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L’histoire de France réécrite par L’Obs : un travestissement idéologique

L’Obs a récemment proposé une Nouvelle histoire de France afin de « dépoussiérer le roman national ». Le résultat n’apporte rien à notre compréhension de l’histoire, mais revêt cette dernière des oripeaux wokistes à la mode.


Sous prétexte de « dépoussiérer le roman national », L’Obs (n° 2983-2984) propose Une nouvelle histoire de France. L’histoire de France sent le renfermé, explique en substance François Reynaert, coordonnateur de ce travail ; celle du « roman national » est à jeter à la benne. Elle permit pourtant à quelques générations d’élèves de retenir la chronologie et les grands noms et événements de l’histoire de France avant de se livrer à des recherches plus précises, universitaires par exemple, mettant en perspective et discutant les différentes approches historiographiques. Le journaliste est heureux que ce récit-là ne soit plus guère enseigné. L’Éducation nationale n’ayant pas attendu François Reynaert pour appliquer ses préceptes, des étudiants confondent aujourd’hui Napoléon Ier et Napoléon III, croient que 1515 est une marque de bière concurrente de la 1664, se demandent où s’est déroulée la bataille de Marignan, ignorent à quel événement se réfère notre 14 juillet national. Pourtant, le journaliste désespère de voir que « les suppléments en papier glacé de Valeurs Actuelles ou du Fig Mag » fassent encore référence à cette histoire « identitaire » portée au pinacle par « le néo-maurassien Éric Zemmour ». Sa Nouvelle histoire de France se veut, elle, « ouverte, inclusive et inventive ».

Patrick Boucheron avait ouvert la voie avec L’Histoire mondiale de la France de 2017, ouvrage collectif censé « mobiliser une conception pluraliste de l’histoire contre l’étrécissement identitaire » afin de « neutraliser la question des origines ». Nous avions rapidement compris que cette histoire serait plus mondiale (donc multiculturaliste, sansfrontiériste, diverse, métissée, etc.) que française (car étriquée, réactionnaire, identitaire, etc.). Nous apprîmes à cette occasion qu’en 34 000 avant J.-C. la grotte Chauvet avait accueilli un Homo sapiens dont le chemin allait consacrer « la profondeur indicible de ses origines et le métissage irréductible de ses identités ». Nous découvrîmes également que Descartes, avant d’être « une sorte de génie français », avait été un « philosophe itinérant » (les auteurs n’avaient quand même pas osé le mot « migrant » qui a dû les démanger – nous verrons que Reynaert n’a pas de ces pudeurs-là), pour avoir traversé le Danemark et l’Italie avant de s’installer à Amsterdam.

Quand l’histoire devient grotesque

Sur les 30 événements retenus dans L’Obs, j’en soulignerai deux qui montreront assez la manière de faire des dépoussiéreurs de l’histoire de France.

Il fallait frapper plus fort que Boucheron et sa grotte Chauvet, le titre du premier article de cette Nouvelle histoire de France y va par conséquent franco : « – 45 000, nos ancêtres les migrants ». Aucun mot n’est choisi au hasard, ça marteau-pilonne : « Non seulement les Européens descendent de migrants, mais nous sommes tous des métis, car Sapiens n’a cessé de bouger en tous sens… » On aura compris qu’il ne s’agit nullement ici de faire œuvre historique (tout ce qui relève strictement de l’histoire dans ces articles n’est souvent qu’une redite de faits connus) mais de revêtir l’histoire des oripeaux immigrationnistes, créolisationnistes, racialistes ou indigénistes à la mode. Ainsi sommes-nous sommés de ne pas oublier que les « premiers Européens » d’il y a environ dix mille ans avaient « les yeux bleus et la peau noire ! », et que notre pays faisant appel à une main-d’œuvre belge, suisse, savoyarde ou piémontaise dès le XIXe siècle, « notre population est plus multiculturelle que celle de nos voisins. » CQFD.

L’article consacré au philosophe arabe, Averroès, se contente de coller à l’historiographie traditionnelle sur la prétendument paradisiaque Al-Andalus (les territoires espagnols et du sud de la France sous domination arabo-musulmane de 791 à 1492) et la supposée redécouverte de textes philosophiques grecs par la traduction de manuscrits arabes, en particulier par Averroès, présenté ici comme l’unique rouage de transmission des écrits d’Aristote en Europe. Rappelons d’abord qu’Al Andalus a été une conquête militaire suivie d’une soumission à l’islam de toute la population (soit conversion, soit dhimmitude) que seule une historiographie anti-chrétienne (entretenue par des Occidentaux comme par des associations internationales comme la Ligue Arabe) a transformée en une convivensia merveilleuse, tolérante et pacifique. Précisons ensuite que le beau mythe d’un Occident chrétien devant au monde islamique la sauvegarde et la transmission d’une grande partie des textes philosophiques grecs a été depuis trente ans largement réévalué. S’il est avéré que la médecine arabe a longtemps été supérieure à celle de l’Europe, il est maintenant prouvé que la transmission des textes grecs a été réalisée pour la plus grande part par d’autres voies que celle de l’Espagne musulmane (1). De plus, François Reynaert, tout à son dithyrambe sur Averroès, oublie de rappeler que ce même très tolérant philosophe fut un juge éminent et redoutable de la charia à Cordoue, n’hésitant ni à faire décapiter les récalcitrants, ni à débattre sur la meilleure façon de lapider les femmes adultères. Ajoutons qu’à la question de savoir pour quelles raisons le monde arabe islamisé déclina, pour ce qui relève des sciences et des savoirs classiques, à partir des XIVe et XVe siècles, la réponse est en partie apportée dans le rapport des Nations Unies établi sous la direction du sociologue égyptien Nader Fergany. Là où le Coran passe, la traduction des écrits savants trépasse : au cours des douze derniers siècles le nombre de livres traduits dans les 22 pays que compte la Ligue Arabe correspond à celui que la seule Espagne traduit de nos jours en une année (2). François Reynaert retient, lui, que le mot algèbre vient de l’arabe al-jabr,et cela lui semble être une preuve indépassable de l’héritage inestimable que nous devrions à la civilisation arabe.

Repentance et multiculturalisme à tous les étages

Dans cette opération de toilettage historique, 1519 se substitue à 1515 : François Ier aurait pu être l’empereur du Saint Empire romain germanique et « créer une sorte de “Françallemagne” qui eût changé le cours de l’histoire ». 1337 et le début de la guerre de Cent Ans sont remplacés par 1346 et la naissance du premier Code forestier, « prémices du développement durable ». Oubliez Voltaire et Rousseau, remplacés au pied levé par Madame du Châtelet, mathématicienne dont la place dans nos livres d’histoire est légitime mais dont la présence ici ressortit plus à l’acte militant. N’allez surtout pas penser que cette Nouvelle histoire de France relève d’une idéologie quelconque. Il ne s’agit que d’enrichir notre histoire en la modernisant, selon Reynaert. D’ailleurs, rappelle-t-il, les récents travaux historiques ont permis d’éclairer d’un jour nouveau notre perception de l’esclavage, « crime longtemps minimisé », et d’aboutir à… la loi Taubira – laquelle loi, omet de dire Reynaert, ne « criminalise » que la traite transatlantique et passe sous silence les traites intra-africaines et arabo-musulmanes, pourtant plus longues et plus meurtrières. Enfin, parmi les dates les plus fameuses de la période révolutionnaire, une a particulièrement retenu l’attention de François Reynaert : « le 6 octobre 1791, le code est adopté […] un pas historique vient d’être franchi. » Ce code consacre entre autres « l’abolition du crime de sodomie » et reconnaît qu’il ne peut pas y avoir de crime (sexuel) s’il n’y a pas de victime. « On est sur le chemin de notre morale sexuelle, fondée sur le consentement », souligne hardiment Reynaert, heureux de cocher la case « consentement » en attendant de trouver les événements historiques qui lui permettront de cocher celles de « masculinité toxique » ou « d’hétérocentrisme ».

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Nos enfants sont de plus en plus nuls en français et en mathématiques. Leurs connaissances littéraires sont rabougries. Celles des arts frôlent le zéro. La même pente déclinante se dessine pour l’Histoire de leur pays. Les conceptions idéologiques de Patrick Boucheron, de François Reynaert (au cursus impeccable : journaliste à France Inter, puis à Libération et à L’Obs), de Pascal Blanchard (spécialiste du décolonialisme à la sauce racialo-indigéniste), dominent actuellement l’historiographie française. Le cahier des charges (ou à charge, au choix) d’une histoire de France « dépoussiérée » est maintenant assez clair : repentance à tous les étages, mise en relief de dates et d’événements singuliers (relevant plus du travail universitaire que du « récit national ») lorsque ceux-ci peuvent servir le militantisme multiculturaliste, mondialiste, féministe, européiste, racialiste, etc., ou éreinter la France, anachronismes admis pour les mêmes raisons. Ces histoires de France (mondiale, nouvelle, inclusive, etc.) déconstruisent la France. Elles ne se contentent pas de la dépoussiérer, elles lui demandent de débarrasser le plancher.

(1) Livres à consulter : le plus accessible, Dario Fernandez-Morera, Chrétiens, juifs et musulmans dans Al Andalus (Éditions Jean-Cyrille Godefroy, 2018) ; le plus complet, Serafin Fanjul, Al-Andalus, l’invention d’un mythe (Éditions de L’Artilleur, 2017) ; le plus introuvable, Sylvain Gougenheim, Aristote au mont Saint-Michel (Éditions du Seuil, 2008), ouvrage qui valut à son auteur une tribune meurtrière d’un certain milieu universitaire l’accusant de « racisme culturel » (sic).

(2) Jean Birnbaum cite ce rapport, Human development and the acquisition of advanced knowledge in Arab countries, dans La religion des faibles (Éditions du Seuil, 2018), p. 249.

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Covid : tout ça pour ça ?

Les dernières mesures — la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal, les vexations qui s’accumulent, les restaurateurs priés de jouer aux flics — ne parviennent pas à convaincre notre chroniqueur. Il en arrive même à faire du mauvais esprit.


Le variant Omicron, c’est encore la Bourse qui en parle le mieux :

« Le brusque coup de mou à la découverte du variant Omicron (-4,75% le 26 novembre dernier, plus forte chute journalière de 2021) a rapidement été effacé, le CAC 40 ayant reconquis dès le 22 décembre le seuil des 7.000 points, soit trois semaines après son creux à 6.655 points (le 30 novembre). Rasséréné par la désormais probable moindre dangerosité de cette nouvelle souche de Covid-19, le baromètre de la cote tricolore ne s’est pas arrêté en si bon chemin. À moins de 20 points de son plus haut historique en clôture ce lundi (+0,76%), l’indice phare a conservé son biais haussier ce mardi, et inscrit un nouveau sommet en clôture, à 7.181,11 points (+0,57%), le premier depuis le 17 novembre dernier », selon BFM-Bourse.

C’est cela, la réalité de l’épidémie : un variant très pathogène mais très peu dangereux, qui se répand à la vitesse d’un mauvais rhume (50% des 140 000 nouveaux cas du 28 décembre n’ont ressenti aucun symptôme), qui n’empêche absolument pas les entreprises de tourner et les gens de vivre, mais au nom duquel on impose des contraintes de plus en plus folles. Ne pas manger ni boire dans les trains ! Quel épidémiologiste fou a convaincu Castex de décréter une telle mesure ? Le service du nettoiement de la SNCF ?

Je ne suis pas infectiologue (ni sélectionneur de foot), contrairement à 67 millions de mes compatriotes. Ce qui suit est donc un avis personnel.

Nous devrions profiter de la très faible dangerosité d’Omicron pour attraper en foule le Covid. On va y arriver de toute façon, puisque les vaccins tant vantés ne nous épargnent pas de tomber malades et d’être contagieux. C’est le moment ou jamais de parvenir à la fameuse immunité de groupe : plus nous aurons été exposés au virus, et mieux nous résisterons.


D’autant que la politique du tout-vaccin a un résultat évident : elle incite le virus à muter. Comme la grippe. Si le prochain variant choisit d’être plus létal (ce n’est pas son intérêt, notez-bien : il est fort rare qu’un virus choisisse de tuer son hôte), ne survivront que ceux qui auront en eux de vrais anticorps — et pas un vaccin dont l’effet, apparemment, faiblit au bout de six semaines…

Mon raisonnement vient d’être adopté par le gouvernement israélien, qui a suspendu l’injection de la quatrième dose, et semble jouer désormais la carte de l’immunité collective. En l’absence d’un vaccin digne de ce nom, un vaccin qui vous empêche d’être malade et donc de transmettre la maladie, un vaccin qui ne soit pas une simple usine à cash – eh bien, le meilleur moyen de résister au Covid, c’est d’y céder.

Oui, mais cela expose les plus faibles, etc.

Les plus faibles meurent depuis le début de l’épidémie. L’âge moyen des décédés est de 82 ans — et encore s’agit-il d’octogénaires atteints, comme on dit joliment, de « co-morbidités » : en clair, ils étaient déjà sur la mauvaise pente. Trop gros, trop cardiaques. Si le gouvernement était réellement cynique, au lieu de préparer une nouvelle réforme des retraites, il se frotterait les mains : tous ces décès, ce sont autant de pensions que l’on n’aura plus à payer. Je rappelle aux plus stupéfaits que c’est le raisonnement qui, lors du vote de la loi Evin, a convaincu les autorités de l’époque de ne pas interdire le tabac, qui est autrement mortel que le Covid : l’âge moyen des décès pour cause de tabagisme aigu s’établit autour de la soixantaine — un profit inestimable si l’on ajoute les retraites impayées aux profits directs de la vente de tabac.

Ah, la France vieillit ? Après épuration des plus âgés, la balance des âges se rétablira quelque peu. Les jeunes ont l’outrecuidance de passer comme des fleurs au milieu de l’épidémie — moyennant quoi on veut les vacciner contre une maladie qui ne leur fait rien : à part Pfizer, qui gagne à un pareil raisonnement ? Demain ils seront plus nombreux que les vieux — et paieront les retraites des survivants.

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« Mais savez-vous, l’objecte-t-on, ce que coûte une journée en réanimation ? » « Mais savez-vous, ma bonne dame, ce que coûte à l’Etat l’achat de 67 millions de doses de vaccins multipliés par trois — et bientôt par quatre ? » Le budget de la nation s’enfonce à combattre un virus qui n’est pas plus létal que tous ceux qui l’ont précédé, et auxquels nous avons laissé la bride sur le cou. Et comme la Bourse seule dit la vérité, l’action Pfizer flirte avec les sommets.

Ce que signifie la politique aberrante de ces deux dernières années, c’est que le principe de précaution qui faisait déjà des ravages atteint ces temps-ci des sommets. Pour éviter d’être traînés en justice, pour épargner la vie d’une dizaine de gens déjà atteints de pathologies mortelles par lot de 100 000 personnes, le gouvernement déploie des ressources infinies, nous impose des contraintes vexatoires, il détruit les familles (si, si, il y a des gens qui obligent leurs proches, lors des repas conviviaux, à produire un test négatif), il culpabilise les jeunes, accusés de tuer leurs grands-parents, et il rend la vie impossible aux non-vaccinés, selon la jolie formule de Véran.

Ma vieille tante a 83 ans, et une vie passée à travailler dans les hôpitaux : c’est dire si elle connaît à fond, comme elle dit, le narcissisme et la volonté de puissance des médicastres. Elle est fragile et portée à toutes sortes d’allergies, elle ne s’est pas fait vacciner et ne le fera pas. Elle s’enferme chez elle, elle résiste à l’énorme pression médiatique, se fait discrète et descend faire deux courses en catimini chez les petits commerçants de son quartier, convaincue que la force publique viendra incessamment l’arrêter pour l’obliger à se vacciner. Le pire, c’est qu’elle a sans doute raison par anticipation : d’ici peu les gens dénonceront les non-vaccinés, avec une bonne conscience en béton armé. Comme elle me dit : « Mourir, de toute façon, il faudra bien… » Mais pourquoi anticiper en se faisant injecter une potion qu’elle pressent mortelle ?

Bien sûr, c’est irrationnel. Mais elle est arrivée à un âge où je respecte ses lubies. Et je dénie à qui que ce soit le droit de venir de force lui injecter dieu sait quelle saloperie dont les effets, si l’on veut parler du principe de précaution, sont loin d’être bénins.

Alors, je pose la question : un gouvernement qui désespère les vieilles dames est-il un bon gouvernement ?

Je suis vacciné, et je ferai une troisième injection, parce que j’y suis contraint, que je dois me déplacer, et que je veux continuer à aller au cinéma, pour donner sur Causeur des chroniques mémorables… Mais je ne force personne à le faire. Un tel vaccin doit être un choix.

Par ailleurs, je sais que 80 000 lits ont été supprimés en dix ans — y compris dans les deux dernières années — et que les infirmiers sont si mal payés qu’ils partent en masse vers le secteur libéral. Je sais aussi que le Covid est un merveilleux écran de fumée qui empêche de dire qu’il y a toujours 5 millions de chômeurs, et que trop de gens touchent moins de 1000 euros par mois : dis-moi, Castex, tu vivrais avec moins de 1000 euros par mois ?

Quant aux syndicats enseignants qui demandent encore « des moyens » pour installer des détecteurs de CO2 dans les classes, et voudraient reculer la rentrée (moins ! Toujours moins !), je préfère ne rien en dire. Les élèves français ont été rendus inscolarisables par deux ans de mesures erratiques. Dans six mois ils seront définitivement perdus. « Oui, mais notre sécurité aura été assurée ! » clament les syndicats. Faut-il leur répéter qu’aucun enseignant, pour le moment, n’est mort du Covid ? Et que seule une poignée d’élèves, atteints de pathologies graves, y ont cédé ?

P.S. Ce sera le dernier billet de l’année. Nous nous souhaiterons une bonne année 2022 (sentez-vous l’ironie de ma phrase ?) quand il sera temps.

