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Facebook : l’emoji de la droite conquérante

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On n’a pas besoin d’être une personne réelle pour être la cible de la cancel culture. Dernier exemple, un emoji de Facebook est accusé par la gauche d’être une arme dévastatrice au service de la droite populiste.


Oubliez Pepe le putois, Harry Potter, Astérix et Christophe Colomb. On a trouvé la dernière victime de la cancel culture, certainement la toute dernière de l’année. Il a fallu aller très loin, en Nouvelle-Zélande, sur le site the spinoff. Son contributeur, George Driver, nous explique à quel point l’emoji « haha »de Facebook et son cousin « tears of joy » ont le fond mauvais, et qu’il serait grand temps de les supprimer.

Du populisme – jusqu’aux larmes

Au tout départ sur Facebook, on pouvait partir à la pêche aux likes (symbolisés par un pouce bleu) en publiant photos en maillot de bain ou traits d’esprit (en fonction du domaine dans lequel on se sentait le plus à l’aise). Puis Mark Zuckerberg a un peu complexifié la chose en ajoutant de petites nuances avec les symboles « j’adore » (un cœur rouge) et le haha, petite tête jaune riante et un brin sarcastique. Tout cela peut paraître bien futile pour le commun des gens tenus éloignés des réseaux sociaux, mais aux yeux de notre contributeur néo-zélandais, ce petit symbole permet de signaler son ricanement et son mépris en ligne, surtout quand on le dépose sur un article favorable à #MeToo ou sur un autre dénonçant le réchauffement climatique.  Driver fait même le lien entre la désignation du tears of joy (petit symbole rieur lui aussi, mais jusqu’aux larmes) par l’Oxford English Dictionary comme mot de l’année en 2015, et le triomphe, un an plus tard, de la « post-vérité ». En gros, ces emoji, « armes de la droite dans les guerres culturelles », auraient permis les victoires électorales du Brexit et de Trump.

Un rire diabolique

En avançant dans la lecture, on découvre qu’en réalité, ce petit symbole fait l’objet d’une diabolisation déjà ancienne chez certains beaux esprits anglo-saxons. En 2016, Abi Wilkinson, dans The Guardian, le qualifiait de « petit connard jaune odieux et gloussant » et semblait en faire des cauchemars la nuit : « Quand je regarde son visage jaune, je vois les sourires narquois détestables et insouciants de Nigel Farage et Boris Johnson dansant joyeusement à travers le chaos actuel – sautant, sautant et sautant par-dessus les fissures de la société qu’ils ont aidé à creuser et à s’élargir, en toute sécurité, sachant qu’ils s’en sortiront personnellement, quoi qu’il arrive ». Driver cite aussi un religieux bangladais qui a publié une fatwa au sujet de l’emoji, disant à ses 3 millions de followers que « si votre réaction visait à se moquer ou à ridiculiser les personnes qui ont publié ou fait des commentaires sur les réseaux sociaux, c’est totalement interdit en Islam ». Le contributeur de the spinoff doit être très heureux d’avoir trouvé un allié dans une autre civilisation : si l’emoji attire la colère d’autant de cinglés, c’est qu’il mérite certainement d’être aboli.

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En France, pays où le ricanement fait encore partie du socle commun que partagent la droite et la gauche, la lutte contre l’emoji haha est pour l’instant passée inaperçue. Certes, on peut avec Alain Finkielkraut, s’inquiéter du rire barbare pratiqué sur France Inter ; mais c’est quand même rassurant de se dire que demain matin, au réveil, Charline Vanhoenacker rira encore à gorge déployé parce que Guillaume Meurice est allé capturer les dérapages droitiers d’un garçon-boucher à Rungis à cinq heures du matin – et ce, peut-être, jusqu’à la consommation des siècles.

Les Français n’ont pas changé

La société française un véritable enfer raciste et homophobe ? Beaucoup de témoignages du passé racontent une autre histoire.


Quand je relis  Stefan Zweig évoquant le Paris du début du XXème siècle dans Le monde d’hier (paru en 1943), je saisis pourquoi j’ai du mal à comprendre les obsessions de notre époque : « Nulle part, cependant, on n’a pu éprouver la naïve et pourtant très sage insouciance de l’existence plus heureusement qu’à Paris, où la confirmaient la beauté des formes, la douceur du climat, la richesse et la tradition… Personne n’éprouvait de gêne devant qui que ce fût : les plus jolies filles ne rougissaient pas de se rendre dans le petit hôtel le plus proche au bras d’un nègre aussi noir que la poix ou d’un Chinois aux yeux bridés. Qui se souciait, à Paris de ces épouvantails qui ne devinrent menaçant que plus tard, la race, la classe et l’origine ? On allait, on causait, on couchait avec celui ou celle qui vous plaisait, et l’on se souciait des autres comme d’une guigne. »

On me dira : Mais c’était le Paris d’avant la Grande Guerre !

Sans doute, mais entre les deux guerres d’autres artistes ont célébré le bonheur de vivre à Paris. Il suffit de lire Henry Miller ou Hemingway, et bien d’autres auteurs étrangers, pour sentir encore cette insouciance, cette ouverture, cette liberté qui attirait tant d’intellectuels et d’artistes du monde entier. Ce Paris-là, cette France-là, ne connaissait pas ce qu’on appelle le racisme. Et Joséphine Baker a magnifiquement expliqué dans son discours de 1963 à Washington, lors de la marche pour les droits civiques, combien la France était pour elle un endroit « féerique », notamment parce que la notion de race n’avait aucune place dans les relations sociales.

On me dira : Mais Joséphine Baker évoque la France de l’entre-deux-guerres !

Un boomer comme moi, qui avait 20 ans en 1967, peut dire la même chose. Nous sommes une génération qui ne savait pas ce qu’était le racisme. Nous suivions effarés ce qui se passait effectivement aux Etats Unis ou en Afrique du Sud, mais rien dans notre vie quotidienne ne nous confrontait au racisme, quand à éprouver ce sentiment, cela ne nous effleurait même pas. Bien sûr il y eut à cette époque comme à toutes les autres, une infime minorité d’abrutis qui pensaient que la race blanche était supérieure aux autres, c’est inévitable. Il y avait aussi quelques esprits haineux, échauffés par la récente guerre d’Algérie, qui détestaient viscéralement ceux qu’ils appelaient « les bicots ». De la même façon d’ailleurs que certains de nos grands-pères et de nos pères gardèrent parfois longtemps rancune tenace aux « boches ». Mais dans tout cela, rien de « systémique » comme on voudrait nous le faire croire. La question est : la France a-t-elle vraiment changé ?

Il en va de même pour les mœurs. J’ai fréquenté bien des milieux, des paysans, des ouvriers, le « Tout Paris ». J’ai connu des bisexuels, des transexuels, des homos, des lesbiennes… tous les goûts étant dans la nature, de tous temps chacun a essayé de vivre sa vie en fonction de ses désirs. Je dois donc dire que je n’ai jamais entendu de reproches ostensibles de quiconque à l’égard de quiconque en raison de son orientation sexuelle. Ni entendu quiconque se plaindre de mauvais traitements subis en raison de son orientation. Je sais bien qu’il y a des exceptions malheureuses, mais là encore aucune apparence de répression « systémique ». Il y a à cela deux raison évidentes :

1° Personne ne revendiquait sous un drapeau son appartenance à une quelconque minorité sexuelle. Il y avait, comme c’est normal,  et même pour les hétéros, une discrétion de chacun sur sa vie sexuelle dont on considérait qu’elle était du domaine privé. Exception faite des nuits parisiennes où les choses pouvaient être plus ostensibles dans la liberté de « l’entre-soi », on ne s’affichait pas, on ne revendiquait pas, on vivait sa vie.

2° Bien évidemment, les choses se savaient, mais au fond tout le monde était indifférent à ce genre de savoir sur autrui, et en tous cas rarissimes étaient ceux qui en faisaient une occasion de scandale. Simplement une discrétion de bon aloi s’imposait à tous.

A lire aussi, de Pierre Cretin : Le jour où on m’a demandé d’épeler « Robert »

Et donc, la question se pose à nouveau : la France a-t- elle vraiment changé pour que tant de militantisme « antiraciste » ou « anti-LGBTQI+ » ait envahi de façon aussi obsessionnelle la vie sociale ? Ma réponse est non. Les Français d’aujourd’hui sont bien les enfants de ces Français dont Zweig, Hemingway ou Baker saluaient l’esprit d’ouverture. Exception faite d’une infime minorité, qui représente l’inévitable présence du mal dans toute société humaine, les Français sont naturellement tolérants, ouverts, accueillants, et la différence les indiffère. Mais, comme il est naturel à un peuple légitimement fier de son histoire, de ses lettres, de ses arts, ils ne veulent pas voir disparaître leurs mœurs, leurs coutumes, leur culture, tout un art de vivre salué depuis toujours. Comprendre cela, c’est comprendre la profondeur culturelle de ce qui se joue aujourd’hui dans le champ politique. Ils veulent qu’on ne leur demande pas quel est ce drôle de prénom, « Pierre », ni quelle est l’orthographe de cet autre prénom exotique : « Robert ».

Les « people » versus Éric Zemmour

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Si les people affichent leur opposition à la candidature d’Éric Zemmour, c’est surtout parce que ce dernier se situe aux antipodes du narcissisme qui les définit.


« Que monsieur Zemmour s’abstienne de citer notre père »… Les enfants d’Alfred Grosser, un politologue et historien dont l’influence politique était considérable dans les années 1980-90, ont sommé Eric Zemmour de cesser de citer les livres de leur père sur des sujets comme l’assimilation. Ces « ayant droits » ne sont pas les seuls à s’insurger. Laeticia Hallyday, veuve de Johnny Halliday, a accusé Éric Zemmour d’avoir « détourné » l’image de Johnny Hallyday. Gad Elmaleh a joué les victimes « hallucinées » et a lancé à Éric Zemmour : « Mon deuxième prénom, c’est Joseph, il passe celui-là ? » en référence à la loi que Zemmour entend rétablir sur l’obligation de donner un prénom français à ses enfants. Jean-Paul Rouve, acteur éminent, a jugé que le directeur de campagne d’Éric Zemmour était « fin de race. » Et une certaine Cloé Cooper, que les magazines spécialisés présentent comme « une star de la téléréalité », a affirmé qu’elle quitterait la France si Zemmour devenait président de la République.

Le grand travestissement

Les people s’affichent donc contre Zemmour. Qui sont-ils ? Des gens dotés d’un bout de notoriété en ligne directe ou indirecte (bénéficiant de la notoriété d’un ascendant ou d’un conjoint) et qui font étalage de leur douleur morale. Les enfants Grosser croient (ou veulent croire) que les millions d’Africains et de Nord Africains qui déferlent sur l’Europe depuis trente ans sont les clones des réfugiés juifs pourchassés par les nazis. Laeticia Halliday si heureuse qu’Emmanuel Macron ait rendu à Johnny un hommage solennel le jour de ses funérailles qu’elle se sent en droit de dénoncer la « propagande » d’Eric Zemmour. Gad Elmaleh la joue solidaire avec les Mohamed et feint de se sentir visé par le projet d’Eric Zemmour de rétablir la loi qui oblige les parents à doter les nourrissons nés en France d’un prénom du calendrier.  Quant à Jean-Paul Rouve, il a si fort le sentiment d’avoir planté sa tente dans le camp du Bien qu’aucun dérapage raciste ne lui semble interdit.

Ce n’est pas la première fois que les « people » étalent leur égo endolori sur la place publique. Trente ans durant, ils ont « dénoncé » les « discriminations » infligées aux musulmans, aux Noirs, aux lesbiennes… Mais pour la première fois, en raison de la candidature d’Éric Zemmour, le stade suprême de l’antiracisme est atteint, l’antiraciste est lui-même devenu une cause à défendre.

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Cette effervescence morale des people et autres bobos à l’occasion de la candidature d’Éric Zemmour est la conséquence d’une prise de conscience : le travestissement du monde qui a été opéré depuis trente ans est menacé. Le dernier fake monté de toutes pièces par les antiracistes, les people et consorts, résume à lui seul, tous les autres. Le fake est celui d’Anne-Chloé, une élève d’origine camerounaise âgée de 11 ans, résidant à Chambéry, qui a affirmé début décembre, avoir été blessée gravement au visage par un élève (inconnu) qui l’a poussée dans le dos, le tout sur fond de harcèlement raciste. Le principal de l’établissement et le procureur de la République de Chambéry ont formellement rejeté un tel déroulé des faits, mais Cyril Hanouna et Christophe Dechavanne ont pris fait et cause pour Anne-Chloé (qu’ils n’ont jamais vu de leur vie), sans se soucier de l’ enquête menée au plan local. La « victime », une petite fille noire, ne pouvait pas mentir. Cette affaire banale qui n’aurait jamais dû dépasser les murs de ce collège de Chambéry est devenue une émeute cathodique nationale sur les réseaux sociaux avec mobilisation d’un procureur de la République et pluie de menaces de mort sur le proviseur et les enseignants du collège. 

Les people n’ont en réalité jamais volé au secours d’une « racisée », ils se sont simplement haussés du col. Au sein de cette fiction d’une société française gangrenée par le racisme, leur unique préoccupation publique est de clamer leur innocence certes, de marquer la distance mais aussi et surtout d’afficher leur supériorité morale. Ils disent « Anne Chloé », mais ce faisant, c’est eux-mêmes qu’ils adorent contempler.

