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Richard Millet aggrave son cas

Dans un silence retentissant, Richard Millet publie deux textes magistraux : La Forteresse, son autobiographie et La Princesse odrysienne, un ultime roman. Ostracisé par le clergé médiatico-littéraire, il confirme pourtant, avec ces pages, être l’un de nos plus grands écrivains.


Il est des livres qui produisent un ébranlement singulier chez le lecteur. Mais c’est de plus en plus rare. Notre époque a sonné le glas de la littérature. Les fonctionnaires du culturel surveillent le terrain et les derniers écrivains, ceux qui créent une œuvre, maîtrisent la langue française – désormais trouée comme un manteau de lépreux – et possèdent un style puissant, sont voués aux gémonies. On encense les médiocres car ils ne perturbent pas le système d’amnésie généralisée. Richard Millet en sait quelque chose, mais il continue d’écrire. Lui, l’écrivain condamné à la mort sociale par les sycophantes du nouvel ordre moral pour avoir publié, il y a dix ans, un livre interdit. Quel était le mobile pour dresser le procès-verbal de son exclusion fatale ? Un court texte au titre provocateur, pas lu par ses détracteurs, Éloge littéraire d’Anders Breivik.

Il n’était pas question de faire l’apologie du tueur de masse, mais d’indiquer que l’effondrement des valeurs de la civilisation européenne, ainsi que la perte de l’identité nationale, risquait d’engendrer de tels actes barbares. Cette urgence à dénoncer l’idée de décadence doit être l’une des fonctions fondamentales de la littérature. Richard Millet, écrivain talentueux et protéiforme, éditeur scrupuleux chez Gallimard (deux de ses « protégés » ont obtenu le prix Goncourt), n’a bénéficié d’aucune protection. L’homme était un solitaire et il l’est resté. Figure moderne du croisé, il a osé défendre les valeurs de l’Occident ; et a scellé son sort.

La Forteresse est une autobiographie dans laquelle Richard Millet retrace ses vingt premières années, de 1953 – naissance le 29 mars, un dimanche des Rameaux, à Viam, sur les terres âpres du Limousin – à 1973. Les années suivantes sont évoquées dans les trois tomes de son journal ainsi que dans La Confession négative et Tuer. Aussi, Millet ne revient-il que de manière brève sur le texte qui lui valut le bannissement de la part du « clergé médiatico-littéraire », notamment pour lui répondre, à ce clergé tout-puissant : « J’écris pour ne pas lui accorder une autre forme de défaite ».

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Nous voici donc face à la boîte noire de l’enfance. Elle est hautement irradiée, et l’écrivain révèle ce qu’elle peut avoir de plus intime, dérangeant, voire violent. Il la dévoile dans un style précis, avec le souffle de l’arpenteur du plateau de Millevaches ou de la montagne libanaise, la phrase se déploie, ductile, et jamais ne rompt. C’est que la nature de l’auteur de Ma vie parmi les ombres est faite de cette lave que le temps a figée en obsidienne noire. « L’enfance est le tout d’une vie, puisqu’elle nous en donne la clé », a écrit François Mauriac, écrivain tourmenté par la chair, à l’image de Millet. Ce dernier évoque, pour justifier son entreprise, la recherche de l’origine de sa sensualité et, plus précisément, la cause première d’une complexion sensuelle douloureuse, comme frappée par la malédiction. Très peu d’écrivains ont osé relever ce défi, décrire l’innommable, montrer la vérité hideuse, morbide, celle pour laquelle il n’existe aucun rachat possible. Millet parvient à nommer la souillure originelle de son être, mieux, il l’analyse et l’offre à ses lecteurs, au risque de les perdre. Mais la vérité est à ce prix. Son père lui a légué ce viatique empoisonné.

Il arrive que l’autobiographie soit le genre retenu par l’écrivain pour donner de lui-même une image retouchée, valorisée, surtout à notre époque où le narcissisme est devenu une pratique olympique. Ici, rien de tel. Millet déteste tout de lui, à commencer par son corps, qui porte à présent les stigmates du cancer, et affirme que « la haine de soi étant, après tout, un bâton aussi commode que le narcissisme pour cheminer ici-bas ».

La vérité nue

Tel Œdipe avant l’ordalie, Millet n’évite rien et franchit tous les obstacles dans le seul but de comprendre pourquoi il s’est complu dans la forteresse qu’il a lui-même érigée, dans l’espoir d’échapper au monde des adultes et de préserver l’enfant qui vit toujours en lui. Un enfant taiseux, timide, blessé par la médiocrité généralisée, effrayé par une sensualité exubérante, traumatisé par des événements exhumés des limbes, l’ensemble étant tenu dans l’ombre paternelle, incommensurable.

Richard est un enfant battu, incapable de se révolter, acceptant l’éducation rigoriste d’un père protestant érudit qui moque sa progéniture dès qu’elle commet une faute de syntaxe ou n’emploie pas le bon mot. Richard sera écrivain à la fois pour et contre ce père, et il attend sa mort, à 99 ans, pour publier La Forteresse. Un père, instituteur puis directeur administratif dans diverses sociétés, qui entraîne, pour son travail, sa famille au Liban. Le futur écrivain découvre la littérature et la musique grâce à cet homme qui ne souhaitait pas d’enfant et était incapable du moindre signe d’amour. Écrire pour combler le manque et tenir en respect l’idée de suicide. Millet, au scalpel : « J’en appelle au néant d’où le sperme paternel m’a tiré pour me projeter dans la sphère maternelle, me faisant passer de la nuit sidérale à l’humide chaleur d’un ventre que j’imagine orangée, et où je n’ai d’abord été qu’un crachat, comme tout un chacun, mais qui me laisse l’impression indéfectible, de l’être resté, aux yeux de mon père comme aux miens ». Puis il ajoute : « D’où mon goût pour les héroïnes de Bataille et de Jouve, et aussi de Faulkner, toutes les femmes sacrificielles ». Ses deux épouses, il les a accompagnées jusqu’à leur dernier soupir, et il y a eu les prostituées. L’une d’entre elles est décrite de façon inouïe. Elle est une sorte de divinité, au milieu d’hommes misérables, dans le quartier de Barbès. Rarement un écrivain n’a deviné aussi loin l’origine de sa sensualité.

Malgré la présence de François, son frère né en 1955, l’enfant, puis l’adolescent continue de mener une existence solitaire, comme celle d’un fils unique, écartelé entre la nature granitique du père et celle mélancolique de la mère, « nuageuse » pour reprendre son adjectif, bourrelée d’angoisses écrasantes, surtout entre midi et seize heures, sous le bleu cru du ciel. Millet renforce ainsi au fil des ans la forteresse qui le protège du bruit, des odeurs, de ses phobies, et surtout de la mesquinerie des hommes, n’ouvrant, malgré lui et à ses dépens, que deux meurtrières, celles des femmes et de la guerre.

Millet se livre totalement, entièrement, sinon à quoi bon cette confession exemplaire. Il dit la vanité de toute chose, le refus d’aller vers autrui, la volonté de ne vivre que par et pour l’écriture, dans une France parodique et post-littéraire, qui a laissé mourir la paysannerie et donc son univers familial. Il espère encore l’amour que ses deux filles pourraient lui porter. Il révèle, avec courage, la maladie dont il souffre et qui s’est déclarée à l’âge de 19 ans. Millet descend jusque « dans l’égout ». C’est la scène dans le cinéma où l’on projette Juste avant la nuit de Chabrol. Sa mère est présente. J’avoue que l’effroi m’a saisi en la lisant. La littérature, décidément, est puissante quand elle est du côté du Mal.

Cette autobiographie ne ressemble à aucune autre. Elle éclaire sous un soleil blafard l’auteur qui tient à la fois d’Holden Caulfield et de Bartleby. Il a voulu tout arrêter, découragé par l’entreprise. Millet : « Continuons, malgré la tentation, une fois encore, de tout laisser en plan pour recourir à la fiction, laquelle en dirait peut-être davantage par la vertu des associations et des métaphores – transports et bonds vers une source aux eaux plus froides, et paralysantes, que je ne pensais ». La fiction, pour aider à descendre dans la salle funéraire où se décomposent les déchets inavouables d’une vie, comme La Princesse odrysienne, ultime roman, selon l’affirmation de Millet lui-même, publié chez Aqua Aura, avec le portrait d’une femme ô combien troublante, Emma.

Le crime de Richard Millet aura été de lézarder les murs de la forteresse où, aveugles et sourds, nous nous retranchons, dans l’espoir de jouir encore un instant d’un pitoyable bonheur. Avec son autobiographie, il aggrave son cas en révélant sa nature complexe, contradictoire, glaçante parfois, et nous oblige à faire notre propre introspection. « Il se peut enfin que le mot de deuil recouvre aussi une énigmatique forme d’amour – et que j’aie toujours été peu ou prou amoureux de ma mort, vivre n’étant qu’une suite de variations sur le deuil, puisque nous ne cessons de mourir à nous-mêmes ».

Aucun pardon ne lui sera accordé ici-bas.

La Forteresse. Autobiographie. 1953-1973

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Richard Millet, La Princesse odrysienne, Aqua Aura, 2022.

Cyril Hanouna : tout haut, ce que tout le monde pense tout bas

Les déclarations de Cyril Hanouna sur le plateau de Touche pas à mon poste!, le 18 octobre, révèlent le fossé entre les attentes des Français et la Justice française. A dire la vérité, on récolte la polémique. Tribune


Dans son émission du mardi 18 octobre, Cyril Hanouna, l’animateur-star de C8 a poussé une série de coups de gueule qui ont fait du bruit. Alors que la France vit encore sous l’onde de choc de l’affaire Lola, ce père de famille a demandé un procès très rapide et très ferme.

Et là, c’est le vrai drame. Oublié le meurtre de Lola, oubliée la douleur des parents, oubliés les centaines d’homicides qui ont lieu chaque année ou les 300 000 agressions, multipliées par 7 depuis 1988. Non, le drame c’est que la sacro-sainte procédure judiciaire et les droits des accusés sont en jeu. En disant pourtant ce que l’écrasante majorité des Français pense, Cyril Hanouna a blasphémé.

Mais, le monde judiciaire est quasiment unanime, à commencer par le ministre de la Justice, à condamner ces déclarations. Eric Dupond-Moretti ose même prendre pour témoins les fantômes du « Moyen-Âge », vers lesquels Monsieur Hanouna nous ramènerait.

Indécence et condescendance

Cyril Hanouna n’a jamais prétendu être professeur agrégé, c’est un citoyen français, de surcroît écouté et apprécié par des millions de Français, et il a le droit de pousser un cri du cœur.

Mais les professionnels du droit ne veulent pas de cri du cœur. Ils se drapent dans leur pratique, dans leurs grands principes, dans leur raison supposée éclairée. Ils savent mépriser bien comme il le faut ce « populisme judiciaire ».

C’est un classique : le journal le Monde parlait déjà de « poujadisme judiciaire » dans les années 1980, pour fustiger ce petit peuple français qui soutenait unanimement Lionel Legras, garagiste accusé d’avoir tué un cambrioleur.

Il y a, dans ces cris d’orfraies, non seulement de l’indécence vis-à-vis du drame de Lola, mais surtout une éclatante condescendance. Cette condescendance, on la reconnait, c’est toujours la même. Elle accompagne les analyses des avocats et des magistrats après des affaires criminelles.

C’est la même que j’ai connue personnellement pendant mes cours de droit à la Sorbonne et que tentaient de nous transmettre certains professeurs, heureux de nous accueillir dans la caste « supérieure » des juristes.

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« Le peuple » contre « le discours dominant »

Certes, la procédure judiciaire est important. Son but premier est de protéger les innocents contre les abus de l’Etat et c’est un but noble. Non, bien sûr, la Justice ne peut pas mener de procès expéditifs. Pourtant, la Justice française s’est perdue en procédures… et en laxisme. C’est un fait su de tous, et même organisé par l’Etat depuis une quarantaine d’années.

On a inventé les aménagements de peine, on a gonflé artificiellement les protections des « présumés innocents ». On a inventé des remises de peine automatiques, puis des remises de peines supplémentaires. On a encouragé le bracelet électronique… Bref, on a donc fait 40 ans de cadeaux aux coupables.

Et nous nous réveillons, aujourd’hui, avec une insécurité qui explose : les agressions doublées depuis l’an 2000, les homicides et tentatives depuis 2010, et les violences sexuelles depuis 2012.

Peut-être faudrait-il changer de méthode ? Peut-être que la fermeté, la fin de la complaisance envers les coupables produiraient de meilleurs résultats ?

En définitive, cette affaire met le doigt sur l’immense fossé qui sépare les attentes des Français et la pensée dominante dans le milieu de la Justice. L’ancien ministre de la Justice, Alain Peyrefitte, vilipendé par les milieux judiciaires de l’époque, avait une phrase qui résume tout : «La société a-t-elle le droit de punir ? Le discours dominant le nie. Le peuple l’affirme ».

Et le pire dans cette affaire, c’est que ce réflexe de s’arcbouter sur les « saints » principes de la Justice mènera précisément à leur éclatement total. Ce n’est pas un hasard si, ces derniers jours, à Nantes et à Roanne, des citoyens se sont fait justice eux-mêmes, n’ayant plus aucune confiance dans le système judiciaire. Il est temps que certains milieux remettent leur égo sous le tapis pour écouter ne serait-ce qu’un peu ce que demande la majorité des Français.

Pierre-Marie Sève est délégué général de l’Institut pour la Justice.

Boomerang: retour à 2008?

Dans l’état actuel des économies occidentales, une crise financière pourrait être déclenchée dans les mois à venir que ni les Etats ni les banques centrales ne pourront empêcher.


La mondialisation économique a signifié une concurrence salariale sur toute la planète. Il s’en est suivi une déflation salariale dans les riches économies occidentales et une forme de panne de demande compensée par une hausse importante des dettes publiques et privées alimentant une demande et une croissance quelque peu artificielles.

La crise des crédits pourris immobiliers américains de 2008 qui fit trembler toute la planète est l’expression la plus pure de cet excès d’endettement.

Deux innovations majeures: taux zéro et rachat des dettes

Pour surmonter cette crise et ses soubresauts, les banques centrales américaines et européennes mirent en place une politique de taux à court terme à 0%. L’achat de dette publique et même privée avec l’argent public des banques centrales permit de faire baisser les taux longs à des niveaux proches de 0% en Occident. Ces taux à 0 permirent de tenir l’édifice d’un crédit excessif tout en générant des hausses de prix sur les marchés immobiliers et financiers assurant un surcroît de demande et un peu de croissance dans des économies à la peine. Dit autrement, les économies occidentales étaient si fragiles qu’elles ne pouvaient pas supporter des taux trop différents de 0%.

Vint alors la crise du Covid et sa gestion par le confinement c’est à dire l’arrêt de l’économie. Cette gestion sanitaire par l’arrêt des entreprises et du versement des salaires (et des recettes fiscales) imposa à l’Etat de compenser les trous par de l’argent public. Ce processus causa à nouveau une forte hausse de l’endettement public. C’est ainsi que la France a augmenté sa dette publique de 600 milliards d’euros sous le quinquennat Macron, principalement pendant la période 2020-2022.

Lors de la sortie de crise du Covid, les gouvernements occidentaux mirent en place des plans de relance d’un montant excessivement élevé. Cette relance excessive couplée à des problèmes de goulets d’étranglement liés aux confinements provoqua une poussée d’inflation. Il ne faut jamais oublier que l’inflation se situait à 7% aux Etats-Unis en janvier 2022, un mois avant le début de la guerre en Ukraine. La guerre accéléra la hausse des prix de l’énergie et des matières premières. Elle amplifia ainsi une inflation occidentale qui atteignit ainsi des niveaux de 8 à 10%, du jamais vu depuis 40 ans.

Les banques centrales y répondirent par deux actions. La fin de l’achat de dette publique et privée qui, se faisant par création de monnaie, est inflationniste. La hausse des taux à court terme, passant de 0 à 1% en Europe et de 0% à 3% aux Etats-Unis.

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Crise économique et crise financière en perspective

L’édifice de la dette occidentale, n’étant plus soutenu par les taux à 0% et les achats de dette par les banques centrales, est fragilisé. Pire, la hausse des taux à long terme signifie la baisse de la valeur des obligations. Les obligations d’Etat américaines à 10 ans et à 30 ans ont ainsi vu leur prix baisser respectivement de 15% et 25% depuis le début de l’année. Et cette dégringolade a tendance à s’accélérer. Les dettes publiques et privées sont détenues par toutes les institutions financières, qui voient ainsi leurs bilans fragilisés comme pendant la crise de 2008. Les prix de l’immobilier et des actions baissent aussi, accentuant les risques bancaires.

Enfin, la hausse des taux et la dégringolade des actifs enclencheront inévitablement une récession dans tout l’Occident. Les taux d’intérêt étant encore loin du niveau d’inflation, leur niveau minimum dans un monde normal, une crise financière est probable. Quelle forme prendra-t-elle ? Il est difficile de le dire tant les prix des actifs ont tous été tirés vers le haut par la politique de taux 0 et les achats d’actifs. Les Américains parlent de « Bubble everything », une bulle financière généralisée.

La crise financière peut arriver par de multiples canaux.

La Banque des Règlements Internationaux, la BRI, annonçait récemment qu’il y a 800 000 milliards de dollars de produits dérivés financiers dans le monde. Avec la hausse des taux et la baisse des actions, une partie de ces contrats financiers risqués peuvent perdre brusquement de leur valeur comme en 2008 et déclencher des problèmes bancaires en cascade, déclenchant une crise financière aigüe.

Crédit Suisse et Deutsche Bank sont des banques systémiques, pouvant déclencher une telle crise. Ces deux banques ont aujourd’hui des CDS (swap sur défaillance de crédit) à 5 ans à respectivement 3% et 1,5%. Cela signifie que ces banques empruntent 3% et 1,5% au-dessus de l’Etat suisse et allemand. Ces niveaux sont intenables pour des banques puisque leurs marges d’intérêts avec les clients deviennent alors négatives. Cette situation démontre qu’une crise financière peut s’enclencher rapidement.

