi, le gouvernement est resté curieusement neutre. Emmanuel Macron veut-il réserver ces sujets électoralement porteurs, mais lourds de passions concurrentes, à sa prochaine campagne ? A-t-il au contraire compris que toute nouvelle « avancée » en entraîne une supplémentaire sur la route sans fin du progressisme et que l’affirmation sans limite des droits des individus ou, pire encore, des communautés, minait la cohésion sociale ?

Quoi qu’il en soit, il ne peut aller à l’élection avec le logiciel de 2017 : les Gilets jaunes et le Covid ont tué la « start-up nation ». De même, il serait risqué de ne compter que sur son bilan, forcément en demi-teinte, ou sur la médiocrité supposée de ses adversaires : l’élection présidentielle se joue en effet toujours sur un projet. Le président a-t-il changé ? La timide relance du nucléaire, le plan d’investissement de 30 milliards d’euros présentés le 12 octobre, l’insistance donnée à la relocalisation et la réindustrialisation sont-ils les signes d’une inflexion sinon vers le souverainisme (on ne lui en demande pas tant), mais au moins vers davantage d’euro-réalisme ? La baisse drastique des visas accordés aux ressortissants des pays du Maghreb préfigure-t-elle une nouvelle politique de l’immigration ? Le président sortant ne peut plus rester dans le « en même temps ». Pour survivre, il doit se réinventer.


[1] Ce texte a été publié le 1er décembre dans le magazine Causeur, avant les résultats du Congrès LR.

Il paraît que «Gestapette», c’est homophobe!

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Devant des étudiants qui le relançaient sur Vichy, Eric Zemmour a rappelé que le ministre de l’Éducation sous Pétain était notoirement homosexuel, et que les résistants le surnommaient «Gestapette». Pour ses adversaires, cela est suffisant pour intenter un nouveau procès en homophobie au candidat à la présidentielle…


Le désormais candidat à la présidentielle avait été invité vendredi 10 décembre à parler devant des étudiants de l’ESCP, grande école de commerce. Dans Libération (ça ne pouvait pas être ailleurs), une pétition, signée par d’autres étudiants et anciens étudiants, proteste contre sa présence.

Il est fait grief à la direction de l’ESCP d’avoir, sous couvert de « neutralité », ouvert les portes de l’école à un raciste, nationaliste, fasciste, et j’en oublie.

Mais le principal reproche est que Zemmour est homophobe. En effet, il a fait rire en évoquant : « un ancien ministre notoirement homosexuel qu’on surnommait Gestapette ». Relativisons son crime. L’homme affublé de ce sobriquet c’était Abel Bonnard. Zemmour connaît bien l’Histoire de France et en particulier celle de Vichy. Pour une fois on ne lui cherchera pas querelle sur cette question.

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Abel Bonnard fut ministre de l’Education nationale pendant l’Occupation. Homosexuel affiché, il ne dissimulait en rien ses penchants. Car sous Vichy, c’était plutôt bien vu. Ainsi du maréchal Lyautey, célébré comme un héros par Pétain, on pouvait dire : « il a des couilles au cul, mais ce ne sont pas les siennes ».

Farouchement antisémite, Abel Bonnard trouvait le maréchal trop mou à son goût. Il s’engagea donc corps et âme dans la collaboration avec les nazis. Les résistants lui collèrent alors l’appellation de Gestapette. Et aujourd’hui on ne pourrait plus le dire ? Nous espérons que Gestapette, condamné à mort à la Libération, ne figure pas au Panthéon des associations LGBT…


Mont Valérien: indignez-vous!

Un message infamant a été découvert hier sur le monument honorant les résistants et nos combattants de la Seconde Guerre mondiale. Le président Macron a dénoncé une « insulte à la mémoire de nos héros » et a affirmé que « souiller ce lieu sacré de la République, c’est porter atteinte à ce qui nous unit. » Les coupables seront « retrouvés puis jugés » a-t-il promis.


L’unanimité est souvent gênante, mais parfois salutaire. Elle est aujourd’hui nécessaire. Que chacun condamne les dégradations commises au mémorial du Mont Valérien ! Ceux qui y sont honorés méritent que tous, qui que nous soyons, et de mille manières, nous fassions entendre nos voix pour les saluer et effacer la profanation de leur sanctuaire.

Une infamie

Site sacré pour les Celtes, qui doit son nom peut-être à un ermite chrétien, peut-être à un empereur païen, lieu où Sainte Geneviève aurait conduit ses moutons, ermitage et monastère, forteresse. Sous l’occupation, le Mont Valérien fut le théâtre de plus d’un millier d’exécutions de résistants et d’otages. C’est le Général De Gaulle qui décida d’y faire ériger un mémorial, à l’entrée d’une crypte dans laquelle reposent les corps de dix-sept héros du combat contre l’horreur nazie, hérauts et symboles de tous leurs compagnons de lutte, de sacrifice et de victoire.

Lundi matin, tracé sur ce mémorial : ANTIPASS, graffiti stupidement écrit là où il n’a rien à faire, déni d’humanité comme toute profanation de tombeau. Mais pire : le double S dessiné comme l’emblème de la SS, et ça, en ce lieu, c’est une infamie particulièrement odieuse.

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Qu’importe ce que l’on pense du passe sanitaire, aucune cause ne saurait justifier ce sacrilège. Il est étrange de parler de sacrilège dans une République qui vient de commémorer la laïcité ? Alors assumons l’étrangeté. Le sang versé par nos aînés pour la France et pour l’humanité de l’Homme est sacré, au-delà de toute croyance et de toute considération politique.

Sentinelles d’humanité

Il faudra, plus tard, réfléchir à ce que cette profanation dit de notre époque. Époque du saccage de l’Arc de Triomphe, et d’un manque évident de respect envers le travail et la foi des anciens bâtisseurs de Notre-Dame. Il faudra nous rappeler que le sacré du Mont Valérien ne doit pas être rabaissé à des incantations politiciennes pour excommunications faciles, qui le souillent en le transformant en idole, alors qu’il est une icône. Il faudra se demander si invoquer sans cesse et n’importe comment, sans la moindre pudeur, la mémoire d’une époque terrible où la grandeur et la bassesse furent toutes deux poussées à leur paroxysme, n’a pas contribué à désacraliser cette mémoire, et ainsi à en permettre la profanation. Et il faudra enquêter et sanctionner, sans la moindre faiblesse, quels que soient les coupables.

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Mais recueillons-nous d’abord. Prenons un moment pour restaurer le sacré en saluant dix-sept braves, dix-sept héros, dix-sept sentinelles d’humanité, selon la belle formule de Robert Redeker. Pour leur rendre hommage, en signe de respect et de gratitude. Et avec eux, en disant  leurs noms comme si nous étions dans cette crypte et longions leurs cercueils, saluons-les l’un après l’autre, et saluons tous ceux qu’ils représentent…

  • Boutie Diasso Kal
  • Edmond Grethen
  • Raymond Anne
  • Maboulkede
  • Berty Albrecht
  • Maurice Debout
  • Pierre Ulmer
  • Georges Brière
  • Hubert Germain
  • Alfred Touny
  • Jean Charrier
  • Allal Ould M’Hamed Ben Semers
  • Hedhili Ben Salem Ben Hadj Mohamed Amar
  • Henri Arnaud
  • Maurice Duport
  • Antoine Mourgues
  • Renée Lévy

Aux morts !

(Re)voir aujourd’hui «Seul contre tous»?

Un film à (re)découvrir urgemment… mais à ne pas placer devant toutes les mirettes!


Gaspar Noé, l’enfant terrible du cinéma de genre français fut l’un des invités d’honneur du Paris International Fantastic Film Festival (PIFFF), qui fêtait cette année son dixième anniversaire avec une programmation hors-norme. L’occasion d’une projection spéciale de son film culte, le très politique et sans concession « Seul contre tous », dans une magnifique copie personnelle apportée spécialement pour l’événement par le réalisateur franco-argentin de 57 ans, coutumier des déambulations cannoises et des œuvres-coups de poing : « Irréversible », « Enter the Void », « Love », « Lux Aeterna »

Toujours est-il que 22 ans après sa première sortie en salles, l’onde de choc de « Seul contre tous » reste d’une violence inouïe et remue plus que jamais les entrailles de cette « France profonde », entrant du coup étrangement en résonance avec le contexte socio-politique actuel…

Jamais sans ma fille !

Attention film ovniesque et rejeton mal élevé du cinéma français qui remporta le Prix de la Semaine de la Critique ainsi que le Prix très Spécial lors du 51e Festival de Cannes en mai 1998. « A chaque vision, le film me donne la patate pour au moins trois semaines » (Jean-Pierre Jeunet) ; « Un vibrant plaidoyer pour l’inceste qui ne saurait laisser indifférent » (Christophe Gans) ; « Abjectement sublime » (Albert Dupontel) ; « Aussi fort que du Céline » (Marc Caro) ; « Un superbe fist-fucking cinématographique » (André Bonzel)…

Pourrait-on aujourd’hui réaliser, financer, distribuer et diffuser un tel film ? On serait tentés de répondre immédiatement par la négative tant le déluge de propos politiquement incorrects éructés ad nauseam, en voix-off et en monologue intérieur par l’anti-héros du film est vertigineux. Sans parler de quelques scènes hyper transgressives et très graphiques (les spectateurs s’en souviennent encore…) qui susciteraient immédiatement un immense scandale avec manifestations, menaces de censure, boycotts, représailles et autres types d’actions en meutes pilotées par nos lobbys catégoriels préférés ! La star du film, c’est « Lui », un boucher chevalin de 50 ans, sans nom défini et magnifiquement incarné par le regretté Philippe Nahon, figure du cinéma bis hexagonal, qui trouvait là le rôle de sa vie avec une stature physique et un jeu animal et sensitif à la Gabin.

Ouvertement raciste, xénophobe, germanophobe, homophobe, misogyne… et, last but not least, père incestueux, il coche pourtant toutes les cases de l’infamie morale/ juridique/politique/sociétale. Comment en est-on arrivé là ? C’est bien entendu le levier le plus intéressant d’un métrage explicitement provocateur et outrancier mais pas forcément auto-satisfait et complaisant. Autrefois propriétaire d’une boucherie chevaline à Pantin, en banlieue parisienne, il a tout perdu pour avoir planté un « ouvrier arabe » qu’il a cru à tort responsable d’un prétendu viol commis sur sa jeune fille Cynthia, handicapée mentale (impressionnante Blandine Lenoir dans ce rôle sans parole). Le ton est donné ! On le retrouve quelques mois plus tard en 1980. Sorti de prison mais sans le sou, il est amené à vivre au crochet d’une plantureuse patronne de bar au look très germanique (formidable Frankye Pain) qu’il vient en plus d’engrosser. Décidé coûte que coûte à ne pas garder l’enfant et à repartir de zéro afin de vivre une « histoire spéciale » avec sa propre fille, le « seul amour de sa vie », il sait que tous les moyens lui seront « moralement justes » pour y parvenir ! Ce qui le conduit à une longue errance, avant tout méditative, à travers une effroyable nuit glauquissime faite de rancœurs, humiliations, frustrations, violences et haines en tout genre, débouchant in fine sur un étrange et improbable halo de lumière…

Une France déclassée et clochardisée

Le génie de ce premier film professionnel, entrepris en fait dès 1991 (à l’âge de 28 ans !) à travers son moyen-métrage « Carne », dont il prolonge puissamment ici la trame narrative et les lignes de force, est de suivre la lente dérive vers les abysses de la folie de ce boucher « français moyen » à travers ses allers-retours entre banlieues parisienne et lilloise, agrémentés (si l’on peut dire) des rencontres fortuites réalisées au cours de son parcours erratique. L’occasion surtout de scruter au plus près cette France blafarde et « rance » (ce terme, anagramme de « Carne » devait initialement figurer le titre du film !), une France périphérique des marges, des exclus, des frustrés, des oubliés et finalement des vaincus de l’ordre économique libéral et bourgeois sans-frontièriste du début des années 80.

Reprenons le pitch. Suite à la condamnation pénale de notre boucher, son affaire a été reprise par des « arabes » et lorsqu’il sort de tôle, il ne reconnait plus son pays et se sent pour la première fois « comme étranger chez lui ». Il va surtout expérimenter la profonde crise économique et sociale, post chocs pétroliers que traverse alors l’Hexagone. « Pauvre France, toute la misère du monde s’abat dessus. Plus d’usine, plus de travail, rien que des ruines et des chômeurs. »  

Et lorsqu’un de ses anciens clients, un Directeur d’abattoir, symbole du bourgeois parvenu, de surcroît bisexuel, lui refuse un emploi d’équarisseur en raison de son casier judiciaire, notre boucher voit rouge et se radicalise encore plus, donnant libre cours à un succulent monologue : « Pourquoi y-a-t-il toujours autant de pédales chez les bourgeois ? C’est sans doute dû à l’absence d’efforts physiques ! Leurs gènes deviennent mous et dégénérés. Plus ils ont l’air bien cravatés et plus ils sont crétins ! Elle est bien gouvernée la France ! ».    

Noé prend toutefois soin de renvoyer dos-à-dos les deux extrêmes politiques puisqu’il nous dépeint avec force détails la misère urbaine, sociale, populaire de ces banlieues rouges, à Paris ou à Lille, signifiant ainsi la faillite du communisme municipal tout en brocardant également cette prétendue « France raciste et néo-pétainiste ».

« A aucun moment, je n’ai voulu dresser le portrait d’un fasciste ! plaide Noé. C’est juste le portait d’un homme qui a perdu sa boutique et qui bascule dans l’aigreur, dans la haine de l’autre. Le désespoir d’un mec de 50 piges dans la dèche, en pleine crise alimentaire, personnelle, qui n’arrive même pas à s’acheter un bifteck. Pour moi, ça ne va pas plus loin. »

Quelles ont été alors les influences directes de Noé ? « Je suis arrivé en France à Paris à l’âge de 13 ans [ses parents ont fui la dictature militaire argentine en 1976- NDLR] et j’ai eu plaisir à découvrir en vente libre des BD érotiques, des magazines pornos avec des filles à poil, des journaux libertaires comme Hara-Kiri puis un jour à la TV je découvre stupéfait le film Dupont-Lajoie d’Yves Boisset montrant une France dure, radicale, raciste, détestant les Arabes et cela a été un vrai choc pour moi. J’ai ensuite pensé à Philippe Nahon pour sa carrure à la Le Pen que l’on voyait alors affiché partout sur les murs de France dans les années 80 avec plusieurs slogans tapageurs du Front national. »

Alors, tous pourris ? Pas tout à fait puisque seul Robespierre représente la figure révolutionnaire du Sauveur aux yeux du boucher : « Ce sont des types comme Robespierre qui feraient du bien à la France. Le problème c’est qu’aujourd’hui, les gens sont trop aidés pour faire la Révolution. Tout ce qu’il reste, ce sont des vengeances à titre personnel comme la mienne ! »

Et si finalement l’essentiel n’était pas ailleurs ? Loin de la dimension socio-politique, ne s’agit-il pas plutôt d’un grand film romantique sur le passage destructeur du temps, dont la corrosion détruit tout, les êtres, les chairs, les mémoires, les souvenirs, sauf l’amour éternel filial ?       

En DVD chez Studio Canal.

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Zemmour le dynamiteur

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Tous ses petits compagnons de jeu – les candidats à la présidentielle 2022 – l’accusent d’hystériser la vie politique. Mais c’est leur propre hystérie qui est vraiment remarquable !


Les Républicains l’imitent, quoique tardivement. Une bonne partie de la gauche s’enferre dans son déni et sa paranoïa. En se portant candidat à l’élection présidentielle, Éric Zemmour provoque une agitation instructive dans le vieil entre-soi des gens de pouvoir qui façonnaient tranquillement l’opinion publique jusque-là. On dirait des mômes attirés et révulsés par la violence du cador de la cour de récré ! Tous désapprouvent sa tyrannie et le craignent, et tous sont fascinés par lui et aimeraient bien s’imposer aussi efficacement.

À droite, le RN inquiet…

Parmi ces mômes, on retrouve ceux qui voudraient être comme lui mais n’osent pas (ou plus) par souci de relégation ou de validation sociale : la droite politique LR et le RN principalement. Le cador historique de la droite nationaliste et patriotique – le RN et sa candidate Marine Le Pen – voit d’un mauvais œil l’arrivée de ce mouflet qui frappe plus fort. Ses thèmes les plus porteurs (souveraineté, immigration, islam, identité) sont aussi ceux de l’ancien journaliste, qui rencontre naturellement son public – tandis que la porosité d’une partie de l’électorat RN n’est un mystère pour personne.