Zemmour contre le narcissisme

Emmanuel Macron a bien compris le caractère narcissique du socle électoral qui est le sien. Pour cette couche de population qui a cessé de penser « gauche-droite », le vote n’est pas le renouvellement d’un choix de société, mais un ornement ajouté à la bonne image qu’ils ont d’eux-mêmes. L’électeur d’Emmanuel Macron a le sentiment qu’il ternirait irrémédiablement la (bonne) image qu’il a de lui s’il votait pour un autre qu’Emmanuel Macron.

C’est pour élargir cette base narcissique aux « jeunes » (qui ne votent pas) qu’Emmanuel Macron a invité à l’Elysée les YouTubeurs McFly et Carlito. La vidéo qui a retracé la rencontre entre le président de la République et ces deux « influenceurs » (concours d’anecdotes, singeries diverses…) a été visionnée environ 10 millions de fois. Une opération de communication parfaitement réussie, mais une opération de communication « sans précédent dans l’histoire de la communication politique » a note avec gravité Mathieu Slama, consultant politique. « Elle [cette vidéo] dit quelque chose de grave sur la manière dont le pouvoir envisage désormais la communication et la fonction politique aujourd’hui […] Personne, à l’Élysée, ne s’est demandé si le président de la République avait vraiment sa place dans ce type d’opérations. Personne n’a émis de doute sur le message politique que cela renvoyait. Personne, enfin, ne s’est posé la question des enjeux éthiques qu’une telle stratégie soulevait. La seule question qui s’est posée fut celle-ci : est-ce efficace ? »

Ce marketing suranné, vieillot, inadapté peut-être même, a pourtant un avantage énorme sur tous les autres : il est politique.

L’avenir dira s’il a été efficace de tendre un miroir aux différentes alouettes électorales (les jeunes, les bobos, les musulmans, les antiracistes…) dans le but de déclencher une extase narcissique assorti d’un vote automatique. Mais à ce stade de la réflexion, un retour sur Éric Zemmour est nécessaire. Animal médiatique s’il en est, monstre médiatique créé par les médias de gauche (il fut l’une des personnalités marquantes du très politiquement correct « On n’est pas couché » sur le service public de télévision), Zemmour aurait pu se borner à n’être qu’un Ruquier de droite. C’est-à-dire le ronchon dans lequel se reconnait une clientèle nombreuse et mal représentée au plan médiatique. Or, voilà que ce Zemmour s’est mis en tête de rejouer « Allô, ici Londres ». Une comm’ si retro, si absente du paysage politique et médiatique français qu’on se demande si elle est audible au-delà des cercles générationnels du baby-boom. Ce marketing suranné, vieillot, inadapté peut-être même, a pourtant un avantage énorme sur tous les autres : il est politique. Zemmour renoue avec la tradition du discours politique et citoyen ; il parle Histoire de France, Territoire, Nation. Comme Socrate, il veut réveiller des réminiscences car il sait (ou suppose) que le citoyen français n’a pas disparu et que sous les mirages du narcissisme sommeille encore une conscience nationale. La haine des bobos de gauche pour Zemmour vient de là. Ils lui auraient pardonné de tendre à l’électeur un miroir différent au leur. Mais Zemmour ne joue pas le jeu et dénonce le mirage antiraciste pour ce qu’il est, un mirage ! Pire, il affirme que si les bobos narcissiques veulent voir perdurer ce mirage, c’est parce que derrière l’antiracisme, c’est le Grand Remplacement qui se profile. Est-ce un mirage ? L’antiracisme est-il une réalité ? Le choix que feront les électeurs au fond de la caverne sera déterminant.

Ces Français qui sont détenus à l’étranger

En Iran, le Français Benjamin Brière, accusé d’espionnage, vient d’entamer une grève de la faim pour protester contre ses conditions de détention. Combien d’autres Français sont incarcérés à l’étranger, où et pour quels motifs ?


Au 15 juin 2021, le Quai d’Orsay estimait à 1650 le nombre de Français détenus à l’étranger. De source officielle, 24 % sont détenus pour des infractions à la législation sur les stupéfiants, 6 % pour les infractions à caractère sexuel et 42 % pour d’autres infractions de droit commun. Et les autres ? Il semble bien que l’on ne sache même pas pourquoi : « Pour 27 % d’entre eux, les motifs d’incarcération ne sont pas communiqués par les autorités des pays où ils sont détenus ; ceux-ci n’en ont pour la plupart, pas l’obligation », a précisé le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères dans une réponse adressée au député Pierre-Alain Raphan, le 3 août 2021, qui, le 15 juin précédent, avait posé la question de la situation des Français détenus à l’étranger. La malchance ne guette pas que ceux qui s’aventurent en Iran ou en Turquie : selon le Quai d’Orsay, « près des deux tiers [des Français détenus à l’étranger] sont détenus dans des pays de l’Union Européenne ». Oui, de l’Union Européenne.

Environ 455 de nos compatriotes seraient donc détenus à l’étranger sans que l’on sache pourquoi. Pierre-Alain Raphan, qui est le député LREM de la 10ème circonscription de l’Essonne, a réussi, le 18 novembre 2021, à faire adopter par l’Assemblée Nationale, puis par le Sénat, la « loi Atangana », permettant d’accompagner nos compatriotes détenus arbitrairement à l’étranger. Le nom de cette loi rappelle l’histoire cruelle de Michel Atangana, un Français incarcéré au Cameroun sans justification valable et qui a été libéré en 2014 après 17 ans de détention arbitraire.

Le 19 décembre dernier, des élus représentant les Français à l’étranger ont fait paraître une tribune dans le JDD. Ils y appellent à réélire Emmanuel Macron. « Comme il l’a fait en France avec le « quoi qu’il en coûte », l’État a agi fortement, rapidement et efficacement pour soutenir les Français de l’étranger « où que vous soyez » dans le contexte sans précédent de la pandémie de COVID-19. Une aide bien plus massive que celles des autres pays pour leurs ressortissants leur a ainsi été apportée. L’État a été au rendez-vous, et il n’a laissé aucun Français de l’étranger au bord de la route ». Que diraient ceux qui croupissent dans des geôles loin de leurs proches ? Cosignée par une brochette de députés marcheurs et une ribambelle de conseillers, cette tribune est un éloge de la politique du président Macron en la matière, « une vision ambitieuse pour les Français de l’Étranger et le rayonnement de la France de demain ». Les vertus de la politique macroniste pour les Français de l’étranger y sont longuement développées, nous n’en débattrons pas ici. En revanche, cette tribune n’a pas un seul mot pour les Français détenus à l’étranger. Et dans ce texte qui comporte plus d’une centaine de signataires, Pierre-Alain Raphan n’apparaît pas. Comme il nous l’a confirmé, il n’a même pas été sollicité.

À lire aussi d’Alexis Brunet : « L’homme que la France a oublié deux fois« 

Il y a deux ans, Donald Trump s’est vanté d’avoir fait libérer beaucoup d’Américains détenus à l’étranger. Qu’il ait gonflé ses succès en la matière ou non nous importe peu. Son attitude révèle qu’outre-Atlantique, ce sujet était un thème majeur pour asseoir sa popularité. Et ne parlons même pas d’Israël, qui réagit vigoureusement dès qu’on touche à un cheveu de ses concitoyens. À l’approche de nos Présidentielles, qu’en est-il du sujet des détenus Français à l’étranger ? Il est inexistant. Macron, Pécresse, Zemmour, Mélenchon et les autres restent aux abonnés absents. Si la France ne sait pas montrer les crocs pour protéger ses citoyens hors de France, les formules telles que « le rayonnement de la France de demain », « Je me battrai pour la force de l’Europe comme pour la force de la France » (Valérie Pécresse dans Le Monde) ou encore « Oui, la France est de retour, car le peuple français s’est levé ! » (Eric Zemmour à Villepinte) sont vouées à sonner creux.

La France peut-elle sérieusement prétendre rester une grande nation sans en faire plus pour ses Français détenus à l’étranger ? Non. Nicolas Sarkozy l’avait bien compris en son temps. « Quand un Français est en prison à l’étranger, il faut se porter à son côté », avait-il dit lors de l’affaire Florence Cassez lors d’un entretien pour L’Express en 2020. C’était quand même autre chose. Ceux qui aspirent à la plus haute fonction de l’État seraient bien inspirés de faire de ce sujet une priorité.

Services publics, « sévice » public ?

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Nous pouvons être fiers de certains de nos services publics et avoir honte d’autres…


Je connais leurs ratés, leurs grèves aux pires moments portant le sadisme social à son comble, leurs revendications constantes, leur volonté paradoxale de nous faire payer l’admiration qu’éprouvent les Français pour des services publics qui marchent et font honneur à l’organisation de notre pays.

Je sais tout ce qu’on peut reprocher à la Justice qui ne cesse d’osciller entre pouvoir rêvé et autorité constitutionnelle au lieu de s’assigner pour seule et honorable ambition d’être un service public.

J’ai beau mesurer l’exaspération de mes concitoyens – et la mienne propre – face à tout ce dont ils rêveraient et qui ne leur est pas offert au quotidien, je ne peux m’empêcher d’éprouver, oui, une vraie fierté devant l’adhésion majoritaire à des services publics qui, notamment, nous transportent, nous font voyager, assurent notre santé, permettent nos envois, enrichissent notre culture et transmettent l’enseignement.

Une constatation dont je mesure le caractère superficiel mais qui ne cesse pas de m’emplir d’une joie civique, d’une confiance gratifiante quand je vois ces autobus, ces métros, même surchargés, arriver à l’heure, repartir, nous garantir que notre désir de mener notre existence ici puis là sera satisfait. Quand je monte dans ces trains où la gentillesse du personnel SNCF ne se laisse jamais entamer et que nous parvenons à notre destination finale dans les délais. Avec un bonheur que je peux juger excessif, puisque ce devrait être la règle pour le fonctionnement de tout service public, mais qui n’est que la traduction de la déception qui peut survenir, parfois, entre espérance et réalité.

A lire aussi : Marine Le Pen, « Il faut privatiser l’audiovisuel public »

Pourtant comment sincèrement puis-je être sujet à de telles pensées qui mettent les services publics dans leur excellence au plus haut et en même temps être réticent à l’encontre du service public de l’audiovisuel ? Comme si ce dernier violait les exigences dont le respect nous comble dans tous les autres services publics : équité, impartialité, révérence égale, neutralité, accessibilité à tous, politesse. Comme s’il ne méritait pas le même nom.

De fait, quand un débat oppose Gilles-William Goldnadel et Aurore Bergé sur cette question « Faut-il privatiser l’audiovisuel public ? », le premier qui dit oui domine clairement la seconde s’en tenant au non mais qui ne peut rien faire, malgré sa vaillance intellectuelle, face à la démonstration décapante et lucide du dévoiement à gauche de l’audiovisuel public. Et de son absolue dénaturation, d’un idéal de pluralisme honnête, en soutien partisan d’une cause.

C’est cette perverse incongruité entre des services publics respectés quoique parfois imparfaits et un service public – formellement entendu – de l’audiovisuel aux antipodes de l’exemplarité qu’il devrait impliquer qui explique, par comparaison, son discrédit fondamental. Quand on constate les dégâts pour la démocratie d’une telle distorsion, parler de « sévice » public n’est pas seulement drôle mais cruellement pertinent. Au regard du thème de ce billet, je voudrais louer l’absence de démagogie, lors du Congrès LR, de Philippe Juvin qui plutôt que de s’aventurer dans une improbable diminution de la fonction publique, a tenu bon sur le maintien quantitatif de celle-ci mais avec une bien meilleure organisation qui en décuplerait l’efficacité.

De grâce gardons les services, chassons le sévice !

Cet article a été publié pour la première fois sur le blog de Philippe Bilger, le 26 décembre 2021.

En attendant le Divin Enfant

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« Bonnes fêtes » ou « Joyeux Noël » ? « Omicron » ou « omicrone » ? Brèves remarques sur la plus belle histoire du monde.


Aurélien Marq semble vouloir nous imposer le choix entre dire « Bonnes fêtes » et « Joyeux Noël » sous peine de sombrer dans la collaboration islamogauchiste. Le problème, c’est que même en polarisant à l’extrême la situation dans une guerre civile larvée, souhaitée ou fantasmée, l’immense majorité se souhaitent les deux, sans trop se préoccuper de savoir si par hasard ils ne seraient pas les soldats manipulés d’une guerre de religions entre wokes écologauchistes et wokes ethnonationalistes.  Mon épicier arabe m’a souhaité « Joyeux Noël «  (la Taqqyia, vraiment ?), et j’ai dû dire « Bonnes fêtes » à ma marchande de tabac visiblement zemmourienne alors que je vais assister à la messe de minuit contrairement à elle, à 22 heures au Couvent des Dominicains de Lille.  En fait, il faudrait un test PCR pour déterminer ceux qui sont cathos pour des raisons d’affirmation identitaire et ceux qui sont cathos parce qu’ils ont toujours le cœur battant devant la plus belle histoire du monde, celle d’un enfant qui accouche dans une étable avant de fuir la police vers une autre contrée, une histoire de migrant ou de réfugié, en fait, qui est venu pour nous sauver.