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Le phénomène le plus dangereux est la crise qui touche les obligations d’Etat des pays occidentaux. Les prix des obligations d’Etat américaine et britannique baissent ainsi de plus en plus vite depuis le début de l’année. La situation des fonds de pension et des obligations d’Etat britannique est la plus inquiétante. Elle touche la base du système financier britannique, les 3 800 milliards de livres sterling investis par les fonds de pension pour payer avec les intérêts et les dividendes les retraites de l’Anglais moyen. Les fonds de pension américains sont eux un mammouth encore plus gros puisqu’ils pèsent 35 000 milliards de dollars d’actifs investis. Au Royaume-Uni, les taux à long terme sont restés durablement proches de 0 pendant les dix dernières années. Les fonds de pension ne pouvaient pas se contenter d’investir leur 3500 milliards à taux 0 puisqu’ils n’auraient eu aucun revenu pour payer les retraites. Ils ont ainsi, pour la moitié des fonds, joué avec le feu financier en signant avec les banques des contrats financiers, des produits dérivés de taux pour accroître leurs revenus. Evidemment, quand les taux décrochent du niveau 0, ces stratégies occasionnent des pertes phénoménales. Ces pertes phénoménales ont même tari le cash de certains fonds de pension, obligés alors de vendre des obligations d’Etat britannique et de prolonger le cercle vicieux ; tant et si bien que les taux à 10 ans sont passés de 2% début août à 4,5% deux mois plus tard. Une vitesse de hausse des taux et de baisse des prix jamais vue. La Banque d’Angleterre, appelée à l’aide par un fond de pension en déroute, a dû intervenir en achetant des obligations d’Etat à 10 ans pour arrêter la débandade. Mais la création de monnaie générant de l’inflation, cette attitude ne peut pas être pérenne. Il reste possible que sous la contrainte, les banques centrales renoncent à leur politique de resserrement du crédit, voire reprennent la pratique du quantitative easing (assouplissement quantitatif), renouant avec la spirale vicieuse de l’endettement sans fin.

La bulle de crédit a été tellement prolongée que les dirigeants occidentaux n’ont plus de solution pour la résoudre sans casse. Il est donc probable qu’une crise financière se déclenche dans les mois à venir, nourrissant alors la crise économique et l’instabilité générale. Un des seuls évènements qui pourrait éviter une crise financière est le retour de la paix, la baisse importante des prix de l’énergie, prélude à une baisse de l’inflation et d’un certain apaisement des tensions économiques et financières.

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Guerre en Ukraine: le grand jeu des sanctions

Alors que la Russie est très réactive face aux sanctions imposées par l’Occident en s’adaptant aux stratégies mises en place, l’Occident, lui, subit ses propres mesures à double tranchant.


A côté de l’aide militaire et financière, l’arme par excellence de l’UE et des Etats-Unis contre la Russie est les sanctions économiques. Ces dernières vont culminer en décembre avec l’entré en vigueur des mesures interdisant l’achat du pétrole russe. Or, comme nous l’avons pu constater depuis le début de la guerre, à quelques exceptions près (ceux qui en profitent), punir les Russes en refusant d’acheter leur pétrole c’est aussi s’auto-punir car une telle mesure pousserait le prix du baril à des niveaux que les économies européennes (sans parler des autres) ne pourraient pas supporter, avec toutes les conséquences d’une telle situation.         

L’idée selon laquelle les nations consommatrices de pétrole devraient organiser un cartel d’acheteurs pour plafonner le prix du pétrole – approuvée par les dirigeants du Groupe des Sept – semble fantaisiste. Après tout, si cela était réalisable, pourquoi ne l’avons-nous pas fait il y a des années pour faire baisser les prix du pétrole et désarmer l’OPEP, le cartel des productrices ? Pourtant, il s’agit d’une réponse à deux impératifs : réduire le flux des revenus pétroliers qui financent la machine de guerre de la Russie tout en empêchant une augmentation catastrophique des prix du baril à la fin de l’année avec l’entrée en vigueur des sanctions européennes sur l’achat du pétrole russe.

Pour rappel, les prix du pétrole sont tombés à 20 dollars le baril au printemps 2020 au début de la pandémie, ils sont ensuite revenus à leur niveau pré-Covid (plus ou moins 60 dollars) début de 2021 avec la reprise de l’économie avant de  bondir au-dessus de 100 dollars après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

L’équation occidentale est compliquée. L’Union européenne, les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni ont décidé après l’invasion de l’Ukraine de cesser d’acheter (à quelques exceptions près) du pétrole russe. Or, la Russie vend toujours d’énormes volumes – bien qu’à un prix inférieur au prix du marché – essentiellement à l’Inde et à la Chine. La Russie représentait avant la guerre environ 10 % de la production mondiale de pétrole, mais depuis ses exportations ont été réduites à quelques 5,6 millions de barils/jour de brut, dont 70% est acheminé par des pétroliers. Le reste passe par des pipelines, environ la moitié vers l’Europe et l’autre moitié vers la Chine.

Une option pour maintenir le flux de pétrole russe tout en réduisant les revenus de la Russie, serait de négocier un accord international visant à plafonner le prix du pétrole russe. La Russie pourrait, bien sûr, simplement refuser de vendre du pétrole, mais, en théorie, si le plafond est fixé au-dessus du coût marginal de production de la Russie, celle-ci serait incitée à continuer à pomper et donc à vendre, les capacités de stockage n’étant pas illimitées. La Russie pourrait refuser d’exporter du pétrole mais cela reviendrait non seulement à perdre l’une de ses principales rares sources de revenus, mais aussi à fermer des puits de pétrole qui ne sont pas faciles à redémarrer. Une fermeture prolongée des puits de pétrole russes causerait des dommages graves et durables à sa capacité de production.

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Mais les Etats-Unis et l’Europe pourraient aller encore plus loin. En effet, début juin, l’Union européenne et le Royaume-Uni ont décidé d’interdire à ses entreprises « d’assurer et de financer le transport, notamment par voie maritime, du pétrole russe vers des tiers » après la fin de 2022 afin de rendre « difficile pour la Russie de continuer à exporter son pétrole brut et ses produits pétroliers vers le reste du monde». Cette mesure est redoutable, car les entreprises européennes et britanniques représentent presque 90 % des activités d’assurance, de réassurance et de financement de l’acheminement du pétrole russe transporté par voie maritime. Sans ces entreprises, les propriétaires de pétroliers – de toute nationalité par ailleurs – refuseront tout simplement de transporter du pétrole russe. Et ils ne seraient pas les seuls. Les exploitants du canal de Suez n’autorisent pas les navires non assurés à emprunter cette voie maritime.

La Russie, en réponse, affirme que sa compagnie d’assurance publique fournira la réassurance que les sociétés britanniques et européennes refuseront. La Russie n’attend pas les bras croisés et prend des mesures pour s’adapter à la stratégie de plafonnement. Ainsi, Moscou s’active pour remédier à l’insuffisance de sa capacité de transport maritime. Rosneft est en train de développer son activité d’affrètement de pétroliers pour faciliter les expéditions de pétrole après que les acheteurs de la société ont cessé de traiter avec la Sovcomflot sanctionnée par le Royaume-Uni, les Etats-Unis et le Canada. Moscou pourrait également recourir à la « flotte fantôme » iranienne et vénézuélienne qui compte plus de 200 vaisseaux. La technique de transfert de navire à navire en haute mer et d’autres pratiques de dissimulation aideraient aussi à échapper aux sanctions. Quant à la dépendance russe à l’égard des assureurs, des assureurs nationaux tels que Ingosstrakh (en juin dernier Ingosstrakh a assuré des pétroliers de Sovcomflot) et RNRC (Russian National Reinsurance Company) ont déjà commencé à fournir une couverture d’assurance. Ces mesures semblent satisfaire des clients importants comme l’Inde car l’Indian Register of Shipping (une organisation non gouvernementale de classification des navires qui établit et maintient des normes techniques pour la construction et l’exploitation des navires et des structures offshore) a annoncé qu’il fournirait une certification de sécurité à plusieurs dizaines de navires gérés par une filiale de Sovcomflot basée à Dubaï. Selon le CEO de l’agence indienne, Sovcomflot avait assuré tous ses cargos auprès d’assureurs russes.

L’efficacité de ces mesures pour contrer les effets du plafonnement des prix reste à être démontrée: les sociétés russes n’ont pas la même réputation et leur couverture pourrait ne pas être acceptée par les principaux ports et canaux. Pendant un certain temps encore la domination européenne de cette filière sera toujours capable de rendre les exportations du pétrole russe difficiles et chères.  

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Le problème est l’effet boomerang : la restriction de l’approvisionnement en pétrole sur les marchés mondiaux résulterait en une hausse des prix très importante.  Et si on combine les deux mécanismes, une option très intéressante émerge : exempter de l’interdiction de financement et d’assurance toute expédition de pétrole russe vendue à un prix inférieur au prix plafond fixé par les Européens. Ainsi l’Union européenne pourrait maintenir l’interdiction – il sera difficile politiquement de faire autrement car les opinions publiques refuseraient de «financer la guerre de Poutine » – tout en évitant l’effet boomerang sur les économies européennes.

Cette stratégie de sanctions est à la fois sophistiquée et risquée car il n’est pas sûr qu’elle puisse être mise en œuvre. Si comme nous l’avons vu plus haut, l’Inde et les pays en développement importateurs de pétrole seraient fortement incités à y adhérer, si le plafond permettait de réduire le prix qu’ils paient pour le pétrole, la Chine, un important acheteur de pétrole russe, a d’autres calculs. Et ce n’est pas tout. La Russie et certains de ses clients pourraient contourner le système : vendre le baril au prix fixé par l’Europe mais ajouter d’autres éléments (comme avec le prix d’un billet d’avion) rendant l’ensemble proche du prix du marché. Depuis le blocus continental imposé par Napoléon dès 1802, on connait l’énorme complexité et les effets à long termes impossibles à prévoir de tels dispositifs. Mais s’il y a une leçon à tirer ce serait la suivante : même si les sanctions et les blocus sont infiniment compliqués à manier et sont la cause d’innombrables effet pervers et trafics de toute sorte, les décideurs trouvent toujours qu’elles sont politiquement indispensables. Même si le bilan économique est discutable voire négatif, parfois il devient tout simplement impensable de commercer avec certains Etats. Coûte que coûte.   

L’ONU parangon du respect des Droits de l’homme ?

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Le Français Éric Tistounet, le chef du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, est accusé d’avoir harcelé les membres de l’ONG, UN Watch, et d’avoir manipulé les listes d’intervenants pour les empêcher de s’exprimer. UN Watch porte plainte.


Le Conseil des Droits de l’homme des Nations unies (UNHRC) est né officiellement en 2006, mais il s’agit de la transformation d’une entité existante, la Commission des Droits de l’Homme. Cette dernière avait été créée en 1946 « afin de mettre en place la trame juridique internationale qui protège nos libertés et droits fondamentaux ». Si le Conseil a pris la place de la Commission, c’était pour remettre un peu d’ordre, en contrebalançant « l’approche sélective qui guidait ses travaux, sa politisation, avec pour corollaire sa polarisation » et en apportant « plus de transparence à la politique des droits de la personne » des États candidats à devenir membres du Comité : 13 Africains, 13 Asiatiques, 13 Latino-américains, 8 Caribéens, 6 Européens de l’est et 7 Européens de l’ouest + « autres » (notamment les USA). Il ne s’agissait pas des régions où le Conseil serait amené à enquêter, mais de celles d’où viendraient ceux qui y prennent les décisions. Ceux qui ont remarqué que les régions où se concentrent les démocraties sont défavorisées, levez la main ! Vous avez gagné : en 2022, les démocraties représentent 31,9% des États membres. Parmi les autres, on peut citer l’Érythrée, la Somalie, la Lybie, la Mauritanie, le Soudan, la Chine, le Pakistan, Russie, la Bolivie, Cuba, le Venezuela, le Qatar et les États arabes unis, au nombre de ceux qui partagent au mieux le souci de leur population et le respect de leurs voisins.

Quis custodiet ipsos custodes?

United Nations Watch est une organisation non gouvernementale basée à Genève, dont le mandat est de surveiller les activités des Nations Unies à l’aune de leur propre Charte. Elle fait une priorité de la lutte contre l’antisémitisme et toutes les formes de racisme et de discrimination. L’ONG a été fondée en 1993 par un militant des droits civiques, Morris B. Abram, ancien représentant permanent des États-Unis auprès de l’ONU. Alfred H. Moses, l’ancien ambassadeur des Etats-Unis à la Roumanie, en est aujourd’hui le président et Hillel Neuer le directeur exécutif. En tant qu’ONG accréditée avec un statut consultatif spécial, UN Watch participe activement à l’ONU. En collaboration avec 20 autres ONG internationales, elle organise chaque année le Sommet de Genève pour les droits de l’homme et la démocratie.

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En 2006, l’ONU avait promis que « le point de l’ordre du jour n°8 visant Israël » de l’ancienne Commission des droits de l’homme, serait supprimé. En réalité, ce point 8 est simplement devenu le point 7, comme l’explique un texte de UN Watch : « Chaque session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies consacre un point spécial de l’ordre du jour à la « situation des droits de l’homme en Palestine et dans les autres territoires arabes occupés », qui est définie par la résolution 5/1 du UNHRC comme comprenant « les violations des droits de l’homme et les incidences de l’occupation par Israël de la Palestine et des autres territoires arabes occupés ». Les neuf autres points de l’ordre du jour permanent du Conseil sont tous génériques et ne font pas référence à un pays ou une situation particulière. Il n’y a pas de point spécial à l’ordre du jour sur l’Iran, la Syrie, la Corée du Nord ou tout autre pays. Il n’y a qu’Israël ».

UN Watch porte plainte

Le 6 octobre 2022, UN Watch porte plainte pour « harcèlement, censure et discrimination systématiques » contre le chef de l’UNHRC, Éric Tistounet, qui, comme son nom l’indique, est français. Cette plainte intervient un an après que le directeur exécutif de UN Watch, Hillel Neuer, aurait été interrompu et censuré au moment où, devant le Conseil des Droits de l’homme qui débattait du point 7, il dénonçait l’incitation à la haine anti-juive des enseignants de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA).

Vidéo de la chaîne YouTube de UN Watch, postée le 5 octobre 2021.

Selon la lettre motivant la plaint, une ancienne collaboratrice d’Éric Tistounet a témoigné que ce dernier a ordonné à son personnel, de manière systématique, de « violer les règles de l’ONU afin d’annuler ou de marginaliser subrepticement la participation de UN Watch aux débats du Conseil des droits de l’homme ». En outre, il aurait créé au sein du Conseil un climat de harcèlement et de discrimination contre le personnel de l’ONG. Selon des emails qui ont fuité, Éric Tistounet aurait chargé ses collaborateurs de prendre des mesures pour empêcher l’accès de Hillel Neuer aux locaux de l’ONU à Genèvre où il devait témoigner devant le UNHRC. Enfin, des listes des intervenants pour certaines séances démontreraient qu’Éric Tistouent aurait manipulé les résultats du système d’inscription automatique afin que les intervenants de UN Watch se trouvent privés de temps de parole. Par exemple, lors de la 50e séance qui s’est tenue en juin-juillet 2022, UN Watch s’est inscrit pour 36 dialogues interactifs avec des experts de l’ONU, mais on ne lui a jamais donné la parole, alors que d’autres ONG, qui avaient demandé moins d’interventions, ont reçu jusqu’à 10 créneaux.

L’ONG demande donc que « des mesures correctives soient prises pour que UN Watch puisse à nouveau exercer son droit de parole au Conseil des droits de l’homme de l’ONU sur un pied d’égalité avec toutes les autres ONG ». Étrangement, on a beaucoup plus parlé de cette plainte contre un Français dans les médias anglophones que dans les médias français…

Qu’attend donc David Lisnard?

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A la veille des élections internes à la présidence de Les Républicains, qu’est-ce qui empêche David Lisnard de se mettre plus en avant et de contribuer de manière plus décisive à l’avenir de son parti?


Quand l’urgence est requise, lorsque de quelque côté qu’on la regarde la France suscite peur, inquiétude et angoisse, il me semble que les atermoiements du calcul et les lenteurs de la réflexion ne sont plus admissibles.

Je sais que je n’ai pas la sagesse (ou le vice) de l’indifférence mais aujourd’hui, se réfugier dans une abstention ou dans des stratégies à long terme qui, nous décrivant le pire pour le présent, prennent pourtant leur temps, relève d’une attitude suicidaire. On a compris que ma sollicitude civique continue à s’attacher à Les Républicains et que j’ai dû résister à la tentation de donner pour titre à ce billet : « Les Républicains ou la fureur de perdre ».

Comment analyser autrement l’attitude d’un Laurent Wauquiez qui est, paraît-il, « impitoyable sur le bilan de Macron mais prépare déjà 2027 » (Le Figaro) ? Comment ne pas tourner en dérision cette politique à l’ancienne de la rhubarbe Ciotti et du séné Wauquiez, le premier chauffant la place pour le second en espérant être son Premier ministre dans cinq ans ? Comment ne pas s’amuser alors du soutien de Laurent Wauquiez à Eric Ciotti, pour l’élection du mois de décembre ? Laurent Wauquiez tentant de faire passer leurs ambitions communes pour une lucidité et une préférence désintéressées !

Dans sa prestation renouvelée au JDD, Nicolas Sarkozy confirme son adhésion à Emmanuel Macron et cherche à la justifier par une rationalité qui masque difficilement opportunisme, entente dans les coulisses, indignité de la désertion et volonté de continuer à peser pour le pire sur Les Républicains. Le tout en s’efforçant de persuader qu’il a quitté la politique politicienne quand au contraire il ne s’adonne qu’à elle. Comment accepter qu’à l’exception d’un Bruno Retailleau et aussi parfois d’un Aurélien Pradié, tout le monde, au sein de Les Républicains, demeure tétanisé par une fidélité mortifère – en particulier la puncheuse Rachida Dati à laquelle les sondages IFOP-Fiducial depuis quelques mois offrent un état de grâce – et que faute de savoir se débarrasser de cet encombrant boulet, rien de vraiment décisif ne pourra être accompli pour porter haut les couleurs d’une vraie droite ?

Quelques-uns ont beau souhaiter la dilution de la droite dans le macronisme, il n’en demeure pas moins que c’est peine perdue que d’exiger du président de la République – comme le fait Nicolas Sarkozy – encore plus de droite. Car toute une part d’Emmanuel Macron, et pas la moins importante, reste imperturbablement aux antipodes d’une conception intelligemment conservatrice de notre pays, de son sort, de sa sauvegarde, de son identité, de sa tranquillité, de son influence et de sa culture.