France TV

Logiquement, Marine Le Pen et son état-major se sentent menacés dans leur stratégie de normalisation et réagissent : la vidéo de candidature de Zemmour ? « Passéiste et crépusculaire. «  Zemmour ? Un « polémiste » qui « n’apporte rien » et déploie « une forme de brutalité« . Ces attaques semblent mues par une double inquiétude. Celle de voir une partie de son électorat se tourner vers lui dès le premier tour, et celle née de la contestation de la stratégie par une partie de ses cadres (Nicolas Bay, Philippe Vardon ou Stéphane Ravier par exemple, à en croire le Huffington Post). Le Pen le reconnaît elle-même : Zemmour est « un concurrent » qui « disperse des voix qui sont utiles au redressement du pays.« . La baronnie RN est menacée, et le sent.

… et LR envieux ?

Pour LR, c’est différent. La droite traditionnellement libérale, européiste et mondialiste ressemble au gringalet fasciné par la brute Zemmour. Le parti qui enverra Valérie Pécresse à l’élection semble tenaillé par des sentiments ambivalents, entre attraction et répulsion. L’équation est simple : LR craint un siphonnage de ses électeurs les plus à droite. Les candidats à l’investiture LR ont donc été forcés de se positionner sur les sujets prisés par Zemmour, affichant une fermeté parfois opportune sur l’islam, l’identité et l’immigration durant le Congrès.

A lire ensuite: Macron favori, pour quoi faire ?

Envoyée dans la cour, Valérie Pécresse martèle donc un discours fortement régalien pour « mettre fin à l’immigration incontrôlée« , « renforcer la sécurité au quotidien« , ou encore « réarmer notre pays contre l’islamisme et le terrorisme« (octobre 2021) . Qu’elle est loin, la Pécresse qui expliquait que l’islam est « une religion française » (CNews, 2019) ! Forcée par Zemmour à sortir du bois et à se positionner plus fermement, Pécresse sera jugée sur ses éventuels revirements rhétoriques en cas de second tour face à Macron.

À gauche, le déni et l’injure

Les mômes de gauche sont eux comparables aux gamins devenus impopulaires qui haïssent le caïd parce qu’il est le centre de l’attraction, et pas eux : ils ont peur de ne pas exister. Mais au lieu de s’adapter, ils paniquent, s’avilissent ou s’enferment dans le déni. Leurs armes : l’anathème, la censure, voire carrément l’injure.

Sans argument, le PS se réfugie dans le reductio ad hitlerum : Zemmour a « le discours de Pétain » (Olivier Faure), ou alors c’est carrément un « négationniste » (Anne Hidalgo). La maire de Paris claironne même son refus de débattre avec celui qu’elle traite de « guignol« . Plutôt que se retrousser les manches et remonter la pente, elle préfère les mantras apotropaïques, piètres faux-fuyants pour éviter une prévisible mise en charpie si un tel débat avait lieu.

Même son de cloche chez EELV ou au PCF : pour Yannick Jadot, Zemmour est un « petit collabo de salon« .(BFM, 17 octobre) Plus littéraire, Fabien Roussel paraphrase Robert Merle : « La haine est son métier« (Twitter, 30 novembre). Le candidat PCF, qui s’était pourtant distingué en abordant les questions d’identité, de protectionnisme économique et d’immigration, semble avoir mis depuis de l’eau dans son vin.

Mélenchon se distingue lui par une attitude ambivalente. Le candidat LFI avait déjà accepté un débat télévisé avec Zemmour et expliquait que l’interdiction de son meeting à Villepinte n’était « pas le principe de la démocratie« (BFM, 3 novembre). Ses lieutenants – Alexis Corbière ou Clémentine Autain – semblent bloqués eux dans leurs vieux réflexes : Zemmour est « haineux » (pour Corbière, cette assertion tient lieu d’argument) ; et pour Autain, il faudrait lui interdire de s’exprimer ! Mélenchon n’oublie donc pas de rassurer ses troupes lors de son meeting à La Défense : oui, Zemmour est « l’ennemi du genre humain » et veut faire de nous « la France qui a peur« . Mamma mia !

À gauche, les ambitions élyséennes de Zemmour agissent donc comme une mise en lumière extrêmement crue. Incapables de se renouveler et de séduire, ces mômes sous-entendent, injurient, veulent interdire. Toute une conception de la démocratie !

Il agit, ils réagissent

Le tableau est assez clair : c’est Zemmour qui impulse la dynamique et le rythme de ce début de campagne présidentielle. Conscients que ses propos rencontrent une adhésion puissante et sans artifices à des lieues de l’enthousiasme tiède qui prévaut ailleurs, le reste de la sphère politique se cabre, séduit, crache, hésite, singe, nie, bref : adapte son comportement au trublion qui met le bazar dans la cour de récré.

Pour certains, cette adaptation prend la forme de revirements et d’atermoiements dont la sincérité paraît douteuse. Les autres préfèrent accélérer leur fuite en avant pour éviter de se demander pourquoi Zemmour trouve dans une partie du peuple une oreille si attentive. Le déni devient un délire paranoïaque.Que l’on soit d’accord avec lui ou non, Éric Zemmour agit et les autres mômes réagissent. Il dynamite ? Ils sont en pétard.

« Le voile, c’est l’islamisation par le bas »

La révolution iranienne a prouvé qu’il était possible d’islamiser une société entière. Avec une efficacité redoutable, les Frères musulmans instillent leur idéologie radicale en Occident. Et pour mener sa guerre sainte, cette internationale islamiste peut compter sur un allié de taille: la cancel culture.


Causeur. Une célèbre vidéo montre le président égyptien Gamal Abdel Nasser se moquer des Frères musulmans (FM) qui voulaient imposer le voile à toutes les Égyptiennes. Que nous apprend-elle sur le processus de voilement dans les pays musulmans ?

Florence Bergeaud-Blackler. Dans cet extrait, très populaire sur les réseaux sociaux, Nasser rapporte sa réponse ironique à un responsable des FM qui lui aurait demandé de généraliser le port du voile : « Vous avez une fille à la faculté de médecine et elle ne porte pas le voile, pourquoi ne l’obligez-vous pas à le porter ? Si vous n’arrivez pas à faire porter le voile à une seule fille qui en plus est la vôtre, comment voulez-vous la faire porter à 10 millions de femmes égyptiennes ? » Ce qui fait éclater de rire son public, essentiellement composé d’hommes d’ailleurs. On a surinterprété ce passage comme témoignant d’une société égyptienne laïque et globalement hostile au voilement des femmes. En fait, Nasser ne se moque pas du voile mais du fait que les Frères musulmans n’ont pas d’autorité sur leurs propres filles.

A lire aussi: Causeur #96: Balance ton voile!

Bien après ce discours de Nasser, des femmes afghanes, arabes, iraniennes ou pakistanaises ont été filmées en jupe courte et la tête nue. Qu’est-ce qui leur est arrivé, à elles, à leurs filles et petites-filles ?

Il ne faut pas se méprendre. Ces images en noir et blanc des années 1960 que l’on voit circuler sur les réseaux sociaux sont celles d’une petite frange éduquée de la population urbaine qui n’a pas eu le temps d’imposer ses mœurs laïques à la majorité. Ces femmes ont succombé à la vague islamiste portée par les déclassés et les classes populaires urbaines des années 1970. La modernité séculière est devenue l’ennemie à abattre, caricaturée comme mouvement athée venu d’Occident. Quand elles n’ont pas été expatriées ou persécutées, les élites dites laïques ont cédé aux islamistes un certain degré d’islamisation, notamment par le biais du code islamique de la famille. Elles s’occupent du politique, les islamistes de la société. C’était exactement ce que souhaitaient les Frères musulmans qui ne pensent pas dans le cadre de l’État-nation, mais de l’Umma, et veulent instaurer une société islamique transnationale. Contrairement à certains partis islamistes, les Frères musulmans n’ont pas de réelles ambitions politiques nationales. Ils réislamisent « par le bas » ou « par le haut » – en passant par les organisations internationales.

Le voilement est un maillon essentiel du plan de réislamisation des Frères…

Ils ont pourtant remporté des élections en Égypte et en Tunisie au début des années 2010.

Oui, mais cela n’a pas duré. Aujourd’hui c’est la frange internationaliste de la confrérie, en particulier celle qui opère depuis les pays occidentaux, qui est la plus influente. Et son modus operandi est le soft power qu’elle met en œuvre à travers des organisations intergouvernementales comme l’ONU ou le Conseil de l’Europe pour diffuser sa norme.

Quel rôle jouait le voile dans l’islamisation de l’Iran des années 1960-1970 ?

L’instauration de la République islamique en 1979 a galvanisé les forces sociales porteuses de l’islamisation partout, y compris dans des pays sunnites. L’exemple de l’Iran montre qu’il est possible d’islamiser une société dans son intégralité. Or, la société islamique est fondée sur une distinction fondamentale : le féminin et l’intérieur d’une part et le masculin et l’extérieur de l’autre. À chaque sexe sont associées des valeurs et des compétences propres qui permettent d’établir et de conserver l’ordre tel que Dieu l’a demandé. Cette polarité structure la société islamique idéale. Le voilement du corps des femmes est destiné à invisibiliser la présence féminine dans l’espace public, pour la réserver aux proches et hommes de la famille, tout en permettant aux femmes de participer à l’économie de la société. Les wahabo-salafistes, les talibans, prônent une tenue entièrement couvrante et très handicapante qui dissuade les femmes de sortir. Plus pragmatiques, les Frères et les mollahs qu’ils ont influencés laissent une certaine liberté aux femmes pour des raisons économiques et politiques. Mais cela ne doit durer que le temps nécessaire à l’avènement de la société islamique. Elles devront alors rentrer à la maison. Enfin, dans l’Iran d’aujourd’hui, malgré le courage de certaines femmes, le dévoilement n’est pas à l’ordre du jour.

Pour diffuser la norme salafiste, le monde du halal qui propose aussi bien de quoi manger, de quoi se vêtir, avec qui se marier et voyager, est bien plus efficace que les prêches des mosquées

Quand et comment le voile fait-il son apparition en France ?

Le voilement est un maillon essentiel du plan de réislamisation des Frères, comme l’indique un document de l’Isesco (Organisation du monde islamique pour l’éducation, les sciences et la culture) intitulé « La stratégie de l’action islamique culturelle à l’extérieur du monde islamique ». C’est également le message porté par la plupart des discours adressés à l’Europe par le mentor des Frères européens, Youssef al-Qaradawi. L’éducation du musulman est centrale dans leur approche, et il revient à la femme de l’assurer. Il faut donc absolument préparer les femmes à ce rôle primordial et les soustraire à toute autre influence.

Ce sont donc les Frères musulmans qui sont responsables de la propagation du voile en France ?

Oui. Le frérisme est un mouvement à la foi politique et religieux dont la stratégie fonctionne par étapes. L’objectif est de conduire le « mouvement islamique » vers la société islamique, selon les méthodes établies par l’Égyptien Hassan el-Banna et l’Indo-pakistanais Abu Ala Maududi, les deux grandes figures du frérisme. Comme je le montre dans mon prochain livre, le frérisme est un système d’action qui sait ce qu’il veut. Cette clarté et cette détermination lui donnent une force sans pareil face à nos sociétés qui s’interrogent sur leurs valeurs, et qui sont emportées depuis une trentaine d’années par une vague d’autodestruction que l’on appelle aujourd’hui le « woke ». Les Frères ont trouvé des alliés dans ces divers mouvements qui font un travail de déconstruction épistémologique et politique de l’Occident, ce qui représente une étape essentielle dans leur programme d’« islamisation du savoir », qu’ils ne pourraient pas mener à bien seuls.

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En même temps, le slogan « Mon voile, mon choix » joue sur des valeurs occidentales fondamentales… Est-ce qu’on peut, dans le cas du voile en France, évacuer complètement l’exercice d’une liberté individuelle ? Comment fonctionne le contrôle social ?

L’imitation et la subversion sont deux tactiques fréristes redoutables. Il s’agit d’emprunter le vocabulaire, donc les concepts et valeurs, des démocraties libérales pour les retourner contre elles. Le slogan « Mon voile, mon choix » résulte de l’endoctrinement des jeunes femmes musulmanes à qui des Frères, comme Tariq Ramadan, ont fait croire que l’islam était « féministe », avec des arguments du genre « l’islam est venu interrompre les pratiques préislamiques d’enterrement des bébés filles ». Dans des familles où la violence psychologique ou physique à l’égard des filles – comme la séquestration – sont des pratiques « éducatives » assez courantes, l’islam a été compris par certaines jeunes femmes comme un moyen d’émancipation. Quand elles disent « mon choix », elles disent surtout que leur choix c’est d’être plus musulmane que les hommes qui veulent diriger leurs conduites. Voilà le fondement de leur posture féministe. C’est ce que j’ai appelé la « surenchère du halal » et que le psychanalyste franco-tunisien Fethi Benslama appelle « le syndrome du surmusulman ». Évidemment elles ne font que renforcer la norme religieuse qui reste sous le contrôle des hommes. Elles s’enferment dans un cercle vicieux au nom de la liberté et rendent encore plus difficile la vie des femmes qui veulent rester musulmanes sans porter le hijab.

Manifestation contre l’islamophobie, Paris, 10 novembre 2019. (AP Photo/Thibault Camus/Sipa)

Peut-on distinguer des pratiques et des logiques différentes selon les pays ?

Avec la Belge Fadila Maaroufi, nous avons mené des enquêtes en France, en Belgique, au Maroc et au Sénégal pour comprendre le rapport des femmes à la norme religieuse, notamment au halal. Nous avons été surprises de voir à quel point les discours dans ces quatre pays francophones se ressemblent. La grande majorité des jeunes femmes interrogées a rompu avec la vision traditionnelle de la religion qui aurait été « désislamisée » par des générations de musulmans illettrés, appauvris et humiliés par la domination coloniale occidentale. Les théories décoloniales diffusées sur les réseaux sociaux nourrissent leur imaginaire et leur discours victimaire. Ces jeunes femmes pensent avoir trouvé le « vrai islam » et arrivent à en persuader leurs parents. Elles sont convaincues par l’approche salafiste (littéraliste) du texte qui domine sur le marché du livre et des médias islamiques. Il faut suivre les pratiques et prescriptions, pour obtenir le salut au jour du Jugement dernier et éviter ainsi les flammes de l’Enfer… Et en attendant que le moment soit venu, il s’agit de trouver un mari séduisant et pieux comme le prophète. Pour diffuser la norme salafiste et renforcer l’hégémonie frériste, le monde du halal qui propose aussi bien de quoi manger, de quoi se vêtir, avec qui se marier et voyager, est bien plus efficace que les prêches des mosquées, comme je l’ai montré dans Le Marché halal ou l’invention d’une tradition.

On critique souvent l’islam pour ses difficultés à adapter les textes sacrés à des réalités changeantes. Pourtant, dans le cas du voile, on voit comment, sur une base coranique plus qu’ambiguë, on a presque créé un sixième pilier de l’islam.

Cela va tout simplement dans le sens de la surenchère halal. Les musulmans sont les seuls propriétaires légitimes de l’islam et en théorie, en Europe, ils devraient avoir toute liberté pour le faire évoluer. En pratique, c’est une autre affaire. L’Umma est « une et indivisible ». Toute personne qui ose remettre en question le dogme, comme celui de « l’incréation du Coran », la base du littéralisme, est menacée, parfois de mort. Les apostats sont pourchassés sans pitié. Il est devenu presque suicidaire de prendre des positions courageuses. Or il faudrait que les musulmans acceptent que l’islam soit représenté par plusieurs courants comme dans les autres religions. Les Frères l’interdisent, car leur projet est de rassembler tous les courants sous la même bannière.

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L’histoire du voile en France a commencé il y a plus de trente ans avec l’affaire de Creil. Où avons-nous, collectivement, fait des erreurs ?

