Accueil Monde « Il n’y a pas de réconciliation sans confiance et il n’y a pas de confiance sans vérité ». Pour une paix juste dans le Caucase du Sud

« Il n’y a pas de réconciliation sans confiance et il n’y a pas de confiance sans vérité ». Pour une paix juste dans le Caucase du Sud


« Il n’y a pas de réconciliation sans confiance et il n’y a pas de confiance sans vérité ». Pour une paix juste dans le Caucase du Sud
Le président Macron lors d'une conférence vidéo avec le président du Conseil européen, le président de l'Azerbaijan et le premier ministre de l'Arménie, le 4 février 2022 Yoan Valat/AP/SIPA AP22648645_000001

Malgré les efforts de médiation de l’UE – et notamment de la France – pour favoriser un accord de paix durable entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, le président Macron a fait une déclaration dans laquelle il semble prendre parti pour l’Arménie. Le risque de cette déclaration est double : mettre en péril le rôle de médiateur de la France et renforcer l’influence de la Russie dans ce conflit. Thierry Valle, directeur de Coordination des Associations et des Particuliers pour la Liberté de Conscience, plaide pour que se mettent en place les véritables conditions pour une véritable réconciliation entre les deux peuples.


Après le deuxième conflit du Karabagh de 2020, un épineux processus de normalisation relationnelle a débuté entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Ce processus se distingue par sa complexité et sa sensibilité pour un certain nombre de raisons, dont la principale est la méfiance mutuelle des parties en conflit, causée par trois longues décennies d’inimitié et de sang versé.

Au cœur de ce conflit, il existe deux enjeux cruciaux.

Le premier est l’enjeu de l’intégrité territoriale qui, selon les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, a été violée par les troupes arméniennes qui, au cours des 30 dernières années, ont occupé environ 20 % des territoires azerbaïdjanais internationalement reconnus. 

Le second est la sécurité des Arméniens du Haut-Karabagh – une enclave en Azerbaïdjan où le déclenchement du mouvement séparatiste a coïncidé avec l’effondrement de l’Union soviétique.

Depuis l’année dernière, l’Union Européenne intervient dans les discussions délicates pour servir de médiateur entre les deux états en vue de parvenir à une paix durable, mais également en vue de réduire la dépendance des deux parties vis-à-vis de la Russie.

Une série de réunions trilatérales entre le Président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan a été organisée par le Président du Conseil Européen, Charles Michel. 

Contrairement à l’opinion générale en Azerbaïdjan selon laquelle la France se range du côté des Arméniens, le Président français Emmanuel Macron a participé à certains de ces entretiens en tant que médiateur impartial.

La dernière réunion, qui s’est tenue à Prague au début du mois d’octobre, a laissé entrevoir un espoir de paix, les parties ayant accepté de résoudre les problèmes fondamentaux du conflit, à savoir la reconnaissance mutuelle de leur intégrité territoriale et la nécessité d’un mécanisme de communication directe entre Bakou et les Arméniens du Haut-Karabakh. L’envoi d’observateurs de l’UE à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a également été convenu afin de réduire le monopole russe dans la région.

Quelques jours après cette réunion, que certains considèrent comme une percée historique, le Président français a fait une déclaration maladroite, prenant ouvertement parti pour l’une des parties : « L’Arménie a toujours lutté pour la tolérance et la paix dans cette région ». De plus, en contraste avec la décision prise à Prague par les parties de reconnaître l’intégrité territoriale de l’autre, le Président Macron annonce que « l’Arménie était au Karabagh parce que le Karabagh est au cœur de ce pays (l’Arménie) ».