C’est à cause de cette déréliction dont il serait vain de reprendre, une à une, les preuves (je mentionnerais la dernière à Tours où des voyous, dans une manifestation lycéenne, ont honteusement agressé des sapeurs-pompiers portant secours à un jeune homme) que j’ai envie de parler de David Lisnard – excellent maire de Cannes, président de l’Association des maires de France – de l’attente qu’il suscite et du mystère de son futur.

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David Lisnard, à l’évidence, n’est pas un homme politique ordinaire (Le Figaro). Pour qui suit attentivement ses interventions médiatiques, ses discours et ses entretiens, pour qui connaît aussi la réalité de ses actions municipales et la manière très largement majoritaire dont elles sont appréciées, il y a dans son esprit, dans sa personnalité, dans sa réflexion, une profondeur, une complexité qui ne sauraient être résumées par une approche banale de droite. La difficulté tient d’ailleurs à cet étrange mélange chez lui d’un intellectuel du débat public, un passionné des idées, un adepte des concepts, des prospectives et des abstractions, et d’un pragmatique se mouvant avec efficacité dans la glaise du quotidien.

D’où, parfois, une parole profuse, longue, riche, convaincue, alliée – j’ai pu le constater – à des entreprises remarquablement concrètes. J’éprouve parfois l’impression qu’à force de se ménager pour être au plus près de la vérité, en multipliant les scrupules et les hésitations pour ne pas risquer des embardées précipitées, il donne à certains de ses soutiens même les plus constants une image d’irrésolution, presque de procrastination pour ce qu’on lui prête et qui est, en raison de sa qualité, infiniment plausible. Comme si, à la recherche permanente du bon moment pour s’engager vraiment, il se mettait en position de ne jamais le trouver. Parce que la solution idéale est introuvable !

On devine, on pressent qu’il réfléchit à son futur, il nous le dit, il nous le laisse entendre. On perçoit que la présidence de Les Républicains n’est pas son ambition, qu’il n’a pas non plus une mentalité de transfuge. Ce n’est pas chez lui qu’Emmanuel Macron trouvera un allié et d’ailleurs il n’a pas de mots assez cinglants et durs pour fustiger son contraire : Renaud Muselier, tombé dans le piège et évacuant sa mauvaise conscience en vilipendant Les Républicains… David Lisnard, pourtant, n’est pas indifférent à 2027 et je serais même prêt à parier qu’on le verra concourir à sa manière lors de la joute finale impliquant son parti. Mais qu’attend-il pour l’instant ? Il est sans doute sincère quand il affirme n’avoir pas identifié encore dans sa famille politique de quoi le satisfaire pleinement. Mais doit-il ainsi priver son parti de son apport ? Ne pourrait-il dominer son appréhension d’être incompris, détourné en choisissant, avec empirisme, la solution la plus opératoire possible pour favoriser le projet qui sauvera Les Républicains : celui de Bruno Retailleau ?

Il est certain que David Lisnard, en consentant à forcer sa nature à la fois prudente dans la tactique et audacieuse dans le fond, représenterait un plus considérable pour Bruno Retailleau et ceux qui considèrent que l’alternative est simple : ou ce sera Bruno Retailleau, et Les Républicains revivra, transformé de la base jusqu’au sommet, ou ce sera Eric Ciotti, donc une réduction partisane et la mise sur orbite d’un duo de compères, avec Laurent Wauquiez. Parce qu’il y a péril en la demeure française, David Lisnard nous fera-t-il la grâce de sortir de son bois personnel, détrompant ainsi ceux qui ne voient en lui qu’un éternel espoir, un homme d’action municipale, une personnalité si éprise de la pensée politique et sociale qu’elle répugne à l’incarner sans être assurée de tous ses arrières, d’un avenir taillé sur mesure pour elle ?

Le présent attend David Lisnard, qui pourtant ne vient pas. Clairement.

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Après Lola il ne se passera rien. Et le pire est encore à venir

« Récupération ! Récupération ! », crient les journalistes de France Inter, de France info, du Monde et de Libération, ainsi que les responsables de La France Insoumise, à propos des légitimes interrogations des députés et des chefs de mouvements politiques réclamant, suite au meurtre de Lola, des comptes aux représentants du gouvernement, lesquels se défaussent en maniant, à coups de « dignité » et de « respect », une langue mièvre et moralisatrice qui révèle au fond leur insincérité et leur incompétence.


Sur France Inter[1], Yaël Goosz s’est étranglé de rage en parlant d’Éric Zemmour puis a carrément suffoqué en évoquant Marion Maréchal et son soi-disant désir de « transformer des faits divers en guerre de civilisation ». Après une laborieuse digression par Bourdieu et son non moins laborieux essai Sur la télévision dans lequel le sociologue « disait, à propos des “faits divers”, qu’ils font diversion », le journaliste regrette vivement qu’Olivier Véran ait concédé que le « gouvernement pouvait faire mieux en matière d’expulsions ». Surtout que nos compatriotes courent de moins en moins de danger : en trente ans, a précisé le réconfortant Yaël Goosz, le nombre d’homicides a été divisé « au moins par 2 ». Voilà les Français complètement rassurés.

Sur le plateau de BFMTV, face à Marion Maréchal, Alain Duhamel a répété à l’envi que le temps n’était pas venu de débattre, qu’il fallait respecter un délai, ne surtout pas réagir à chaud, sur le coup d’une émotion légitime mais mauvaise conseillère. Lorsque les médias et certains responsables politiques ont étalé à la une de leurs journaux et sur les plateaux de télévision la photo du petit cadavre d’Aylan afin de stigmatiser des Européens trop frileux devant l’afflux migratoire, personne n’a parlé de « récupération » sordide ou d’un délai à respecter, a opportunément rétorqué Marion Maréchal. Après avoir évoqué le quart de la moitié du dixième des exactions criminelles commises en France par des immigrés en situation irrégulière, elle a demandé : « À partir de combien de litres de sang a-t-on le droit de parler, de s’indigner, et de demander des réponses aux responsables ? » Alain Duhamel a dit être choqué par « l’image des litres de sang » qui est « une façon un peu inhumaine (sic) de poser la question ». Ne voulant rien savoir du nombre effarant et en constante progression d’actes de violence perpétrés quotidiennement en France, en particulier par des individus en situation irrégulière et souvent « connus des services de police », Alain Duhamel trouve qu’il est un peu « inhumain » d’en parler – comme ses confrères, il parlera bientôt d’autre chose ; les sujets qui éloignent de la dure réalité ne manquent pas.

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De son côté, Yann Barthès, le journaliste inculte de l’émission Quotidien, a voulu faire coup double : en même temps qu’il bêle avec ses confrères sur le thème de la « récupération », il demande à ce que soit renvoyé chez lui « l’immigré québécois de CNews », Mathieu Bock-Côté. Yann Barthès a à nouveau fait montre de sa bêtise et de son absolue impossibilité à comprendre une phrase composée de plus de trois ou quatre mots : voulant moquer le sociologue québécois « tordu », il fait visionner une séquence dans laquelle ce dernier livre une longue et perspicace réflexion sur les deux « catégories de victimes » – le petit Aylan, Georges Floyd ou Adama Traoré d’un côté, et Lola de l’autre – et la manière dont la presse et certains partis politiques ont instrumentalisé la première et s’apprête à faire le silence sur la seconde. Si Yann Barthès parvient à imiter l’accent québécois de Mathieu Bock-Côté, il peine en revanche à atteindre le cent millionième de l’intelligence du brillantissime chroniqueur de CNews – afin de ne pas être taxé de « validisme » par les associations défendant les « personnes en situation de handicap », nous éviterons d’évoquer un possible retard mental, résultat d’une carrière abrutissante. C’est pourtant pas l’envie qui manque.

Beaucoup de personnes se font les porte-voix de la famille de Lola qui désirerait que ne soit pas « récupérée politiquement » la mort de leur enfant. En réalité, il est à craindre que tout ce petit monde – ministres de l’Intérieur et de la Justice, journalistes de gauche et représentants politiques d’extrême-gauche – espère seulement que le temps fera glisser doucement mais sûrement cette ultime tragédie dans les oubliettes de la mémoire. Un exemple parmi cent justifie cette crainte : qui se souvient (ou même a seulement entendu parler) des trois jeunes gens (16, 18 et 20 ans) tués à Angers à coups de couteau par un Soudanais de 32 ans en situation irrégulière, alors qu’ils cherchaient à protéger deux jeunes filles péniblement importunées par ce dernier ? Pourtant… ce drame s’est déroulé il y a à peine plus de trois mois, le 16 juillet précisément. Le silence des médias dits de référence ou de gauche a triomphé : la mort de ces jeunes hommes qui ont ravivé, comme l’avait fait avant eux le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, un sentiment chevaleresque bien français – la défense du plus faible au risque de perdre la vie – n’a été « récupérée » par personne.

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L’omerta règne. Libération, Le Monde, L’Obs, la télévision et la radio publiques sont aux abonnés absents ou murmurent de très courtes et très éphémères informations dès qu’il s’agit de parler des meurtres mettant en cause des immigrés en situation irrégulière ou non. Les exemples ne manquent malheureusement pas. Entre autres, la mort d’Alban Gervaise, ce médecin militaire égorgé « au nom d’Allah » par Mohamed L. devant l’école catholique où il venait récupérer ses enfants, est passée presque totalement inaperçue. Les médias de gauche, secondés par le cabinet du Chef d’État-Major des Armées et le service communication du Gouvernement militaire de Marseille déclarant que la famille refusait toute médiatisation, sont restés étrangement discrets. Christelle Gervaise, l’épouse d’Alban Gervaise, a formellement démenti le 5 septembre dernier, sur son compte Facebook, avoir refusé la médiatisation de l’affaire et a précisé que son message rectificatif pouvait être partagé. À ma connaissance, aucun média mainstream n’a repris cette information – ce qui nous renseigne une fois de plus sur certaines pratiques d’occultation de la vérité.

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Comme Céline Pina, je ne crois pas que la mort de Lola amènera à une prise de conscience. D’abord, parce que le plan d’occultation de la vérité qui a si bien marché pour les crimes évoqués plus haut est déjà en marche pour la malheureuse Lola[2] et aboutira, d’une manière ou d’une autre, au même résultat. Ensuite, parce qu’une grande partie des « élites » universitaires, intellectuelles, médiatiques et politiques ne semble nullement s’inquiéter des bouleversements civilisationnels provoqués par la multiethnicisation et la tribalisation de la société française. Plus inquiétant encore, majoritairement, les plus jeunes générations issues des classes moyennes et poursuivant des études universitaires ne savent presque rien de ce qui se trame réellement en France. Les médias qu’elles consultent n’abordent les sujets qui fâchent qu’avec la plus grande parcimonie, trop occupés qu’ils sont à promouvoir « l’ouverture à l’autre » et à dénoncer la « fachosphère ». De plus, l’idéologie écologiste inculquée à l’école et dans les médias a totalement anesthésié ces jeunes gens qui surveillent la consommation d’eau et d’électricité de leurs compatriotes, amis ou parents, calculent leurs bilans carbone et ne jurent que par les éoliennes, le végétarisme et la décroissance, mais ignorent tout des problèmes auxquels la France et l’Europe sont d’ores et déjà confrontés en termes d’immigration. Dressés depuis leur plus jeune âge au binarisme conflictuel, sectaire et imbécile (dominants/dominés, Blancs/“racisés”, hommes/femmes, hétéros/LGBT, beaufs/écolos), à l’acceptation du contrôle social auquel ils participent en tant qu’agents d’application des idéologies les plus mortifères (celles sur le genre ou le climat, entre autres), au refus de préserver tout ce qui a fait la beauté et la grandeur de leur pays, ces jeunes gens, à l’instar des étudiants de Sciences Po, ont voté majoritairement Mélenchon lors de la dernière élection présidentielle. Militants, ils sont aujourd’hui les propagandistes de l’idéologie gauchiste, écologiste, wokiste et immigrationniste. Ils seront bientôt les professeurs, journalistes, universitaires et responsables politiques qui donneront le la en matière d’éducation de la population. Ils seront demain les nouvelles « autorités d’occultation », pour dire comme Gilles-William Goldnadel. Car rien ne devra entraver un multiculturalisme qu’ils considèrent comme un bienfait ; aucune ville mise à sac ne pourra les empêcher de promouvoir un « vivre ensemble » qu’ils exporteront jusque dans les coins les plus reculés de l’hexagone ; aucune Lola ne les détournera des discours lénifiants sur l’immigration qui est « une chance pour la France ». Entre deux lâchetés (ou « accommodements raisonnables ») face à l’islam prosélyte, l’élite wokiste, européiste et immigrationniste réclamera de nouvelles lois « progressistes », intersectionnellement diversitaires, pro-genres et écologistes. Parallèlement à ce basculement civilisationnel, la barbarie tribale continuera de gagner du terrain. Je ne vois rien, pour le moment, qui puisse contredire cette vision funeste. Le pire est donc encore à venir.


[1] France Inter, édito politique de la Matinale du 20 octobre 2022.

[2] Pour s’en convaincre, il suffit de lire, par exemple, l’éditorial du Monde du 25 octobre intitulé « Obsèques de Lola : la mort d’une enfant, de l’émotion à l’exploitation ». « Indigne », « cynique », « discours sécuritaires », « articles haineux », « scandaleux », autant de syntagmes qui ponctuent l’article d’un journal qui n’a sans doute pas apprécié de devoir écrire sur un « fait divers » auquel il destinait vraisemblablement le même traitement discret, pour ne pas dire furtif, que celui qu’il a appliqué à tous les « faits divers » évoqués ci-dessus.

Brésil : le retour de la monarchie impériale ?

Le 7 septembre 2022, en pleine campagne présidentielle, le Brésil a commémoré le bicentenaire de son indépendance. En grande pompe. Dans la tribune d’honneur, aux côtés de Jair Bolsonaro, un homme est tout sourire devant le spectacle qui s’offre à lui. Dom Bertrand d’Orléans-Bragance est le descendant des empereurs brésiliens qui ont régné entre 1822 et 1889. Il est à la tête du mouvement monarchiste qui agit comme une ombre constante derrière le dirigeant sortant et qui s’est progressivement imposé durant tout le premier mandat de ce dernier. Aujourd’hui, il œuvre pour sa réélection.


En juin 2022, São Paulo a accueilli un congrès anodin. Réunis dans un hôtel de la capitale de l’État du même nom, des centaines de personnes se sont rassemblées afin d’accueillir des hôtes de marque. Face à la tribune centrale, un drapeau aux couleurs de l’Empire brésilien. Le Brésil n’a connu que deux empereurs, Dom Pedro Ier et Dom Pedro II, aux styles différents, mais dont les règnes (entre 1822 et 1889) ont marqué le subconscient des habitants de ce pays d’Amérique du Sud, le plus grand du continent. En entrant dans la salle de réunion de l’hôtel, Dom Bertrand d’Orléans-Bragance, héritier au trône, est chaleureusement applaudi par les participants. Tous sont convaincus que les maux du Brésil se volatiliseront avec le retour de la monarchie.

À 81 ans, l’héritier au trône peut se réjouir des résultats accomplis. Avec l’arrivée au pouvoir du président Jair Bolsonaro, ce sont ses idées conservatrices qui ont triomphé au Brésil et qui ont pénétré dans les plus hautes sphères politiques du pays. Dans l’ombre du tonitruant leader d’extrême-droite, Olavo de Carvalho, un essayiste devenu une référence chez les traditionalistes. Considéré comme le gourou du gouvernement, il dénonce régulièrement la « pensée unique de la gauche » et le marxisme culturel dans les médias et universités du pays. Rejetant la théorie darwiniste de l’évolution, il est celui qui a favorisé la nomination d’Abraham Weintraub, ministre de l’Éducation (2019-2020,) et d’Ernesto Araujo, ministre des Affaires étrangères (2019-2021), deux monarchistes notoires. Ce dernier a même organisé une rencontre, quelques jours après sa nomination, avec le prétendant au trône et quelques élus du parlement acquis à sa cause. Olavo de Carvalho, qui est également un partisan acharné du retour de la monarchie, n’a pas hésité à proclamer en 2016 sur son compte Twitter qu’il « se tiendrait aux côtés de la maison impériale si celle-ci se bat pour la restauration ».

Les élections générales de 2017 ont marqué le retour des monarchistes au parlement. Parmi lesquels le neveu du prétendant au trône, le prince Luiz-Philippe d’Orléans-Bragance, un temps pressenti pour prendre la vice-présidence du gouvernement. Non-dynaste, il est actuellement considéré comme le dauphin de Jair Bolsonarao avec lequel il s’affiche régulièrement. Le descendant de Dom Pedro II est un monarchiste passionné et à l’origine d’un projet de constitution commandé par le président brésilien lui-même, où l’on retrouve en bonne place la possibilité de restaurer la monarchie. Infatigable parlementaire, il tweete aussi vite qu’il instagrame, suivi par des centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux dont il se méfie pourtant. D’ailleurs, ce nationaliste n’a pas hésité à signer un accord d’association avec l’ancien président américain, Donald Trump, et accepté un poste de directeur financier au sein d’un nouveau groupe, né de la fusion de Digital World Acquisition Group, de Trump Media et de Technology Group, qui a donné naissance au réseau social Truth Social. Les cibles du prince: les partis de gauche en Amérique du Sud et l’ancien président Lula da Silva, qui va affronter Bolsonaro au second tour de l’élection présidentielle prévu le 30 octobre prochain.

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Le groupe monarchiste parlementaire compte 15 députés, élus sous diverses couleurs politiques, qui se sont affichés avec un drapeau impérial, et qui ont même réussi à l’imposer comme emblème national dans l’État de Rondônia. Tant et si bien, qu’une pétition (ayant recueilli le quorum obligatoire) a été vainement soumise au Sénat afin que la chambre accepte de valider la mise en place d’un référendum sur le rétablissement de la monarchie. Une question qui a été déjà posée aux Brésiliens en 1993, mais qui n’avait recueilli que 13% des voix en sa faveur. Un échec pour la maison impériale, principalement expliqué par de profondes divisions internes et les manœuvres des partis républicains qui se sont ligués pour couper l’herbe sous les pieds des monarchistes au moment où les sondages se montraient largement favorables à l’idée monarchique (aujourd’hui, on évoque 20% des Brésiliens qui souhaiteraient le retour d’un « imperador »). Un groupe royaliste se maintient puisque certains d’entre eux ont été réélus lors de la dernière élection législative d’octobre 2022. Ils siégeront aux côtés du Parti Libéral de Bolsonaro (dont quelques-uns sont des membres notables, comme la journaliste Carla Zambelli, pasionaria monarchiste) et leurs alliés qui dominent toujours le Congrès et le Sénat.

