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Après Lola il ne se passera rien. Et le pire est encore à venir

« Récupération ! Récupération ! », crient les journalistes de France Inter, de France info, du Monde et de Libération, ainsi que les responsables de La France Insoumise, à propos des légitimes interrogations des députés et des chefs de mouvements politiques réclamant, suite au meurtre de Lola, des comptes aux représentants du gouvernement, lesquels se défaussent en maniant, à coups de « dignité » et de « respect », une langue mièvre et moralisatrice qui révèle au fond leur insincérité et leur incompétence.


Sur France Inter[1], Yaël Goosz s’est étranglé de rage en parlant d’Éric Zemmour puis a carrément suffoqué en évoquant Marion Maréchal et son soi-disant désir de « transformer des faits divers en guerre de civilisation ». Après une laborieuse digression par Bourdieu et son non moins laborieux essai Sur la télévision dans lequel le sociologue « disait, à propos des “faits divers”, qu’ils font diversion », le journaliste regrette vivement qu’Olivier Véran ait concédé que le « gouvernement pouvait faire mieux en matière d’expulsions ». Surtout que nos compatriotes courent de moins en moins de danger : en trente ans, a précisé le réconfortant Yaël Goosz, le nombre d’homicides a été divisé « au moins par 2 ». Voilà les Français complètement rassurés.

Sur le plateau de BFMTV, face à Marion Maréchal, Alain Duhamel a répété à l’envi que le temps n’était pas venu de débattre, qu’il fallait respecter un délai, ne surtout pas réagir à chaud, sur le coup d’une émotion légitime mais mauvaise conseillère. Lorsque les médias et certains responsables politiques ont étalé à la une de leurs journaux et sur les plateaux de télévision la photo du petit cadavre d’Aylan afin de stigmatiser des Européens trop frileux devant l’afflux migratoire, personne n’a parlé de « récupération » sordide ou d’un délai à respecter, a opportunément rétorqué Marion Maréchal. Après avoir évoqué le quart de la moitié du dixième des exactions criminelles commises en France par des immigrés en situation irrégulière, elle a demandé : « À partir de combien de litres de sang a-t-on le droit de parler, de s’indigner, et de demander des réponses aux responsables ? » Alain Duhamel a dit être choqué par « l’image des litres de sang » qui est « une façon un peu inhumaine (sic) de poser la question ». Ne voulant rien savoir du nombre effarant et en constante progression d’actes de violence perpétrés quotidiennement en France, en particulier par des individus en situation irrégulière et souvent « connus des services de police », Alain Duhamel trouve qu’il est un peu « inhumain » d’en parler – comme ses confrères, il parlera bientôt d’autre chose ; les sujets qui éloignent de la dure réalité ne manquent pas.

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De son côté, Yann Barthès, le journaliste inculte de l’émission Quotidien, a voulu faire coup double : en même temps qu’il bêle avec ses confrères sur le thème de la « récupération », il demande à ce que soit renvoyé chez lui « l’immigré québécois de CNews », Mathieu Bock-Côté. Yann Barthès a à nouveau fait montre de sa bêtise et de son absolue impossibilité à comprendre une phrase composée de plus de trois ou quatre mots : voulant moquer le sociologue québécois « tordu », il fait visionner une séquence dans laquelle ce dernier livre une longue et perspicace réflexion sur les deux « catégories de victimes » – le petit Aylan, Georges Floyd ou Adama Traoré d’un côté, et Lola de l’autre – et la manière dont la presse et certains partis politiques ont instrumentalisé la première et s’apprête à faire le silence sur la seconde. Si Yann Barthès parvient à imiter l’accent québécois de Mathieu Bock-Côté, il peine en revanche à atteindre le cent millionième de l’intelligence du brillantissime chroniqueur de CNews – afin de ne pas être taxé de « validisme » par les associations défendant les « personnes en situation de handicap », nous éviterons d’évoquer un possible retard mental, résultat d’une carrière abrutissante. C’est pourtant pas l’envie qui manque.

Beaucoup de personnes se font les porte-voix de la famille de Lola qui désirerait que ne soit pas « récupérée politiquement » la mort de leur enfant. En réalité, il est à craindre que tout ce petit monde – ministres de l’Intérieur et de la Justice, journalistes de gauche et représentants politiques d’extrême-gauche – espère seulement que le temps fera glisser doucement mais sûrement cette ultime tragédie dans les oubliettes de la mémoire. Un exemple parmi cent justifie cette crainte : qui se souvient (ou même a seulement entendu parler) des trois jeunes gens (16, 18 et 20 ans) tués à Angers à coups de couteau par un Soudanais de 32 ans en situation irrégulière, alors qu’ils cherchaient à protéger deux jeunes filles péniblement importunées par ce dernier ? Pourtant… ce drame s’est déroulé il y a à peine plus de trois mois, le 16 juillet précisément. Le silence des médias dits de référence ou de gauche a triomphé : la mort de ces jeunes hommes qui ont ravivé, comme l’avait fait avant eux le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, un sentiment chevaleresque bien français – la défense du plus faible au risque de perdre la vie – n’a été « récupérée » par personne.

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L’omerta règne. Libération, Le Monde, L’Obs, la télévision et la radio publiques sont aux abonnés absents ou murmurent de très courtes et très éphémères informations dès qu’il s’agit de parler des meurtres mettant en cause des immigrés en situation irrégulière ou non. Les exemples ne manquent malheureusement pas. Entre autres, la mort d’Alban Gervaise, ce médecin militaire égorgé « au nom d’Allah » par Mohamed L. devant l’école catholique où il venait récupérer ses enfants, est passée presque totalement inaperçue. Les médias de gauche, secondés par le cabinet du Chef d’État-Major des Armées et le service communication du Gouvernement militaire de Marseille déclarant que la famille refusait toute médiatisation, sont restés étrangement discrets. Christelle Gervaise, l’épouse d’Alban Gervaise, a formellement démenti le 5 septembre dernier, sur son compte Facebook, avoir refusé la médiatisation de l’affaire et a précisé que son message rectificatif pouvait être partagé. À ma connaissance, aucun média mainstream n’a repris cette information – ce qui nous renseigne une fois de plus sur certaines pratiques d’occultation de la vérité.

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Comme Céline Pina, je ne crois pas que la mort de Lola amènera à une prise de conscience. D’abord, parce que le plan d’occultation de la vérité qui a si bien marché pour les crimes évoqués plus haut est déjà en marche pour la malheureuse Lola[2] et aboutira, d’une manière ou d’une autre, au même résultat. Ensuite, parce qu’une grande partie des « élites » universitaires, intellectuelles, médiatiques et politiques ne semble nullement s’inquiéter des bouleversements civilisationnels provoqués par la multiethnicisation et la tribalisation de la société française. Plus inquiétant encore, majoritairement, les plus jeunes générations issues des classes moyennes et poursuivant des études universitaires ne savent presque rien de ce qui se trame réellement en France. Les médias qu’elles consultent n’abordent les sujets qui fâchent qu’avec la plus grande parcimonie, trop occupés qu’ils sont à promouvoir « l’ouverture à l’autre » et à dénoncer la « fachosphère ». De plus, l’idéologie écologiste inculquée à l’école et dans les médias a totalement anesthésié ces jeunes gens qui surveillent la consommation d’eau et d’électricité de leurs compatriotes, amis ou parents, calculent leurs bilans carbone et ne jurent que par les éoliennes, le végétarisme et la décroissance, mais ignorent tout des problèmes auxquels la France et l’Europe sont d’ores et déjà confrontés en termes d’immigration. Dressés depuis leur plus jeune âge au binarisme conflictuel, sectaire et imbécile (dominants/dominés, Blancs/“racisés”, hommes/femmes, hétéros/LGBT, beaufs/écolos), à l’acceptation du contrôle social auquel ils participent en tant qu’agents d’application des idéologies les plus mortifères (celles sur le genre ou le climat, entre autres), au refus de préserver tout ce qui a fait la beauté et la grandeur de leur pays, ces jeunes gens, à l’instar des étudiants de Sciences Po, ont voté majoritairement Mélenchon lors de la dernière élection présidentielle. Militants, ils sont aujourd’hui les propagandistes de l’idéologie gauchiste, écologiste, wokiste et immigrationniste. Ils seront bientôt les professeurs, journalistes, universitaires et responsables politiques qui donneront le la en matière d’éducation de la population. Ils seront demain les nouvelles « autorités d’occultation », pour dire comme Gilles-William Goldnadel. Car rien ne devra entraver un multiculturalisme qu’ils considèrent comme un bienfait ; aucune ville mise à sac ne pourra les empêcher de promouvoir un « vivre ensemble » qu’ils exporteront jusque dans les coins les plus reculés de l’hexagone ; aucune Lola ne les détournera des discours lénifiants sur l’immigration qui est « une chance pour la France ». Entre deux lâchetés (ou « accommodements raisonnables ») face à l’islam prosélyte, l’élite wokiste, européiste et immigrationniste réclamera de nouvelles lois « progressistes », intersectionnellement diversitaires, pro-genres et écologistes. Parallèlement à ce basculement civilisationnel, la barbarie tribale continuera de gagner du terrain. Je ne vois rien, pour le moment, qui puisse contredire cette vision funeste. Le pire est donc encore à venir.


[1] France Inter, édito politique de la Matinale du 20 octobre 2022.

[2] Pour s’en convaincre, il suffit de lire, par exemple, l’éditorial du Monde du 25 octobre intitulé « Obsèques de Lola : la mort d’une enfant, de l’émotion à l’exploitation ». « Indigne », « cynique », « discours sécuritaires », « articles haineux », « scandaleux », autant de syntagmes qui ponctuent l’article d’un journal qui n’a sans doute pas apprécié de devoir écrire sur un « fait divers » auquel il destinait vraisemblablement le même traitement discret, pour ne pas dire furtif, que celui qu’il a appliqué à tous les « faits divers » évoqués ci-dessus.

Brésil : le retour de la monarchie impériale ?

Le 7 septembre 2022, en pleine campagne présidentielle, le Brésil a commémoré le bicentenaire de son indépendance. En grande pompe. Dans la tribune d’honneur, aux côtés de Jair Bolsonaro, un homme est tout sourire devant le spectacle qui s’offre à lui. Dom Bertrand d’Orléans-Bragance est le descendant des empereurs brésiliens qui ont régné entre 1822 et 1889. Il est à la tête du mouvement monarchiste qui agit comme une ombre constante derrière le dirigeant sortant et qui s’est progressivement imposé durant tout le premier mandat de ce dernier. Aujourd’hui, il œuvre pour sa réélection.


En juin 2022, São Paulo a accueilli un congrès anodin. Réunis dans un hôtel de la capitale de l’État du même nom, des centaines de personnes se sont rassemblées afin d’accueillir des hôtes de marque. Face à la tribune centrale, un drapeau aux couleurs de l’Empire brésilien. Le Brésil n’a connu que deux empereurs, Dom Pedro Ier et Dom Pedro II, aux styles différents, mais dont les règnes (entre 1822 et 1889) ont marqué le subconscient des habitants de ce pays d’Amérique du Sud, le plus grand du continent. En entrant dans la salle de réunion de l’hôtel, Dom Bertrand d’Orléans-Bragance, héritier au trône, est chaleureusement applaudi par les participants. Tous sont convaincus que les maux du Brésil se volatiliseront avec le retour de la monarchie.

À 81 ans, l’héritier au trône peut se réjouir des résultats accomplis. Avec l’arrivée au pouvoir du président Jair Bolsonaro, ce sont ses idées conservatrices qui ont triomphé au Brésil et qui ont pénétré dans les plus hautes sphères politiques du pays. Dans l’ombre du tonitruant leader d’extrême-droite, Olavo de Carvalho, un essayiste devenu une référence chez les traditionalistes. Considéré comme le gourou du gouvernement, il dénonce régulièrement la « pensée unique de la gauche » et le marxisme culturel dans les médias et universités du pays. Rejetant la théorie darwiniste de l’évolution, il est celui qui a favorisé la nomination d’Abraham Weintraub, ministre de l’Éducation (2019-2020,) et d’Ernesto Araujo, ministre des Affaires étrangères (2019-2021), deux monarchistes notoires. Ce dernier a même organisé une rencontre, quelques jours après sa nomination, avec le prétendant au trône et quelques élus du parlement acquis à sa cause. Olavo de Carvalho, qui est également un partisan acharné du retour de la monarchie, n’a pas hésité à proclamer en 2016 sur son compte Twitter qu’il « se tiendrait aux côtés de la maison impériale si celle-ci se bat pour la restauration ».

Les élections générales de 2017 ont marqué le retour des monarchistes au parlement. Parmi lesquels le neveu du prétendant au trône, le prince Luiz-Philippe d’Orléans-Bragance, un temps pressenti pour prendre la vice-présidence du gouvernement. Non-dynaste, il est actuellement considéré comme le dauphin de Jair Bolsonarao avec lequel il s’affiche régulièrement. Le descendant de Dom Pedro II est un monarchiste passionné et à l’origine d’un projet de constitution commandé par le président brésilien lui-même, où l’on retrouve en bonne place la possibilité de restaurer la monarchie. Infatigable parlementaire, il tweete aussi vite qu’il instagrame, suivi par des centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux dont il se méfie pourtant. D’ailleurs, ce nationaliste n’a pas hésité à signer un accord d’association avec l’ancien président américain, Donald Trump, et accepté un poste de directeur financier au sein d’un nouveau groupe, né de la fusion de Digital World Acquisition Group, de Trump Media et de Technology Group, qui a donné naissance au réseau social Truth Social. Les cibles du prince: les partis de gauche en Amérique du Sud et l’ancien président Lula da Silva, qui va affronter Bolsonaro au second tour de l’élection présidentielle prévu le 30 octobre prochain.

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Le groupe monarchiste parlementaire compte 15 députés, élus sous diverses couleurs politiques, qui se sont affichés avec un drapeau impérial, et qui ont même réussi à l’imposer comme emblème national dans l’État de Rondônia. Tant et si bien, qu’une pétition (ayant recueilli le quorum obligatoire) a été vainement soumise au Sénat afin que la chambre accepte de valider la mise en place d’un référendum sur le rétablissement de la monarchie. Une question qui a été déjà posée aux Brésiliens en 1993, mais qui n’avait recueilli que 13% des voix en sa faveur. Un échec pour la maison impériale, principalement expliqué par de profondes divisions internes et les manœuvres des partis républicains qui se sont ligués pour couper l’herbe sous les pieds des monarchistes au moment où les sondages se montraient largement favorables à l’idée monarchique (aujourd’hui, on évoque 20% des Brésiliens qui souhaiteraient le retour d’un « imperador »). Un groupe royaliste se maintient puisque certains d’entre eux ont été réélus lors de la dernière élection législative d’octobre 2022. Ils siégeront aux côtés du Parti Libéral de Bolsonaro (dont quelques-uns sont des membres notables, comme la journaliste Carla Zambelli, pasionaria monarchiste) et leurs alliés qui dominent toujours le Congrès et le Sénat.

Face à ce succès qui se poursuit, Dom Bertrand se veut confiant dans l’avenir. En marge de sa rencontre avec les élus de la République au ministère des Affaires étrangères, il avait déclaré à la presse « avoir trouvé des interlocuteurs qui partagent ses positions, en complète harmonie ». Francophone, le prince impérial est le coordinateur et le porte-parole de Paz no campo (Paix dans les champs), un mouvement qui défend les propriétaires terriens contre les « sans-terre » et les Indiens dont il souhaite l’évangélisation générale. Membre du mouvement ultra-catholique Tradition, famille et propriété (TFP) qui rejette l’esprit de 1789, Dom Bertrand est un opposant au mariage pour tous. Il a d’ailleurs participé aux rassemblements français de la Manif’ pour tous en 2013, considérant « l’homosexualité comme une déviance telle que la doctrine catholique le perçoit », souhaitant l’abolition du divorce (c’est un célibataire endurci) et la fin du droit à l’avortement… Auteur d’un livre très controversé, intitulé Psicose Ambientalista (Psychose Environnementaliste), cet ancien réserviste de l’air, très introduit dans les milieux militaires (dans les années 1980, ils ont offert une couronne à son père), dénonce régulièrement les thèses sur le réchauffement climatique, « ces canulars créés par les écologistes radicaux et par les éco-terroristes » selon lui.

Des thèses et des positions qui font écho aux propos tenus à diverses reprises par Jair Bolsonaro. Reçu au palais présidentiel le 22 août dernier, Dom Bertrand d’Orléans-Bragance a été un invité d’honneur, installée dans la tribune présidentielle, pour les festivités du bicentenaire de l’indépendance. Une proximité qui ne fait pourtant pas l’unanimité au sein de la maison impériale. Une partie de ses membres déplore publiquement ce soutien à Bolsonaro, estimant que ce manque de neutralité est contre-productif pour l’idée monarchique et que le mélange des genres ne permettra pas la restauration de l’institution impériale à court terme.

« The Car »: nouvel album en cinémascope des Arctic Monkeys

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Le groupe de rock anglais, originaire de Sheffield, continue sa nouvelle veine : la création, non d’une suite de chansons, mais de toute une atmosphère sensuelle qui vous donne une envie furieuse de vous rendre dans un bar à cocktails sophistiqué de l’imagination.


J’ai toujours eu besoin d’orchestrer ma vie. Je ne crois pas manquer de naturel, mais il me faut sans cesse faire un pas de côté pour ne pas prendre en pleine poire le train sordide du quotidien et en succomber. Chacun sa méthode. Adolescent, plein d’idéal et de mélancolie furieuse, je remontais les rues en direction du lycée, me recoiffant dans les vitres des banques, demandant des cigarettes aux fumeurs, préparant mon arrivée dans la cour comme un comédien dans sa loge. Oui, être jeune c’est mélanger sans mesure l’ardeur et le grotesque avec un esprit de sérieux dissimulé derrière le fard de l’ironie. Pour que l’orchestration soit réussie, la musique est bien sûr essentielle. Ainsi c’était avec cette musique dans les oreilles que je pénétrais dans les lieux nouveaux. Le terne des jours se transformait alors, comme par magie, en une explosion d’émotions distordues. Les yeux en guise de caméra, mes pas devenaient d’étranges travelings, les passants des figurants d’un film plus ou moins réaliste. Mais pour que l’illusion soit parfaite, il faut le bon titre. Les Arctic Monkeys nous donnent mieux que ça. Depuis le 21 octobre et la sortie de leur album sobrement intitulé The Car, c’est dix admirables chansons en cinémascope qui nous sont offertes.

Rembobinons un instant. Nous sommes en 2006 et cinq gamins anglais venus de Sheffield cartonnent dans les charts. 400.000 exemplaires de leur premier album sont vendus en une semaine. Rien ne les distingue vraiment d’autres lads (jeunes)qui fréquentent les mêmes pubs, portent les mêmes vêtements, draguent les mêmes filles et se coiffent de la même façon. Rien, excepté un talent, une fougue et une flamme juvéniles que l’on n’avait pas rencontrés depuis l’album Up The Bracket des Libertines en 2002 (dont nous fêtons les 20 ans). Nés autour de la sortie de Nevermind de Nirvana en 1991, mes amis et moi-même étions trop jeunes pour profiter pleinement de cette fantastique vague de groupes comme les Strokes, les Libertines donc, les White Stripes ou Franz Ferdinand. Avec la naissance et le succès des Arctic Monkeys, une chance nous était donnée de prendre un nouveau wagon : nous ne le laisserions pas passer. L’année 2006 fut pour beaucoup d’entre nous une aube explosive, une prodigieuse renaissance.