Oui, il y a eu des erreurs, mais il ne faudrait pas en ajouter une autre : l’anachronisme. Il nous était difficile en 1989 de savoir à quoi nous avions affaire. Les féministes comme Élisabeth Badinter avaient vu juste sur le risque de régression des droits des femmes, mais on ne pouvait pas imaginer que trente ans plus tard nous produirions dans nos écoles des djihadistes capables des pires horreurs, que l’antisémitisme chasserait les juifs de certains quartiers, que des dessinateurs seraient mitraillés, qu’un enseignant serait décapité, que des étudiants demanderaient à des Blancs de s’excuser pour ce qu’ils sont… Cette alliance entre l’idéologie destructrice du frérisme et l’idéologie déconstructrice du wokisme nous habitue peu à peu à accepter que le fait que la terre est ronde soit une option parmi d’autres dans la diversité des opinions. Certains médias, notamment à gauche, portent une lourde responsabilité dans cette dérive. C’est vrai en France, mais encore plus en Belgique, pays qui a quelques années d’avance sur nous dans la généralisation de la cancel culture. Dans Cachez cet islamisme, nous analysons la façon dont la cancel culture nous détourne d’un de nos plus importants problèmes, le fondamentalisme religieux.

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Contesté aux États-Unis après une série de scandales, le Lincoln Project s’attaque aussi à Zemmour

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Le stratège américain Steve Schmidt, cofondateur du « Lincoln Project », lobby anti-Trump aux méthodes contestables, est venu en France pour lancer un avertissement contre Eric Zemmour. En réalité, son comité regroupe aussi ceux qui ont peur de voir la France se retirer du commandement militaire intégré de l’OTAN.


Le « Never Trumper » Steve Schmidt est l’un des sept fondateurs républicains du « Lincoln Project », ce Super Comité d’action politique (PAC) créé en 2019 dans le but d’empêcher la réélection de Donald Trump. De passage en France fin novembre en France, cet ancien collaborateur du président George W. Bush, de John McCain et Arnold Schwarzenegger a exprimé dans L’Obs et Les Échos, avec l’essayiste franco-américain Félix Marquardt, sa crainte de voir Éric Zemmour accéder à l’Élysée.

Le Lincoln Project a récemment été critiqué lors de la campagne pour l’élection gouvernorale du 2 novembre en Virginie après avoir monté une fausse manifestation raciste en faveur du candidat soutenu par Trump. Schmidt avait été accusé en mars dernier par le New York Times de mener une campagne contre l’autoritarisme pour des motifs financiers.

Un comité et des traquenards…

Comme les Démocrates et la plupart des médias, le « Lincoln Project » a accusé Donald Trump de collusion avec la Russie. L’enquête fédérale a récemment démontré que l’affaire du Russiagate reposait sur un dossier monté par l’entourage de la rivale du républicain, Hillary Clinton, conclusions dont seul L’Express a parlé en France parmi les médias de référence. Ce désaveu n’empêche pas le PAC de continuer sa propagande et des journaux français de lui donner la parole.

Alors que l’ancien président américain appuyait le républicain Glenn Youngkin, candidat au poste de gouverneur de Virginie, le « Lincoln Project » avait diffusé des publicités tentant d’associer Youngkin aux manifestations de Charlottesville d’août 2017 contre le retrait de la statue du général Lee auxquelles s’étaient joints de suprématistes blancs. Ces derniers avaient utilisé des torches tiki pour éclairer la ville. Le « Lincoln Project » avait envoyé des manifestants munis de telles torches se tenir devant le bus de campagne de Youngkin et déclarer être d’accord avec son projet. L’entourage politique du gouverneur démocrate sortant Terry McAuliffe, avait aussitôt saisi l’occasion pour dénoncer les idées de Youngkin, mais quelques heures plus tard le « Lincoln Project » a avoué être à l’initiative de l’évènement. Un aveu qui lui a valu les foudres non seulement des Républicains, mais aussi de médias démocrates qui estiment que cela fait le jeu de la défiance envers les opposants à Trump. Depuis sa naissance, le « Lincoln Project » tente d’associer le trumpisme au suprématisme blanc, alors même que le vice-président de la Nation navajo, Myron Lizer, avait déclaré en août 2020 que son peuple n’avait « jamais été invité dans le rêve américain […] jusqu’à ce que le président Trump prenne ses fonctions. » Les accusations du PAC sont également contredites par les propos du célèbre avocat noir et défenseur des droits civiques Leo Terrell, Démocrate devenu Républicain sous Donald Trump, pour qui ce dernier a davantage fait en trois ans pour les Noirs qu’Obama en huit ans.

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Peu importent les faits, Steve Schmidt et son comité tentent d’imposer leur récit présentant l’ancien président et ses soutiens au sein du Parti républicain comme étant racistes. Pour ce faire, ils ont choisi le nom du président Abraham Lincoln, le républicain qui abolit l’esclavage. Aujourd’hui, Schmidt est affilié au Parti démocrate, qui soutint l’esclavage et, dans le sud, la ségrégation raciale… Désormais, il s’attaque également au candidat Zemmour.

Trump, Zemmour, même menace pour la démocratie selon le «Lincoln Project»

Au cours de l’entretien accordé à L’Obs, Steve Schmidt et Félix Marquardt mettent en garde, le premier disant ouvertement être « là pour lancer un avertissement ». Divers pays, dont la France, seraient menacés soit par le populisme, soit par l’autoritarisme, soit par le proto-fascisme. Éric Zemmour est mis dans le même sac que Jair Bolsonaro, Boris Johnson, Viktor Orban, ou encore le Philippin Rodrigo Duterte – qui fait assassiner des trafiquants et consommateurs de drogue. Selon les deux hommes, la disparition des derniers survivants de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah conduit à oublier comment est né et a triomphé le fascisme qui menacerait à nouveau le monde.

Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006

Schmidt ajoute que Zemmour et le Rassemblement national absorbent la droite, et il opère une comparaison avec le Parti républicain qui n’a pas réussi à contrer le glissement vers le trumpisme. Avant d’affirmer que le président avait encouragé et fomenté l’assaut du Capitole, ce sans ignorer que le rapport d’enquête du FBI remis en août n’a pas trouvé de preuve étayant cette accusation.

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Dans son parallèle entre Trump et Zemmour, Schmidt va jusqu’à assurer que l’ancien dirigeant américain accuse les minorités, particulièrement les Noirs, « d’avoir falsifié les résultats de l’élection sans les nommer expressément ». Le soupçon suffit quand bien même il ne repose sur rien hormis un supposé indice : les Républicains veulent que les électeurs présentent des documents d’identité pour voter, ce que refusent les Démocrates – qui assurent pourtant craindre que les élections ne soient truquées -, car certains Américains n’en disposent pas, notamment des Afro-Américains âgés.

Les motivations du «Lincoln Project»: néo-conservatisme et monétisation de l’alarmisme démocratique

Derrière ces accusations présentées comme motivées par le rejet du racisme et le souci démocratique, faut-il voir une opposition à la volonté de Zemmour de retirer la France du commandement militaire intégré de l’OTAN, l’organisation qu’appréciait très peu Donald Trump ? Pour The American Conservative, un magazine de tendance républicaine et anti-interventionniste comme Trump, « Les loups néo-conservateurs sont revêtus des habits Never Trumper ». Dans un article du 10 août 2020, le magazine affirmait que si l’assaut du « Lincoln Project » contre le président était une manne du ciel pour les opposants à ce dernier, c’était un avertissement pour « ceux d’entre nous qui ont été appelés « conservateurs antipatriotiques » pour avoir refusé de suivre les néo-conservateurs qui dominaient Washington avant la guerre en Irak ».

Mais surtout, l’argent semble être la grande motivation du PAC. Le « Lincoln Project »a notamment reçu des dons de milliardaires Démocrates et Républicains durant la campagne présidentielle, et il a été rejoint par d’autres proches politiques du président George W. Bush ou ceux des anciens candidats John McCain et Mitt Romney. En juin de l’an dernier, l’un de ses fondateurs, John Weaver, a été accusé d’avoir sexuellement harcelé des hommes en échange de son appui, et Steve Schmidt a dû quitter le conseil d’administration du PAC pour l’avoir couvert. Le scandale a conduit des donateurs à tarir leur générosité, et les médias de tendance Démocrate ont pris leurs distances.

Dans un article du 8 mars, le New York Times raconte comment Schmidt et d’autres fondateurs ont détourné une partie des 87 millions de dollars reçus par le « Lincoln Project« , en créant une entreprise, LTP Media, dans le cadre de laquelle ils se sont attribué des revenus estimés à des millions de dollars. Pour le New York Times, en dépit des critiques, « les proches de M. Schmidt entendent continuer une campagne médiatique moderne contre les forces mondiales de l’autoritarisme, tout en monétisant leur mouvement. » Cité par le quotidien, Schmidt avait expliqué refuser de démissionner, car il y avait urgence à lutter contre « un véritable mouvement autocratique qui constitue une menace pour la démocratie ». D’autres organisations d’anciens membres du Parti républicain opposés à Donald Trump ont vu le jour pour contrer le président qui avait remporté 94 % des votes lors des primaires de 2020. Ainsi, durant la campagne présidentielle, 200 responsables ayant servi dans les gouvernements Bush entre 2001 et 2009 avaient lancé le Super Pac 43 Alumni for Biden, mais sans obtenir la même visibilité que le « Lincoln Project » qui publie quantité de vidéos contre Trump.

Effondrement du niveau en mathématiques: réquisitoire contre les fossoyeurs d’une excellence française

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L’avenir de la France se joue aussi dans l’enseignement des mathématiques à l’école. Qu’attendons-nous pour relever nos exigences en la matière ?


Souvent relayé par les médias à l’occasion de la sortie des divers classements internationaux, le constat est implacable : le niveau des élèves français en mathématiques n’a pas seulement baissé avec une étonnante régularité ces dernières décennies, il s’est effondré. Alors qu’il y a encore trente ans notre enseignement des mathématiques était universellement reconnu comme étant l’un des meilleurs du monde, nous sommes aujourd’hui classés derniers des pays de l’Union Européenne, et avant-dernier des pays de l’OCDE, derrière le Kazakhstan [1]!     

« On peut parfaitement exceller en mathématiques sans calculer correctement. Il ne faut pas dégoûter les élèves avec ça. » Cette phrase, maintes fois entendue en formation par des générations d’enseignants consternés, est la mère de tous les reniements…

Les répercussions de cet effondrement se font d’ailleurs sentir dans toute la société. Interrogez un peintre en bâtiment : il vous expliquera que ses stagiaires sont incapables de prévoir les quantités de peinture nécessaires, faute de savoir calculer la surface d’un rectangle. Demandez à une infirmière expérimentée : elle vous apprendra que ses jeunes collègues sont souvent perdues dans leurs dosages car vaincues par une règle de trois…

Exagération ? Pessimisme outrancier ? Si votre enfant est au lycée, faites ce test : demandez-lui d’effectuer une addition à quatre chiffres, une soustraction de même, une multiplication à deux chiffres, et une division d’un nombre supérieur à 1000 par 12. Sachez que si votre enfant parvient sans aide extérieure à effectuer ces quatre opérations à la main, il fait désormais partie d’une élite. Ne vous réjouissez pas trop vite : faites le test d’abord. L’expérience de tout enseignant à ce niveau montre que votre enfant a moins d’une chance sur dix de le réussir. Il va de soi que si ces notions extrêmement basiques ne sont pas maîtrisées, le reste est à l’avenant.

La France, terre historique d’un enseignement des mathématiques redoutablement performant

Pourtant, dans le monde entier, tout élève du secondaire, comme du supérieur, peut constater la surprenante occurrence de patronymes français dans la dénomination des grands théorèmes au programme. Cette réalité témoigne de l’importance de l’école française de mathématiques au cours de l’histoire, et notamment à partir de l’Époque Moderne. Descartes, Pascal, Fermat, Fourier, Laplace, Cauchy… Tous ces grands noms, et tant d’autres qui sont venus s’y ajouter depuis, ont irrigué l’enseignement des mathématiques.

Consciente de cette tradition, et convaincue de l’importance stratégique des mathématiques durant la révolution industrielle, l’école de la Troisième République mettra un point d’honneur à faire exceller le système éducatif français en la matière. Pendant un siècle, les élèves français ont bénéficié de ce qui peut se faire de mieux en termes de pédagogie et de contenus. Les résultats parlaient d’eux-mêmes : à la sortie du primaire, on maîtrisait parfaitement le calcul numérique et les constructions géométriques. On était en mesure de résoudre des problèmes assez complexes, comme les fameux « problèmes de robinets ». À la sortie du collège, la maîtrise du calcul algébrique élémentaire était complète et l’étude de la géométrie classique permettait une entrée très exigeante dans la notion de démonstration. Jusque dans les années 80, l’organisation des filières scientifiques en sections C et D réalisait un compromis remarquable entre excellence et accessibilité. Les meilleurs lycéens dépassaient un solide BAC+1 d’aujourd’hui…

A lire ensuite: Qui a eu cette idée folle, un jour de fermer l’école?

Comment donc sommes-nous passé d’un tel niveau d’excellence à la situation actuelle ? S’il est indispensable d’en comprendre les causes, elles sont loin d’être aussi complexes et multifactorielles qu’on veut le faire croire.

Avant toute chose, qu’est-ce qu’un « bon » enseignement des mathématiques ?

Les mathématiques forment une discipline fondée sur la manipulation et l’étude d’objets abstraits tels que les nombres, les ensembles, les fonctions, les figures géométriques, ainsi que sur des raisonnements logiques portant sur ces objets. Les mathématiques constituent à la fois un langage commun pour les sciences, et aussi une discipline à part entière. Pour atteindre l’excellence dans ce domaine de l’esprit, il est nécessaire pour l’élève de bénéficier de quatre facteurs pédagogiques déterminants :

  1. Une entrée dans les concepts patiente et pleine de bon sens, ayant pour but de maximiser la compréhension profonde des objets étudiés. Cette pédagogie doit aller du concret vers l’abstrait, et du simple vers le complexe.
  2. Un entraînement technique progressif et répétitif permettant de développer des réflexes et de « muscler » sa puissance cognitive : calcul mental et écrit, techniques de résolution, constructions géométriques… L’entraînement fournit aussi des techniques prêtes à l’emploi, qui soulagent l’élève, lorsqu’il doit réfléchir sur l’essentiel.
  3. Une pratique régulière et progressive du raisonnement logique, au travers de la résolution de nombreux problèmes adaptés au niveau attendu. La démonstration mathématique, cœur de la discipline, doit rapidement devenir naturelle et constituer un objectif pédagogique en tant que tel.
  4. Un programme scolaire ambitieux, permettant de développer une expertise vaste et de disposer d’une vraie culture mathématique. Des contenus suffisamment riches sont aussi indispensables pour dévoiler la beauté de la discipline et donc motiver les élèves et susciter des vocations.

Il est aisé de se rendre compte que ces quatre points cruciaux, qui fondent un bon enseignement des mathématiques, sont actuellement exécutés avec soin dans les pays asiatiques qui caracolent en tête des classements internationaux. Pourquoi sommes-nous, et dans quelle mesure, sortis de cette tétralogie gagnante ?

La mère de tous les reniements: l’abandon du calcul et de l’entraînement technique

« On peut parfaitement exceller en mathématiques sans calculer correctement. Il ne faut pas dégoûter les élèves avec ça. » Cette phrase, maintes fois entendue en formation par des générations d’enseignants consternés, est la mère de tous les reniements. Imaginez un entraîneur de football qui vous expliquerait qu’il n’est pas nécessaire que ses joueurs sachent courir ! On nage dans l’absurdité.

Si on refuse d’être musclé et endurant, on finit par arrêter de pratiquer du sport à un certain niveau. C’est exactement ce qu’il se passe aujourd’hui en mathématiques, mais dans le domaine de l’esprit. De moins en moins de calcul, puis des calculs de moins en moins ambitieux, puis l’utilisation exclusive de la calculatrice à partir du collège, ont ruiné cet aspect pédagogique fondamental pour former des scientifiques.

Refaire des textes officiels qui donnent sa juste part à un entraînement sérieux, répétitif, régulier et progressif, devrait suffire à inverser cette tendance. La pratique régulière du calcul enclenche un cercle vertueux : sa maîtrise permet à l’élève de se concentrer sur les concepts et les raisonnements et la compréhension de la matière en est immédiatement améliorée.

Cette mesure est facile à mettre en œuvre et gratuite ! Qu’attend-on ?

Le raisonnement logique: autre victime des mathématiques institutionnelles d’aujourd’hui

Nous sommes là au cœur de la discipline. L’essence des mathématiques est de développer une démarche fondée sur un raisonnement logique parfaitement rigoureux pour résoudre des problèmes, concrets ou non.