Face à ce succès qui se poursuit, Dom Bertrand se veut confiant dans l’avenir. En marge de sa rencontre avec les élus de la République au ministère des Affaires étrangères, il avait déclaré à la presse « avoir trouvé des interlocuteurs qui partagent ses positions, en complète harmonie ». Francophone, le prince impérial est le coordinateur et le porte-parole de Paz no campo (Paix dans les champs), un mouvement qui défend les propriétaires terriens contre les « sans-terre » et les Indiens dont il souhaite l’évangélisation générale. Membre du mouvement ultra-catholique Tradition, famille et propriété (TFP) qui rejette l’esprit de 1789, Dom Bertrand est un opposant au mariage pour tous. Il a d’ailleurs participé aux rassemblements français de la Manif’ pour tous en 2013, considérant « l’homosexualité comme une déviance telle que la doctrine catholique le perçoit », souhaitant l’abolition du divorce (c’est un célibataire endurci) et la fin du droit à l’avortement… Auteur d’un livre très controversé, intitulé Psicose Ambientalista (Psychose Environnementaliste), cet ancien réserviste de l’air, très introduit dans les milieux militaires (dans les années 1980, ils ont offert une couronne à son père), dénonce régulièrement les thèses sur le réchauffement climatique, « ces canulars créés par les écologistes radicaux et par les éco-terroristes » selon lui.

Des thèses et des positions qui font écho aux propos tenus à diverses reprises par Jair Bolsonaro. Reçu au palais présidentiel le 22 août dernier, Dom Bertrand d’Orléans-Bragance a été un invité d’honneur, installée dans la tribune présidentielle, pour les festivités du bicentenaire de l’indépendance. Une proximité qui ne fait pourtant pas l’unanimité au sein de la maison impériale. Une partie de ses membres déplore publiquement ce soutien à Bolsonaro, estimant que ce manque de neutralité est contre-productif pour l’idée monarchique et que le mélange des genres ne permettra pas la restauration de l’institution impériale à court terme.

« The Car »: nouvel album en cinémascope des Arctic Monkeys

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Le groupe de rock anglais, originaire de Sheffield, continue sa nouvelle veine : la création, non d’une suite de chansons, mais de toute une atmosphère sensuelle qui vous donne une envie furieuse de vous rendre dans un bar à cocktails sophistiqué de l’imagination.


J’ai toujours eu besoin d’orchestrer ma vie. Je ne crois pas manquer de naturel, mais il me faut sans cesse faire un pas de côté pour ne pas prendre en pleine poire le train sordide du quotidien et en succomber. Chacun sa méthode. Adolescent, plein d’idéal et de mélancolie furieuse, je remontais les rues en direction du lycée, me recoiffant dans les vitres des banques, demandant des cigarettes aux fumeurs, préparant mon arrivée dans la cour comme un comédien dans sa loge. Oui, être jeune c’est mélanger sans mesure l’ardeur et le grotesque avec un esprit de sérieux dissimulé derrière le fard de l’ironie. Pour que l’orchestration soit réussie, la musique est bien sûr essentielle. Ainsi c’était avec cette musique dans les oreilles que je pénétrais dans les lieux nouveaux. Le terne des jours se transformait alors, comme par magie, en une explosion d’émotions distordues. Les yeux en guise de caméra, mes pas devenaient d’étranges travelings, les passants des figurants d’un film plus ou moins réaliste. Mais pour que l’illusion soit parfaite, il faut le bon titre. Les Arctic Monkeys nous donnent mieux que ça. Depuis le 21 octobre et la sortie de leur album sobrement intitulé The Car, c’est dix admirables chansons en cinémascope qui nous sont offertes.

Rembobinons un instant. Nous sommes en 2006 et cinq gamins anglais venus de Sheffield cartonnent dans les charts. 400.000 exemplaires de leur premier album sont vendus en une semaine. Rien ne les distingue vraiment d’autres lads (jeunes)qui fréquentent les mêmes pubs, portent les mêmes vêtements, draguent les mêmes filles et se coiffent de la même façon. Rien, excepté un talent, une fougue et une flamme juvéniles que l’on n’avait pas rencontrés depuis l’album Up The Bracket des Libertines en 2002 (dont nous fêtons les 20 ans). Nés autour de la sortie de Nevermind de Nirvana en 1991, mes amis et moi-même étions trop jeunes pour profiter pleinement de cette fantastique vague de groupes comme les Strokes, les Libertines donc, les White Stripes ou Franz Ferdinand. Avec la naissance et le succès des Arctic Monkeys, une chance nous était donnée de prendre un nouveau wagon : nous ne le laisserions pas passer. L’année 2006 fut pour beaucoup d’entre nous une aube explosive, une prodigieuse renaissance.

Sans jamais se prendre les pieds dans le tapis (ni rater une marche), la bande d’Alex Turner a su, grâce à un sens du travail bien fait, un bon goût indiscutable et un indéniable talent, se renouveler sans cesse album après album. De Favorite Worst Nightmare et ses riffs à tremolos horrifiques associés à des mélodies diablement efficaces, jusqu’au merveilleux Suck It And See, composé avec une divine simplicité et produit par Josh Homme des Queens Of The Stone Age, les Arctic Monkeys sont devenus des maîtres incontournables. En 2013, avec la sortie d’AM, ils vont encore plus loin et obtiennent un succès foudroyant qui leur permet de toucher un nouveau public. Avec des singles comme « I Wanna Be Yours » ou « Do I Wanna Know » qui dépassent le milliard d’écoutes, les Arctic Monkeys sont désormais les rois du rock’n’roll des années 2010. La génération qui avait raté le train de 2006 découvre l’existence de ces garnements de Sheffield qui sont depuis devenus des stars internationales au même titre que Rihanna aujourd’hui et Bowie hier.

Si l’on sait qu’il est important d’être constant (Seigneur, donnez-moi la force de l’être !), alors il est important de dire qu’Alex Turner n’a jamais été un artiste inconséquent. Mieux que ça : il ne s’est jamais satisfait de ses glorieux lauriers et a passé son temps à métamorphoser sa grâce musicale en des formes sans cesse nouvelles. Depuis Tranquility Base Hotel & Casino en 2018, les Arctic Monkeys ont même pris un tournant qui a décontenancé nombre de leurs admirateurs. Ils n’en firent rien et prolongèrent ce qui leur semblait être la bonne route. De mon côté, ce virage pimenta ma passion pour eux. Patchworks parfaits de références et d’influences diverses rendues homogènes par la patte singulière d’Alex Turner, ces deux derniers albums cherchent moins à enchaîner les tubes qu’à rendre palpable une atmosphère. A la manière d’un film, encore une fois. On sait que le leader des Arctic Monkeys s’exprime de plus en plus souvent à propos de sa passion pour le cinéma. Matt Helders, son meilleur ami et batteur, lui, s’est passionné pour la photographie (nous lui devons la pochette de l’album The Car). Le groupe est donc soucieux d’esthétique. Depuis 2018, les disques des Arctic Monkeys sont des lieux, des odeurs, des couleurs plus qu’une succession de chansons. On regarde moins Apocalypse Now ou Orange Mécanique pour connaître le dénouement que pour être plongé dans un monde et une vision. Je crois qu’il en est de même pour l’album The Car.

Cet album, comme je le disais, divisera encore un peu plus, éloignera ceux qui veulent jouir instantanément d’un panier de mélodies efficaces plus que d’une ambiance dans laquelle se plonger. En ce sens, ce disque est plus proche de Melody Nelson ou de Diamond Dogs que de Revolver ou Definitely Maybe. Je le disais à un ami, une fois le vinyle de The Car posé sur la platine, j’ai envie d’enfiler un costume trois-pièces, de cirer mes chaussures et de partir armé de lunettes de soleil vers un bar enfumé pour y boire un rhum raffiné. Lorsque j’écoutais Melody Nelson à quatorze ans, je me plaçais devant un miroir, un coton-tige dans la bouche, mimant Gainsbourg et sa cigarette (les adolescents sont comiques malgré eux). Quelques mois plus tard, je devins fumeur. The Car est de cette race d’albums qui diffusent une influence comme le parfum voluptueux d’une femme le fait. En sa présence, tout change. Comme lorsque je mettais de la musique dans mes oreilles en marchant dans la rue et que ma démarche en était modifiée. Ainsi, The Car impose une attitude et c’est en cela que c’est un disque d’élite, un disque rare, un disque aristocratique, un classique instantané, comme le sont les grands films.

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Le « Petit manuel de postmodernisme illustré » par Shmuel Trigano : aux sources de la post-humanité contemporaine

Une nouvelle collection d‘opuscules publiés par les Editions Intervalles a pour ambition de nous aider à mieux comprendre les enjeux des guerres culturelles de notre époque. Le volume du professeur émérite de sociologie à l’Université Paris X – Nanterre met à nu les soubassements intellectuels de concepts aussi divers que pernicieux comme le décolonialisme, le genrisme ou l’antispécisme.


Autant de doctrines fomentées par un nouvel obscurantisme que les Lumières s’étaient pourtant jurées d’abattre. Ici comme ailleurs, la Révolution dévore ses propres enfants, et les lobotomisés des réseaux sociaux répandent leurs primitives vulgates au grand secours des Universités qui consacrent ces idéologies partisanes par une coupable onction scientifique. Comment l’esprit des Lumières a pu à ce point nous éblouir, nous autres post-modernes, dans la mesure où son éclat portait les promesses d’un homme amélioré par la Science, élevé par la Raison, et dressé par la bonne Éducation. Pourquoi Diderot, Rousseau et Voltaire ont-ils enfanté malgré eux des antimodernes intelligents et cultivés parce qu’ils étaient contre eux, et deux siècles plus tard des auteurs intellectuellement contraints par l’indigence poétique d’un XXe siècle étouffant ? C’est ce à quoi tente de répondre l’auteur.

Les canons de la déconstruction

Le professeur prend soin de commencer son analyse par le décorticage de la méthodologie suivie par ces courants sociologisants, avant de plonger son regard dans le contenu de ces idées prétendument nouvelles. « La réalité est ainsi devenue, pour la déconstruction, une fabrication littéraire », écrit-il, résumant ainsi la première partie de sa plaquette.

Il nous explique que les idées et les matrices qui organisent nos sociétés sont perçues comme des briques artificielles fondant l’édifice social. Selon les bons récitateurs de Bourdieu, tout étant social et donc politique, tout est une construction sociale, et tout peut se combattre par la politique. La différence notable avec leurs prédécesseurs marxistes réside dans le fait que ces théories dites « constructives » – attention à ce terme en trompe-l’œil, le constructivisme est précisément le courant qui vise à déconstruire ces objets d’études – n’admettent pas leur caractère politique. Nichée derrière la forteresse inexpugnable que constitue une chaire universitaire, ces fébriles apparences de scientificité les soustraient à l’arène politique. Rien n’est plus faux, et Monsieur Trigano a le mérite de le souligner.

Puisque tout n’est que fabrication littéraire, à ces analystes désenchantés, toute page insatisfaisante peut être déchirée puis autrement réécrite. L’histoire et le présent ne deviennent qu’un palimpseste sans signification propre. Ainsi le genrisme qui sévit actuellement s’explique par le fait que le genre est un construit social – ce que, au fond, l’on peut admettre. Il ne manque plus qu’une étape pour nier les données que fournit que la nature, comme l’appartenance sexuelle ou ethnique. C’est ainsi qu’après avoir contesté l’existence des genres, les théories qui s’en sont fait un domaine d’études propres ont pu conclure que le sexe non plus n’existe pas, et qu’un homme peut menstruer, qu’un Anglais peut devenir coréen par la chirurgie esthétique, ou encore qu’un humain peut se considérer comme un cerf ou un lézard.

Un univers idéologique bouleversé par une représentation intersectionnelle de la réalité

Puisque tout est déconstructible, alors les statues sont déboulonnables, les faits historiques remaniables, et les identités malléables. Ce n’est plus « l’homme est la mesure de toute chose » de Protagoras, c’est le « Je suis la mesure de toute chose » de l’homo consumericus au cerveau déconstruit. Selon l’auteur, la complémentarité entre les écoles néo-marxistes ou postmodernistes et la mondialisation aurait affaibli le principe même des frontières, cercle au sein duquel les cultures pouvaient éclore, pour se substituer à un grand communautarisme global où les minorités légitimes s’allient par-delà les Nations.

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Allant plus loin, Monsieur Trigano évoque une « extinction de l’espace et du temps », nous plongeant ainsi dans un monde atopique et achronique, où tout se créé, se perd et se transforme. C’est ici l’une des conséquences du désenchantement du monde dont parlait Weber, et de l’ère du vide que déplorait Lipovestsky. Mais rappelons, en invoquant l’histoire des idées, que Tocqueville avait déjà prédit cela en 1835 dans la conclusion de la Démocratie en Amérique : « La variété disparaît du sein de l’espèce humaine, les mêmes manières d’agir, de penser et de sentir se retrouvent dans tous les coins du monde ». Une magistrale prophétie que confirme le spectacle de ces petits contestataires wokiens qui croient s’agrandir par leur singularité, alors qu’ils se ressemblent tous. Ce qu’il faut également souligner, c’est que rien ne semble avoir changé depuis la Guerre Froide, en ce que les Etats-Unis nous exportent encore, par le truchement des luttes minoritaires, leur soft power sous-culturel.

Au final, la guerre contre le monde occidental

L’universitaire souligne cependant que, parallèlement à ce mouvement d’affirmation des ipséités identitaires propres à chaque minorité, s’esquisse en toute impunité un vaste élan d’essentialisation de l’homme blanc. Tandis que chacun revendique les meurtrissures que lui a laissées la cruauté de l’histoire, l’homme blanc n’est qu’un descendant d’esclavagistes. L’homme blanc serait ontologiquement oppressif : pour les femmes, pour les LGBTQI2SAA, pour les « racisés », et autres figures désormais érigées en Martyres et en Saints.

Le wokisme invente sa nouvelle religion, fondée sur trois volets selon l’auteur. Cette religion professe premièrement la post-humanité, en portant les couleurs du transhumanisme, de l’antispécisme et du genrisme. Il s’agit ici d’attaquer la racine de ce qui fonde l’identité humaine, à savoir son caractère naturel, sa place dans la chaîne alimentaire et le règne animal, et la dualité des sexes. Deuxièmement, indique l’auteur, ses apôtres défendent la post-nationalité, avec le décolonialisme, et le devoir de repentance infligé aux Blancs. Troisièmement, ils prêchent pour la post-démocratie, en soutenant le multiculturalisme et la juridicisation du politique – nous aurions plutôt tendance à dire la politisation du juridique, mais c’est un autre débat.

C’est ainsi que l’État de droit doit être ringardisé et la Justice court-circuitée, au profit d’un nouvel ordre moral plus conforme aux exigences de cette nouvelle tyrannie qu’un Nietzsche craignait déjà brillamment. L’Occident est manifestement la cible première, c’est lui qui doit consentir aux plus absurdes génuflexions face à des minorités qu’il a flétries jadis, et lui qui doit reconnaître qu’il jouit de privilèges fondés sur la race et la culture. Qui, un beau jour, aura la voix qui porte assez pour clamer qu’une des rares civilisations à avoir complètement aboli l’esclavage, c’est l’Occident ? Quand donc, au sein des rangs hurleurs de ces guévaristes fluorescents, leur rappellera que l’Arabie Saoudite n’a aboli l’esclavage qu’en 1962, Oman en 1970, et la Mauritanie en 1980, et plus généralement l’immensité de l’esclavage pratiqué dans le monde musulman bien avant les Européens, depuis le VIIe siècle ?

En somme, si l’auteur parvient à retracer la chaîne de causalité entre les utopies apparues au XVIe siècle, les totalitarismes de la première moitié du XXe siècle, les théoriciens déconstructeurs de sa seconde moitié (Foucault, Derrida, Deleuze et tout ce courant malheureux qualifié de French theory) et le wokisme intersectionnel d’aujourd’hui, l’on peut demeurer étonné que l’auteur s’étonne. Il y a dans cet ouvrage un soupçon d’universalisme déçu. Comme un républicain attristé de voir que les Droits de l’Homme sont à l’origine de la décadence du droit et de la fin de l’Homme. C’était pourtant inévitable, et, à remonter plus loin, l’on s’aperçoit que la philosophie nominaliste d’un Guillaume d’Occam énonçait déjà au XIVe siècle qu’il n’y a de réel que d’individuel, ce qui est aux fondements de la modernité philosophique, et qui préfigure l’individualisme.

Les Lumières et la Révolution, malgré leur apparence de rupture, ne sont que l’individualisme moderne niché derrière la boursouflure d’idées généreuses que l’on a cru bon d’inscrire dans le droit. Aussi, que l’utopisme a précédé l’obsession de l’Homme Nouveau des totalitarismes, c’est également une évidence, et il n’y a qu’un pas entre l’imagination littéraire d’un homme libre et bon, et le désir politique de le faire émerger. Aujourd’hui c’est le wokisme qui veut régénérer l’humanité; il y a cent ans, c’était le fascisme.

Shmuel Trigano, Petit manuel de postmodernisme illustré. Préface de Jean Szlamowicz (Intervalles, 2022).

Richard Millet aggrave son cas

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Richard Millet, le 07/05/06 / PHOTO: BALTEL/SIPA / 00529501_000002

Dans un silence retentissant, Richard Millet publie deux textes magistraux : La Forteresse, son autobiographie et La Princesse odrysienne, un ultime roman. Ostracisé par le clergé médiatico-littéraire, il confirme pourtant, avec ces pages, être l’un de nos plus grands écrivains.


Il est des livres qui produisent un ébranlement singulier chez le lecteur. Mais c’est de plus en plus rare. Notre époque a sonné le glas de la littérature. Les fonctionnaires du culturel surveillent le terrain et les derniers écrivains, ceux qui créent une œuvre, maîtrisent la langue française – désormais trouée comme un manteau de lépreux – et possèdent un style puissant, sont voués aux gémonies. On encense les médiocres car ils ne perturbent pas le système d’amnésie généralisée. Richard Millet en sait quelque chose, mais il continue d’écrire. Lui, l’écrivain condamné à la mort sociale par les sycophantes du nouvel ordre moral pour avoir publié, il y a dix ans, un livre interdit. Quel était le mobile pour dresser le procès-verbal de son exclusion fatale ? Un court texte au titre provocateur, pas lu par ses détracteurs, Éloge littéraire d’Anders Breivik.