Sans jamais se prendre les pieds dans le tapis (ni rater une marche), la bande d’Alex Turner a su, grâce à un sens du travail bien fait, un bon goût indiscutable et un indéniable talent, se renouveler sans cesse album après album. De Favorite Worst Nightmare et ses riffs à tremolos horrifiques associés à des mélodies diablement efficaces, jusqu’au merveilleux Suck It And See, composé avec une divine simplicité et produit par Josh Homme des Queens Of The Stone Age, les Arctic Monkeys sont devenus des maîtres incontournables. En 2013, avec la sortie d’AM, ils vont encore plus loin et obtiennent un succès foudroyant qui leur permet de toucher un nouveau public. Avec des singles comme « I Wanna Be Yours » ou « Do I Wanna Know » qui dépassent le milliard d’écoutes, les Arctic Monkeys sont désormais les rois du rock’n’roll des années 2010. La génération qui avait raté le train de 2006 découvre l’existence de ces garnements de Sheffield qui sont depuis devenus des stars internationales au même titre que Rihanna aujourd’hui et Bowie hier.

Si l’on sait qu’il est important d’être constant (Seigneur, donnez-moi la force de l’être !), alors il est important de dire qu’Alex Turner n’a jamais été un artiste inconséquent. Mieux que ça : il ne s’est jamais satisfait de ses glorieux lauriers et a passé son temps à métamorphoser sa grâce musicale en des formes sans cesse nouvelles. Depuis Tranquility Base Hotel & Casino en 2018, les Arctic Monkeys ont même pris un tournant qui a décontenancé nombre de leurs admirateurs. Ils n’en firent rien et prolongèrent ce qui leur semblait être la bonne route. De mon côté, ce virage pimenta ma passion pour eux. Patchworks parfaits de références et d’influences diverses rendues homogènes par la patte singulière d’Alex Turner, ces deux derniers albums cherchent moins à enchaîner les tubes qu’à rendre palpable une atmosphère. A la manière d’un film, encore une fois. On sait que le leader des Arctic Monkeys s’exprime de plus en plus souvent à propos de sa passion pour le cinéma. Matt Helders, son meilleur ami et batteur, lui, s’est passionné pour la photographie (nous lui devons la pochette de l’album The Car). Le groupe est donc soucieux d’esthétique. Depuis 2018, les disques des Arctic Monkeys sont des lieux, des odeurs, des couleurs plus qu’une succession de chansons. On regarde moins Apocalypse Now ou Orange Mécanique pour connaître le dénouement que pour être plongé dans un monde et une vision. Je crois qu’il en est de même pour l’album The Car.

Cet album, comme je le disais, divisera encore un peu plus, éloignera ceux qui veulent jouir instantanément d’un panier de mélodies efficaces plus que d’une ambiance dans laquelle se plonger. En ce sens, ce disque est plus proche de Melody Nelson ou de Diamond Dogs que de Revolver ou Definitely Maybe. Je le disais à un ami, une fois le vinyle de The Car posé sur la platine, j’ai envie d’enfiler un costume trois-pièces, de cirer mes chaussures et de partir armé de lunettes de soleil vers un bar enfumé pour y boire un rhum raffiné. Lorsque j’écoutais Melody Nelson à quatorze ans, je me plaçais devant un miroir, un coton-tige dans la bouche, mimant Gainsbourg et sa cigarette (les adolescents sont comiques malgré eux). Quelques mois plus tard, je devins fumeur. The Car est de cette race d’albums qui diffusent une influence comme le parfum voluptueux d’une femme le fait. En sa présence, tout change. Comme lorsque je mettais de la musique dans mes oreilles en marchant dans la rue et que ma démarche en était modifiée. Ainsi, The Car impose une attitude et c’est en cela que c’est un disque d’élite, un disque rare, un disque aristocratique, un classique instantané, comme le sont les grands films.

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Le « Petit manuel de postmodernisme illustré » par Shmuel Trigano : aux sources de la post-humanité contemporaine

Une nouvelle collection d‘opuscules publiés par les Editions Intervalles a pour ambition de nous aider à mieux comprendre les enjeux des guerres culturelles de notre époque. Le volume du professeur émérite de sociologie à l’Université Paris X – Nanterre met à nu les soubassements intellectuels de concepts aussi divers que pernicieux comme le décolonialisme, le genrisme ou l’antispécisme.


Autant de doctrines fomentées par un nouvel obscurantisme que les Lumières s’étaient pourtant jurées d’abattre. Ici comme ailleurs, la Révolution dévore ses propres enfants, et les lobotomisés des réseaux sociaux répandent leurs primitives vulgates au grand secours des Universités qui consacrent ces idéologies partisanes par une coupable onction scientifique. Comment l’esprit des Lumières a pu à ce point nous éblouir, nous autres post-modernes, dans la mesure où son éclat portait les promesses d’un homme amélioré par la Science, élevé par la Raison, et dressé par la bonne Éducation. Pourquoi Diderot, Rousseau et Voltaire ont-ils enfanté malgré eux des antimodernes intelligents et cultivés parce qu’ils étaient contre eux, et deux siècles plus tard des auteurs intellectuellement contraints par l’indigence poétique d’un XXe siècle étouffant ? C’est ce à quoi tente de répondre l’auteur.

Les canons de la déconstruction

Le professeur prend soin de commencer son analyse par le décorticage de la méthodologie suivie par ces courants sociologisants, avant de plonger son regard dans le contenu de ces idées prétendument nouvelles. « La réalité est ainsi devenue, pour la déconstruction, une fabrication littéraire », écrit-il, résumant ainsi la première partie de sa plaquette.

Il nous explique que les idées et les matrices qui organisent nos sociétés sont perçues comme des briques artificielles fondant l’édifice social. Selon les bons récitateurs de Bourdieu, tout étant social et donc politique, tout est une construction sociale, et tout peut se combattre par la politique. La différence notable avec leurs prédécesseurs marxistes réside dans le fait que ces théories dites « constructives » – attention à ce terme en trompe-l’œil, le constructivisme est précisément le courant qui vise à déconstruire ces objets d’études – n’admettent pas leur caractère politique. Nichée derrière la forteresse inexpugnable que constitue une chaire universitaire, ces fébriles apparences de scientificité les soustraient à l’arène politique. Rien n’est plus faux, et Monsieur Trigano a le mérite de le souligner.

Puisque tout n’est que fabrication littéraire, à ces analystes désenchantés, toute page insatisfaisante peut être déchirée puis autrement réécrite. L’histoire et le présent ne deviennent qu’un palimpseste sans signification propre. Ainsi le genrisme qui sévit actuellement s’explique par le fait que le genre est un construit social – ce que, au fond, l’on peut admettre. Il ne manque plus qu’une étape pour nier les données que fournit que la nature, comme l’appartenance sexuelle ou ethnique. C’est ainsi qu’après avoir contesté l’existence des genres, les théories qui s’en sont fait un domaine d’études propres ont pu conclure que le sexe non plus n’existe pas, et qu’un homme peut menstruer, qu’un Anglais peut devenir coréen par la chirurgie esthétique, ou encore qu’un humain peut se considérer comme un cerf ou un lézard.

Un univers idéologique bouleversé par une représentation intersectionnelle de la réalité

Puisque tout est déconstructible, alors les statues sont déboulonnables, les faits historiques remaniables, et les identités malléables. Ce n’est plus « l’homme est la mesure de toute chose » de Protagoras, c’est le « Je suis la mesure de toute chose » de l’homo consumericus au cerveau déconstruit. Selon l’auteur, la complémentarité entre les écoles néo-marxistes ou postmodernistes et la mondialisation aurait affaibli le principe même des frontières, cercle au sein duquel les cultures pouvaient éclore, pour se substituer à un grand communautarisme global où les minorités légitimes s’allient par-delà les Nations.

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Allant plus loin, Monsieur Trigano évoque une « extinction de l’espace et du temps », nous plongeant ainsi dans un monde atopique et achronique, où tout se créé, se perd et se transforme. C’est ici l’une des conséquences du désenchantement du monde dont parlait Weber, et de l’ère du vide que déplorait Lipovestsky. Mais rappelons, en invoquant l’histoire des idées, que Tocqueville avait déjà prédit cela en 1835 dans la conclusion de la Démocratie en Amérique : « La variété disparaît du sein de l’espèce humaine, les mêmes manières d’agir, de penser et de sentir se retrouvent dans tous les coins du monde ». Une magistrale prophétie que confirme le spectacle de ces petits contestataires wokiens qui croient s’agrandir par leur singularité, alors qu’ils se ressemblent tous. Ce qu’il faut également souligner, c’est que rien ne semble avoir changé depuis la Guerre Froide, en ce que les Etats-Unis nous exportent encore, par le truchement des luttes minoritaires, leur soft power sous-culturel.

Au final, la guerre contre le monde occidental

L’universitaire souligne cependant que, parallèlement à ce mouvement d’affirmation des ipséités identitaires propres à chaque minorité, s’esquisse en toute impunité un vaste élan d’essentialisation de l’homme blanc. Tandis que chacun revendique les meurtrissures que lui a laissées la cruauté de l’histoire, l’homme blanc n’est qu’un descendant d’esclavagistes. L’homme blanc serait ontologiquement oppressif : pour les femmes, pour les LGBTQI2SAA, pour les « racisés », et autres figures désormais érigées en Martyres et en Saints.

Le wokisme invente sa nouvelle religion, fondée sur trois volets selon l’auteur. Cette religion professe premièrement la post-humanité, en portant les couleurs du transhumanisme, de l’antispécisme et du genrisme. Il s’agit ici d’attaquer la racine de ce qui fonde l’identité humaine, à savoir son caractère naturel, sa place dans la chaîne alimentaire et le règne animal, et la dualité des sexes. Deuxièmement, indique l’auteur, ses apôtres défendent la post-nationalité, avec le décolonialisme, et le devoir de repentance infligé aux Blancs. Troisièmement, ils prêchent pour la post-démocratie, en soutenant le multiculturalisme et la juridicisation du politique – nous aurions plutôt tendance à dire la politisation du juridique, mais c’est un autre débat.

C’est ainsi que l’État de droit doit être ringardisé et la Justice court-circuitée, au profit d’un nouvel ordre moral plus conforme aux exigences de cette nouvelle tyrannie qu’un Nietzsche craignait déjà brillamment. L’Occident est manifestement la cible première, c’est lui qui doit consentir aux plus absurdes génuflexions face à des minorités qu’il a flétries jadis, et lui qui doit reconnaître qu’il jouit de privilèges fondés sur la race et la culture. Qui, un beau jour, aura la voix qui porte assez pour clamer qu’une des rares civilisations à avoir complètement aboli l’esclavage, c’est l’Occident ? Quand donc, au sein des rangs hurleurs de ces guévaristes fluorescents, leur rappellera que l’Arabie Saoudite n’a aboli l’esclavage qu’en 1962, Oman en 1970, et la Mauritanie en 1980, et plus généralement l’immensité de l’esclavage pratiqué dans le monde musulman bien avant les Européens, depuis le VIIe siècle ?

En somme, si l’auteur parvient à retracer la chaîne de causalité entre les utopies apparues au XVIe siècle, les totalitarismes de la première moitié du XXe siècle, les théoriciens déconstructeurs de sa seconde moitié (Foucault, Derrida, Deleuze et tout ce courant malheureux qualifié de French theory) et le wokisme intersectionnel d’aujourd’hui, l’on peut demeurer étonné que l’auteur s’étonne. Il y a dans cet ouvrage un soupçon d’universalisme déçu. Comme un républicain attristé de voir que les Droits de l’Homme sont à l’origine de la décadence du droit et de la fin de l’Homme. C’était pourtant inévitable, et, à remonter plus loin, l’on s’aperçoit que la philosophie nominaliste d’un Guillaume d’Occam énonçait déjà au XIVe siècle qu’il n’y a de réel que d’individuel, ce qui est aux fondements de la modernité philosophique, et qui préfigure l’individualisme.

Les Lumières et la Révolution, malgré leur apparence de rupture, ne sont que l’individualisme moderne niché derrière la boursouflure d’idées généreuses que l’on a cru bon d’inscrire dans le droit. Aussi, que l’utopisme a précédé l’obsession de l’Homme Nouveau des totalitarismes, c’est également une évidence, et il n’y a qu’un pas entre l’imagination littéraire d’un homme libre et bon, et le désir politique de le faire émerger. Aujourd’hui c’est le wokisme qui veut régénérer l’humanité; il y a cent ans, c’était le fascisme.

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Combat pour la sauvegarde des églises de France : entretien avec Raphaël Venault

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Raphaël Venault, président de Force Solidaire (mouvement politique français dont le patriotisme, le souverainisme et la méritocratie sont les fers de lance), nous parle de son combat pour la sauvegarde des églises de France.


CAUSEUR. Il y a un siècle environ, Maurice Barrès volait au secours des églises de France, menacées d’écroulements, de ruines et d’abandon à cause de multiples vides juridiques et à cause, hélas aussi, de l’hostilité antireligieuse de ceux qu’il appelait « les maires sectaires ». Son action en tant qu’écrivain et parlementaire a permis de faire évoluer les choses dans le bon sens. Aujourd’hui, vous reprenez le flambeau et continuez le combat pour la sauvegarde des églises de France. Cela signifie-t-il que ce combat est loin d’être gagné ?

RAPHAËL VENAULT. Dans l’indifférence générale, le 6 juillet, est sorti un rapport sénatorial sur l’état du patrimoine religieux en France. En 2030 jusqu’à 5000 églises pourraient être abandonnées ou détruites. C’est effroyable. Dernier exemple en date : l’église Saint-Wulphy à Rue, fermée pour cause d’effondrement d’une partie du plafond. L’Observatoire du Patrimoine Religieux recense sur son site les églises menacées ou en cours de démolition. Face à l’urgence il faut de nouvelles solutions, le combat n’est pas gagné car la menace évolue. Maurice Barrès luttait contre les anticléricaux, les maires sectaires, dans le contexte d’une France en voie de sécularisation mais où la France de Jeanne était aussi forte que la France de Marianne, surtout dans les campagnes. Grâce à ses efforts, ses textes et ses discours, il y a eu une nette évolution dans les moyens juridiques pour protéger nos églises. Mais le contexte aujourd’hui est différent, la sécularisation est quasiment actée. Nous possédons le deuxième patrimoine religieux d’Europe, derrière l’Italie, permettez-moi d’affirmer que ces places seraient sans doute changées si la Révolution et son œuvre destructrice n’était pas passée par là. Parallèlement nous avons la deuxième communauté de chrétiens les moins pratiquants d’Europe, après les Danois. Nos églises sont menacées car elles ne sont pas fréquentées, mais la sécularisation, le baisse du nombre de prêtres, la fusion des communes sont autant de menaces. De même le déracinement que dénonçait déjà Barrès dans sa trilogie de l’énergie nationale a atteint une tout autre envergure. Les menaces sur notre identité sont plus puissantes que jamais : l’immigration massive, la mondialisation débridée et son américanisation par le divertissement, l’individualisme… Pourtant des monuments se dressent, pour nous rappeler dans chaque commune qui nous sommes : les églises paroissiales. Il faut les maintenir pour maintenir l’espoir. 

La loi permet que les autorités locales, municipales notamment, s’emparent efficacement de la question. Mais vous avez constaté que beaucoup d’élus locaux sont mal renseignés et mal formés pour défendre le patrimoine, y compris lorsqu’ils le voudraient. Comment les aider ?

Depuis 1908, l’ensemble des églises paroissiales construites avant 1905 (y compris celles reconstruites après les destructions des guerres mondiales) appartiennent aux communes. La loi donne de nombreux outils pour que les autorités locales se saisissent de la question. Cependant plusieurs problèmes se posent. Tout d’abord la multiplicité des acteurs qui peuvent intervenir : un maire qui aimerait rénover son église peut utiliser les fonds de dotation de l’État au développement local (DETR et DSIL), il peut s’adresser au conseil départemental et au conseil régional pour obtenir des fonds (à noter que chaque région ou département fonctionne comme il le souhaite, ce qui ne facilite pas la lisibilité pour les maires), il peut solliciter des associations ou des entreprises… le loto du Patrimoine, la Fondation du Patrimoine, la Sauvegarde de l’Art Français, Dartagnans…Tout cela pour le seul financement ! Ajoutons les acteurs à solliciter pour mener à bien la rénovation : l’architecte des bâtiments de France, les conservations régionales des monuments historiques… Un vrai labyrinthe à rendre fou n’importe quel maire peu à l’aise avec ces questions. Autre problème plus terre-à-terre: l’obstacle financier. D’après l’article L.1111-10 du code général des collectivités territoriales, la participation du maître d’ouvrage (ici la mairie) est de minimum 20% du montant total des financements apportés par des personnes publiques au projet. Pour certaines communes rurales avec peu de moyens, financer la rénovation de leur église n’est que rarement la priorité. Chez Force Solidaire nous proposons ainsi de confier aux départements la responsabilité du financement de la rénovation des églises (avec la participation financière de l’État et de la région) pour concilier moyens et proximité, en relation directe avec les CAUE (conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement) qui seront chargés de surveiller l’état des églises du département. Les maires n’auront plus qu’à diriger et surveiller les opérations de rénovations. En attendant que cela soit mis en place, il faut aider les maires directement en les rapprochant des associations spécialistes de ces sujets : la Sauvegarde de l’Art Français et la Fondation du Patrimoine qui les aideront à constituer leurs dossiers et à obtenir des financements. J’invite plus simplement tous les Français à fréquenter leurs églises, à connaître leur histoire, à signaler à leurs maires toute dégradation et à se porter volontaires pour maintenir les églises ouvertes. Ouvrir une église, c’est faire respirer la France.

Comment réagissent les élus que vous approchez en général ? Sont-ils plutôt réceptifs ?

J’ai discuté avec plusieurs élus locaux que j’ai contactés ou qui m’ont contacté. Je peux affirmer qu’ils sont tous attentifs à l’état de leur église. Souvent les obstacles sont plus financiers et techniques que de l’ordre de la volonté. Les Français et les élus sont attachés à leurs églises, elles leur rappellent qui ils sont et les élèvent tous vers plus grand. L’église du village, c’est le monument à échelle locale que tout le monde connaît, c’est un peu de beau offert à tous, une chance pour chacun de s’enraciner et de se rappeler notre histoire locale et nationale. Aussi un maire inactif face à la mort d’une église ferait face à une nette opposition. Cependant les difficultés financières et la moindre fréquentation des églises font que l’on attend souvent que le mal soit déjà avancé pour réagir. De même, lorsqu’une commune a plusieurs églises sur son territoire, des maires peuvent en négliger une au profit de l’autre. Ce phénomène s’est accentué avec la fusion des communes.

Par quel moyen un élu qui voudrait vous contacter pour solliciter votre aide pourrait-il le faire ? 

Si un élu souhaite me contacter il peut le faire via Twitter, j’essaie de m’y connecter une fois par jour pour répondre aux messages privés. Il est aussi possible de me contacter par courriel à veault.raphael@forcesolidaire.fr. Mon association Force Solidaire est un mouvement politique qui a pour vocation la défense de l’identité et de la souveraineté de la France, ainsi que la promotion de sa puissance. Nous ne sommes pas une association de défense des églises, et j’invite les élus à se diriger prioritairement vers les associations spécialisées : la Sauvegarde de l’Art français et la Fondation du Patrimoine. Je peux cependant aider des élus en difficulté pour les accompagner dans leurs démarches, je peux aussi faire la promotion d’un financement participatif, comme je l’ai fait pour l’église Saint-Georges de Bouzemont.

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Contrairement à ce que l’on pourrait croire, tous les monuments religieux, même lorsqu’ils sont très anciens, ne sont pas protégés par le label « Monument historique ». Quelles différences de traitement existe-t-il entre les monuments protégés et les autres ?  