« Gens de Dublin » : le testament de John Huston

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Le dernier film du maître américain, visible sur Arte, est une oeuvre majeure.


« Son âme se pâmait lentement tandis qu’il entendait la neige tomber, évanescente, à travers tout l’univers, et, telle la descente de leur fin dernière, évanescente, tomber sur tous les vivants et les morts. » James Joyce, « Les Morts ».

Gens de Dublin de John Huston est adapté d’une longue nouvelle, « The Dead », de l’immense écrivain Irlandais, James Joyce, et publié en 1914 dans le recueil, Gens de Dublin. C’est le dernier film de John Huston, tourné en 1987 quelques mois avant de mourir d’une pneumonie consécutive à son emphysème le 28 août 1987.

L’homme qui aimait la littérature

John Huston, grand cinéaste souvent mal compris et parfois considéré comme surfait, est pourtant l’un des plus grands metteurs en scène américains, auteur entre 1941 et 1987 de quarante deux longs-métrages. Il a adapté avec beaucoup de talent et de modestie plusieurs chefs-d’œuvres de la littérature de langue anglaise : Moby Dick de Herman Melville, L’Homme qui voulut être roi de Rudyard Kipling, Le Faucon Maltais de Dashiell Hammett, La Nuit de l’iguane de Tennessee Williams, Reflets dans un œil d’or de Carson McCullers, Le Malin de Flannery O’Connor, Au-dessous du volcan de Malcom Lowry,  La Bible et Gens de Dublin… ainsi que la traduction anglaise d’un chef-d’œuvre de la littérature française, Les Racines du ciel de Romain Gary.

En portant à l’écran avec une grande fidélité cette nouvelle de James Joyce, John Huston nous conte une histoire minimaliste dont l’action se déroule sur une seule soirée. Une œuvre dépouillée mais intense, servie par la force de la mise en scène sobre et poignante du cinéaste, condensée en trois actes et en huis-clos : la soirée et le dîner dans la maison des demoiselles Morkan, un trajet dans un fiacre et une discussion entre Gretta et Gabriel Conroy (interprétés par Angelica Huston et Donal McCann), le couple principal du film, dans leur chambre d’hôtel à Dublin. Dehors le sol est recouvert d’un épais manteau blanc, la neige tombe et il fait froid. Les demoiselles reçoivent leur cercle d’amis : leur neveu Gabriel Conroy et son épouse Gretta, trois élèves de Mary Jane, le chanteur ténor Bartell D’Arcy, la vieille Mrs Malins et son fils Freddy, alcoolisé comme bien souvent.

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La soirée s’écoule dans la douceur et la sérénité, tous dansent, dégustent l’excellente oie rôtie et le traditionnel pudding, certains jouent du piano, d’autres récitent des poèmes en langue gaélique. Les convives parlent de théâtre, de politique, de l’avenir de l’Irlande et évoquent les chers disparus de l’année, célèbres ou inconnus. Les passions semblent retenues, feutrées et vont affleurer au moment où les invités commencent à partir.

Blessures secrètes

Soudainement, alors qu’elle commence à descendre l’escalier menant à la sortie, Gretta entend le ténor Bartell d’Arcy (Frank Patterson) chanter la ballade, « La Fille d’Aughrim ». Elle se fige, envahie par une immense mélancolie. Le chemin du retour vers l’hôtel avec son époux Gabriel et leur discussion dans la chambre d’hôtel nous révèle une blessure d’amour secrète. Le film comme la nouvelle sont une épiphanie de la condition humaine. Marqué par le déroulement de la soirée, la musique, les chants, les poèmes lus, les propos échangés et surtout très troublé par la récit du premier amour de jeunesse que lui révèle son épouse Gretta, Gabriel Conroy acquiert une conscience soudaine et lumineuse de la nature profonde de l’âme humaine, de l’indicible passage des êtres humains sur la terre.

Se souvenir des vivants et des morts

Hommage vibrant aux vivants et aux morts qui peuplent cette terre, The Dead (Gens de Dublin) est le chef-d’œuvre testamentaire de John Huston, un film modeste, subtil et d’une folle élégance. Servi par une pléiade de comédiens talentueux et justes, par la lumière chaude du chef-opérateur Fred Murphy, la musique mélancolique d’Alex North et la beauté du chant du ténor irlandais de renommée internationale, Frank Patterson, ce film est assurément un sommet de l’art cinématographique mondial.

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Gens de Dublin un film de John Huston,
États-Unis – 1987 – 1h23 – V.O.S.T.F.
Interprétation: Anjelica Huston, Donal Mc Cann, Dan O’Herlihy, Helenan Caroll, Cathleen Delany, Ingrid Craigie, Frank Patterson Marie, Kean, Sean McClory….
Sur sur Arte.TV ou en DVD aux Éditions Elephant Films

« Super Moustache », le dessin animé dont Macron devrait s’inspirer

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Au Vénézuela, le président, Nicolás Maduro, a utilisé un héros de dessin animé pour redorer son blason politique. A l’approche de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron ne devrait-il pas faire de même ? Ce serait au moins plus amusant que ses opérations de comm’ habituelles.


Il y a quelques années, on nous annonçait la chute imminente de Nicolás Maduro. Aujourd’hui, le président du Venezuela est toujours là. Déjà neuf ans qu’il tient les rênes du pays, Maduro. Et à l’approche de Noël, il a régalé les Vénézuéliens de cadeaux. Il a offert du spectacle à leurs enfants. Début décembre, un homme joufflu à moustache, semblant découler d’un croisement entre Superman, Super Mario et Nicolás Maduro, a fait son apparition sur la chaîne publique VTV pour un premier épisode.

Dans un bureau de la Maison Blanche, un mauvais bonhomme aux cheveux jaunes se réjouit de plonger dans l’obscurité tout un pays. Puis il envoie un avion couper l’électricité du Venezuela. C’était sans compter sur SúperBigote (Super Moustache en français), le héros musclé à la main de fer. Sur un air de salsa endiablée, SúperBigote s’envole pour réduire le maudit avion en fumée. « Indestructible » SúperBigote, rappelle une voix off en chantant. En 2019, une gigantesque panne d’électricité avait en effet paralysé le pays. Le régime chaviste avait alors évoqué un complot ourdi par Donald Trump et ses alliés. D’autres épisodes ont suivi. Dans celui du 24 décembre, Super Moustache, en diffusant ses pouvoirs avec sa chevalière dorée, empêche son pays de sombrer dans une guerre civile voulue par les Yankees.

Chacun en jugera par soi-même mais Super Moustache, c’est quand même autre chose qu’Emmanuel Macron racontant des anecdotes à l’Élysée devant les YouTubeurs Mac Fly et Carlito. Plutôt que les trente-six minutes de ce spectacle imbuvable, ne vaut-il pas mieux regarder une minute et demie de Super Moustache ?  Peu importe la qualité du dessin, les nations ont besoin de héros pour s’unir et cela, Maduro l’a bien compris. En forçant un peu, on pourrait même voir dans Super Moustache une œuvre épique.

Réhabilitons la moustache

Sur le modèle de cette série, il y aurait de quoi faire en France aussi. Super Macron contre le coronavirus, Super Macron contre les Gilets Jaunes, Super Macron contre Erdogan, contre Bolsonaro, Zemmour ou que sais-je, les épisodes ne manqueraient pas. Reste la question de la moustache. Pas sûr que Macron gagne en popularité en se la laissant pousser. Et pour cause, quand on associe moustache et hommes politiques, on pense immédiatement à d’infréquentables personnages : Bachar al-Assad, Sadam Hussein, Augusto Pinochet, Nicolas Maduro aujourd’hui et bien d’autres. Sans même parler de Joseph Staline ou du Fürher.

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C’est une vue bien courte. Car De Gaulle portait la moustache, Léon Blum portait la moustache, Georges Clemenceau portait la moustache et jusqu’en 1941, Jean Moulin aussi. Sans oublier Albert Einstein, Marcel Proust, Stefan Zweig ou Charlot. Cette liste est non exhaustive, vous pouvez la rallonger (toutefois, en raison de sa moustache qui pointe vers le ciel, Salvador Dali serait mieux classé hors catégorie). D’ici le 10 avril 2022, le président Macron va-t-il s’inspirer de Super Moustache ou infliger à nos enfants un autre épisode en compagnie de Mac Fly et Carlito ? En attendant de le savoir, Messieurs, à vos ciseaux !

Tour Triangle : encore un saccage urbanistique à combattre à Paris

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Le projet très contesté de la Tour Triangle, consistant à construire un édifice de 180 mètres de hauteur à la porte de Versailles, représente une tentative de plus pour détruire l’harmonie architecturale de Paris. Qui soutient ce projet ? Anne Hidalgo…


Il est prévu qu’une Tour Triangle soit édifiée Porte de Versailles dans le XVe arrondissement de Paris et se déploie sur une superficie totale d’environ 80 000 mètres carrés. D’aspect pyramidal, elle devrait atteindre 180 mètres de hauteur et être dotée de 42 étages comprenant bureaux, commerces, restaurants et salles de conférences. Cette construction urbaine de vaste ampleur a été décidée en 2008 par l’ancien maire de Paris, le socialiste Bertrand Delanoë, malgré 64% de Parisiens s’y déclarant opposés[1]. Il s’agissait alors d’un accord conclu entre la Ville et Unibail-Rodamco, un groupe financier d’envergure internationale, spécialisé dans l’immobilier commercial, la promotion et l’investissement dans de grands centres commerciaux. Mais le Conseil de Paris (rejet du 17 novembre 2014), les élus de l’arrondissement, plusieurs politiques ainsi que des associations (comme Monts 14 ou Tam‑Tam) et de simples riverains s’opposèrent à ce qui promettait d’être l’édification la plus importante depuis celle de la Tour Montparnasse en 1972. L’abandon de ce projet constitua même l’un des principaux thèmes de la campagne municipale de 2014.

Devenue maire de la capitale, l’ancienne première adjointe en charge de l’urbanisme, Anne Hidalgo, s’est toujours montrée farouchement partisane de la réalisation de ce gratte-ciel. Le principe de cette dernière a été finalement approuvé par le Conseil de Paris le 30 juin 2015 et le permis de construire obtenu en mai 2017. Madame le maire a présenté alors une nouvelle version du plan initial avec hôtel de luxe, restaurant, espace culturel et de coworking, le tout associé à une large zone commerciale. Dans le même temps, passant outre la volonté des administrés, le Conseil de Paris a multiplié l’adoption de textes autorisant un déplafonnement qui permettrait d’édifier des tours sur six sites parisiens.

L’inauguration de la Tour Triangle devait avoir lieu en 2017, mais de multiples recours ont été déposés par des associations et des conseillers municipaux auprès du tribunal administratif de Paris afin d’en bloquer l’accomplissement. Finalement, ce projet architectural aboutira-t-il en 2024 comme le prétendent aujourd’hui les édiles parisiens ? Rien n’est moins sûr : voyons donc pourquoi.

Les plaintes déposées auprès du PNF

Rappelons que le 9 octobre 2020 une première plainte avait été déposée auprès du PNF (Parquet national Financier) par Anticor. Puis, à la suite du rapport très critique de la Chambre régionale des comptes publié la même année, Rachida Dati avait à son tour saisi cette institution judiciaire au nom de son groupe Changer Paris. Selon l’ancienne ministre de la justice, la Ville aurait accordé au groupe Unibail-Rodamco-Westfield un avantage financier exorbitant à l’occasion du renouvellement de sa concession d’exploitation sur le parc des expositions de Versailles.

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Enfin, le 13 décembre 2021, aux côtés des associations, SOS Paris, ADHAPE, FNE IDF et de la conseillère de Paris Danielle Simonnet (LFI), l’association France Nature Environnement vient de déposer une nouvelle plainte auprès du PNF contre madame le maire de Paris, Anne Hidalgo, et la SCI Tour Triangle. Se fondant sur l’article 432-14 du Code Pénal, les plaignants dénoncent à cet égard un délit de favoritisme dans l’attribution du marché public d’exploitation, plus précisément un « délit d’octroi d’avantage injustifié » concernant la Tour Triangle. Ils font valoir que ce projet serait entaché d’illégalités parce qu’il existerait notamment un détournement de la commande publique et un défaut de mise en concurrence fondé sur une violation du code des marchés publics. Or, si la juridiction fait droit à leur requête et juge que le projet est effectivement entaché d’illégalité, les travaux seront suspendus, voire définitivement interdits. Mais en attendant ses conclusions et alors que des opérations préparatoires et exploratoires de déblaiements sont déjà à l’oeuvre, Ies requérants demandent un moratoire sur les travaux principaux qui devraient théoriquement débuter courant janvier 2022. Finalement, au vu du dossier, le PNF a jugé la requête recevable et a ouvert une enquête.

Le spectre des Jeux Olympiques

L’espoir des opposants repose aussi sur le fait que cette construction doit pouvoir répondre aux conditions du décret d’application de la Loi Olympique 2018. En effet, ce texte stipule que tout chantier aux abords des installations des Jeux Olympiques 2024 ne peut être lancé que si son achèvement peut intervenir avant le lancement des JO 2024. Or, comme les travaux devraient durer au minimum 36 à 37 mois et que la situation sanitaire a par ailleurs induit nombre de difficultés supplémentaires, il semble impossible que l’ensemble du chantier puisse être achevé dans le respect de ce cadre juridique. Enfin, la pandémie a produit des effets négatifs sur la situation du promoteur Unibail-Rodamco-Westfield, au point que ses actions en bourse ont brutalement chuté de 74% début 2020. Certes, le groupe a débloqué 9 milliards d’euros en novembre dernier pour renforcer son bilan et réduire son endettement. Mais en cette période d’incertitude et de labilité mondiales, la solidité financière du groupe n’est pas pour autant pleinement garantie.

Logique financière versus intérêt général

Certes, il est bien question de la construction d’un immeuble privé sur un terrain privé. Mais cela ne signifie pas que tout soit pour autant permis car ce projet met directement en jeu – sinon en péril – l’intérêt général et le patrimoine urbain qui a valeur de bien commun. En effet, comment justifier l’érection d’une tour de verre et d’acier, hautement énergivore destinée à fournir des milliers de mètres carrés de bureaux dans une zone qui en est déjà saturée ? Soulignons à cet égard un étrange paradoxe : l’équipe municipale défend aujourd’hui un dossier allant directement à l’encontre de la ville bioclimatique et végétalisée qu’elle prône par ailleurs en permanence de manière radicale sinon fanatique.Pourtant aux antipodes de cette ligne doctrinale visant officiellement à préserver le bien-être et la santé des habitants, Anne Hidalgo entend imposer coûte que coûte la logique financière d’investisseurs internationaux détenant le plus grand portefeuille de centres commerciaux au monde.

A lire aussi, de Josepha Laroche : Faire payer Paris

Devant ce que certains dénoncent déjà comme un possible scandale politico-financier, vient s’ajouter le risque de voir un gratte-ciel disgracieux porter atteinte à l’architecture de la capitale au style si emblématique et harmonieux. En l’occurrence, il est clair que cette entreprise porte en elle la volonté politique d’altérer la singularité de Paris, sa beauté et son histoire multiséculaire. Pire, marquée au sceau du wokisme et de la cancel culture, elle s’apprête à saccager des siècles d’histoire qui ont conféré jusqu’ici à cette capitale une particularité que le monde entier admire et bien souvent nous envie. En fait, sous couvert de modernité et de nouveau paysage urbain du XXIe siècle, ce projet ne représente rien moins qu’un véritable attentat urbanistique. Optant pour un urbanisme mondialisé, standardisé et déraciné, Anne Hidalgo et son équipe plébiscitent « Un gigantisme qui s’étale » pour reprendre le mot du grand historien Lewis Mumford[2]. Mais ce choix directement issu d’une absurde théorie quantitative du développement urbain risque de s’opérer au détriment de toute continuité historique et de toute harmonie architecturale qu’exigent toutefois plus que jamais de vieilles cités comme Paris.

Au printemps 2020, lors de la dernière élection municipale, Anne Hidalgo, candidate à sa réélection, avait catégoriquement et publiquement écarté la perspective de briguer l’Elysée en 2022. Pourtant, peu après avoir remporté un nouveau mandat, elle a été désignée par le PS candidate à l’élection présidentielle le 14 octobre 2021. Mais sa campagne reste en berne, passant au fil des semaines de 5% à 2% d’intentions de vote. Critiquée au sein du Conseil de Paris aussi bien par l’opposition que par les membres de sa propre majorité – notamment les élus EELV – elle est aussi harcelée par nombre de Parisiens mobilisés dans le cadre du mouvement #saccageparis et de la Fédération Union Parisienne pour la sauvegarde de Paris[3]. Devant une situation si calamiteuse, une chose est sûre : le lourd contentieux de la Tour Triangle pourrait bien lui infliger le coup de grâce et s’avérer rédhibitoire pour son avenir politique.

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[1].      En 2004, à l’occasion de l’élaboration de son Plan Local d’Urbanisme (PLU), la ville de Paris a consulté 820 000 ménages parisiens. 120 000 questionnaires sont ensuite revenus complétés à la direction de l’urbanisme. Au terme de ce sondage, il est apparu que les Parisiens refusaient à 64% la construction d’immeubles de grande hauteur, cf. https://metropolitiques.eu/Les-Parisiens-opposes-a-la-grande.html.

[2].      Lewis Mumford, La Cité à travers l’histoire, [1961], Paris, Seuil, 1964, p. 676.

[3].      Cette association de défense des intérêts des Parisiens et de leur cadre de vie dans la ville de #Paris réunit : #SaveParis #saccageparis Association Rouler Libre, Comité Marais Paris, Association VRET, Parisiens en colère! Sauvons notre Paris! Paris Propre. Elle prépare actuellement une action en justice aux fins de mise sous tutelle de la Ville de Paris. Parmi un très grand nombre de griefs majeurs, l’UP ! reproche en effet à l’équipe municipale : un dette abyssale de plus de 7 milliards ; le refus d’Anne Hidalgo de justifier ses frais de représentation ; la- dégradation du patrimoine ; le manque d’entretien et de personnel de la voirie, l’insalubrité et mauvaise gestion du service de propreté, etc.