Il n’était pas question de faire l’apologie du tueur de masse, mais d’indiquer que l’effondrement des valeurs de la civilisation européenne, ainsi que la perte de l’identité nationale, risquait d’engendrer de tels actes barbares. Cette urgence à dénoncer l’idée de décadence doit être l’une des fonctions fondamentales de la littérature. Richard Millet, écrivain talentueux et protéiforme, éditeur scrupuleux chez Gallimard (deux de ses « protégés » ont obtenu le prix Goncourt), n’a bénéficié d’aucune protection. L’homme était un solitaire et il l’est resté. Figure moderne du croisé, il a osé défendre les valeurs de l’Occident ; et a scellé son sort.

La Forteresse est une autobiographie dans laquelle Richard Millet retrace ses vingt premières années, de 1953 – naissance le 29 mars, un dimanche des Rameaux, à Viam, sur les terres âpres du Limousin – à 1973. Les années suivantes sont évoquées dans les trois tomes de son journal ainsi que dans La Confession négative et Tuer. Aussi, Millet ne revient-il que de manière brève sur le texte qui lui valut le bannissement de la part du « clergé médiatico-littéraire », notamment pour lui répondre, à ce clergé tout-puissant : « J’écris pour ne pas lui accorder une autre forme de défaite ».

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Nous voici donc face à la boîte noire de l’enfance. Elle est hautement irradiée, et l’écrivain révèle ce qu’elle peut avoir de plus intime, dérangeant, voire violent. Il la dévoile dans un style précis, avec le souffle de l’arpenteur du plateau de Millevaches ou de la montagne libanaise, la phrase se déploie, ductile, et jamais ne rompt. C’est que la nature de l’auteur de Ma vie parmi les ombres est faite de cette lave que le temps a figée en obsidienne noire. « L’enfance est le tout d’une vie, puisqu’elle nous en donne la clé », a écrit François Mauriac, écrivain tourmenté par la chair, à l’image de Millet. Ce dernier évoque, pour justifier son entreprise, la recherche de l’origine de sa sensualité et, plus précisément, la cause première d’une complexion sensuelle douloureuse, comme frappée par la malédiction. Très peu d’écrivains ont osé relever ce défi, décrire l’innommable, montrer la vérité hideuse, morbide, celle pour laquelle il n’existe aucun rachat possible. Millet parvient à nommer la souillure originelle de son être, mieux, il l’analyse et l’offre à ses lecteurs, au risque de les perdre. Mais la vérité est à ce prix. Son père lui a légué ce viatique empoisonné.

Il arrive que l’autobiographie soit le genre retenu par l’écrivain pour donner de lui-même une image retouchée, valorisée, surtout à notre époque où le narcissisme est devenu une pratique olympique. Ici, rien de tel. Millet déteste tout de lui, à commencer par son corps, qui porte à présent les stigmates du cancer, et affirme que « la haine de soi étant, après tout, un bâton aussi commode que le narcissisme pour cheminer ici-bas ».

La vérité nue

Tel Œdipe avant l’ordalie, Millet n’évite rien et franchit tous les obstacles dans le seul but de comprendre pourquoi il s’est complu dans la forteresse qu’il a lui-même érigée, dans l’espoir d’échapper au monde des adultes et de préserver l’enfant qui vit toujours en lui. Un enfant taiseux, timide, blessé par la médiocrité généralisée, effrayé par une sensualité exubérante, traumatisé par des événements exhumés des limbes, l’ensemble étant tenu dans l’ombre paternelle, incommensurable.

Richard est un enfant battu, incapable de se révolter, acceptant l’éducation rigoriste d’un père protestant érudit qui moque sa progéniture dès qu’elle commet une faute de syntaxe ou n’emploie pas le bon mot. Richard sera écrivain à la fois pour et contre ce père, et il attend sa mort, à 99 ans, pour publier La Forteresse. Un père, instituteur puis directeur administratif dans diverses sociétés, qui entraîne, pour son travail, sa famille au Liban. Le futur écrivain découvre la littérature et la musique grâce à cet homme qui ne souhaitait pas d’enfant et était incapable du moindre signe d’amour. Écrire pour combler le manque et tenir en respect l’idée de suicide. Millet, au scalpel : « J’en appelle au néant d’où le sperme paternel m’a tiré pour me projeter dans la sphère maternelle, me faisant passer de la nuit sidérale à l’humide chaleur d’un ventre que j’imagine orangée, et où je n’ai d’abord été qu’un crachat, comme tout un chacun, mais qui me laisse l’impression indéfectible, de l’être resté, aux yeux de mon père comme aux miens ». Puis il ajoute : « D’où mon goût pour les héroïnes de Bataille et de Jouve, et aussi de Faulkner, toutes les femmes sacrificielles ». Ses deux épouses, il les a accompagnées jusqu’à leur dernier soupir, et il y a eu les prostituées. L’une d’entre elles est décrite de façon inouïe. Elle est une sorte de divinité, au milieu d’hommes misérables, dans le quartier de Barbès. Rarement un écrivain n’a deviné aussi loin l’origine de sa sensualité.

Malgré la présence de François, son frère né en 1955, l’enfant, puis l’adolescent continue de mener une existence solitaire, comme celle d’un fils unique, écartelé entre la nature granitique du père et celle mélancolique de la mère, « nuageuse » pour reprendre son adjectif, bourrelée d’angoisses écrasantes, surtout entre midi et seize heures, sous le bleu cru du ciel. Millet renforce ainsi au fil des ans la forteresse qui le protège du bruit, des odeurs, de ses phobies, et surtout de la mesquinerie des hommes, n’ouvrant, malgré lui et à ses dépens, que deux meurtrières, celles des femmes et de la guerre.

Millet se livre totalement, entièrement, sinon à quoi bon cette confession exemplaire. Il dit la vanité de toute chose, le refus d’aller vers autrui, la volonté de ne vivre que par et pour l’écriture, dans une France parodique et post-littéraire, qui a laissé mourir la paysannerie et donc son univers familial. Il espère encore l’amour que ses deux filles pourraient lui porter. Il révèle, avec courage, la maladie dont il souffre et qui s’est déclarée à l’âge de 19 ans. Millet descend jusque « dans l’égout ». C’est la scène dans le cinéma où l’on projette Juste avant la nuit de Chabrol. Sa mère est présente. J’avoue que l’effroi m’a saisi en la lisant. La littérature, décidément, est puissante quand elle est du côté du Mal.

Cette autobiographie ne ressemble à aucune autre. Elle éclaire sous un soleil blafard l’auteur qui tient à la fois d’Holden Caulfield et de Bartleby. Il a voulu tout arrêter, découragé par l’entreprise. Millet : « Continuons, malgré la tentation, une fois encore, de tout laisser en plan pour recourir à la fiction, laquelle en dirait peut-être davantage par la vertu des associations et des métaphores – transports et bonds vers une source aux eaux plus froides, et paralysantes, que je ne pensais ». La fiction, pour aider à descendre dans la salle funéraire où se décomposent les déchets inavouables d’une vie, comme La Princesse odrysienne, ultime roman, selon l’affirmation de Millet lui-même, publié chez Aqua Aura, avec le portrait d’une femme ô combien troublante, Emma.

Le crime de Richard Millet aura été de lézarder les murs de la forteresse où, aveugles et sourds, nous nous retranchons, dans l’espoir de jouir encore un instant d’un pitoyable bonheur. Avec son autobiographie, il aggrave son cas en révélant sa nature complexe, contradictoire, glaçante parfois, et nous oblige à faire notre propre introspection. « Il se peut enfin que le mot de deuil recouvre aussi une énigmatique forme d’amour – et que j’aie toujours été peu ou prou amoureux de ma mort, vivre n’étant qu’une suite de variations sur le deuil, puisque nous ne cessons de mourir à nous-mêmes ».

Aucun pardon ne lui sera accordé ici-bas.

La Forteresse. Autobiographie. 1953-1973

Price: 24,00 €

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Richard Millet, La Princesse odrysienne, Aqua Aura, 2022.

Cyril Hanouna : tout haut, ce que tout le monde pense tout bas

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Cyril Hanouna, le 09/03/22 / PHOTO: Laurent VU/SIPA / 01064366_000078

Les déclarations de Cyril Hanouna sur le plateau de Touche pas à mon poste!, le 18 octobre, révèlent le fossé entre les attentes des Français et la Justice française. A dire la vérité, on récolte la polémique. Tribune


Dans son émission du mardi 18 octobre, Cyril Hanouna, l’animateur-star de C8 a poussé une série de coups de gueule qui ont fait du bruit. Alors que la France vit encore sous l’onde de choc de l’affaire Lola, ce père de famille a demandé un procès très rapide et très ferme.

Et là, c’est le vrai drame. Oublié le meurtre de Lola, oubliée la douleur des parents, oubliés les centaines d’homicides qui ont lieu chaque année ou les 300 000 agressions, multipliées par 7 depuis 1988. Non, le drame c’est que la sacro-sainte procédure judiciaire et les droits des accusés sont en jeu. En disant pourtant ce que l’écrasante majorité des Français pense, Cyril Hanouna a blasphémé.

Mais, le monde judiciaire est quasiment unanime, à commencer par le ministre de la Justice, à condamner ces déclarations. Eric Dupond-Moretti ose même prendre pour témoins les fantômes du « Moyen-Âge », vers lesquels Monsieur Hanouna nous ramènerait.

Indécence et condescendance

Cyril Hanouna n’a jamais prétendu être professeur agrégé, c’est un citoyen français, de surcroît écouté et apprécié par des millions de Français, et il a le droit de pousser un cri du cœur.

Mais les professionnels du droit ne veulent pas de cri du cœur. Ils se drapent dans leur pratique, dans leurs grands principes, dans leur raison supposée éclairée. Ils savent mépriser bien comme il le faut ce « populisme judiciaire ».

C’est un classique : le journal le Monde parlait déjà de « poujadisme judiciaire » dans les années 1980, pour fustiger ce petit peuple français qui soutenait unanimement Lionel Legras, garagiste accusé d’avoir tué un cambrioleur.

Il y a, dans ces cris d’orfraies, non seulement de l’indécence vis-à-vis du drame de Lola, mais surtout une éclatante condescendance. Cette condescendance, on la reconnait, c’est toujours la même. Elle accompagne les analyses des avocats et des magistrats après des affaires criminelles.

C’est la même que j’ai connue personnellement pendant mes cours de droit à la Sorbonne et que tentaient de nous transmettre certains professeurs, heureux de nous accueillir dans la caste « supérieure » des juristes.

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« Le peuple » contre « le discours dominant »

Certes, la procédure judiciaire est important. Son but premier est de protéger les innocents contre les abus de l’Etat et c’est un but noble. Non, bien sûr, la Justice ne peut pas mener de procès expéditifs. Pourtant, la Justice française s’est perdue en procédures… et en laxisme. C’est un fait su de tous, et même organisé par l’Etat depuis une quarantaine d’années.

On a inventé les aménagements de peine, on a gonflé artificiellement les protections des « présumés innocents ». On a inventé des remises de peine automatiques, puis des remises de peines supplémentaires. On a encouragé le bracelet électronique… Bref, on a donc fait 40 ans de cadeaux aux coupables.

Et nous nous réveillons, aujourd’hui, avec une insécurité qui explose : les agressions doublées depuis l’an 2000, les homicides et tentatives depuis 2010, et les violences sexuelles depuis 2012.

Peut-être faudrait-il changer de méthode ? Peut-être que la fermeté, la fin de la complaisance envers les coupables produiraient de meilleurs résultats ?

En définitive, cette affaire met le doigt sur l’immense fossé qui sépare les attentes des Français et la pensée dominante dans le milieu de la Justice. L’ancien ministre de la Justice, Alain Peyrefitte, vilipendé par les milieux judiciaires de l’époque, avait une phrase qui résume tout : «La société a-t-elle le droit de punir ? Le discours dominant le nie. Le peuple l’affirme ».

Et le pire dans cette affaire, c’est que ce réflexe de s’arcbouter sur les « saints » principes de la Justice mènera précisément à leur éclatement total. Ce n’est pas un hasard si, ces derniers jours, à Nantes et à Roanne, des citoyens se sont fait justice eux-mêmes, n’ayant plus aucune confiance dans le système judiciaire. Il est temps que certains milieux remettent leur égo sous le tapis pour écouter ne serait-ce qu’un peu ce que demande la majorité des Français.

Pierre-Marie Sève est délégué général de l’Institut pour la Justice.

Boomerang: retour à 2008?

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La Banque d'Angleterre Photo by DAVID ILIFF. License: CC BY-SA 3.0 Wikipedia https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bank_of_England_Building,_London,_UK_-_Diliff.jpg

Dans l’état actuel des économies occidentales, une crise financière pourrait être déclenchée dans les mois à venir que ni les Etats ni les banques centrales ne pourront empêcher.


La mondialisation économique a signifié une concurrence salariale sur toute la planète. Il s’en est suivi une déflation salariale dans les riches économies occidentales et une forme de panne de demande compensée par une hausse importante des dettes publiques et privées alimentant une demande et une croissance quelque peu artificielles.

La crise des crédits pourris immobiliers américains de 2008 qui fit trembler toute la planète est l’expression la plus pure de cet excès d’endettement.

Deux innovations majeures: taux zéro et rachat des dettes

Pour surmonter cette crise et ses soubresauts, les banques centrales américaines et européennes mirent en place une politique de taux à court terme à 0%. L’achat de dette publique et même privée avec l’argent public des banques centrales permit de faire baisser les taux longs à des niveaux proches de 0% en Occident. Ces taux à 0 permirent de tenir l’édifice d’un crédit excessif tout en générant des hausses de prix sur les marchés immobiliers et financiers assurant un surcroît de demande et un peu de croissance dans des économies à la peine. Dit autrement, les économies occidentales étaient si fragiles qu’elles ne pouvaient pas supporter des taux trop différents de 0%.

Vint alors la crise du Covid et sa gestion par le confinement c’est à dire l’arrêt de l’économie. Cette gestion sanitaire par l’arrêt des entreprises et du versement des salaires (et des recettes fiscales) imposa à l’Etat de compenser les trous par de l’argent public. Ce processus causa à nouveau une forte hausse de l’endettement public. C’est ainsi que la France a augmenté sa dette publique de 600 milliards d’euros sous le quinquennat Macron, principalement pendant la période 2020-2022.

Lors de la sortie de crise du Covid, les gouvernements occidentaux mirent en place des plans de relance d’un montant excessivement élevé. Cette relance excessive couplée à des problèmes de goulets d’étranglement liés aux confinements provoqua une poussée d’inflation. Il ne faut jamais oublier que l’inflation se situait à 7% aux Etats-Unis en janvier 2022, un mois avant le début de la guerre en Ukraine. La guerre accéléra la hausse des prix de l’énergie et des matières premières. Elle amplifia ainsi une inflation occidentale qui atteignit ainsi des niveaux de 8 à 10%, du jamais vu depuis 40 ans.

Les banques centrales y répondirent par deux actions. La fin de l’achat de dette publique et privée qui, se faisant par création de monnaie, est inflationniste. La hausse des taux à court terme, passant de 0 à 1% en Europe et de 0% à 3% aux Etats-Unis.

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Crise économique et crise financière en perspective

L’édifice de la dette occidentale, n’étant plus soutenu par les taux à 0% et les achats de dette par les banques centrales, est fragilisé. Pire, la hausse des taux à long terme signifie la baisse de la valeur des obligations. Les obligations d’Etat américaines à 10 ans et à 30 ans ont ainsi vu leur prix baisser respectivement de 15% et 25% depuis le début de l’année. Et cette dégringolade a tendance à s’accélérer. Les dettes publiques et privées sont détenues par toutes les institutions financières, qui voient ainsi leurs bilans fragilisés comme pendant la crise de 2008. Les prix de l’immobilier et des actions baissent aussi, accentuant les risques bancaires.

Enfin, la hausse des taux et la dégringolade des actifs enclencheront inévitablement une récession dans tout l’Occident. Les taux d’intérêt étant encore loin du niveau d’inflation, leur niveau minimum dans un monde normal, une crise financière est probable. Quelle forme prendra-t-elle ? Il est difficile de le dire tant les prix des actifs ont tous été tirés vers le haut par la politique de taux 0 et les achats d’actifs. Les Américains parlent de « Bubble everything », une bulle financière généralisée.

La crise financière peut arriver par de multiples canaux.

La Banque des Règlements Internationaux, la BRI, annonçait récemment qu’il y a 800 000 milliards de dollars de produits dérivés financiers dans le monde. Avec la hausse des taux et la baisse des actions, une partie de ces contrats financiers risqués peuvent perdre brusquement de leur valeur comme en 2008 et déclencher des problèmes bancaires en cascade, déclenchant une crise financière aigüe.

Crédit Suisse et Deutsche Bank sont des banques systémiques, pouvant déclencher une telle crise. Ces deux banques ont aujourd’hui des CDS (swap sur défaillance de crédit) à 5 ans à respectivement 3% et 1,5%. Cela signifie que ces banques empruntent 3% et 1,5% au-dessus de l’Etat suisse et allemand. Ces niveaux sont intenables pour des banques puisque leurs marges d’intérêts avec les clients deviennent alors négatives. Cette situation démontre qu’une crise financière peut s’enclencher rapidement.