Puisqu’on parle de test, quitte à être contaminé un de ces jours par le variant omicron, j’aimerais au moins qu’on le prononce correctement. J’ai entendu, sur je ne sais quel plateau, un médecin le dire comme il convenait, avant de se reprendre pour faire la faute: « omicrone. » Histoire de rester dans le ton. C’est un mécanisme d’une tristesse infinie qui signe ici, mais aussi dans d’autres domaines, l’irrésistible victoire de la connerie moutonnière et le renoncement désespéré de ceux qui pourraient s’y opposer en constatant que ça ne sert plus à rien, qu’il est trop tard, qu’ils sont trop peu. Comme ces élèves de ZEP que j’ai connus qui faisaient semblant de faire des fautes pour ne pas se faire traiter d’« intellos. » « On a va être très impacté par la problématique de l’omicrone » : sincèrement, une civilisation où on cause comme ça dans le poste mérite-t-elle de survivre? Heureusement que le Divin Enfant arrive ce soir parce que sinon, j’irais m’enterrer à Vierzonne, à Toulonne ou bien à Besançonne. J’aime bien Besançonne.

A lire aussi : « La Bonne-Mère postmodernisée »

Dire « Joyeux Noël » plutôt que « Bonnes fêtes » est infiniment plus révolutionnaire. Le « Bonnes fêtes » n’est pas un refus de Noël ou je ne sais quelle allégeance par anticipation à je ne sais qui. C’est pire, c’est l’ignorance consumériste du message révolutionnaire de l’Evangile. Reprenons le Sermon de Noël du très bolchévique (tendance Roi Soleil) Bossuet. Il est assez claire, je crois : « Il me faut un sauveur qui fasse honte aux superbes, qui fasse peur aux délicats de la terre, que le monde ne puisse goûter, que la sagesse humaine ne puisse comprendre, qui ne puisse être connu que des humbles de cœur. Il me faut un sauveur qui brave, pour ainsi dire, par sa généreuse pauvreté nos vanités ridicules, extravagantes. Le voilà, je l’ai rencontré, je le reconnais à ces signes. »

Joyeux Noël à tous.

Et Bonnes fêtes.  Aussi.

Et si la Commission Sauvé était allée trop loin?

L’épiscopat français a commandé à un groupe d’experts indépendants un rapport sur les abus sexuels dans l’Eglise depuis 70 ans, rapport qu’il a financé lui-même. A la fin, les auteurs ont ajouté 45 « recommandations » qui risquent d’aller trop loin dans le sens d’un « cléricalisme pénitent »


Le texte de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (CIASE) conclut de manière formelle à la responsabilité de l’Eglise. Au-delà des défaillances personnelles, le problème est « systémique », comme on l’a beaucoup répété : il oblige à s’interroger sur le statut du prêtre. Le texte est aussi complexe, en particulier parce qu’il associe le résultat, présenté par l’Inserm, d’un sondage de l’IFOP dans « la population en général » qui évalue le nombre des victimes d’abus et une enquête qualitative conduite par des chercheurs de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes qui cherche d’où sont venus les abus en faisant appel aux témoins et en explorant les archives des diocèses et des ordres religieux aussi bien que des tribunaux. À la différence de l’enquête d’opinion, la seconde concerne des événements particuliers, donc identifie certains des « abuseurs ». Une des difficultés pour les auteurs comme ensuite pour les lecteurs, est de mettre en correspondance deux recherches, l’une cherchant à évaluer le nombre des victimes, l’autre à situer et à connaître les responsables.

A lire aussi: Royaume-Uni: L’Église catholique, un rempart contre le wokisme de l’Église anglicane?

Texte complexe donc, mais aussi critiquable sur deux points. D’abord le dénombrement des victimes et ensuite la prise en compte insuffisante du contexte social et historique déterminant les jugements sur la pédophilie, contexte qui a changé sous nos yeux.

Un mauvais décompte des victimes ?

Ce qui a suscité le plus d’émoi à la publication du rapport, début octobre, c’est l‘affichage du nombre de 330.000 victimes soit de clercs (216.000) soit de laïcs (116.00) ayant des fonctions dans l’Eglise. Un pourcentage des plaignants a été établi d’après un « panel » de répondants. Ce panel est formé de volontaires que l’IFOP a l’habitude de solliciter. L’Institut veillant à ce que les quotas des affiliations et origines correspondent à ceux  de la population française actuellement adulte, on s’est cru ensuite autorisé à appliquer le pourcentage des plaignants qu’il fait apparaître au nombre des Français actuellement adultes pour aboutir à 330.000 victimes.

Il y a de bonnes raisons de contester ce calcul : si la correspondance de l’échantillon à la structure de la société est garantie, un facteur essentiel échappe à la prévision, la motivation à répondre. Au dire d’un expert, « dans un sondage reposant sur des quotas, seules les personnes qui ont un avis tranché répondent »[1].

A ces critiques des membres de la CIASE ont répondu[2] que les résultats de l’enquête IFOP concordent avec ceux de « la dernière enquête scientifique sur les violences sexuelles en 2016 » par Santé publique France. Selon cette enquête, 5.500.000 personnes adultes en 2016 ont subi des violences sexuelles dans leur enfance, 14,5% des femmes et 6,4% des hommes. Si l’on rapproche ces 5,5 millions de victimes des 330.000 de l’IFOP, on obtient 6% des victimes à la charge du clergé et de ses acolytes, ce qui peut paraître vraisemblable. Cela pourtant ne suffit pas pour parler de correspondance puisque la synthèse du rapport Sauvé affirme que les victimes de la pédophilie ecclésiastique sont « très majoritairement des garçons préadolescents ». D’ailleurs quand, comme le fait la « synthèse » du rapport Sauvé, on considère le tableau fourni par Santé publique France des « milieux de socialisation » plus ou moins propices à la pédophilie, cela donne des résultats qui ne correspondent pas aux 6% à la charge de l’institution catholique qu’on tire des chiffres de l’IFOP : 5,7% de la population concernée a connu un dévoiement pédophilique d’une relation interne à leur famille ou avec un ami de la famille, pour 1,8% la relation s’est nouée avec un ami ou un copain, 1,98% ont été abusés par un clerc ou un auxiliaire du clergé[3], soit (à partir de 5,5 millions) à peu près 110.000, loin donc des fameux 330.000.

Ceux qui ont le plus frontalement récusé le travail de la Commission Sauvé, des membres de « l’Académie catholique de France », lui reprochent d’avoir repris et avalisé sans mot dire les chiffres de l’IFOP mais ignoré le travail des chercheurs de l’EPHE qui dans les archives civiles et religieuses n’ont identifié ou repéré que 3.200 abuseurs liés à l’Eglise. Faudrait-il attribuer à chaque abuseur plus de cent victimes ? À quoi N. Bajos et Ph. Portier répondent en invoquant « le déficit de transparence de la gestion ecclésiale ».

Changement d’attitude

Derrière cette querelle autour du chiffrage se profile une évidence mal prise en compte : à la fin de la période (1970-2020) dont on a voulu faire le bilan, l’attitude de la société envers la pédophilie a changé, ce qui était, depuis toujours peut-être, une relation est devenu une violence.

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Etudiant les archives criminelles de Bologne aux quatorzième et quinzième siècles, l’historien Didier Lett[4] observe que la relation homosexuelle avec un garçon était punie plus souvent et plus durement (bûcher et non décapitation) que le viol d’une fille. Ce que l’on punissait sévèrement n’était pas une violence mais une faute morale, la transmission d’une perversion, un « détournement de mineur » comme on ne dit plus guère : la proximité sexuelle fondait une complicité. C’est d’ailleurs parce qu’ils voyaient eux aussi la pédophilie comme une relation que d’illustres signatures sont venus au secours de Gabriel Matzneff. Ils ne voulaient qu’inverser le jugement moral traditionnel en affirmant que ce qui était jugé auparavant honteux était émancipatoire pour les nouvelles générations, sans que la violence ait rien à voir en l’affaire.

La tendance à soustraire la pédophilie au domaine pénal est renforcée quand elle apparaît liée, dans le catholicisme, au célibat des prêtres, affaire interne donc à cette institution. On en a fait ainsi une faute sans victime en même temps qu’une faute aristocratique, propre à des hommes de prestige et de pouvoir. Mais, le rapport Sauvé le montre, nous sommes sortis du système catholique et son souvenir nous fait honte. Quand le pouvoir clérical n’est plus reconnu, la personne abusée n’a plus aucune compensation, le trouble et le désarroi qui lui sont imposés la caractérisent définitivement comme victime. C’est pourquoi on fait désormais un rapprochement avec le viol qui, depuis Tarquin le Superbe, a été associé à l’humiliation, celle d’une personne, ou celle d’une ville qui capitule.

Pour un catholicisme fier

Le rapport Sauvé scelle la déconfiture du pouvoir clérical chez nous : une commission de laïcs, comprenant des mécréants, évalue sans complaisance le comportement des autorités catholiques en se fondant sur des hypothèses très défavorables à celles-ci. Pour finir, elle se permet des recommandations aussitôt acceptées concernant l’exercice du pouvoir dans l’Église : plus contrôlé, plus participatif, faisant plus de place aux femmes.

Ces recommandations concernent l’exercice du pouvoir dans l’Eglise, un cléricalisme d’autorité dénoncé de partout. Mais ce cléricalisme pénitent ne rompt pas avec sa racine, la manière dont l’institution voit sa place et son rôle. À ce propos la proposition 33 de la CIASE est révélatrice : elle exclut qu’il soit fait appel à la générosité des fidèles pour l’indemnisation des victimes dont on doit accueillir les plaintes. Le simple fidèle est ainsi mis hors-jeu, exclu du cercle de la responsabilité. Le cléricalisme de repentance, plus peut-être que le cléricalisme d’autorité, désormais en déroute, est fermeture sur soi d’un appareil incapable de signifier pour la société, y compris la part de celle-ci qui lui reste affiliée.

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Fermeture sur soi, évanescence de la relation avec la société, donc cléricalisme caractérisent la situation actuelle du catholicisme. Son message tend à se borner à quelques thèmes ressentis comme identitaires par la majorité du milieu : la famille, l’ouverture à l’immigrant, la dévotion à l’Union de l’Europe. De cette manière il se fait plaisir mais se détourne du « vide démocratique » des sociétés libérales, donc du devoir d’être « un acteur qui revitalise le débat démocratique »[5]. Si les raisons pour le catholicisme d’avoir mauvaise conscience ne manquent pas, la culture de la mauvaise conscience n’est pas pour lui une voie de salut ou même de survie.


[1] Le statisticien Stéphane Legley, cité par Luc Bronner  dans une longue étude qui est aussi le témoignage d’un praticien, « Dans la pratique opaque des sondages », Le Monde, 5 novembre 2021.

[2] N. Bajos et Ph. Portier, « Les enquêtes de la commission Sauvé », Le Monde, 15 décembre 2021.

[3] A quoi il faut ajouter 1,13%  des relations ou agressions intervenues dans le cadre des colonies de vacances, de l’école publique, du sport et des activités culturelles. Total : 10,61%.

[4] Cf. Marie Dejoux, « L’enfant, le prédateur et le juge », Le Monde, 3 décembre 2021. A en juger par ce compte rendu, l’étude ne dit rien sur la prédation ecclésiastique, qui sans doute échappait à l’autorité judiciaire.

[5] Bernard Bourdin, Catholiques : des citoyens à part entière ? (Editions du Cerf, 2021).

L’art africain, c’est nous!

Le mea culpa colonial d’Emmanuel Macron passe aussi par la case musée. Cependant, lorsqu’il restitue des pièces de collections publiques à des pays africains, le chef de l’État ne rend pas des fétiches, mais des œuvres d’art façonnées par le regard européen.


Au lendemain de son élection, Emmanuel Macron décida que nos musées devaient restituer des œuvres à l’Afrique : « Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique », disait-il à Ouagadougou en novembre 2017. Macron veut. Macron décide. Macron est persuadé de savoir ce qu’il dit et ce qu’il fait. Sans doute ne soupçonne-t-il pas l’importance de la révolution que le Musée, qui est une création européenne, opéra dans notre rapport à l’art. Les musées, qu’on le veuille ou non, sont partie intégrante de notre environnement culturel. C’est par leur intermédiaire, et celui du livre d’art qui en complète aujourd’hui de manière presque exhaustive les collections, que nous avons désormais affaire à la totalité de la création mondiale depuis les grottes de Lascaux jusqu’à l’atelier de Picasso.

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L’assurance avec laquelle Emmanuel Macron s’est précipité dans cette politique de restitution inquiète conservateurs et juristes. N’a-t-il pas ouvert une boîte de Pandore et mis sur la table un problème juridique insoluble puisqu’en droit français les œuvres appartenant à des collections publiques sont inaliénables ? En faisant voter en 2020 par la seule Assemblée nationale (le Sénat refusa d’examiner le texte) une loi d’exception autorisant la restitution de 26 pièces au Bénin, il résolut la question juridique de l’inaliénabilité des œuvres par ce qu’il faut bien appeler le « fait du prince ».

Une empreinte…

Fallait-il s’engager sur ce chemin ? Pouvait-on s’en abstenir ? Certains prétendront que répondre à une demande de restitution est avant tout un aveu de faiblesse qui s’inscrit dans l’air du temps qui, depuis des années, est à la repentance et à la réparation. Le débat est ouvert. L’aborder sous le signe de la polémique est sans grand intérêt.  Il est plus profitable de méditer ce qu’André Malraux écrivait en 1957 : « L’Europe a découvert l’Art nègre lorsqu’elle a regardé des sculptures africaines entre Cézanne et Picasso, et non des fétiches entre des noix de coco et des crocodiles. »

Aussi la question se pose-t-elle de savoir ce qu’on restitue à un pays africain lorsqu’on lui restitue certaines pièces. Des œuvres magiques ou des œuvres esthétiques ? Le pays africain le sait-il lui-même ? Ces sculptures qui furent hier des fétiches ou des ancêtres furent-elles jamais considérées, en dehors des pays occidentaux, comme des œuvres d’art destinées à l’admiration des visiteurs ? Avant d’être présentées dans ces institutions européennes que sont les musées, n’eurent-elles pas un statut semblable à celui de nos vierges ou de nos saints ? Ces vierges et ces saints ne furent-ils pas des objets de vénération avant d’être des œuvres que l’on éprouve comme étonnamment belles au détour d’une salle de musée et dont la présence religieuse d’hier n’est plus qu’une empreinte – le mot est encore de Malraux – désormais débordée, dépassée par une autre présence, artistique celle-là ?