Le chute du niveau en calcul, lequel est un outil fondamental au service du raisonnement, peut (presque) à lui seul expliquer l’enclenchement d’un cercle vicieux d’échecs de l’institution dans ce domaine. En effet, tel un chauffeur devant s’appuyer sur des réflexes pour adapter sa conduite à l’environnement extérieur, l’élève a besoin de réflexes intériorisés pour rester concentré sur sa stratégie de résolution. Mais quand on décide que la pratique du raisonnement rigoureux est, comme le calcul, un formalisme exagéré, on torpille littéralement la discipline.

Pourtant, le raisonnement mathématique « à la française » était bien le grand point fort de notre école par le passé. Quand certains pays misaient trop sur la performance brutale en calcul, l’école française de mathématique s’ingéniait à promouvoir très tôt dans la scolarité d’élégantes résolutions de problèmes, rédigées avec soin et avec une certaine grâce, privilégiant même l’esthétique d’une réflexion brillante à la froideur d’une approche trop calculatoire. Cette tradition bien française découle des écrits des grands mathématiciens du XVIIe siècle, Pascal en tête.

Aujourd’hui, la véritable démonstration a totalement disparu de l’enseignement des mathématiques à l’école. Nos élèves ne sont plus initiés à ce chef d’œuvre qu’est la rédaction française de résolution de problèmes. Même au lycée, la nécessité de rattraper le temps perdu entraîne une forme de bachotage via des problèmes types très légers en termes de raisonnement. De plus, on entretient dans les faits un relativisme de la rigueur mathématique, en corrigeant les copies avec une largesse coupable en termes de rigueur (« cet élève a compris, même si ce qu’il écrit est faux. Mettez les points. »). Le triste résultat est une ruine des capacités cognitives des élèves.

Un sous-calibrage des programmes aux airs de Bérézina

Les programmes de mathématiques sont aujourd’hui vidés de leur substance. Ils attristent les enseignants motivés et produisent des moues de pitié chez nos homologues étrangers. 

Nous en sommes aux dernières conséquences du cercle vicieux exposé plus haut : un entraînement technique cacochyme et une faiblesse endémique dans le raisonnement logique entraînent mécaniquement une baisse des capacités des élèves à comprendre des concepts trop complexes. Et plutôt que de remédier à ces lacunes, on préfère diminuer les contenus. Confrontés à la réalité, certains enseignants en arrivent même à demander eux-mêmes ces diminutions afin de pouvoir coller aux objectifs. Après quelques années, élèves comme enseignants s’encroûtent et prennent l’habitude des nouveaux programmes. Le niveau global baisse d’autant plus et une nouvelle diminution des programmes devient nécessaire…

Pour renouer avec l’excellence, il faut mettre fin au dogme égalitariste à l’école

D’un point de vue pédagogique, comme nous l’avons expliqué plus haut, la route à suivre est bien tracée. Il faut remettre l’entraînement aux techniques de calcul à l’honneur, car c’est un prérequis indispensable pour permettre aux élèves de pénétrer le cœur du sujet, qui est l’apprentissage du raisonnement rigoureux et la rédaction de démonstrations. Il faut aussi des programmes plus ambitieux, contenant suffisamment de notions intéressantes pour éveiller la curiosité et l’esprit mathématique.

Ce retour de l’ambition intellectuelle à l’école, au service de nos enfants, s’oppose frontalement au dogme égalitariste qui mine l’Éducation nationale depuis trop longtemps. Cette idéologie ne bénéficie à aucun enfant et n’a eu pour seule conséquence qu’un nivellement par le bas. Un exemple édifiant nous est donné par une étude de la DEPP, service dépendant du ministère de l’Éducation nationale lui-même. Cette étude, qui date de 2019, montre que le niveau actuel en calcul des enfants de CM2 des classes sociales les plus favorisées (CSP+) est inférieur à celui des enfants de la classe ouvrière de 1987 !

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Il faut donc en finir avec l’égalitarisme dévoyé qui empêche les enfants de s’épanouir dans toute leur diversité. Pour cela, des parcours différenciés doivent être proposés dès le collège, pour permettre à chaque élève de donner le meilleur de lui-même. Au lycée, la création de sections de niveau avancé en mathématiques doit être accompagnée avec une valorisation des parcours avec peu ou sans mathématiques, qui doivent eux-aussi être sélectifs. Car il va sans dire que l’on peut accomplir des études brillantes sans nécessairement faire beaucoup de mathématiques !

Le constat que nous avons dressé pour les mathématiques est malheureusement beaucoup plus général. Les mêmes mécanismes et les mêmes dogmes pédagogiques ont partout les mêmes conséquences. Qui se souvient que c’est dans l’étude des langues anciennes, écoles de la rigueur, que plus d’un mathématicien a découvert et aimé le raisonnement logique ? L’abandon indigne de ces langues, qui sont aux sources de notre civilisation, s’est bien sûr accompagné d’un effondrement dans la maîtrise du français chez les élèves… Or c’est la langue qui structure la pensée et permet de raisonner. Un relèvement du niveau en mathématiques doit donc obligatoirement passer pas un relèvement similaire du niveau en français, en remettant au goût du jour l’étude de sa grammaire, de sa syntaxe et la lecture des grands auteurs.

L’avenir de la France se joue à l’école !

L’enseignement des mathématiques en France est arrivé à un point qui ne se peut plus soutenir, et des réformes de fond doivent être mises en place sans plus tarder. L’effondrement actuel se paie déjà dans la société : des erreurs élémentaires de logique gangrènent tous les débats et le peu de capacité en raisonnement se traduit par l’élévation en compensation du sentimentalisme et de l’émotivité. Au-delà de son rôle dans la formation intellectuelle de nos enfants, cette discipline fournit le langage dans lequel s’exprime la physique, la chimie, les sciences de l’ingénieur, l’informatique et même certains domaines de pointe en biologie. C’est donc un savoir indispensable pour l’avenir de notre pays, pour son industrie, pour le rayonnement de sa recherche scientifique, pour sa capacité à innover et à maintenir sa place dans le monde.

Le chantier de reconstruction de l’école, que nous appelons de nos vœux, est immense. Il n’y a plus de temps à perdre pour remettre la transmission des savoirs, l’intelligence, la passion, l’excellence, au centre des préoccupations. À la veille de l’élection présidentielle, cet enjeu majeur doit tenir la place qu’il mérite. Fort est de constater que la plupart des candidats sont issus de partis qui ont soutenu, et ce pendant des décennies, les politiques ayant mené au désastre. Ceci leur enlève toute crédibilité sur le sujet. D’autres sont victimes d’une analyse simpliste de la situation et ne voient dans les difficultés de l’école qu’une question de moyens. Certains, certes de moins en moins nombreux, vont jusqu’à nier l’existence des problèmes.

Éric Zemmour est le seul qui montre un attachement sincère et sans faille à l’école publique. Il a démontré sa lucidité en affirmant haut et fort que ce sont bien des choix pédagogiques et idéologiques qui ont conduit à renier, puis à perdre, les principes sur lesquels l’excellence de l’école française était fondée. On peut lui faire confiance pour avoir le courage, le temps venu, de mettre en application les réformes nécessaires qui permettront d’inverser la tendance et d’œuvrer à une excellence retrouvée, pour le bien de tous nos jeunes. L’école de la République n’a pas dit son dernier mot !


[1] Selon l’étude comparative TIMSS (Trends in Mathematics and Science Study), publiée en 2020, qui mesure le niveau de connaissance scolaire des élèves de CM1 et de 4e en mathématiques et en sciences.

La Nouvelle-Calédonie, un atout français méconnu dans le Pacifique

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Jeune militant pour l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, 4 octobre 2020 © Mathurin Derel/AP/SIPA. Numéro de reportage: AP22499603_000015.

Le 12 décembre 2021, les électeurs de Nouvelle-Calédonie exprimaient leur souhait de demeurer français à l’issue d’un troisième référendum en trois ans, certes boycotté par les indépendantistes. Au-delà des mines de nickel et du combat politique des partisans de l’autodétermination, les Français de métropole connaissent mal cet archipel d’îles jouxtant l’Australie en mer de Corail. S’y joue pourtant une partie essentielle dans l’affrontement des puissances.  


À 18 000 km et onze fuseaux horaires de Paris, la Nouvelle-Calédonie constitue l’un des derniers ensembles de territoires français qui offrent un accès à la sphère Asie-Pacifique. Dans une zone du globe dominée par l’élément maritime et où les distances se mesurent en milliers de kilomètres, sa proximité relative avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande et tout un ensemble de micro-États indépendants, autonomes ou sous administration directe, contribue à en faire une base de départ pour intervenir dans des crises régionales. Autrefois considérée comme un territoire dont l’éloignement constituait l’un des principaux intérêts, notamment pour y déporter ses forçats, cette exception française dans une partie du monde largement anglophone demeure fragile. L’affirmation de la Chine en tant que puissance économique et militaire, dans un contexte de rivalité croissante avec les mondes océanien et nord-américain, a contribué à redonner au « caillou » une importance accrue. Pourtant, malgré les richesses dont elle regorge, les moyens alloués à sa défense et au rayonnement de la France dans une région cruciale demeurent limités, alors même que le caractère stratégique de sa position, apparu décisif au cours de la Seconde Guerre mondiale en tant que base arrière majeure des forces armées américaines, ne s’est jamais démenti.


Antoine de Prémonville

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I. La France contestée

Exception française dans une zone d’influence anglo-saxonne (A), la Nouvelle-Calédonie n’en est pas moins un territoire multiculturel où l’attachement à la France varie selon les époques et les communautés (B), au point que le sentiment indépendantiste y constitue une alternative crédible (C).

A. Exception française aux antipodes anglo-saxons

Malgré l’intérêt de la monarchie finissante pour les expéditions lointaines outre-mer (Bougainville, La Pérouse) afin de rétablir un prestige écorné par les conséquences de la guerre de Sept Ans [1], les vicissitudes de la Révolution et les préoccupations continentales de l’Empire ne permirent pas à feu la Royale [2] de soutenir la comparaison avec la Royal Navy, maîtresse incontestée des océans. De fait, jusqu’au milieu du XIXe siècle, la France doit abandonner ses prétentions dans le Pacifique.

Si les côtes de la Nouvelle-Calédonie sont découvertes par Cook le 4 septembre 1774, le pays demeure longtemps quasi inconnu, car jugé sans intérêt. Elle voit apparaître sur ses rivages explorateurs, baleiniers et autres missionnaires vers 1840. Théâtre d’une compétition entre missionnaires catholiques et protestants, la Nouvelle-Calédonie est l’objet d’un projet, avorté, de conquête sous Louis-Philippe. Napoléon III reprend l’idée pour en faire une colonie pénitentiaire (1867-1897).  Quoiqu’il craigne moins la réaction de Londres que le Roi des Français – la guerre de Crimée est sur le point d’éclater –, l’annexion est discrètement menée en 1853. Malgré ce succès emporté au détriment de l’arrondissement du domaine australien des Britanniques, la rivalité demeure s’agissant des points de relâche pour les marins et pécheurs, et de l’évangélisation des populations.

Parent pauvre de l’empire colonial français, tourné vers l’Afrique et l’Indochine, la Nouvelle-Calédonie se développe comme elle peut sous l’impulsion d’investisseurs privés et d’administrateurs coloniaux. La découverte du nickel permet alors de tisser des partenariats commerciaux avec la Chine (1884) et le Japon (1892), d’abord pour attirer de la main-d’œuvre, puis pour exporter le minerai [3]. Bien que consciente de l’importance du Pacifique dans l’avenir, la France de l’entre-deux-guerres ne peut y consacrer les moyens souhaités et se contente de consolider un modeste existant. Craignant à la fois la montée du « péril jaune » et l’expansion américaine, des voix s’élèvent même au gouvernement et dans les états-majors pour demander un retrait du Pacifique [4], voire l’échange de la colonie avec un territoire africain [5] !

Antoine de Prémonville

B. Une mosaïque ethnique

Mosaïque ethnoculturelle, la société calédonienne demeure fracturée par les rivalités de populations aux intérêts opposés. Vivant principalement aux abords des agglomérations, souvent selon un mode de vie traditionnel dans le cadre de tribus, les Kanaks (mélanésiens) constituent la population autochtone originelle de la Nouvelle-Calédonie (41,2% [6]). Malgré un sentiment identitaire fort illustré par le projet indépendantiste de « Kanaky », le monde kanak est culturellement hétérogène – vingt-huit langues différentes en plus du français – et apparaît à la marge sur le plan économique.

Sévèrement sanctionnés suite à la tentative d’insurrection de 1878 menée en réaction à la colonisation, les Kanaks sont soumis au statut de l’indigénat de 1887 à 1946. Obtenant la nationalité française en raison du ralliement précoce de la colonie à la France Libre, ils s’insèrent dans le jeu politique dans les années 1950 avec un discours autonomiste initialement modéré et dénué de considérations ethnicistes. Tant l’échec de ce projet que la réaffirmation de leur identité spécifique dans les années 1970 sous la houlette de chefs charismatiques comme Jean-Marie Tjibaou, Yeiwéné Yeiwéné ou Éloi Machoro, vont provoquer une évolution du discours et des revendications. Dès lors, le terme « calédonien » ou « caldoche » tend à désigner les Européens par opposition aux « kanaks ».

Représentant un quart de la population, les « Caldoches » sont principalement les descendants des travailleurs du secteur minier. Bien que l’héritage de l’ancienne colonie pénitentiaire demeure vif, les colons européens et les bagnards ont relativement peu contribué au peuplement du « caillou » [7]. Comme les Kanaks, le monde caldoche est pluriel et des différences notables s’expriment entre ceux de Nouméa et ceux de la Brousse, entre les « gros » et les « petits » colons, entre les « libres » et les « bagnards », générant autant de microsociétés longtemps cloisonnées [8]. De plus, contrairement à une idée reçue, la société caldoche n’a pas été imperméable au métissage puisque le surnombre d’hommes célibataires dans les premiers temps de la colonisation a favorisé les unions mixtes entre Européens et femmes kanakes. Un phénomène qui n’a pas permis d’aplanir le mur séparant les deux principales communautés.

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Envisageant le projet indépendantiste à travers les exemples de l’Algérie, des Nouvelles-Hébrides – ou dans une certaine mesure, de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud –, les caldoches sont très majoritairement fermement opposés à l’autodétermination. En effet, ils sont trop conscients que, dans le cadre d’une Kanaky indépendante, la faiblesse de leur poids démographique provoquerait de profondes réformes sociales, agraires et économiques qui modifieraient à leur détriment les rapports de forces hérités de la société coloniale. Farouchement hostiles à l’indépendance, les Caldoches éprouvent toutefois un attachement relatif à cette France dont la politique est jugée pro-kanake depuis les accords de Matignon et Nouméa. Exacerbant des traits culturels liés à une histoire singulière, les Caldoches ont développé quant à eux une identité propre très influencée par la présence américaine au cours de la Seconde Guerre mondiale.

À la croisée de ce clivage communautaire, quoique globalement partisans du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans le giron de la France, d’autres communautés, d’un poids démographique varié peuplent le territoire. Citons ainsi des populations originaires de Wallis et Futuna (8,3%), de Java, mais aussi des « Arabes » descendants des Kabyles déportés suite à la révolte des Mokrani [9] et quelques Japonais [10] en proportions plus anecdotiques.

C. L’indépendantisme

Initialement, les mouvements politiques calédoniens étaient autonomistes modérés, prônant un projet ne se fondant pas sur une assise ethno-raciale. Le maintien d’un lien avec la France visait alors à garantir le développement économique d’un territoire aspirant à pouvoir s’exprimer sur les grandes affaires locales sans subir la tutelle d’une administration lointaine.

Or, le recul de l’autonomie politique et l’ingérence néfaste de Paris qui interdit toute immixtion de capitaux étrangers dans l’économie vont progressivement convertir les autonomistes à l’indépendantisme au cours des années 1970 [11]. La décennie suivante est marquée par de violentes tensions communautaires et prises à partie des forces de l’ordre. Face au discours des indépendantistes stigmatisant une puissance coloniale oppressante – l’ONU considère d’ailleurs toujours la Nouvelle-Calédonie comme un territoire à décoloniser [12] –, le Premier ministre Jacques Chirac essaye de trouver une sortie politique à la crise. Un premier référendum d’autodétermination en 1987 est boycotté par les indépendantistes donnant le « non » victorieux à 98,3%.