L’Apocalypse environnementale n’aura pas lieu

Dans un livre récemment traduit en français, Michael Shellenberger, ancien militant vert, rejette le catastrophisme climatique et ses fausses bonnes solutions. Seule l’énergie nucléaire peut répondre à notre énorme demande d’énergie au plan mondial.


Le cataclysmique climatique fait la une des journaux. Il fait vendre. D’autant plus lorsqu’il s’incarne dans une gamine venue de Scandinavie, aux traits de Fifi Brindacier, et qui tance les puissants de ce monde aux cris de « Comment osez-vous ? ». S’en remettre à une enfant, qui reconnaît avoir vaincu sa dépression en s’engageant en politique, pour résoudre des problèmes complexes est le propre des sociétés décadentes dirigées par des leaders immatures… 

Dans cet océan d’irrationnel, l’Américain Michael Shellenberger, ancien militant écologique, encarté à gauche, admirateur de la révolution sandiniste, tente d’apporter une goutte de réconfort. Dans son dernier essai, Apocalypse zéro (L’Artilleur), il appelle chacun au calme : non, la fin du monde climatique et environnementale n’est pas pour demain. Attendez un peu avant de vous suicider.

La Nature a remplacé Dieu

Pour Schellenberger, l’environnementalisme, par sa dimension apocalyptique, est «une sorte de nouvelle religion judéo-chrétienne, qui a pour particularité d’avoir remplacé Dieu par la Nature. » Si dans la tradition judéo-chrétienne, l’homme est fautif par son incapacité à s’adapter au plan divin, dans la religion apocalyptique écologique, la faute réside dans son incapacité à s’adapter à la Nature. Dans cette nouvelle religion, les scientifiques ont remplacé les prêtres de l’ancienne. Cette nouvelle fois est néanmoins paradoxale dans son essence, car « Si l’apocalypse climatique est une sorte de fantasme inconscient pour les êtres qui détestent la civilisation, cela pourrait expliquer pourquoi les gens les plus alarmistes sur les problèmes environnementaux sont aussi les plus opposés aux technologies capables de les résoudre. »

C’est ainsi que les écologistes, qui détestent qu’on manipule Gaïa la Terre, sont opposés au nucléaire (manipulation d’atomes) et les OGM (manipulation des gènes) et préfèrent aux solutions rationnelles les énergies dites renouvelables – éolienne, solaire, biomasse, bio-carburants. Or, selon Michael Schellenberger, celles-ci sont très loin de pouvoir rencontrer les besoins énergétiques actuels et futurs. Notamment parce que centrales solaires et champs éoliens nécessitent jusqu’à 400 fois plus de surface qu’une centrale au gaz ou une centrale nucléaire : « […] si les États-Unis essayaient de produire au moyen d’énergies renouvelables toute l’énergie que le pays consomme, il faudrait leur allouer 25 à 50 % de la surface des États-Unis. À l’inverse, le système énergétique actuel ne nécessite que 0,5 pour cent de la surface des États-Unis. »

A lire aussi: Pour l’écologie politique, l’urgence idéologique l’emporte largement sur l’urgence climatique

Chantre de l’énergie nucléaire, Schellenberger reconnaît que la crainte de l’atome joue un rôle dans sa détestation. Mais ici aussi, les apôtres de l’apocalypse jouent sur les peurs. Lors de la catastrophe de Tchernobyl, saviez-vous que « selon les Nations Unies, 28 pompiers sont morts après avoir éteint l’incendie de Tchernobyl, et 19 intervenants de première urgence sont morts dans les vingt-cinq années suivantes pour « diverses raisons », tuberculose, cirrhose du foie, crises cardiaques et divers traumatismes » ? Étant donné que le cancer de la thyroïde a un taux de mortalité de seulement 1 %, cela signifie que les décès attendus des cancers de la thyroïde causés par Tchernobyl ne seront que de 50 à 160 sur une durée de quatre-vingts ans. Quant à la catastrophe de 1979 à Three Mile Island, aux États-Unis, elle fit… zéro mort. « Le pire accident énergétique de tous les temps fut l’effondrement du barrage hydroélectrique de Banqiao en 1975, en Chine, qui a tué entre 170 000 et 230 000 personnes. »

Les bouteilles en verre pires que les bouteilles en plastique

Autre idée reçue soigneusement entretenue par les médias militants, la pollution des plastiques. Ainsi, présentée comme la pollution majeure des océans, « la pollution plastique à la surface de la mer, toutes catégories de tailles confondues, ne représente en poids global que 0,1 % de la production annuelle mondiale de plastique ». Et leur dissolution dans la mer est plus rapide que prévue.

L’alternative des sacs en papier serait bien pire que le mal, « les sacs en papier devant être réutilisés quarante-trois fois pour avoir un impact moindre sur l’environnement ». Quant aux bouteilles en verre, « leur fabrication et leur recyclage nécessite elle aussi davantage d’énergie : de 170 à 250 % d’énergie supplémentaire et des émissions de carbone de 200 à 400 % plus élevées que les bouteilles en plastique, en raison principalement de l’énergie thermique requise par le processus de fabrication ». En outre, remplacer le plastique fossile par du bioplastique à base de maïs « nécessiterait 12 à 18 millions d’hectares de maïs, ce qui équivaut à 40% de toute la récolte de maïs aux États-Unis ».

Le végétarianisme, une fausse bonne solution

Les militants, parfois violents, d’Extinction Rébellion, devraient lire Apocalypse Zéro. Ils y découvriraient cette estimation de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), ONG fondée en 1948 : « 0,8 % des 112 432 espèces de végétaux, animaux, et insectes figurant dans sa banque de données ont disparu depuis 1500. C’est un taux de moins de deux espèces perdues chaque année, soit un pourcentage d’extinction annuel de 0,001 %. »

Concernant les végans et les adeptes de l’agriculture bio, Apocalypse Zéro leur apprendra « qu’une étude a révélé que la conversion au végétarisme serait susceptible de réduire la consommation d’énergie personnelle totale de seulement 2 % et les émissions totales de gaz à effet de serre de 4 % (…) Le bœuf de pâturage génère 300 à 400 % d’émissions de carbone en plus par kilo que le bœuf industriel ».

Enfin, même la colère des jeunes militants verts serait, selon Shellenberger, illégitime.  « Les jeunes qui découvrent le changement climatique pourraient naturellement croire, en écoutant Lunnon et Thunberg, que cette évolution est le résultat d’actions délibérées et malveillantes. En réalité, c’est le contraire. Les émissions [de gaz à effet de serre] sont un sous-produit de la consommation d’énergie, qui a été nécessaire pour que les gens se sortent de la pauvreté, eux-mêmes, leurs familles et leurs sociétés, et conquièrent un minimum de dignité humaine. »

En Espagne, « l’esprit madrilène » résiste au sanitarisme

Entretien avec Nicolas Klein sur la crise sanitaire en Espagne


Alors qu’elle est l’une des nations les plus vaccinées d’Europe, l’Espagne doit, elle aussi, réagir à l’avancée du variant omicron. Si le nombre de nouveaux cas est considérable, le nombre de morts reste pour le moment faible. La résistance de la Communauté de Madrid face au courant restrictif laisse présager une nouvelle lutte entre pro- et anti-mesures.

Jérôme Blanchet-Gravel : L’Espagne a connu l’un des plus stricts confinements dans le monde, mais c’est aussi en Europe un pays où l’on trouve l’une des résistances les plus fortes face au sanitarisme, surtout dans la capitale. Comment l’expliquez-vous ?

Nicolas Klein : L’Espagne est l’un des pays les plus décentralisés d’Europe, pour ne pas dire au monde, et les communautés autonomes (expression désignant les dix-sept régions qui composent la nation) disposent, en dehors de périodes exceptionnelles, de toutes les compétences sanitaires traditionnellement dévolues aux États centraux.

De mars à juin 2020, dans le cadre de la première vague de coronavirus, c’est le gouvernement national de Pedro Sánchez (Parti socialiste ouvrier espagnol), soutenu par la gauche « radicale » d’Unidas Podemos, qui a organisé le grand confinement dont vous parlez. À partir de juin de cette année-là, en revanche, les communautés autonomes ont récupéré leurs compétences en matière de santé. À ce titre, la Communauté de Madrid (région de la capitale, peuplée d’environ 6,5 millions de personnes) a décidé de restreindre le moins possible l’activité et la vie.

La justice espagnole s’est distinguée au niveau national par son refus des passeports sanitaires puis par leur encadrement plus ou moins strict. Mais c’est surtout la Communauté de Madrid, donc, qui a opté pour la fidélité à sa tradition libérale. La communauté autonome est en effet dirigée sans discontinuer par le Parti populaire (droite classique) depuis 1995. Deux présidentes régionales ont donné aux politiques pratiquées sur place ce trait résolument libéral, à la fois sur le plan économique et social : Esperanza Aguirre (2003-2012) et Isabel Díaz Ayuso (élue en 2019 et triomphalement réélue lors des élections régionales anticipées de mai 2021).

Dans la droite ligne d’Aguirre, Díaz Ayuso estime que les pouvoirs publics n’ont pas à influencer tous les aspects de la vie des citoyens et que c’est à ces derniers de prendre leurs responsabilités. L’actuelle dirigeante de la Communauté de Madrid n’a jamais nié la réalité ou la gravité de la Covid-19. De même, elle a tout fait pour encourager les Madrilènes à se faire vacciner. Néanmoins, elle a toujours refusé de rendre cette vaccination obligatoire, que ce soit directement ou d’une manière détournée.

Par ailleurs, elle a mis en place toute une série de mesures techniques et sanitaires qui, bien que peu contraignantes dans la vie de tous les jours pour les habitants de la région, ont porté leurs fruits : découpage du territoire en zones sanitaires de base permettant de mieux cibler l’épidémie ; contrôle de la présence du virus dans les eaux usées, etc. Isabel Díaz Ayuso et ses conseillers régionaux ne cessent de le répéter : ils ne veulent pas opposer santé et économie ou santé et libertés individuelles. Et ce message fonctionne dans une région où la majorité de la population soutient ledit libéralisme.

La région de Madrid continue sur cette lancée en refusant toute nouvelle restriction à l’approche des festivités du Nouvel An. Faut-il parler d’un véritable exceptionnalisme madrilène ?

Je ne sais pas si le terme « exceptionnalisme », très connoté historiquement, conviendrait. En revanche, en Europe, l’aire urbaine de Madrid est l’une des agglomérations les moins restrictives à l’heure actuelle. À l’hiver 2020-2021, l’on avait vu des images de touristes (notamment français) débarquant dans la capitale espagnole pour profiter des restaurants, bars, musées, théâtres, cinémas, etc. qui n’étaient pas fermés, contrairement à ce qui se passait dans le reste de l’Europe (particulièrement en France). Le phénomène a été monté en épingle par les médias. Néanmoins, il traduisait une réalité que l’on retrouve en cette fin d’année 2021 : Madrid est l’une des rares capitales d’Europe où les restrictions sanitaires sont réduites à leur plus simple expression. Libre ensuite à chacun d’approuver ou pas ce choix – les détracteurs de la politique d’Isabel Díaz Ayuso ne manquent pas.

De manière générale, peut-on dire que les communautés de tendance conservatrice sont plus « permissives » que celles de tendance progressiste dans la gestion du virus ? Quel genre de clivage s’est dessiné en Espagne sur ce thème ?

Il est certain que les communautés autonomes espagnoles dirigées par la gauche ont été particulièrement actives sur le plan des restrictions sanitaires. Les derniers mois ont en revanche montré que l’opposition entre conservateurs et progressistes n’était pas forcément le clivage pertinent. La Galice, où Alberto Núñez Feijóo (Parti populaire) enchaîne les majorités absolues depuis 2009, est plus proche des socialistes que d’Isabel Díaz Ayuso en la matière.

À ma connaissance, outre la Communauté de Madrid, trois régions du centre de l’Espagne (Castille-et-León, Castille-La Manche et Estrémadure) refusent encore tout passeport sanitaire. Faudrait-il y voir une dichotomie entre centre et périphérie (sur le plan purement géographique) ? Peut-être. Je crois qu’en Espagne, la droite madrilène (défendue par un certain nombre comme un modèle pour tout le pays) se distingue particulièrement – en bien ou en mal. Et, au-delà, c’est « l’esprit madrilène » en général qui est intéressant à observer de ce point de vue.

Sur le plan économique, l’Espagne pourrait-elle se permettre d’implanter à nouveau de fortes mesures sanitaires et un confinement ?

Les conséquences des actuelles restrictions en Europe se font déjà durement sentir en Espagne. L’on note ainsi une chute de la fréquentation touristique dans les communautés autonomes qui accueillent habituellement des visiteurs étrangers en hiver, comme les îles Canaries. Par ailleurs, dans d’autres autonomies (je pense à la Communauté valencienne ou à la Catalogne), restaurateurs, hôteliers et commerçants se plaignent de la chute de fréquentation induite par les décisions d’ampleur régionale. Il me semble par conséquent douteux que l’économie nationale puisse encaisser le choc d’un autre confinement national massif…

Marlène Schiappa met la main à la pâte

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Quand une ministre passe à la télé dans une émission de cuisine, est-ce un triomphe pour la démocratie ou pour cette hyperfestivité qui mine notre vie démocratique ?


Les Français reprochent souvent aux ministres de leur gouvernement d’être peu au fait de leurs préoccupations, voire d’être complètement déconnectés de la vie de tous les jours. Certains, parmi les plus gastronomes, les accusent même de confectionner dans les arrière-cuisines des ministères une tambouille politique infernale, des plats législatifs qui passent mal parce que trop lourds ou trop insipides, trop épicés ou trop fades. Marlène Schiappa, bien décidée à casser toutes ces images à la fois, était l’invitée de Cyril Lignac dans son émission culinaire sur M6 ce mercredi 29 décembre. Elle n’a pas hésité, depuis les cuisines du ministère de l’Intérieur, à mettre la main à la pâte.

À l’heure de l’apéritif, mettant sur le compte de récentes agapes familiales une mollesse cérébrale ne m’incitant pas à me lancer dans les œuvres complètes de Heidegger ou de Vialatte, j’ai regardé cette émission dont j’ignorais tout et que seule la publicité faite autour de la présence insolite de Mme Schiappa avait portée à ma connaissance. Juré, promis, c’était la première et la dernière fois.

Festif ? Non – hyperfestif !

Le principe de Tous en cuisine est simple et se veut festif : l’enjoué chef Cyril Lignac prépare tel ou tel plat tout en conseillant des « brigades » réparties sur le territoire et qui tentent de parvenir à l’excellence de leur illustre professeur. Normalement, si j’ai bien compris, une vedette « people » se joint à cette mascarade. Ce mercredi, la vedette en question n’était autre que notre « ministre déléguée chargée de la Citoyenneté », Marlène Schiappa. Certains parlent de confusion des genres. D’autres approuvent cette façon médiatiquement efficace, au milieu des fêtes dites de fin d’année, d’apporter son soutien à différentes associations, en l’occurence celles qui s’occupent des enfants orphelins de policiers, de pompiers et de gendarmes. Il y a plus de quinze ans, Philippe Muray avait déjà décrit cette époque qui s’enfonce, jour après jour, dans la médiocrité : à l’ère de l’hyperfestif, les événements sont remplacés par l’événementiel. L’individu disparaît pour laisser place à cet être infantilisé qui « divague sans pesanteur ». De la politique aux activités domestiques les plus anodines, rien ne doit échapper à la festivisation de toute l’existence. Sur l’écran, une mosaïque de téléspectateurs connectés à l’émission cuculinaire laisse entrevoir des ébahissements débiles, des applaudissements programmés, une connivence festive, désolante et imbécile. Mme Schiappa, consciencieuse, suit à la lettre les directives du chef, un sourire figé sur le visage. Bref, c’est la fête.

En réalité rien n’est moins festif que cette médiatisation hyperfestive : les rires décongelés des participants, la bonne humeur forcée ou graveleuse d’un prénommé Jérôme, les mines joyeusement abruties des participantes de la « brigade » de Pontault-Combault, l’immuable  sourire de notre ministre ajoutent, à la simulation, le simulacre de la fête et celui de la vie. Cette lamentable émission de télé n’est que l’aboutissement de la déréalisation du monde à laquelle ne peut pas échapper ce qu’on a coutume d’appeler la vie politique. Tout finit dans la soupe hyperfestive et le « poisson pourrit par la fête ».

La crèche médiatique

Ce peuple politique qu’était soi-disant le peuple français est devenu, à l’instar de tous les peuples des régimes hyperdémocratiques, un conglomérat d’êtres isolés et perdus qui ne supportent plus les altérités, le négatif, le tragique, et même le comique de la vie réelle. Par écran interposé, ignorant sa propre disparition, il croit que la vie, la vraie vie, la fête, la véritable fête, c’est ce décor illuminé dans lequel se trémoussent des bulles de vide. Cuisinier, participants, ministre et téléspectateurs se renvoient mutuellement l’image de ce monde sinistre dans lequel le moindre rire préfabriqué donne envie de pleurer, et où tout le monde se croit obligé de ressembler aux crétinoïdes de la crèche médiatique.