Seuls 15 000 édifices religieux bénéficient d’une protection au titre des monuments historiques pour environ 100 000 édifices religieux tout culte confondu (écrasante majorité catholique) et tout état confondu. La base Mérimée répertorie déjà 8000 autres édifices non protégés qui ont une valeur architecturale et historique certaine. Mais au-delà de ces considérations, « Qui peut donc juger de leur prix, et la plus modeste n’est-elle pas infiniment plus précieuse sur place ? Que m’importe que vous conserviez une église plus belle à Toulouse, si vous jetez bas l’église de mon village ? » demandait Maurice Barrès dans une lettre à Aristide Briand. Certaines églises, certaines cathédrales ou chapelles ont évidemment une valeur architecturale plus importante que d’autres, certaines sont singulières, uniques, d’autres banales sur ce plan. Mais aucune n’est banale dans le cœur de qui la connaît. L’église de son village est bien plus importante pour chacun que ne l’est une plus belle église lointaine. Le maillage fin de nos églises est le marqueur de notre identité à travers tout notre territoire national. Il faut les préserver, toutes. 

La plus grande différence de traitement entre les églises protégées et les autres réside dans l’obligation de rénovation des églises protégées. En dehors de l’Alsace-Moselle du fait du régime concordataire, les maires n’ont aucune obligation législative de prendre soin de leurs églises, sauf en cas de menace pour la sécurité des habitants. Aussi l’État n’apporte un soutien financier spécifique aux communes pour la rénovation des églises que si celles-ci sont protégées. Même si les départements et les régions sont libres d’accorder des aides financières ou non, pour beaucoup de localités les aides ne sont ouvertes que pour les monuments protégés. Il faut saluer les régions et les départements qui en font plus, particulièrement le département des Yvelines qui est exemplaire sur la question avec son dispositif de conservation préventive des édifices historiques (qui concerne tous les édifices d’intérêt patrimonial, protégés ou non). Chez Force Solidaire nous proposons soit de classer l’intégralité des églises d’avant 1905 au titre des monuments historiques, ou au moins leur inscription, soit de créer un régime à part pour protéger tous ces édifices. Cette solution n’est possible que si le ministère de la culture mène un inventaire complet de nos églises de France. Aussi absurde que cela puisse paraître, nous ignorons combien exactement nous avons d’églises sur notre territoire. Le dernier recensement de ce genre a été mené dans les années 80 et est largement lacunaire. Il est capital de connaître notre patrimoine pour mieux le protéger. Chers lecteurs, si vous souhaitez agir pour la cause, écrivez à votre député pour qu’il fasse remonter cette demande au ministère.

Une région s’en sort mieux en matière de protection des églises rurales, nous l’avons évoqué, il s’agit de l’Alsace-Moselle du fait du régime concordataire. Il est nécessaire de s’interroger sur le choix, en France, de la laïcité et sur la pertinence du régime de séparation des Églises et de l’État au regard des défis contemporains : l’islamisation au premier chef qui ne se posait évidemment pas à l’époque. Contrairement à ce que certains affirment, la France, ça n’est pas la laïcité, sinon la France n’existait pas avant 1905, absurde. La France est catholique, pour autant un caractère de notre identité est l’affranchissement de la religion catholique dans le domaine politique dont la laïcité n’en est qu’une illustration. La France a connu d’autres illustrations de ce trait : la politique des rois capétiens (Philippe le Bel, Saint-Louis) dont on ne peut nier la catholicité, le Gallicanisme de Bossuet, puis le régime concordataire. Le Gallicanisme avait comme avantage indéniable qu’il s’agissait d’une doctrine politique dans un cadre catholique. Moins radical, le Concordat avait le mérite de donner le titre au Catholicisme de « Religion de la majorité des Français ». Le tort de la laïcité de 1905, c’est qu’elle renvoie toutes les religions à la même hauteur, ce qui est criminel compte tenu de l’importance du catholicisme dans la formation de l’identité française. 

Dans le rapport du Sénat, il est proposé de favoriser les usages partagés pour garantir la survie des églises peu fréquentées. C’est à dire dans un premier temps développer le tourisme et la visite des églises, ce qui peut se faire à l’aide de bénévoles locaux, mais aussi de proposer des activités culturelles : expositions, concert de musique savante… Tout cela doit se faire avec l’accord de l’affectataire et dans le respect du bâtiment, il n’est pas question ici de prendre exemple sur le défilé des joueuses de handball dans la cathédrale de Metz ce 5 septembre dernier. Dire usages partagés c’est aussi remettre l’église au milieu du village : avant la Révolution les églises servaient à de multiples usages, c’était un lieu de rencontre, un lieu d’accueil des plus fragiles… Redonner aux églises leur place dans les villages c’est aussi favoriser ces actions sociales nécessaires, et cela sera facilité avec une remise en question du régime de 1905, en donnant un réel statut, à part et utile, à l’Église catholique en France.

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Quels arguments déployer pour sensibiliser ceux, élus ou non, que la cause des églises indiffère ?  

Les Français aiment leur patrimoine, les Français aiment leurs églises et ce qu’elles représentent. Il faut insister sur l’importance que revêtent ces églises dans notre enracinement local et spirituel. Au-delà de la simple question religieuse il y a une question d’identité et de culture. Marcel Proust ne parlait-il pas de la France des clochers ? Sept villes en France portent le surnom de « ville aux cent clochers » (Dijon, Caen, Troyes, Arras, Poitiers, Reims, Rouen), le nom de rue le plus donné en France est « Rue de l’église ». Les églises expriment toutes les diversités architecturales locales, elles étaient présentes dans nos communes avant la mairie, elles sont la marque de notre grande histoire, elles sont des lieux de rencontre et de partage. Puisque je ne ferai jamais mieux que paraphraser Maurice Barrès, je préfère le citer : « Elles sont la voix, le chant de notre terre, une voix sortie du sol où elles s’appuient, une voix du temps où elles furent construites et du peuple qui les voulut».

Malgré ces faits et ces mots, certains restent de marbre, voire jouissent, face à la destruction de ce qui nous représente, à l’image de cette représentante de l’UNEF qui qualifiait de « délire de petits blancs » l’émotion de nos compatriotes face à l’incendie de Notre-Dame de Paris. Qui reste indifférent au sort de nos églises ne peut plus être convaincu, c’est un ennemi qu’il faut combattre et marginaliser politiquement. 

A consulter: sur Twitter, @Raphael_Venault ou en suivant le hashtag #SauverLesClochers

Site web: forcesolidaire.fr

Des textes de Maurice Barrès, dont La grande pitié des églises de France, sont re-publiés par la maison d’édition de Force solidaire, La délégation des siècles.

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Le ministre Pap Ndiaye est-il le monsieur Jourdain de l’idéologie ?

Pris dans une polémique qu’il avait lui-même déclenchée en affichant son mépris pour Éric Zemmour, le ministre de l’Éducation a dû se justifier de l’accusation d’être un idéologue lancée en réplique par l’auteur du Suicide français.


Pap Ndiaye a prétendu que le fait d’être historien le préservait de toute idéologie. Curieux raisonnement de la part d’un chercheur qui ne devrait pas ignorer que l’idéologie n’est nullement absente de l’université. Assurément, le fait de se prévaloir de la qualité d’historien n’est pas en soi un gage suffisant de neutralité idéologique.

Tout s’explique lorsqu’on observe avec quel recul le ministre de l’Éducation accueille une certaine prose universitaire dénoncée par son prédécesseur. Voici le discours qu’il tient en 2019 lors d’une conférence à Sciences Po : « Du côté des sciences sociales, je ne connais pas un chercheur ou une chercheuse qui validerait la notion de racisme anti-Blancs. Donc la notion de racisme anti-Blancs, elle est ridicule ; elle est même, si vous voulez, biaisée d’un point de vue analytique ».Et voilà l’historien immergé dans une idéologie racialiste érigée en science, comme le marxisme en son temps, au point qu’elle lui soit aussi naturelle que l’air qu’il respire. Pap Ndiaye serait même allé, si l’on en croit Alain Finkielkraut, jusqu’à déclarer : « Les insultes et les agressions contre les Blancs ne sont pas du racisme, car elles ne modifient pas leur trajectoire personnelle étant membre du peuple dominant » (« La France insoumise, c’est le nom que se donne la France soumise à l’islamisme », propos recueillis par Alexandre Devecchio, Le Figaro, 24192, 2 juin 2022).

Bien sûr que Pap Ndiaye est un idéologue. Sur le strict plan juridique, je ne sache pas, en effet, qu’il suffise que la victime soit blanche pour que son agresseur jouisse d’une immunité pénale en matière de racisme. De brillants cerveaux démontreront que c’est justement la marque d’un État postcolonial structurellement raciste, soit l’argumentaire parfaitement – et détestablement – idéologique de l’indigénisme. Au nom du concept de racisme que notre ministre partage avec ces énergumènes, il conviendrait en toute logique d’interdire qu’on puisse porter plainte devant la justice pour des faits de racisme dès lors qu’on est blanc. Est-ce le genre de projet de loi que Pap Ndiaye pourrait soutenir ? J’ose croire que non, et c’est là sans doute le plus cinglant désaveu qu’il puisse infliger à sa propre idéologie.

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Qu’est-ce qu’une Nation ? Entretien avec Didier Lemaire

Après sa Lettre d’un hussard de la République, l’ancien professeur de Trappes, Didier Lemaire, qui avait lancé l’alerte sur la radicalisation de la ville, précise sa pensée et remet, si l’on peut dire, l’église au centre du village, en publiant une Petite Philosophie de la Nation visant à nous rappeler ce qui est censé tous nous unir et ce qui menace le socle même de notre union. Quoi de plus efficace et pédagogique que la philosophie pour redéfinir les mots et les concepts qui cimentent notre quotidien mais semblent plus que jamais nous échapper ?


CAUSEUR. Didier Lemaire, notre époque sait-elle encore ce qu’est une nation, ce qui la constitue et pourquoi il faut la défendre ?

DIDIER LEMAIRE. Quand j’ai commencé à réfléchir à cette notion, je me suis rendu compte que celle-ci n’allait pas de soi. C’était une notion pour moi assez vague, évoquant à la fois des périodes historiques marquées par la violence et l’union des citoyens au-delà de leurs inclinations politiques. Notre époque semble l’assimiler à la population d’un « territoire », comme si elle n’était en rien essentielle à la démocratie et à la République. En creusant la question, je suis allé de découverte en découverte. En tout cas, aujourd’hui, nous ne semblons pas seulement avoir oublié le sens de la nation : nous l’avons abandonnée à différentes forces qui sont en train de la détruire. Si j’ai essayé, dans mon livre, d’en construire un concept philosophique rigoureux, c’est qu’il m’a paru que cette démarche était un préalable indispensable si nous voulons réparer la nation.

Vous rappelez aussi que la Nation fut historiquement une invention de gauche, durant la Révolution française. Et vous accusez cette même gauche d’avoir finalement abandonné la question de la nation aux nationalistes.

Oui, c’est la gauche qui a inventé la nation : c’est la partie gauche de l’Assemblée nationale qui a décidé en effet que cette assemblée, qui réunissait pour la première fois l’aristocratie, le clergé et le tiers état, deviendrait désormais souveraine et que ni le roi ni la religion ne lui dicterait plus ses lois. Peut-être serait-il plus juste de dire que c’est la nation qui a inventé la gauche. La gauche n’existait pas avant ce vote. Or, pour que le vieil ordre politique craquât et qu’une telle fusion entre ces trois groupes sociaux hétéronomes se produisÎt, il fallut que la société fut déjà profondément transformée. La nation fut une invention, née de l’humanisme, qui considéra les hommes, pour la première fois dans l’histoire, comme des individus. C’est sur la base de la singularité de chaque être humain qu’elle réunit les hommes, et non plus sur celle d’une identité sociale préétablie. Étrangement, c’est ce que la gauche a oublié aujourd’hui, en revenant aux vieilles lunes marxistes. Celles d’une société réduite aux rapports de domination, non plus de classes, mais de races, de religions, de genres et de je ne sais encore quelles « identités ». Pour elle, la nation serait ce que les nationalistes en disent. C’est non seulement faux, comme je le démontre dans mon livre, mais c’est aussi une façon de remettre en cause sa légitimité.

Vous écrivez que “l’égalité veut dire, de la façon la plus générale, ce qui a une même valeur. Être égal, ce n’est pas être identique.” Est ce qu’on est en train, en ce moment, de détourner cette définition de l’égalité ?

Ce qui fonde l’égale valeur de chaque individu, et de chaque citoyen, c’est le fait qu’il soit considéré d’abord comme une personne, c’est-à-dire un sujet doué de pensée, et non une chose, déterminée à être ce qu’elle est en fonction de son origine et de déterminations extérieures. Cette idée semble à présent oubliée. Cet oubli a vraisemblablement été le résultat de la promotion du « droit à la différence » qui remit en cause le droit à l’indifférence propre à l’égalité. Pendant ce temps-là, la gauche au pouvoir entreprit le démantèlement des services publics et la désindustrialisation de la France, mettant à mal l’égalité réelle des citoyens. Cette façon de traiter les individus selon leur supposée « origine » n’est cependant pas propre à la gauche. Elle est partagée par les nationalistes et même par cette sorte d’agglomérat de communicants et de technocrates qui nous gouvernent et qui prônent le « multiculturalisme ». Comme si les hommes devaient être avant tout considérés par leur origine et leur supposée « identité ». Nous arrivons, il me semble, à un point de rupture dans notre histoire. Non seulement nous ne savons plus ce qu’est la nation, mais nous ne voulons plus être une nation. Quel paradoxe pour une nation dont la culture fut sans doute l’une des plus individualistes de toutes !

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Est-ce qu’il n’y a pas eu aussi une volonté de faire passer la nation pour un concept démodé, dépassé, archaïque ? Nous sommes nombreux à avoir grandi avec cette idée que les intérêts de la nation seraient de toute façon vite dépassés par des intérêts supranationaux.

Après le démantèlement par la gauche, puis par la droite, des services publics, il fallut sans doute vendre un nouvel horizon aux Français. Ce fut celui de l’Europe économique et de la mondialisation. Sous couvert du progrès économique, on fit passer la nation pour une chose du passée. Un discours d’autant plus efficace qu’en laissant la nation aux nationalistes, on pouvait en faire un repoussoir… On renonça donc à notre souveraineté nationale, on ouvrit nos frontières, on accueillit même les islamistes à bras ouverts, et notre pays devint peu à peu un «territoire», un espace purement administratif dans lequel n’importe quel groupe vient comme il est, impose ses mœurs et ses lois, y compris quand celles-ci vont à l’encontre de nos principes de liberté et d’égalité. Sous couvert de tolérance, les gagnants de la mondialisation et la petite classe moyenne éduquée triomphèrent.

Vous rappelez dans votre livre que la nation se fonde historiquement sur l’intérêt pour l’individu, cet être singulier. Le recul de la nation irait donc de pair avec le recul de l’individu, selon vous ?

C’est le cœur de mon livre. J’ai montré que cette invention coïncida d’abord avec l’émergence de l’individu puis avec la conscience plus ou moins claire que la société n’est pas un ordre supérieur à l’individu puisqu’elle consiste, essentiellement, dans des rapports de solidarité, d’obligations réciproques, où chacun reçoit et donne à son tour. La nation fut ainsi, selon Mauss, la manifestation d’un « sens du social ». C’est la raison pour laquelle cette communauté de citoyens libres et égaux se donna des services publics, régaliens ou sociaux. On ne peut, à mon avis, comprendre le recul de l’individu et cette obsession pour les identités qui traverse actuellement le débat public qu’à la lumière de cette perte du « sens du social ».

Vous pointez du doigt ce petit travers de notre époque de confondre l’individualisme avec l’égoïsme. Vous écrivez : “L’individualisme, ce n’est pas chacun pour soi, c’est avant tout une morale. Cette morale établit que le commun entre les individus réside dans leur qualité d’homme.” En assimilant l’individualisme à l’égoïsme, fait-on le jeu du collectivisme ?

Exactement. Une partie de mon livre est consacrée à la notion d’intérêt. Je me suis demandé ce qui fonde le lien social. J’ai montré, en m’appuyant sur des sociologues et des anthropologues, mais aussi sur des philosophes comme Aristote, ou plus proches de nous, Bergson ou Popper, que les théories politiques pour lesquelles la société n’est qu’un système de maximisation de l’intérêt, que celui-ci soit égoïste ou collectif, sont fausses. Il est difficile de développer cette idée en quelques phrases. Pour vous répondre, ces conceptions de l’homme font le jeu, en effet, du collectivisme, d’une société où il faut traiter l’individu comme une chose, un échantillon d’un groupe, voire l’éliminer totalement. Elles ont en commun de ne pas reconnaître l’individu en tant qu’être singulier, capable de se dépasser par la pensée, et de se reconnaître en l’autre. Ce sont des conceptions anti-humanistes qui ne peuvent que conduire à édifier des États totalitaires.

En abordant la question de la culture, vous affirmez que, contrairement à ce que les nationalistes prétendent, on ne peut pas fonder la nation sur la culture. Mais vous dites aussi que pour vaincre le nationalisme, il faut que la culture redevienne une source de satisfaction. N’est-ce pas une contradiction ? Quand on dit que les jeunes d’aujourd’hui se cherchent une identité, est ce qu’ils ne se cherchent pas une culture, en réalité ?

La culture est certes la condition de la nation. Mais elle ne définit pas la nation. Quand je dis « la culture », plus précisément, je parle de la culture humaniste, cette synthèse entre la culture grecque, une culture de la rationalité et de l’universalité, et la tradition chrétienne issue d’une religion tout à fait étonnante dans l’histoire de l’humanité car ce n’est pas simplement une religion monothéiste : c’est une religion de la personne. La nation, c’est une tout autre chose : c’est un cadre politique et juridique et la souveraineté du peuple. Et si l’on réduit la nation à je ne sais quelle identité mythique, comme le font les nationalistes, c’est la mort de l’individu et donc la mort de la nation. Un mot sur la culture. Malraux disait que « La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert ». C’est pour permettre cette conquête de la culture que la nation protège le patrimoine national, construit des musées nationaux, développe une instruction nationale. L’école est, ou plutôt était, le creuset de la nation. C’était grâce à elle que les hommes pouvaient dépasser leurs origines et acquérir une culture commune, une culture qui les libérait de l’opinion par la science et les ouvrait au monde et aux autres hommes par les humanités. Il y avait un lien vivant entre la culture et la nation. Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’acquérir une culture pour devenir soi-même mais de proclamer je ne sais quelle identité d’origine. Le contraire même de la culture ! Et un moyen de fracturer la nation.

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Vous encouragez, dans votre livre, la notion d’assimilation. Qui dit intégration dit aussi intégration culturelle.

Oui, je n’ai pas peur du mot assimilation. La France a été une terre d’accueil et une terre d’assimilation. On devenait français en adoptant à minima une langue et des mœurs, pas seulement en ayant un titre de résidant. Ce n’est plus le cas à présent. Et quand notre pays est confronté à une force qui veut, comme l’islamisme, la détruire en travaillant la jeunesse issue de l’immigration pour qu’elle ne se sente pas appartenir à la communauté nationale, et pis, qu’elle nourrisse des sentiment de haine à l’égard de la France, la seule réponse de nos gouvernants, c’est la « tolérance ». La République abandonne ses enfants. L’intégration culturelle, pour ce faire, exigerait des mesures drastiques, tant dans la politique du logement qu’à l’école. Mais il faudrait commencer par soustraire cette jeunesse à l’emprise des prédicateurs de haine. Et expulser ceux qui refusent cette intégration en utilisant, par exemple, leurs enfants, pour saper l’école, intimider leurs professeurs et imposer partout les marqueurs de leur sécession.

Vous consacrez un long chapitre aux nationalistes que vous décrivez comme des faux amis de la nation. Utilisent-ils vraiment le concept de nation par simple opportunisme, dans le seul objectif de diviser les citoyens ?