C’est cette présence qui sépare la solennité de la Vierge à l’Enfant de Fouquet de la mièvrerie de toutes ces vierges qui, mises bout à bout, permettraient d’aller jusqu’à la Lune. C’est elle qui fera courir au musée d’Anvers le jeune amateur qui n’en aura vu qu’une reproduction. Et il n’y courra pas pour la prier. Car ce n’est plus, comme aux époques de foi, le monde de l’au-delà qui le consolera de vivre dans un monde naturellement décevant. Ce sera le monde de l’art. Le monde de la création. Dans l’immédiat, il n’en parlera à personne.

« Les explorateurs de l’Afrique, précisait Malraux, n’ont pas découvert l’art nègre, mais les fétiches ; les conquistadores n’ont pas découvert l’art mexicain, mais les idoles aztèques. Dans toutes leurs Isles, les Européens n’avaient trouvé que des curiosités. […] Les idoles deviennent des œuvres d’art en changeant de références, en entrant dans le monde de l’art que nulle civilisation ne connut avant la nôtre. »

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L’art comme appel

Que restitue-t-on donc à un pays qui nous en fait la demande ? Des fétiches qui, aux yeux des explorateurs, n’étaient que de simples « curiosités » ou des œuvres d’art qu’aucun de ces explorateurs, pas plus que les Africains qui en furent dépossédés, n’avaient su voir comme telles ? N’est-ce pas la peinture moderne, née sur le sol français avec Manet, Van Gogh, Cézanne, les fauves et les cubistes, qui nous a – l’expression est de nouveau de Malraux – « opérés de la cataracte » ?

Pour voir, sous la finalité religieuse évidente d’une œuvre, une autre finalité plus secrète, esthétique celle-là, ne fallut-il pas que nous soyons devenus perméables à cette valeur que, faute de mieux, nous appelons « art » et qui permet à des œuvres aussi étrangères les unes aux autres qu’une fresque égyptienne, une mosaïque byzantine, un chapiteau roman ou une sculpture africaine, d’être rassemblées en un même lieu pour dialoguer ?

Cette valeur qu’on peine à définir et que ces œuvres ont en commun n’est autre que la réponse à un énigmatique appel. Cet appel, qui se fait toujours entendre lors de la contemplation de l’œuvre d’un maître, devient si obsédant que l’artiste en herbe ne peut s’empêcher d’y répondre par le pastiche tout d’abord, par l’œuvre inconnue à faire ensuite.

Nous parlions de dialogue. Pour ces œuvres appartenant à des civilisations différentes, dialoguer c’est se voir contraintes, par la comparaison que permet leur réunion, de faire entendre la singularité d’un langage formel à chaque fois différent. Cette singularité, à laquelle n’étaient pas sensibles hier les fidèles requis par la seule fonction religieuse de l’œuvre, est encore trop souvent méconnue, voire raillée, par les historiens de l’art, les sociologues et les ethnologues, qui considèrent que la vocation de l’art est de parvenir à une reproduction habile de sujets privilégiés.

Le dialogue a remplacé la quête de l’Invisible

Ce que l’institution du musée a fini par faire comprendre au monde entier – et c’est là une aventure européenne qui a commencé en France –, c’est que la valeur commune à des œuvres aussi différentes les unes des autres est beaucoup plus large que celle que nous désignons par le mot « beauté ». Tout serait plus clair si nous réservions ce terme pour nommer la finalité des arts de l’Antiquité et de la Renaissance. Comment réunir en effet sous un même qualificatif la Jeanne d’Aragon de Raphaël et une Vierge romane aux mains démesurées et aux yeux d’hypnose ? Or, toutes deux nous atteignent à partir d’un même pouvoir mystérieux de création qui ne cesse de traverser les siècles en s’exerçant de manière à chaque fois surprenante.

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Si c’étaient des esprits que nous restituions aux Africains, les mettraient-ils dans leurs petits musées où ne se trouvent que quelques œuvres parentes ? Ne les replaceraient-ils pas plutôt dans les lieux sacrés d’où ils furent arrachés ? Si ces objets sont devenus désormais pour eux des œuvres d’art comme ils le sont devenus pour nous, c’est-à-dire des formes créées hier pour capturer l’Invisible mais appelées aujourd’hui à un vaste dialogue entre elles, s’il en est ainsi, la restitution des œuvres ne constitue-t-elle pas pour les pays africains, plutôt qu’une réparation, une participation à une aventure européenne dans l’ordre de l’esprit ?

Peut-être, alors, serait-il temps, pour ces pays, de reconnaître que le détour (parfois forcé) par l’Europe, par la France en l’occurrence, fut pour les objets restitués la chance de leur résurrection comme œuvres d’art, la chance de leur métamorphose. Pour eux comme pour nous, comme pour le monde entier, les chenilles sont devenues papillons. Et ces papillons qui doivent tant à l’Europe, car elle ne fut pas seulement celle des explorateurs ou des conquistadores mais celle également des Cézanne et des Picasso, ces papillons, les pays africains ne pourront les admirer chez eux – là est le paradoxe inaperçu de la restitution – qu’à travers cet étonnant regard qui s’alluma autrefois sur les bords de Seine jusqu’à la mer. Toutes les mers. Toutes les terres.

André Frédérique, rendez-vous à l’officine des mots

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Tous les dix ans, on redécouvre la prose désaxée de ce poète d’après-guerre, un peu filou, un peu matou


Le soir du réveillon, j’attaque les bizarreries littéraires. Les inclassables des almanachs. Les chahuteurs de mots. Les funambules d’une existence tragique qui encrent la page blanche d’une noirceur amie. Ceux que l’Université boude par ignorance et fainéantise, trop occupée à dresser des listes entre les humanistes et les autres, oubliant la force de l’écrit au profit des idées entonnoirs. Ils nous engloutiront tous dans leur détestation du « beau et sombre ». Ces gens-là, incurables et procéduriers, seront toujours hermétiques aux fluides nostalgiques et aux envolées crépusculaires.

Postérité ingrate

Scolaires et laborieux, ils ne lisent que pour juger et comprendre le monde, alors qu’on lit pour s’échapper et se réfugier dans l’imaginaire de l’autre. André Frédérique (1915-1957) n’a pas droit aux volumes reliés pleine fleur et aux dorures fanées, encore moins aux colloques endimanchés. On lui épargne au moins ces dissections infâmes qui découpent les œuvres pour mieux en extraire une morale fétide. Malgré le silence et cette forme de mépris social, ses textes continuent leur long travail de sape. Chaque décennie, Fred le magicien de l’enfance fracassée gagne de nouveaux lecteurs intrigués par cette harmonie malsaine au charme étrange. Peu nombreux mais totalement épris de ce catcheur sorti des années 1950, ces nouveaux lecteurs sont émerveillés par cette puissance molle. 

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Ma génération, celle des quadras désabusés, a fait la connaissance de ce surréaliste non encarté grâce aux reparutions du Cherche Midi ou en chinant les éditions Plasma dans les boîtes des bouquinistes, sur les quais. D’Histoires blanches, recueil paru chez Gallimard en 1945 à Poésie sournoise chez Seghers en 1957 jusqu’à La Grande Fugue, roman inachevé publié à titre posthume en 1980 par Plasma, rien de banal, rien à jeter, rien de sentencieux à la gloriole trafiquée, rien de planifié, rien de linéaire, que des écrits sans message et sans retour possible, qui lorsqu’ils vous frappent à bout touchant, vous assomment par leur lyrisme boueux, la joliesse de leur ordonnancement et cette parure du désespoir qui sied aux livres essentiels. Contrairement à ses amis, Vian et Queneau, André Frédérique n’a pas eu la postérité qu’il méritait. Je peux vous assurer qu’en cette veille de Noël, il vous sera désormais essentiel comme le fromage de tête et le sauvignon, les seins lourds et les jeans japonais, les disques de Bill Withers et les froncements de sourcils de Noël Roquevert. Comment parler de Fred sans tomber dans la caricature folklorique ? Le garçon ne nous facilite pas la tâche. Il n’est pas évident à résumer. 

Humour noir

Lançons quelques pistes, il fut tout et à la fois : pharmacien comique en faillite chronique, inventeur prolixe de sketchs, de saynètes et même de mots, on lui doit la définition actuelle de « ringard » et aussi l’idée du « dîner de cons », disciple de Allais et Jarry, père spirituel de Topor, compagnon de Robert Dhéry et de Gérard Calvi, possesseur de deux manteaux couleur tabac et d’une voiture découvrable, explorateur des terres oubliées, du Berry à la Beauce, capable de dialoguer intelligemment avec un poireau devant un public en larmes, inventeur de l’humour noir et admirateur de César Franck, plume de Match et illustrateur radiophonique, aimant les chanoines et le flamenco, lecteur de Michaux et dévoreur de religieuses, fils d’un commissaire de police patibulaire et suicidé à l’âge de quarante-deux ans. Que rajouter pour cerner le personnage ? Ah oui, vous auriez pu le rencontrer au Montana buvant un double whisky ou à la « Belle Ferronnière » phosphorescent avec le dessinateur Chaval, ou en excursion touristique dans les plaines tragiques avec un Jean Carmet homérique. L’acteur dira de lui : « Fred nous a quittés, comme il quittait la table, en plein œuf dur mayonnaise […] Il s’est posé chez nous, y déposa des mots précieux qu’une poignée d’apôtres recueillirent, et, mission achevée, il évacua son corps, de la seule façon qu’on connaisse ».

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Aujourd’hui, nous sommes tous ses apôtres éternellement redevables. Sa veine proverbiale ravissait Vialatte, à l’image de cette maxime : « Chaque signe saigne sur le papier, chaque mot est promesse de mort… ». Ses poèmes « L’enfant boudeur » ou « Les fées » sont certainement les plus beaux du XXᵉ siècle. Et puis les premiers vers de « Don Juan » adressés à Maurice Nadeau conviennent en ce jour de fête :

J’ai connu la décervelée d’Étampes 
qui savait compter jusqu’à trois
la borgne et Paimpol
et la boiteuse de Pithiviers
qui a renoncé à la marche à pied

la bleue du Chili
qui déteint à l’eau de pluie… 

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Tango, bingo!

La mairie de Paris-centre creuse la dette de la ville pour sauver une boîte de nuit gay. Mais elle a un alibi : les logements sociaux…


Ouf ! La ville de Paris est passée à deux doigts de perdre l’une des merveilles de son patrimoine. Le Tango, boîte de nuit gay mythique du quartier du Marais, a été sauvé in extremis par la municipalité. Pour la modique somme de 6,7 millions d’euros, l’immeuble sis 13, rue au Maire, dans le 3e arrondissement, pourra être acheté et rénové. Le rachat a été validé par la mairie de Paris Centre en novembre.

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Avec les locaux de la boîte de nuit, huit appartements ont également été acquis au sein de l’immeuble, dans le but d’en faire des logements sociaux. Ian Brossat (PCF), adjoint au logement d’Anne Hidalgo, est très fier de ce grand projet : « La spéculation immobilière, c’est le logement hors de prix et l’âme de nos quartiers qui disparaît. Pour faire face, nous avons fait usage de notre droit de préemption : à la clé, du logement social dans le Marais et le Tango préservé. » Les bénéficiaires du logement seront heureux de pouvoir vivre en plein cœur de la capitale et, surtout, de cohabiter avec les clients du Tango. L’organisateur historique des soirées du club gay, Hervé Latapie, a des doutes à ce sujet : « Un dancing en bas est-il compatible avec des logements sociaux juste au-dessus ? » Pourtant le but du collectif « Tango 3.0 » est de créer un lieu de vivre-ensemble apaisé. Le premier édile du Marais garantit que l’association entreprend de « prolonger l’histoire de cette salle historique » en proposant « des activités culturelles et festives dans un modèle social, solidaire et inclusif ».

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Nous voilà rassurés, les 6,7 millions d’euros déversés pour sauver le Tango ne seront pas jetés par la fenêtre, ils permettront de faire avancer la cause. Que la dette de la ville de Paris ait atteint cette année un niveau historique de 7,7 milliards d’euros, dont une augmentation de 867 millions par rapport à l’année dernière, ce n’est pas une raison pour se priver de certains investissements primordiaux. L’inclusivité n’a pas de prix.

Facebook : l’emoji de la droite conquérante

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Des emoji Facebook, Brésil, avril 2020. Fotoarena/Sipa USA/SIPA SIPAUSA30215347_000001

On n’a pas besoin d’être une personne réelle pour être la cible de la cancel culture. Dernier exemple, un emoji de Facebook est accusé par la gauche d’être une arme dévastatrice au service de la droite populiste.


Oubliez Pepe le putois, Harry Potter, Astérix et Christophe Colomb. On a trouvé la dernière victime de la cancel culture, certainement la toute dernière de l’année. Il a fallu aller très loin, en Nouvelle-Zélande, sur le site the spinoff. Son contributeur, George Driver, nous explique à quel point l’emoji « haha »de Facebook et son cousin « tears of joy » ont le fond mauvais, et qu’il serait grand temps de les supprimer.