A lire aussi, de Didier Desrimais : Gillies-William Goldnadel a raison

Après avoir éteint mon poste, pour relever le niveau de cette soirée pitoyable et me refaire une santé, je me suis précipité sur la très fameuse recette du très regretté Desproges, celle du Cheval Melba, que je me permets de rappeler ici : « Prenez un cheval. Pendant qu’il cherche à enfouir son museau dans votre cou pour un câlin, foutez-y un coup de burin dans la gueule. Attention ! Sans le tuer complètement : le cheval c’est comme le homard ou le bébé phoque, faut les cuire vivants, pour le jus, c’est meilleur ! Bon. Réservez les os et les intestins pour les enfants du Tiers-Monde. Débarrasser ensuite la volaille de ses poils, crinière, sabots et de tous les parasites qui y pullulent, poux, puces, jockeys, etc. Réservez les yeux. Mettez-les de coté, vous les donnerez à bébé pour qu’il puisse jouer au tennis sans se blesser, car l’œil du cheval est très doux. Préparez pendant ce temps votre court-bouillon avec sel, poivre, thym, laurier, un oignon, clou de girofle, persil, pas de basilic, une carotte et un mérou qui vous indiquera, en explosant, la fin de la cuisson à feu vif, comme pour la recette du chat grand veneur : quand le chat pète le mérou bout et quand le chat bout le mérou pète. » D’un seul coup, je me suis senti ragaillardi. Je suis sorti pour aller caresser Félix, le poney de mon voisin. J’avoue avoir eu de mauvaises pensées. Mais l’œil du poney, plus expressif que celui de certains de nos ministres, est encore plus doux que celui du cheval. Et puis, un poney pour moi tout seul ça aurait fait trop, et je n’aime pas gaspiller. Je me suis par conséquent rabattu sur un « chat grand veneur ». Je profite de cet article gustatif pour souhaiter à tous les lecteurs de Causeur un excellent repas de réveillon de fin d’année.

Le marché de l’élection présidentielle

Le journal Le Monde du 19 décembre dernier lance un article intitulé : «Le rendez-vous manqué entre économistes et politiques ». Cette non-rencontre est, au fond, assez naturelle.


D’un côté, nous avons des personnes luttant sur un marché politique, un marché où il faut vendre des produits politiques comme d’autres vendent des marchandises classiques : déplacement du statut de citoyen à celui de consommateur. De l’autre côté, celui des économistes, nous avons des personnes aux prises avec la connaissance des effets des produits politiques offerts : mesures salariales, fiscales, règlementaires, financières… Des analyses souvent complexes mobilisant des outils eux-mêmes d’accès difficile pour le non averti.

Il est donc naturel que le marchand de produits politiques, comme tel ou tel marchand, ne se soucie pas des effets complexes des mesures prises. Est-il dans l’intérêt immédiat du commerçant de se soucier des contraintes, voire les inconvénients, de ce qu’il vend pour ses clients ?

Toutefois, la non-rencontre entre candidats et économistes mérite quelques explications approfondies.

Une réalité plus fondamentale

En premier lieu, il est historiquement exact que le pouvoir politique repose sur une question d’appropriation des outils constitutifs de la puissance publique, en particulier la loi. Dans un régime dictatorial, l’appropriation a pour but de consolider les pouvoirs du dictateur. Dans un régime démocratique, les choses sont plus complexes. Il y a bien sûr toujours l’intérêt des dirigeants politiques, mais il y a surtout les intérêts des électeurs, lesquels ne sont pas identiques et se confrontent. De ce point de vue, l’idée d’un intérêt général est toujours problématique : il est un signifiant sans que le signifié puisse être désigné de manière incontestable.

LES CANDIDATS NE PEUVENT PROPOSER SUR LE MARCHÉ POLITIQUE, NI VISION NI SENS, QUESTIONS DEVENUES ÉLOIGNÉES DE CELUI QUI EST EN VOIE DE DEVENIR UN SIMPLE CONSOMMATEUR DE RÈGLES OU DE DROITS INDIVIDUELS.

Les électeurs sont autour de la loi dans des configurations diverses ou opposées : sa transformation désavantage certains citoyens et favorisent d’autres. Par exemple, une mesure de blocage des loyers avantage les locataires et désavantage les propriétaires… au moins dans le court terme. Les candidats à l’élection présidentielle, face à des électeurs – qui sont de plus en plus des consommateurs, et qui à ce titre ne sont plus qu’une clientèle divisible en segments – composent ainsi un paquet de propositions qui relève d’une analyse purement marketing. Avec une conséquence considérable : l’immédiateté marchande ne permet pas de proposer des visions d’avenir pour le pays. Tout au plus, peut-on parler de rétablir une croissance dont le sens n’est pas questionné ou de marcher vers plus d’Europe sans savoir ce que cela peut signifier.  

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En second lieu, les économistes sont d’une certaine façon d’accord avec les candidats à la présidentielle pour ne pas se rencontrer. Naguère, les économistes étaient d’une certaine façon des théoriciens du global : ils tentaient d’expliquer le tout sans se spécialiser sur les parties. On essayait, comme on le fait encore dans les sciences physiques, de marcher vers un principe global d’explication de la réalité. En termes savants, on dit que la science doit-être moniste.  

Certes, la démarche était difficile et comme aujourd’hui encore pour le clivage entre la physique classique et la physique quantique, il fut impossible de dépasser les clivages entre théorie économique classique, keynésienne, libertarienne… Ce que l’on constate est donc un éparpillement des savoirs avec des spécialités au périmètre de plus en plus limité : économie des transports, économie pétrolière, économie de la santé…  Et un éparpillement qui ne peut que s’élargir au fur et à mesure que la crise sanitaire actuelle semble dévisser ce qui restait des grands savoirs : les théories monétaires…à revisiter, les questions de l’emploi… à revisiter, les questions de l’articulation de l’offre globale à la demande globale…à revisiter, etc. Aucun économiste n’ayant aujourd’hui l’envergure d’un Einstein pour refonder un paradigme global, chacun vivote dans sa spécialité.

Les candidats ne peuvent proposer sur le marché politique, ni vision ni sens, questions devenues éloignées de celui qui est en voie de devenir un simple consommateur de règles ou de droits individuels. De ce point de vue, ils sont en plein accord avec les économistes qui, eux non plus, n’ont plus grand-chose à dire sur le fonctionnement et le sens de l’ensemble. À quoi bon se rencontrer pour discuter d’un avenir qui ne surplombe plus le présent ? Il n’y aura donc pas de débat sérieux et approfondi entre économistes éloignés d’une vision globale sur le fonctionnement du monde et candidats fondamentalement éloignés des questions de vision et de sens. Si débat il y a, on sera toujours dans le quasi hors sujet.

L’art de la promesse

Simultanément, les candidats à l’élection présidentielle sont en complet désaccord avec les économistes qui s’intéressent aux conséquences des paquets de propositions politiques. Certes, les économistes d’aujourd’hui vivent dans l’éparpillement mais ils disposent d’outils précis de mesure. Ils sont ainsi bien armés pour contester l’éparpillement des paquets de propositions imaginés par les candidats. Bien armés, ils tentent, pour tout élément du paquet, d’en évaluer les répercussions et savent mieux que quiconque que toute proposition avantage certains acteurs et en désavantagent d’autres, ce que le marchand politique ne peut accepter. Tel est le cas par exemple du paquet « hausse des salaires », paquet proposé par une majorité de candidats car très apprécié. Les économistes savent – certes plus ou moins – en évaluer les conséquences en termes de dérive des prix, en termes de capacités exportatrices plus réduites et importatrices plus dangereuses, en termes de marges plus faibles, en termes d’emploi plus réduit, en termes de charges sociales diminuées, d’État Providence revisité… Ce que les candidats refusent de voir. Un candidat, comme tout bon commerçant, ne peut que mettre en avant les avantages du produit proposé et masquer, autant qu’il se peut, les désavantages associés.

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Au final, économistes et candidats à l’élection présidentielle n’ont certes rien à se dire, mais surtout ces derniers ne peuvent accepter l’irruption d’un savoir sur ce qui n’est qu’un tas mal ficelé de produits politiques agités devant des consommateurs exigeants et égoïstes. Le marché politique n’a plus les moyens de forger un horizon et participe à l’écrasement du futur sur un présent agité.

Hidalgo ou Taubira, peu importe ! Le déclin de la gauche n’est pas une affaire de personnes

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On s’attendrait en vain à ce que tel ou tel candidat à la présidentielle puisse sauver la gauche. L’effondrement actuel de celle-ci est la conséquence d’un processus engagé depuis plus de 40 ans et qui a commencé par l’abandon des classes ouvrières.


Mélenchon, sous la barre des 10%, Hidalgo sous les 5% et les écolos légèrement au-dessus des 5%, les présidentielles de 2022, sans surprise, s’imposent comme une épreuve redoutable pour la gauche française. Son destin semble suivre celui du PCF dans les années 90 : un inexorable déclin en voie d’accélération. Son total électoral pourrait plafonner au-dessous des 25%. La décennie qui vient verra-t-elle la fin des partis de gauche, avec une représentativité résiduelle en termes de voix, et un réseau d’élus locaux qui leur permet de survivre à la périphérie du système politique ? La question est légitime tant leur espace sociologique tend à se réduire.

La gauche comme mode comportemental

La gauche a perdu le contrôle de la question sociale en déconnectant son sort de celui des classes populaires du secondaire et du tertiaire. Son investissement croissant, au cours des dernières décennies, sur les questions sociétales et les problématiques liées à la diversité et aux minorités a eu un effet paradoxal : d’un côté, l’idéologie de gauche a gravé dans le marbre son rôle d’autorité morale du collectif ; de l’autre, en diluant ses messages dans le corps social et en les instaurant comme le surmoi idéologique d’une culture dominante, elle en a fait une vulgate qui anime l’éthos contemporain et qui ne lui appartient plus en propre. Les représentations culturelles véhiculées par ses valeurs et leur modélisation sociale s’incarnent dans des groupes sociaux dont la conscience d’être idéologiquement de gauche n’est plus déterminante. Le bobo des centres villes est une représentation type d’une attitude déterminée par des modes comportementaux et de consommation (nourriture, transports, loisirs ; looks…) qui se réfèrent plus à une forme de conformité sociale qu’à un engagement idéologique clair. Même si un arrière-plan idéologique porte le modèle comportemental, celui-ci peut être ignoré ou tenu à distance par le sujet. Le vocabulaire politique a naturellement enregistré cette évolution, le concept de gauche tendant à s’effacer au bénéfice de celui de « progressiste » qui renvoie à une notion plus large qui touche à la sensibilité et aux mœurs.

Dans le champ politique, cette évolution du corpus idéologique de gauche vers un progressisme sociétal a été fatale aux appareils politiques de la gauche militante. Les dirigeants de gauche n’ont pas vraiment eu le choix. Emportés par les mutations accélérées de la sphère économico-sociale, ils ont compensé leurs défaites face au réel et leurs ralliements à l’ordre marchand mondialisé, par une surenchère dans la subjectivité sociétale, à base d’impératifs moraux. On ne peut dire, pour autant, que la gauche s’est idéologiquement reniée, car la question sociale, celle de l’égalité, n’est pas pour l’essentiel le fond de son engagement. La matrice idéologique de la gauche est beaucoup plus radicale, elle est, dès ses origines révolutionnaires, une proposition de rupture anthropologique sur la création d’un « Homme nouveau », dont le fondement est d’ordre quasi religieux ; ce que rappelait, avec une utile franchise, le livre de Vincent Peillon au titre évocateur, Une Religion pour la République.* Au fond, on pourrait même affirmer que c’est la question sociale qui a déserté la gauche, plutôt que la gauche la question sociale.

La gauche comme bande-son du capitalisme consumériste

La nouvelle phase du capitalisme mondialisé l’a laissé désorientée face à la complexité d’un univers dont elle ne maîtrisait plus la compréhension des rouages de la production de richesse, alors que la modernité capitaliste absorbait à grande vitesse le substrat idéologique progressiste. Le nouveau capitalisme, dont les formes émergent dans la culture de masse des années 60/70, se devait d’être consumériste, individualiste et libertaire. La gauche sociétale lui a fourni le corpus idéologique dont il ne disposait pas naturellement après plus d’un siècle de culture industrielle disciplinaire et hiérarchique, collective et paternaliste. L’idéologie de gauche, en définitive, a servi de bande-son à la mutation accélérée de ce capitalisme consumériste. C’est bien ce que prouve à longueur de journée le martèlement incessant des représentations de la pub, à base de diversités cools, de narcissisme stylisé à l’extrême, de brouillage des genres et de « greenwashing » intense. Au moment où la gauche se meurt politiquement, ses messages idéologiques saturent notre espace social.

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Cette évolution était fatale, seule une formidable mutation intellectuelle aurait pu, peut-être, l’interrompre, et les spéculations de Terra Nova, en 2008, sur la nécessité de privilégier les valeurs culturelles de la diversité à une stratégie de défense de la classe ouvrière, ne sont que le constat tardif d’un échec historique insurmontable. Depuis 40 ans, la gauche, en choisissant, selon sa terminologie, l’ouverture à l’autre et à la diversité plutôt que la défense des « classes laborieuses », comme le disaient les communistes à l’ancienne, a scellé son destin politique. La disparition, dès les années 80, de la culture ouvriériste de gauche a tracé une voie sans retour en arrière possible.

Face à ce mouvement historique de fond qui procède des forces économiques, sociales et géopolitiques qui transforment le monde actuel, les palinodies présidentielles des partis de gauche paraissent bien dérisoires. Leur socle sociologique a fondu, puisque le progressisme sociétal n’appartient plus en propre à la gauche et que la question sociale lui échappe, faute d’avoir admis le besoin de sécurité et d’identité des travailleurs enracinés. Macron en 2017 a logiquement récupéré les classes urbaines progressistes et le vote populaire est depuis longtemps largement perdu pour la gauche. Quant à la surenchère pour séduire le vote issu de l’immigration, elle touche vite ses limites, comme le montre l’effondrement de LFI, face à des populations qui ne retrouvent pas leurs valeurs culturelles dans les discours de la gauche radicale.

Incapable d’analyser la spirale de disparition dans laquelle elle est plongée, la gauche tente de donner une dimension personnelle aux enjeux de l’élection pour ne pas affronter sa faillite politique ; il faudrait alors remplacer le soldat Hidalgo en grande perdition par le soldat Taubira, opportunément revigoré ! La manœuvre est absurde car elle ne ferait qu’exacerber la question identitaire qui mine une gauche plongée dans un processus sans fond de déni du réel, alors que le PS dévitalisé, depuis déjà bien longtemps, ressemblait à un syndicat de retraités du public.

La gauche négatrice de sa propre domination

La gauche vit actuellement un drame psycho-émotionnel qu’elle ne peut saisir. L’être de gauche s’est construit sur un sentiment de supériorité morale, intellectuelle et sociale qui structure son égo dans le jeu des rapports de pouvoir collectifs. Cette supériorité validée par la domination de son discours normatif dans l’espace public le rend peu apte à la remise en question des fondamentaux idéologiques qui portent cette domination. L’indignation, la condamnation et l’interdiction sont ses réponses « naturelles » à ce qui menace sa certitude intellectuelle. Or, en tant que structure psychique, la gauche ne peut maîtriser la dissonance cognitive entre sa domination morale idéologique et sa faiblesse politique. L’être de gauche se vit comme un dominant mais ne se reconnait pas comme tel, dans la mesure où il estime, et impose l’idée, que l’autorité normative qu’il déploie vient de sa supériorité morale tournée vers la défense du faible ; il est donc, par essence, l’anti-dominant. Son architecture complexe de domination repose sur cette construction mentale fondée sur une injonction contradictoire : celle de la négation de son statut de dominant, et l’impératif de la reconnaissance, en même temps, de sa supériorité intellectuelle et morale. C’est à travers cette dialectique dominant/dominé que se déploie sa dynamique du pouvoir. Elle est, globalement, étrangère à sa conscience dans la mesure où, se reconnaître en tant que dominant, viderait automatiquement le discours de dénonciation de sa substance contestatrice et subversive qui le légitime. Le révolté par essence dénonce la violence et l’injustice qui règnent ou qui vont advenir ; et les progrès et les libertés, arrachés par les luttes libératrices, sont toujours menacés par les manœuvres de l’ordre réactionnaire, aujourd’hui, comme hier, vite ramené aux démons fascistes.

L’être de gauche ne peut comprendre et supporter que la domination de ses valeurs normatives dans l’espace public ne s’accompagne pas d’une domination politique équivalente.  La vulnérabilité dont il prend soudain conscience le plonge dans un état de désarroi mental quand il est bousculé dans son rôle « naturel » d’accusateur, de dénonciateur ou de moqueur. De quel droit peut-on déconstruire le déconstructeur ? Malmené par un gamin de 22 ans, vif et impertinent, dans un échange de frappes à la volée, Alexis Corbière, chez Hanouna, perd pied comme un vieux joueur usé, au point que sa compagne, avouant du coup sa défaite, se croit obligée, dans un élan obscène, d’agresser le jeune homme en fin d’émission. Anecdote sordide et dérisoire, mais qui confirme l’inexorable décomposition d’une puissance idéologique et politique, condamnée à ne jamais se comprendre elle-même.

*Une Religion pour la République : La foi laïque de Ferdinand Buisson (Éditions du Seuil, 2010).

L’histoire de France réécrite par L’Obs : un travestissement idéologique

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Un ouvrier de la Ville de Paris nettoie la statue de Jean-Baptiste Colbert, Paris, 23/06/2020 © Thibault Camus

L’Obs a récemment proposé une Nouvelle histoire de France afin de « dépoussiérer le roman national ». Le résultat n’apporte rien à notre compréhension de l’histoire, mais revêt cette dernière des oripeaux wokistes à la mode.