Une telle déclaration ne constitue pas seulement une atteinte à un principe fondamental des normes internationales tel que l’intégrité territoriale, mais nuit manifestement au rôle de la France en tant que médiateur impartial dans le processus de stabilisation arméno-azerbaïdjanais. En raison du leadership de la France au sein de l’UE et de l’association étroite du Président français avec le processus de médiation de l’UE, la déclaration jette une ombre sur tous les efforts européens récents visant à mettre Bakou et Erevan en négociations directes pour un accord de paix historique. Il n’est pas surprenant qu’en Azerbaïdjan, cette déclaration ait été reçue non pas comme « une nouvelle preuve de la partialité de la France », mais comme une offense aux doléances des Azerbaïdjanais, pour lesquels le conflit a fait des milliers de victimes civiles, tout comme en Arménie.  En conséquence, le Président azerbaïdjanais a rejeté le futur rôle de médiation dans le processus de paix de la France. Si l’on ajoute que le principal bénéficiaire de l’effet créé par la déclaration sera la Russie, qui manipule les parties pour aggraver le conflit, la déclaration de Macron devient le geste diplomatique le plus important de l’histoire des relations de la France avec les États post-soviétiques.

Mais cette déclaration malencontreuse n’est pas seulement préjudiciable politiquement pour la position de la France dans le Caucase du Sud. Elle porte également atteinte à la position morale de la République française ancrée dans le principe « Égalité » de sa devise. L’Egalité doit se traduire en actes au niveau international comme au niveau national.

A cet égard, nous nous devons de nous référer à une réunion que vient de tenir la Coalition des ONG européennes à Genève, en marge du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. La conférence avait pour but de développer un contexte pour favoriser le dialogue direct entre les Azerbaïdjanais et les Arméniens afin de surmonter les souvenirs du conflit et de trouver ensemble des moyens de réconciliation et de paix durable. Elle a mis l’accent sur la page la plus horrible et la plus sombre de l’ancien conflit du Karabagh, à savoir le massacre de civils azerbaïdjanais innocents dans la ville de Khodjaly. En une seule nuit, le 26 février 1992, lorsque les forces arméniennes se sont emparées de la ville, 613 civils innocents, dont 63 enfants, 106 femmes et 70 personnes âgées, ont été brutalement assassinés, 487 civils ont été gravement blessés et un millier d’entre eux ont été pris en otage.

Monsieur le Président de la République,

Le massacre de Khojaly est l’objet d’une inimitié de longue date entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Et ce n’est certainement pas la manière d’agir attendue d’un état tel que l’Arménie qui a « lutté pour la tolérance et la paix dans cette région ».

La Coalition des ONG européennes a abordé de manière innovante ce sombre souvenir du massacre le plus sanglant de la guerre du Karabakh : demandant à ce que la justice transitionnelle soit appliquée pour que les blessures des victimes soient pansées, le comité de la Coalition réuni à l’ONU a conclu qu’encourager l’Arménie à reconnaître comme il convient le massacre de Khojaly et à présenter des excuses publiques à ses victimes, ainsi qu’encourager l’Azerbaïdjan à ouvrir un espace public pour un dialogue direct sur la question de Khojaly entre les sociétés civiles des deux pays – serait une étape importante pour l’établissement d’une véritable réconciliation entre les peuples.

En tant que citoyen français attaché aux valeurs de la République et en tant que défenseur des droits de l’homme qui se consacre à la lutte pour la justice, la dignité humaine et la paix, je sollicite votre responsabilité politique et morale qui exige de satisfaire les doléances des deux parties afin de renforcer le processus de paix.

Il est plus que nécessaire pour l’engagement d’un processus de paix durable d’amener le gouvernement arménien à prendre une mesure audacieuse pour briser le tabou autour de Khojaly, de reconnaître la gravité de ce crime perpétré par les gouvernements précédents et d’encourager l’émergence de la vérité. En ce faisant, vous ne restaurerez pas seulement la position impartiale de la France dans la politique de cette région du monde mais vous restaurerez la confiance des peuples de cette région dans ce que vous appelez « nos valeurs et nos principes ».

Comme Mère Munira, représentante du symbole moral européen de la lutte pour la justice et la défenseuse des victimes de Srebrenica, qui fut le dernier génocide européen, l’a déclaré lors de la conférence à l’ONU :  » Il n’y a pas de réconciliation sans confiance et il n’y a pas de confiance sans vérité « .

Ce n’est qu’en étant sincèrement honnêtes que nous serons dignes de confiance en tant que nation respectée pour ses grandes valeurs et ses principes ainsi qu’en tant que nation médiatrice pour la paix dans le Caucase du Sud.



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