Du populisme – jusqu’aux larmes

Au tout départ sur Facebook, on pouvait partir à la pêche aux likes (symbolisés par un pouce bleu) en publiant photos en maillot de bain ou traits d’esprit (en fonction du domaine dans lequel on se sentait le plus à l’aise). Puis Mark Zuckerberg a un peu complexifié la chose en ajoutant de petites nuances avec les symboles « j’adore » (un cœur rouge) et le haha, petite tête jaune riante et un brin sarcastique. Tout cela peut paraître bien futile pour le commun des gens tenus éloignés des réseaux sociaux, mais aux yeux de notre contributeur néo-zélandais, ce petit symbole permet de signaler son ricanement et son mépris en ligne, surtout quand on le dépose sur un article favorable à #MeToo ou sur un autre dénonçant le réchauffement climatique.  Driver fait même le lien entre la désignation du tears of joy (petit symbole rieur lui aussi, mais jusqu’aux larmes) par l’Oxford English Dictionary comme mot de l’année en 2015, et le triomphe, un an plus tard, de la « post-vérité ». En gros, ces emoji, « armes de la droite dans les guerres culturelles », auraient permis les victoires électorales du Brexit et de Trump.

Un rire diabolique

En avançant dans la lecture, on découvre qu’en réalité, ce petit symbole fait l’objet d’une diabolisation déjà ancienne chez certains beaux esprits anglo-saxons. En 2016, Abi Wilkinson, dans The Guardian, le qualifiait de « petit connard jaune odieux et gloussant » et semblait en faire des cauchemars la nuit : « Quand je regarde son visage jaune, je vois les sourires narquois détestables et insouciants de Nigel Farage et Boris Johnson dansant joyeusement à travers le chaos actuel – sautant, sautant et sautant par-dessus les fissures de la société qu’ils ont aidé à creuser et à s’élargir, en toute sécurité, sachant qu’ils s’en sortiront personnellement, quoi qu’il arrive ». Driver cite aussi un religieux bangladais qui a publié une fatwa au sujet de l’emoji, disant à ses 3 millions de followers que « si votre réaction visait à se moquer ou à ridiculiser les personnes qui ont publié ou fait des commentaires sur les réseaux sociaux, c’est totalement interdit en Islam ». Le contributeur de the spinoff doit être très heureux d’avoir trouvé un allié dans une autre civilisation : si l’emoji attire la colère d’autant de cinglés, c’est qu’il mérite certainement d’être aboli.

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En France, pays où le ricanement fait encore partie du socle commun que partagent la droite et la gauche, la lutte contre l’emoji haha est pour l’instant passée inaperçue. Certes, on peut avec Alain Finkielkraut, s’inquiéter du rire barbare pratiqué sur France Inter ; mais c’est quand même rassurant de se dire que demain matin, au réveil, Charline Vanhoenacker rira encore à gorge déployé parce que Guillaume Meurice est allé capturer les dérapages droitiers d’un garçon-boucher à Rungis à cinq heures du matin – et ce, peut-être, jusqu’à la consommation des siècles.

Les Français n’ont pas changé

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Joséphine Baker et Charlie Chaplin, Paris, 20 mai 1953 Anonymous/AP/SIPA AP22630144_000001

La société française un véritable enfer raciste et homophobe ? Beaucoup de témoignages du passé racontent une autre histoire.


Quand je relis  Stefan Zweig évoquant le Paris du début du XXème siècle dans Le monde d’hier (paru en 1943), je saisis pourquoi j’ai du mal à comprendre les obsessions de notre époque : « Nulle part, cependant, on n’a pu éprouver la naïve et pourtant très sage insouciance de l’existence plus heureusement qu’à Paris, où la confirmaient la beauté des formes, la douceur du climat, la richesse et la tradition… Personne n’éprouvait de gêne devant qui que ce fût : les plus jolies filles ne rougissaient pas de se rendre dans le petit hôtel le plus proche au bras d’un nègre aussi noir que la poix ou d’un Chinois aux yeux bridés. Qui se souciait, à Paris de ces épouvantails qui ne devinrent menaçant que plus tard, la race, la classe et l’origine ? On allait, on causait, on couchait avec celui ou celle qui vous plaisait, et l’on se souciait des autres comme d’une guigne. »

On me dira : Mais c’était le Paris d’avant la Grande Guerre !

Sans doute, mais entre les deux guerres d’autres artistes ont célébré le bonheur de vivre à Paris. Il suffit de lire Henry Miller ou Hemingway, et bien d’autres auteurs étrangers, pour sentir encore cette insouciance, cette ouverture, cette liberté qui attirait tant d’intellectuels et d’artistes du monde entier. Ce Paris-là, cette France-là, ne connaissait pas ce qu’on appelle le racisme. Et Joséphine Baker a magnifiquement expliqué dans son discours de 1963 à Washington, lors de la marche pour les droits civiques, combien la France était pour elle un endroit « féerique », notamment parce que la notion de race n’avait aucune place dans les relations sociales.

On me dira : Mais Joséphine Baker évoque la France de l’entre-deux-guerres !

Un boomer comme moi, qui avait 20 ans en 1967, peut dire la même chose. Nous sommes une génération qui ne savait pas ce qu’était le racisme. Nous suivions effarés ce qui se passait effectivement aux Etats Unis ou en Afrique du Sud, mais rien dans notre vie quotidienne ne nous confrontait au racisme, quand à éprouver ce sentiment, cela ne nous effleurait même pas. Bien sûr il y eut à cette époque comme à toutes les autres, une infime minorité d’abrutis qui pensaient que la race blanche était supérieure aux autres, c’est inévitable. Il y avait aussi quelques esprits haineux, échauffés par la récente guerre d’Algérie, qui détestaient viscéralement ceux qu’ils appelaient « les bicots ». De la même façon d’ailleurs que certains de nos grands-pères et de nos pères gardèrent parfois longtemps rancune tenace aux « boches ». Mais dans tout cela, rien de « systémique » comme on voudrait nous le faire croire. La question est : la France a-t-elle vraiment changé ?

Il en va de même pour les mœurs. J’ai fréquenté bien des milieux, des paysans, des ouvriers, le « Tout Paris ». J’ai connu des bisexuels, des transexuels, des homos, des lesbiennes… tous les goûts étant dans la nature, de tous temps chacun a essayé de vivre sa vie en fonction de ses désirs. Je dois donc dire que je n’ai jamais entendu de reproches ostensibles de quiconque à l’égard de quiconque en raison de son orientation sexuelle. Ni entendu quiconque se plaindre de mauvais traitements subis en raison de son orientation. Je sais bien qu’il y a des exceptions malheureuses, mais là encore aucune apparence de répression « systémique ». Il y a à cela deux raison évidentes :

1° Personne ne revendiquait sous un drapeau son appartenance à une quelconque minorité sexuelle. Il y avait, comme c’est normal,  et même pour les hétéros, une discrétion de chacun sur sa vie sexuelle dont on considérait qu’elle était du domaine privé. Exception faite des nuits parisiennes où les choses pouvaient être plus ostensibles dans la liberté de « l’entre-soi », on ne s’affichait pas, on ne revendiquait pas, on vivait sa vie.

2° Bien évidemment, les choses se savaient, mais au fond tout le monde était indifférent à ce genre de savoir sur autrui, et en tous cas rarissimes étaient ceux qui en faisaient une occasion de scandale. Simplement une discrétion de bon aloi s’imposait à tous.

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Et donc, la question se pose à nouveau : la France a-t- elle vraiment changé pour que tant de militantisme « antiraciste » ou « anti-LGBTQI+ » ait envahi de façon aussi obsessionnelle la vie sociale ? Ma réponse est non. Les Français d’aujourd’hui sont bien les enfants de ces Français dont Zweig, Hemingway ou Baker saluaient l’esprit d’ouverture. Exception faite d’une infime minorité, qui représente l’inévitable présence du mal dans toute société humaine, les Français sont naturellement tolérants, ouverts, accueillants, et la différence les indiffère. Mais, comme il est naturel à un peuple légitimement fier de son histoire, de ses lettres, de ses arts, ils ne veulent pas voir disparaître leurs mœurs, leurs coutumes, leur culture, tout un art de vivre salué depuis toujours. Comprendre cela, c’est comprendre la profondeur culturelle de ce qui se joue aujourd’hui dans le champ politique. Ils veulent qu’on ne leur demande pas quel est ce drôle de prénom, « Pierre », ni quelle est l’orthographe de cet autre prénom exotique : « Robert ».

Les « people » versus Éric Zemmour

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Débat entre Eric Zemmour et Bruno Le Maire, le 9 décembre 2021 ISA HARSIN/SIPA 01052214_000015

Si les people affichent leur opposition à la candidature d’Éric Zemmour, c’est surtout parce que ce dernier se situe aux antipodes du narcissisme qui les définit.


« Que monsieur Zemmour s’abstienne de citer notre père »… Les enfants d’Alfred Grosser, un politologue et historien dont l’influence politique était considérable dans les années 1980-90, ont sommé Eric Zemmour de cesser de citer les livres de leur père sur des sujets comme l’assimilation. Ces « ayant droits » ne sont pas les seuls à s’insurger. Laeticia Hallyday, veuve de Johnny Halliday, a accusé Éric Zemmour d’avoir « détourné » l’image de Johnny Hallyday. Gad Elmaleh a joué les victimes « hallucinées » et a lancé à Éric Zemmour : « Mon deuxième prénom, c’est Joseph, il passe celui-là ? » en référence à la loi que Zemmour entend rétablir sur l’obligation de donner un prénom français à ses enfants. Jean-Paul Rouve, acteur éminent, a jugé que le directeur de campagne d’Éric Zemmour était « fin de race. » Et une certaine Cloé Cooper, que les magazines spécialisés présentent comme « une star de la téléréalité », a affirmé qu’elle quitterait la France si Zemmour devenait président de la République.

Le grand travestissement

Les people s’affichent donc contre Zemmour. Qui sont-ils ? Des gens dotés d’un bout de notoriété en ligne directe ou indirecte (bénéficiant de la notoriété d’un ascendant ou d’un conjoint) et qui font étalage de leur douleur morale. Les enfants Grosser croient (ou veulent croire) que les millions d’Africains et de Nord Africains qui déferlent sur l’Europe depuis trente ans sont les clones des réfugiés juifs pourchassés par les nazis. Laeticia Halliday si heureuse qu’Emmanuel Macron ait rendu à Johnny un hommage solennel le jour de ses funérailles qu’elle se sent en droit de dénoncer la « propagande » d’Eric Zemmour. Gad Elmaleh la joue solidaire avec les Mohamed et feint de se sentir visé par le projet d’Eric Zemmour de rétablir la loi qui oblige les parents à doter les nourrissons nés en France d’un prénom du calendrier.  Quant à Jean-Paul Rouve, il a si fort le sentiment d’avoir planté sa tente dans le camp du Bien qu’aucun dérapage raciste ne lui semble interdit.

Ce n’est pas la première fois que les « people » étalent leur égo endolori sur la place publique. Trente ans durant, ils ont « dénoncé » les « discriminations » infligées aux musulmans, aux Noirs, aux lesbiennes… Mais pour la première fois, en raison de la candidature d’Éric Zemmour, le stade suprême de l’antiracisme est atteint, l’antiraciste est lui-même devenu une cause à défendre.

A lire aussi, d’Yves Mamou : Les ONG humanitaires ne sont pas toutes gentilles

Cette effervescence morale des people et autres bobos à l’occasion de la candidature d’Éric Zemmour est la conséquence d’une prise de conscience : le travestissement du monde qui a été opéré depuis trente ans est menacé. Le dernier fake monté de toutes pièces par les antiracistes, les people et consorts, résume à lui seul, tous les autres. Le fake est celui d’Anne-Chloé, une élève d’origine camerounaise âgée de 11 ans, résidant à Chambéry, qui a affirmé début décembre, avoir été blessée gravement au visage par un élève (inconnu) qui l’a poussée dans le dos, le tout sur fond de harcèlement raciste. Le principal de l’établissement et le procureur de la République de Chambéry ont formellement rejeté un tel déroulé des faits, mais Cyril Hanouna et Christophe Dechavanne ont pris fait et cause pour Anne-Chloé (qu’ils n’ont jamais vu de leur vie), sans se soucier de l’ enquête menée au plan local. La « victime », une petite fille noire, ne pouvait pas mentir. Cette affaire banale qui n’aurait jamais dû dépasser les murs de ce collège de Chambéry est devenue une émeute cathodique nationale sur les réseaux sociaux avec mobilisation d’un procureur de la République et pluie de menaces de mort sur le proviseur et les enseignants du collège. 

Les people n’ont en réalité jamais volé au secours d’une « racisée », ils se sont simplement haussés du col. Au sein de cette fiction d’une société française gangrenée par le racisme, leur unique préoccupation publique est de clamer leur innocence certes, de marquer la distance mais aussi et surtout d’afficher leur supériorité morale. Ils disent « Anne Chloé », mais ce faisant, c’est eux-mêmes qu’ils adorent contempler.

Zemmour contre le narcissisme

Emmanuel Macron a bien compris le caractère narcissique du socle électoral qui est le sien. Pour cette couche de population qui a cessé de penser « gauche-droite », le vote n’est pas le renouvellement d’un choix de société, mais un ornement ajouté à la bonne image qu’ils ont d’eux-mêmes. L’électeur d’Emmanuel Macron a le sentiment qu’il ternirait irrémédiablement la (bonne) image qu’il a de lui s’il votait pour un autre qu’Emmanuel Macron.