Sous prétexte de « dépoussiérer le roman national », L’Obs (n° 2983-2984) propose Une nouvelle histoire de France. L’histoire de France sent le renfermé, explique en substance François Reynaert, coordonnateur de ce travail ; celle du « roman national » est à jeter à la benne. Elle permit pourtant à quelques générations d’élèves de retenir la chronologie et les grands noms et événements de l’histoire de France avant de se livrer à des recherches plus précises, universitaires par exemple, mettant en perspective et discutant les différentes approches historiographiques. Le journaliste est heureux que ce récit-là ne soit plus guère enseigné. L’Éducation nationale n’ayant pas attendu François Reynaert pour appliquer ses préceptes, des étudiants confondent aujourd’hui Napoléon Ier et Napoléon III, croient que 1515 est une marque de bière concurrente de la 1664, se demandent où s’est déroulée la bataille de Marignan, ignorent à quel événement se réfère notre 14 juillet national. Pourtant, le journaliste désespère de voir que « les suppléments en papier glacé de Valeurs Actuelles ou du Fig Mag » fassent encore référence à cette histoire « identitaire » portée au pinacle par « le néo-maurassien Éric Zemmour ». Sa Nouvelle histoire de France se veut, elle, « ouverte, inclusive et inventive ».

Patrick Boucheron avait ouvert la voie avec L’Histoire mondiale de la France de 2017, ouvrage collectif censé « mobiliser une conception pluraliste de l’histoire contre l’étrécissement identitaire » afin de « neutraliser la question des origines ». Nous avions rapidement compris que cette histoire serait plus mondiale (donc multiculturaliste, sansfrontiériste, diverse, métissée, etc.) que française (car étriquée, réactionnaire, identitaire, etc.). Nous apprîmes à cette occasion qu’en 34 000 avant J.-C. la grotte Chauvet avait accueilli un Homo sapiens dont le chemin allait consacrer « la profondeur indicible de ses origines et le métissage irréductible de ses identités ». Nous découvrîmes également que Descartes, avant d’être « une sorte de génie français », avait été un « philosophe itinérant » (les auteurs n’avaient quand même pas osé le mot « migrant » qui a dû les démanger – nous verrons que Reynaert n’a pas de ces pudeurs-là), pour avoir traversé le Danemark et l’Italie avant de s’installer à Amsterdam.

Quand l’histoire devient grotesque

Sur les 30 événements retenus dans L’Obs, j’en soulignerai deux qui montreront assez la manière de faire des dépoussiéreurs de l’histoire de France.

Il fallait frapper plus fort que Boucheron et sa grotte Chauvet, le titre du premier article de cette Nouvelle histoire de France y va par conséquent franco : « – 45 000, nos ancêtres les migrants ». Aucun mot n’est choisi au hasard, ça marteau-pilonne : « Non seulement les Européens descendent de migrants, mais nous sommes tous des métis, car Sapiens n’a cessé de bouger en tous sens… » On aura compris qu’il ne s’agit nullement ici de faire œuvre historique (tout ce qui relève strictement de l’histoire dans ces articles n’est souvent qu’une redite de faits connus) mais de revêtir l’histoire des oripeaux immigrationnistes, créolisationnistes, racialistes ou indigénistes à la mode. Ainsi sommes-nous sommés de ne pas oublier que les « premiers Européens » d’il y a environ dix mille ans avaient « les yeux bleus et la peau noire ! », et que notre pays faisant appel à une main-d’œuvre belge, suisse, savoyarde ou piémontaise dès le XIXe siècle, « notre population est plus multiculturelle que celle de nos voisins. » CQFD.

L’article consacré au philosophe arabe, Averroès, se contente de coller à l’historiographie traditionnelle sur la prétendument paradisiaque Al-Andalus (les territoires espagnols et du sud de la France sous domination arabo-musulmane de 791 à 1492) et la supposée redécouverte de textes philosophiques grecs par la traduction de manuscrits arabes, en particulier par Averroès, présenté ici comme l’unique rouage de transmission des écrits d’Aristote en Europe. Rappelons d’abord qu’Al Andalus a été une conquête militaire suivie d’une soumission à l’islam de toute la population (soit conversion, soit dhimmitude) que seule une historiographie anti-chrétienne (entretenue par des Occidentaux comme par des associations internationales comme la Ligue Arabe) a transformée en une convivensia merveilleuse, tolérante et pacifique. Précisons ensuite que le beau mythe d’un Occident chrétien devant au monde islamique la sauvegarde et la transmission d’une grande partie des textes philosophiques grecs a été depuis trente ans largement réévalué. S’il est avéré que la médecine arabe a longtemps été supérieure à celle de l’Europe, il est maintenant prouvé que la transmission des textes grecs a été réalisée pour la plus grande part par d’autres voies que celle de l’Espagne musulmane (1). De plus, François Reynaert, tout à son dithyrambe sur Averroès, oublie de rappeler que ce même très tolérant philosophe fut un juge éminent et redoutable de la charia à Cordoue, n’hésitant ni à faire décapiter les récalcitrants, ni à débattre sur la meilleure façon de lapider les femmes adultères. Ajoutons qu’à la question de savoir pour quelles raisons le monde arabe islamisé déclina, pour ce qui relève des sciences et des savoirs classiques, à partir des XIVe et XVe siècles, la réponse est en partie apportée dans le rapport des Nations Unies établi sous la direction du sociologue égyptien Nader Fergany. Là où le Coran passe, la traduction des écrits savants trépasse : au cours des douze derniers siècles le nombre de livres traduits dans les 22 pays que compte la Ligue Arabe correspond à celui que la seule Espagne traduit de nos jours en une année (2). François Reynaert retient, lui, que le mot algèbre vient de l’arabe al-jabr,et cela lui semble être une preuve indépassable de l’héritage inestimable que nous devrions à la civilisation arabe.

Repentance et multiculturalisme à tous les étages

Dans cette opération de toilettage historique, 1519 se substitue à 1515 : François Ier aurait pu être l’empereur du Saint Empire romain germanique et « créer une sorte de “Françallemagne” qui eût changé le cours de l’histoire ». 1337 et le début de la guerre de Cent Ans sont remplacés par 1346 et la naissance du premier Code forestier, « prémices du développement durable ». Oubliez Voltaire et Rousseau, remplacés au pied levé par Madame du Châtelet, mathématicienne dont la place dans nos livres d’histoire est légitime mais dont la présence ici ressortit plus à l’acte militant. N’allez surtout pas penser que cette Nouvelle histoire de France relève d’une idéologie quelconque. Il ne s’agit que d’enrichir notre histoire en la modernisant, selon Reynaert. D’ailleurs, rappelle-t-il, les récents travaux historiques ont permis d’éclairer d’un jour nouveau notre perception de l’esclavage, « crime longtemps minimisé », et d’aboutir à… la loi Taubira – laquelle loi, omet de dire Reynaert, ne « criminalise » que la traite transatlantique et passe sous silence les traites intra-africaines et arabo-musulmanes, pourtant plus longues et plus meurtrières. Enfin, parmi les dates les plus fameuses de la période révolutionnaire, une a particulièrement retenu l’attention de François Reynaert : « le 6 octobre 1791, le code est adopté […] un pas historique vient d’être franchi. » Ce code consacre entre autres « l’abolition du crime de sodomie » et reconnaît qu’il ne peut pas y avoir de crime (sexuel) s’il n’y a pas de victime. « On est sur le chemin de notre morale sexuelle, fondée sur le consentement », souligne hardiment Reynaert, heureux de cocher la case « consentement » en attendant de trouver les événements historiques qui lui permettront de cocher celles de « masculinité toxique » ou « d’hétérocentrisme ».

A lire aussi, de Didier Desrimais : Marlène Schiappa met la main à la pâte

Nos enfants sont de plus en plus nuls en français et en mathématiques. Leurs connaissances littéraires sont rabougries. Celles des arts frôlent le zéro. La même pente déclinante se dessine pour l’Histoire de leur pays. Les conceptions idéologiques de Patrick Boucheron, de François Reynaert (au cursus impeccable : journaliste à France Inter, puis à Libération et à L’Obs), de Pascal Blanchard (spécialiste du décolonialisme à la sauce racialo-indigéniste), dominent actuellement l’historiographie française. Le cahier des charges (ou à charge, au choix) d’une histoire de France « dépoussiérée » est maintenant assez clair : repentance à tous les étages, mise en relief de dates et d’événements singuliers (relevant plus du travail universitaire que du « récit national ») lorsque ceux-ci peuvent servir le militantisme multiculturaliste, mondialiste, féministe, européiste, racialiste, etc., ou éreinter la France, anachronismes admis pour les mêmes raisons. Ces histoires de France (mondiale, nouvelle, inclusive, etc.) déconstruisent la France. Elles ne se contentent pas de la dépoussiérer, elles lui demandent de débarrasser le plancher.

(1) Livres à consulter : le plus accessible, Dario Fernandez-Morera, Chrétiens, juifs et musulmans dans Al Andalus (Éditions Jean-Cyrille Godefroy, 2018) ; le plus complet, Serafin Fanjul, Al-Andalus, l’invention d’un mythe (Éditions de L’Artilleur, 2017) ; le plus introuvable, Sylvain Gougenheim, Aristote au mont Saint-Michel (Éditions du Seuil, 2008), ouvrage qui valut à son auteur une tribune meurtrière d’un certain milieu universitaire l’accusant de « racisme culturel » (sic).

(2) Jean Birnbaum cite ce rapport, Human development and the acquisition of advanced knowledge in Arab countries, dans La religion des faibles (Éditions du Seuil, 2018), p. 249.

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Covid : tout ça pour ça ?

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Jean CASTEX et Olivier VERAN, Fin du Conseil des Ministres du 27 Decembre 2021, Palais de l'Elysee. NICOLAS MESSYASZ/SIPA 01054287_000008

Les dernières mesures — la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal, les vexations qui s’accumulent, les restaurateurs priés de jouer aux flics — ne parviennent pas à convaincre notre chroniqueur. Il en arrive même à faire du mauvais esprit.


Le variant Omicron, c’est encore la Bourse qui en parle le mieux :

« Le brusque coup de mou à la découverte du variant Omicron (-4,75% le 26 novembre dernier, plus forte chute journalière de 2021) a rapidement été effacé, le CAC 40 ayant reconquis dès le 22 décembre le seuil des 7.000 points, soit trois semaines après son creux à 6.655 points (le 30 novembre). Rasséréné par la désormais probable moindre dangerosité de cette nouvelle souche de Covid-19, le baromètre de la cote tricolore ne s’est pas arrêté en si bon chemin. À moins de 20 points de son plus haut historique en clôture ce lundi (+0,76%), l’indice phare a conservé son biais haussier ce mardi, et inscrit un nouveau sommet en clôture, à 7.181,11 points (+0,57%), le premier depuis le 17 novembre dernier », selon BFM-Bourse.

C’est cela, la réalité de l’épidémie : un variant très pathogène mais très peu dangereux, qui se répand à la vitesse d’un mauvais rhume (50% des 140 000 nouveaux cas du 28 décembre n’ont ressenti aucun symptôme), qui n’empêche absolument pas les entreprises de tourner et les gens de vivre, mais au nom duquel on impose des contraintes de plus en plus folles. Ne pas manger ni boire dans les trains ! Quel épidémiologiste fou a convaincu Castex de décréter une telle mesure ? Le service du nettoiement de la SNCF ?

Je ne suis pas infectiologue (ni sélectionneur de foot), contrairement à 67 millions de mes compatriotes. Ce qui suit est donc un avis personnel.

Nous devrions profiter de la très faible dangerosité d’Omicron pour attraper en foule le Covid. On va y arriver de toute façon, puisque les vaccins tant vantés ne nous épargnent pas de tomber malades et d’être contagieux. C’est le moment ou jamais de parvenir à la fameuse immunité de groupe : plus nous aurons été exposés au virus, et mieux nous résisterons.


D’autant que la politique du tout-vaccin a un résultat évident : elle incite le virus à muter. Comme la grippe. Si le prochain variant choisit d’être plus létal (ce n’est pas son intérêt, notez-bien : il est fort rare qu’un virus choisisse de tuer son hôte), ne survivront que ceux qui auront en eux de vrais anticorps — et pas un vaccin dont l’effet, apparemment, faiblit au bout de six semaines…

Mon raisonnement vient d’être adopté par le gouvernement israélien, qui a suspendu l’injection de la quatrième dose, et semble jouer désormais la carte de l’immunité collective. En l’absence d’un vaccin digne de ce nom, un vaccin qui vous empêche d’être malade et donc de transmettre la maladie, un vaccin qui ne soit pas une simple usine à cash – eh bien, le meilleur moyen de résister au Covid, c’est d’y céder.

Oui, mais cela expose les plus faibles, etc.

Les plus faibles meurent depuis le début de l’épidémie. L’âge moyen des décédés est de 82 ans — et encore s’agit-il d’octogénaires atteints, comme on dit joliment, de « co-morbidités » : en clair, ils étaient déjà sur la mauvaise pente. Trop gros, trop cardiaques. Si le gouvernement était réellement cynique, au lieu de préparer une nouvelle réforme des retraites, il se frotterait les mains : tous ces décès, ce sont autant de pensions que l’on n’aura plus à payer. Je rappelle aux plus stupéfaits que c’est le raisonnement qui, lors du vote de la loi Evin, a convaincu les autorités de l’époque de ne pas interdire le tabac, qui est autrement mortel que le Covid : l’âge moyen des décès pour cause de tabagisme aigu s’établit autour de la soixantaine — un profit inestimable si l’on ajoute les retraites impayées aux profits directs de la vente de tabac.

Ah, la France vieillit ? Après épuration des plus âgés, la balance des âges se rétablira quelque peu. Les jeunes ont l’outrecuidance de passer comme des fleurs au milieu de l’épidémie — moyennant quoi on veut les vacciner contre une maladie qui ne leur fait rien : à part Pfizer, qui gagne à un pareil raisonnement ? Demain ils seront plus nombreux que les vieux — et paieront les retraites des survivants.

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« Mais savez-vous, l’objecte-t-on, ce que coûte une journée en réanimation ? » « Mais savez-vous, ma bonne dame, ce que coûte à l’Etat l’achat de 67 millions de doses de vaccins multipliés par trois — et bientôt par quatre ? » Le budget de la nation s’enfonce à combattre un virus qui n’est pas plus létal que tous ceux qui l’ont précédé, et auxquels nous avons laissé la bride sur le cou. Et comme la Bourse seule dit la vérité, l’action Pfizer flirte avec les sommets.

Ce que signifie la politique aberrante de ces deux dernières années, c’est que le principe de précaution qui faisait déjà des ravages atteint ces temps-ci des sommets. Pour éviter d’être traînés en justice, pour épargner la vie d’une dizaine de gens déjà atteints de pathologies mortelles par lot de 100 000 personnes, le gouvernement déploie des ressources infinies, nous impose des contraintes vexatoires, il détruit les familles (si, si, il y a des gens qui obligent leurs proches, lors des repas conviviaux, à produire un test négatif), il culpabilise les jeunes, accusés de tuer leurs grands-parents, et il rend la vie impossible aux non-vaccinés, selon la jolie formule de Véran.

Ma vieille tante a 83 ans, et une vie passée à travailler dans les hôpitaux : c’est dire si elle connaît à fond, comme elle dit, le narcissisme et la volonté de puissance des médicastres. Elle est fragile et portée à toutes sortes d’allergies, elle ne s’est pas fait vacciner et ne le fera pas. Elle s’enferme chez elle, elle résiste à l’énorme pression médiatique, se fait discrète et descend faire deux courses en catimini chez les petits commerçants de son quartier, convaincue que la force publique viendra incessamment l’arrêter pour l’obliger à se vacciner. Le pire, c’est qu’elle a sans doute raison par anticipation : d’ici peu les gens dénonceront les non-vaccinés, avec une bonne conscience en béton armé. Comme elle me dit : « Mourir, de toute façon, il faudra bien… » Mais pourquoi anticiper en se faisant injecter une potion qu’elle pressent mortelle ?

Bien sûr, c’est irrationnel. Mais elle est arrivée à un âge où je respecte ses lubies. Et je dénie à qui que ce soit le droit de venir de force lui injecter dieu sait quelle saloperie dont les effets, si l’on veut parler du principe de précaution, sont loin d’être bénins.

Alors, je pose la question : un gouvernement qui désespère les vieilles dames est-il un bon gouvernement ?

Je suis vacciné, et je ferai une troisième injection, parce que j’y suis contraint, que je dois me déplacer, et que je veux continuer à aller au cinéma, pour donner sur Causeur des chroniques mémorables… Mais je ne force personne à le faire. Un tel vaccin doit être un choix.

Par ailleurs, je sais que 80 000 lits ont été supprimés en dix ans — y compris dans les deux dernières années — et que les infirmiers sont si mal payés qu’ils partent en masse vers le secteur libéral. Je sais aussi que le Covid est un merveilleux écran de fumée qui empêche de dire qu’il y a toujours 5 millions de chômeurs, et que trop de gens touchent moins de 1000 euros par mois : dis-moi, Castex, tu vivrais avec moins de 1000 euros par mois ?

Quant aux syndicats enseignants qui demandent encore « des moyens » pour installer des détecteurs de CO2 dans les classes, et voudraient reculer la rentrée (moins ! Toujours moins !), je préfère ne rien en dire. Les élèves français ont été rendus inscolarisables par deux ans de mesures erratiques. Dans six mois ils seront définitivement perdus. « Oui, mais notre sécurité aura été assurée ! » clament les syndicats. Faut-il leur répéter qu’aucun enseignant, pour le moment, n’est mort du Covid ? Et que seule une poignée d’élèves, atteints de pathologies graves, y ont cédé ?

P.S. Ce sera le dernier billet de l’année. Nous nous souhaiterons une bonne année 2022 (sentez-vous l’ironie de ma phrase ?) quand il sera temps.

« Gens de Dublin » : le testament de John Huston

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Tony, John et Angelica Huston sur le tournage de "The Dead" en 1989 RONALDGRANT/MARY EVANS/SIPA 51417452_000001

Le dernier film du maître américain, visible sur Arte, est une oeuvre majeure.


« Son âme se pâmait lentement tandis qu’il entendait la neige tomber, évanescente, à travers tout l’univers, et, telle la descente de leur fin dernière, évanescente, tomber sur tous les vivants et les morts. » James Joyce, « Les Morts ».