Il me semble, en tout cas, que dans l’Histoire, les nationalistes arrivent toujours à des moments où les sociétés vont très mal… En France, outre l’islamisme, et une immigration mal encadrée, nous avons une fracture territoriale et une fracture sociale qui ne cessent de s’élargir. Et évidemment, quand aucun parti ne répond à ces questions-là, c’est du pain béni pour les nationalistes. S’ils accèdent un jour au pouvoir, ils ne reconstruiront pas la nation. Ils feront ce qu’ils ont toujours fait : ils opposeront les hommes selon leur « identité ». On peut imaginer alors le chaos qui s’en suivrait.

Vous écrivez “La France éternelle du nationalisme, c’est une France qui a toujours été identique à elle-même et qui, dans son rêve, ne devrait jamais changer.” Est-ce que vous ne mettez pas un peu dos à dos les conservateurs et les nationalistes ?

Les conservateurs, pas forcément. Certains d’entre eux sont attachés à la nation et se rendent bien compte de l’urgence de défendre notre culture et de réparer la nation. Les nationalistes, certainement.

Vous faites un excellent portrait dans votre livre des différents totalitarismes, de ceux du passé mais aussi de ceux qui nous menacent actuellement. Vous faites un rapprochement entre totalitarisme et sentiment religieux, en observant que chaque totalitarisme semble fonctionner comme une secte.

J’ai consacré mon dernier chapitre à la tentation totalitaire qui semble traverser une large partie de la gauche aujourd’hui. Comment se fait-il que la gauche, qui a inventé la nation, soit devenue, historiquement avec le communisme, son pire ennemi ? Très schématiquement, il me semble que la petite classe moyenne intellectuelle se trouve, en raison de sa position sociale fragile mais privilégiée, sujette à une culpabilité très forte. L’idée que la société ne serait qu’un monstrueux système de domination, faisant des victimes qu’il faudrait à tout prix sauver, lui permet de se protéger d’un sentiment qui l’empoisonne. C’est la raison pour laquelle, dans les périodes où la nation recule, cette classe de lettrés, de scientifiques, d’artistes, d’enseignants, de journalistes, est séduite par les doctrines qui promettent de remplacer le vieux monde par un monde parfait. Il y a dans ce projet quelque chose de religieux. Comme dans les sectes, les gens n’adhèrent pas à cette idée non parce qu’elle pourrait être démontrée mais parce qu’ils la croient bonne. Et cette idée leur paraît d’autant meilleure qu’elle leur procure le sentiment qu’ils font partie du camp du bien. Débattre avec ces gens-là devient très difficile. Ils vous font des procès d’intention et vous traitent en permanence comme un ennemi, quand ils ne vous ignorent pas totalement.

Vous écrivez que « les totalitarismes ne se reconnaissent pas forcément tout de suite parce qu’ils se développent progressivement ». Pensez-vous que le nouvel antiracisme identitaire est un totalitarisme en devenir ?

Oui, j’essaie de proposer une explication des idées non par d’autres idées, pour sortir de ce cercle, ni par un simple contexte historique, mais par des motivations qui ont une double dimension psychique et sociale. Ces discours sur les identités renferment les prémisses d’une idéologie totalitaire. Car ce à quoi ils s’attaquent, c’est à la possibilité de devenir un individu et la valeur de l’individu. Comme dans le marxisme, la pensée est réduite à l’être ; toute pensée est l’expression d’une origine ou d’un état préétabli. Elle n’a donc aucune possibilité d’être autonome, même par la rationalité. Personne ne peut prétendre penser par soi-même, les idées étant déductibles de l’origine de chacun. L’antiracisme identitaire est un racisme totalitaire : il nie la possibilité, pour chaque être humain, de se définir autrement que par son identité. Il considère, dès lors, que la violence est justifiée puisque l’individu n’a pas de valeur et que seule la violence régit la société.

La langue commune de la nation subit actuellement des attaques idéologiques venant des identitaires de gauche. Pensez-vous qu’il y ait un élément de réponse dans la défense de la langue ou est-ce que c’est un combat perdu d’avance ?

Que la langue devienne un moyen de diviser les hommes qui la parlent en marquant leur camp idéologique constitue un des symptômes de la fracture nationale. Je doute qu’une médecine efficace consiste à lutter contre les symptômes. Il faut lutter contre la maladie. Réparer la nation. Ce combat est-il perdu d’avance ? Mon livre est la réponse d’un professeur de philosophie inquiet, qui fait face à un effondrement de nos services publics – l’école, la police, la justice, l’hôpital, l’énergie, les transports… – et qui voit notre pays livré à des forces qui le minent, y compris à la tête de son gouvernement. Il me paraît indispensable de remettre cette notion à sa juste place si nous voulons pouvoir un jour réparer la nation.

Petite Philosophie de la nation

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Lettre d'un hussard de la République

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Le grand déménagement

Face aux nouvelles contraintes énergétiques, le marché locatif privé, déjà tendu, va être amputé de centaines de milliers de logements.


En cette fin d’année, le marché immobilier français est affecté par deux phénomènes structurels : la hausse des taux d’intérêt et les conséquences de la transition énergétique. Si la hausse de taux, à la fois importante et rapide, pèse sur la solvabilité des ménages, le durcissement considérable des réglementations et restrictions énergétiques risque de bouleverser profondément le marché locatif.

Le dispositif passe de l’incitation à la contrainte. Depuis cet été, il est déjà interdit d’augmenter les loyers des « passoires thermiques » – logements classés F et G après diagnostic de performances énergétiques. En janvier, nombre des logements classés G seront interdits à la location (environ 70 000 logements dans le parc privé). Enfin, à partir de 2025, un niveau de performance énergétique minimal (progressivement rehaussé) sera exigé pour pouvoir louer un logement. Ces mesures qui concernent 4,8 millions de logements en France pourraient fortement perturber le marché. En établissant sur le locatif une contrainte forte difficile à respecter faute d’offre suffisante, la réglementation devrait conduire à une accélération des mises sur le marché de biens F et G. Résultat : moins d’offres locatives, plus d’offres sur un marché des ventes en décélération.

Jean-Marc Torrollion, président de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), anticipe déjà les conséquences de cette réglementation : « Les bailleurs ont tendance soit à rénover soit à vendre les biens classés G ». En effet, réaliser 25 000 euros de travaux dans un appartement en valant 100 000 ou 150 000 pour espérer à peine 1 000 ou 1 500 euros supplémentaires de loyer annuel n’est pas économiquement raisonnable. Et les professionnels craignent une période difficile. « Nous sommes très inquiets, confie Torrollion, parce que nous pensons que les bailleurs vont mettre en vente des logements du parc privé locatif qui ne pourront plus être loués à l’avenir. Ce parc – 1 200 000  à 1 400 000 logements loués chaque année, dont 30 % pour moins de deux ans – va perdre 400 000 logements dans les cinq ou six années qui viennent ! »

A lire aussi: Energie: une crise qui vient de loin

Torrollion n’exclut pas un scénario d’effondrement de l’offre de location en Île-de-France. « En Île-de-France, 27 % des logements du parc privé locatif sont classés F ou G. [..] 34 % des logements parisiens sont en dépassement énergétique. Imagine-t-on se priver de 150 000 logements sur les 500 000 du parc privé locatif de la capitale ? »

Le goulot d’étranglement est la filière de la rénovation énergétique, qui commence avec les entreprises chargées des diagnostics. « On fait reposer sur elles une mission de service public, déplore Torrollion, décider si on a ou pas le droit de louer un bien et influencer fortement la valeur des biens. Cette filière doit se structurer et gagner la confiance de l’ensemble des filières de l’immobilier ». Autant dire qu’aujourd’hui, elle ne l’a pas…

Viennent ensuite tous ceux qui doivent faire les travaux (ingénieurs, corps de métiers, fournisseurs). Et là aussi les perspectives sont sombres. « Je ne crois pas un instant que ce secteur soit capable d’absorber la rénovation énergétique de 1 500 000 logements d’ici cinq ans », constate Torrollion. Pour lui, « le calendrier actuel imposé par l’État est trop serré et, en plus d’être inflationniste, il rend impossibles le suivi et la mise en œuvre de ces chantiers ». En conséquence, la seule option raisonnable est de revenir sur ces règles adoptées par des technos qui semblent n’avoir aucun contact avec la vie réelle.

« Il n’y a pas de réconciliation sans confiance et il n’y a pas de confiance sans vérité ». Pour une paix juste dans le Caucase du Sud

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Malgré les efforts de médiation de l’UE – et notamment de la France – pour favoriser un accord de paix durable entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, le président Macron a fait une déclaration dans laquelle il semble prendre parti pour l’Arménie. Le risque de cette déclaration est double : mettre en péril le rôle de médiateur de la France et renforcer l’influence de la Russie dans ce conflit. Thierry Valle, directeur de Coordination des Associations et des Particuliers pour la Liberté de Conscience, plaide pour que se mettent en place les véritables conditions pour une véritable réconciliation entre les deux peuples.


Après le deuxième conflit du Karabagh de 2020, un épineux processus de normalisation relationnelle a débuté entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Ce processus se distingue par sa complexité et sa sensibilité pour un certain nombre de raisons, dont la principale est la méfiance mutuelle des parties en conflit, causée par trois longues décennies d’inimitié et de sang versé.

Au cœur de ce conflit, il existe deux enjeux cruciaux.

Le premier est l’enjeu de l’intégrité territoriale qui, selon les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, a été violée par les troupes arméniennes qui, au cours des 30 dernières années, ont occupé environ 20 % des territoires azerbaïdjanais internationalement reconnus. 

Le second est la sécurité des Arméniens du Haut-Karabagh – une enclave en Azerbaïdjan où le déclenchement du mouvement séparatiste a coïncidé avec l’effondrement de l’Union soviétique.

Depuis l’année dernière, l’Union Européenne intervient dans les discussions délicates pour servir de médiateur entre les deux états en vue de parvenir à une paix durable, mais également en vue de réduire la dépendance des deux parties vis-à-vis de la Russie.

Une série de réunions trilatérales entre le Président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan a été organisée par le Président du Conseil Européen, Charles Michel. 

Contrairement à l’opinion générale en Azerbaïdjan selon laquelle la France se range du côté des Arméniens, le Président français Emmanuel Macron a participé à certains de ces entretiens en tant que médiateur impartial.

La dernière réunion, qui s’est tenue à Prague au début du mois d’octobre, a laissé entrevoir un espoir de paix, les parties ayant accepté de résoudre les problèmes fondamentaux du conflit, à savoir la reconnaissance mutuelle de leur intégrité territoriale et la nécessité d’un mécanisme de communication directe entre Bakou et les Arméniens du Haut-Karabakh. L’envoi d’observateurs de l’UE à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a également été convenu afin de réduire le monopole russe dans la région.

Quelques jours après cette réunion, que certains considèrent comme une percée historique, le Président français a fait une déclaration maladroite, prenant ouvertement parti pour l’une des parties : « L’Arménie a toujours lutté pour la tolérance et la paix dans cette région ». De plus, en contraste avec la décision prise à Prague par les parties de reconnaître l’intégrité territoriale de l’autre, le Président Macron annonce que « l’Arménie était au Karabagh parce que le Karabagh est au cœur de ce pays (l’Arménie) ».

Une telle déclaration ne constitue pas seulement une atteinte à un principe fondamental des normes internationales tel que l’intégrité territoriale, mais nuit manifestement au rôle de la France en tant que médiateur impartial dans le processus de stabilisation arméno-azerbaïdjanais. En raison du leadership de la France au sein de l’UE et de l’association étroite du Président français avec le processus de médiation de l’UE, la déclaration jette une ombre sur tous les efforts européens récents visant à mettre Bakou et Erevan en négociations directes pour un accord de paix historique. Il n’est pas surprenant qu’en Azerbaïdjan, cette déclaration ait été reçue non pas comme « une nouvelle preuve de la partialité de la France », mais comme une offense aux doléances des Azerbaïdjanais, pour lesquels le conflit a fait des milliers de victimes civiles, tout comme en Arménie.  En conséquence, le Président azerbaïdjanais a rejeté le futur rôle de médiation dans le processus de paix de la France. Si l’on ajoute que le principal bénéficiaire de l’effet créé par la déclaration sera la Russie, qui manipule les parties pour aggraver le conflit, la déclaration de Macron devient le geste diplomatique le plus important de l’histoire des relations de la France avec les États post-soviétiques.

Mais cette déclaration malencontreuse n’est pas seulement préjudiciable politiquement pour la position de la France dans le Caucase du Sud. Elle porte également atteinte à la position morale de la République française ancrée dans le principe « Égalité » de sa devise. L’Egalité doit se traduire en actes au niveau international comme au niveau national.

A cet égard, nous nous devons de nous référer à une réunion que vient de tenir la Coalition des ONG européennes à Genève, en marge du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. La conférence avait pour but de développer un contexte pour favoriser le dialogue direct entre les Azerbaïdjanais et les Arméniens afin de surmonter les souvenirs du conflit et de trouver ensemble des moyens de réconciliation et de paix durable. Elle a mis l’accent sur la page la plus horrible et la plus sombre de l’ancien conflit du Karabagh, à savoir le massacre de civils azerbaïdjanais innocents dans la ville de Khodjaly. En une seule nuit, le 26 février 1992, lorsque les forces arméniennes se sont emparées de la ville, 613 civils innocents, dont 63 enfants, 106 femmes et 70 personnes âgées, ont été brutalement assassinés, 487 civils ont été gravement blessés et un millier d’entre eux ont été pris en otage.

Monsieur le Président de la République,

Le massacre de Khojaly est l’objet d’une inimitié de longue date entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Et ce n’est certainement pas la manière d’agir attendue d’un état tel que l’Arménie qui a « lutté pour la tolérance et la paix dans cette région ».

La Coalition des ONG européennes a abordé de manière innovante ce sombre souvenir du massacre le plus sanglant de la guerre du Karabakh : demandant à ce que la justice transitionnelle soit appliquée pour que les blessures des victimes soient pansées, le comité de la Coalition réuni à l’ONU a conclu qu’encourager l’Arménie à reconnaître comme il convient le massacre de Khojaly et à présenter des excuses publiques à ses victimes, ainsi qu’encourager l’Azerbaïdjan à ouvrir un espace public pour un dialogue direct sur la question de Khojaly entre les sociétés civiles des deux pays – serait une étape importante pour l’établissement d’une véritable réconciliation entre les peuples.

En tant que citoyen français attaché aux valeurs de la République et en tant que défenseur des droits de l’homme qui se consacre à la lutte pour la justice, la dignité humaine et la paix, je sollicite votre responsabilité politique et morale qui exige de satisfaire les doléances des deux parties afin de renforcer le processus de paix.

Il est plus que nécessaire pour l’engagement d’un processus de paix durable d’amener le gouvernement arménien à prendre une mesure audacieuse pour briser le tabou autour de Khojaly, de reconnaître la gravité de ce crime perpétré par les gouvernements précédents et d’encourager l’émergence de la vérité. En ce faisant, vous ne restaurerez pas seulement la position impartiale de la France dans la politique de cette région du monde mais vous restaurerez la confiance des peuples de cette région dans ce que vous appelez « nos valeurs et nos principes ».

Comme Mère Munira, représentante du symbole moral européen de la lutte pour la justice et la défenseuse des victimes de Srebrenica, qui fut le dernier génocide européen, l’a déclaré lors de la conférence à l’ONU :  » Il n’y a pas de réconciliation sans confiance et il n’y a pas de confiance sans vérité « .

Ce n’est qu’en étant sincèrement honnêtes que nous serons dignes de confiance en tant que nation respectée pour ses grandes valeurs et ses principes ainsi qu’en tant que nation médiatrice pour la paix dans le Caucase du Sud.

La langue française en danger

Une des causes évidentes du délitement de notre langue – qui s’exprime à travers la manie pour l’écriture dite « inclusive » – est le refus de l’étymologie latine. Lauteur (sans -e) de La Guerre au français (2018) adresse un rappel à l’ordre à l’Académie française.


Depuis la mort de Jacqueline de Romilly, est-il excessif voire injuste, de dire que l’Académie Française a négligé, sous la pression féministe, l’héritage latin de notre langue ? Au point de déclarer, contre toute logique linguistique, au cours de cette bataille homérique, mortifère, qu’est la « féminisation de notre langue », cette chose comique, que la lettre -e, octroyée, par bienveillance aux dames, devait rester lettre muette !

Je suis une des premières à avoir claironné, dans les journaux en ligne, et inlassablement, depuis cinq ans, que la lettre -e était un cheval de Troie, au moment même où certain.e.s, dont une Académicienne, se réjouissaient qu’avec le « e » les femmes étaient rendues…visibles même si cette visibilité se faisait au prix de leur mutisme. A présent, on s’émeut, à juste titre, mais ô combien tard ! de l’épidémie de l’inclusive, partout, dans les administrations et l’Education Nationale. Pour y couper court, n’aurait-il pas fallu que l’Académie Française rappelât, sans état d’âme, et répétât, au besoin, des évidences qui tiennent en quelques phrases : le genre grammatical n’est pas le sexe, le -e n’est aucunement un suffixe féminin, un substantif n’est pas un adjectif, variable en « genre et en nombre», l’orthographe française est étymologique et non pas phonétique, on ne décrète pas la nouvelle genèse de notre langue en 2022. Et le président de la République devait rappeler, par la voix du premier ministre, et en personne, s’il le fallait, l’Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) , garante de l’unité de notre langue, donc de notre pays, car l’histoire de la langue, en France, a toujours été un combat.

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Avec l’idéologie féministe, à présent, on voit couplés, ad nauseam, fanatisme et ignorance. Pour parler « la langue de Molière », on s’y emploie! Tous les jours, c’est la phrase de Toinette dans le Malade Imaginaire disant à Argan : « Ignorantus, ignoranta, ignorantum »! Sauf qu’il n’est plus temps de rire. Ou de labourer la mer en constatant l’archipélisation de notre pays, le délitement de ceci et de cela : il faut y remédier par des mesures concrètes. Oui, notre langue est attaquée : elle est même en danger de mort. Je ne sais ce que vaut l’initiative de Zemmour qui demande l’engagement actif des parents d’élèves pour dénoncer l’emprise des idéologies à l’école. Ce que je sais, c’est qu’il serait bon de ne plus tenir à l’écart, comme on le fait, certains philologues — fussent-ils agrégés de Lettres classiques, discipline que l’on veut voir disparaître car elle témoigne, de manière éclatante, de l’héritage latin de notre langue.

A quand « ma Générale » ou « ma Colonelle » dans la bouche présidentielle, un jour de 14 juillet ? Nul ne doute, en effet, que les sapeuses pompières et les chasseuses alpines sont dans les starting-block des dictionnaires à venir. Mais pourquoi pas « médecine » pour le féminin de médecin? Un Professeur au collège de France, pardon, une professeure, n’a-t-elle pas été faite Chevalière de la légion d’Honneur ? Pourquoi, direz-vous ? Parce qu’on n’arrête pas le progrès ! C’est pourquoi notre école est en tête des tableaux d’excellence dans les classements mondiaux !

Après Lola il ne se passera rien. Et le pire est encore à venir

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Yann Barthès, le 09/09/19 / PHOTO: JP PARIENTE/SIPA / 00923165_000163

« Récupération ! Récupération ! », crient les journalistes de France Inter, de France info, du Monde et de Libération, ainsi que les responsables de La France Insoumise, à propos des légitimes interrogations des députés et des chefs de mouvements politiques réclamant, suite au meurtre de Lola, des comptes aux représentants du gouvernement, lesquels se défaussent en maniant, à coups de « dignité » et de « respect », une langue mièvre et moralisatrice qui révèle au fond leur insincérité et leur incompétence.