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Le phénomène le plus dangereux est la crise qui touche les obligations d’Etat des pays occidentaux. Les prix des obligations d’Etat américaine et britannique baissent ainsi de plus en plus vite depuis le début de l’année. La situation des fonds de pension et des obligations d’Etat britannique est la plus inquiétante. Elle touche la base du système financier britannique, les 3 800 milliards de livres sterling investis par les fonds de pension pour payer avec les intérêts et les dividendes les retraites de l’Anglais moyen. Les fonds de pension américains sont eux un mammouth encore plus gros puisqu’ils pèsent 35 000 milliards de dollars d’actifs investis. Au Royaume-Uni, les taux à long terme sont restés durablement proches de 0 pendant les dix dernières années. Les fonds de pension ne pouvaient pas se contenter d’investir leur 3500 milliards à taux 0 puisqu’ils n’auraient eu aucun revenu pour payer les retraites. Ils ont ainsi, pour la moitié des fonds, joué avec le feu financier en signant avec les banques des contrats financiers, des produits dérivés de taux pour accroître leurs revenus. Evidemment, quand les taux décrochent du niveau 0, ces stratégies occasionnent des pertes phénoménales. Ces pertes phénoménales ont même tari le cash de certains fonds de pension, obligés alors de vendre des obligations d’Etat britannique et de prolonger le cercle vicieux ; tant et si bien que les taux à 10 ans sont passés de 2% début août à 4,5% deux mois plus tard. Une vitesse de hausse des taux et de baisse des prix jamais vue. La Banque d’Angleterre, appelée à l’aide par un fond de pension en déroute, a dû intervenir en achetant des obligations d’Etat à 10 ans pour arrêter la débandade. Mais la création de monnaie générant de l’inflation, cette attitude ne peut pas être pérenne. Il reste possible que sous la contrainte, les banques centrales renoncent à leur politique de resserrement du crédit, voire reprennent la pratique du quantitative easing (assouplissement quantitatif), renouant avec la spirale vicieuse de l’endettement sans fin.

La bulle de crédit a été tellement prolongée que les dirigeants occidentaux n’ont plus de solution pour la résoudre sans casse. Il est donc probable qu’une crise financière se déclenche dans les mois à venir, nourrissant alors la crise économique et l’instabilité générale. Un des seuls évènements qui pourrait éviter une crise financière est le retour de la paix, la baisse importante des prix de l’énergie, prélude à une baisse de l’inflation et d’un certain apaisement des tensions économiques et financières.

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Guerre en Ukraine: le grand jeu des sanctions

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Le pétrolier de ravitaillement russe Academic Pashin qui est entré en service avec la flotte russe du Nord, au port de Severomorsk, le 21/01/2021 / PHOTO: Lev Fedoseyev/TASS/Sipa USA/SIPA / SIPAUSA30198836_000003

Alors que la Russie est très réactive face aux sanctions imposées par l’Occident en s’adaptant aux stratégies mises en place, l’Occident, lui, subit ses propres mesures à double tranchant.


A côté de l’aide militaire et financière, l’arme par excellence de l’UE et des Etats-Unis contre la Russie est les sanctions économiques. Ces dernières vont culminer en décembre avec l’entré en vigueur des mesures interdisant l’achat du pétrole russe. Or, comme nous l’avons pu constater depuis le début de la guerre, à quelques exceptions près (ceux qui en profitent), punir les Russes en refusant d’acheter leur pétrole c’est aussi s’auto-punir car une telle mesure pousserait le prix du baril à des niveaux que les économies européennes (sans parler des autres) ne pourraient pas supporter, avec toutes les conséquences d’une telle situation.         

L’idée selon laquelle les nations consommatrices de pétrole devraient organiser un cartel d’acheteurs pour plafonner le prix du pétrole – approuvée par les dirigeants du Groupe des Sept – semble fantaisiste. Après tout, si cela était réalisable, pourquoi ne l’avons-nous pas fait il y a des années pour faire baisser les prix du pétrole et désarmer l’OPEP, le cartel des productrices ? Pourtant, il s’agit d’une réponse à deux impératifs : réduire le flux des revenus pétroliers qui financent la machine de guerre de la Russie tout en empêchant une augmentation catastrophique des prix du baril à la fin de l’année avec l’entrée en vigueur des sanctions européennes sur l’achat du pétrole russe.

Pour rappel, les prix du pétrole sont tombés à 20 dollars le baril au printemps 2020 au début de la pandémie, ils sont ensuite revenus à leur niveau pré-Covid (plus ou moins 60 dollars) début de 2021 avec la reprise de l’économie avant de  bondir au-dessus de 100 dollars après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

L’équation occidentale est compliquée. L’Union européenne, les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni ont décidé après l’invasion de l’Ukraine de cesser d’acheter (à quelques exceptions près) du pétrole russe. Or, la Russie vend toujours d’énormes volumes – bien qu’à un prix inférieur au prix du marché – essentiellement à l’Inde et à la Chine. La Russie représentait avant la guerre environ 10 % de la production mondiale de pétrole, mais depuis ses exportations ont été réduites à quelques 5,6 millions de barils/jour de brut, dont 70% est acheminé par des pétroliers. Le reste passe par des pipelines, environ la moitié vers l’Europe et l’autre moitié vers la Chine.

Une option pour maintenir le flux de pétrole russe tout en réduisant les revenus de la Russie, serait de négocier un accord international visant à plafonner le prix du pétrole russe. La Russie pourrait, bien sûr, simplement refuser de vendre du pétrole, mais, en théorie, si le plafond est fixé au-dessus du coût marginal de production de la Russie, celle-ci serait incitée à continuer à pomper et donc à vendre, les capacités de stockage n’étant pas illimitées. La Russie pourrait refuser d’exporter du pétrole mais cela reviendrait non seulement à perdre l’une de ses principales rares sources de revenus, mais aussi à fermer des puits de pétrole qui ne sont pas faciles à redémarrer. Une fermeture prolongée des puits de pétrole russes causerait des dommages graves et durables à sa capacité de production.

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Mais les Etats-Unis et l’Europe pourraient aller encore plus loin. En effet, début juin, l’Union européenne et le Royaume-Uni ont décidé d’interdire à ses entreprises « d’assurer et de financer le transport, notamment par voie maritime, du pétrole russe vers des tiers » après la fin de 2022 afin de rendre « difficile pour la Russie de continuer à exporter son pétrole brut et ses produits pétroliers vers le reste du monde». Cette mesure est redoutable, car les entreprises européennes et britanniques représentent presque 90 % des activités d’assurance, de réassurance et de financement de l’acheminement du pétrole russe transporté par voie maritime. Sans ces entreprises, les propriétaires de pétroliers – de toute nationalité par ailleurs – refuseront tout simplement de transporter du pétrole russe. Et ils ne seraient pas les seuls. Les exploitants du canal de Suez n’autorisent pas les navires non assurés à emprunter cette voie maritime.

La Russie, en réponse, affirme que sa compagnie d’assurance publique fournira la réassurance que les sociétés britanniques et européennes refuseront. La Russie n’attend pas les bras croisés et prend des mesures pour s’adapter à la stratégie de plafonnement. Ainsi, Moscou s’active pour remédier à l’insuffisance de sa capacité de transport maritime. Rosneft est en train de développer son activité d’affrètement de pétroliers pour faciliter les expéditions de pétrole après que les acheteurs de la société ont cessé de traiter avec la Sovcomflot sanctionnée par le Royaume-Uni, les Etats-Unis et le Canada. Moscou pourrait également recourir à la « flotte fantôme » iranienne et vénézuélienne qui compte plus de 200 vaisseaux. La technique de transfert de navire à navire en haute mer et d’autres pratiques de dissimulation aideraient aussi à échapper aux sanctions. Quant à la dépendance russe à l’égard des assureurs, des assureurs nationaux tels que Ingosstrakh (en juin dernier Ingosstrakh a assuré des pétroliers de Sovcomflot) et RNRC (Russian National Reinsurance Company) ont déjà commencé à fournir une couverture d’assurance. Ces mesures semblent satisfaire des clients importants comme l’Inde car l’Indian Register of Shipping (une organisation non gouvernementale de classification des navires qui établit et maintient des normes techniques pour la construction et l’exploitation des navires et des structures offshore) a annoncé qu’il fournirait une certification de sécurité à plusieurs dizaines de navires gérés par une filiale de Sovcomflot basée à Dubaï. Selon le CEO de l’agence indienne, Sovcomflot avait assuré tous ses cargos auprès d’assureurs russes.

L’efficacité de ces mesures pour contrer les effets du plafonnement des prix reste à être démontrée: les sociétés russes n’ont pas la même réputation et leur couverture pourrait ne pas être acceptée par les principaux ports et canaux. Pendant un certain temps encore la domination européenne de cette filière sera toujours capable de rendre les exportations du pétrole russe difficiles et chères.  

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Le problème est l’effet boomerang : la restriction de l’approvisionnement en pétrole sur les marchés mondiaux résulterait en une hausse des prix très importante.  Et si on combine les deux mécanismes, une option très intéressante émerge : exempter de l’interdiction de financement et d’assurance toute expédition de pétrole russe vendue à un prix inférieur au prix plafond fixé par les Européens. Ainsi l’Union européenne pourrait maintenir l’interdiction – il sera difficile politiquement de faire autrement car les opinions publiques refuseraient de «financer la guerre de Poutine » – tout en évitant l’effet boomerang sur les économies européennes.

Cette stratégie de sanctions est à la fois sophistiquée et risquée car il n’est pas sûr qu’elle puisse être mise en œuvre. Si comme nous l’avons vu plus haut, l’Inde et les pays en développement importateurs de pétrole seraient fortement incités à y adhérer, si le plafond permettait de réduire le prix qu’ils paient pour le pétrole, la Chine, un important acheteur de pétrole russe, a d’autres calculs. Et ce n’est pas tout. La Russie et certains de ses clients pourraient contourner le système : vendre le baril au prix fixé par l’Europe mais ajouter d’autres éléments (comme avec le prix d’un billet d’avion) rendant l’ensemble proche du prix du marché. Depuis le blocus continental imposé par Napoléon dès 1802, on connait l’énorme complexité et les effets à long termes impossibles à prévoir de tels dispositifs. Mais s’il y a une leçon à tirer ce serait la suivante : même si les sanctions et les blocus sont infiniment compliqués à manier et sont la cause d’innombrables effet pervers et trafics de toute sorte, les décideurs trouvent toujours qu’elles sont politiquement indispensables. Même si le bilan économique est discutable voire négatif, parfois il devient tout simplement impensable de commercer avec certains Etats. Coûte que coûte.   

L’ONU parangon du respect des Droits de l’homme ?

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Salle des Droits Humains et de l'Alliance des Civilisations du Palais des Nations, Genève Ludovic Courtès 5 août 2015 Creative Commons sur Wikipedia https://commons.wikimedia.org/wiki/File:UN_Geneva_Human_Rights_and_Alliance_of_Civilizations_Room.jpg

Le Français Éric Tistounet, le chef du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, est accusé d’avoir harcelé les membres de l’ONG, UN Watch, et d’avoir manipulé les listes d’intervenants pour les empêcher de s’exprimer. UN Watch porte plainte.


Le Conseil des Droits de l’homme des Nations unies (UNHRC) est né officiellement en 2006, mais il s’agit de la transformation d’une entité existante, la Commission des Droits de l’Homme. Cette dernière avait été créée en 1946 « afin de mettre en place la trame juridique internationale qui protège nos libertés et droits fondamentaux ». Si le Conseil a pris la place de la Commission, c’était pour remettre un peu d’ordre, en contrebalançant « l’approche sélective qui guidait ses travaux, sa politisation, avec pour corollaire sa polarisation » et en apportant « plus de transparence à la politique des droits de la personne » des États candidats à devenir membres du Comité : 13 Africains, 13 Asiatiques, 13 Latino-américains, 8 Caribéens, 6 Européens de l’est et 7 Européens de l’ouest + « autres » (notamment les USA). Il ne s’agissait pas des régions où le Conseil serait amené à enquêter, mais de celles d’où viendraient ceux qui y prennent les décisions. Ceux qui ont remarqué que les régions où se concentrent les démocraties sont défavorisées, levez la main ! Vous avez gagné : en 2022, les démocraties représentent 31,9% des États membres. Parmi les autres, on peut citer l’Érythrée, la Somalie, la Lybie, la Mauritanie, le Soudan, la Chine, le Pakistan, Russie, la Bolivie, Cuba, le Venezuela, le Qatar et les États arabes unis, au nombre de ceux qui partagent au mieux le souci de leur population et le respect de leurs voisins.

Quis custodiet ipsos custodes?

United Nations Watch est une organisation non gouvernementale basée à Genève, dont le mandat est de surveiller les activités des Nations Unies à l’aune de leur propre Charte. Elle fait une priorité de la lutte contre l’antisémitisme et toutes les formes de racisme et de discrimination. L’ONG a été fondée en 1993 par un militant des droits civiques, Morris B. Abram, ancien représentant permanent des États-Unis auprès de l’ONU. Alfred H. Moses, l’ancien ambassadeur des Etats-Unis à la Roumanie, en est aujourd’hui le président et Hillel Neuer le directeur exécutif. En tant qu’ONG accréditée avec un statut consultatif spécial, UN Watch participe activement à l’ONU. En collaboration avec 20 autres ONG internationales, elle organise chaque année le Sommet de Genève pour les droits de l’homme et la démocratie.

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En 2006, l’ONU avait promis que « le point de l’ordre du jour n°8 visant Israël » de l’ancienne Commission des droits de l’homme, serait supprimé. En réalité, ce point 8 est simplement devenu le point 7, comme l’explique un texte de UN Watch : « Chaque session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies consacre un point spécial de l’ordre du jour à la « situation des droits de l’homme en Palestine et dans les autres territoires arabes occupés », qui est définie par la résolution 5/1 du UNHRC comme comprenant « les violations des droits de l’homme et les incidences de l’occupation par Israël de la Palestine et des autres territoires arabes occupés ». Les neuf autres points de l’ordre du jour permanent du Conseil sont tous génériques et ne font pas référence à un pays ou une situation particulière. Il n’y a pas de point spécial à l’ordre du jour sur l’Iran, la Syrie, la Corée du Nord ou tout autre pays. Il n’y a qu’Israël ».

UN Watch porte plainte

Le 6 octobre 2022, UN Watch porte plainte pour « harcèlement, censure et discrimination systématiques » contre le chef de l’UNHRC, Éric Tistounet, qui, comme son nom l’indique, est français. Cette plainte intervient un an après que le directeur exécutif de UN Watch, Hillel Neuer, aurait été interrompu et censuré au moment où, devant le Conseil des Droits de l’homme qui débattait du point 7, il dénonçait l’incitation à la haine anti-juive des enseignants de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA).

Vidéo de la chaîne YouTube de UN Watch, postée le 5 octobre 2021.

Selon la lettre motivant la plaint, une ancienne collaboratrice d’Éric Tistounet a témoigné que ce dernier a ordonné à son personnel, de manière systématique, de « violer les règles de l’ONU afin d’annuler ou de marginaliser subrepticement la participation de UN Watch aux débats du Conseil des droits de l’homme ». En outre, il aurait créé au sein du Conseil un climat de harcèlement et de discrimination contre le personnel de l’ONG. Selon des emails qui ont fuité, Éric Tistounet aurait chargé ses collaborateurs de prendre des mesures pour empêcher l’accès de Hillel Neuer aux locaux de l’ONU à Genèvre où il devait témoigner devant le UNHRC. Enfin, des listes des intervenants pour certaines séances démontreraient qu’Éric Tistouent aurait manipulé les résultats du système d’inscription automatique afin que les intervenants de UN Watch se trouvent privés de temps de parole. Par exemple, lors de la 50e séance qui s’est tenue en juin-juillet 2022, UN Watch s’est inscrit pour 36 dialogues interactifs avec des experts de l’ONU, mais on ne lui a jamais donné la parole, alors que d’autres ONG, qui avaient demandé moins d’interventions, ont reçu jusqu’à 10 créneaux.

L’ONG demande donc que « des mesures correctives soient prises pour que UN Watch puisse à nouveau exercer son droit de parole au Conseil des droits de l’homme de l’ONU sur un pied d’égalité avec toutes les autres ONG ». Étrangement, on a beaucoup plus parlé de cette plainte contre un Français dans les médias anglophones que dans les médias français…

Qu’attend donc David Lisnard?

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David Lisnard (Maire de Cannes, Président de l'Association des maires de France, AMF, Président de l'Agglomération Cannes Lerins, Vice-président du Département des Alpes-Maritimes), le 17/06/22 / PHOTO: SYSPEO/SIPA / 01077776_000019

A la veille des élections internes à la présidence de Les Républicains, qu’est-ce qui empêche David Lisnard de se mettre plus en avant et de contribuer de manière plus décisive à l’avenir de son parti?


Quand l’urgence est requise, lorsque de quelque côté qu’on la regarde la France suscite peur, inquiétude et angoisse, il me semble que les atermoiements du calcul et les lenteurs de la réflexion ne sont plus admissibles.

Je sais que je n’ai pas la sagesse (ou le vice) de l’indifférence mais aujourd’hui, se réfugier dans une abstention ou dans des stratégies à long terme qui, nous décrivant le pire pour le présent, prennent pourtant leur temps, relève d’une attitude suicidaire. On a compris que ma sollicitude civique continue à s’attacher à Les Républicains et que j’ai dû résister à la tentation de donner pour titre à ce billet : « Les Républicains ou la fureur de perdre ».

Comment analyser autrement l’attitude d’un Laurent Wauquiez qui est, paraît-il, « impitoyable sur le bilan de Macron mais prépare déjà 2027 » (Le Figaro) ? Comment ne pas tourner en dérision cette politique à l’ancienne de la rhubarbe Ciotti et du séné Wauquiez, le premier chauffant la place pour le second en espérant être son Premier ministre dans cinq ans ? Comment ne pas s’amuser alors du soutien de Laurent Wauquiez à Eric Ciotti, pour l’élection du mois de décembre ? Laurent Wauquiez tentant de faire passer leurs ambitions communes pour une lucidité et une préférence désintéressées !

Dans sa prestation renouvelée au JDD, Nicolas Sarkozy confirme son adhésion à Emmanuel Macron et cherche à la justifier par une rationalité qui masque difficilement opportunisme, entente dans les coulisses, indignité de la désertion et volonté de continuer à peser pour le pire sur Les Républicains. Le tout en s’efforçant de persuader qu’il a quitté la politique politicienne quand au contraire il ne s’adonne qu’à elle. Comment accepter qu’à l’exception d’un Bruno Retailleau et aussi parfois d’un Aurélien Pradié, tout le monde, au sein de Les Républicains, demeure tétanisé par une fidélité mortifère – en particulier la puncheuse Rachida Dati à laquelle les sondages IFOP-Fiducial depuis quelques mois offrent un état de grâce – et que faute de savoir se débarrasser de cet encombrant boulet, rien de vraiment décisif ne pourra être accompli pour porter haut les couleurs d’une vraie droite ?

Quelques-uns ont beau souhaiter la dilution de la droite dans le macronisme, il n’en demeure pas moins que c’est peine perdue que d’exiger du président de la République – comme le fait Nicolas Sarkozy – encore plus de droite. Car toute une part d’Emmanuel Macron, et pas la moins importante, reste imperturbablement aux antipodes d’une conception intelligemment conservatrice de notre pays, de son sort, de sa sauvegarde, de son identité, de sa tranquillité, de son influence et de sa culture.