L’année suivante, des activistes armés espèrent profiter du contexte des élections présidentielles pour mener une action d’éclat. C’est la prise de la gendarmerie d’Ouvéa aux Loyautés. Paris choisit de répondre par la force et l’assaut mené sur la grotte se solde par la mort de dix-neuf preneurs d’otages. Pour les indépendantistes, dont certains avaient espéré un soulèvement général de la Nouvelle-Calédonie, c’est un échec. Quelques mois plus tard, sous l’impulsion du Président réélu François Mitterrand, les accords de Matignon jouent la carte de l’apaisement via une amnistie générale et la promesse d’un futur référendum d’autodétermination. Dix ans plus tard, les accords de Nouméa (5 mai 1998) accordent d’importants transferts de compétences au territoire tandis que la France conserve les compétences régaliennes. La question de l’autodétermination est, quant à elle, repoussée à plus tard. De 2018 à 2021, trois référendums posent la question de l’indépendance. Fortement mobilisés et bénéficiant d’une loi favorable qui exclut du corps électoral de nombreux européens, les indépendantistes ne parviennent pas l’emporter lors du second scrutin pourtant beaucoup plus serré que prévu (victoire du « non » à 53%, en recul par rapport à 2018, 56,67%).  L’ultime scrutin, qui s’est tenu le 12 décembre 2021, voit l’écrasante victoire du « non » à l’indépendance en raison de l’appel des partis indépendantistes à s’abstenir. En 2020, le dépouillement des résultats, très variables d’une province à l’autre, est une radiographie de la démographie néo-calédonienne. En effet, majoritairement peuplée d’européens, la province sud, autour de Nouméa, a réaffirmé son attachement à la France, tandis que la province nord et les îles loyautés, majoritairement autochtones, se sont déclarées principalement pour l’indépendance.

II. Territoire stratégique

Territoire français au bout du monde doté de forces de souveraineté à peine suffisantes pour assurer les missions qui lui sont dévolues, la Nouvelle-Calédonie renferme pourtant dans son sol une ressource stratégique qui depuis longtemps attise les convoitises.

A. Un sous-sol convoité

La relative prospérité de la Nouvelle-Calédonie – comparativement aux outres collectivités d’outre-mer – repose en partie sur les transferts en provenance de la Métropole et sur le nickel. Avec le deuxième gisement mondial (11%), les fruits du sous-sol néo-calédonien représentent l’essentiel des exportations. Par conséquent, son économie est lourdement tributaire des variations des cours mondiaux.

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Exploité depuis les années 1870, ce minerai suscite les convoitises de nombreux voisins dont les industries sidérurgiques sont grandes consommatrices. Depuis la fin du XIXe siècle, l’Asie est un partenaire commercial important ; de nos jours, le japonais Nishin Steel détient encore 10% du capital de la SLN, la principale entreprise minière de Nouvelle-Calédonie. Très tôt acteur de la mondialisation et dominant le marché mondial, le nickel calédonien s’est rapidement confronté à la concurrence du Canada puis de l’Australie [13]. Ressource stratégique, notamment pour la fabrication d’aciers spéciaux pour la construction navale et l’armement, le nickel confère longtemps une importante rente de situation à des investisseurs privés. Refusant toute immixtion de capitaux étrangers qui auraient pu moderniser l’appareil productif, au prix d’une perte de contrôle d’un actif stratégique, le général de Gaulle réussit à faire échouer les tentatives de partenariat dans les années 1960, au grand dam des partisans de…

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[1] Après le désastreux traité de Paris (1763) qui met un terme à la guerre de Sept Ans moyennant la perte de la majeure partie de son premier empire colonial, la France envisage ainsi le monde océanien comme la promesse de reconstitution d’un nouveau domaine impérial et rétablir ainsi son prestige écorné

[2] Tancrède Josseran, « Et la Royale fut détruite », in Renaud Escande (dir.), Le livre noir de la Révolution française, Cerf, 2008.

[3]  « C’est pendant la Grande Guerre que les premières expéditions de minerais de nickel vers le Japon sont effectuées. Cette diversification des exportations perdure après la fin des hostilités alors que la sidérurgie japonaise connaît un développement rapide. Pourvoyeur de main-d’œuvre jusqu’à la guerre, le Japon devient un client de la principale activité économique de l’archipel. Il devient aussi un investisseur. Dans les années 1920, plusieurs sociétés minières à capitaux japonais sont constituées dans la colonie. Les deux plus importantes sont la société Le Fer et la Société minière de l’Océanie. Avec la montée des tensions internationales, ces sociétés sont parfois considérées comme des « paravents » des ambitions japonaises en Nouvelle-Calédonie. » Yann Bencivengo, « L’immigration japonaise en Nouvelle-Calédonie : une illustration de l’affirmation du Japon dans le Pacifique », Journal de la Société des Océanistes, n°135, 2012, p. 215-228, p.225.

[4] Citons Henry Simon, rapporteur du budget des Affaires étrangères à la Chambre le 20 janvier 1920 : « Nos successeurs, il faut le reconnaître, ont déjà paru à l’horizon et la loi va jouer contre nous. La jeune Amérique, vous le savez, est penchée sur les problèmes du Pacifique, dont nous tiennent éloignés nos soucis de frontières, notre natalité diminuée, notre faiblesse monétaire et l’exiguïté de nos capitaux. » Jacques Binoche, « La politique extrême-orientale française et les relations franco-japonaises de 1919 à 1939 », Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 76, n°284-285, 1989, p.263-275, p.264.

[5] « Ainsi, dans ses Théories stratégiques, l’amiral Castex rappelle qu’elles sont dépourvues des trois valeurs essentielles à une base stratégique (la situation géographique, l’autonomie défensive et les possibilités de ravitaillement) et que la position française y est des plus médiocres. Il conclut sur la nécessité de les échanger avec un territoire en Afrique-Occidentale, de préférence la Sierra Leone. » Thomas Vaisset, « Une défense sous influence. L’amiral Thierry d’Argenlieu et la dépendance de la France libre à l’égard des alliés dans les territoires français du Pacifique (1940-1942) », Revue historique des armées, n°257, 2009, p.101-121, p.102.

[6] Données tirées du recensement de 2019. Institut de la statistique et des études économiques Nouvelle-Calédonie, https://www.isee.nc/population/recensement/communautes, consulté le 11/10/2021.

[7] Benoît Carteron, « La quête identitaire des caldoches en Nouvelle-Calédonie », Ethnologie française, 2015/1, vol. 45, Presses Universitaires de France, p.155-166, p.157.

[8] Ibid., p.158.

[9] Mélica Ouennoughi, « Les déportés maghrébins en Nouvelle-Calédonie. Naissance d’une micro-société (de 1864 à nos jours) », Insaniyat / إنسانيات, n°32-33, 2006, p. 53-68.

[10] Yann Bencivengo, « L’immigration japonaise en Nouvelle-Calédonie : une illustration de l’affirmation du Japon dans le Pacifique », Journal de la Société des Océanistes, n°135, 2012, p. 215-228.

[11] Robin S. Gendron, “At Odds Over INCO: The International Nickel Company of Canada and New Caledonian Politics in the 1960s”, Journal of the Canadian Historical Association / Revue de la Société historique du Canada, n°20/2, 2009, p.112–136, p.134.

[12] Des 72 territoires initialement inscrits par l’Assemblée Générale des Nations-Unies sur la liste des territoires non-autonomes, la Nouvelle-Calédonie est l’un des dix-sept derniers. En l’espèce, incluant la Nouvelle-Calédonie dans son argumentaire, l’ONU réitère régulièrement sa volonté « d’éradiquer une fois pour toute le colonialisme » selon les propres mots d’Antonio Guterres. « L’ONU reste déterminée à éradiquer le colonialisme même si la décolonisation avance lentement », ONU Info, 21/02/2021 https://news.un.org/fr/story/2020/02/1062311, consulté le 11/10/2021.

[13] Yann Bencivengo, « Naissance de l’industrie du nickel en Nouvelle-Calédonie et au-delà, à l’interface des trajectoires industrielles, impériales et coloniales (1875-1914) », Journal de la Société des Océanistes, n°138-139, 2014, p.137-149, p.137-139.

Antoine Compagnon, Vichy et… un certain malaise

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Bernard Fay (1893-1978). DR

François Kasbi s’est replongé dans Le cas Bernard Faÿ – Du Collège de France à l’indignité nationale, d’Antoine Compagnon (Gallimard, 2009) et nous en propose une lecture critique.


Quel étrange livre : on en ressort mal à l’aise, troublé. Comme si tout ce que l’on avait lu était à double détente. Ainsi de Bernard Faÿ (1893-1978) : esprit cosmopolite, proustien distingué, supposé raffiné, amant de la moderne Amérique, professeur au Collège de France. Ou encore : esprit borné, duplice, envieux, arrogant, flagorneur, condamné aux travaux forcés à la Libération et à l’indignité nationale. Oui, c’est le même. Peut-être a-t-on dû pour affiner le trait, lire, en complément indispensable au portrait de Faÿ que dresse Antoine Compagnon, la somme impeccable de Martine Poulain [1] – dont Compagnon reconnaît le mérite du bout des lèvres et de mauvaise grâce. Ils consacrent au même sujet, Bernard Faÿ, un nombre substantiel de pages : on peut dire que leurs perspectives diffèrent voire divergent, comme leurs jugements par ailleurs – car, quoiqu’il en ait, M. Compagnon juge – même par défaut, et c’est un des problèmes de son livre.

Ce n’est pas faire injure à la mémoire de Bernard Faÿ que de se résigner à admettre qu’il y a loin de la dilection particulière que celui-ci put concevoir pour Stendhal ou Gobineau à la revendication légitime au titre de Fils de roi qu’exalte Gobineau dans ses Pléiades. Tant il y a loin d’un Bernard Faÿ à un Fils de roi – et pas seulement l’hérédité.

À ce titre, le livre de Compagnon est, sans doute à son insu, accablant pour le cas traité. Ajoutez-y le réquisitoire implacable de Martine Poulain, étayé par des citations irréfutables et graves – et la messe est dite. Et si l’on s’en tient à Gobineau – auquel Faÿ dédie un portrait dans le numéro-anniversaire que La NRF consacra à Gobineau (février 1934, rééd. 1991) -, on précisera qu’entre des préfaciers aussi divers et éloignés que Paul Morand et Roger Vailland d’un côté – et Bernard Faÿ de l’autre, il y a toute la distance qui sépare, disons, en forçant à peine le trait, le talent du néant, l’érudit du mondain, l’écrivain du bavard, l’éminence du zéro. La dilution chez Faÿ remplace la condensation : c’est peu dire qu’on y perd. Et que Gobineau n’y gagne rien.

À lire Gobineau et Bernard Faÿ, mais aussi Antoine Compagnon et Martine Poulain, on remarque que s’il y a une qualité dont semble n’avoir jamais fait preuve Bernard Faÿ, c’est la noblesse d’âme. Et si l’on évoque cette catégorie de pensée, c’est que Vichy certes fut une époque historique – qui à ce titre intéresse les historiens. Mais qu’il – le régime de Vichy, cette époque – est aussi devenu un symptôme. Dont Bernard Faÿ peut être considéré comme une illustration. Et alors il intéresse les moralistes.

Vichy, ce fut un peu comme une leçon de choses sur la nature humaine : il a alors acquis sa dimension d’expérience existentielle. A ce titre, il n’est pas erroné de dire qu’il y a eu aussi, de tout temps, des Juifs collaborateurs, et des Juifs résistants. Ce n’est pas l’époque qui confère telle ou telle qualité : c’est un tempérament, et l’époque ne permet que d’en révéler la vérité (dudit tempérament). Il y eut d’autres périodes similaires dans l’histoire de France, périodes de crise où les tempéraments précipitent : la Révolution française, l’Affaire Dreyfus, l’Algérie – les guerres franco-françaises donc, par exemple.

Vichy, ce fut un moment où certains choisirent la démission ou l’adhésion enthousiaste, et d’autres la résistance – et cela a fait souche. Dorénavant il y aura – à vie – la catégorie du résistant, et celle du collaborateur. Evidemment, avec le temps (et de nombreuses études historiques), on a fait litière d’une France en noir et blanc, et l’on plaide plutôt pour le gris. Comme dans la vie, oui – où il est non moins rare que tout soit blanc ou noir.

Simon Epstein [2], a montré qu’il y avait aussi bien des dreyfusards à Vichy et dans ses parages (ou d’anciens communistes ou SFIO ou radicaux ou… Déat, Doriot, Bergery, etc.) que des maurrassiens à Londres. Des héros de la Résistance comme Henri Frenay (Combat) ou Henri d’Astier de la Vigerie (à Alger) venaient plutôt d’un milieu conservateur, traditionnel, voire de l’Action française. Donc, décidément, évitons le manichéisme et rendons à la Résistance sa complexité, et ne la dénions pas, cette complexité, à la vie – simplement.

Tout cela pour dire qu’en 1940 s’offrait à Bernard Faÿ un autre choix que celui de la collaboration et de la délation – obscène et ignoble (l’exact opposé des Fils de roi de Gobineau donc). Et que d’autres que Faÿ firent ce choix.

Il y eut même un certain nombre d’intellectuels de haut-vol qui ne choisirent pas tout à fait la Résistance (euphémisme) et qui ne s’abîmèrent pas, eux, dans l’abjection. Exemples : Philippe Ariès, Alfred Fabre-Luce, Bertrand de Jouvenel, voire Jacques Isorni – dont la remarquable biographie de G. Antonowicz a suffisamment dit la complexité et l’intérêt. Mais aussi Gaxotte et Bainville, deux plumes et têtes bien faites, qui contribuèrent au prestige de l’Action française de l’avant-guerre. Eux – leurs œuvres respectives – sont aujourd’hui disponibles en poche, constamment réédité(e)s. Et de Jacques Laurent à Jacques Rupnik, nombreux sont ceux à avoir rendu hommage au don d’analyse-prescience que manifeste Bainville dans Les conséquences politiques de la paix – tandis que Faÿ a littéralement disparu des librairies. Cela, sans doute pas à cause de l’infamie de la délation (Céline est dans la Pléiade), plus sûrement à cause de la médiocre qualité de son œuvre – datée et bavarde (donc).

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Tout cela encore pour dire combien, lecture faite du livre de Compagnon, effaré, nous avons considéré le temps passé à retracer la biographie non pas d’un « salaud » – cela est justifiable et courant s’il n’est pas que cela – mais d’un personnage falot, dont l’intérêt, même renseignements pris, ne nous semble pas être de « première importance ». Il y a tant à lire et écrire. Compagnon lui-même a donné l’exemple, il y a quelques années, avec Brunetière, « le grand et fanatique et injuste et faux et honnête Brunetière » (C. Péguy, Notre jeunesse), qui méritait, lui, mal connu et méconnu, une de ces enquêtes approfondies (sa biographie recèle son lot de retournements, pas si éloignés de ceux que connut B. Faÿ).

Qu’eût pensé de Faÿ, d’ailleurs, un Brunetière qui écrivait ceci : « Les aptitudes intellectuelles, que certes je ne méprise pas, n’ont qu’une valeur relative. Pour moi, dans l’ordre social, j’estime beaucoup plus haut la trempe de la volonté, la force du caractère, la sûreté du jugement, l’expérience pratique » ? A votre avis ?

Là où en outre, nous avons été plus troublé, c’est lorsque A. Compagnon découvre, ou feint de découvrir, ou ne découvre pas (on ne sait), que l’on peut être un personnage guère recommandable et cultivé, élégant, mondain. On ne sache pas que le débat soit très nouveau (chaque publication de Céline est l’occasion du même increvable débat – écrivain de génie, véritable salaud, délateur, etc.). On sait en revanche qu’il nous semble éculé et vain parce qu’insoluble : chaque tentative d’élucidation en a été, jusqu’aujourd’hui, l’administration de la preuve. Il n’en a pas moins été abordé par un poète de génie comme Paul Celan (à propos de Heidegger) ou un Georges Steiner dans son fameux Dans le château de Barbe-Bleue.

Alors ? Du nouveau avec Bernard Faÿ (BF) ? Rien moins. Et pour dire notre sentiment profond quant à la capacité du genre Essai à sonder l’origine, les racines de la trahison : on s’en remet bien plus volontiers au roman, seul à même de rendre la complexité du réel, le caractère hybride, trouble de la vie, des sentiments (et de leur expression). On préfère donc – pour faire vite – lire Javier Marias et sa trilogie Ton visage, demain (en dépit de ses longues longueurs), géniale archéologie de la trahison – où le narrateur tente de comprendre comment le meilleur ami de son père (celui aussi qui l’a trahi) a, de toujours, eu la vocation du traître. Ou plutôt comment lui, son père, n’a pas vu chez son meilleur ami, « (son) visage (de traître), demain ». Là, oui, avec Marias, bon… compagnon, on avance. 

