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Effondrement du niveau en mathématiques: réquisitoire contre les fossoyeurs d’une excellence française

Une tribune du collectif "Profs avec Zemmour"


Effondrement du niveau en mathématiques: réquisitoire contre les fossoyeurs d’une excellence française
Image d'illustration © Michèle Constantini / AltoPress / PhotoAlto via AFP

L’avenir de la France se joue aussi dans l’enseignement des mathématiques à l’école. Qu’attendons-nous pour relever nos exigences en la matière ?


Souvent relayé par les médias à l’occasion de la sortie des divers classements internationaux, le constat est implacable : le niveau des élèves français en mathématiques n’a pas seulement baissé avec une étonnante régularité ces dernières décennies, il s’est effondré. Alors qu’il y a encore trente ans notre enseignement des mathématiques était universellement reconnu comme étant l’un des meilleurs du monde, nous sommes aujourd’hui classés derniers des pays de l’Union Européenne, et avant-dernier des pays de l’OCDE, derrière le Kazakhstan [1]!     

« On peut parfaitement exceller en mathématiques sans calculer correctement. Il ne faut pas dégoûter les élèves avec ça. » Cette phrase, maintes fois entendue en formation par des générations d’enseignants consternés, est la mère de tous les reniements…

Les répercussions de cet effondrement se font d’ailleurs sentir dans toute la société. Interrogez un peintre en bâtiment : il vous expliquera que ses stagiaires sont incapables de prévoir les quantités de peinture nécessaires, faute de savoir calculer la surface d’un rectangle. Demandez à une infirmière expérimentée : elle vous apprendra que ses jeunes collègues sont souvent perdues dans leurs dosages car vaincues par une règle de trois…

Exagération ? Pessimisme outrancier ? Si votre enfant est au lycée, faites ce test : demandez-lui d’effectuer une addition à quatre chiffres, une soustraction de même, une multiplication à deux chiffres, et une division d’un nombre supérieur à 1000 par 12. Sachez que si votre enfant parvient sans aide extérieure à effectuer ces quatre opérations à la main, il fait désormais partie d’une élite. Ne vous réjouissez pas trop vite : faites le test d’abord. L’expérience de tout enseignant à ce niveau montre que votre enfant a moins d’une chance sur dix de le réussir. Il va de soi que si ces notions extrêmement basiques ne sont pas maîtrisées, le reste est à l’avenant.

La France, terre historique d’un enseignement des mathématiques redoutablement performant

Pourtant, dans le monde entier, tout élève du secondaire, comme du supérieur, peut constater la surprenante occurrence de patronymes français dans la dénomination des grands théorèmes au programme. Cette réalité témoigne de l’importance de l’école française de mathématiques au cours de l’histoire, et notamment à partir de l’Époque Moderne. Descartes, Pascal, Fermat, Fourier, Laplace, Cauchy… Tous ces grands noms, et tant d’autres qui sont venus s’y ajouter depuis, ont irrigué l’enseignement des mathématiques.

Consciente de cette tradition, et convaincue de l’importance stratégique des mathématiques durant la révolution industrielle, l’école de la Troisième République mettra un point d’honneur à faire exceller le système éducatif français en la matière. Pendant un siècle, les élèves français ont bénéficié de ce qui peut se faire de mieux en termes de pédagogie et de contenus. Les résultats parlaient d’eux-mêmes : à la sortie du primaire, on maîtrisait parfaitement le calcul numérique et les constructions géométriques. On était en mesure de résoudre des problèmes assez complexes, comme les fameux « problèmes de robinets ». À la sortie du collège, la maîtrise du calcul algébrique élémentaire était complète et l’étude de la géométrie classique permettait une entrée très exigeante dans la notion de démonstration. Jusque dans les années 80, l’organisation des filières scientifiques en sections C et D réalisait un compromis remarquable entre excellence et accessibilité. Les meilleurs lycéens dépassaient un solide BAC+1 d’aujourd’hui…

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Comment donc sommes-nous passé d’un tel niveau d’excellence à la situation actuelle ? S’il est indispensable d’en comprendre les causes, elles sont loin d’être aussi complexes et multifactorielles qu’on veut le faire croire.

Avant toute chose, qu’est-ce qu’un « bon » enseignement des mathématiques ?

Les mathématiques forment une discipline fondée sur la manipulation et l’étude d’objets abstraits tels que les nombres, les ensembles, les fonctions, les figures géométriques, ainsi que sur des raisonnements logiques portant sur ces objets. Les mathématiques constituent à la fois un langage commun pour les sciences, et aussi une discipline à part entière. Pour atteindre l’excellence dans ce domaine de l’esprit, il est nécessaire pour l’élève de bénéficier de quatre facteurs pédagogiques déterminants :

  1. Une entrée dans les concepts patiente et pleine de bon sens, ayant pour but de maximiser la compréhension profonde des objets étudiés. Cette pédagogie doit aller du concret vers l’abstrait, et du simple vers le complexe.
  2. Un entraînement technique progressif et répétitif permettant de développer des réflexes et de « muscler » sa puissance cognitive : calcul mental et écrit, techniques de résolution, constructions géométriques… L’entraînement fournit aussi des techniques prêtes à l’emploi, qui soulagent l’élève, lorsqu’il doit réfléchir sur l’essentiel.
  3. Une pratique régulière et progressive du raisonnement logique, au travers de la résolution de nombreux problèmes adaptés au niveau attendu. La démonstration mathématique, cœur de la discipline, doit rapidement devenir naturelle et constituer un objectif pédagogique en tant que tel.
  4. Un programme scolaire ambitieux, permettant de développer une expertise vaste et de disposer d’une vraie culture mathématique. Des contenus suffisamment riches sont aussi indispensables pour dévoiler la beauté de la discipline et donc motiver les élèves et susciter des vocations.