C’est pour élargir cette base narcissique aux « jeunes » (qui ne votent pas) qu’Emmanuel Macron a invité à l’Elysée les YouTubeurs McFly et Carlito. La vidéo qui a retracé la rencontre entre le président de la République et ces deux « influenceurs » (concours d’anecdotes, singeries diverses…) a été visionnée environ 10 millions de fois. Une opération de communication parfaitement réussie, mais une opération de communication « sans précédent dans l’histoire de la communication politique » a note avec gravité Mathieu Slama, consultant politique. « Elle [cette vidéo] dit quelque chose de grave sur la manière dont le pouvoir envisage désormais la communication et la fonction politique aujourd’hui […] Personne, à l’Élysée, ne s’est demandé si le président de la République avait vraiment sa place dans ce type d’opérations. Personne n’a émis de doute sur le message politique que cela renvoyait. Personne, enfin, ne s’est posé la question des enjeux éthiques qu’une telle stratégie soulevait. La seule question qui s’est posée fut celle-ci : est-ce efficace ? »

Ce marketing suranné, vieillot, inadapté peut-être même, a pourtant un avantage énorme sur tous les autres : il est politique.

L’avenir dira s’il a été efficace de tendre un miroir aux différentes alouettes électorales (les jeunes, les bobos, les musulmans, les antiracistes…) dans le but de déclencher une extase narcissique assorti d’un vote automatique. Mais à ce stade de la réflexion, un retour sur Éric Zemmour est nécessaire. Animal médiatique s’il en est, monstre médiatique créé par les médias de gauche (il fut l’une des personnalités marquantes du très politiquement correct « On n’est pas couché » sur le service public de télévision), Zemmour aurait pu se borner à n’être qu’un Ruquier de droite. C’est-à-dire le ronchon dans lequel se reconnait une clientèle nombreuse et mal représentée au plan médiatique. Or, voilà que ce Zemmour s’est mis en tête de rejouer « Allô, ici Londres ». Une comm’ si retro, si absente du paysage politique et médiatique français qu’on se demande si elle est audible au-delà des cercles générationnels du baby-boom. Ce marketing suranné, vieillot, inadapté peut-être même, a pourtant un avantage énorme sur tous les autres : il est politique. Zemmour renoue avec la tradition du discours politique et citoyen ; il parle Histoire de France, Territoire, Nation. Comme Socrate, il veut réveiller des réminiscences car il sait (ou suppose) que le citoyen français n’a pas disparu et que sous les mirages du narcissisme sommeille encore une conscience nationale. La haine des bobos de gauche pour Zemmour vient de là. Ils lui auraient pardonné de tendre à l’électeur un miroir différent au leur. Mais Zemmour ne joue pas le jeu et dénonce le mirage antiraciste pour ce qu’il est, un mirage ! Pire, il affirme que si les bobos narcissiques veulent voir perdurer ce mirage, c’est parce que derrière l’antiracisme, c’est le Grand Remplacement qui se profile. Est-ce un mirage ? L’antiracisme est-il une réalité ? Le choix que feront les électeurs au fond de la caverne sera déterminant.

Ces Français qui sont détenus à l’étranger

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Pierre-Alain RAPHAN à l'Assemblée Nationale, le 16 Juin 2020. NICOLAS MESSYASZ/SIPA 00967762_000061

En Iran, le Français Benjamin Brière, accusé d’espionnage, vient d’entamer une grève de la faim pour protester contre ses conditions de détention. Combien d’autres Français sont incarcérés à l’étranger, où et pour quels motifs ?


Au 15 juin 2021, le Quai d’Orsay estimait à 1650 le nombre de Français détenus à l’étranger. De source officielle, 24 % sont détenus pour des infractions à la législation sur les stupéfiants, 6 % pour les infractions à caractère sexuel et 42 % pour d’autres infractions de droit commun. Et les autres ? Il semble bien que l’on ne sache même pas pourquoi : « Pour 27 % d’entre eux, les motifs d’incarcération ne sont pas communiqués par les autorités des pays où ils sont détenus ; ceux-ci n’en ont pour la plupart, pas l’obligation », a précisé le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères dans une réponse adressée au député Pierre-Alain Raphan, le 3 août 2021, qui, le 15 juin précédent, avait posé la question de la situation des Français détenus à l’étranger. La malchance ne guette pas que ceux qui s’aventurent en Iran ou en Turquie : selon le Quai d’Orsay, « près des deux tiers [des Français détenus à l’étranger] sont détenus dans des pays de l’Union Européenne ». Oui, de l’Union Européenne.

Environ 455 de nos compatriotes seraient donc détenus à l’étranger sans que l’on sache pourquoi. Pierre-Alain Raphan, qui est le député LREM de la 10ème circonscription de l’Essonne, a réussi, le 18 novembre 2021, à faire adopter par l’Assemblée Nationale, puis par le Sénat, la « loi Atangana », permettant d’accompagner nos compatriotes détenus arbitrairement à l’étranger. Le nom de cette loi rappelle l’histoire cruelle de Michel Atangana, un Français incarcéré au Cameroun sans justification valable et qui a été libéré en 2014 après 17 ans de détention arbitraire.

Le 19 décembre dernier, des élus représentant les Français à l’étranger ont fait paraître une tribune dans le JDD. Ils y appellent à réélire Emmanuel Macron. « Comme il l’a fait en France avec le « quoi qu’il en coûte », l’État a agi fortement, rapidement et efficacement pour soutenir les Français de l’étranger « où que vous soyez » dans le contexte sans précédent de la pandémie de COVID-19. Une aide bien plus massive que celles des autres pays pour leurs ressortissants leur a ainsi été apportée. L’État a été au rendez-vous, et il n’a laissé aucun Français de l’étranger au bord de la route ». Que diraient ceux qui croupissent dans des geôles loin de leurs proches ? Cosignée par une brochette de députés marcheurs et une ribambelle de conseillers, cette tribune est un éloge de la politique du président Macron en la matière, « une vision ambitieuse pour les Français de l’Étranger et le rayonnement de la France de demain ». Les vertus de la politique macroniste pour les Français de l’étranger y sont longuement développées, nous n’en débattrons pas ici. En revanche, cette tribune n’a pas un seul mot pour les Français détenus à l’étranger. Et dans ce texte qui comporte plus d’une centaine de signataires, Pierre-Alain Raphan n’apparaît pas. Comme il nous l’a confirmé, il n’a même pas été sollicité.

À lire aussi d’Alexis Brunet : « L’homme que la France a oublié deux fois« 

Il y a deux ans, Donald Trump s’est vanté d’avoir fait libérer beaucoup d’Américains détenus à l’étranger. Qu’il ait gonflé ses succès en la matière ou non nous importe peu. Son attitude révèle qu’outre-Atlantique, ce sujet était un thème majeur pour asseoir sa popularité. Et ne parlons même pas d’Israël, qui réagit vigoureusement dès qu’on touche à un cheveu de ses concitoyens. À l’approche de nos Présidentielles, qu’en est-il du sujet des détenus Français à l’étranger ? Il est inexistant. Macron, Pécresse, Zemmour, Mélenchon et les autres restent aux abonnés absents. Si la France ne sait pas montrer les crocs pour protéger ses citoyens hors de France, les formules telles que « le rayonnement de la France de demain », « Je me battrai pour la force de l’Europe comme pour la force de la France » (Valérie Pécresse dans Le Monde) ou encore « Oui, la France est de retour, car le peuple français s’est levé ! » (Eric Zemmour à Villepinte) sont vouées à sonner creux.

La France peut-elle sérieusement prétendre rester une grande nation sans en faire plus pour ses Français détenus à l’étranger ? Non. Nicolas Sarkozy l’avait bien compris en son temps. « Quand un Français est en prison à l’étranger, il faut se porter à son côté », avait-il dit lors de l’affaire Florence Cassez lors d’un entretien pour L’Express en 2020. C’était quand même autre chose. Ceux qui aspirent à la plus haute fonction de l’État seraient bien inspirés de faire de ce sujet une priorité.

Services publics, « sévice » public ?

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Contribution à l'audiovisuel public pour 2021 GILE Michel/SIPA 01044154_000001

Nous pouvons être fiers de certains de nos services publics et avoir honte d’autres…


Je connais leurs ratés, leurs grèves aux pires moments portant le sadisme social à son comble, leurs revendications constantes, leur volonté paradoxale de nous faire payer l’admiration qu’éprouvent les Français pour des services publics qui marchent et font honneur à l’organisation de notre pays.

Je sais tout ce qu’on peut reprocher à la Justice qui ne cesse d’osciller entre pouvoir rêvé et autorité constitutionnelle au lieu de s’assigner pour seule et honorable ambition d’être un service public.

J’ai beau mesurer l’exaspération de mes concitoyens – et la mienne propre – face à tout ce dont ils rêveraient et qui ne leur est pas offert au quotidien, je ne peux m’empêcher d’éprouver, oui, une vraie fierté devant l’adhésion majoritaire à des services publics qui, notamment, nous transportent, nous font voyager, assurent notre santé, permettent nos envois, enrichissent notre culture et transmettent l’enseignement.

Une constatation dont je mesure le caractère superficiel mais qui ne cesse pas de m’emplir d’une joie civique, d’une confiance gratifiante quand je vois ces autobus, ces métros, même surchargés, arriver à l’heure, repartir, nous garantir que notre désir de mener notre existence ici puis là sera satisfait. Quand je monte dans ces trains où la gentillesse du personnel SNCF ne se laisse jamais entamer et que nous parvenons à notre destination finale dans les délais. Avec un bonheur que je peux juger excessif, puisque ce devrait être la règle pour le fonctionnement de tout service public, mais qui n’est que la traduction de la déception qui peut survenir, parfois, entre espérance et réalité.

A lire aussi : Marine Le Pen, « Il faut privatiser l’audiovisuel public »

Pourtant comment sincèrement puis-je être sujet à de telles pensées qui mettent les services publics dans leur excellence au plus haut et en même temps être réticent à l’encontre du service public de l’audiovisuel ? Comme si ce dernier violait les exigences dont le respect nous comble dans tous les autres services publics : équité, impartialité, révérence égale, neutralité, accessibilité à tous, politesse. Comme s’il ne méritait pas le même nom.

De fait, quand un débat oppose Gilles-William Goldnadel et Aurore Bergé sur cette question « Faut-il privatiser l’audiovisuel public ? », le premier qui dit oui domine clairement la seconde s’en tenant au non mais qui ne peut rien faire, malgré sa vaillance intellectuelle, face à la démonstration décapante et lucide du dévoiement à gauche de l’audiovisuel public. Et de son absolue dénaturation, d’un idéal de pluralisme honnête, en soutien partisan d’une cause.

C’est cette perverse incongruité entre des services publics respectés quoique parfois imparfaits et un service public – formellement entendu – de l’audiovisuel aux antipodes de l’exemplarité qu’il devrait impliquer qui explique, par comparaison, son discrédit fondamental. Quand on constate les dégâts pour la démocratie d’une telle distorsion, parler de « sévice » public n’est pas seulement drôle mais cruellement pertinent. Au regard du thème de ce billet, je voudrais louer l’absence de démagogie, lors du Congrès LR, de Philippe Juvin qui plutôt que de s’aventurer dans une improbable diminution de la fonction publique, a tenu bon sur le maintien quantitatif de celle-ci mais avec une bien meilleure organisation qui en décuplerait l’efficacité.

De grâce gardons les services, chassons le sévice !

Cet article a été publié pour la première fois sur le blog de Philippe Bilger, le 26 décembre 2021.

En attendant le Divin Enfant

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Noël mardi 14 décembre 2021 ROMAIN DOUCELIN/SIPA 01052793_000007

« Bonnes fêtes » ou « Joyeux Noël » ? « Omicron » ou « omicrone » ? Brèves remarques sur la plus belle histoire du monde.


Aurélien Marq semble vouloir nous imposer le choix entre dire « Bonnes fêtes » et « Joyeux Noël » sous peine de sombrer dans la collaboration islamogauchiste. Le problème, c’est que même en polarisant à l’extrême la situation dans une guerre civile larvée, souhaitée ou fantasmée, l’immense majorité se souhaitent les deux, sans trop se préoccuper de savoir si par hasard ils ne seraient pas les soldats manipulés d’une guerre de religions entre wokes écologauchistes et wokes ethnonationalistes.  Mon épicier arabe m’a souhaité « Joyeux Noël «  (la Taqqyia, vraiment ?), et j’ai dû dire « Bonnes fêtes » à ma marchande de tabac visiblement zemmourienne alors que je vais assister à la messe de minuit contrairement à elle, à 22 heures au Couvent des Dominicains de Lille.  En fait, il faudrait un test PCR pour déterminer ceux qui sont cathos pour des raisons d’affirmation identitaire et ceux qui sont cathos parce qu’ils ont toujours le cœur battant devant la plus belle histoire du monde, celle d’un enfant qui accouche dans une étable avant de fuir la police vers une autre contrée, une histoire de migrant ou de réfugié, en fait, qui est venu pour nous sauver.