C’est à cause de cette déréliction dont il serait vain de reprendre, une à une, les preuves (je mentionnerais la dernière à Tours où des voyous, dans une manifestation lycéenne, ont honteusement agressé des sapeurs-pompiers portant secours à un jeune homme) que j’ai envie de parler de David Lisnard – excellent maire de Cannes, président de l’Association des maires de France – de l’attente qu’il suscite et du mystère de son futur.

A lire aussi: LR: « D’un parti de droite, nous sommes devenus un parti centriste! » Entretien avec Eric Ciotti

David Lisnard, à l’évidence, n’est pas un homme politique ordinaire (Le Figaro). Pour qui suit attentivement ses interventions médiatiques, ses discours et ses entretiens, pour qui connaît aussi la réalité de ses actions municipales et la manière très largement majoritaire dont elles sont appréciées, il y a dans son esprit, dans sa personnalité, dans sa réflexion, une profondeur, une complexité qui ne sauraient être résumées par une approche banale de droite. La difficulté tient d’ailleurs à cet étrange mélange chez lui d’un intellectuel du débat public, un passionné des idées, un adepte des concepts, des prospectives et des abstractions, et d’un pragmatique se mouvant avec efficacité dans la glaise du quotidien.

D’où, parfois, une parole profuse, longue, riche, convaincue, alliée – j’ai pu le constater – à des entreprises remarquablement concrètes. J’éprouve parfois l’impression qu’à force de se ménager pour être au plus près de la vérité, en multipliant les scrupules et les hésitations pour ne pas risquer des embardées précipitées, il donne à certains de ses soutiens même les plus constants une image d’irrésolution, presque de procrastination pour ce qu’on lui prête et qui est, en raison de sa qualité, infiniment plausible. Comme si, à la recherche permanente du bon moment pour s’engager vraiment, il se mettait en position de ne jamais le trouver. Parce que la solution idéale est introuvable !

On devine, on pressent qu’il réfléchit à son futur, il nous le dit, il nous le laisse entendre. On perçoit que la présidence de Les Républicains n’est pas son ambition, qu’il n’a pas non plus une mentalité de transfuge. Ce n’est pas chez lui qu’Emmanuel Macron trouvera un allié et d’ailleurs il n’a pas de mots assez cinglants et durs pour fustiger son contraire : Renaud Muselier, tombé dans le piège et évacuant sa mauvaise conscience en vilipendant Les Républicains… David Lisnard, pourtant, n’est pas indifférent à 2027 et je serais même prêt à parier qu’on le verra concourir à sa manière lors de la joute finale impliquant son parti. Mais qu’attend-il pour l’instant ? Il est sans doute sincère quand il affirme n’avoir pas identifié encore dans sa famille politique de quoi le satisfaire pleinement. Mais doit-il ainsi priver son parti de son apport ? Ne pourrait-il dominer son appréhension d’être incompris, détourné en choisissant, avec empirisme, la solution la plus opératoire possible pour favoriser le projet qui sauvera Les Républicains : celui de Bruno Retailleau ?

Il est certain que David Lisnard, en consentant à forcer sa nature à la fois prudente dans la tactique et audacieuse dans le fond, représenterait un plus considérable pour Bruno Retailleau et ceux qui considèrent que l’alternative est simple : ou ce sera Bruno Retailleau, et Les Républicains revivra, transformé de la base jusqu’au sommet, ou ce sera Eric Ciotti, donc une réduction partisane et la mise sur orbite d’un duo de compères, avec Laurent Wauquiez. Parce qu’il y a péril en la demeure française, David Lisnard nous fera-t-il la grâce de sortir de son bois personnel, détrompant ainsi ceux qui ne voient en lui qu’un éternel espoir, un homme d’action municipale, une personnalité si éprise de la pensée politique et sociale qu’elle répugne à l’incarner sans être assurée de tous ses arrières, d’un avenir taillé sur mesure pour elle ?

Le présent attend David Lisnard, qui pourtant ne vient pas. Clairement.

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Après Lola il ne se passera rien. Et le pire est encore à venir

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Yann Barthès, le 09/09/19 / PHOTO: JP PARIENTE/SIPA / 00923165_000163

« Récupération ! Récupération ! », crient les journalistes de France Inter, de France info, du Monde et de Libération, ainsi que les responsables de La France Insoumise, à propos des légitimes interrogations des députés et des chefs de mouvements politiques réclamant, suite au meurtre de Lola, des comptes aux représentants du gouvernement, lesquels se défaussent en maniant, à coups de « dignité » et de « respect », une langue mièvre et moralisatrice qui révèle au fond leur insincérité et leur incompétence.


Sur France Inter[1], Yaël Goosz s’est étranglé de rage en parlant d’Éric Zemmour puis a carrément suffoqué en évoquant Marion Maréchal et son soi-disant désir de « transformer des faits divers en guerre de civilisation ». Après une laborieuse digression par Bourdieu et son non moins laborieux essai Sur la télévision dans lequel le sociologue « disait, à propos des “faits divers”, qu’ils font diversion », le journaliste regrette vivement qu’Olivier Véran ait concédé que le « gouvernement pouvait faire mieux en matière d’expulsions ». Surtout que nos compatriotes courent de moins en moins de danger : en trente ans, a précisé le réconfortant Yaël Goosz, le nombre d’homicides a été divisé « au moins par 2 ». Voilà les Français complètement rassurés.

Sur le plateau de BFMTV, face à Marion Maréchal, Alain Duhamel a répété à l’envi que le temps n’était pas venu de débattre, qu’il fallait respecter un délai, ne surtout pas réagir à chaud, sur le coup d’une émotion légitime mais mauvaise conseillère. Lorsque les médias et certains responsables politiques ont étalé à la une de leurs journaux et sur les plateaux de télévision la photo du petit cadavre d’Aylan afin de stigmatiser des Européens trop frileux devant l’afflux migratoire, personne n’a parlé de « récupération » sordide ou d’un délai à respecter, a opportunément rétorqué Marion Maréchal. Après avoir évoqué le quart de la moitié du dixième des exactions criminelles commises en France par des immigrés en situation irrégulière, elle a demandé : « À partir de combien de litres de sang a-t-on le droit de parler, de s’indigner, et de demander des réponses aux responsables ? » Alain Duhamel a dit être choqué par « l’image des litres de sang » qui est « une façon un peu inhumaine (sic) de poser la question ». Ne voulant rien savoir du nombre effarant et en constante progression d’actes de violence perpétrés quotidiennement en France, en particulier par des individus en situation irrégulière et souvent « connus des services de police », Alain Duhamel trouve qu’il est un peu « inhumain » d’en parler – comme ses confrères, il parlera bientôt d’autre chose ; les sujets qui éloignent de la dure réalité ne manquent pas.

A lire aussi: Lola: prière de pleurer, rien de plus

De son côté, Yann Barthès, le journaliste inculte de l’émission Quotidien, a voulu faire coup double : en même temps qu’il bêle avec ses confrères sur le thème de la « récupération », il demande à ce que soit renvoyé chez lui « l’immigré québécois de CNews », Mathieu Bock-Côté. Yann Barthès a à nouveau fait montre de sa bêtise et de son absolue impossibilité à comprendre une phrase composée de plus de trois ou quatre mots : voulant moquer le sociologue québécois « tordu », il fait visionner une séquence dans laquelle ce dernier livre une longue et perspicace réflexion sur les deux « catégories de victimes » – le petit Aylan, Georges Floyd ou Adama Traoré d’un côté, et Lola de l’autre – et la manière dont la presse et certains partis politiques ont instrumentalisé la première et s’apprête à faire le silence sur la seconde. Si Yann Barthès parvient à imiter l’accent québécois de Mathieu Bock-Côté, il peine en revanche à atteindre le cent millionième de l’intelligence du brillantissime chroniqueur de CNews – afin de ne pas être taxé de « validisme » par les associations défendant les « personnes en situation de handicap », nous éviterons d’évoquer un possible retard mental, résultat d’une carrière abrutissante. C’est pourtant pas l’envie qui manque.

Beaucoup de personnes se font les porte-voix de la famille de Lola qui désirerait que ne soit pas « récupérée politiquement » la mort de leur enfant. En réalité, il est à craindre que tout ce petit monde – ministres de l’Intérieur et de la Justice, journalistes de gauche et représentants politiques d’extrême-gauche – espère seulement que le temps fera glisser doucement mais sûrement cette ultime tragédie dans les oubliettes de la mémoire. Un exemple parmi cent justifie cette crainte : qui se souvient (ou même a seulement entendu parler) des trois jeunes gens (16, 18 et 20 ans) tués à Angers à coups de couteau par un Soudanais de 32 ans en situation irrégulière, alors qu’ils cherchaient à protéger deux jeunes filles péniblement importunées par ce dernier ? Pourtant… ce drame s’est déroulé il y a à peine plus de trois mois, le 16 juillet précisément. Le silence des médias dits de référence ou de gauche a triomphé : la mort de ces jeunes hommes qui ont ravivé, comme l’avait fait avant eux le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, un sentiment chevaleresque bien français – la défense du plus faible au risque de perdre la vie – n’a été « récupérée » par personne.

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L’omerta règne. Libération, Le Monde, L’Obs, la télévision et la radio publiques sont aux abonnés absents ou murmurent de très courtes et très éphémères informations dès qu’il s’agit de parler des meurtres mettant en cause des immigrés en situation irrégulière ou non. Les exemples ne manquent malheureusement pas. Entre autres, la mort d’Alban Gervaise, ce médecin militaire égorgé « au nom d’Allah » par Mohamed L. devant l’école catholique où il venait récupérer ses enfants, est passée presque totalement inaperçue. Les médias de gauche, secondés par le cabinet du Chef d’État-Major des Armées et le service communication du Gouvernement militaire de Marseille déclarant que la famille refusait toute médiatisation, sont restés étrangement discrets. Christelle Gervaise, l’épouse d’Alban Gervaise, a formellement démenti le 5 septembre dernier, sur son compte Facebook, avoir refusé la médiatisation de l’affaire et a précisé que son message rectificatif pouvait être partagé. À ma connaissance, aucun média mainstream n’a repris cette information – ce qui nous renseigne une fois de plus sur certaines pratiques d’occultation de la vérité.

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Comme Céline Pina, je ne crois pas que la mort de Lola amènera à une prise de conscience. D’abord, parce que le plan d’occultation de la vérité qui a si bien marché pour les crimes évoqués plus haut est déjà en marche pour la malheureuse Lola[2] et aboutira, d’une manière ou d’une autre, au même résultat. Ensuite, parce qu’une grande partie des « élites » universitaires, intellectuelles, médiatiques et politiques ne semble nullement s’inquiéter des bouleversements civilisationnels provoqués par la multiethnicisation et la tribalisation de la société française. Plus inquiétant encore, majoritairement, les plus jeunes générations issues des classes moyennes et poursuivant des études universitaires ne savent presque rien de ce qui se trame réellement en France. Les médias qu’elles consultent n’abordent les sujets qui fâchent qu’avec la plus grande parcimonie, trop occupés qu’ils sont à promouvoir « l’ouverture à l’autre » et à dénoncer la « fachosphère ». De plus, l’idéologie écologiste inculquée à l’école et dans les médias a totalement anesthésié ces jeunes gens qui surveillent la consommation d’eau et d’électricité de leurs compatriotes, amis ou parents, calculent leurs bilans carbone et ne jurent que par les éoliennes, le végétarisme et la décroissance, mais ignorent tout des problèmes auxquels la France et l’Europe sont d’ores et déjà confrontés en termes d’immigration. Dressés depuis leur plus jeune âge au binarisme conflictuel, sectaire et imbécile (dominants/dominés, Blancs/“racisés”, hommes/femmes, hétéros/LGBT, beaufs/écolos), à l’acceptation du contrôle social auquel ils participent en tant qu’agents d’application des idéologies les plus mortifères (celles sur le genre ou le climat, entre autres), au refus de préserver tout ce qui a fait la beauté et la grandeur de leur pays, ces jeunes gens, à l’instar des étudiants de Sciences Po, ont voté majoritairement Mélenchon lors de la dernière élection présidentielle. Militants, ils sont aujourd’hui les propagandistes de l’idéologie gauchiste, écologiste, wokiste et immigrationniste. Ils seront bientôt les professeurs, journalistes, universitaires et responsables politiques qui donneront le la en matière d’éducation de la population. Ils seront demain les nouvelles « autorités d’occultation », pour dire comme Gilles-William Goldnadel. Car rien ne devra entraver un multiculturalisme qu’ils considèrent comme un bienfait ; aucune ville mise à sac ne pourra les empêcher de promouvoir un « vivre ensemble » qu’ils exporteront jusque dans les coins les plus reculés de l’hexagone ; aucune Lola ne les détournera des discours lénifiants sur l’immigration qui est « une chance pour la France ». Entre deux lâchetés (ou « accommodements raisonnables ») face à l’islam prosélyte, l’élite wokiste, européiste et immigrationniste réclamera de nouvelles lois « progressistes », intersectionnellement diversitaires, pro-genres et écologistes. Parallèlement à ce basculement civilisationnel, la barbarie tribale continuera de gagner du terrain. Je ne vois rien, pour le moment, qui puisse contredire cette vision funeste. Le pire est donc encore à venir.


[1] France Inter, édito politique de la Matinale du 20 octobre 2022.

[2] Pour s’en convaincre, il suffit de lire, par exemple, l’éditorial du Monde du 25 octobre intitulé « Obsèques de Lola : la mort d’une enfant, de l’émotion à l’exploitation ». « Indigne », « cynique », « discours sécuritaires », « articles haineux », « scandaleux », autant de syntagmes qui ponctuent l’article d’un journal qui n’a sans doute pas apprécié de devoir écrire sur un « fait divers » auquel il destinait vraisemblablement le même traitement discret, pour ne pas dire furtif, que celui qu’il a appliqué à tous les « faits divers » évoqués ci-dessus.

Brésil : le retour de la monarchie impériale ?

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Le président Jair Bolsonaro, le 22/10/22 / PHOTO : Andre Penner/AP/SIPA / AP22732407_000001

Le 7 septembre 2022, en pleine campagne présidentielle, le Brésil a commémoré le bicentenaire de son indépendance. En grande pompe. Dans la tribune d’honneur, aux côtés de Jair Bolsonaro, un homme est tout sourire devant le spectacle qui s’offre à lui. Dom Bertrand d’Orléans-Bragance est le descendant des empereurs brésiliens qui ont régné entre 1822 et 1889. Il est à la tête du mouvement monarchiste qui agit comme une ombre constante derrière le dirigeant sortant et qui s’est progressivement imposé durant tout le premier mandat de ce dernier. Aujourd’hui, il œuvre pour sa réélection.


En juin 2022, São Paulo a accueilli un congrès anodin. Réunis dans un hôtel de la capitale de l’État du même nom, des centaines de personnes se sont rassemblées afin d’accueillir des hôtes de marque. Face à la tribune centrale, un drapeau aux couleurs de l’Empire brésilien. Le Brésil n’a connu que deux empereurs, Dom Pedro Ier et Dom Pedro II, aux styles différents, mais dont les règnes (entre 1822 et 1889) ont marqué le subconscient des habitants de ce pays d’Amérique du Sud, le plus grand du continent. En entrant dans la salle de réunion de l’hôtel, Dom Bertrand d’Orléans-Bragance, héritier au trône, est chaleureusement applaudi par les participants. Tous sont convaincus que les maux du Brésil se volatiliseront avec le retour de la monarchie.

À 81 ans, l’héritier au trône peut se réjouir des résultats accomplis. Avec l’arrivée au pouvoir du président Jair Bolsonaro, ce sont ses idées conservatrices qui ont triomphé au Brésil et qui ont pénétré dans les plus hautes sphères politiques du pays. Dans l’ombre du tonitruant leader d’extrême-droite, Olavo de Carvalho, un essayiste devenu une référence chez les traditionalistes. Considéré comme le gourou du gouvernement, il dénonce régulièrement la « pensée unique de la gauche » et le marxisme culturel dans les médias et universités du pays. Rejetant la théorie darwiniste de l’évolution, il est celui qui a favorisé la nomination d’Abraham Weintraub, ministre de l’Éducation (2019-2020,) et d’Ernesto Araujo, ministre des Affaires étrangères (2019-2021), deux monarchistes notoires. Ce dernier a même organisé une rencontre, quelques jours après sa nomination, avec le prétendant au trône et quelques élus du parlement acquis à sa cause. Olavo de Carvalho, qui est également un partisan acharné du retour de la monarchie, n’a pas hésité à proclamer en 2016 sur son compte Twitter qu’il « se tiendrait aux côtés de la maison impériale si celle-ci se bat pour la restauration ».

Les élections générales de 2017 ont marqué le retour des monarchistes au parlement. Parmi lesquels le neveu du prétendant au trône, le prince Luiz-Philippe d’Orléans-Bragance, un temps pressenti pour prendre la vice-présidence du gouvernement. Non-dynaste, il est actuellement considéré comme le dauphin de Jair Bolsonarao avec lequel il s’affiche régulièrement. Le descendant de Dom Pedro II est un monarchiste passionné et à l’origine d’un projet de constitution commandé par le président brésilien lui-même, où l’on retrouve en bonne place la possibilité de restaurer la monarchie. Infatigable parlementaire, il tweete aussi vite qu’il instagrame, suivi par des centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux dont il se méfie pourtant. D’ailleurs, ce nationaliste n’a pas hésité à signer un accord d’association avec l’ancien président américain, Donald Trump, et accepté un poste de directeur financier au sein d’un nouveau groupe, né de la fusion de Digital World Acquisition Group, de Trump Media et de Technology Group, qui a donné naissance au réseau social Truth Social. Les cibles du prince: les partis de gauche en Amérique du Sud et l’ancien président Lula da Silva, qui va affronter Bolsonaro au second tour de l’élection présidentielle prévu le 30 octobre prochain.