Il est aisé de se rendre compte que ces quatre points cruciaux, qui fondent un bon enseignement des mathématiques, sont actuellement exécutés avec soin dans les pays asiatiques qui caracolent en tête des classements internationaux. Pourquoi sommes-nous, et dans quelle mesure, sortis de cette tétralogie gagnante ?

La mère de tous les reniements: l’abandon du calcul et de l’entraînement technique

« On peut parfaitement exceller en mathématiques sans calculer correctement. Il ne faut pas dégoûter les élèves avec ça. » Cette phrase, maintes fois entendue en formation par des générations d’enseignants consternés, est la mère de tous les reniements. Imaginez un entraîneur de football qui vous expliquerait qu’il n’est pas nécessaire que ses joueurs sachent courir ! On nage dans l’absurdité.

Si on refuse d’être musclé et endurant, on finit par arrêter de pratiquer du sport à un certain niveau. C’est exactement ce qu’il se passe aujourd’hui en mathématiques, mais dans le domaine de l’esprit. De moins en moins de calcul, puis des calculs de moins en moins ambitieux, puis l’utilisation exclusive de la calculatrice à partir du collège, ont ruiné cet aspect pédagogique fondamental pour former des scientifiques.

Refaire des textes officiels qui donnent sa juste part à un entraînement sérieux, répétitif, régulier et progressif, devrait suffire à inverser cette tendance. La pratique régulière du calcul enclenche un cercle vertueux : sa maîtrise permet à l’élève de se concentrer sur les concepts et les raisonnements et la compréhension de la matière en est immédiatement améliorée.

Cette mesure est facile à mettre en œuvre et gratuite ! Qu’attend-on ?

Le raisonnement logique: autre victime des mathématiques institutionnelles d’aujourd’hui

Nous sommes là au cœur de la discipline. L’essence des mathématiques est de développer une démarche fondée sur un raisonnement logique parfaitement rigoureux pour résoudre des problèmes, concrets ou non.

Le chute du niveau en calcul, lequel est un outil fondamental au service du raisonnement, peut (presque) à lui seul expliquer l’enclenchement d’un cercle vicieux d’échecs de l’institution dans ce domaine. En effet, tel un chauffeur devant s’appuyer sur des réflexes pour adapter sa conduite à l’environnement extérieur, l’élève a besoin de réflexes intériorisés pour rester concentré sur sa stratégie de résolution. Mais quand on décide que la pratique du raisonnement rigoureux est, comme le calcul, un formalisme exagéré, on torpille littéralement la discipline.

Pourtant, le raisonnement mathématique « à la française » était bien le grand point fort de notre école par le passé. Quand certains pays misaient trop sur la performance brutale en calcul, l’école française de mathématique s’ingéniait à promouvoir très tôt dans la scolarité d’élégantes résolutions de problèmes, rédigées avec soin et avec une certaine grâce, privilégiant même l’esthétique d’une réflexion brillante à la froideur d’une approche trop calculatoire. Cette tradition bien française découle des écrits des grands mathématiciens du XVIIe siècle, Pascal en tête.

Aujourd’hui, la véritable démonstration a totalement disparu de l’enseignement des mathématiques à l’école. Nos élèves ne sont plus initiés à ce chef d’œuvre qu’est la rédaction française de résolution de problèmes. Même au lycée, la nécessité de rattraper le temps perdu entraîne une forme de bachotage via des problèmes types très légers en termes de raisonnement. De plus, on entretient dans les faits un relativisme de la rigueur mathématique, en corrigeant les copies avec une largesse coupable en termes de rigueur (« cet élève a compris, même si ce qu’il écrit est faux. Mettez les points. »). Le triste résultat est une ruine des capacités cognitives des élèves.

Un sous-calibrage des programmes aux airs de Bérézina

Les programmes de mathématiques sont aujourd’hui vidés de leur substance. Ils attristent les enseignants motivés et produisent des moues de pitié chez nos homologues étrangers. 