Ce que révèle le cas BF en fait, c’est un tempérament, cette lâcheté qui est, comme l’écrit P. Morand [4], « le climat mondain et la vertu des gens distingués ». On a pu longtemps se tromper sur BF – l’image sulpicienne de l’esprit cosmopolite, etc. – jusqu’à ce qu’une situation, historique celle-ci (Vichy donc), soit l’occasion de la révélation. Pour lui, de se révéler : tout est faux chez Faÿ, le côté duplice évoqué ci-avant. Et l’histoire est l’agent de révélation de ce tempérament.

Oui, il a fallu Vichy, et l’obsession du pouvoir chez Faÿ, pour que celui-ci ôte son masque et délivre son vrai visage – et c’est atterrant. Mais la rencontre d’un tempérament et d’une situation historique, cela peut, aussi, donner cela. Hasard ? Voire : « Je sais qu’il n’y a pas de hasard à choisir ce qui vous déshonore » disait Camus. Les exemples et contre-exemples abondent. Les Mémoires de Daniel Cordier [5] témoignent de la transformation d’un jeune homme plutôt maurrassien qui allait devenir le collaborateur le plus proche de Jean Moulin, figure héroïque de la Résistance.

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En fait, le cas Faÿ nous rappelle une chose – que Stendhal et Gobineau, âmes et écrivains d’élite, avaient bien anticipée : qu’il ne s’est pas agi, à Vichy, de politique (redisons-le : les maurrassiens de Londres vs les communistes qui ne désavouent pas le Pacte germano-soviétique du 23 août 1939 !) mais de morale. Pas la morale que l’on fait. Non, l’autre : la morale personnelle, l’éthique, qu’en un procès continuel, délibération sans cesse reconduite, l’on se forge, de soi à soi. L’historien Henri Michel ne dit pas autre chose : « La véritable question qui sépare Vichy de la Résistance est moins d’ordre matériel que moral et, en quelque sorte, de principe. Lorsqu’un pays a été battu, qu’il risque de perdre son indépendance, et peut-être son âme, faut-il se résigner à sa déchéance, ruser avec le vainqueur – ou faut-il se battre (au risque certes de grandes pertes et souffrances) pour la liberté des personnes comme de la nation ? L’histoire répond que les peuples qui survivent sont ceux qui se battent. » [6].

Enfin, à propos de BF au Collège de France – qui a l’air de fort impressionner Antoine Compagnon. Il y a évidemment de grands professeurs au Collège – pour les anciens, et pour éviter toute polémique : Bergson, Lévi-Strauss, Barthes, Foucault, Le Roy Ladurie – mais Bernard Faÿ, professeur au Collège de France n’est exemplaire, monumental, édifiant que pour qui veut bien se laisser édifier. D’autres savent ou pensent que la fonction ne crée pas forcément l’organe. Où l’on retrouve Gobineau et ses Fils de roi qui n’ont de noble et royale que l’âme – une certaine qualité d’âme. Non l’hérédité – donc. D’ailleurs, le Comte de Gobineau était certes un « titan indigné », mais n’avait rien d’un comte, sinon la noblesse… de ses vues.


Coda – à propos des sources d’A. Compagnon. On en citera deux, les plus perturbantes pour le supposé sérieux du travail (parmi pléthore qui posent problème – mais on n’a plus la place, ni – aveu – l’envie) : quand il s’agit d’Abel Bonnard, c’est le révisionniste patenté, homologué, pronazi (sic) revendiqué – Olivier Mathieu – que Compagnon cite, sans précision ni note, alors que le livre cité de Mathieu est postfacé par… Léon Degrelle, le chef rexiste (oui – quand même). En outre, Mathieu est un historien passionnant et novateur. La preuve ? Sur le Troisième Reich : « Le plus grand sursaut de l’Europe et de l’âme humaine ». Cela nous avait échappé. Et sur Vichy, c’est, entre autres certes, Annie Lacroix-Riz qui est requise par Compagnon – Lacroix-Riz que l’on sait obsédée par la Synarchie ( !) et ses complots, et membre du PRCF (Pôle de Renaissance communiste en France, marxiste-léniniste). Il n’y a plus aujourd’hui qu’Antoine Compagnon, professeur au Collège de France, pour lui conférer un crédit que plus personne parmi les historiens de la période (et pas seulement…) ne lui accorde. La dernière fois que nous avons entendu parler d’A. Lacroix-Riz, c’était lors d’un « débat » avec… Dieudonné… et cela ne nous a pas fait rire. Cher Antoine Compagnon : tout cela n’est PAS sérieux.

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[1] Livres pillés, lectures surveillées – les bibliothèques françaises sous l’Occupation (Gallimard, 2008)

[2] Un paradoxe français : antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance (Albin Michel, 2008)

[3] Pauvert, 2008

[4] Préface à Adelaïde, de Gobineau (Livre de Poche, 1959)

[5] Alias Caracalla, Gallimard, 2009

[6] Pétain et le Régime de Vichy, PUF, 1978

Macron favori, mais pour quoi faire?

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Emmanuel Macron présente son plan d'investissement "France 2030", Paris, 12 octobre 2021. © Denis Allardi/Leextra/Leemage

Tous les sondages [1] prédisent la réélection du chef de l’État en avril prochain. La révolution qu’il avait annoncée n’a pourtant pas eu lieu. Comme ses prédécesseurs, il a défendu une Europe ouverte à tous, un « pognon de dingue » pour les aides sociales et le progressisme culturel. Le candidat de 2022 ne pourra pas faire les mêmes promesses que celui de 2017.


Emmanuel Macron apparaît indiscutablement en cet automne comme le principal favori de la prochaine élection présidentielle. Avec plus de 40 % d’opinions favorables, il bénéficie d’une cote de popularité très supérieure à celle qu’affichaient, à la même époque, ses deux prédécesseurs (31 % pour Nicolas Sarkozy, 16 % pour François Hollande, Odoxa, octobre). Les sondages prédisent une victoire nette du président sortant quel que soit le concurrent qu’il affronterait au second tour [1], avec un score autour de 57 % contre Éric Zemmour, 55 % contre Marine Le Pen et 53 % contre Xavier Bertrand (Harris Interactive, 20 octobre). Son pire adversaire, c’est lui-même, ou plutôt son identité politique pour le moins problématique.

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Un homme de foi

Qui est Emmanuel Macron ? Depuis cinq ans, le Fregoli de l’Élysée entretient sur son compte et sur le courant qu’il veut incarner à lui seul un flou pour le moins artistique, venant de la gauche et draguant à droite, oscillant sur les mêmes sujets entre les positions les plus diverses, théorisant le dépassement et le « en même temps » comme panacée politique. Si l’on veut bien dépasser cet épais brouillard tactique, son positionnement est toutefois assez clair… et probablement inadapté aux futures échéances. Car les trois éléments qui le caractérisent sont en effet en situation de crise avancée.

Emmanuel Macron, c’est d’abord la foi indéfectible dans les bienfaits du libre-échange et de la construction européenne. Il est le meilleur représentant de cette élite nouvelle qui mesure les progrès de l’humanité aux volumes des flux circulant en tous sens et fait de la frontière une survivance archaïque. C’est cette croyance presque religieuse qui l’a conduit par exemple, au début de l’épidémie de Covid, à retarder autant qu’il l’a pu les contrôles à l’entrée du territoire, tandis que ses ministres répétaient en boucle cette fausse évidence : « Les virus n’ont pas de passeport. »

De même, le président, sans aller jusqu’à un fédéralisme affiché, est-il convaincu que les vieilles nations ne disposent plus de la masse critique et que les problèmes, comme les succès, se gèrent désormais à l’échelle de l’UE. Tous les prétextes sont donc bons pour en élargir les compétences, comme la gestion déléguée des achats de vaccins l’a montré, sans toutefois véritablement convaincre. Cette ouverture généralisée s’accompagne, à l’intérieur, d’un libéralisme, il est vrai, plus modéré. Ce qui a fait Emmanuel Macron, l’a distingué des autres hauts fonctionnaires de sa génération et a lancé sa carrière politico-administrative jusqu’au sommet que l’on sait, c’est d’avoir été le rapporteur, en 2007, d’une commission présidée par Jacques Attali qui prétendait, sur le modèle de ses lointains prédécesseurs Jacques Rueff et Louis Armand en 1960, lever les obstacles structurels à la croissance française. Le président de la République a mis en pratique les idées du jeune inspecteur des finances : il a œuvré pour libéraliser le marché du travail, baisser la fiscalité sur le capital et la production, améliorer l’attractivité du pays. C’est probablement l’aspect le moins contestable de son bilan, mais aussi celui qui a été le moins bien compris (peut-être parce qu’il a pris la forme d’une série de micromesures très techniques), a suscité le plus de méfiance et a été poussé le moins loin.

Payer… pour réparer les effets de sa politique

La seconde caractéristique du macronisme est d’avoir maintenu un niveau de dépense publique et singulièrement de dépenses sociales (celle-ci étant la principale composante de celle-là) extrêmement élevé. La France se classe en effet, depuis de nombreuses années, nettement en tête des pays comparables de l’OCDE et elle a même dépassé les pays nordiques, traditionnellement plus prodigues. Le président actuel n’a pas mis fin à cette exception mais l’a même, à la faveur de la crise du Covid, accentué, portant la dépense publique au taux inégalé de 61,6 % du PIB en 2020. Il est donc faux de dire, comme on l’entend trop souvent, qu’il a sacrifié la politique sociale : il a, au contraire, conforté une tendance très discutable qui fait de l’État une vaste caisse de redistribution tous azimuts, au détriment de ses autres fonctions, notamment ses missions régaliennes ou planificatrices de l’avenir par l’investissement. Cette remarque peut sembler en contradiction avec le libéralisme affiché par Emmanuel Macron.

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Alors quoi ? Ouverture au grand large de l’économie ou socialisation et extension du poids financier de l’État ? Les deux tendances ne sont peut-être pas aussi opposées qu’on le croit et forment même, ensemble, un système aussi cohérent que pervers. La puissance publique a décidé en effet de compenser le coût social de la mondialisation et de la dérégulation et s’est instituée en une sorte de contre-assureur de la société. Quoi qu’il arrive, l’État vous couvre ! La prime de 100 euros, versée pour corriger la hausse des cours mondiaux du pétrole et du gaz, est à cet égard révélatrice.

Une devise: progressisme, européisme, mondialisme.

La dernière caractéristique du macronisme est son progressisme culturel. Des réformes dites « sociétales » ont ainsi émaillé le quinquennat, en particulier l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Le président a restitué des œuvres d’art premier pourtant conservées dans des collections publiques (et donc à ce titre inaliénables) aux pays africains, dont ils étaient originaires (voire l’article de Jérôme Serri pages 34-36 de notre numéro de décembre). Il a qualifié la colonisation de crime contre l’humanisé et a recherché avec l’Algérie les voix d’une mémoire commune (n’obtenant en retour que des rebuffades). Il a promu la diversité, y compris au sein de la haute fonction publique (c’était une des motivations de sa réforme de l’ENA). Il a pris, sur la question du multiculturalisme ou l’existence au contraire d’une identité nationale, des positions chaloupées. Sur tous ces sujets, Emmanuel Macron est allé aussi loin que le permettaient le contexte politique et son statut de président d’une république une et indivisible.

Macron se situe dans la droite ligne de ses prédécesseurs et si rupture il y a, elle tient plus à la forme de son pouvoir solitaire et affranchi des lourdes structures partidaires, qu’au fond des politiques suivies

Europe ouverte à tous les vents, progressisme « sociétal », défense de l’État social : Emmanuel Macron a porté haut et fort ce mix politique mais il ne l’a pas inventé. Avec quelques nuances ou quelques inflexions, celui-ci inspire les gouvernements successifs depuis le milieu des années 1980. La spécificité de l’actuel président est d’avoir voulu en accentuer le contenu et en accélérer le rythme. Pour le reste, il se situe dans la droite ligne de ses prédécesseurs et, si rupture il y a, elle tient plus à la forme de son pouvoir solitaire et affranchi des lourdes structures partidaires, qu’au fond des politiques suivies. Emmanuel Macron, c’est le jeune énarque pressé qui licencie pour insuffisance professionnelle ou pour trop faible investissement personnel la vieille classe politique. Le problème, pour celui qui l’a si bien incarné, c’est que ce programme a aujourd’hui terriblement vieilli et présente de réels signes de faiblesse.

Fin de la récréation

L’Europe d’abord. L’Union européenne ne parvient pas, c’est un euphémisme, à protéger ses citoyens dans la mondialisation. L’Europe-puissance est une utopie française à laquelle personne ne croit plus. Le « couple franco-allemand » n’existe que dans les phantasmes du conjoint délaissé et d’ailleurs, personne en Allemagne n’utilise cette expression. Le bilan de Mme Merkel, partie sous les louanges des commentateurs français énamourés, se résume à trois décisions unilatérales aux effets pour le moins contestables : la sortie du nucléaire en 2011, le traitement draconien appliqué à la Grèce entre 2010 et 2015, l’accueil sans condition de 1,5 million de « migrants » en 2015. L’idée que la nation prise isolément serait une formule dépassée et que de vastes ensembles pèseraient davantage dans un monde globalisé est tout simplement fausse, comme le montrent, depuis trente ans, les succès économiques de la Corée du Sud, de Taïwan, d’Israël ou de Singapour… L’Union est fragilisée et Emmanuel Macron ne pourra plus, comme en 2017, conclure sa campagne aux sons de l’Hymne à la joie.

Emmanuel Macron rencontre de jeunes sportifs lors d’und éplacement à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis), dans le cadre de la préparation des Jeux olympiques, 14 octobre 2021. Crédit: Denis Allard/Leextra/Leemage.

Le modèle de redistribution sociale gonflé pour contenir les effets de la mondialisation s’essouffle lui aussi. Il alimente un déficit récurent et une dette grandissante, qu’une hausse des taux d’intérêt rendrait insupportable. L’évolution du système suscite également des interrogations. Depuis plus de quarante ans, les gouvernements successifs, sans sacrifier les mécanismes d’assurance, ont privilégié des logiques d’assistance. Emmanuel Macron a, plus que les autres, revendiqué cette inflexion, affirmant, en 2017 dans une interview au Point, sa préférence pour un système de solidarité de type « beveridgien ». Or, si celui-ci est plus redistributif, il est aussi moins intégrateur que le système d’assurance « bismarckien ». Il sépare nettement ceux qui reçoivent les prestations de ceux qui les financent, souvent lourdement, sans jamais vraiment en bénéficier, y compris lorsqu’il s’agit de salariés modestes ou de petits travailleurs indépendants. Cette rupture du lien contributif est probablement une des causes profondes du mouvement des Gilets jaunes. Emmanuel Macron peut-il continuer sur cette voie au risque de fracturer encore davantage la société ? Doit-il au contraire renouer avec les mécanismes d’assurance, ceux de la « Sécu » de 1945, par exemple en développant un nouveau risque pour l’extrême vieillesse et la dépendance ? La protection sociale mériterait en tout cas d’être un sujet majeur de la présidentielle.

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Restent les questions sociétales, et là encore, les perspectives sont délicates. Depuis un an, le président lui-même semble ralentir la cadence. Sur la question sensible de l’allongement du délai de l’IVG de douze à quatorze semaines, il a tempéré les ardeurs de sa majorité. Dans le dossier brûlant de l’euthanasie, revenu dans débat parlementaire en avril dernier à la suite du dépôt d’une proposition de loi, le gouvernement est resté curieusement neutre. Emmanuel Macron veut-il réserver ces sujets électoralement porteurs, mais lourds de passions concurrentes, à sa prochaine campagne ? A-t-il au contraire compris que toute nouvelle « avancée » en entraîne une supplémentaire sur la route sans fin du progressisme et que l’affirmation sans limite des droits des individus ou, pire encore, des communautés, minait la cohésion sociale ?

Quoi qu’il en soit, il ne peut aller à l’élection avec le logiciel de 2017 : les Gilets jaunes et le Covid ont tué la « start-up nation ». De même, il serait risqué de ne compter que sur son bilan, forcément en demi-teinte, ou sur la médiocrité supposée de ses adversaires : l’élection présidentielle se joue en effet toujours sur un projet. Le président a-t-il changé ? La timide relance du nucléaire, le plan d’investissement de 30 milliards d’euros présentés le 12 octobre, l’insistance donnée à la relocalisation et la réindustrialisation sont-ils les signes d’une inflexion sinon vers le souverainisme (on ne lui en demande pas tant), mais au moins vers davantage d’euro-réalisme ? La baisse drastique des visas accordés aux ressortissants des pays du Maghreb préfigure-t-elle une nouvelle politique de l’immigration ? Le président sortant ne peut plus rester dans le « en même temps ». Pour survivre, il doit se réinventer.