Sur France Inter[1], Yaël Goosz s’est étranglé de rage en parlant d’Éric Zemmour puis a carrément suffoqué en évoquant Marion Maréchal et son soi-disant désir de « transformer des faits divers en guerre de civilisation ». Après une laborieuse digression par Bourdieu et son non moins laborieux essai Sur la télévision dans lequel le sociologue « disait, à propos des “faits divers”, qu’ils font diversion », le journaliste regrette vivement qu’Olivier Véran ait concédé que le « gouvernement pouvait faire mieux en matière d’expulsions ». Surtout que nos compatriotes courent de moins en moins de danger : en trente ans, a précisé le réconfortant Yaël Goosz, le nombre d’homicides a été divisé « au moins par 2 ». Voilà les Français complètement rassurés.

Sur le plateau de BFMTV, face à Marion Maréchal, Alain Duhamel a répété à l’envi que le temps n’était pas venu de débattre, qu’il fallait respecter un délai, ne surtout pas réagir à chaud, sur le coup d’une émotion légitime mais mauvaise conseillère. Lorsque les médias et certains responsables politiques ont étalé à la une de leurs journaux et sur les plateaux de télévision la photo du petit cadavre d’Aylan afin de stigmatiser des Européens trop frileux devant l’afflux migratoire, personne n’a parlé de « récupération » sordide ou d’un délai à respecter, a opportunément rétorqué Marion Maréchal. Après avoir évoqué le quart de la moitié du dixième des exactions criminelles commises en France par des immigrés en situation irrégulière, elle a demandé : « À partir de combien de litres de sang a-t-on le droit de parler, de s’indigner, et de demander des réponses aux responsables ? » Alain Duhamel a dit être choqué par « l’image des litres de sang » qui est « une façon un peu inhumaine (sic) de poser la question ». Ne voulant rien savoir du nombre effarant et en constante progression d’actes de violence perpétrés quotidiennement en France, en particulier par des individus en situation irrégulière et souvent « connus des services de police », Alain Duhamel trouve qu’il est un peu « inhumain » d’en parler – comme ses confrères, il parlera bientôt d’autre chose ; les sujets qui éloignent de la dure réalité ne manquent pas.

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De son côté, Yann Barthès, le journaliste inculte de l’émission Quotidien, a voulu faire coup double : en même temps qu’il bêle avec ses confrères sur le thème de la « récupération », il demande à ce que soit renvoyé chez lui « l’immigré québécois de CNews », Mathieu Bock-Côté. Yann Barthès a à nouveau fait montre de sa bêtise et de son absolue impossibilité à comprendre une phrase composée de plus de trois ou quatre mots : voulant moquer le sociologue québécois « tordu », il fait visionner une séquence dans laquelle ce dernier livre une longue et perspicace réflexion sur les deux « catégories de victimes » – le petit Aylan, Georges Floyd ou Adama Traoré d’un côté, et Lola de l’autre – et la manière dont la presse et certains partis politiques ont instrumentalisé la première et s’apprête à faire le silence sur la seconde. Si Yann Barthès parvient à imiter l’accent québécois de Mathieu Bock-Côté, il peine en revanche à atteindre le cent millionième de l’intelligence du brillantissime chroniqueur de CNews – afin de ne pas être taxé de « validisme » par les associations défendant les « personnes en situation de handicap », nous éviterons d’évoquer un possible retard mental, résultat d’une carrière abrutissante. C’est pourtant pas l’envie qui manque.

Beaucoup de personnes se font les porte-voix de la famille de Lola qui désirerait que ne soit pas « récupérée politiquement » la mort de leur enfant. En réalité, il est à craindre que tout ce petit monde – ministres de l’Intérieur et de la Justice, journalistes de gauche et représentants politiques d’extrême-gauche – espère seulement que le temps fera glisser doucement mais sûrement cette ultime tragédie dans les oubliettes de la mémoire. Un exemple parmi cent justifie cette crainte : qui se souvient (ou même a seulement entendu parler) des trois jeunes gens (16, 18 et 20 ans) tués à Angers à coups de couteau par un Soudanais de 32 ans en situation irrégulière, alors qu’ils cherchaient à protéger deux jeunes filles péniblement importunées par ce dernier ? Pourtant… ce drame s’est déroulé il y a à peine plus de trois mois, le 16 juillet précisément. Le silence des médias dits de référence ou de gauche a triomphé : la mort de ces jeunes hommes qui ont ravivé, comme l’avait fait avant eux le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, un sentiment chevaleresque bien français – la défense du plus faible au risque de perdre la vie – n’a été « récupérée » par personne.

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L’omerta règne. Libération, Le Monde, L’Obs, la télévision et la radio publiques sont aux abonnés absents ou murmurent de très courtes et très éphémères informations dès qu’il s’agit de parler des meurtres mettant en cause des immigrés en situation irrégulière ou non. Les exemples ne manquent malheureusement pas. Entre autres, la mort d’Alban Gervaise, ce médecin militaire égorgé « au nom d’Allah » par Mohamed L. devant l’école catholique où il venait récupérer ses enfants, est passée presque totalement inaperçue. Les médias de gauche, secondés par le cabinet du Chef d’État-Major des Armées et le service communication du Gouvernement militaire de Marseille déclarant que la famille refusait toute médiatisation, sont restés étrangement discrets. Christelle Gervaise, l’épouse d’Alban Gervaise, a formellement démenti le 5 septembre dernier, sur son compte Facebook, avoir refusé la médiatisation de l’affaire et a précisé que son message rectificatif pouvait être partagé. À ma connaissance, aucun média mainstream n’a repris cette information – ce qui nous renseigne une fois de plus sur certaines pratiques d’occultation de la vérité.

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Comme Céline Pina, je ne crois pas que la mort de Lola amènera à une prise de conscience. D’abord, parce que le plan d’occultation de la vérité qui a si bien marché pour les crimes évoqués plus haut est déjà en marche pour la malheureuse Lola[2] et aboutira, d’une manière ou d’une autre, au même résultat. Ensuite, parce qu’une grande partie des « élites » universitaires, intellectuelles, médiatiques et politiques ne semble nullement s’inquiéter des bouleversements civilisationnels provoqués par la multiethnicisation et la tribalisation de la société française. Plus inquiétant encore, majoritairement, les plus jeunes générations issues des classes moyennes et poursuivant des études universitaires ne savent presque rien de ce qui se trame réellement en France. Les médias qu’elles consultent n’abordent les sujets qui fâchent qu’avec la plus grande parcimonie, trop occupés qu’ils sont à promouvoir « l’ouverture à l’autre » et à dénoncer la « fachosphère ». De plus, l’idéologie écologiste inculquée à l’école et dans les médias a totalement anesthésié ces jeunes gens qui surveillent la consommation d’eau et d’électricité de leurs compatriotes, amis ou parents, calculent leurs bilans carbone et ne jurent que par les éoliennes, le végétarisme et la décroissance, mais ignorent tout des problèmes auxquels la France et l’Europe sont d’ores et déjà confrontés en termes d’immigration. Dressés depuis leur plus jeune âge au binarisme conflictuel, sectaire et imbécile (dominants/dominés, Blancs/“racisés”, hommes/femmes, hétéros/LGBT, beaufs/écolos), à l’acceptation du contrôle social auquel ils participent en tant qu’agents d’application des idéologies les plus mortifères (celles sur le genre ou le climat, entre autres), au refus de préserver tout ce qui a fait la beauté et la grandeur de leur pays, ces jeunes gens, à l’instar des étudiants de Sciences Po, ont voté majoritairement Mélenchon lors de la dernière élection présidentielle. Militants, ils sont aujourd’hui les propagandistes de l’idéologie gauchiste, écologiste, wokiste et immigrationniste. Ils seront bientôt les professeurs, journalistes, universitaires et responsables politiques qui donneront le la en matière d’éducation de la population. Ils seront demain les nouvelles « autorités d’occultation », pour dire comme Gilles-William Goldnadel. Car rien ne devra entraver un multiculturalisme qu’ils considèrent comme un bienfait ; aucune ville mise à sac ne pourra les empêcher de promouvoir un « vivre ensemble » qu’ils exporteront jusque dans les coins les plus reculés de l’hexagone ; aucune Lola ne les détournera des discours lénifiants sur l’immigration qui est « une chance pour la France ». Entre deux lâchetés (ou « accommodements raisonnables ») face à l’islam prosélyte, l’élite wokiste, européiste et immigrationniste réclamera de nouvelles lois « progressistes », intersectionnellement diversitaires, pro-genres et écologistes. Parallèlement à ce basculement civilisationnel, la barbarie tribale continuera de gagner du terrain. Je ne vois rien, pour le moment, qui puisse contredire cette vision funeste. Le pire est donc encore à venir.


[1] France Inter, édito politique de la Matinale du 20 octobre 2022.

[2] Pour s’en convaincre, il suffit de lire, par exemple, l’éditorial du Monde du 25 octobre intitulé « Obsèques de Lola : la mort d’une enfant, de l’émotion à l’exploitation ». « Indigne », « cynique », « discours sécuritaires », « articles haineux », « scandaleux », autant de syntagmes qui ponctuent l’article d’un journal qui n’a sans doute pas apprécié de devoir écrire sur un « fait divers » auquel il destinait vraisemblablement le même traitement discret, pour ne pas dire furtif, que celui qu’il a appliqué à tous les « faits divers » évoqués ci-dessus.

Brésil : le retour de la monarchie impériale ?

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Le président Jair Bolsonaro, le 22/10/22 / PHOTO : Andre Penner/AP/SIPA / AP22732407_000001

Le 7 septembre 2022, en pleine campagne présidentielle, le Brésil a commémoré le bicentenaire de son indépendance. En grande pompe. Dans la tribune d’honneur, aux côtés de Jair Bolsonaro, un homme est tout sourire devant le spectacle qui s’offre à lui. Dom Bertrand d’Orléans-Bragance est le descendant des empereurs brésiliens qui ont régné entre 1822 et 1889. Il est à la tête du mouvement monarchiste qui agit comme une ombre constante derrière le dirigeant sortant et qui s’est progressivement imposé durant tout le premier mandat de ce dernier. Aujourd’hui, il œuvre pour sa réélection.


En juin 2022, São Paulo a accueilli un congrès anodin. Réunis dans un hôtel de la capitale de l’État du même nom, des centaines de personnes se sont rassemblées afin d’accueillir des hôtes de marque. Face à la tribune centrale, un drapeau aux couleurs de l’Empire brésilien. Le Brésil n’a connu que deux empereurs, Dom Pedro Ier et Dom Pedro II, aux styles différents, mais dont les règnes (entre 1822 et 1889) ont marqué le subconscient des habitants de ce pays d’Amérique du Sud, le plus grand du continent. En entrant dans la salle de réunion de l’hôtel, Dom Bertrand d’Orléans-Bragance, héritier au trône, est chaleureusement applaudi par les participants. Tous sont convaincus que les maux du Brésil se volatiliseront avec le retour de la monarchie.

À 81 ans, l’héritier au trône peut se réjouir des résultats accomplis. Avec l’arrivée au pouvoir du président Jair Bolsonaro, ce sont ses idées conservatrices qui ont triomphé au Brésil et qui ont pénétré dans les plus hautes sphères politiques du pays. Dans l’ombre du tonitruant leader d’extrême-droite, Olavo de Carvalho, un essayiste devenu une référence chez les traditionalistes. Considéré comme le gourou du gouvernement, il dénonce régulièrement la « pensée unique de la gauche » et le marxisme culturel dans les médias et universités du pays. Rejetant la théorie darwiniste de l’évolution, il est celui qui a favorisé la nomination d’Abraham Weintraub, ministre de l’Éducation (2019-2020,) et d’Ernesto Araujo, ministre des Affaires étrangères (2019-2021), deux monarchistes notoires. Ce dernier a même organisé une rencontre, quelques jours après sa nomination, avec le prétendant au trône et quelques élus du parlement acquis à sa cause. Olavo de Carvalho, qui est également un partisan acharné du retour de la monarchie, n’a pas hésité à proclamer en 2016 sur son compte Twitter qu’il « se tiendrait aux côtés de la maison impériale si celle-ci se bat pour la restauration ».

Les élections générales de 2017 ont marqué le retour des monarchistes au parlement. Parmi lesquels le neveu du prétendant au trône, le prince Luiz-Philippe d’Orléans-Bragance, un temps pressenti pour prendre la vice-présidence du gouvernement. Non-dynaste, il est actuellement considéré comme le dauphin de Jair Bolsonarao avec lequel il s’affiche régulièrement. Le descendant de Dom Pedro II est un monarchiste passionné et à l’origine d’un projet de constitution commandé par le président brésilien lui-même, où l’on retrouve en bonne place la possibilité de restaurer la monarchie. Infatigable parlementaire, il tweete aussi vite qu’il instagrame, suivi par des centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux dont il se méfie pourtant. D’ailleurs, ce nationaliste n’a pas hésité à signer un accord d’association avec l’ancien président américain, Donald Trump, et accepté un poste de directeur financier au sein d’un nouveau groupe, né de la fusion de Digital World Acquisition Group, de Trump Media et de Technology Group, qui a donné naissance au réseau social Truth Social. Les cibles du prince: les partis de gauche en Amérique du Sud et l’ancien président Lula da Silva, qui va affronter Bolsonaro au second tour de l’élection présidentielle prévu le 30 octobre prochain.

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Le groupe monarchiste parlementaire compte 15 députés, élus sous diverses couleurs politiques, qui se sont affichés avec un drapeau impérial, et qui ont même réussi à l’imposer comme emblème national dans l’État de Rondônia. Tant et si bien, qu’une pétition (ayant recueilli le quorum obligatoire) a été vainement soumise au Sénat afin que la chambre accepte de valider la mise en place d’un référendum sur le rétablissement de la monarchie. Une question qui a été déjà posée aux Brésiliens en 1993, mais qui n’avait recueilli que 13% des voix en sa faveur. Un échec pour la maison impériale, principalement expliqué par de profondes divisions internes et les manœuvres des partis républicains qui se sont ligués pour couper l’herbe sous les pieds des monarchistes au moment où les sondages se montraient largement favorables à l’idée monarchique (aujourd’hui, on évoque 20% des Brésiliens qui souhaiteraient le retour d’un « imperador »). Un groupe royaliste se maintient puisque certains d’entre eux ont été réélus lors de la dernière élection législative d’octobre 2022. Ils siégeront aux côtés du Parti Libéral de Bolsonaro (dont quelques-uns sont des membres notables, comme la journaliste Carla Zambelli, pasionaria monarchiste) et leurs alliés qui dominent toujours le Congrès et le Sénat.

Face à ce succès qui se poursuit, Dom Bertrand se veut confiant dans l’avenir. En marge de sa rencontre avec les élus de la République au ministère des Affaires étrangères, il avait déclaré à la presse « avoir trouvé des interlocuteurs qui partagent ses positions, en complète harmonie ». Francophone, le prince impérial est le coordinateur et le porte-parole de Paz no campo (Paix dans les champs), un mouvement qui défend les propriétaires terriens contre les « sans-terre » et les Indiens dont il souhaite l’évangélisation générale. Membre du mouvement ultra-catholique Tradition, famille et propriété (TFP) qui rejette l’esprit de 1789, Dom Bertrand est un opposant au mariage pour tous. Il a d’ailleurs participé aux rassemblements français de la Manif’ pour tous en 2013, considérant « l’homosexualité comme une déviance telle que la doctrine catholique le perçoit », souhaitant l’abolition du divorce (c’est un célibataire endurci) et la fin du droit à l’avortement… Auteur d’un livre très controversé, intitulé Psicose Ambientalista (Psychose Environnementaliste), cet ancien réserviste de l’air, très introduit dans les milieux militaires (dans les années 1980, ils ont offert une couronne à son père), dénonce régulièrement les thèses sur le réchauffement climatique, « ces canulars créés par les écologistes radicaux et par les éco-terroristes » selon lui.

Des thèses et des positions qui font écho aux propos tenus à diverses reprises par Jair Bolsonaro. Reçu au palais présidentiel le 22 août dernier, Dom Bertrand d’Orléans-Bragance a été un invité d’honneur, installée dans la tribune présidentielle, pour les festivités du bicentenaire de l’indépendance. Une proximité qui ne fait pourtant pas l’unanimité au sein de la maison impériale. Une partie de ses membres déplore publiquement ce soutien à Bolsonaro, estimant que ce manque de neutralité est contre-productif pour l’idée monarchique et que le mélange des genres ne permettra pas la restauration de l’institution impériale à court terme.

« The Car »: nouvel album en cinémascope des Arctic Monkeys

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The Arctic Monkeys au Primavera Sound Festival, Los Angeles, California, le 18 septembre 2022 Bill Chapman/London Entertainmen/SIPA Shutterstock41003044_000018

Le groupe de rock anglais, originaire de Sheffield, continue sa nouvelle veine : la création, non d’une suite de chansons, mais de toute une atmosphère sensuelle qui vous donne une envie furieuse de vous rendre dans un bar à cocktails sophistiqué de l’imagination.


J’ai toujours eu besoin d’orchestrer ma vie. Je ne crois pas manquer de naturel, mais il me faut sans cesse faire un pas de côté pour ne pas prendre en pleine poire le train sordide du quotidien et en succomber. Chacun sa méthode. Adolescent, plein d’idéal et de mélancolie furieuse, je remontais les rues en direction du lycée, me recoiffant dans les vitres des banques, demandant des cigarettes aux fumeurs, préparant mon arrivée dans la cour comme un comédien dans sa loge. Oui, être jeune c’est mélanger sans mesure l’ardeur et le grotesque avec un esprit de sérieux dissimulé derrière le fard de l’ironie. Pour que l’orchestration soit réussie, la musique est bien sûr essentielle. Ainsi c’était avec cette musique dans les oreilles que je pénétrais dans les lieux nouveaux. Le terne des jours se transformait alors, comme par magie, en une explosion d’émotions distordues. Les yeux en guise de caméra, mes pas devenaient d’étranges travelings, les passants des figurants d’un film plus ou moins réaliste. Mais pour que l’illusion soit parfaite, il faut le bon titre. Les Arctic Monkeys nous donnent mieux que ça. Depuis le 21 octobre et la sortie de leur album sobrement intitulé The Car, c’est dix admirables chansons en cinémascope qui nous sont offertes.

Rembobinons un instant. Nous sommes en 2006 et cinq gamins anglais venus de Sheffield cartonnent dans les charts. 400.000 exemplaires de leur premier album sont vendus en une semaine. Rien ne les distingue vraiment d’autres lads (jeunes)qui fréquentent les mêmes pubs, portent les mêmes vêtements, draguent les mêmes filles et se coiffent de la même façon. Rien, excepté un talent, une fougue et une flamme juvéniles que l’on n’avait pas rencontrés depuis l’album Up The Bracket des Libertines en 2002 (dont nous fêtons les 20 ans). Nés autour de la sortie de Nevermind de Nirvana en 1991, mes amis et moi-même étions trop jeunes pour profiter pleinement de cette fantastique vague de groupes comme les Strokes, les Libertines donc, les White Stripes ou Franz Ferdinand. Avec la naissance et le succès des Arctic Monkeys, une chance nous était donnée de prendre un nouveau wagon : nous ne le laisserions pas passer. L’année 2006 fut pour beaucoup d’entre nous une aube explosive, une prodigieuse renaissance.

