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Maroc contre Europe: la Coupe du Monde du Choc des civilisations?

Selon George Orwell, le sport « c’est la guerre, les fusils en moins ». Beaucoup des attitudes et émotions provoquées par les victoires éclatantes de l’équipe marocaine au Qatar impliquent un désir de revanche du monde arabo-musulman sur les pays de l’Europe occidentale qui dépasse le domaine sportif. Tribune libre de Damien Rieu.


La Coupe du monde est-elle l’occasion pour une certaine rivalité amicale entre les nations ou pour l’expression d’attitudes revanchardes voire vengeresses contre l’Occident ? Le président de la FIFA, Gianni Infantino, semble y voir surtout une opportunité pour une grande auto-culpabilisation historique, lui qui a fait la déclaration suivante : « Pour ce que nous, les Européens, avons fait au cours des 3000 dernières années, nous devrions nous excuser pendant les 3000 prochaines années avant de donner des leçons au Qatar ». L’attitude de supporteurs et de joueurs de pays maghrébins, notamment du Maroc, suggère, de différentes manières, qu’à leurs yeux il y a bien une revanche à prendre sur les anciennes nations colonisatrices, comme si eux croyaient moins au « vivre ensemble » prêché par les idéologues immigrationnistes qu’à un véritable choc des civilisations.

Quand la fête se transforme en émeute

Les victoires des « Lions de l’Atlas » face à la Belgique (27 novembre), à l’Espagne (6 décembre) et au Portugal (10 décembre) ont donné lieu à des scènes d’affrontements avec les policiers : aux Pays-Bas, en France et en Belgique, surtout dans l’enclave marocaine de Molenbeek, en banlieue de Bruxelles.

Preuve de l’importance des enjeux géopolitiques, les joueurs et supporters marocains ont fêté leurs victoires en brandissant le drapeau palestinien. Le 6 décembre, aux Champs-Elysées, les supporteurs du Maroc ont fêté leur triomphe aux cris de « Free Palestine ! », et des images ont montré des supporteurs mettant le feu à un drapeau d’Israël. Le même soir, d’autres supporteurs ont installé leur drapeau sur la façade de la Mairie d’Amiens Nord.  En plus de ces épisodes d’importance symbolique, de nombreux autres incidents violents ailleurs en France, comme le pillage de commerces et d’un camion à Avignon, contrastent avec les célébrations sans incident de la communauté portugaise de France, pourtant beaucoup plus nombreuse que la marocaine.

Revanche sur la Reconquista et références islamiques

Sur les réseaux sociaux les supporters du Maroc ont publié de nombreux visuels s’inscrivant dans une perspective historique de revanche notamment contre l’Espagne, considérée coupable d’avoir osé se libérer de sept siècles d’occupation arabe en menant sa Reconquista. Sur internet, tel montage revisite la composition de l’équipe avec les conquérants arabes de l’Espagne, tel autre diffuse une carte d’Al Andalus avec le commentaire, « It’s back ».

« Cette victoire appartient à tout le peuple marocain, tous les peuples arabes, et tous les peuples musulmans du monde », a commenté de son côté le joueur Sofiane Boufal. Difficile d’imaginer l’ampleur du scandale si un joueur de l’équipe nationale d’Italie, de France ou d’Espagne avait revendiqué son succès au nom « de tous les peuples européens, de tous les peuples chrétiens ».

La dimension islamique de l’enjeu s’exprime d’ailleurs sous de multiples aspects. Par exemple, les joueurs marocains pratiquent la prière islamique pour célébrer leur victoire ou avant une séance de tir au but et n’hésitent pas à appeler directement à rejoindre l’islam au cri « d’Allah akbar ». Le Hamas a félicité l’équipe marocaine pour sa victoire sur le Portugal.[1]

Sur le site du mensuel marocain francophone Le Courrier de l’Atlas, le journaliste Abdellatif El Azizi analyse la victoire du Maroc dans un article intitulé de manière significative, « Football. La reconquête » : « Bien sûr, nous n’avons pas libéré la Palestine, nous n’avons pas repris nos territoires occupés de Sebta et Mellilia, c’est certain que l’Occident continue de piller nos richesses, mais il y avait du bonheur à regarder ces jeunes joueurs redonner de la joie à des populations dépitées par l’hégémonie sportive des anciens colons ». Il poursuit : « Chez nos ennemis d’hier, ce n’était pas encore la panique mais il semble que déjà̀ une peur sourde gagne le monde occidental. Alors, si le foot est devenu la continuation de la guerre par d’autres moyens, tant mieux […] ». Il conclut : « La blessure de l’Andalousie […] n’a jamais été totalement pansée entre ces deux pays qui se regardent en chiens de faïence malgré cette réconciliation de façade. Il n’y a qu’à observer la profusion de vidéos évoquant l’Andalousie ou le chef de guerre Tarek Ibn Ziyad pour s’en convaincre ». Ce dernier étant un des conquérants arabes historiques de la péninsule ibérique, on ne peut pas être plus clair : derrière ce match entre l’Espagne et le Maroc se cachaient ses rancœurs historiques multiséculaires contre l’Occident. Car le monde arabo-islamique ne s’est toujours pas remis de ce qu’il considère comme une humiliation et il entend bien laver l’affront chaque fois qu’il en aura l’opportunité. Une vision que confirme à So Foot l’écrivain marocain Abdellah Taïa : « il se joue dans le parcours des Lions quelque chose de l’ordre du post-colonial. Je suis à El Jadida, une ville fondée par les Portugais. Dans la rue, dans les conversations, j’entendais : « On s’est débarrassés des Portugais, des Espagnols et bientôt des Français ». Le parallèle historique est évident. C’est encore plus fort dans le cas de la France qui conserve une grande influence au Maroc. Il existe donc un sentiment de revanche »