Gens de Dublin de John Huston est adapté d’une longue nouvelle, « The Dead », de l’immense écrivain Irlandais, James Joyce, et publié en 1914 dans le recueil, Gens de Dublin. C’est le dernier film de John Huston, tourné en 1987 quelques mois avant de mourir d’une pneumonie consécutive à son emphysème le 28 août 1987.

L’homme qui aimait la littérature

John Huston, grand cinéaste souvent mal compris et parfois considéré comme surfait, est pourtant l’un des plus grands metteurs en scène américains, auteur entre 1941 et 1987 de quarante deux longs-métrages. Il a adapté avec beaucoup de talent et de modestie plusieurs chefs-d’œuvres de la littérature de langue anglaise : Moby Dick de Herman Melville, L’Homme qui voulut être roi de Rudyard Kipling, Le Faucon Maltais de Dashiell Hammett, La Nuit de l’iguane de Tennessee Williams, Reflets dans un œil d’or de Carson McCullers, Le Malin de Flannery O’Connor, Au-dessous du volcan de Malcom Lowry,  La Bible et Gens de Dublin… ainsi que la traduction anglaise d’un chef-d’œuvre de la littérature française, Les Racines du ciel de Romain Gary.

En portant à l’écran avec une grande fidélité cette nouvelle de James Joyce, John Huston nous conte une histoire minimaliste dont l’action se déroule sur une seule soirée. Une œuvre dépouillée mais intense, servie par la force de la mise en scène sobre et poignante du cinéaste, condensée en trois actes et en huis-clos : la soirée et le dîner dans la maison des demoiselles Morkan, un trajet dans un fiacre et une discussion entre Gretta et Gabriel Conroy (interprétés par Angelica Huston et Donal McCann), le couple principal du film, dans leur chambre d’hôtel à Dublin. Dehors le sol est recouvert d’un épais manteau blanc, la neige tombe et il fait froid. Les demoiselles reçoivent leur cercle d’amis : leur neveu Gabriel Conroy et son épouse Gretta, trois élèves de Mary Jane, le chanteur ténor Bartell D’Arcy, la vieille Mrs Malins et son fils Freddy, alcoolisé comme bien souvent.

A lire aussi, de Jacques Déniel : « West Side Story » revisité par Spielberg

La soirée s’écoule dans la douceur et la sérénité, tous dansent, dégustent l’excellente oie rôtie et le traditionnel pudding, certains jouent du piano, d’autres récitent des poèmes en langue gaélique. Les convives parlent de théâtre, de politique, de l’avenir de l’Irlande et évoquent les chers disparus de l’année, célèbres ou inconnus. Les passions semblent retenues, feutrées et vont affleurer au moment où les invités commencent à partir.

Blessures secrètes

Soudainement, alors qu’elle commence à descendre l’escalier menant à la sortie, Gretta entend le ténor Bartell d’Arcy (Frank Patterson) chanter la ballade, « La Fille d’Aughrim ». Elle se fige, envahie par une immense mélancolie. Le chemin du retour vers l’hôtel avec son époux Gabriel et leur discussion dans la chambre d’hôtel nous révèle une blessure d’amour secrète. Le film comme la nouvelle sont une épiphanie de la condition humaine. Marqué par le déroulement de la soirée, la musique, les chants, les poèmes lus, les propos échangés et surtout très troublé par la récit du premier amour de jeunesse que lui révèle son épouse Gretta, Gabriel Conroy acquiert une conscience soudaine et lumineuse de la nature profonde de l’âme humaine, de l’indicible passage des êtres humains sur la terre.

Se souvenir des vivants et des morts

Hommage vibrant aux vivants et aux morts qui peuplent cette terre, The Dead (Gens de Dublin) est le chef-d’œuvre testamentaire de John Huston, un film modeste, subtil et d’une folle élégance. Servi par une pléiade de comédiens talentueux et justes, par la lumière chaude du chef-opérateur Fred Murphy, la musique mélancolique d’Alex North et la beauté du chant du ténor irlandais de renommée internationale, Frank Patterson, ce film est assurément un sommet de l’art cinématographique mondial.

[Elephant Films] Edition française officielle - Les Gens de Dublin - DVD

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Gens de Dublin un film de John Huston,
États-Unis – 1987 – 1h23 – V.O.S.T.F.
Interprétation: Anjelica Huston, Donal Mc Cann, Dan O’Herlihy, Helenan Caroll, Cathleen Delany, Ingrid Craigie, Frank Patterson Marie, Kean, Sean McClory….
Sur sur Arte.TV ou en DVD aux Éditions Elephant Films

« Super Moustache », le dessin animé dont Macron devrait s’inspirer

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Nicolas Maduro lors d'une conférence de presse, 16/8/2021 RAYNER PENA R/EFE/SIPA 01033854_000002

Au Vénézuela, le président, Nicolás Maduro, a utilisé un héros de dessin animé pour redorer son blason politique. A l’approche de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron ne devrait-il pas faire de même ? Ce serait au moins plus amusant que ses opérations de comm’ habituelles.


Il y a quelques années, on nous annonçait la chute imminente de Nicolás Maduro. Aujourd’hui, le président du Venezuela est toujours là. Déjà neuf ans qu’il tient les rênes du pays, Maduro. Et à l’approche de Noël, il a régalé les Vénézuéliens de cadeaux. Il a offert du spectacle à leurs enfants. Début décembre, un homme joufflu à moustache, semblant découler d’un croisement entre Superman, Super Mario et Nicolás Maduro, a fait son apparition sur la chaîne publique VTV pour un premier épisode.

Dans un bureau de la Maison Blanche, un mauvais bonhomme aux cheveux jaunes se réjouit de plonger dans l’obscurité tout un pays. Puis il envoie un avion couper l’électricité du Venezuela. C’était sans compter sur SúperBigote (Super Moustache en français), le héros musclé à la main de fer. Sur un air de salsa endiablée, SúperBigote s’envole pour réduire le maudit avion en fumée. « Indestructible » SúperBigote, rappelle une voix off en chantant. En 2019, une gigantesque panne d’électricité avait en effet paralysé le pays. Le régime chaviste avait alors évoqué un complot ourdi par Donald Trump et ses alliés. D’autres épisodes ont suivi. Dans celui du 24 décembre, Super Moustache, en diffusant ses pouvoirs avec sa chevalière dorée, empêche son pays de sombrer dans une guerre civile voulue par les Yankees.

Chacun en jugera par soi-même mais Super Moustache, c’est quand même autre chose qu’Emmanuel Macron racontant des anecdotes à l’Élysée devant les YouTubeurs Mac Fly et Carlito. Plutôt que les trente-six minutes de ce spectacle imbuvable, ne vaut-il pas mieux regarder une minute et demie de Super Moustache ?  Peu importe la qualité du dessin, les nations ont besoin de héros pour s’unir et cela, Maduro l’a bien compris. En forçant un peu, on pourrait même voir dans Super Moustache une œuvre épique.

Réhabilitons la moustache

Sur le modèle de cette série, il y aurait de quoi faire en France aussi. Super Macron contre le coronavirus, Super Macron contre les Gilets Jaunes, Super Macron contre Erdogan, contre Bolsonaro, Zemmour ou que sais-je, les épisodes ne manqueraient pas. Reste la question de la moustache. Pas sûr que Macron gagne en popularité en se la laissant pousser. Et pour cause, quand on associe moustache et hommes politiques, on pense immédiatement à d’infréquentables personnages : Bachar al-Assad, Sadam Hussein, Augusto Pinochet, Nicolas Maduro aujourd’hui et bien d’autres. Sans même parler de Joseph Staline ou du Fürher.

A lire aussi, d’Alexis Brunet : Ces Français qui sont détenus à l’étranger

C’est une vue bien courte. Car De Gaulle portait la moustache, Léon Blum portait la moustache, Georges Clemenceau portait la moustache et jusqu’en 1941, Jean Moulin aussi. Sans oublier Albert Einstein, Marcel Proust, Stefan Zweig ou Charlot. Cette liste est non exhaustive, vous pouvez la rallonger (toutefois, en raison de sa moustache qui pointe vers le ciel, Salvador Dali serait mieux classé hors catégorie). D’ici le 10 avril 2022, le président Macron va-t-il s’inspirer de Super Moustache ou infliger à nos enfants un autre épisode en compagnie de Mac Fly et Carlito ? En attendant de le savoir, Messieurs, à vos ciseaux !

Tour Triangle : encore un saccage urbanistique à combattre à Paris

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Présentation du projet de la Tour Triangle au Pavillon de l'Arsenal, 2014 M.ASTAR/SIPA

Le projet très contesté de la Tour Triangle, consistant à construire un édifice de 180 mètres de hauteur à la porte de Versailles, représente une tentative de plus pour détruire l’harmonie architecturale de Paris. Qui soutient ce projet ? Anne Hidalgo…


Il est prévu qu’une Tour Triangle soit édifiée Porte de Versailles dans le XVe arrondissement de Paris et se déploie sur une superficie totale d’environ 80 000 mètres carrés. D’aspect pyramidal, elle devrait atteindre 180 mètres de hauteur et être dotée de 42 étages comprenant bureaux, commerces, restaurants et salles de conférences. Cette construction urbaine de vaste ampleur a été décidée en 2008 par l’ancien maire de Paris, le socialiste Bertrand Delanoë, malgré 64% de Parisiens s’y déclarant opposés[1]. Il s’agissait alors d’un accord conclu entre la Ville et Unibail-Rodamco, un groupe financier d’envergure internationale, spécialisé dans l’immobilier commercial, la promotion et l’investissement dans de grands centres commerciaux. Mais le Conseil de Paris (rejet du 17 novembre 2014), les élus de l’arrondissement, plusieurs politiques ainsi que des associations (comme Monts 14 ou Tam‑Tam) et de simples riverains s’opposèrent à ce qui promettait d’être l’édification la plus importante depuis celle de la Tour Montparnasse en 1972. L’abandon de ce projet constitua même l’un des principaux thèmes de la campagne municipale de 2014.

Devenue maire de la capitale, l’ancienne première adjointe en charge de l’urbanisme, Anne Hidalgo, s’est toujours montrée farouchement partisane de la réalisation de ce gratte-ciel. Le principe de cette dernière a été finalement approuvé par le Conseil de Paris le 30 juin 2015 et le permis de construire obtenu en mai 2017. Madame le maire a présenté alors une nouvelle version du plan initial avec hôtel de luxe, restaurant, espace culturel et de coworking, le tout associé à une large zone commerciale. Dans le même temps, passant outre la volonté des administrés, le Conseil de Paris a multiplié l’adoption de textes autorisant un déplafonnement qui permettrait d’édifier des tours sur six sites parisiens.

L’inauguration de la Tour Triangle devait avoir lieu en 2017, mais de multiples recours ont été déposés par des associations et des conseillers municipaux auprès du tribunal administratif de Paris afin d’en bloquer l’accomplissement. Finalement, ce projet architectural aboutira-t-il en 2024 comme le prétendent aujourd’hui les édiles parisiens ? Rien n’est moins sûr : voyons donc pourquoi.

Les plaintes déposées auprès du PNF

Rappelons que le 9 octobre 2020 une première plainte avait été déposée auprès du PNF (Parquet national Financier) par Anticor. Puis, à la suite du rapport très critique de la Chambre régionale des comptes publié la même année, Rachida Dati avait à son tour saisi cette institution judiciaire au nom de son groupe Changer Paris. Selon l’ancienne ministre de la justice, la Ville aurait accordé au groupe Unibail-Rodamco-Westfield un avantage financier exorbitant à l’occasion du renouvellement de sa concession d’exploitation sur le parc des expositions de Versailles.

A lire aussi, de Josepha Laroche : L’agenda politique caché derrière la zadisation de Paris

Enfin, le 13 décembre 2021, aux côtés des associations, SOS Paris, ADHAPE, FNE IDF et de la conseillère de Paris Danielle Simonnet (LFI), l’association France Nature Environnement vient de déposer une nouvelle plainte auprès du PNF contre madame le maire de Paris, Anne Hidalgo, et la SCI Tour Triangle. Se fondant sur l’article 432-14 du Code Pénal, les plaignants dénoncent à cet égard un délit de favoritisme dans l’attribution du marché public d’exploitation, plus précisément un « délit d’octroi d’avantage injustifié » concernant la Tour Triangle. Ils font valoir que ce projet serait entaché d’illégalités parce qu’il existerait notamment un détournement de la commande publique et un défaut de mise en concurrence fondé sur une violation du code des marchés publics. Or, si la juridiction fait droit à leur requête et juge que le projet est effectivement entaché d’illégalité, les travaux seront suspendus, voire définitivement interdits. Mais en attendant ses conclusions et alors que des opérations préparatoires et exploratoires de déblaiements sont déjà à l’oeuvre, Ies requérants demandent un moratoire sur les travaux principaux qui devraient théoriquement débuter courant janvier 2022. Finalement, au vu du dossier, le PNF a jugé la requête recevable et a ouvert une enquête.

Le spectre des Jeux Olympiques

L’espoir des opposants repose aussi sur le fait que cette construction doit pouvoir répondre aux conditions du décret d’application de la Loi Olympique 2018. En effet, ce texte stipule que tout chantier aux abords des installations des Jeux Olympiques 2024 ne peut être lancé que si son achèvement peut intervenir avant le lancement des JO 2024. Or, comme les travaux devraient durer au minimum 36 à 37 mois et que la situation sanitaire a par ailleurs induit nombre de difficultés supplémentaires, il semble impossible que l’ensemble du chantier puisse être achevé dans le respect de ce cadre juridique. Enfin, la pandémie a produit des effets négatifs sur la situation du promoteur Unibail-Rodamco-Westfield, au point que ses actions en bourse ont brutalement chuté de 74% début 2020. Certes, le groupe a débloqué 9 milliards d’euros en novembre dernier pour renforcer son bilan et réduire son endettement. Mais en cette période d’incertitude et de labilité mondiales, la solidité financière du groupe n’est pas pour autant pleinement garantie.

Logique financière versus intérêt général

Certes, il est bien question de la construction d’un immeuble privé sur un terrain privé. Mais cela ne signifie pas que tout soit pour autant permis car ce projet met directement en jeu – sinon en péril – l’intérêt général et le patrimoine urbain qui a valeur de bien commun. En effet, comment justifier l’érection d’une tour de verre et d’acier, hautement énergivore destinée à fournir des milliers de mètres carrés de bureaux dans une zone qui en est déjà saturée ? Soulignons à cet égard un étrange paradoxe : l’équipe municipale défend aujourd’hui un dossier allant directement à l’encontre de la ville bioclimatique et végétalisée qu’elle prône par ailleurs en permanence de manière radicale sinon fanatique.Pourtant aux antipodes de cette ligne doctrinale visant officiellement à préserver le bien-être et la santé des habitants, Anne Hidalgo entend imposer coûte que coûte la logique financière d’investisseurs internationaux détenant le plus grand portefeuille de centres commerciaux au monde.

A lire aussi, de Josepha Laroche : Faire payer Paris

Devant ce que certains dénoncent déjà comme un possible scandale politico-financier, vient s’ajouter le risque de voir un gratte-ciel disgracieux porter atteinte à l’architecture de la capitale au style si emblématique et harmonieux. En l’occurrence, il est clair que cette entreprise porte en elle la volonté politique d’altérer la singularité de Paris, sa beauté et son histoire multiséculaire. Pire, marquée au sceau du wokisme et de la cancel culture, elle s’apprête à saccager des siècles d’histoire qui ont conféré jusqu’ici à cette capitale une particularité que le monde entier admire et bien souvent nous envie. En fait, sous couvert de modernité et de nouveau paysage urbain du XXIe siècle, ce projet ne représente rien moins qu’un véritable attentat urbanistique. Optant pour un urbanisme mondialisé, standardisé et déraciné, Anne Hidalgo et son équipe plébiscitent « Un gigantisme qui s’étale » pour reprendre le mot du grand historien Lewis Mumford[2]. Mais ce choix directement issu d’une absurde théorie quantitative du développement urbain risque de s’opérer au détriment de toute continuité historique et de toute harmonie architecturale qu’exigent toutefois plus que jamais de vieilles cités comme Paris.

Au printemps 2020, lors de la dernière élection municipale, Anne Hidalgo, candidate à sa réélection, avait catégoriquement et publiquement écarté la perspective de briguer l’Elysée en 2022. Pourtant, peu après avoir remporté un nouveau mandat, elle a été désignée par le PS candidate à l’élection présidentielle le 14 octobre 2021. Mais sa campagne reste en berne, passant au fil des semaines de 5% à 2% d’intentions de vote. Critiquée au sein du Conseil de Paris aussi bien par l’opposition que par les membres de sa propre majorité – notamment les élus EELV – elle est aussi harcelée par nombre de Parisiens mobilisés dans le cadre du mouvement #saccageparis et de la Fédération Union Parisienne pour la sauvegarde de Paris[3]. Devant une situation si calamiteuse, une chose est sûre : le lourd contentieux de la Tour Triangle pourrait bien lui infliger le coup de grâce et s’avérer rédhibitoire pour son avenir politique.

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[1].      En 2004, à l’occasion de l’élaboration de son Plan Local d’Urbanisme (PLU), la ville de Paris a consulté 820 000 ménages parisiens. 120 000 questionnaires sont ensuite revenus complétés à la direction de l’urbanisme. Au terme de ce sondage, il est apparu que les Parisiens refusaient à 64% la construction d’immeubles de grande hauteur, cf. https://metropolitiques.eu/Les-Parisiens-opposes-a-la-grande.html.

[2].      Lewis Mumford, La Cité à travers l’histoire, [1961], Paris, Seuil, 1964, p. 676.