Sans jamais se prendre les pieds dans le tapis (ni rater une marche), la bande d’Alex Turner a su, grâce à un sens du travail bien fait, un bon goût indiscutable et un indéniable talent, se renouveler sans cesse album après album. De Favorite Worst Nightmare et ses riffs à tremolos horrifiques associés à des mélodies diablement efficaces, jusqu’au merveilleux Suck It And See, composé avec une divine simplicité et produit par Josh Homme des Queens Of The Stone Age, les Arctic Monkeys sont devenus des maîtres incontournables. En 2013, avec la sortie d’AM, ils vont encore plus loin et obtiennent un succès foudroyant qui leur permet de toucher un nouveau public. Avec des singles comme « I Wanna Be Yours » ou « Do I Wanna Know » qui dépassent le milliard d’écoutes, les Arctic Monkeys sont désormais les rois du rock’n’roll des années 2010. La génération qui avait raté le train de 2006 découvre l’existence de ces garnements de Sheffield qui sont depuis devenus des stars internationales au même titre que Rihanna aujourd’hui et Bowie hier.

Si l’on sait qu’il est important d’être constant (Seigneur, donnez-moi la force de l’être !), alors il est important de dire qu’Alex Turner n’a jamais été un artiste inconséquent. Mieux que ça : il ne s’est jamais satisfait de ses glorieux lauriers et a passé son temps à métamorphoser sa grâce musicale en des formes sans cesse nouvelles. Depuis Tranquility Base Hotel & Casino en 2018, les Arctic Monkeys ont même pris un tournant qui a décontenancé nombre de leurs admirateurs. Ils n’en firent rien et prolongèrent ce qui leur semblait être la bonne route. De mon côté, ce virage pimenta ma passion pour eux. Patchworks parfaits de références et d’influences diverses rendues homogènes par la patte singulière d’Alex Turner, ces deux derniers albums cherchent moins à enchaîner les tubes qu’à rendre palpable une atmosphère. A la manière d’un film, encore une fois. On sait que le leader des Arctic Monkeys s’exprime de plus en plus souvent à propos de sa passion pour le cinéma. Matt Helders, son meilleur ami et batteur, lui, s’est passionné pour la photographie (nous lui devons la pochette de l’album The Car). Le groupe est donc soucieux d’esthétique. Depuis 2018, les disques des Arctic Monkeys sont des lieux, des odeurs, des couleurs plus qu’une succession de chansons. On regarde moins Apocalypse Now ou Orange Mécanique pour connaître le dénouement que pour être plongé dans un monde et une vision. Je crois qu’il en est de même pour l’album The Car.

Cet album, comme je le disais, divisera encore un peu plus, éloignera ceux qui veulent jouir instantanément d’un panier de mélodies efficaces plus que d’une ambiance dans laquelle se plonger. En ce sens, ce disque est plus proche de Melody Nelson ou de Diamond Dogs que de Revolver ou Definitely Maybe. Je le disais à un ami, une fois le vinyle de The Car posé sur la platine, j’ai envie d’enfiler un costume trois-pièces, de cirer mes chaussures et de partir armé de lunettes de soleil vers un bar enfumé pour y boire un rhum raffiné. Lorsque j’écoutais Melody Nelson à quatorze ans, je me plaçais devant un miroir, un coton-tige dans la bouche, mimant Gainsbourg et sa cigarette (les adolescents sont comiques malgré eux). Quelques mois plus tard, je devins fumeur. The Car est de cette race d’albums qui diffusent une influence comme le parfum voluptueux d’une femme le fait. En sa présence, tout change. Comme lorsque je mettais de la musique dans mes oreilles en marchant dans la rue et que ma démarche en était modifiée. Ainsi, The Car impose une attitude et c’est en cela que c’est un disque d’élite, un disque rare, un disque aristocratique, un classique instantané, comme le sont les grands films.

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Le « Petit manuel de postmodernisme illustré » par Shmuel Trigano : aux sources de la post-humanité contemporaine

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Shmuel Trigano / Capture d'écran d'une vidéo du 16 juin 2017 de la chaine Fréquence Tel-Aviv

Une nouvelle collection d‘opuscules publiés par les Editions Intervalles a pour ambition de nous aider à mieux comprendre les enjeux des guerres culturelles de notre époque. Le volume du professeur émérite de sociologie à l’Université Paris X – Nanterre met à nu les soubassements intellectuels de concepts aussi divers que pernicieux comme le décolonialisme, le genrisme ou l’antispécisme.


Autant de doctrines fomentées par un nouvel obscurantisme que les Lumières s’étaient pourtant jurées d’abattre. Ici comme ailleurs, la Révolution dévore ses propres enfants, et les lobotomisés des réseaux sociaux répandent leurs primitives vulgates au grand secours des Universités qui consacrent ces idéologies partisanes par une coupable onction scientifique. Comment l’esprit des Lumières a pu à ce point nous éblouir, nous autres post-modernes, dans la mesure où son éclat portait les promesses d’un homme amélioré par la Science, élevé par la Raison, et dressé par la bonne Éducation. Pourquoi Diderot, Rousseau et Voltaire ont-ils enfanté malgré eux des antimodernes intelligents et cultivés parce qu’ils étaient contre eux, et deux siècles plus tard des auteurs intellectuellement contraints par l’indigence poétique d’un XXe siècle étouffant ? C’est ce à quoi tente de répondre l’auteur.

Les canons de la déconstruction

Le professeur prend soin de commencer son analyse par le décorticage de la méthodologie suivie par ces courants sociologisants, avant de plonger son regard dans le contenu de ces idées prétendument nouvelles. « La réalité est ainsi devenue, pour la déconstruction, une fabrication littéraire », écrit-il, résumant ainsi la première partie de sa plaquette.

Il nous explique que les idées et les matrices qui organisent nos sociétés sont perçues comme des briques artificielles fondant l’édifice social. Selon les bons récitateurs de Bourdieu, tout étant social et donc politique, tout est une construction sociale, et tout peut se combattre par la politique. La différence notable avec leurs prédécesseurs marxistes réside dans le fait que ces théories dites « constructives » – attention à ce terme en trompe-l’œil, le constructivisme est précisément le courant qui vise à déconstruire ces objets d’études – n’admettent pas leur caractère politique. Nichée derrière la forteresse inexpugnable que constitue une chaire universitaire, ces fébriles apparences de scientificité les soustraient à l’arène politique. Rien n’est plus faux, et Monsieur Trigano a le mérite de le souligner.

Puisque tout n’est que fabrication littéraire, à ces analystes désenchantés, toute page insatisfaisante peut être déchirée puis autrement réécrite. L’histoire et le présent ne deviennent qu’un palimpseste sans signification propre. Ainsi le genrisme qui sévit actuellement s’explique par le fait que le genre est un construit social – ce que, au fond, l’on peut admettre. Il ne manque plus qu’une étape pour nier les données que fournit que la nature, comme l’appartenance sexuelle ou ethnique. C’est ainsi qu’après avoir contesté l’existence des genres, les théories qui s’en sont fait un domaine d’études propres ont pu conclure que le sexe non plus n’existe pas, et qu’un homme peut menstruer, qu’un Anglais peut devenir coréen par la chirurgie esthétique, ou encore qu’un humain peut se considérer comme un cerf ou un lézard.

Un univers idéologique bouleversé par une représentation intersectionnelle de la réalité

Puisque tout est déconstructible, alors les statues sont déboulonnables, les faits historiques remaniables, et les identités malléables. Ce n’est plus « l’homme est la mesure de toute chose » de Protagoras, c’est le « Je suis la mesure de toute chose » de l’homo consumericus au cerveau déconstruit. Selon l’auteur, la complémentarité entre les écoles néo-marxistes ou postmodernistes et la mondialisation aurait affaibli le principe même des frontières, cercle au sein duquel les cultures pouvaient éclore, pour se substituer à un grand communautarisme global où les minorités légitimes s’allient par-delà les Nations.

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Allant plus loin, Monsieur Trigano évoque une « extinction de l’espace et du temps », nous plongeant ainsi dans un monde atopique et achronique, où tout se créé, se perd et se transforme. C’est ici l’une des conséquences du désenchantement du monde dont parlait Weber, et de l’ère du vide que déplorait Lipovestsky. Mais rappelons, en invoquant l’histoire des idées, que Tocqueville avait déjà prédit cela en 1835 dans la conclusion de la Démocratie en Amérique : « La variété disparaît du sein de l’espèce humaine, les mêmes manières d’agir, de penser et de sentir se retrouvent dans tous les coins du monde ». Une magistrale prophétie que confirme le spectacle de ces petits contestataires wokiens qui croient s’agrandir par leur singularité, alors qu’ils se ressemblent tous. Ce qu’il faut également souligner, c’est que rien ne semble avoir changé depuis la Guerre Froide, en ce que les Etats-Unis nous exportent encore, par le truchement des luttes minoritaires, leur soft power sous-culturel.

Au final, la guerre contre le monde occidental

L’universitaire souligne cependant que, parallèlement à ce mouvement d’affirmation des ipséités identitaires propres à chaque minorité, s’esquisse en toute impunité un vaste élan d’essentialisation de l’homme blanc. Tandis que chacun revendique les meurtrissures que lui a laissées la cruauté de l’histoire, l’homme blanc n’est qu’un descendant d’esclavagistes. L’homme blanc serait ontologiquement oppressif : pour les femmes, pour les LGBTQI2SAA, pour les « racisés », et autres figures désormais érigées en Martyres et en Saints.

Le wokisme invente sa nouvelle religion, fondée sur trois volets selon l’auteur. Cette religion professe premièrement la post-humanité, en portant les couleurs du transhumanisme, de l’antispécisme et du genrisme. Il s’agit ici d’attaquer la racine de ce qui fonde l’identité humaine, à savoir son caractère naturel, sa place dans la chaîne alimentaire et le règne animal, et la dualité des sexes. Deuxièmement, indique l’auteur, ses apôtres défendent la post-nationalité, avec le décolonialisme, et le devoir de repentance infligé aux Blancs. Troisièmement, ils prêchent pour la post-démocratie, en soutenant le multiculturalisme et la juridicisation du politique – nous aurions plutôt tendance à dire la politisation du juridique, mais c’est un autre débat.

C’est ainsi que l’État de droit doit être ringardisé et la Justice court-circuitée, au profit d’un nouvel ordre moral plus conforme aux exigences de cette nouvelle tyrannie qu’un Nietzsche craignait déjà brillamment. L’Occident est manifestement la cible première, c’est lui qui doit consentir aux plus absurdes génuflexions face à des minorités qu’il a flétries jadis, et lui qui doit reconnaître qu’il jouit de privilèges fondés sur la race et la culture. Qui, un beau jour, aura la voix qui porte assez pour clamer qu’une des rares civilisations à avoir complètement aboli l’esclavage, c’est l’Occident ? Quand donc, au sein des rangs hurleurs de ces guévaristes fluorescents, leur rappellera que l’Arabie Saoudite n’a aboli l’esclavage qu’en 1962, Oman en 1970, et la Mauritanie en 1980, et plus généralement l’immensité de l’esclavage pratiqué dans le monde musulman bien avant les Européens, depuis le VIIe siècle ?

En somme, si l’auteur parvient à retracer la chaîne de causalité entre les utopies apparues au XVIe siècle, les totalitarismes de la première moitié du XXe siècle, les théoriciens déconstructeurs de sa seconde moitié (Foucault, Derrida, Deleuze et tout ce courant malheureux qualifié de French theory) et le wokisme intersectionnel d’aujourd’hui, l’on peut demeurer étonné que l’auteur s’étonne. Il y a dans cet ouvrage un soupçon d’universalisme déçu. Comme un républicain attristé de voir que les Droits de l’Homme sont à l’origine de la décadence du droit et de la fin de l’Homme. C’était pourtant inévitable, et, à remonter plus loin, l’on s’aperçoit que la philosophie nominaliste d’un Guillaume d’Occam énonçait déjà au XIVe siècle qu’il n’y a de réel que d’individuel, ce qui est aux fondements de la modernité philosophique, et qui préfigure l’individualisme.

Les Lumières et la Révolution, malgré leur apparence de rupture, ne sont que l’individualisme moderne niché derrière la boursouflure d’idées généreuses que l’on a cru bon d’inscrire dans le droit. Aussi, que l’utopisme a précédé l’obsession de l’Homme Nouveau des totalitarismes, c’est également une évidence, et il n’y a qu’un pas entre l’imagination littéraire d’un homme libre et bon, et le désir politique de le faire émerger. Aujourd’hui c’est le wokisme qui veut régénérer l’humanité; il y a cent ans, c’était le fascisme.

Shmuel Trigano, Petit manuel de postmodernisme illustré. Préface de Jean Szlamowicz (Intervalles, 2022).

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Combat pour la sauvegarde des églises de France : entretien avec Raphaël Venault

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Clocher d'une église d'un village en Mayenne (53), le 2/08/20 / PHOTO: GILE Michel/SIPA / 00976230_000002

Raphaël Venault, président de Force Solidaire (mouvement politique français dont le patriotisme, le souverainisme et la méritocratie sont les fers de lance), nous parle de son combat pour la sauvegarde des églises de France.


CAUSEUR. Il y a un siècle environ, Maurice Barrès volait au secours des églises de France, menacées d’écroulements, de ruines et d’abandon à cause de multiples vides juridiques et à cause, hélas aussi, de l’hostilité antireligieuse de ceux qu’il appelait « les maires sectaires ». Son action en tant qu’écrivain et parlementaire a permis de faire évoluer les choses dans le bon sens. Aujourd’hui, vous reprenez le flambeau et continuez le combat pour la sauvegarde des églises de France. Cela signifie-t-il que ce combat est loin d’être gagné ?

RAPHAËL VENAULT. Dans l’indifférence générale, le 6 juillet, est sorti un rapport sénatorial sur l’état du patrimoine religieux en France. En 2030 jusqu’à 5000 églises pourraient être abandonnées ou détruites. C’est effroyable. Dernier exemple en date : l’église Saint-Wulphy à Rue, fermée pour cause d’effondrement d’une partie du plafond. L’Observatoire du Patrimoine Religieux recense sur son site les églises menacées ou en cours de démolition. Face à l’urgence il faut de nouvelles solutions, le combat n’est pas gagné car la menace évolue. Maurice Barrès luttait contre les anticléricaux, les maires sectaires, dans le contexte d’une France en voie de sécularisation mais où la France de Jeanne était aussi forte que la France de Marianne, surtout dans les campagnes. Grâce à ses efforts, ses textes et ses discours, il y a eu une nette évolution dans les moyens juridiques pour protéger nos églises. Mais le contexte aujourd’hui est différent, la sécularisation est quasiment actée. Nous possédons le deuxième patrimoine religieux d’Europe, derrière l’Italie, permettez-moi d’affirmer que ces places seraient sans doute changées si la Révolution et son œuvre destructrice n’était pas passée par là. Parallèlement nous avons la deuxième communauté de chrétiens les moins pratiquants d’Europe, après les Danois. Nos églises sont menacées car elles ne sont pas fréquentées, mais la sécularisation, le baisse du nombre de prêtres, la fusion des communes sont autant de menaces. De même le déracinement que dénonçait déjà Barrès dans sa trilogie de l’énergie nationale a atteint une tout autre envergure. Les menaces sur notre identité sont plus puissantes que jamais : l’immigration massive, la mondialisation débridée et son américanisation par le divertissement, l’individualisme… Pourtant des monuments se dressent, pour nous rappeler dans chaque commune qui nous sommes : les églises paroissiales. Il faut les maintenir pour maintenir l’espoir. 

La loi permet que les autorités locales, municipales notamment, s’emparent efficacement de la question. Mais vous avez constaté que beaucoup d’élus locaux sont mal renseignés et mal formés pour défendre le patrimoine, y compris lorsqu’ils le voudraient. Comment les aider ?

Depuis 1908, l’ensemble des églises paroissiales construites avant 1905 (y compris celles reconstruites après les destructions des guerres mondiales) appartiennent aux communes. La loi donne de nombreux outils pour que les autorités locales se saisissent de la question. Cependant plusieurs problèmes se posent. Tout d’abord la multiplicité des acteurs qui peuvent intervenir : un maire qui aimerait rénover son église peut utiliser les fonds de dotation de l’État au développement local (DETR et DSIL), il peut s’adresser au conseil départemental et au conseil régional pour obtenir des fonds (à noter que chaque région ou département fonctionne comme il le souhaite, ce qui ne facilite pas la lisibilité pour les maires), il peut solliciter des associations ou des entreprises… le loto du Patrimoine, la Fondation du Patrimoine, la Sauvegarde de l’Art Français, Dartagnans…Tout cela pour le seul financement ! Ajoutons les acteurs à solliciter pour mener à bien la rénovation : l’architecte des bâtiments de France, les conservations régionales des monuments historiques… Un vrai labyrinthe à rendre fou n’importe quel maire peu à l’aise avec ces questions. Autre problème plus terre-à-terre: l’obstacle financier. D’après l’article L.1111-10 du code général des collectivités territoriales, la participation du maître d’ouvrage (ici la mairie) est de minimum 20% du montant total des financements apportés par des personnes publiques au projet. Pour certaines communes rurales avec peu de moyens, financer la rénovation de leur église n’est que rarement la priorité. Chez Force Solidaire nous proposons ainsi de confier aux départements la responsabilité du financement de la rénovation des églises (avec la participation financière de l’État et de la région) pour concilier moyens et proximité, en relation directe avec les CAUE (conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement) qui seront chargés de surveiller l’état des églises du département. Les maires n’auront plus qu’à diriger et surveiller les opérations de rénovations. En attendant que cela soit mis en place, il faut aider les maires directement en les rapprochant des associations spécialistes de ces sujets : la Sauvegarde de l’Art Français et la Fondation du Patrimoine qui les aideront à constituer leurs dossiers et à obtenir des financements. J’invite plus simplement tous les Français à fréquenter leurs églises, à connaître leur histoire, à signaler à leurs maires toute dégradation et à se porter volontaires pour maintenir les églises ouvertes. Ouvrir une église, c’est faire respirer la France.

Comment réagissent les élus que vous approchez en général ? Sont-ils plutôt réceptifs ?

J’ai discuté avec plusieurs élus locaux que j’ai contactés ou qui m’ont contacté. Je peux affirmer qu’ils sont tous attentifs à l’état de leur église. Souvent les obstacles sont plus financiers et techniques que de l’ordre de la volonté. Les Français et les élus sont attachés à leurs églises, elles leur rappellent qui ils sont et les élèvent tous vers plus grand. L’église du village, c’est le monument à échelle locale que tout le monde connaît, c’est un peu de beau offert à tous, une chance pour chacun de s’enraciner et de se rappeler notre histoire locale et nationale. Aussi un maire inactif face à la mort d’une église ferait face à une nette opposition. Cependant les difficultés financières et la moindre fréquentation des églises font que l’on attend souvent que le mal soit déjà avancé pour réagir. De même, lorsqu’une commune a plusieurs églises sur son territoire, des maires peuvent en négliger une au profit de l’autre. Ce phénomène s’est accentué avec la fusion des communes.

Par quel moyen un élu qui voudrait vous contacter pour solliciter votre aide pourrait-il le faire ? 

Si un élu souhaite me contacter il peut le faire via Twitter, j’essaie de m’y connecter une fois par jour pour répondre aux messages privés. Il est aussi possible de me contacter par courriel à veault.raphael@forcesolidaire.fr. Mon association Force Solidaire est un mouvement politique qui a pour vocation la défense de l’identité et de la souveraineté de la France, ainsi que la promotion de sa puissance. Nous ne sommes pas une association de défense des églises, et j’invite les élus à se diriger prioritairement vers les associations spécialisées : la Sauvegarde de l’Art français et la Fondation du Patrimoine. Je peux cependant aider des élus en difficulté pour les accompagner dans leurs démarches, je peux aussi faire la promotion d’un financement participatif, comme je l’ai fait pour l’église Saint-Georges de Bouzemont.

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Contrairement à ce que l’on pourrait croire, tous les monuments religieux, même lorsqu’ils sont très anciens, ne sont pas protégés par le label « Monument historique ». Quelles différences de traitement existe-t-il entre les monuments protégés et les autres ?  