[1] Ce texte a été publié le 1er décembre dans le magazine Causeur, avant les résultats du Congrès LR.

Il paraît que «Gestapette», c’est homophobe!

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Le collobarationniste Abel Bonnard (1883-1968) Image: Wikimedia Commons.

Devant des étudiants qui le relançaient sur Vichy, Eric Zemmour a rappelé que le ministre de l’Éducation sous Pétain était notoirement homosexuel, et que les résistants le surnommaient «Gestapette». Pour ses adversaires, cela est suffisant pour intenter un nouveau procès en homophobie au candidat à la présidentielle…


Le désormais candidat à la présidentielle avait été invité vendredi 10 décembre à parler devant des étudiants de l’ESCP, grande école de commerce. Dans Libération (ça ne pouvait pas être ailleurs), une pétition, signée par d’autres étudiants et anciens étudiants, proteste contre sa présence.

Il est fait grief à la direction de l’ESCP d’avoir, sous couvert de « neutralité », ouvert les portes de l’école à un raciste, nationaliste, fasciste, et j’en oublie.

Mais le principal reproche est que Zemmour est homophobe. En effet, il a fait rire en évoquant : « un ancien ministre notoirement homosexuel qu’on surnommait Gestapette ». Relativisons son crime. L’homme affublé de ce sobriquet c’était Abel Bonnard. Zemmour connaît bien l’Histoire de France et en particulier celle de Vichy. Pour une fois on ne lui cherchera pas querelle sur cette question.

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Abel Bonnard fut ministre de l’Education nationale pendant l’Occupation. Homosexuel affiché, il ne dissimulait en rien ses penchants. Car sous Vichy, c’était plutôt bien vu. Ainsi du maréchal Lyautey, célébré comme un héros par Pétain, on pouvait dire : « il a des couilles au cul, mais ce ne sont pas les siennes ».

Farouchement antisémite, Abel Bonnard trouvait le maréchal trop mou à son goût. Il s’engagea donc corps et âme dans la collaboration avec les nazis. Les résistants lui collèrent alors l’appellation de Gestapette. Et aujourd’hui on ne pourrait plus le dire ? Nous espérons que Gestapette, condamné à mort à la Libération, ne figure pas au Panthéon des associations LGBT…


Mont Valérien: indignez-vous!

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Un message infamant a été découvert hier sur le monument honorant les résistants et nos combattants de la Seconde Guerre mondiale. Le président Macron a dénoncé une « insulte à la mémoire de nos héros » et a affirmé que « souiller ce lieu sacré de la République, c’est porter atteinte à ce qui nous unit. » Les coupables seront « retrouvés puis jugés » a-t-il promis.


L’unanimité est souvent gênante, mais parfois salutaire. Elle est aujourd’hui nécessaire. Que chacun condamne les dégradations commises au mémorial du Mont Valérien ! Ceux qui y sont honorés méritent que tous, qui que nous soyons, et de mille manières, nous fassions entendre nos voix pour les saluer et effacer la profanation de leur sanctuaire.

Une infamie

Site sacré pour les Celtes, qui doit son nom peut-être à un ermite chrétien, peut-être à un empereur païen, lieu où Sainte Geneviève aurait conduit ses moutons, ermitage et monastère, forteresse. Sous l’occupation, le Mont Valérien fut le théâtre de plus d’un millier d’exécutions de résistants et d’otages. C’est le Général De Gaulle qui décida d’y faire ériger un mémorial, à l’entrée d’une crypte dans laquelle reposent les corps de dix-sept héros du combat contre l’horreur nazie, hérauts et symboles de tous leurs compagnons de lutte, de sacrifice et de victoire.

Lundi matin, tracé sur ce mémorial : ANTIPASS, graffiti stupidement écrit là où il n’a rien à faire, déni d’humanité comme toute profanation de tombeau. Mais pire : le double S dessiné comme l’emblème de la SS, et ça, en ce lieu, c’est une infamie particulièrement odieuse.

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Qu’importe ce que l’on pense du passe sanitaire, aucune cause ne saurait justifier ce sacrilège. Il est étrange de parler de sacrilège dans une République qui vient de commémorer la laïcité ? Alors assumons l’étrangeté. Le sang versé par nos aînés pour la France et pour l’humanité de l’Homme est sacré, au-delà de toute croyance et de toute considération politique.

Sentinelles d’humanité

Il faudra, plus tard, réfléchir à ce que cette profanation dit de notre époque. Époque du saccage de l’Arc de Triomphe, et d’un manque évident de respect envers le travail et la foi des anciens bâtisseurs de Notre-Dame. Il faudra nous rappeler que le sacré du Mont Valérien ne doit pas être rabaissé à des incantations politiciennes pour excommunications faciles, qui le souillent en le transformant en idole, alors qu’il est une icône. Il faudra se demander si invoquer sans cesse et n’importe comment, sans la moindre pudeur, la mémoire d’une époque terrible où la grandeur et la bassesse furent toutes deux poussées à leur paroxysme, n’a pas contribué à désacraliser cette mémoire, et ainsi à en permettre la profanation. Et il faudra enquêter et sanctionner, sans la moindre faiblesse, quels que soient les coupables.

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Mais recueillons-nous d’abord. Prenons un moment pour restaurer le sacré en saluant dix-sept braves, dix-sept héros, dix-sept sentinelles d’humanité, selon la belle formule de Robert Redeker. Pour leur rendre hommage, en signe de respect et de gratitude. Et avec eux, en disant  leurs noms comme si nous étions dans cette crypte et longions leurs cercueils, saluons-les l’un après l’autre, et saluons tous ceux qu’ils représentent…

  • Boutie Diasso Kal
  • Edmond Grethen
  • Raymond Anne
  • Maboulkede
  • Berty Albrecht
  • Maurice Debout
  • Pierre Ulmer
  • Georges Brière
  • Hubert Germain
  • Alfred Touny
  • Jean Charrier
  • Allal Ould M’Hamed Ben Semers
  • Hedhili Ben Salem Ben Hadj Mohamed Amar
  • Henri Arnaud
  • Maurice Duport
  • Antoine Mourgues
  • Renée Lévy

Aux morts !

(Re)voir aujourd’hui «Seul contre tous»?

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Philippe Nahon dans "Seul contre tous" de Gaspar Noé (1998) © RONALDGRANT/MARY EVANS/SIPA Numéro de reportage : 51417659_000004

Un film à (re)découvrir urgemment… mais à ne pas placer devant toutes les mirettes!


Gaspar Noé, l’enfant terrible du cinéma de genre français fut l’un des invités d’honneur du Paris International Fantastic Film Festival (PIFFF), qui fêtait cette année son dixième anniversaire avec une programmation hors-norme. L’occasion d’une projection spéciale de son film culte, le très politique et sans concession « Seul contre tous », dans une magnifique copie personnelle apportée spécialement pour l’événement par le réalisateur franco-argentin de 57 ans, coutumier des déambulations cannoises et des œuvres-coups de poing : « Irréversible », « Enter the Void », « Love », « Lux Aeterna »

Toujours est-il que 22 ans après sa première sortie en salles, l’onde de choc de « Seul contre tous » reste d’une violence inouïe et remue plus que jamais les entrailles de cette « France profonde », entrant du coup étrangement en résonance avec le contexte socio-politique actuel…

Jamais sans ma fille !

Attention film ovniesque et rejeton mal élevé du cinéma français qui remporta le Prix de la Semaine de la Critique ainsi que le Prix très Spécial lors du 51e Festival de Cannes en mai 1998. « A chaque vision, le film me donne la patate pour au moins trois semaines » (Jean-Pierre Jeunet) ; « Un vibrant plaidoyer pour l’inceste qui ne saurait laisser indifférent » (Christophe Gans) ; « Abjectement sublime » (Albert Dupontel) ; « Aussi fort que du Céline » (Marc Caro) ; « Un superbe fist-fucking cinématographique » (André Bonzel)…

Pourrait-on aujourd’hui réaliser, financer, distribuer et diffuser un tel film ? On serait tentés de répondre immédiatement par la négative tant le déluge de propos politiquement incorrects éructés ad nauseam, en voix-off et en monologue intérieur par l’anti-héros du film est vertigineux. Sans parler de quelques scènes hyper transgressives et très graphiques (les spectateurs s’en souviennent encore…) qui susciteraient immédiatement un immense scandale avec manifestations, menaces de censure, boycotts, représailles et autres types d’actions en meutes pilotées par nos lobbys catégoriels préférés ! La star du film, c’est « Lui », un boucher chevalin de 50 ans, sans nom défini et magnifiquement incarné par le regretté Philippe Nahon, figure du cinéma bis hexagonal, qui trouvait là le rôle de sa vie avec une stature physique et un jeu animal et sensitif à la Gabin.

Ouvertement raciste, xénophobe, germanophobe, homophobe, misogyne… et, last but not least, père incestueux, il coche pourtant toutes les cases de l’infamie morale/ juridique/politique/sociétale. Comment en est-on arrivé là ? C’est bien entendu le levier le plus intéressant d’un métrage explicitement provocateur et outrancier mais pas forcément auto-satisfait et complaisant. Autrefois propriétaire d’une boucherie chevaline à Pantin, en banlieue parisienne, il a tout perdu pour avoir planté un « ouvrier arabe » qu’il a cru à tort responsable d’un prétendu viol commis sur sa jeune fille Cynthia, handicapée mentale (impressionnante Blandine Lenoir dans ce rôle sans parole). Le ton est donné ! On le retrouve quelques mois plus tard en 1980. Sorti de prison mais sans le sou, il est amené à vivre au crochet d’une plantureuse patronne de bar au look très germanique (formidable Frankye Pain) qu’il vient en plus d’engrosser. Décidé coûte que coûte à ne pas garder l’enfant et à repartir de zéro afin de vivre une « histoire spéciale » avec sa propre fille, le « seul amour de sa vie », il sait que tous les moyens lui seront « moralement justes » pour y parvenir ! Ce qui le conduit à une longue errance, avant tout méditative, à travers une effroyable nuit glauquissime faite de rancœurs, humiliations, frustrations, violences et haines en tout genre, débouchant in fine sur un étrange et improbable halo de lumière…

Une France déclassée et clochardisée

Le génie de ce premier film professionnel, entrepris en fait dès 1991 (à l’âge de 28 ans !) à travers son moyen-métrage « Carne », dont il prolonge puissamment ici la trame narrative et les lignes de force, est de suivre la lente dérive vers les abysses de la folie de ce boucher « français moyen » à travers ses allers-retours entre banlieues parisienne et lilloise, agrémentés (si l’on peut dire) des rencontres fortuites réalisées au cours de son parcours erratique. L’occasion surtout de scruter au plus près cette France blafarde et « rance » (ce terme, anagramme de « Carne » devait initialement figurer le titre du film !), une France périphérique des marges, des exclus, des frustrés, des oubliés et finalement des vaincus de l’ordre économique libéral et bourgeois sans-frontièriste du début des années 80.

Reprenons le pitch. Suite à la condamnation pénale de notre boucher, son affaire a été reprise par des « arabes » et lorsqu’il sort de tôle, il ne reconnait plus son pays et se sent pour la première fois « comme étranger chez lui ». Il va surtout expérimenter la profonde crise économique et sociale, post chocs pétroliers que traverse alors l’Hexagone. « Pauvre France, toute la misère du monde s’abat dessus. Plus d’usine, plus de travail, rien que des ruines et des chômeurs. »  

Et lorsqu’un de ses anciens clients, un Directeur d’abattoir, symbole du bourgeois parvenu, de surcroît bisexuel, lui refuse un emploi d’équarisseur en raison de son casier judiciaire, notre boucher voit rouge et se radicalise encore plus, donnant libre cours à un succulent monologue : « Pourquoi y-a-t-il toujours autant de pédales chez les bourgeois ? C’est sans doute dû à l’absence d’efforts physiques ! Leurs gènes deviennent mous et dégénérés. Plus ils ont l’air bien cravatés et plus ils sont crétins ! Elle est bien gouvernée la France ! ».    

Noé prend toutefois soin de renvoyer dos-à-dos les deux extrêmes politiques puisqu’il nous dépeint avec force détails la misère urbaine, sociale, populaire de ces banlieues rouges, à Paris ou à Lille, signifiant ainsi la faillite du communisme municipal tout en brocardant également cette prétendue « France raciste et néo-pétainiste ».

« A aucun moment, je n’ai voulu dresser le portrait d’un fasciste ! plaide Noé. C’est juste le portait d’un homme qui a perdu sa boutique et qui bascule dans l’aigreur, dans la haine de l’autre. Le désespoir d’un mec de 50 piges dans la dèche, en pleine crise alimentaire, personnelle, qui n’arrive même pas à s’acheter un bifteck. Pour moi, ça ne va pas plus loin. »

Quelles ont été alors les influences directes de Noé ? « Je suis arrivé en France à Paris à l’âge de 13 ans [ses parents ont fui la dictature militaire argentine en 1976- NDLR] et j’ai eu plaisir à découvrir en vente libre des BD érotiques, des magazines pornos avec des filles à poil, des journaux libertaires comme Hara-Kiri puis un jour à la TV je découvre stupéfait le film Dupont-Lajoie d’Yves Boisset montrant une France dure, radicale, raciste, détestant les Arabes et cela a été un vrai choc pour moi. J’ai ensuite pensé à Philippe Nahon pour sa carrure à la Le Pen que l’on voyait alors affiché partout sur les murs de France dans les années 80 avec plusieurs slogans tapageurs du Front national. »

Alors, tous pourris ? Pas tout à fait puisque seul Robespierre représente la figure révolutionnaire du Sauveur aux yeux du boucher : « Ce sont des types comme Robespierre qui feraient du bien à la France. Le problème c’est qu’aujourd’hui, les gens sont trop aidés pour faire la Révolution. Tout ce qu’il reste, ce sont des vengeances à titre personnel comme la mienne ! »

Et si finalement l’essentiel n’était pas ailleurs ? Loin de la dimension socio-politique, ne s’agit-il pas plutôt d’un grand film romantique sur le passage destructeur du temps, dont la corrosion détruit tout, les êtres, les chairs, les mémoires, les souvenirs, sauf l’amour éternel filial ?       

En DVD chez Studio Canal.

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Zemmour le dynamiteur

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Tous ses petits compagnons de jeu – les candidats à la présidentielle 2022 – l’accusent d’hystériser la vie politique. Mais c’est leur propre hystérie qui est vraiment remarquable !


Les Républicains l’imitent, quoique tardivement. Une bonne partie de la gauche s’enferre dans son déni et sa paranoïa. En se portant candidat à l’élection présidentielle, Éric Zemmour provoque une agitation instructive dans le vieil entre-soi des gens de pouvoir qui façonnaient tranquillement l’opinion publique jusque-là. On dirait des mômes attirés et révulsés par la violence du cador de la cour de récré ! Tous désapprouvent sa tyrannie et le craignent, et tous sont fascinés par lui et aimeraient bien s’imposer aussi efficacement.

À droite, le RN inquiet…

Parmi ces mômes, on retrouve ceux qui voudraient être comme lui mais n’osent pas (ou plus) par souci de relégation ou de validation sociale : la droite politique LR et le RN principalement. Le cador historique de la droite nationaliste et patriotique – le RN et sa candidate Marine Le Pen – voit d’un mauvais œil l’arrivée de ce mouflet qui frappe plus fort. Ses thèmes les plus porteurs (souveraineté, immigration, islam, identité) sont aussi ceux de l’ancien journaliste, qui rencontre naturellement son public – tandis que la porosité d’une partie de l’électorat RN n’est un mystère pour personne.

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Logiquement, Marine Le Pen et son état-major se sentent menacés dans leur stratégie de normalisation et réagissent : la vidéo de candidature de Zemmour ? « Passéiste et crépusculaire. «  Zemmour ? Un « polémiste » qui « n’apporte rien » et déploie « une forme de brutalité« . Ces attaques semblent mues par une double inquiétude. Celle de voir une partie de son électorat se tourner vers lui dès le premier tour, et celle née de la contestation de la stratégie par une partie de ses cadres (Nicolas Bay, Philippe Vardon ou Stéphane Ravier par exemple, à en croire le Huffington Post). Le Pen le reconnaît elle-même : Zemmour est « un concurrent » qui « disperse des voix qui sont utiles au redressement du pays.« . La baronnie RN est menacée, et le sent.