[3].      Cette association de défense des intérêts des Parisiens et de leur cadre de vie dans la ville de #Paris réunit : #SaveParis #saccageparis Association Rouler Libre, Comité Marais Paris, Association VRET, Parisiens en colère! Sauvons notre Paris! Paris Propre. Elle prépare actuellement une action en justice aux fins de mise sous tutelle de la Ville de Paris. Parmi un très grand nombre de griefs majeurs, l’UP ! reproche en effet à l’équipe municipale : un dette abyssale de plus de 7 milliards ; le refus d’Anne Hidalgo de justifier ses frais de représentation ; la- dégradation du patrimoine ; le manque d’entretien et de personnel de la voirie, l’insalubrité et mauvaise gestion du service de propreté, etc.

L’Apocalypse environnementale n’aura pas lieu

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Michael Shellenberger, président d'Environmental Progress, devant le Sénat américain, 11/3/2021 Susan Walsh/AP/SIPA AP22547576_000005

Dans un livre récemment traduit en français, Michael Shellenberger, ancien militant vert, rejette le catastrophisme climatique et ses fausses bonnes solutions. Seule l’énergie nucléaire peut répondre à notre énorme demande d’énergie au plan mondial.


Le cataclysmique climatique fait la une des journaux. Il fait vendre. D’autant plus lorsqu’il s’incarne dans une gamine venue de Scandinavie, aux traits de Fifi Brindacier, et qui tance les puissants de ce monde aux cris de « Comment osez-vous ? ». S’en remettre à une enfant, qui reconnaît avoir vaincu sa dépression en s’engageant en politique, pour résoudre des problèmes complexes est le propre des sociétés décadentes dirigées par des leaders immatures… 

Dans cet océan d’irrationnel, l’Américain Michael Shellenberger, ancien militant écologique, encarté à gauche, admirateur de la révolution sandiniste, tente d’apporter une goutte de réconfort. Dans son dernier essai, Apocalypse zéro (L’Artilleur), il appelle chacun au calme : non, la fin du monde climatique et environnementale n’est pas pour demain. Attendez un peu avant de vous suicider.

La Nature a remplacé Dieu

Pour Schellenberger, l’environnementalisme, par sa dimension apocalyptique, est «une sorte de nouvelle religion judéo-chrétienne, qui a pour particularité d’avoir remplacé Dieu par la Nature. » Si dans la tradition judéo-chrétienne, l’homme est fautif par son incapacité à s’adapter au plan divin, dans la religion apocalyptique écologique, la faute réside dans son incapacité à s’adapter à la Nature. Dans cette nouvelle religion, les scientifiques ont remplacé les prêtres de l’ancienne. Cette nouvelle fois est néanmoins paradoxale dans son essence, car « Si l’apocalypse climatique est une sorte de fantasme inconscient pour les êtres qui détestent la civilisation, cela pourrait expliquer pourquoi les gens les plus alarmistes sur les problèmes environnementaux sont aussi les plus opposés aux technologies capables de les résoudre. »

C’est ainsi que les écologistes, qui détestent qu’on manipule Gaïa la Terre, sont opposés au nucléaire (manipulation d’atomes) et les OGM (manipulation des gènes) et préfèrent aux solutions rationnelles les énergies dites renouvelables – éolienne, solaire, biomasse, bio-carburants. Or, selon Michael Schellenberger, celles-ci sont très loin de pouvoir rencontrer les besoins énergétiques actuels et futurs. Notamment parce que centrales solaires et champs éoliens nécessitent jusqu’à 400 fois plus de surface qu’une centrale au gaz ou une centrale nucléaire : « […] si les États-Unis essayaient de produire au moyen d’énergies renouvelables toute l’énergie que le pays consomme, il faudrait leur allouer 25 à 50 % de la surface des États-Unis. À l’inverse, le système énergétique actuel ne nécessite que 0,5 pour cent de la surface des États-Unis. »

A lire aussi: Pour l’écologie politique, l’urgence idéologique l’emporte largement sur l’urgence climatique

Chantre de l’énergie nucléaire, Schellenberger reconnaît que la crainte de l’atome joue un rôle dans sa détestation. Mais ici aussi, les apôtres de l’apocalypse jouent sur les peurs. Lors de la catastrophe de Tchernobyl, saviez-vous que « selon les Nations Unies, 28 pompiers sont morts après avoir éteint l’incendie de Tchernobyl, et 19 intervenants de première urgence sont morts dans les vingt-cinq années suivantes pour « diverses raisons », tuberculose, cirrhose du foie, crises cardiaques et divers traumatismes » ? Étant donné que le cancer de la thyroïde a un taux de mortalité de seulement 1 %, cela signifie que les décès attendus des cancers de la thyroïde causés par Tchernobyl ne seront que de 50 à 160 sur une durée de quatre-vingts ans. Quant à la catastrophe de 1979 à Three Mile Island, aux États-Unis, elle fit… zéro mort. « Le pire accident énergétique de tous les temps fut l’effondrement du barrage hydroélectrique de Banqiao en 1975, en Chine, qui a tué entre 170 000 et 230 000 personnes. »

Les bouteilles en verre pires que les bouteilles en plastique

Autre idée reçue soigneusement entretenue par les médias militants, la pollution des plastiques. Ainsi, présentée comme la pollution majeure des océans, « la pollution plastique à la surface de la mer, toutes catégories de tailles confondues, ne représente en poids global que 0,1 % de la production annuelle mondiale de plastique ». Et leur dissolution dans la mer est plus rapide que prévue.

L’alternative des sacs en papier serait bien pire que le mal, « les sacs en papier devant être réutilisés quarante-trois fois pour avoir un impact moindre sur l’environnement ». Quant aux bouteilles en verre, « leur fabrication et leur recyclage nécessite elle aussi davantage d’énergie : de 170 à 250 % d’énergie supplémentaire et des émissions de carbone de 200 à 400 % plus élevées que les bouteilles en plastique, en raison principalement de l’énergie thermique requise par le processus de fabrication ». En outre, remplacer le plastique fossile par du bioplastique à base de maïs « nécessiterait 12 à 18 millions d’hectares de maïs, ce qui équivaut à 40% de toute la récolte de maïs aux États-Unis ».

Le végétarianisme, une fausse bonne solution

Les militants, parfois violents, d’Extinction Rébellion, devraient lire Apocalypse Zéro. Ils y découvriraient cette estimation de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), ONG fondée en 1948 : « 0,8 % des 112 432 espèces de végétaux, animaux, et insectes figurant dans sa banque de données ont disparu depuis 1500. C’est un taux de moins de deux espèces perdues chaque année, soit un pourcentage d’extinction annuel de 0,001 %. »

Concernant les végans et les adeptes de l’agriculture bio, Apocalypse Zéro leur apprendra « qu’une étude a révélé que la conversion au végétarisme serait susceptible de réduire la consommation d’énergie personnelle totale de seulement 2 % et les émissions totales de gaz à effet de serre de 4 % (…) Le bœuf de pâturage génère 300 à 400 % d’émissions de carbone en plus par kilo que le bœuf industriel ».

Enfin, même la colère des jeunes militants verts serait, selon Shellenberger, illégitime.  « Les jeunes qui découvrent le changement climatique pourraient naturellement croire, en écoutant Lunnon et Thunberg, que cette évolution est le résultat d’actions délibérées et malveillantes. En réalité, c’est le contraire. Les émissions [de gaz à effet de serre] sont un sous-produit de la consommation d’énergie, qui a été nécessaire pour que les gens se sortent de la pauvreté, eux-mêmes, leurs familles et leurs sociétés, et conquièrent un minimum de dignité humaine. »

En Espagne, « l’esprit madrilène » résiste au sanitarisme

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Isabel Díaz Ayuso, Madrid, 29 novembre 2021. © SOPA Images/SIPA. Numéro de reportage: 01050883_000010

Entretien avec Nicolas Klein sur la crise sanitaire en Espagne


Alors qu’elle est l’une des nations les plus vaccinées d’Europe, l’Espagne doit, elle aussi, réagir à l’avancée du variant omicron. Si le nombre de nouveaux cas est considérable, le nombre de morts reste pour le moment faible. La résistance de la Communauté de Madrid face au courant restrictif laisse présager une nouvelle lutte entre pro- et anti-mesures.

Jérôme Blanchet-Gravel : L’Espagne a connu l’un des plus stricts confinements dans le monde, mais c’est aussi en Europe un pays où l’on trouve l’une des résistances les plus fortes face au sanitarisme, surtout dans la capitale. Comment l’expliquez-vous ?

Nicolas Klein : L’Espagne est l’un des pays les plus décentralisés d’Europe, pour ne pas dire au monde, et les communautés autonomes (expression désignant les dix-sept régions qui composent la nation) disposent, en dehors de périodes exceptionnelles, de toutes les compétences sanitaires traditionnellement dévolues aux États centraux.

De mars à juin 2020, dans le cadre de la première vague de coronavirus, c’est le gouvernement national de Pedro Sánchez (Parti socialiste ouvrier espagnol), soutenu par la gauche « radicale » d’Unidas Podemos, qui a organisé le grand confinement dont vous parlez. À partir de juin de cette année-là, en revanche, les communautés autonomes ont récupéré leurs compétences en matière de santé. À ce titre, la Communauté de Madrid (région de la capitale, peuplée d’environ 6,5 millions de personnes) a décidé de restreindre le moins possible l’activité et la vie.

La justice espagnole s’est distinguée au niveau national par son refus des passeports sanitaires puis par leur encadrement plus ou moins strict. Mais c’est surtout la Communauté de Madrid, donc, qui a opté pour la fidélité à sa tradition libérale. La communauté autonome est en effet dirigée sans discontinuer par le Parti populaire (droite classique) depuis 1995. Deux présidentes régionales ont donné aux politiques pratiquées sur place ce trait résolument libéral, à la fois sur le plan économique et social : Esperanza Aguirre (2003-2012) et Isabel Díaz Ayuso (élue en 2019 et triomphalement réélue lors des élections régionales anticipées de mai 2021).

Dans la droite ligne d’Aguirre, Díaz Ayuso estime que les pouvoirs publics n’ont pas à influencer tous les aspects de la vie des citoyens et que c’est à ces derniers de prendre leurs responsabilités. L’actuelle dirigeante de la Communauté de Madrid n’a jamais nié la réalité ou la gravité de la Covid-19. De même, elle a tout fait pour encourager les Madrilènes à se faire vacciner. Néanmoins, elle a toujours refusé de rendre cette vaccination obligatoire, que ce soit directement ou d’une manière détournée.

Par ailleurs, elle a mis en place toute une série de mesures techniques et sanitaires qui, bien que peu contraignantes dans la vie de tous les jours pour les habitants de la région, ont porté leurs fruits : découpage du territoire en zones sanitaires de base permettant de mieux cibler l’épidémie ; contrôle de la présence du virus dans les eaux usées, etc. Isabel Díaz Ayuso et ses conseillers régionaux ne cessent de le répéter : ils ne veulent pas opposer santé et économie ou santé et libertés individuelles. Et ce message fonctionne dans une région où la majorité de la population soutient ledit libéralisme.

La région de Madrid continue sur cette lancée en refusant toute nouvelle restriction à l’approche des festivités du Nouvel An. Faut-il parler d’un véritable exceptionnalisme madrilène ?

Je ne sais pas si le terme « exceptionnalisme », très connoté historiquement, conviendrait. En revanche, en Europe, l’aire urbaine de Madrid est l’une des agglomérations les moins restrictives à l’heure actuelle. À l’hiver 2020-2021, l’on avait vu des images de touristes (notamment français) débarquant dans la capitale espagnole pour profiter des restaurants, bars, musées, théâtres, cinémas, etc. qui n’étaient pas fermés, contrairement à ce qui se passait dans le reste de l’Europe (particulièrement en France). Le phénomène a été monté en épingle par les médias. Néanmoins, il traduisait une réalité que l’on retrouve en cette fin d’année 2021 : Madrid est l’une des rares capitales d’Europe où les restrictions sanitaires sont réduites à leur plus simple expression. Libre ensuite à chacun d’approuver ou pas ce choix – les détracteurs de la politique d’Isabel Díaz Ayuso ne manquent pas.

De manière générale, peut-on dire que les communautés de tendance conservatrice sont plus « permissives » que celles de tendance progressiste dans la gestion du virus ? Quel genre de clivage s’est dessiné en Espagne sur ce thème ?

Il est certain que les communautés autonomes espagnoles dirigées par la gauche ont été particulièrement actives sur le plan des restrictions sanitaires. Les derniers mois ont en revanche montré que l’opposition entre conservateurs et progressistes n’était pas forcément le clivage pertinent. La Galice, où Alberto Núñez Feijóo (Parti populaire) enchaîne les majorités absolues depuis 2009, est plus proche des socialistes que d’Isabel Díaz Ayuso en la matière.

À ma connaissance, outre la Communauté de Madrid, trois régions du centre de l’Espagne (Castille-et-León, Castille-La Manche et Estrémadure) refusent encore tout passeport sanitaire. Faudrait-il y voir une dichotomie entre centre et périphérie (sur le plan purement géographique) ? Peut-être. Je crois qu’en Espagne, la droite madrilène (défendue par un certain nombre comme un modèle pour tout le pays) se distingue particulièrement – en bien ou en mal. Et, au-delà, c’est « l’esprit madrilène » en général qui est intéressant à observer de ce point de vue.

Sur le plan économique, l’Espagne pourrait-elle se permettre d’implanter à nouveau de fortes mesures sanitaires et un confinement ?

Les conséquences des actuelles restrictions en Europe se font déjà durement sentir en Espagne. L’on note ainsi une chute de la fréquentation touristique dans les communautés autonomes qui accueillent habituellement des visiteurs étrangers en hiver, comme les îles Canaries. Par ailleurs, dans d’autres autonomies (je pense à la Communauté valencienne ou à la Catalogne), restaurateurs, hôteliers et commerçants se plaignent de la chute de fréquentation induite par les décisions d’ampleur régionale. Il me semble par conséquent douteux que l’économie nationale puisse encaisser le choc d’un autre confinement national massif…

Marlène Schiappa met la main à la pâte

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La Ministre à la Citoyenneté, Marlene Schiappa, vêtue d'un masque chirurgical rose, au Mans, le 16/12/2021 SICCOLIPATRICK/SIPA 01053154_000015

Quand une ministre passe à la télé dans une émission de cuisine, est-ce un triomphe pour la démocratie ou pour cette hyperfestivité qui mine notre vie démocratique ?


Les Français reprochent souvent aux ministres de leur gouvernement d’être peu au fait de leurs préoccupations, voire d’être complètement déconnectés de la vie de tous les jours. Certains, parmi les plus gastronomes, les accusent même de confectionner dans les arrière-cuisines des ministères une tambouille politique infernale, des plats législatifs qui passent mal parce que trop lourds ou trop insipides, trop épicés ou trop fades. Marlène Schiappa, bien décidée à casser toutes ces images à la fois, était l’invitée de Cyril Lignac dans son émission culinaire sur M6 ce mercredi 29 décembre. Elle n’a pas hésité, depuis les cuisines du ministère de l’Intérieur, à mettre la main à la pâte.

À l’heure de l’apéritif, mettant sur le compte de récentes agapes familiales une mollesse cérébrale ne m’incitant pas à me lancer dans les œuvres complètes de Heidegger ou de Vialatte, j’ai regardé cette émission dont j’ignorais tout et que seule la publicité faite autour de la présence insolite de Mme Schiappa avait portée à ma connaissance. Juré, promis, c’était la première et la dernière fois.

Festif ? Non – hyperfestif !

Le principe de Tous en cuisine est simple et se veut festif : l’enjoué chef Cyril Lignac prépare tel ou tel plat tout en conseillant des « brigades » réparties sur le territoire et qui tentent de parvenir à l’excellence de leur illustre professeur. Normalement, si j’ai bien compris, une vedette « people » se joint à cette mascarade. Ce mercredi, la vedette en question n’était autre que notre « ministre déléguée chargée de la Citoyenneté », Marlène Schiappa. Certains parlent de confusion des genres. D’autres approuvent cette façon médiatiquement efficace, au milieu des fêtes dites de fin d’année, d’apporter son soutien à différentes associations, en l’occurence celles qui s’occupent des enfants orphelins de policiers, de pompiers et de gendarmes. Il y a plus de quinze ans, Philippe Muray avait déjà décrit cette époque qui s’enfonce, jour après jour, dans la médiocrité : à l’ère de l’hyperfestif, les événements sont remplacés par l’événementiel. L’individu disparaît pour laisser place à cet être infantilisé qui « divague sans pesanteur ». De la politique aux activités domestiques les plus anodines, rien ne doit échapper à la festivisation de toute l’existence. Sur l’écran, une mosaïque de téléspectateurs connectés à l’émission cuculinaire laisse entrevoir des ébahissements débiles, des applaudissements programmés, une connivence festive, désolante et imbécile. Mme Schiappa, consciencieuse, suit à la lettre les directives du chef, un sourire figé sur le visage. Bref, c’est la fête.

En réalité rien n’est moins festif que cette médiatisation hyperfestive : les rires décongelés des participants, la bonne humeur forcée ou graveleuse d’un prénommé Jérôme, les mines joyeusement abruties des participantes de la « brigade » de Pontault-Combault, l’immuable  sourire de notre ministre ajoutent, à la simulation, le simulacre de la fête et celui de la vie. Cette lamentable émission de télé n’est que l’aboutissement de la déréalisation du monde à laquelle ne peut pas échapper ce qu’on a coutume d’appeler la vie politique. Tout finit dans la soupe hyperfestive et le « poisson pourrit par la fête ».

La crèche médiatique

Ce peuple politique qu’était soi-disant le peuple français est devenu, à l’instar de tous les peuples des régimes hyperdémocratiques, un conglomérat d’êtres isolés et perdus qui ne supportent plus les altérités, le négatif, le tragique, et même le comique de la vie réelle. Par écran interposé, ignorant sa propre disparition, il croit que la vie, la vraie vie, la fête, la véritable fête, c’est ce décor illuminé dans lequel se trémoussent des bulles de vide. Cuisinier, participants, ministre et téléspectateurs se renvoient mutuellement l’image de ce monde sinistre dans lequel le moindre rire préfabriqué donne envie de pleurer, et où tout le monde se croit obligé de ressembler aux crétinoïdes de la crèche médiatique.