Seuls 15 000 édifices religieux bénéficient d’une protection au titre des monuments historiques pour environ 100 000 édifices religieux tout culte confondu (écrasante majorité catholique) et tout état confondu. La base Mérimée répertorie déjà 8000 autres édifices non protégés qui ont une valeur architecturale et historique certaine. Mais au-delà de ces considérations, « Qui peut donc juger de leur prix, et la plus modeste n’est-elle pas infiniment plus précieuse sur place ? Que m’importe que vous conserviez une église plus belle à Toulouse, si vous jetez bas l’église de mon village ? » demandait Maurice Barrès dans une lettre à Aristide Briand. Certaines églises, certaines cathédrales ou chapelles ont évidemment une valeur architecturale plus importante que d’autres, certaines sont singulières, uniques, d’autres banales sur ce plan. Mais aucune n’est banale dans le cœur de qui la connaît. L’église de son village est bien plus importante pour chacun que ne l’est une plus belle église lointaine. Le maillage fin de nos églises est le marqueur de notre identité à travers tout notre territoire national. Il faut les préserver, toutes. 

La plus grande différence de traitement entre les églises protégées et les autres réside dans l’obligation de rénovation des églises protégées. En dehors de l’Alsace-Moselle du fait du régime concordataire, les maires n’ont aucune obligation législative de prendre soin de leurs églises, sauf en cas de menace pour la sécurité des habitants. Aussi l’État n’apporte un soutien financier spécifique aux communes pour la rénovation des églises que si celles-ci sont protégées. Même si les départements et les régions sont libres d’accorder des aides financières ou non, pour beaucoup de localités les aides ne sont ouvertes que pour les monuments protégés. Il faut saluer les régions et les départements qui en font plus, particulièrement le département des Yvelines qui est exemplaire sur la question avec son dispositif de conservation préventive des édifices historiques (qui concerne tous les édifices d’intérêt patrimonial, protégés ou non). Chez Force Solidaire nous proposons soit de classer l’intégralité des églises d’avant 1905 au titre des monuments historiques, ou au moins leur inscription, soit de créer un régime à part pour protéger tous ces édifices. Cette solution n’est possible que si le ministère de la culture mène un inventaire complet de nos églises de France. Aussi absurde que cela puisse paraître, nous ignorons combien exactement nous avons d’églises sur notre territoire. Le dernier recensement de ce genre a été mené dans les années 80 et est largement lacunaire. Il est capital de connaître notre patrimoine pour mieux le protéger. Chers lecteurs, si vous souhaitez agir pour la cause, écrivez à votre député pour qu’il fasse remonter cette demande au ministère.

Une région s’en sort mieux en matière de protection des églises rurales, nous l’avons évoqué, il s’agit de l’Alsace-Moselle du fait du régime concordataire. Il est nécessaire de s’interroger sur le choix, en France, de la laïcité et sur la pertinence du régime de séparation des Églises et de l’État au regard des défis contemporains : l’islamisation au premier chef qui ne se posait évidemment pas à l’époque. Contrairement à ce que certains affirment, la France, ça n’est pas la laïcité, sinon la France n’existait pas avant 1905, absurde. La France est catholique, pour autant un caractère de notre identité est l’affranchissement de la religion catholique dans le domaine politique dont la laïcité n’en est qu’une illustration. La France a connu d’autres illustrations de ce trait : la politique des rois capétiens (Philippe le Bel, Saint-Louis) dont on ne peut nier la catholicité, le Gallicanisme de Bossuet, puis le régime concordataire. Le Gallicanisme avait comme avantage indéniable qu’il s’agissait d’une doctrine politique dans un cadre catholique. Moins radical, le Concordat avait le mérite de donner le titre au Catholicisme de « Religion de la majorité des Français ». Le tort de la laïcité de 1905, c’est qu’elle renvoie toutes les religions à la même hauteur, ce qui est criminel compte tenu de l’importance du catholicisme dans la formation de l’identité française. 

Dans le rapport du Sénat, il est proposé de favoriser les usages partagés pour garantir la survie des églises peu fréquentées. C’est à dire dans un premier temps développer le tourisme et la visite des églises, ce qui peut se faire à l’aide de bénévoles locaux, mais aussi de proposer des activités culturelles : expositions, concert de musique savante… Tout cela doit se faire avec l’accord de l’affectataire et dans le respect du bâtiment, il n’est pas question ici de prendre exemple sur le défilé des joueuses de handball dans la cathédrale de Metz ce 5 septembre dernier. Dire usages partagés c’est aussi remettre l’église au milieu du village : avant la Révolution les églises servaient à de multiples usages, c’était un lieu de rencontre, un lieu d’accueil des plus fragiles… Redonner aux églises leur place dans les villages c’est aussi favoriser ces actions sociales nécessaires, et cela sera facilité avec une remise en question du régime de 1905, en donnant un réel statut, à part et utile, à l’Église catholique en France.

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Quels arguments déployer pour sensibiliser ceux, élus ou non, que la cause des églises indiffère ?  

Les Français aiment leur patrimoine, les Français aiment leurs églises et ce qu’elles représentent. Il faut insister sur l’importance que revêtent ces églises dans notre enracinement local et spirituel. Au-delà de la simple question religieuse il y a une question d’identité et de culture. Marcel Proust ne parlait-il pas de la France des clochers ? Sept villes en France portent le surnom de « ville aux cent clochers » (Dijon, Caen, Troyes, Arras, Poitiers, Reims, Rouen), le nom de rue le plus donné en France est « Rue de l’église ». Les églises expriment toutes les diversités architecturales locales, elles étaient présentes dans nos communes avant la mairie, elles sont la marque de notre grande histoire, elles sont des lieux de rencontre et de partage. Puisque je ne ferai jamais mieux que paraphraser Maurice Barrès, je préfère le citer : « Elles sont la voix, le chant de notre terre, une voix sortie du sol où elles s’appuient, une voix du temps où elles furent construites et du peuple qui les voulut».

Malgré ces faits et ces mots, certains restent de marbre, voire jouissent, face à la destruction de ce qui nous représente, à l’image de cette représentante de l’UNEF qui qualifiait de « délire de petits blancs » l’émotion de nos compatriotes face à l’incendie de Notre-Dame de Paris. Qui reste indifférent au sort de nos églises ne peut plus être convaincu, c’est un ennemi qu’il faut combattre et marginaliser politiquement. 

A consulter: sur Twitter, @Raphael_Venault ou en suivant le hashtag #SauverLesClochers

Site web: forcesolidaire.fr

Des textes de Maurice Barrès, dont La grande pitié des églises de France, sont re-publiés par la maison d’édition de Force solidaire, La délégation des siècles.

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Le ministre Pap Ndiaye est-il le monsieur Jourdain de l’idéologie ?

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Pap Ndiaye, le 07/10/22 / PHOTO : MOREL.Gilles/SIMAX/SIPA / 01090480_000056

Pris dans une polémique qu’il avait lui-même déclenchée en affichant son mépris pour Éric Zemmour, le ministre de l’Éducation a dû se justifier de l’accusation d’être un idéologue lancée en réplique par l’auteur du Suicide français.


Pap Ndiaye a prétendu que le fait d’être historien le préservait de toute idéologie. Curieux raisonnement de la part d’un chercheur qui ne devrait pas ignorer que l’idéologie n’est nullement absente de l’université. Assurément, le fait de se prévaloir de la qualité d’historien n’est pas en soi un gage suffisant de neutralité idéologique.

Tout s’explique lorsqu’on observe avec quel recul le ministre de l’Éducation accueille une certaine prose universitaire dénoncée par son prédécesseur. Voici le discours qu’il tient en 2019 lors d’une conférence à Sciences Po : « Du côté des sciences sociales, je ne connais pas un chercheur ou une chercheuse qui validerait la notion de racisme anti-Blancs. Donc la notion de racisme anti-Blancs, elle est ridicule ; elle est même, si vous voulez, biaisée d’un point de vue analytique ».Et voilà l’historien immergé dans une idéologie racialiste érigée en science, comme le marxisme en son temps, au point qu’elle lui soit aussi naturelle que l’air qu’il respire. Pap Ndiaye serait même allé, si l’on en croit Alain Finkielkraut, jusqu’à déclarer : « Les insultes et les agressions contre les Blancs ne sont pas du racisme, car elles ne modifient pas leur trajectoire personnelle étant membre du peuple dominant » (« La France insoumise, c’est le nom que se donne la France soumise à l’islamisme », propos recueillis par Alexandre Devecchio, Le Figaro, 24192, 2 juin 2022).

Bien sûr que Pap Ndiaye est un idéologue. Sur le strict plan juridique, je ne sache pas, en effet, qu’il suffise que la victime soit blanche pour que son agresseur jouisse d’une immunité pénale en matière de racisme. De brillants cerveaux démontreront que c’est justement la marque d’un État postcolonial structurellement raciste, soit l’argumentaire parfaitement – et détestablement – idéologique de l’indigénisme. Au nom du concept de racisme que notre ministre partage avec ces énergumènes, il conviendrait en toute logique d’interdire qu’on puisse porter plainte devant la justice pour des faits de racisme dès lors qu’on est blanc. Est-ce le genre de projet de loi que Pap Ndiaye pourrait soutenir ? J’ose croire que non, et c’est là sans doute le plus cinglant désaveu qu’il puisse infliger à sa propre idéologie.

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Qu’est-ce qu’une Nation ? Entretien avec Didier Lemaire

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Didier Lemaire / Capture d'écran YouTube d'une vidéo de la chaine Europe1, du 14/10/21

Après sa Lettre d’un hussard de la République, l’ancien professeur de Trappes, Didier Lemaire, qui avait lancé l’alerte sur la radicalisation de la ville, précise sa pensée et remet, si l’on peut dire, l’église au centre du village, en publiant une Petite Philosophie de la Nation visant à nous rappeler ce qui est censé tous nous unir et ce qui menace le socle même de notre union. Quoi de plus efficace et pédagogique que la philosophie pour redéfinir les mots et les concepts qui cimentent notre quotidien mais semblent plus que jamais nous échapper ?


CAUSEUR. Didier Lemaire, notre époque sait-elle encore ce qu’est une nation, ce qui la constitue et pourquoi il faut la défendre ?

DIDIER LEMAIRE. Quand j’ai commencé à réfléchir à cette notion, je me suis rendu compte que celle-ci n’allait pas de soi. C’était une notion pour moi assez vague, évoquant à la fois des périodes historiques marquées par la violence et l’union des citoyens au-delà de leurs inclinations politiques. Notre époque semble l’assimiler à la population d’un « territoire », comme si elle n’était en rien essentielle à la démocratie et à la République. En creusant la question, je suis allé de découverte en découverte. En tout cas, aujourd’hui, nous ne semblons pas seulement avoir oublié le sens de la nation : nous l’avons abandonnée à différentes forces qui sont en train de la détruire. Si j’ai essayé, dans mon livre, d’en construire un concept philosophique rigoureux, c’est qu’il m’a paru que cette démarche était un préalable indispensable si nous voulons réparer la nation.

Vous rappelez aussi que la Nation fut historiquement une invention de gauche, durant la Révolution française. Et vous accusez cette même gauche d’avoir finalement abandonné la question de la nation aux nationalistes.

Oui, c’est la gauche qui a inventé la nation : c’est la partie gauche de l’Assemblée nationale qui a décidé en effet que cette assemblée, qui réunissait pour la première fois l’aristocratie, le clergé et le tiers état, deviendrait désormais souveraine et que ni le roi ni la religion ne lui dicterait plus ses lois. Peut-être serait-il plus juste de dire que c’est la nation qui a inventé la gauche. La gauche n’existait pas avant ce vote. Or, pour que le vieil ordre politique craquât et qu’une telle fusion entre ces trois groupes sociaux hétéronomes se produisÎt, il fallut que la société fut déjà profondément transformée. La nation fut une invention, née de l’humanisme, qui considéra les hommes, pour la première fois dans l’histoire, comme des individus. C’est sur la base de la singularité de chaque être humain qu’elle réunit les hommes, et non plus sur celle d’une identité sociale préétablie. Étrangement, c’est ce que la gauche a oublié aujourd’hui, en revenant aux vieilles lunes marxistes. Celles d’une société réduite aux rapports de domination, non plus de classes, mais de races, de religions, de genres et de je ne sais encore quelles « identités ». Pour elle, la nation serait ce que les nationalistes en disent. C’est non seulement faux, comme je le démontre dans mon livre, mais c’est aussi une façon de remettre en cause sa légitimité.

Vous écrivez que “l’égalité veut dire, de la façon la plus générale, ce qui a une même valeur. Être égal, ce n’est pas être identique.” Est ce qu’on est en train, en ce moment, de détourner cette définition de l’égalité ?

Ce qui fonde l’égale valeur de chaque individu, et de chaque citoyen, c’est le fait qu’il soit considéré d’abord comme une personne, c’est-à-dire un sujet doué de pensée, et non une chose, déterminée à être ce qu’elle est en fonction de son origine et de déterminations extérieures. Cette idée semble à présent oubliée. Cet oubli a vraisemblablement été le résultat de la promotion du « droit à la différence » qui remit en cause le droit à l’indifférence propre à l’égalité. Pendant ce temps-là, la gauche au pouvoir entreprit le démantèlement des services publics et la désindustrialisation de la France, mettant à mal l’égalité réelle des citoyens. Cette façon de traiter les individus selon leur supposée « origine » n’est cependant pas propre à la gauche. Elle est partagée par les nationalistes et même par cette sorte d’agglomérat de communicants et de technocrates qui nous gouvernent et qui prônent le « multiculturalisme ». Comme si les hommes devaient être avant tout considérés par leur origine et leur supposée « identité ». Nous arrivons, il me semble, à un point de rupture dans notre histoire. Non seulement nous ne savons plus ce qu’est la nation, mais nous ne voulons plus être une nation. Quel paradoxe pour une nation dont la culture fut sans doute l’une des plus individualistes de toutes !

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Est-ce qu’il n’y a pas eu aussi une volonté de faire passer la nation pour un concept démodé, dépassé, archaïque ? Nous sommes nombreux à avoir grandi avec cette idée que les intérêts de la nation seraient de toute façon vite dépassés par des intérêts supranationaux.

Après le démantèlement par la gauche, puis par la droite, des services publics, il fallut sans doute vendre un nouvel horizon aux Français. Ce fut celui de l’Europe économique et de la mondialisation. Sous couvert du progrès économique, on fit passer la nation pour une chose du passée. Un discours d’autant plus efficace qu’en laissant la nation aux nationalistes, on pouvait en faire un repoussoir… On renonça donc à notre souveraineté nationale, on ouvrit nos frontières, on accueillit même les islamistes à bras ouverts, et notre pays devint peu à peu un «territoire», un espace purement administratif dans lequel n’importe quel groupe vient comme il est, impose ses mœurs et ses lois, y compris quand celles-ci vont à l’encontre de nos principes de liberté et d’égalité. Sous couvert de tolérance, les gagnants de la mondialisation et la petite classe moyenne éduquée triomphèrent.

Vous rappelez dans votre livre que la nation se fonde historiquement sur l’intérêt pour l’individu, cet être singulier. Le recul de la nation irait donc de pair avec le recul de l’individu, selon vous ?

C’est le cœur de mon livre. J’ai montré que cette invention coïncida d’abord avec l’émergence de l’individu puis avec la conscience plus ou moins claire que la société n’est pas un ordre supérieur à l’individu puisqu’elle consiste, essentiellement, dans des rapports de solidarité, d’obligations réciproques, où chacun reçoit et donne à son tour. La nation fut ainsi, selon Mauss, la manifestation d’un « sens du social ». C’est la raison pour laquelle cette communauté de citoyens libres et égaux se donna des services publics, régaliens ou sociaux. On ne peut, à mon avis, comprendre le recul de l’individu et cette obsession pour les identités qui traverse actuellement le débat public qu’à la lumière de cette perte du « sens du social ».

Vous pointez du doigt ce petit travers de notre époque de confondre l’individualisme avec l’égoïsme. Vous écrivez : “L’individualisme, ce n’est pas chacun pour soi, c’est avant tout une morale. Cette morale établit que le commun entre les individus réside dans leur qualité d’homme.” En assimilant l’individualisme à l’égoïsme, fait-on le jeu du collectivisme ?

Exactement. Une partie de mon livre est consacrée à la notion d’intérêt. Je me suis demandé ce qui fonde le lien social. J’ai montré, en m’appuyant sur des sociologues et des anthropologues, mais aussi sur des philosophes comme Aristote, ou plus proches de nous, Bergson ou Popper, que les théories politiques pour lesquelles la société n’est qu’un système de maximisation de l’intérêt, que celui-ci soit égoïste ou collectif, sont fausses. Il est difficile de développer cette idée en quelques phrases. Pour vous répondre, ces conceptions de l’homme font le jeu, en effet, du collectivisme, d’une société où il faut traiter l’individu comme une chose, un échantillon d’un groupe, voire l’éliminer totalement. Elles ont en commun de ne pas reconnaître l’individu en tant qu’être singulier, capable de se dépasser par la pensée, et de se reconnaître en l’autre. Ce sont des conceptions anti-humanistes qui ne peuvent que conduire à édifier des États totalitaires.

En abordant la question de la culture, vous affirmez que, contrairement à ce que les nationalistes prétendent, on ne peut pas fonder la nation sur la culture. Mais vous dites aussi que pour vaincre le nationalisme, il faut que la culture redevienne une source de satisfaction. N’est-ce pas une contradiction ? Quand on dit que les jeunes d’aujourd’hui se cherchent une identité, est ce qu’ils ne se cherchent pas une culture, en réalité ?

La culture est certes la condition de la nation. Mais elle ne définit pas la nation. Quand je dis « la culture », plus précisément, je parle de la culture humaniste, cette synthèse entre la culture grecque, une culture de la rationalité et de l’universalité, et la tradition chrétienne issue d’une religion tout à fait étonnante dans l’histoire de l’humanité car ce n’est pas simplement une religion monothéiste : c’est une religion de la personne. La nation, c’est une tout autre chose : c’est un cadre politique et juridique et la souveraineté du peuple. Et si l’on réduit la nation à je ne sais quelle identité mythique, comme le font les nationalistes, c’est la mort de l’individu et donc la mort de la nation. Un mot sur la culture. Malraux disait que « La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert ». C’est pour permettre cette conquête de la culture que la nation protège le patrimoine national, construit des musées nationaux, développe une instruction nationale. L’école est, ou plutôt était, le creuset de la nation. C’était grâce à elle que les hommes pouvaient dépasser leurs origines et acquérir une culture commune, une culture qui les libérait de l’opinion par la science et les ouvrait au monde et aux autres hommes par les humanités. Il y avait un lien vivant entre la culture et la nation. Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’acquérir une culture pour devenir soi-même mais de proclamer je ne sais quelle identité d’origine. Le contraire même de la culture ! Et un moyen de fracturer la nation.

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Vous encouragez, dans votre livre, la notion d’assimilation. Qui dit intégration dit aussi intégration culturelle.

Oui, je n’ai pas peur du mot assimilation. La France a été une terre d’accueil et une terre d’assimilation. On devenait français en adoptant à minima une langue et des mœurs, pas seulement en ayant un titre de résidant. Ce n’est plus le cas à présent. Et quand notre pays est confronté à une force qui veut, comme l’islamisme, la détruire en travaillant la jeunesse issue de l’immigration pour qu’elle ne se sente pas appartenir à la communauté nationale, et pis, qu’elle nourrisse des sentiment de haine à l’égard de la France, la seule réponse de nos gouvernants, c’est la « tolérance ». La République abandonne ses enfants. L’intégration culturelle, pour ce faire, exigerait des mesures drastiques, tant dans la politique du logement qu’à l’école. Mais il faudrait commencer par soustraire cette jeunesse à l’emprise des prédicateurs de haine. Et expulser ceux qui refusent cette intégration en utilisant, par exemple, leurs enfants, pour saper l’école, intimider leurs professeurs et imposer partout les marqueurs de leur sécession.