Nous en sommes aux dernières conséquences du cercle vicieux exposé plus haut : un entraînement technique cacochyme et une faiblesse endémique dans le raisonnement logique entraînent mécaniquement une baisse des capacités des élèves à comprendre des concepts trop complexes. Et plutôt que de remédier à ces lacunes, on préfère diminuer les contenus. Confrontés à la réalité, certains enseignants en arrivent même à demander eux-mêmes ces diminutions afin de pouvoir coller aux objectifs. Après quelques années, élèves comme enseignants s’encroûtent et prennent l’habitude des nouveaux programmes. Le niveau global baisse d’autant plus et une nouvelle diminution des programmes devient nécessaire…

Pour renouer avec l’excellence, il faut mettre fin au dogme égalitariste à l’école

D’un point de vue pédagogique, comme nous l’avons expliqué plus haut, la route à suivre est bien tracée. Il faut remettre l’entraînement aux techniques de calcul à l’honneur, car c’est un prérequis indispensable pour permettre aux élèves de pénétrer le cœur du sujet, qui est l’apprentissage du raisonnement rigoureux et la rédaction de démonstrations. Il faut aussi des programmes plus ambitieux, contenant suffisamment de notions intéressantes pour éveiller la curiosité et l’esprit mathématique.

Ce retour de l’ambition intellectuelle à l’école, au service de nos enfants, s’oppose frontalement au dogme égalitariste qui mine l’Éducation nationale depuis trop longtemps. Cette idéologie ne bénéficie à aucun enfant et n’a eu pour seule conséquence qu’un nivellement par le bas. Un exemple édifiant nous est donné par une étude de la DEPP, service dépendant du ministère de l’Éducation nationale lui-même. Cette étude, qui date de 2019, montre que le niveau actuel en calcul des enfants de CM2 des classes sociales les plus favorisées (CSP+) est inférieur à celui des enfants de la classe ouvrière de 1987 !

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Il faut donc en finir avec l’égalitarisme dévoyé qui empêche les enfants de s’épanouir dans toute leur diversité. Pour cela, des parcours différenciés doivent être proposés dès le collège, pour permettre à chaque élève de donner le meilleur de lui-même. Au lycée, la création de sections de niveau avancé en mathématiques doit être accompagnée avec une valorisation des parcours avec peu ou sans mathématiques, qui doivent eux-aussi être sélectifs. Car il va sans dire que l’on peut accomplir des études brillantes sans nécessairement faire beaucoup de mathématiques !

Le constat que nous avons dressé pour les mathématiques est malheureusement beaucoup plus général. Les mêmes mécanismes et les mêmes dogmes pédagogiques ont partout les mêmes conséquences. Qui se souvient que c’est dans l’étude des langues anciennes, écoles de la rigueur, que plus d’un mathématicien a découvert et aimé le raisonnement logique ? L’abandon indigne de ces langues, qui sont aux sources de notre civilisation, s’est bien sûr accompagné d’un effondrement dans la maîtrise du français chez les élèves… Or c’est la langue qui structure la pensée et permet de raisonner. Un relèvement du niveau en mathématiques doit donc obligatoirement passer pas un relèvement similaire du niveau en français, en remettant au goût du jour l’étude de sa grammaire, de sa syntaxe et la lecture des grands auteurs.

L’avenir de la France se joue à l’école !

L’enseignement des mathématiques en France est arrivé à un point qui ne se peut plus soutenir, et des réformes de fond doivent être mises en place sans plus tarder. L’effondrement actuel se paie déjà dans la société : des erreurs élémentaires de logique gangrènent tous les débats et le peu de capacité en raisonnement se traduit par l’élévation en compensation du sentimentalisme et de l’émotivité. Au-delà de son rôle dans la formation intellectuelle de nos enfants, cette discipline fournit le langage dans lequel s’exprime la physique, la chimie, les sciences de l’ingénieur, l’informatique et même certains domaines de pointe en biologie. C’est donc un savoir indispensable pour l’avenir de notre pays, pour son industrie, pour le rayonnement de sa recherche scientifique, pour sa capacité à innover et à maintenir sa place dans le monde.

Le chantier de reconstruction de l’école, que nous appelons de nos vœux, est immense. Il n’y a plus de temps à perdre pour remettre la transmission des savoirs, l’intelligence, la passion, l’excellence, au centre des préoccupations. À la veille de l’élection présidentielle, cet enjeu majeur doit tenir la place qu’il mérite. Fort est de constater que la plupart des candidats sont issus de partis qui ont soutenu, et ce pendant des décennies, les politiques ayant mené au désastre. Ceci leur enlève toute crédibilité sur le sujet. D’autres sont victimes d’une analyse simpliste de la situation et ne voient dans les difficultés de l’école qu’une question de moyens. Certains, certes de moins en moins nombreux, vont jusqu’à nier l’existence des problèmes.

Éric Zemmour est le seul qui montre un attachement sincère et sans faille à l’école publique. Il a démontré sa lucidité en affirmant haut et fort que ce sont bien des choix pédagogiques et idéologiques qui ont conduit à renier, puis à perdre, les principes sur lesquels l’excellence de l’école française était fondée. On peut lui faire confiance pour avoir le courage, le temps venu, de mettre en application les réformes nécessaires qui permettront d’inverser la tendance et d’œuvrer à une excellence retrouvée, pour le bien de tous nos jeunes. L’école de la République n’a pas dit son dernier mot !


[1] Selon l’étude comparative TIMSS (Trends in Mathematics and Science Study), publiée en 2020, qui mesure le niveau de connaissance scolaire des élèves de CM1 et de 4e en mathématiques et en sciences.



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