Puisqu’on parle de test, quitte à être contaminé un de ces jours par le variant omicron, j’aimerais au moins qu’on le prononce correctement. J’ai entendu, sur je ne sais quel plateau, un médecin le dire comme il convenait, avant de se reprendre pour faire la faute: « omicrone. » Histoire de rester dans le ton. C’est un mécanisme d’une tristesse infinie qui signe ici, mais aussi dans d’autres domaines, l’irrésistible victoire de la connerie moutonnière et le renoncement désespéré de ceux qui pourraient s’y opposer en constatant que ça ne sert plus à rien, qu’il est trop tard, qu’ils sont trop peu. Comme ces élèves de ZEP que j’ai connus qui faisaient semblant de faire des fautes pour ne pas se faire traiter d’« intellos. » « On a va être très impacté par la problématique de l’omicrone » : sincèrement, une civilisation où on cause comme ça dans le poste mérite-t-elle de survivre? Heureusement que le Divin Enfant arrive ce soir parce que sinon, j’irais m’enterrer à Vierzonne, à Toulonne ou bien à Besançonne. J’aime bien Besançonne.

A lire aussi : « La Bonne-Mère postmodernisée »

Dire « Joyeux Noël » plutôt que « Bonnes fêtes » est infiniment plus révolutionnaire. Le « Bonnes fêtes » n’est pas un refus de Noël ou je ne sais quelle allégeance par anticipation à je ne sais qui. C’est pire, c’est l’ignorance consumériste du message révolutionnaire de l’Evangile. Reprenons le Sermon de Noël du très bolchévique (tendance Roi Soleil) Bossuet. Il est assez claire, je crois : « Il me faut un sauveur qui fasse honte aux superbes, qui fasse peur aux délicats de la terre, que le monde ne puisse goûter, que la sagesse humaine ne puisse comprendre, qui ne puisse être connu que des humbles de cœur. Il me faut un sauveur qui brave, pour ainsi dire, par sa généreuse pauvreté nos vanités ridicules, extravagantes. Le voilà, je l’ai rencontré, je le reconnais à ces signes. »

Joyeux Noël à tous.

Et Bonnes fêtes.  Aussi.

Et si la Commission Sauvé était allée trop loin?

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Le Pape François, 10 avril 2020, Vatican. © Grzegorz Galazka/Mondadori Portf/SIPA. Numéro de reportage: 30213336_000027

L’épiscopat français a commandé à un groupe d’experts indépendants un rapport sur les abus sexuels dans l’Eglise depuis 70 ans, rapport qu’il a financé lui-même. A la fin, les auteurs ont ajouté 45 « recommandations » qui risquent d’aller trop loin dans le sens d’un « cléricalisme pénitent »


Le texte de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (CIASE) conclut de manière formelle à la responsabilité de l’Eglise. Au-delà des défaillances personnelles, le problème est « systémique », comme on l’a beaucoup répété : il oblige à s’interroger sur le statut du prêtre. Le texte est aussi complexe, en particulier parce qu’il associe le résultat, présenté par l’Inserm, d’un sondage de l’IFOP dans « la population en général » qui évalue le nombre des victimes d’abus et une enquête qualitative conduite par des chercheurs de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes qui cherche d’où sont venus les abus en faisant appel aux témoins et en explorant les archives des diocèses et des ordres religieux aussi bien que des tribunaux. À la différence de l’enquête d’opinion, la seconde concerne des événements particuliers, donc identifie certains des « abuseurs ». Une des difficultés pour les auteurs comme ensuite pour les lecteurs, est de mettre en correspondance deux recherches, l’une cherchant à évaluer le nombre des victimes, l’autre à situer et à connaître les responsables.

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Texte complexe donc, mais aussi critiquable sur deux points. D’abord le dénombrement des victimes et ensuite la prise en compte insuffisante du contexte social et historique déterminant les jugements sur la pédophilie, contexte qui a changé sous nos yeux.

Un mauvais décompte des victimes ?

Ce qui a suscité le plus d’émoi à la publication du rapport, début octobre, c’est l‘affichage du nombre de 330.000 victimes soit de clercs (216.000) soit de laïcs (116.00) ayant des fonctions dans l’Eglise. Un pourcentage des plaignants a été établi d’après un « panel » de répondants. Ce panel est formé de volontaires que l’IFOP a l’habitude de solliciter. L’Institut veillant à ce que les quotas des affiliations et origines correspondent à ceux  de la population française actuellement adulte, on s’est cru ensuite autorisé à appliquer le pourcentage des plaignants qu’il fait apparaître au nombre des Français actuellement adultes pour aboutir à 330.000 victimes.

Il y a de bonnes raisons de contester ce calcul : si la correspondance de l’échantillon à la structure de la société est garantie, un facteur essentiel échappe à la prévision, la motivation à répondre. Au dire d’un expert, « dans un sondage reposant sur des quotas, seules les personnes qui ont un avis tranché répondent »[1].

A ces critiques des membres de la CIASE ont répondu[2] que les résultats de l’enquête IFOP concordent avec ceux de « la dernière enquête scientifique sur les violences sexuelles en 2016 » par Santé publique France. Selon cette enquête, 5.500.000 personnes adultes en 2016 ont subi des violences sexuelles dans leur enfance, 14,5% des femmes et 6,4% des hommes. Si l’on rapproche ces 5,5 millions de victimes des 330.000 de l’IFOP, on obtient 6% des victimes à la charge du clergé et de ses acolytes, ce qui peut paraître vraisemblable. Cela pourtant ne suffit pas pour parler de correspondance puisque la synthèse du rapport Sauvé affirme que les victimes de la pédophilie ecclésiastique sont « très majoritairement des garçons préadolescents ». D’ailleurs quand, comme le fait la « synthèse » du rapport Sauvé, on considère le tableau fourni par Santé publique France des « milieux de socialisation » plus ou moins propices à la pédophilie, cela donne des résultats qui ne correspondent pas aux 6% à la charge de l’institution catholique qu’on tire des chiffres de l’IFOP : 5,7% de la population concernée a connu un dévoiement pédophilique d’une relation interne à leur famille ou avec un ami de la famille, pour 1,8% la relation s’est nouée avec un ami ou un copain, 1,98% ont été abusés par un clerc ou un auxiliaire du clergé[3], soit (à partir de 5,5 millions) à peu près 110.000, loin donc des fameux 330.000.

Ceux qui ont le plus frontalement récusé le travail de la Commission Sauvé, des membres de « l’Académie catholique de France », lui reprochent d’avoir repris et avalisé sans mot dire les chiffres de l’IFOP mais ignoré le travail des chercheurs de l’EPHE qui dans les archives civiles et religieuses n’ont identifié ou repéré que 3.200 abuseurs liés à l’Eglise. Faudrait-il attribuer à chaque abuseur plus de cent victimes ? À quoi N. Bajos et Ph. Portier répondent en invoquant « le déficit de transparence de la gestion ecclésiale ».

Changement d’attitude

Derrière cette querelle autour du chiffrage se profile une évidence mal prise en compte : à la fin de la période (1970-2020) dont on a voulu faire le bilan, l’attitude de la société envers la pédophilie a changé, ce qui était, depuis toujours peut-être, une relation est devenu une violence.

A lire aussi, d’Elisabeth Lévy: Affaire Matzneff: fallait-il hurler avec les agneaux?

Etudiant les archives criminelles de Bologne aux quatorzième et quinzième siècles, l’historien Didier Lett[4] observe que la relation homosexuelle avec un garçon était punie plus souvent et plus durement (bûcher et non décapitation) que le viol d’une fille. Ce que l’on punissait sévèrement n’était pas une violence mais une faute morale, la transmission d’une perversion, un « détournement de mineur » comme on ne dit plus guère : la proximité sexuelle fondait une complicité. C’est d’ailleurs parce qu’ils voyaient eux aussi la pédophilie comme une relation que d’illustres signatures sont venus au secours de Gabriel Matzneff. Ils ne voulaient qu’inverser le jugement moral traditionnel en affirmant que ce qui était jugé auparavant honteux était émancipatoire pour les nouvelles générations, sans que la violence ait rien à voir en l’affaire.

La tendance à soustraire la pédophilie au domaine pénal est renforcée quand elle apparaît liée, dans le catholicisme, au célibat des prêtres, affaire interne donc à cette institution. On en a fait ainsi une faute sans victime en même temps qu’une faute aristocratique, propre à des hommes de prestige et de pouvoir. Mais, le rapport Sauvé le montre, nous sommes sortis du système catholique et son souvenir nous fait honte. Quand le pouvoir clérical n’est plus reconnu, la personne abusée n’a plus aucune compensation, le trouble et le désarroi qui lui sont imposés la caractérisent définitivement comme victime. C’est pourquoi on fait désormais un rapprochement avec le viol qui, depuis Tarquin le Superbe, a été associé à l’humiliation, celle d’une personne, ou celle d’une ville qui capitule.

Pour un catholicisme fier

Le rapport Sauvé scelle la déconfiture du pouvoir clérical chez nous : une commission de laïcs, comprenant des mécréants, évalue sans complaisance le comportement des autorités catholiques en se fondant sur des hypothèses très défavorables à celles-ci. Pour finir, elle se permet des recommandations aussitôt acceptées concernant l’exercice du pouvoir dans l’Église : plus contrôlé, plus participatif, faisant plus de place aux femmes.

Ces recommandations concernent l’exercice du pouvoir dans l’Eglise, un cléricalisme d’autorité dénoncé de partout. Mais ce cléricalisme pénitent ne rompt pas avec sa racine, la manière dont l’institution voit sa place et son rôle. À ce propos la proposition 33 de la CIASE est révélatrice : elle exclut qu’il soit fait appel à la générosité des fidèles pour l’indemnisation des victimes dont on doit accueillir les plaintes. Le simple fidèle est ainsi mis hors-jeu, exclu du cercle de la responsabilité. Le cléricalisme de repentance, plus peut-être que le cléricalisme d’autorité, désormais en déroute, est fermeture sur soi d’un appareil incapable de signifier pour la société, y compris la part de celle-ci qui lui reste affiliée.

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Fermeture sur soi, évanescence de la relation avec la société, donc cléricalisme caractérisent la situation actuelle du catholicisme. Son message tend à se borner à quelques thèmes ressentis comme identitaires par la majorité du milieu : la famille, l’ouverture à l’immigrant, la dévotion à l’Union de l’Europe. De cette manière il se fait plaisir mais se détourne du « vide démocratique » des sociétés libérales, donc du devoir d’être « un acteur qui revitalise le débat démocratique »[5]. Si les raisons pour le catholicisme d’avoir mauvaise conscience ne manquent pas, la culture de la mauvaise conscience n’est pas pour lui une voie de salut ou même de survie.


[1] Le statisticien Stéphane Legley, cité par Luc Bronner  dans une longue étude qui est aussi le témoignage d’un praticien, « Dans la pratique opaque des sondages », Le Monde, 5 novembre 2021.

[2] N. Bajos et Ph. Portier, « Les enquêtes de la commission Sauvé », Le Monde, 15 décembre 2021.

[3] A quoi il faut ajouter 1,13%  des relations ou agressions intervenues dans le cadre des colonies de vacances, de l’école publique, du sport et des activités culturelles. Total : 10,61%.

[4] Cf. Marie Dejoux, « L’enfant, le prédateur et le juge », Le Monde, 3 décembre 2021. A en juger par ce compte rendu, l’étude ne dit rien sur la prédation ecclésiastique, qui sans doute échappait à l’autorité judiciaire.

[5] Bernard Bourdin, Catholiques : des citoyens à part entière ? (Editions du Cerf, 2021).

L’art africain, c’est nous!

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Emmanuel Macron et le ministre béninois des Affaires étrangères, Aurélien Agbénonci, lors d'une cérémonie au musée du quai Branly pour la restitution d'œuvres au Bénin, Paris, 27 octobre 2021 © Stephane Lemouton - Pool/SIPA

Le mea culpa colonial d’Emmanuel Macron passe aussi par la case musée. Cependant, lorsqu’il restitue des pièces de collections publiques à des pays africains, le chef de l’État ne rend pas des fétiches, mais des œuvres d’art façonnées par le regard européen.


Au lendemain de son élection, Emmanuel Macron décida que nos musées devaient restituer des œuvres à l’Afrique : « Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique », disait-il à Ouagadougou en novembre 2017. Macron veut. Macron décide. Macron est persuadé de savoir ce qu’il dit et ce qu’il fait. Sans doute ne soupçonne-t-il pas l’importance de la révolution que le Musée, qui est une création européenne, opéra dans notre rapport à l’art. Les musées, qu’on le veuille ou non, sont partie intégrante de notre environnement culturel. C’est par leur intermédiaire, et celui du livre d’art qui en complète aujourd’hui de manière presque exhaustive les collections, que nous avons désormais affaire à la totalité de la création mondiale depuis les grottes de Lascaux jusqu’à l’atelier de Picasso.

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L’assurance avec laquelle Emmanuel Macron s’est précipité dans cette politique de restitution inquiète conservateurs et juristes. N’a-t-il pas ouvert une boîte de Pandore et mis sur la table un problème juridique insoluble puisqu’en droit français les œuvres appartenant à des collections publiques sont inaliénables ? En faisant voter en 2020 par la seule Assemblée nationale (le Sénat refusa d’examiner le texte) une loi d’exception autorisant la restitution de 26 pièces au Bénin, il résolut la question juridique de l’inaliénabilité des œuvres par ce qu’il faut bien appeler le « fait du prince ».