Vous consacrez un long chapitre aux nationalistes que vous décrivez comme des faux amis de la nation. Utilisent-ils vraiment le concept de nation par simple opportunisme, dans le seul objectif de diviser les citoyens ?

Il me semble, en tout cas, que dans l’Histoire, les nationalistes arrivent toujours à des moments où les sociétés vont très mal… En France, outre l’islamisme, et une immigration mal encadrée, nous avons une fracture territoriale et une fracture sociale qui ne cessent de s’élargir. Et évidemment, quand aucun parti ne répond à ces questions-là, c’est du pain béni pour les nationalistes. S’ils accèdent un jour au pouvoir, ils ne reconstruiront pas la nation. Ils feront ce qu’ils ont toujours fait : ils opposeront les hommes selon leur « identité ». On peut imaginer alors le chaos qui s’en suivrait.

Vous écrivez “La France éternelle du nationalisme, c’est une France qui a toujours été identique à elle-même et qui, dans son rêve, ne devrait jamais changer.” Est-ce que vous ne mettez pas un peu dos à dos les conservateurs et les nationalistes ?

Les conservateurs, pas forcément. Certains d’entre eux sont attachés à la nation et se rendent bien compte de l’urgence de défendre notre culture et de réparer la nation. Les nationalistes, certainement.

Vous faites un excellent portrait dans votre livre des différents totalitarismes, de ceux du passé mais aussi de ceux qui nous menacent actuellement. Vous faites un rapprochement entre totalitarisme et sentiment religieux, en observant que chaque totalitarisme semble fonctionner comme une secte.

J’ai consacré mon dernier chapitre à la tentation totalitaire qui semble traverser une large partie de la gauche aujourd’hui. Comment se fait-il que la gauche, qui a inventé la nation, soit devenue, historiquement avec le communisme, son pire ennemi ? Très schématiquement, il me semble que la petite classe moyenne intellectuelle se trouve, en raison de sa position sociale fragile mais privilégiée, sujette à une culpabilité très forte. L’idée que la société ne serait qu’un monstrueux système de domination, faisant des victimes qu’il faudrait à tout prix sauver, lui permet de se protéger d’un sentiment qui l’empoisonne. C’est la raison pour laquelle, dans les périodes où la nation recule, cette classe de lettrés, de scientifiques, d’artistes, d’enseignants, de journalistes, est séduite par les doctrines qui promettent de remplacer le vieux monde par un monde parfait. Il y a dans ce projet quelque chose de religieux. Comme dans les sectes, les gens n’adhèrent pas à cette idée non parce qu’elle pourrait être démontrée mais parce qu’ils la croient bonne. Et cette idée leur paraît d’autant meilleure qu’elle leur procure le sentiment qu’ils font partie du camp du bien. Débattre avec ces gens-là devient très difficile. Ils vous font des procès d’intention et vous traitent en permanence comme un ennemi, quand ils ne vous ignorent pas totalement.

Vous écrivez que « les totalitarismes ne se reconnaissent pas forcément tout de suite parce qu’ils se développent progressivement ». Pensez-vous que le nouvel antiracisme identitaire est un totalitarisme en devenir ?

Oui, j’essaie de proposer une explication des idées non par d’autres idées, pour sortir de ce cercle, ni par un simple contexte historique, mais par des motivations qui ont une double dimension psychique et sociale. Ces discours sur les identités renferment les prémisses d’une idéologie totalitaire. Car ce à quoi ils s’attaquent, c’est à la possibilité de devenir un individu et la valeur de l’individu. Comme dans le marxisme, la pensée est réduite à l’être ; toute pensée est l’expression d’une origine ou d’un état préétabli. Elle n’a donc aucune possibilité d’être autonome, même par la rationalité. Personne ne peut prétendre penser par soi-même, les idées étant déductibles de l’origine de chacun. L’antiracisme identitaire est un racisme totalitaire : il nie la possibilité, pour chaque être humain, de se définir autrement que par son identité. Il considère, dès lors, que la violence est justifiée puisque l’individu n’a pas de valeur et que seule la violence régit la société.

La langue commune de la nation subit actuellement des attaques idéologiques venant des identitaires de gauche. Pensez-vous qu’il y ait un élément de réponse dans la défense de la langue ou est-ce que c’est un combat perdu d’avance ?

Que la langue devienne un moyen de diviser les hommes qui la parlent en marquant leur camp idéologique constitue un des symptômes de la fracture nationale. Je doute qu’une médecine efficace consiste à lutter contre les symptômes. Il faut lutter contre la maladie. Réparer la nation. Ce combat est-il perdu d’avance ? Mon livre est la réponse d’un professeur de philosophie inquiet, qui fait face à un effondrement de nos services publics – l’école, la police, la justice, l’hôpital, l’énergie, les transports… – et qui voit notre pays livré à des forces qui le minent, y compris à la tête de son gouvernement. Il me paraît indispensable de remettre cette notion à sa juste place si nous voulons pouvoir un jour réparer la nation.

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Le grand déménagement

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Face aux nouvelles contraintes énergétiques, le marché locatif privé, déjà tendu, va être amputé de centaines de milliers de logements.


En cette fin d’année, le marché immobilier français est affecté par deux phénomènes structurels : la hausse des taux d’intérêt et les conséquences de la transition énergétique. Si la hausse de taux, à la fois importante et rapide, pèse sur la solvabilité des ménages, le durcissement considérable des réglementations et restrictions énergétiques risque de bouleverser profondément le marché locatif.

Le dispositif passe de l’incitation à la contrainte. Depuis cet été, il est déjà interdit d’augmenter les loyers des « passoires thermiques » – logements classés F et G après diagnostic de performances énergétiques. En janvier, nombre des logements classés G seront interdits à la location (environ 70 000 logements dans le parc privé). Enfin, à partir de 2025, un niveau de performance énergétique minimal (progressivement rehaussé) sera exigé pour pouvoir louer un logement. Ces mesures qui concernent 4,8 millions de logements en France pourraient fortement perturber le marché. En établissant sur le locatif une contrainte forte difficile à respecter faute d’offre suffisante, la réglementation devrait conduire à une accélération des mises sur le marché de biens F et G. Résultat : moins d’offres locatives, plus d’offres sur un marché des ventes en décélération.

Jean-Marc Torrollion, président de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), anticipe déjà les conséquences de cette réglementation : « Les bailleurs ont tendance soit à rénover soit à vendre les biens classés G ». En effet, réaliser 25 000 euros de travaux dans un appartement en valant 100 000 ou 150 000 pour espérer à peine 1 000 ou 1 500 euros supplémentaires de loyer annuel n’est pas économiquement raisonnable. Et les professionnels craignent une période difficile. « Nous sommes très inquiets, confie Torrollion, parce que nous pensons que les bailleurs vont mettre en vente des logements du parc privé locatif qui ne pourront plus être loués à l’avenir. Ce parc – 1 200 000  à 1 400 000 logements loués chaque année, dont 30 % pour moins de deux ans – va perdre 400 000 logements dans les cinq ou six années qui viennent ! »

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Torrollion n’exclut pas un scénario d’effondrement de l’offre de location en Île-de-France. « En Île-de-France, 27 % des logements du parc privé locatif sont classés F ou G. [..] 34 % des logements parisiens sont en dépassement énergétique. Imagine-t-on se priver de 150 000 logements sur les 500 000 du parc privé locatif de la capitale ? »

Le goulot d’étranglement est la filière de la rénovation énergétique, qui commence avec les entreprises chargées des diagnostics. « On fait reposer sur elles une mission de service public, déplore Torrollion, décider si on a ou pas le droit de louer un bien et influencer fortement la valeur des biens. Cette filière doit se structurer et gagner la confiance de l’ensemble des filières de l’immobilier ». Autant dire qu’aujourd’hui, elle ne l’a pas…

Viennent ensuite tous ceux qui doivent faire les travaux (ingénieurs, corps de métiers, fournisseurs). Et là aussi les perspectives sont sombres. « Je ne crois pas un instant que ce secteur soit capable d’absorber la rénovation énergétique de 1 500 000 logements d’ici cinq ans », constate Torrollion. Pour lui, « le calendrier actuel imposé par l’État est trop serré et, en plus d’être inflationniste, il rend impossibles le suivi et la mise en œuvre de ces chantiers ». En conséquence, la seule option raisonnable est de revenir sur ces règles adoptées par des technos qui semblent n’avoir aucun contact avec la vie réelle.

« Il n’y a pas de réconciliation sans confiance et il n’y a pas de confiance sans vérité ». Pour une paix juste dans le Caucase du Sud

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Le président Macron lors d'une conférence vidéo avec le président du Conseil européen, le président de l'Azerbaijan et le premier ministre de l'Arménie, le 4 février 2022 Yoan Valat/AP/SIPA AP22648645_000001

Malgré les efforts de médiation de l’UE – et notamment de la France – pour favoriser un accord de paix durable entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, le président Macron a fait une déclaration dans laquelle il semble prendre parti pour l’Arménie. Le risque de cette déclaration est double : mettre en péril le rôle de médiateur de la France et renforcer l’influence de la Russie dans ce conflit. Thierry Valle, directeur de Coordination des Associations et des Particuliers pour la Liberté de Conscience, plaide pour que se mettent en place les véritables conditions pour une véritable réconciliation entre les deux peuples.


Après le deuxième conflit du Karabagh de 2020, un épineux processus de normalisation relationnelle a débuté entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Ce processus se distingue par sa complexité et sa sensibilité pour un certain nombre de raisons, dont la principale est la méfiance mutuelle des parties en conflit, causée par trois longues décennies d’inimitié et de sang versé.

Au cœur de ce conflit, il existe deux enjeux cruciaux.

Le premier est l’enjeu de l’intégrité territoriale qui, selon les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, a été violée par les troupes arméniennes qui, au cours des 30 dernières années, ont occupé environ 20 % des territoires azerbaïdjanais internationalement reconnus. 

Le second est la sécurité des Arméniens du Haut-Karabagh – une enclave en Azerbaïdjan où le déclenchement du mouvement séparatiste a coïncidé avec l’effondrement de l’Union soviétique.

Depuis l’année dernière, l’Union Européenne intervient dans les discussions délicates pour servir de médiateur entre les deux états en vue de parvenir à une paix durable, mais également en vue de réduire la dépendance des deux parties vis-à-vis de la Russie.

Une série de réunions trilatérales entre le Président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan a été organisée par le Président du Conseil Européen, Charles Michel. 

Contrairement à l’opinion générale en Azerbaïdjan selon laquelle la France se range du côté des Arméniens, le Président français Emmanuel Macron a participé à certains de ces entretiens en tant que médiateur impartial.

La dernière réunion, qui s’est tenue à Prague au début du mois d’octobre, a laissé entrevoir un espoir de paix, les parties ayant accepté de résoudre les problèmes fondamentaux du conflit, à savoir la reconnaissance mutuelle de leur intégrité territoriale et la nécessité d’un mécanisme de communication directe entre Bakou et les Arméniens du Haut-Karabakh. L’envoi d’observateurs de l’UE à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a également été convenu afin de réduire le monopole russe dans la région.

Quelques jours après cette réunion, que certains considèrent comme une percée historique, le Président français a fait une déclaration maladroite, prenant ouvertement parti pour l’une des parties : « L’Arménie a toujours lutté pour la tolérance et la paix dans cette région ». De plus, en contraste avec la décision prise à Prague par les parties de reconnaître l’intégrité territoriale de l’autre, le Président Macron annonce que « l’Arménie était au Karabagh parce que le Karabagh est au cœur de ce pays (l’Arménie) ».

Une telle déclaration ne constitue pas seulement une atteinte à un principe fondamental des normes internationales tel que l’intégrité territoriale, mais nuit manifestement au rôle de la France en tant que médiateur impartial dans le processus de stabilisation arméno-azerbaïdjanais. En raison du leadership de la France au sein de l’UE et de l’association étroite du Président français avec le processus de médiation de l’UE, la déclaration jette une ombre sur tous les efforts européens récents visant à mettre Bakou et Erevan en négociations directes pour un accord de paix historique. Il n’est pas surprenant qu’en Azerbaïdjan, cette déclaration ait été reçue non pas comme « une nouvelle preuve de la partialité de la France », mais comme une offense aux doléances des Azerbaïdjanais, pour lesquels le conflit a fait des milliers de victimes civiles, tout comme en Arménie.  En conséquence, le Président azerbaïdjanais a rejeté le futur rôle de médiation dans le processus de paix de la France. Si l’on ajoute que le principal bénéficiaire de l’effet créé par la déclaration sera la Russie, qui manipule les parties pour aggraver le conflit, la déclaration de Macron devient le geste diplomatique le plus important de l’histoire des relations de la France avec les États post-soviétiques.

Mais cette déclaration malencontreuse n’est pas seulement préjudiciable politiquement pour la position de la France dans le Caucase du Sud. Elle porte également atteinte à la position morale de la République française ancrée dans le principe « Égalité » de sa devise. L’Egalité doit se traduire en actes au niveau international comme au niveau national.

A cet égard, nous nous devons de nous référer à une réunion que vient de tenir la Coalition des ONG européennes à Genève, en marge du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. La conférence avait pour but de développer un contexte pour favoriser le dialogue direct entre les Azerbaïdjanais et les Arméniens afin de surmonter les souvenirs du conflit et de trouver ensemble des moyens de réconciliation et de paix durable. Elle a mis l’accent sur la page la plus horrible et la plus sombre de l’ancien conflit du Karabagh, à savoir le massacre de civils azerbaïdjanais innocents dans la ville de Khodjaly. En une seule nuit, le 26 février 1992, lorsque les forces arméniennes se sont emparées de la ville, 613 civils innocents, dont 63 enfants, 106 femmes et 70 personnes âgées, ont été brutalement assassinés, 487 civils ont été gravement blessés et un millier d’entre eux ont été pris en otage.

Monsieur le Président de la République,

Le massacre de Khojaly est l’objet d’une inimitié de longue date entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Et ce n’est certainement pas la manière d’agir attendue d’un état tel que l’Arménie qui a « lutté pour la tolérance et la paix dans cette région ».

La Coalition des ONG européennes a abordé de manière innovante ce sombre souvenir du massacre le plus sanglant de la guerre du Karabakh : demandant à ce que la justice transitionnelle soit appliquée pour que les blessures des victimes soient pansées, le comité de la Coalition réuni à l’ONU a conclu qu’encourager l’Arménie à reconnaître comme il convient le massacre de Khojaly et à présenter des excuses publiques à ses victimes, ainsi qu’encourager l’Azerbaïdjan à ouvrir un espace public pour un dialogue direct sur la question de Khojaly entre les sociétés civiles des deux pays – serait une étape importante pour l’établissement d’une véritable réconciliation entre les peuples.

En tant que citoyen français attaché aux valeurs de la République et en tant que défenseur des droits de l’homme qui se consacre à la lutte pour la justice, la dignité humaine et la paix, je sollicite votre responsabilité politique et morale qui exige de satisfaire les doléances des deux parties afin de renforcer le processus de paix.

Il est plus que nécessaire pour l’engagement d’un processus de paix durable d’amener le gouvernement arménien à prendre une mesure audacieuse pour briser le tabou autour de Khojaly, de reconnaître la gravité de ce crime perpétré par les gouvernements précédents et d’encourager l’émergence de la vérité. En ce faisant, vous ne restaurerez pas seulement la position impartiale de la France dans la politique de cette région du monde mais vous restaurerez la confiance des peuples de cette région dans ce que vous appelez « nos valeurs et nos principes ».

Comme Mère Munira, représentante du symbole moral européen de la lutte pour la justice et la défenseuse des victimes de Srebrenica, qui fut le dernier génocide européen, l’a déclaré lors de la conférence à l’ONU :  » Il n’y a pas de réconciliation sans confiance et il n’y a pas de confiance sans vérité « .

Ce n’est qu’en étant sincèrement honnêtes que nous serons dignes de confiance en tant que nation respectée pour ses grandes valeurs et ses principes ainsi qu’en tant que nation médiatrice pour la paix dans le Caucase du Sud.

La langue française en danger

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Institut français, regroupant cinq prestigieuses académie, dont l'Académie Française. 20/12/11 / PHOTO : Christophe Ena/AP/SIPA / AP21140930_000001

Une des causes évidentes du délitement de notre langue – qui s’exprime à travers la manie pour l’écriture dite « inclusive » – est le refus de l’étymologie latine. Lauteur (sans -e) de La Guerre au français (2018) adresse un rappel à l’ordre à l’Académie française.


Depuis la mort de Jacqueline de Romilly, est-il excessif voire injuste, de dire que l’Académie Française a négligé, sous la pression féministe, l’héritage latin de notre langue ? Au point de déclarer, contre toute logique linguistique, au cours de cette bataille homérique, mortifère, qu’est la « féminisation de notre langue », cette chose comique, que la lettre -e, octroyée, par bienveillance aux dames, devait rester lettre muette !

Je suis une des premières à avoir claironné, dans les journaux en ligne, et inlassablement, depuis cinq ans, que la lettre -e était un cheval de Troie, au moment même où certain.e.s, dont une Académicienne, se réjouissaient qu’avec le « e » les femmes étaient rendues…visibles même si cette visibilité se faisait au prix de leur mutisme. A présent, on s’émeut, à juste titre, mais ô combien tard ! de l’épidémie de l’inclusive, partout, dans les administrations et l’Education Nationale. Pour y couper court, n’aurait-il pas fallu que l’Académie Française rappelât, sans état d’âme, et répétât, au besoin, des évidences qui tiennent en quelques phrases : le genre grammatical n’est pas le sexe, le -e n’est aucunement un suffixe féminin, un substantif n’est pas un adjectif, variable en « genre et en nombre», l’orthographe française est étymologique et non pas phonétique, on ne décrète pas la nouvelle genèse de notre langue en 2022. Et le président de la République devait rappeler, par la voix du premier ministre, et en personne, s’il le fallait, l’Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) , garante de l’unité de notre langue, donc de notre pays, car l’histoire de la langue, en France, a toujours été un combat.

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Avec l’idéologie féministe, à présent, on voit couplés, ad nauseam, fanatisme et ignorance. Pour parler « la langue de Molière », on s’y emploie! Tous les jours, c’est la phrase de Toinette dans le Malade Imaginaire disant à Argan : « Ignorantus, ignoranta, ignorantum »! Sauf qu’il n’est plus temps de rire. Ou de labourer la mer en constatant l’archipélisation de notre pays, le délitement de ceci et de cela : il faut y remédier par des mesures concrètes. Oui, notre langue est attaquée : elle est même en danger de mort. Je ne sais ce que vaut l’initiative de Zemmour qui demande l’engagement actif des parents d’élèves pour dénoncer l’emprise des idéologies à l’école. Ce que je sais, c’est qu’il serait bon de ne plus tenir à l’écart, comme on le fait, certains philologues — fussent-ils agrégés de Lettres classiques, discipline que l’on veut voir disparaître car elle témoigne, de manière éclatante, de l’héritage latin de notre langue.

A quand « ma Générale » ou « ma Colonelle » dans la bouche présidentielle, un jour de 14 juillet ? Nul ne doute, en effet, que les sapeuses pompières et les chasseuses alpines sont dans les starting-block des dictionnaires à venir. Mais pourquoi pas « médecine » pour le féminin de médecin? Un Professeur au collège de France, pardon, une professeure, n’a-t-elle pas été faite Chevalière de la légion d’Honneur ? Pourquoi, direz-vous ? Parce qu’on n’arrête pas le progrès ! C’est pourquoi notre école est en tête des tableaux d’excellence dans les classements mondiaux !