… et LR envieux ?

Pour LR, c’est différent. La droite traditionnellement libérale, européiste et mondialiste ressemble au gringalet fasciné par la brute Zemmour. Le parti qui enverra Valérie Pécresse à l’élection semble tenaillé par des sentiments ambivalents, entre attraction et répulsion. L’équation est simple : LR craint un siphonnage de ses électeurs les plus à droite. Les candidats à l’investiture LR ont donc été forcés de se positionner sur les sujets prisés par Zemmour, affichant une fermeté parfois opportune sur l’islam, l’identité et l’immigration durant le Congrès.

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Envoyée dans la cour, Valérie Pécresse martèle donc un discours fortement régalien pour « mettre fin à l’immigration incontrôlée« , « renforcer la sécurité au quotidien« , ou encore « réarmer notre pays contre l’islamisme et le terrorisme« (octobre 2021) . Qu’elle est loin, la Pécresse qui expliquait que l’islam est « une religion française » (CNews, 2019) ! Forcée par Zemmour à sortir du bois et à se positionner plus fermement, Pécresse sera jugée sur ses éventuels revirements rhétoriques en cas de second tour face à Macron.

À gauche, le déni et l’injure

Les mômes de gauche sont eux comparables aux gamins devenus impopulaires qui haïssent le caïd parce qu’il est le centre de l’attraction, et pas eux : ils ont peur de ne pas exister. Mais au lieu de s’adapter, ils paniquent, s’avilissent ou s’enferment dans le déni. Leurs armes : l’anathème, la censure, voire carrément l’injure.

Sans argument, le PS se réfugie dans le reductio ad hitlerum : Zemmour a « le discours de Pétain » (Olivier Faure), ou alors c’est carrément un « négationniste » (Anne Hidalgo). La maire de Paris claironne même son refus de débattre avec celui qu’elle traite de « guignol« . Plutôt que se retrousser les manches et remonter la pente, elle préfère les mantras apotropaïques, piètres faux-fuyants pour éviter une prévisible mise en charpie si un tel débat avait lieu.

Même son de cloche chez EELV ou au PCF : pour Yannick Jadot, Zemmour est un « petit collabo de salon« .(BFM, 17 octobre) Plus littéraire, Fabien Roussel paraphrase Robert Merle : « La haine est son métier« (Twitter, 30 novembre). Le candidat PCF, qui s’était pourtant distingué en abordant les questions d’identité, de protectionnisme économique et d’immigration, semble avoir mis depuis de l’eau dans son vin.

Mélenchon se distingue lui par une attitude ambivalente. Le candidat LFI avait déjà accepté un débat télévisé avec Zemmour et expliquait que l’interdiction de son meeting à Villepinte n’était « pas le principe de la démocratie« (BFM, 3 novembre). Ses lieutenants – Alexis Corbière ou Clémentine Autain – semblent bloqués eux dans leurs vieux réflexes : Zemmour est « haineux » (pour Corbière, cette assertion tient lieu d’argument) ; et pour Autain, il faudrait lui interdire de s’exprimer ! Mélenchon n’oublie donc pas de rassurer ses troupes lors de son meeting à La Défense : oui, Zemmour est « l’ennemi du genre humain » et veut faire de nous « la France qui a peur« . Mamma mia !

À gauche, les ambitions élyséennes de Zemmour agissent donc comme une mise en lumière extrêmement crue. Incapables de se renouveler et de séduire, ces mômes sous-entendent, injurient, veulent interdire. Toute une conception de la démocratie !

Il agit, ils réagissent

Le tableau est assez clair : c’est Zemmour qui impulse la dynamique et le rythme de ce début de campagne présidentielle. Conscients que ses propos rencontrent une adhésion puissante et sans artifices à des lieues de l’enthousiasme tiède qui prévaut ailleurs, le reste de la sphère politique se cabre, séduit, crache, hésite, singe, nie, bref : adapte son comportement au trublion qui met le bazar dans la cour de récré.

Pour certains, cette adaptation prend la forme de revirements et d’atermoiements dont la sincérité paraît douteuse. Les autres préfèrent accélérer leur fuite en avant pour éviter de se demander pourquoi Zemmour trouve dans une partie du peuple une oreille si attentive. Le déni devient un délire paranoïaque.Que l’on soit d’accord avec lui ou non, Éric Zemmour agit et les autres mômes réagissent. Il dynamite ? Ils sont en pétard.

« Le voile, c’est l’islamisation par le bas »

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Florence Bergeaud-Blackler est chargée de recherche au CNRS. D.R.

La révolution iranienne a prouvé qu’il était possible d’islamiser une société entière. Avec une efficacité redoutable, les Frères musulmans instillent leur idéologie radicale en Occident. Et pour mener sa guerre sainte, cette internationale islamiste peut compter sur un allié de taille: la cancel culture.


Causeur. Une célèbre vidéo montre le président égyptien Gamal Abdel Nasser se moquer des Frères musulmans (FM) qui voulaient imposer le voile à toutes les Égyptiennes. Que nous apprend-elle sur le processus de voilement dans les pays musulmans ?

Florence Bergeaud-Blackler. Dans cet extrait, très populaire sur les réseaux sociaux, Nasser rapporte sa réponse ironique à un responsable des FM qui lui aurait demandé de généraliser le port du voile : « Vous avez une fille à la faculté de médecine et elle ne porte pas le voile, pourquoi ne l’obligez-vous pas à le porter ? Si vous n’arrivez pas à faire porter le voile à une seule fille qui en plus est la vôtre, comment voulez-vous la faire porter à 10 millions de femmes égyptiennes ? » Ce qui fait éclater de rire son public, essentiellement composé d’hommes d’ailleurs. On a surinterprété ce passage comme témoignant d’une société égyptienne laïque et globalement hostile au voilement des femmes. En fait, Nasser ne se moque pas du voile mais du fait que les Frères musulmans n’ont pas d’autorité sur leurs propres filles.

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Bien après ce discours de Nasser, des femmes afghanes, arabes, iraniennes ou pakistanaises ont été filmées en jupe courte et la tête nue. Qu’est-ce qui leur est arrivé, à elles, à leurs filles et petites-filles ?

Il ne faut pas se méprendre. Ces images en noir et blanc des années 1960 que l’on voit circuler sur les réseaux sociaux sont celles d’une petite frange éduquée de la population urbaine qui n’a pas eu le temps d’imposer ses mœurs laïques à la majorité. Ces femmes ont succombé à la vague islamiste portée par les déclassés et les classes populaires urbaines des années 1970. La modernité séculière est devenue l’ennemie à abattre, caricaturée comme mouvement athée venu d’Occident. Quand elles n’ont pas été expatriées ou persécutées, les élites dites laïques ont cédé aux islamistes un certain degré d’islamisation, notamment par le biais du code islamique de la famille. Elles s’occupent du politique, les islamistes de la société. C’était exactement ce que souhaitaient les Frères musulmans qui ne pensent pas dans le cadre de l’État-nation, mais de l’Umma, et veulent instaurer une société islamique transnationale. Contrairement à certains partis islamistes, les Frères musulmans n’ont pas de réelles ambitions politiques nationales. Ils réislamisent « par le bas » ou « par le haut » – en passant par les organisations internationales.

Le voilement est un maillon essentiel du plan de réislamisation des Frères…

Ils ont pourtant remporté des élections en Égypte et en Tunisie au début des années 2010.

Oui, mais cela n’a pas duré. Aujourd’hui c’est la frange internationaliste de la confrérie, en particulier celle qui opère depuis les pays occidentaux, qui est la plus influente. Et son modus operandi est le soft power qu’elle met en œuvre à travers des organisations intergouvernementales comme l’ONU ou le Conseil de l’Europe pour diffuser sa norme.

Quel rôle jouait le voile dans l’islamisation de l’Iran des années 1960-1970 ?

L’instauration de la République islamique en 1979 a galvanisé les forces sociales porteuses de l’islamisation partout, y compris dans des pays sunnites. L’exemple de l’Iran montre qu’il est possible d’islamiser une société dans son intégralité. Or, la société islamique est fondée sur une distinction fondamentale : le féminin et l’intérieur d’une part et le masculin et l’extérieur de l’autre. À chaque sexe sont associées des valeurs et des compétences propres qui permettent d’établir et de conserver l’ordre tel que Dieu l’a demandé. Cette polarité structure la société islamique idéale. Le voilement du corps des femmes est destiné à invisibiliser la présence féminine dans l’espace public, pour la réserver aux proches et hommes de la famille, tout en permettant aux femmes de participer à l’économie de la société. Les wahabo-salafistes, les talibans, prônent une tenue entièrement couvrante et très handicapante qui dissuade les femmes de sortir. Plus pragmatiques, les Frères et les mollahs qu’ils ont influencés laissent une certaine liberté aux femmes pour des raisons économiques et politiques. Mais cela ne doit durer que le temps nécessaire à l’avènement de la société islamique. Elles devront alors rentrer à la maison. Enfin, dans l’Iran d’aujourd’hui, malgré le courage de certaines femmes, le dévoilement n’est pas à l’ordre du jour.

Pour diffuser la norme salafiste, le monde du halal qui propose aussi bien de quoi manger, de quoi se vêtir, avec qui se marier et voyager, est bien plus efficace que les prêches des mosquées

Quand et comment le voile fait-il son apparition en France ?

Le voilement est un maillon essentiel du plan de réislamisation des Frères, comme l’indique un document de l’Isesco (Organisation du monde islamique pour l’éducation, les sciences et la culture) intitulé « La stratégie de l’action islamique culturelle à l’extérieur du monde islamique ». C’est également le message porté par la plupart des discours adressés à l’Europe par le mentor des Frères européens, Youssef al-Qaradawi. L’éducation du musulman est centrale dans leur approche, et il revient à la femme de l’assurer. Il faut donc absolument préparer les femmes à ce rôle primordial et les soustraire à toute autre influence.

Ce sont donc les Frères musulmans qui sont responsables de la propagation du voile en France ?

Oui. Le frérisme est un mouvement à la foi politique et religieux dont la stratégie fonctionne par étapes. L’objectif est de conduire le « mouvement islamique » vers la société islamique, selon les méthodes établies par l’Égyptien Hassan el-Banna et l’Indo-pakistanais Abu Ala Maududi, les deux grandes figures du frérisme. Comme je le montre dans mon prochain livre, le frérisme est un système d’action qui sait ce qu’il veut. Cette clarté et cette détermination lui donnent une force sans pareil face à nos sociétés qui s’interrogent sur leurs valeurs, et qui sont emportées depuis une trentaine d’années par une vague d’autodestruction que l’on appelle aujourd’hui le « woke ». Les Frères ont trouvé des alliés dans ces divers mouvements qui font un travail de déconstruction épistémologique et politique de l’Occident, ce qui représente une étape essentielle dans leur programme d’« islamisation du savoir », qu’ils ne pourraient pas mener à bien seuls.

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En même temps, le slogan « Mon voile, mon choix » joue sur des valeurs occidentales fondamentales… Est-ce qu’on peut, dans le cas du voile en France, évacuer complètement l’exercice d’une liberté individuelle ? Comment fonctionne le contrôle social ?

L’imitation et la subversion sont deux tactiques fréristes redoutables. Il s’agit d’emprunter le vocabulaire, donc les concepts et valeurs, des démocraties libérales pour les retourner contre elles. Le slogan « Mon voile, mon choix » résulte de l’endoctrinement des jeunes femmes musulmanes à qui des Frères, comme Tariq Ramadan, ont fait croire que l’islam était « féministe », avec des arguments du genre « l’islam est venu interrompre les pratiques préislamiques d’enterrement des bébés filles ». Dans des familles où la violence psychologique ou physique à l’égard des filles – comme la séquestration – sont des pratiques « éducatives » assez courantes, l’islam a été compris par certaines jeunes femmes comme un moyen d’émancipation. Quand elles disent « mon choix », elles disent surtout que leur choix c’est d’être plus musulmane que les hommes qui veulent diriger leurs conduites. Voilà le fondement de leur posture féministe. C’est ce que j’ai appelé la « surenchère du halal » et que le psychanalyste franco-tunisien Fethi Benslama appelle « le syndrome du surmusulman ». Évidemment elles ne font que renforcer la norme religieuse qui reste sous le contrôle des hommes. Elles s’enferment dans un cercle vicieux au nom de la liberté et rendent encore plus difficile la vie des femmes qui veulent rester musulmanes sans porter le hijab.

Manifestation contre l’islamophobie, Paris, 10 novembre 2019. (AP Photo/Thibault Camus/Sipa)

Peut-on distinguer des pratiques et des logiques différentes selon les pays ?

Avec la Belge Fadila Maaroufi, nous avons mené des enquêtes en France, en Belgique, au Maroc et au Sénégal pour comprendre le rapport des femmes à la norme religieuse, notamment au halal. Nous avons été surprises de voir à quel point les discours dans ces quatre pays francophones se ressemblent. La grande majorité des jeunes femmes interrogées a rompu avec la vision traditionnelle de la religion qui aurait été « désislamisée » par des générations de musulmans illettrés, appauvris et humiliés par la domination coloniale occidentale. Les théories décoloniales diffusées sur les réseaux sociaux nourrissent leur imaginaire et leur discours victimaire. Ces jeunes femmes pensent avoir trouvé le « vrai islam » et arrivent à en persuader leurs parents. Elles sont convaincues par l’approche salafiste (littéraliste) du texte qui domine sur le marché du livre et des médias islamiques. Il faut suivre les pratiques et prescriptions, pour obtenir le salut au jour du Jugement dernier et éviter ainsi les flammes de l’Enfer… Et en attendant que le moment soit venu, il s’agit de trouver un mari séduisant et pieux comme le prophète. Pour diffuser la norme salafiste et renforcer l’hégémonie frériste, le monde du halal qui propose aussi bien de quoi manger, de quoi se vêtir, avec qui se marier et voyager, est bien plus efficace que les prêches des mosquées, comme je l’ai montré dans Le Marché halal ou l’invention d’une tradition.

On critique souvent l’islam pour ses difficultés à adapter les textes sacrés à des réalités changeantes. Pourtant, dans le cas du voile, on voit comment, sur une base coranique plus qu’ambiguë, on a presque créé un sixième pilier de l’islam.

Cela va tout simplement dans le sens de la surenchère halal. Les musulmans sont les seuls propriétaires légitimes de l’islam et en théorie, en Europe, ils devraient avoir toute liberté pour le faire évoluer. En pratique, c’est une autre affaire. L’Umma est « une et indivisible ». Toute personne qui ose remettre en question le dogme, comme celui de « l’incréation du Coran », la base du littéralisme, est menacée, parfois de mort. Les apostats sont pourchassés sans pitié. Il est devenu presque suicidaire de prendre des positions courageuses. Or il faudrait que les musulmans acceptent que l’islam soit représenté par plusieurs courants comme dans les autres religions. Les Frères l’interdisent, car leur projet est de rassembler tous les courants sous la même bannière.

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L’histoire du voile en France a commencé il y a plus de trente ans avec l’affaire de Creil. Où avons-nous, collectivement, fait des erreurs ?

Oui, il y a eu des erreurs, mais il ne faudrait pas en ajouter une autre : l’anachronisme. Il nous était difficile en 1989 de savoir à quoi nous avions affaire. Les féministes comme Élisabeth Badinter avaient vu juste sur le risque de régression des droits des femmes, mais on ne pouvait pas imaginer que trente ans plus tard nous produirions dans nos écoles des djihadistes capables des pires horreurs, que l’antisémitisme chasserait les juifs de certains quartiers, que des dessinateurs seraient mitraillés, qu’un enseignant serait décapité, que des étudiants demanderaient à des Blancs de s’excuser pour ce qu’ils sont… Cette alliance entre l’idéologie destructrice du frérisme et l’idéologie déconstructrice du wokisme nous habitue peu à peu à accepter que le fait que la terre est ronde soit une option parmi d’autres dans la diversité des opinions. Certains médias, notamment à gauche, portent une lourde responsabilité dans cette dérive. C’est vrai en France, mais encore plus en Belgique, pays qui a quelques années d’avance sur nous dans la généralisation de la cancel culture. Dans Cachez cet islamisme, nous analysons la façon dont la cancel culture nous détourne d’un de nos plus importants problèmes, le fondamentalisme religieux.

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