Une empreinte…

Fallait-il s’engager sur ce chemin ? Pouvait-on s’en abstenir ? Certains prétendront que répondre à une demande de restitution est avant tout un aveu de faiblesse qui s’inscrit dans l’air du temps qui, depuis des années, est à la repentance et à la réparation. Le débat est ouvert. L’aborder sous le signe de la polémique est sans grand intérêt.  Il est plus profitable de méditer ce qu’André Malraux écrivait en 1957 : « L’Europe a découvert l’Art nègre lorsqu’elle a regardé des sculptures africaines entre Cézanne et Picasso, et non des fétiches entre des noix de coco et des crocodiles. »

Aussi la question se pose-t-elle de savoir ce qu’on restitue à un pays africain lorsqu’on lui restitue certaines pièces. Des œuvres magiques ou des œuvres esthétiques ? Le pays africain le sait-il lui-même ? Ces sculptures qui furent hier des fétiches ou des ancêtres furent-elles jamais considérées, en dehors des pays occidentaux, comme des œuvres d’art destinées à l’admiration des visiteurs ? Avant d’être présentées dans ces institutions européennes que sont les musées, n’eurent-elles pas un statut semblable à celui de nos vierges ou de nos saints ? Ces vierges et ces saints ne furent-ils pas des objets de vénération avant d’être des œuvres que l’on éprouve comme étonnamment belles au détour d’une salle de musée et dont la présence religieuse d’hier n’est plus qu’une empreinte – le mot est encore de Malraux – désormais débordée, dépassée par une autre présence, artistique celle-là ?

C’est cette présence qui sépare la solennité de la Vierge à l’Enfant de Fouquet de la mièvrerie de toutes ces vierges qui, mises bout à bout, permettraient d’aller jusqu’à la Lune. C’est elle qui fera courir au musée d’Anvers le jeune amateur qui n’en aura vu qu’une reproduction. Et il n’y courra pas pour la prier. Car ce n’est plus, comme aux époques de foi, le monde de l’au-delà qui le consolera de vivre dans un monde naturellement décevant. Ce sera le monde de l’art. Le monde de la création. Dans l’immédiat, il n’en parlera à personne.

« Les explorateurs de l’Afrique, précisait Malraux, n’ont pas découvert l’art nègre, mais les fétiches ; les conquistadores n’ont pas découvert l’art mexicain, mais les idoles aztèques. Dans toutes leurs Isles, les Européens n’avaient trouvé que des curiosités. […] Les idoles deviennent des œuvres d’art en changeant de références, en entrant dans le monde de l’art que nulle civilisation ne connut avant la nôtre. »

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L’art comme appel

Que restitue-t-on donc à un pays qui nous en fait la demande ? Des fétiches qui, aux yeux des explorateurs, n’étaient que de simples « curiosités » ou des œuvres d’art qu’aucun de ces explorateurs, pas plus que les Africains qui en furent dépossédés, n’avaient su voir comme telles ? N’est-ce pas la peinture moderne, née sur le sol français avec Manet, Van Gogh, Cézanne, les fauves et les cubistes, qui nous a – l’expression est de nouveau de Malraux – « opérés de la cataracte » ?

Pour voir, sous la finalité religieuse évidente d’une œuvre, une autre finalité plus secrète, esthétique celle-là, ne fallut-il pas que nous soyons devenus perméables à cette valeur que, faute de mieux, nous appelons « art » et qui permet à des œuvres aussi étrangères les unes aux autres qu’une fresque égyptienne, une mosaïque byzantine, un chapiteau roman ou une sculpture africaine, d’être rassemblées en un même lieu pour dialoguer ?

Cette valeur qu’on peine à définir et que ces œuvres ont en commun n’est autre que la réponse à un énigmatique appel. Cet appel, qui se fait toujours entendre lors de la contemplation de l’œuvre d’un maître, devient si obsédant que l’artiste en herbe ne peut s’empêcher d’y répondre par le pastiche tout d’abord, par l’œuvre inconnue à faire ensuite.

Nous parlions de dialogue. Pour ces œuvres appartenant à des civilisations différentes, dialoguer c’est se voir contraintes, par la comparaison que permet leur réunion, de faire entendre la singularité d’un langage formel à chaque fois différent. Cette singularité, à laquelle n’étaient pas sensibles hier les fidèles requis par la seule fonction religieuse de l’œuvre, est encore trop souvent méconnue, voire raillée, par les historiens de l’art, les sociologues et les ethnologues, qui considèrent que la vocation de l’art est de parvenir à une reproduction habile de sujets privilégiés.

Le dialogue a remplacé la quête de l’Invisible

Ce que l’institution du musée a fini par faire comprendre au monde entier – et c’est là une aventure européenne qui a commencé en France –, c’est que la valeur commune à des œuvres aussi différentes les unes des autres est beaucoup plus large que celle que nous désignons par le mot « beauté ». Tout serait plus clair si nous réservions ce terme pour nommer la finalité des arts de l’Antiquité et de la Renaissance. Comment réunir en effet sous un même qualificatif la Jeanne d’Aragon de Raphaël et une Vierge romane aux mains démesurées et aux yeux d’hypnose ? Or, toutes deux nous atteignent à partir d’un même pouvoir mystérieux de création qui ne cesse de traverser les siècles en s’exerçant de manière à chaque fois surprenante.

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Si c’étaient des esprits que nous restituions aux Africains, les mettraient-ils dans leurs petits musées où ne se trouvent que quelques œuvres parentes ? Ne les replaceraient-ils pas plutôt dans les lieux sacrés d’où ils furent arrachés ? Si ces objets sont devenus désormais pour eux des œuvres d’art comme ils le sont devenus pour nous, c’est-à-dire des formes créées hier pour capturer l’Invisible mais appelées aujourd’hui à un vaste dialogue entre elles, s’il en est ainsi, la restitution des œuvres ne constitue-t-elle pas pour les pays africains, plutôt qu’une réparation, une participation à une aventure européenne dans l’ordre de l’esprit ?

Peut-être, alors, serait-il temps, pour ces pays, de reconnaître que le détour (parfois forcé) par l’Europe, par la France en l’occurrence, fut pour les objets restitués la chance de leur résurrection comme œuvres d’art, la chance de leur métamorphose. Pour eux comme pour nous, comme pour le monde entier, les chenilles sont devenues papillons. Et ces papillons qui doivent tant à l’Europe, car elle ne fut pas seulement celle des explorateurs ou des conquistadores mais celle également des Cézanne et des Picasso, ces papillons, les pays africains ne pourront les admirer chez eux – là est le paradoxe inaperçu de la restitution – qu’à travers cet étonnant regard qui s’alluma autrefois sur les bords de Seine jusqu’à la mer. Toutes les mers. Toutes les terres.

André Frédérique, rendez-vous à l’officine des mots

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Jean Carmet, 1993. ©MAESTRACCI/TF1/SIPA. Numéro de reportage: 35000330_000004

Tous les dix ans, on redécouvre la prose désaxée de ce poète d’après-guerre, un peu filou, un peu matou


Le soir du réveillon, j’attaque les bizarreries littéraires. Les inclassables des almanachs. Les chahuteurs de mots. Les funambules d’une existence tragique qui encrent la page blanche d’une noirceur amie. Ceux que l’Université boude par ignorance et fainéantise, trop occupée à dresser des listes entre les humanistes et les autres, oubliant la force de l’écrit au profit des idées entonnoirs. Ils nous engloutiront tous dans leur détestation du « beau et sombre ». Ces gens-là, incurables et procéduriers, seront toujours hermétiques aux fluides nostalgiques et aux envolées crépusculaires.

Postérité ingrate

Scolaires et laborieux, ils ne lisent que pour juger et comprendre le monde, alors qu’on lit pour s’échapper et se réfugier dans l’imaginaire de l’autre. André Frédérique (1915-1957) n’a pas droit aux volumes reliés pleine fleur et aux dorures fanées, encore moins aux colloques endimanchés. On lui épargne au moins ces dissections infâmes qui découpent les œuvres pour mieux en extraire une morale fétide. Malgré le silence et cette forme de mépris social, ses textes continuent leur long travail de sape. Chaque décennie, Fred le magicien de l’enfance fracassée gagne de nouveaux lecteurs intrigués par cette harmonie malsaine au charme étrange. Peu nombreux mais totalement épris de ce catcheur sorti des années 1950, ces nouveaux lecteurs sont émerveillés par cette puissance molle. 

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Ma génération, celle des quadras désabusés, a fait la connaissance de ce surréaliste non encarté grâce aux reparutions du Cherche Midi ou en chinant les éditions Plasma dans les boîtes des bouquinistes, sur les quais. D’Histoires blanches, recueil paru chez Gallimard en 1945 à Poésie sournoise chez Seghers en 1957 jusqu’à La Grande Fugue, roman inachevé publié à titre posthume en 1980 par Plasma, rien de banal, rien à jeter, rien de sentencieux à la gloriole trafiquée, rien de planifié, rien de linéaire, que des écrits sans message et sans retour possible, qui lorsqu’ils vous frappent à bout touchant, vous assomment par leur lyrisme boueux, la joliesse de leur ordonnancement et cette parure du désespoir qui sied aux livres essentiels. Contrairement à ses amis, Vian et Queneau, André Frédérique n’a pas eu la postérité qu’il méritait. Je peux vous assurer qu’en cette veille de Noël, il vous sera désormais essentiel comme le fromage de tête et le sauvignon, les seins lourds et les jeans japonais, les disques de Bill Withers et les froncements de sourcils de Noël Roquevert. Comment parler de Fred sans tomber dans la caricature folklorique ? Le garçon ne nous facilite pas la tâche. Il n’est pas évident à résumer. 

Humour noir

Lançons quelques pistes, il fut tout et à la fois : pharmacien comique en faillite chronique, inventeur prolixe de sketchs, de saynètes et même de mots, on lui doit la définition actuelle de « ringard » et aussi l’idée du « dîner de cons », disciple de Allais et Jarry, père spirituel de Topor, compagnon de Robert Dhéry et de Gérard Calvi, possesseur de deux manteaux couleur tabac et d’une voiture découvrable, explorateur des terres oubliées, du Berry à la Beauce, capable de dialoguer intelligemment avec un poireau devant un public en larmes, inventeur de l’humour noir et admirateur de César Franck, plume de Match et illustrateur radiophonique, aimant les chanoines et le flamenco, lecteur de Michaux et dévoreur de religieuses, fils d’un commissaire de police patibulaire et suicidé à l’âge de quarante-deux ans. Que rajouter pour cerner le personnage ? Ah oui, vous auriez pu le rencontrer au Montana buvant un double whisky ou à la « Belle Ferronnière » phosphorescent avec le dessinateur Chaval, ou en excursion touristique dans les plaines tragiques avec un Jean Carmet homérique. L’acteur dira de lui : « Fred nous a quittés, comme il quittait la table, en plein œuf dur mayonnaise […] Il s’est posé chez nous, y déposa des mots précieux qu’une poignée d’apôtres recueillirent, et, mission achevée, il évacua son corps, de la seule façon qu’on connaisse ».

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Aujourd’hui, nous sommes tous ses apôtres éternellement redevables. Sa veine proverbiale ravissait Vialatte, à l’image de cette maxime : « Chaque signe saigne sur le papier, chaque mot est promesse de mort… ». Ses poèmes « L’enfant boudeur » ou « Les fées » sont certainement les plus beaux du XXᵉ siècle. Et puis les premiers vers de « Don Juan » adressés à Maurice Nadeau conviennent en ce jour de fête :

J’ai connu la décervelée d’Étampes 
qui savait compter jusqu’à trois
la borgne et Paimpol
et la boiteuse de Pithiviers
qui a renoncé à la marche à pied

la bleue du Chili
qui déteint à l’eau de pluie… 

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Tango, bingo!

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La boîte de nuit "Le Tango", 13 rue au Maire, 3ème arrondissement de Paris. D.R.

La mairie de Paris-centre creuse la dette de la ville pour sauver une boîte de nuit gay. Mais elle a un alibi : les logements sociaux…


Ouf ! La ville de Paris est passée à deux doigts de perdre l’une des merveilles de son patrimoine. Le Tango, boîte de nuit gay mythique du quartier du Marais, a été sauvé in extremis par la municipalité. Pour la modique somme de 6,7 millions d’euros, l’immeuble sis 13, rue au Maire, dans le 3e arrondissement, pourra être acheté et rénové. Le rachat a été validé par la mairie de Paris Centre en novembre.

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Avec les locaux de la boîte de nuit, huit appartements ont également été acquis au sein de l’immeuble, dans le but d’en faire des logements sociaux. Ian Brossat (PCF), adjoint au logement d’Anne Hidalgo, est très fier de ce grand projet : « La spéculation immobilière, c’est le logement hors de prix et l’âme de nos quartiers qui disparaît. Pour faire face, nous avons fait usage de notre droit de préemption : à la clé, du logement social dans le Marais et le Tango préservé. » Les bénéficiaires du logement seront heureux de pouvoir vivre en plein cœur de la capitale et, surtout, de cohabiter avec les clients du Tango. L’organisateur historique des soirées du club gay, Hervé Latapie, a des doutes à ce sujet : « Un dancing en bas est-il compatible avec des logements sociaux juste au-dessus ? » Pourtant le but du collectif « Tango 3.0 » est de créer un lieu de vivre-ensemble apaisé. Le premier édile du Marais garantit que l’association entreprend de « prolonger l’histoire de cette salle historique » en proposant « des activités culturelles et festives dans un modèle social, solidaire et inclusif ».

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Nous voilà rassurés, les 6,7 millions d’euros déversés pour sauver le Tango ne seront pas jetés par la fenêtre, ils permettront de faire avancer la cause. Que la dette de la ville de Paris ait atteint cette année un niveau historique de 7,7 milliards d’euros, dont une augmentation de 867 millions par rapport à l’année dernière, ce n’est pas une raison pour se priver de certains investissements primordiaux. L’inclusivité n’a pas de prix.