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Le groupe monarchiste parlementaire compte 15 députés, élus sous diverses couleurs politiques, qui se sont affichés avec un drapeau impérial, et qui ont même réussi à l’imposer comme emblème national dans l’État de Rondônia. Tant et si bien, qu’une pétition (ayant recueilli le quorum obligatoire) a été vainement soumise au Sénat afin que la chambre accepte de valider la mise en place d’un référendum sur le rétablissement de la monarchie. Une question qui a été déjà posée aux Brésiliens en 1993, mais qui n’avait recueilli que 13% des voix en sa faveur. Un échec pour la maison impériale, principalement expliqué par de profondes divisions internes et les manœuvres des partis républicains qui se sont ligués pour couper l’herbe sous les pieds des monarchistes au moment où les sondages se montraient largement favorables à l’idée monarchique (aujourd’hui, on évoque 20% des Brésiliens qui souhaiteraient le retour d’un « imperador »). Un groupe royaliste se maintient puisque certains d’entre eux ont été réélus lors de la dernière élection législative d’octobre 2022. Ils siégeront aux côtés du Parti Libéral de Bolsonaro (dont quelques-uns sont des membres notables, comme la journaliste Carla Zambelli, pasionaria monarchiste) et leurs alliés qui dominent toujours le Congrès et le Sénat.

Face à ce succès qui se poursuit, Dom Bertrand se veut confiant dans l’avenir. En marge de sa rencontre avec les élus de la République au ministère des Affaires étrangères, il avait déclaré à la presse « avoir trouvé des interlocuteurs qui partagent ses positions, en complète harmonie ». Francophone, le prince impérial est le coordinateur et le porte-parole de Paz no campo (Paix dans les champs), un mouvement qui défend les propriétaires terriens contre les « sans-terre » et les Indiens dont il souhaite l’évangélisation générale. Membre du mouvement ultra-catholique Tradition, famille et propriété (TFP) qui rejette l’esprit de 1789, Dom Bertrand est un opposant au mariage pour tous. Il a d’ailleurs participé aux rassemblements français de la Manif’ pour tous en 2013, considérant « l’homosexualité comme une déviance telle que la doctrine catholique le perçoit », souhaitant l’abolition du divorce (c’est un célibataire endurci) et la fin du droit à l’avortement… Auteur d’un livre très controversé, intitulé Psicose Ambientalista (Psychose Environnementaliste), cet ancien réserviste de l’air, très introduit dans les milieux militaires (dans les années 1980, ils ont offert une couronne à son père), dénonce régulièrement les thèses sur le réchauffement climatique, « ces canulars créés par les écologistes radicaux et par les éco-terroristes » selon lui.

Des thèses et des positions qui font écho aux propos tenus à diverses reprises par Jair Bolsonaro. Reçu au palais présidentiel le 22 août dernier, Dom Bertrand d’Orléans-Bragance a été un invité d’honneur, installée dans la tribune présidentielle, pour les festivités du bicentenaire de l’indépendance. Une proximité qui ne fait pourtant pas l’unanimité au sein de la maison impériale. Une partie de ses membres déplore publiquement ce soutien à Bolsonaro, estimant que ce manque de neutralité est contre-productif pour l’idée monarchique et que le mélange des genres ne permettra pas la restauration de l’institution impériale à court terme.

« The Car »: nouvel album en cinémascope des Arctic Monkeys

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The Arctic Monkeys au Primavera Sound Festival, Los Angeles, California, le 18 septembre 2022 Bill Chapman/London Entertainmen/SIPA Shutterstock41003044_000018

Le groupe de rock anglais, originaire de Sheffield, continue sa nouvelle veine : la création, non d’une suite de chansons, mais de toute une atmosphère sensuelle qui vous donne une envie furieuse de vous rendre dans un bar à cocktails sophistiqué de l’imagination.


J’ai toujours eu besoin d’orchestrer ma vie. Je ne crois pas manquer de naturel, mais il me faut sans cesse faire un pas de côté pour ne pas prendre en pleine poire le train sordide du quotidien et en succomber. Chacun sa méthode. Adolescent, plein d’idéal et de mélancolie furieuse, je remontais les rues en direction du lycée, me recoiffant dans les vitres des banques, demandant des cigarettes aux fumeurs, préparant mon arrivée dans la cour comme un comédien dans sa loge. Oui, être jeune c’est mélanger sans mesure l’ardeur et le grotesque avec un esprit de sérieux dissimulé derrière le fard de l’ironie. Pour que l’orchestration soit réussie, la musique est bien sûr essentielle. Ainsi c’était avec cette musique dans les oreilles que je pénétrais dans les lieux nouveaux. Le terne des jours se transformait alors, comme par magie, en une explosion d’émotions distordues. Les yeux en guise de caméra, mes pas devenaient d’étranges travelings, les passants des figurants d’un film plus ou moins réaliste. Mais pour que l’illusion soit parfaite, il faut le bon titre. Les Arctic Monkeys nous donnent mieux que ça. Depuis le 21 octobre et la sortie de leur album sobrement intitulé The Car, c’est dix admirables chansons en cinémascope qui nous sont offertes.

Rembobinons un instant. Nous sommes en 2006 et cinq gamins anglais venus de Sheffield cartonnent dans les charts. 400.000 exemplaires de leur premier album sont vendus en une semaine. Rien ne les distingue vraiment d’autres lads (jeunes)qui fréquentent les mêmes pubs, portent les mêmes vêtements, draguent les mêmes filles et se coiffent de la même façon. Rien, excepté un talent, une fougue et une flamme juvéniles que l’on n’avait pas rencontrés depuis l’album Up The Bracket des Libertines en 2002 (dont nous fêtons les 20 ans). Nés autour de la sortie de Nevermind de Nirvana en 1991, mes amis et moi-même étions trop jeunes pour profiter pleinement de cette fantastique vague de groupes comme les Strokes, les Libertines donc, les White Stripes ou Franz Ferdinand. Avec la naissance et le succès des Arctic Monkeys, une chance nous était donnée de prendre un nouveau wagon : nous ne le laisserions pas passer. L’année 2006 fut pour beaucoup d’entre nous une aube explosive, une prodigieuse renaissance.

Sans jamais se prendre les pieds dans le tapis (ni rater une marche), la bande d’Alex Turner a su, grâce à un sens du travail bien fait, un bon goût indiscutable et un indéniable talent, se renouveler sans cesse album après album. De Favorite Worst Nightmare et ses riffs à tremolos horrifiques associés à des mélodies diablement efficaces, jusqu’au merveilleux Suck It And See, composé avec une divine simplicité et produit par Josh Homme des Queens Of The Stone Age, les Arctic Monkeys sont devenus des maîtres incontournables. En 2013, avec la sortie d’AM, ils vont encore plus loin et obtiennent un succès foudroyant qui leur permet de toucher un nouveau public. Avec des singles comme « I Wanna Be Yours » ou « Do I Wanna Know » qui dépassent le milliard d’écoutes, les Arctic Monkeys sont désormais les rois du rock’n’roll des années 2010. La génération qui avait raté le train de 2006 découvre l’existence de ces garnements de Sheffield qui sont depuis devenus des stars internationales au même titre que Rihanna aujourd’hui et Bowie hier.

Si l’on sait qu’il est important d’être constant (Seigneur, donnez-moi la force de l’être !), alors il est important de dire qu’Alex Turner n’a jamais été un artiste inconséquent. Mieux que ça : il ne s’est jamais satisfait de ses glorieux lauriers et a passé son temps à métamorphoser sa grâce musicale en des formes sans cesse nouvelles. Depuis Tranquility Base Hotel & Casino en 2018, les Arctic Monkeys ont même pris un tournant qui a décontenancé nombre de leurs admirateurs. Ils n’en firent rien et prolongèrent ce qui leur semblait être la bonne route. De mon côté, ce virage pimenta ma passion pour eux. Patchworks parfaits de références et d’influences diverses rendues homogènes par la patte singulière d’Alex Turner, ces deux derniers albums cherchent moins à enchaîner les tubes qu’à rendre palpable une atmosphère. A la manière d’un film, encore une fois. On sait que le leader des Arctic Monkeys s’exprime de plus en plus souvent à propos de sa passion pour le cinéma. Matt Helders, son meilleur ami et batteur, lui, s’est passionné pour la photographie (nous lui devons la pochette de l’album The Car). Le groupe est donc soucieux d’esthétique. Depuis 2018, les disques des Arctic Monkeys sont des lieux, des odeurs, des couleurs plus qu’une succession de chansons. On regarde moins Apocalypse Now ou Orange Mécanique pour connaître le dénouement que pour être plongé dans un monde et une vision. Je crois qu’il en est de même pour l’album The Car.

Cet album, comme je le disais, divisera encore un peu plus, éloignera ceux qui veulent jouir instantanément d’un panier de mélodies efficaces plus que d’une ambiance dans laquelle se plonger. En ce sens, ce disque est plus proche de Melody Nelson ou de Diamond Dogs que de Revolver ou Definitely Maybe. Je le disais à un ami, une fois le vinyle de The Car posé sur la platine, j’ai envie d’enfiler un costume trois-pièces, de cirer mes chaussures et de partir armé de lunettes de soleil vers un bar enfumé pour y boire un rhum raffiné. Lorsque j’écoutais Melody Nelson à quatorze ans, je me plaçais devant un miroir, un coton-tige dans la bouche, mimant Gainsbourg et sa cigarette (les adolescents sont comiques malgré eux). Quelques mois plus tard, je devins fumeur. The Car est de cette race d’albums qui diffusent une influence comme le parfum voluptueux d’une femme le fait. En sa présence, tout change. Comme lorsque je mettais de la musique dans mes oreilles en marchant dans la rue et que ma démarche en était modifiée. Ainsi, The Car impose une attitude et c’est en cela que c’est un disque d’élite, un disque rare, un disque aristocratique, un classique instantané, comme le sont les grands films.

The Car

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Le « Petit manuel de postmodernisme illustré » par Shmuel Trigano : aux sources de la post-humanité contemporaine

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Shmuel Trigano / Capture d'écran d'une vidéo du 16 juin 2017 de la chaine Fréquence Tel-Aviv

Une nouvelle collection d‘opuscules publiés par les Editions Intervalles a pour ambition de nous aider à mieux comprendre les enjeux des guerres culturelles de notre époque. Le volume du professeur émérite de sociologie à l’Université Paris X – Nanterre met à nu les soubassements intellectuels de concepts aussi divers que pernicieux comme le décolonialisme, le genrisme ou l’antispécisme.


Autant de doctrines fomentées par un nouvel obscurantisme que les Lumières s’étaient pourtant jurées d’abattre. Ici comme ailleurs, la Révolution dévore ses propres enfants, et les lobotomisés des réseaux sociaux répandent leurs primitives vulgates au grand secours des Universités qui consacrent ces idéologies partisanes par une coupable onction scientifique. Comment l’esprit des Lumières a pu à ce point nous éblouir, nous autres post-modernes, dans la mesure où son éclat portait les promesses d’un homme amélioré par la Science, élevé par la Raison, et dressé par la bonne Éducation. Pourquoi Diderot, Rousseau et Voltaire ont-ils enfanté malgré eux des antimodernes intelligents et cultivés parce qu’ils étaient contre eux, et deux siècles plus tard des auteurs intellectuellement contraints par l’indigence poétique d’un XXe siècle étouffant ? C’est ce à quoi tente de répondre l’auteur.

Les canons de la déconstruction

Le professeur prend soin de commencer son analyse par le décorticage de la méthodologie suivie par ces courants sociologisants, avant de plonger son regard dans le contenu de ces idées prétendument nouvelles. « La réalité est ainsi devenue, pour la déconstruction, une fabrication littéraire », écrit-il, résumant ainsi la première partie de sa plaquette.

Il nous explique que les idées et les matrices qui organisent nos sociétés sont perçues comme des briques artificielles fondant l’édifice social. Selon les bons récitateurs de Bourdieu, tout étant social et donc politique, tout est une construction sociale, et tout peut se combattre par la politique. La différence notable avec leurs prédécesseurs marxistes réside dans le fait que ces théories dites « constructives » – attention à ce terme en trompe-l’œil, le constructivisme est précisément le courant qui vise à déconstruire ces objets d’études – n’admettent pas leur caractère politique. Nichée derrière la forteresse inexpugnable que constitue une chaire universitaire, ces fébriles apparences de scientificité les soustraient à l’arène politique. Rien n’est plus faux, et Monsieur Trigano a le mérite de le souligner.

Puisque tout n’est que fabrication littéraire, à ces analystes désenchantés, toute page insatisfaisante peut être déchirée puis autrement réécrite. L’histoire et le présent ne deviennent qu’un palimpseste sans signification propre. Ainsi le genrisme qui sévit actuellement s’explique par le fait que le genre est un construit social – ce que, au fond, l’on peut admettre. Il ne manque plus qu’une étape pour nier les données que fournit que la nature, comme l’appartenance sexuelle ou ethnique. C’est ainsi qu’après avoir contesté l’existence des genres, les théories qui s’en sont fait un domaine d’études propres ont pu conclure que le sexe non plus n’existe pas, et qu’un homme peut menstruer, qu’un Anglais peut devenir coréen par la chirurgie esthétique, ou encore qu’un humain peut se considérer comme un cerf ou un lézard.

Un univers idéologique bouleversé par une représentation intersectionnelle de la réalité

Puisque tout est déconstructible, alors les statues sont déboulonnables, les faits historiques remaniables, et les identités malléables. Ce n’est plus « l’homme est la mesure de toute chose » de Protagoras, c’est le « Je suis la mesure de toute chose » de l’homo consumericus au cerveau déconstruit. Selon l’auteur, la complémentarité entre les écoles néo-marxistes ou postmodernistes et la mondialisation aurait affaibli le principe même des frontières, cercle au sein duquel les cultures pouvaient éclore, pour se substituer à un grand communautarisme global où les minorités légitimes s’allient par-delà les Nations.

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Allant plus loin, Monsieur Trigano évoque une « extinction de l’espace et du temps », nous plongeant ainsi dans un monde atopique et achronique, où tout se créé, se perd et se transforme. C’est ici l’une des conséquences du désenchantement du monde dont parlait Weber, et de l’ère du vide que déplorait Lipovestsky. Mais rappelons, en invoquant l’histoire des idées, que Tocqueville avait déjà prédit cela en 1835 dans la conclusion de la Démocratie en Amérique : « La variété disparaît du sein de l’espèce humaine, les mêmes manières d’agir, de penser et de sentir se retrouvent dans tous les coins du monde ». Une magistrale prophétie que confirme le spectacle de ces petits contestataires wokiens qui croient s’agrandir par leur singularité, alors qu’ils se ressemblent tous. Ce qu’il faut également souligner, c’est que rien ne semble avoir changé depuis la Guerre Froide, en ce que les Etats-Unis nous exportent encore, par le truchement des luttes minoritaires, leur soft power sous-culturel.

Au final, la guerre contre le monde occidental

L’universitaire souligne cependant que, parallèlement à ce mouvement d’affirmation des ipséités identitaires propres à chaque minorité, s’esquisse en toute impunité un vaste élan d’essentialisation de l’homme blanc. Tandis que chacun revendique les meurtrissures que lui a laissées la cruauté de l’histoire, l’homme blanc n’est qu’un descendant d’esclavagistes. L’homme blanc serait ontologiquement oppressif : pour les femmes, pour les LGBTQI2SAA, pour les « racisés », et autres figures désormais érigées en Martyres et en Saints.

Le wokisme invente sa nouvelle religion, fondée sur trois volets selon l’auteur. Cette religion professe premièrement la post-humanité, en portant les couleurs du transhumanisme, de l’antispécisme et du genrisme. Il s’agit ici d’attaquer la racine de ce qui fonde l’identité humaine, à savoir son caractère naturel, sa place dans la chaîne alimentaire et le règne animal, et la dualité des sexes. Deuxièmement, indique l’auteur, ses apôtres défendent la post-nationalité, avec le décolonialisme, et le devoir de repentance infligé aux Blancs. Troisièmement, ils prêchent pour la post-démocratie, en soutenant le multiculturalisme et la juridicisation du politique – nous aurions plutôt tendance à dire la politisation du juridique, mais c’est un autre débat.

C’est ainsi que l’État de droit doit être ringardisé et la Justice court-circuitée, au profit d’un nouvel ordre moral plus conforme aux exigences de cette nouvelle tyrannie qu’un Nietzsche craignait déjà brillamment. L’Occident est manifestement la cible première, c’est lui qui doit consentir aux plus absurdes génuflexions face à des minorités qu’il a flétries jadis, et lui qui doit reconnaître qu’il jouit de privilèges fondés sur la race et la culture. Qui, un beau jour, aura la voix qui porte assez pour clamer qu’une des rares civilisations à avoir complètement aboli l’esclavage, c’est l’Occident ? Quand donc, au sein des rangs hurleurs de ces guévaristes fluorescents, leur rappellera que l’Arabie Saoudite n’a aboli l’esclavage qu’en 1962, Oman en 1970, et la Mauritanie en 1980, et plus généralement l’immensité de l’esclavage pratiqué dans le monde musulman bien avant les Européens, depuis le VIIe siècle ?

En somme, si l’auteur parvient à retracer la chaîne de causalité entre les utopies apparues au XVIe siècle, les totalitarismes de la première moitié du XXe siècle, les théoriciens déconstructeurs de sa seconde moitié (Foucault, Derrida, Deleuze et tout ce courant malheureux qualifié de French theory) et le wokisme intersectionnel d’aujourd’hui, l’on peut demeurer étonné que l’auteur s’étonne. Il y a dans cet ouvrage un soupçon d’universalisme déçu. Comme un républicain attristé de voir que les Droits de l’Homme sont à l’origine de la décadence du droit et de la fin de l’Homme. C’était pourtant inévitable, et, à remonter plus loin, l’on s’aperçoit que la philosophie nominaliste d’un Guillaume d’Occam énonçait déjà au XIVe siècle qu’il n’y a de réel que d’individuel, ce qui est aux fondements de la modernité philosophique, et qui préfigure l’individualisme.

Les Lumières et la Révolution, malgré leur apparence de rupture, ne sont que l’individualisme moderne niché derrière la boursouflure d’idées généreuses que l’on a cru bon d’inscrire dans le droit. Aussi, que l’utopisme a précédé l’obsession de l’Homme Nouveau des totalitarismes, c’est également une évidence, et il n’y a qu’un pas entre l’imagination littéraire d’un homme libre et bon, et le désir politique de le faire émerger. Aujourd’hui c’est le wokisme qui veut régénérer l’humanité; il y a cent ans, c’était le fascisme.

Shmuel Trigano, Petit manuel de postmodernisme illustré. Préface de Jean Szlamowicz (Intervalles, 2022).

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