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Après avoir éteint mon poste, pour relever le niveau de cette soirée pitoyable et me refaire une santé, je me suis précipité sur la très fameuse recette du très regretté Desproges, celle du Cheval Melba, que je me permets de rappeler ici : « Prenez un cheval. Pendant qu’il cherche à enfouir son museau dans votre cou pour un câlin, foutez-y un coup de burin dans la gueule. Attention ! Sans le tuer complètement : le cheval c’est comme le homard ou le bébé phoque, faut les cuire vivants, pour le jus, c’est meilleur ! Bon. Réservez les os et les intestins pour les enfants du Tiers-Monde. Débarrasser ensuite la volaille de ses poils, crinière, sabots et de tous les parasites qui y pullulent, poux, puces, jockeys, etc. Réservez les yeux. Mettez-les de coté, vous les donnerez à bébé pour qu’il puisse jouer au tennis sans se blesser, car l’œil du cheval est très doux. Préparez pendant ce temps votre court-bouillon avec sel, poivre, thym, laurier, un oignon, clou de girofle, persil, pas de basilic, une carotte et un mérou qui vous indiquera, en explosant, la fin de la cuisson à feu vif, comme pour la recette du chat grand veneur : quand le chat pète le mérou bout et quand le chat bout le mérou pète. » D’un seul coup, je me suis senti ragaillardi. Je suis sorti pour aller caresser Félix, le poney de mon voisin. J’avoue avoir eu de mauvaises pensées. Mais l’œil du poney, plus expressif que celui de certains de nos ministres, est encore plus doux que celui du cheval. Et puis, un poney pour moi tout seul ça aurait fait trop, et je n’aime pas gaspiller. Je me suis par conséquent rabattu sur un « chat grand veneur ». Je profite de cet article gustatif pour souhaiter à tous les lecteurs de Causeur un excellent repas de réveillon de fin d’année.

Le marché de l’élection présidentielle

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François Lenglet et Emmanuel Macron débattent dans "l'Émission politique" sur France 2 lors de la précédente campagne présidentielle, le 6 avril 2017. Capture d'écran Youtube.

Le journal Le Monde du 19 décembre dernier lance un article intitulé : «Le rendez-vous manqué entre économistes et politiques ». Cette non-rencontre est, au fond, assez naturelle.


D’un côté, nous avons des personnes luttant sur un marché politique, un marché où il faut vendre des produits politiques comme d’autres vendent des marchandises classiques : déplacement du statut de citoyen à celui de consommateur. De l’autre côté, celui des économistes, nous avons des personnes aux prises avec la connaissance des effets des produits politiques offerts : mesures salariales, fiscales, règlementaires, financières… Des analyses souvent complexes mobilisant des outils eux-mêmes d’accès difficile pour le non averti.

Il est donc naturel que le marchand de produits politiques, comme tel ou tel marchand, ne se soucie pas des effets complexes des mesures prises. Est-il dans l’intérêt immédiat du commerçant de se soucier des contraintes, voire les inconvénients, de ce qu’il vend pour ses clients ?

Toutefois, la non-rencontre entre candidats et économistes mérite quelques explications approfondies.

Une réalité plus fondamentale

En premier lieu, il est historiquement exact que le pouvoir politique repose sur une question d’appropriation des outils constitutifs de la puissance publique, en particulier la loi. Dans un régime dictatorial, l’appropriation a pour but de consolider les pouvoirs du dictateur. Dans un régime démocratique, les choses sont plus complexes. Il y a bien sûr toujours l’intérêt des dirigeants politiques, mais il y a surtout les intérêts des électeurs, lesquels ne sont pas identiques et se confrontent. De ce point de vue, l’idée d’un intérêt général est toujours problématique : il est un signifiant sans que le signifié puisse être désigné de manière incontestable.

LES CANDIDATS NE PEUVENT PROPOSER SUR LE MARCHÉ POLITIQUE, NI VISION NI SENS, QUESTIONS DEVENUES ÉLOIGNÉES DE CELUI QUI EST EN VOIE DE DEVENIR UN SIMPLE CONSOMMATEUR DE RÈGLES OU DE DROITS INDIVIDUELS.

Les électeurs sont autour de la loi dans des configurations diverses ou opposées : sa transformation désavantage certains citoyens et favorisent d’autres. Par exemple, une mesure de blocage des loyers avantage les locataires et désavantage les propriétaires… au moins dans le court terme. Les candidats à l’élection présidentielle, face à des électeurs – qui sont de plus en plus des consommateurs, et qui à ce titre ne sont plus qu’une clientèle divisible en segments – composent ainsi un paquet de propositions qui relève d’une analyse purement marketing. Avec une conséquence considérable : l’immédiateté marchande ne permet pas de proposer des visions d’avenir pour le pays. Tout au plus, peut-on parler de rétablir une croissance dont le sens n’est pas questionné ou de marcher vers plus d’Europe sans savoir ce que cela peut signifier.  

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En second lieu, les économistes sont d’une certaine façon d’accord avec les candidats à la présidentielle pour ne pas se rencontrer. Naguère, les économistes étaient d’une certaine façon des théoriciens du global : ils tentaient d’expliquer le tout sans se spécialiser sur les parties. On essayait, comme on le fait encore dans les sciences physiques, de marcher vers un principe global d’explication de la réalité. En termes savants, on dit que la science doit-être moniste.  

Certes, la démarche était difficile et comme aujourd’hui encore pour le clivage entre la physique classique et la physique quantique, il fut impossible de dépasser les clivages entre théorie économique classique, keynésienne, libertarienne… Ce que l’on constate est donc un éparpillement des savoirs avec des spécialités au périmètre de plus en plus limité : économie des transports, économie pétrolière, économie de la santé…  Et un éparpillement qui ne peut que s’élargir au fur et à mesure que la crise sanitaire actuelle semble dévisser ce qui restait des grands savoirs : les théories monétaires…à revisiter, les questions de l’emploi… à revisiter, les questions de l’articulation de l’offre globale à la demande globale…à revisiter, etc. Aucun économiste n’ayant aujourd’hui l’envergure d’un Einstein pour refonder un paradigme global, chacun vivote dans sa spécialité.

Les candidats ne peuvent proposer sur le marché politique, ni vision ni sens, questions devenues éloignées de celui qui est en voie de devenir un simple consommateur de règles ou de droits individuels. De ce point de vue, ils sont en plein accord avec les économistes qui, eux non plus, n’ont plus grand-chose à dire sur le fonctionnement et le sens de l’ensemble. À quoi bon se rencontrer pour discuter d’un avenir qui ne surplombe plus le présent ? Il n’y aura donc pas de débat sérieux et approfondi entre économistes éloignés d’une vision globale sur le fonctionnement du monde et candidats fondamentalement éloignés des questions de vision et de sens. Si débat il y a, on sera toujours dans le quasi hors sujet.

L’art de la promesse

Simultanément, les candidats à l’élection présidentielle sont en complet désaccord avec les économistes qui s’intéressent aux conséquences des paquets de propositions politiques. Certes, les économistes d’aujourd’hui vivent dans l’éparpillement mais ils disposent d’outils précis de mesure. Ils sont ainsi bien armés pour contester l’éparpillement des paquets de propositions imaginés par les candidats. Bien armés, ils tentent, pour tout élément du paquet, d’en évaluer les répercussions et savent mieux que quiconque que toute proposition avantage certains acteurs et en désavantagent d’autres, ce que le marchand politique ne peut accepter. Tel est le cas par exemple du paquet « hausse des salaires », paquet proposé par une majorité de candidats car très apprécié. Les économistes savent – certes plus ou moins – en évaluer les conséquences en termes de dérive des prix, en termes de capacités exportatrices plus réduites et importatrices plus dangereuses, en termes de marges plus faibles, en termes d’emploi plus réduit, en termes de charges sociales diminuées, d’État Providence revisité… Ce que les candidats refusent de voir. Un candidat, comme tout bon commerçant, ne peut que mettre en avant les avantages du produit proposé et masquer, autant qu’il se peut, les désavantages associés.

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Au final, économistes et candidats à l’élection présidentielle n’ont certes rien à se dire, mais surtout ces derniers ne peuvent accepter l’irruption d’un savoir sur ce qui n’est qu’un tas mal ficelé de produits politiques agités devant des consommateurs exigeants et égoïstes. Le marché politique n’a plus les moyens de forger un horizon et participe à l’écrasement du futur sur un présent agité.

Hidalgo ou Taubira, peu importe ! Le déclin de la gauche n’est pas une affaire de personnes

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Christiane Taubira et Anne Hidalgo, Paris 26 septembre 2015 SEVGI/SIPA 00724560_000003

On s’attendrait en vain à ce que tel ou tel candidat à la présidentielle puisse sauver la gauche. L’effondrement actuel de celle-ci est la conséquence d’un processus engagé depuis plus de 40 ans et qui a commencé par l’abandon des classes ouvrières.


Mélenchon, sous la barre des 10%, Hidalgo sous les 5% et les écolos légèrement au-dessus des 5%, les présidentielles de 2022, sans surprise, s’imposent comme une épreuve redoutable pour la gauche française. Son destin semble suivre celui du PCF dans les années 90 : un inexorable déclin en voie d’accélération. Son total électoral pourrait plafonner au-dessous des 25%. La décennie qui vient verra-t-elle la fin des partis de gauche, avec une représentativité résiduelle en termes de voix, et un réseau d’élus locaux qui leur permet de survivre à la périphérie du système politique ? La question est légitime tant leur espace sociologique tend à se réduire.

La gauche comme mode comportemental

La gauche a perdu le contrôle de la question sociale en déconnectant son sort de celui des classes populaires du secondaire et du tertiaire. Son investissement croissant, au cours des dernières décennies, sur les questions sociétales et les problématiques liées à la diversité et aux minorités a eu un effet paradoxal : d’un côté, l’idéologie de gauche a gravé dans le marbre son rôle d’autorité morale du collectif ; de l’autre, en diluant ses messages dans le corps social et en les instaurant comme le surmoi idéologique d’une culture dominante, elle en a fait une vulgate qui anime l’éthos contemporain et qui ne lui appartient plus en propre. Les représentations culturelles véhiculées par ses valeurs et leur modélisation sociale s’incarnent dans des groupes sociaux dont la conscience d’être idéologiquement de gauche n’est plus déterminante. Le bobo des centres villes est une représentation type d’une attitude déterminée par des modes comportementaux et de consommation (nourriture, transports, loisirs ; looks…) qui se réfèrent plus à une forme de conformité sociale qu’à un engagement idéologique clair. Même si un arrière-plan idéologique porte le modèle comportemental, celui-ci peut être ignoré ou tenu à distance par le sujet. Le vocabulaire politique a naturellement enregistré cette évolution, le concept de gauche tendant à s’effacer au bénéfice de celui de « progressiste » qui renvoie à une notion plus large qui touche à la sensibilité et aux mœurs.

Dans le champ politique, cette évolution du corpus idéologique de gauche vers un progressisme sociétal a été fatale aux appareils politiques de la gauche militante. Les dirigeants de gauche n’ont pas vraiment eu le choix. Emportés par les mutations accélérées de la sphère économico-sociale, ils ont compensé leurs défaites face au réel et leurs ralliements à l’ordre marchand mondialisé, par une surenchère dans la subjectivité sociétale, à base d’impératifs moraux. On ne peut dire, pour autant, que la gauche s’est idéologiquement reniée, car la question sociale, celle de l’égalité, n’est pas pour l’essentiel le fond de son engagement. La matrice idéologique de la gauche est beaucoup plus radicale, elle est, dès ses origines révolutionnaires, une proposition de rupture anthropologique sur la création d’un « Homme nouveau », dont le fondement est d’ordre quasi religieux ; ce que rappelait, avec une utile franchise, le livre de Vincent Peillon au titre évocateur, Une Religion pour la République.* Au fond, on pourrait même affirmer que c’est la question sociale qui a déserté la gauche, plutôt que la gauche la question sociale.

La gauche comme bande-son du capitalisme consumériste

La nouvelle phase du capitalisme mondialisé l’a laissé désorientée face à la complexité d’un univers dont elle ne maîtrisait plus la compréhension des rouages de la production de richesse, alors que la modernité capitaliste absorbait à grande vitesse le substrat idéologique progressiste. Le nouveau capitalisme, dont les formes émergent dans la culture de masse des années 60/70, se devait d’être consumériste, individualiste et libertaire. La gauche sociétale lui a fourni le corpus idéologique dont il ne disposait pas naturellement après plus d’un siècle de culture industrielle disciplinaire et hiérarchique, collective et paternaliste. L’idéologie de gauche, en définitive, a servi de bande-son à la mutation accélérée de ce capitalisme consumériste. C’est bien ce que prouve à longueur de journée le martèlement incessant des représentations de la pub, à base de diversités cools, de narcissisme stylisé à l’extrême, de brouillage des genres et de « greenwashing » intense. Au moment où la gauche se meurt politiquement, ses messages idéologiques saturent notre espace social.

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Cette évolution était fatale, seule une formidable mutation intellectuelle aurait pu, peut-être, l’interrompre, et les spéculations de Terra Nova, en 2008, sur la nécessité de privilégier les valeurs culturelles de la diversité à une stratégie de défense de la classe ouvrière, ne sont que le constat tardif d’un échec historique insurmontable. Depuis 40 ans, la gauche, en choisissant, selon sa terminologie, l’ouverture à l’autre et à la diversité plutôt que la défense des « classes laborieuses », comme le disaient les communistes à l’ancienne, a scellé son destin politique. La disparition, dès les années 80, de la culture ouvriériste de gauche a tracé une voie sans retour en arrière possible.

Face à ce mouvement historique de fond qui procède des forces économiques, sociales et géopolitiques qui transforment le monde actuel, les palinodies présidentielles des partis de gauche paraissent bien dérisoires. Leur socle sociologique a fondu, puisque le progressisme sociétal n’appartient plus en propre à la gauche et que la question sociale lui échappe, faute d’avoir admis le besoin de sécurité et d’identité des travailleurs enracinés. Macron en 2017 a logiquement récupéré les classes urbaines progressistes et le vote populaire est depuis longtemps largement perdu pour la gauche. Quant à la surenchère pour séduire le vote issu de l’immigration, elle touche vite ses limites, comme le montre l’effondrement de LFI, face à des populations qui ne retrouvent pas leurs valeurs culturelles dans les discours de la gauche radicale.

Incapable d’analyser la spirale de disparition dans laquelle elle est plongée, la gauche tente de donner une dimension personnelle aux enjeux de l’élection pour ne pas affronter sa faillite politique ; il faudrait alors remplacer le soldat Hidalgo en grande perdition par le soldat Taubira, opportunément revigoré ! La manœuvre est absurde car elle ne ferait qu’exacerber la question identitaire qui mine une gauche plongée dans un processus sans fond de déni du réel, alors que le PS dévitalisé, depuis déjà bien longtemps, ressemblait à un syndicat de retraités du public.

La gauche négatrice de sa propre domination

La gauche vit actuellement un drame psycho-émotionnel qu’elle ne peut saisir. L’être de gauche s’est construit sur un sentiment de supériorité morale, intellectuelle et sociale qui structure son égo dans le jeu des rapports de pouvoir collectifs. Cette supériorité validée par la domination de son discours normatif dans l’espace public le rend peu apte à la remise en question des fondamentaux idéologiques qui portent cette domination. L’indignation, la condamnation et l’interdiction sont ses réponses « naturelles » à ce qui menace sa certitude intellectuelle. Or, en tant que structure psychique, la gauche ne peut maîtriser la dissonance cognitive entre sa domination morale idéologique et sa faiblesse politique. L’être de gauche se vit comme un dominant mais ne se reconnait pas comme tel, dans la mesure où il estime, et impose l’idée, que l’autorité normative qu’il déploie vient de sa supériorité morale tournée vers la défense du faible ; il est donc, par essence, l’anti-dominant. Son architecture complexe de domination repose sur cette construction mentale fondée sur une injonction contradictoire : celle de la négation de son statut de dominant, et l’impératif de la reconnaissance, en même temps, de sa supériorité intellectuelle et morale. C’est à travers cette dialectique dominant/dominé que se déploie sa dynamique du pouvoir. Elle est, globalement, étrangère à sa conscience dans la mesure où, se reconnaître en tant que dominant, viderait automatiquement le discours de dénonciation de sa substance contestatrice et subversive qui le légitime. Le révolté par essence dénonce la violence et l’injustice qui règnent ou qui vont advenir ; et les progrès et les libertés, arrachés par les luttes libératrices, sont toujours menacés par les manœuvres de l’ordre réactionnaire, aujourd’hui, comme hier, vite ramené aux démons fascistes.

L’être de gauche ne peut comprendre et supporter que la domination de ses valeurs normatives dans l’espace public ne s’accompagne pas d’une domination politique équivalente.  La vulnérabilité dont il prend soudain conscience le plonge dans un état de désarroi mental quand il est bousculé dans son rôle « naturel » d’accusateur, de dénonciateur ou de moqueur. De quel droit peut-on déconstruire le déconstructeur ? Malmené par un gamin de 22 ans, vif et impertinent, dans un échange de frappes à la volée, Alexis Corbière, chez Hanouna, perd pied comme un vieux joueur usé, au point que sa compagne, avouant du coup sa défaite, se croit obligée, dans un élan obscène, d’agresser le jeune homme en fin d’émission. Anecdote sordide et dérisoire, mais qui confirme l’inexorable décomposition d’une puissance idéologique et politique, condamnée à ne jamais se comprendre elle-même.

*Une Religion pour la République : La foi laïque de Ferdinand Buisson (Éditions du Seuil, 2010).