Les risques de limmigration

Dès lors, se pose la question : ne manquerait-t-on pas au principe de précaution en continuant de laisser venir s’installer chez nous par millions des personnes dont au moins un certain nombre pensent qu’ils ont une revanche à prendre sur l’Occident? Faisons le bilan de l’immigration marocaine. En France, la communauté marocaine représentait 1,5 millions en 2015, mais aujourd’hui elle représente probablement 2 millions d’individus sur 3 générations (selon l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, article à paraître dans Causeur). Le Maroc est la première terre d’origine des mineurs non-accompagnés (MNA) dont la généreuse contribution statistique à la délinquance des grandes villes est reconnue. Dans les prisons, les Marocains sont aussi la deuxième nationalité la plus représentée derrière les Algériens et même la première au niveau européen avec près de 12.000 détenus. Avec un taux de fécondité des immigrées marocaines largement supérieur à celui des Françaises natives (3,4 enfants par femme contre 1,9 enfants par femme française native) et 34% des Marocains qui souhaitent émigrer, la pression démographique marocaine est intense. D’autant que chaque année, environ 30 000 primo-visas sont offerts au Maroc, avec un record de 35192 en 2021, et 19% des naturalisations françaises sont accordées à des Marocains. Pourtant, 42,7% des Marocains de plus de 15 ans qui vivent en France étaient chômeurs ou inactifs en 2017.

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Au Pays-Bas, la « Mocro Mafia » marocaine qui gère le trafic de drogue fait régner la terreur dans le pays. Une centaine de morts dans des règlements de compte, des attaques au lance-roquette et à la voiture-bélier contre des médias trop curieux (Panorama et De Telegraaf), l’assassinat d’un journaliste et la mise sous protection rapprochée de la princesse et du Premier ministre suite à des tentatives d’enlèvement ont bouleversé la tranquillité du pays des tulipes.

Enfin, en Belgique, le pays est au seuil du basculement démographique : 20% de la population est d’origine étrangère, principalement marocaine.  A Molenbeek-Saint-Jean, l’épicentre des célébrations des victoires du Maroc dans le pays, une scène a d’ailleurs provoqué le malaise sur les réseaux sociaux : le procureur du Roi des Belges Yassine Sellika, a été surpris apparemment en train de célébrer la victoire du Maroc face à la Belgique. Cette ville de 80.000 habitants est devenue la base arrière du djihadisme en Europe. C’est là qu’avait trouvé refuge Salah Abdeslam. La contribution de l’immigration marocaine au terrorisme islamique fait d’ailleurs frémir. Le meurtrier de Thomas Monjoie, policier belge égorgé il y a 15 jours à Schaerbeek dans la banlieue de Bruxelles ? Yassine Mahi : belgo-marocain. Le terroriste du Thalys, condamné cette semaine à la perpétuité ? Ayoub El Khazzani : français d’origine marocaine. Les terroristes du 13 novembre 2015 ? Les frères Abdeslam et Bilal Hadfi : français d’origine marocaine, et Abdelhamid Abbaoud : belgo-marocain. Et ceux des attentats de Bruxelles et Zaventeen de mars 2016 qui sont jugés ce mois-ci ? Mohammed Abrinni, Khalid et Ibrahim El Bakraoui : belges d’origine marocaine, et Najim Laachraoui : belgo-marocain. L’assassin des policiers égorgés à Magnanville ? Larossi Abbala : français d’origine marocaine. Et le terroriste qui a tué le gendarme Arnaud Beltrame à Trèbes ? Radouane Lakdim : Français d’origine marocaine.

Le match de ce mercredi sera-t-il donc un épisode du choc sportif des civilisations, celui d’une revanche historique contre l’ancien colonisateur teintée de prosélytisme islamique ? Pour cette mission, les joueurs du Maroc peuvent compter sur le soutien de tous les pays arabo-musulmans qui rêvent autant de voir l’un des leurs en finale du Coupe du Monde que d’humilier les Français. Victoire ou défaite, faut-il craindre le pire pour cette soirée ?

[1] Les victoires du Maroc seraient même fêtées par les brigades armées du Hamas.

Antoine Lilti au Collège de France : le strabisme intellectuel

Ce jeudi 8 décembre, sur France Inter, Léa Salamé et Nicolas Demorand recevaient l’historien Antoine Lilti qui vient d’être nommé professeur au Collège de France. Les auditeurs ont été surpris d’apprendre que ce spécialiste des Lumières n’est pas entièrement acquis à l’idée de liberté d’expression.


Antoine Lilti est reconnu pour être une pointure dans son domaine ; il ne me viendrait pas à l’idée d’aller le titiller sur ses connaissances historiques qui sont largement supérieures aux miennes. Toutefois, à l’écoute de cet entretien, plusieurs choses intriguent l’historien amateur comme le citoyen lambda.

En premier lieu, le résumé que Léa Salamé fait du travail d’Antoine Lilti et que ce dernier confirme : « Les Lumières ne se réduisent pas à un héritage européen, faut pas croire que c’est juste l’Europe, les Lumières. Vous dites qu’il a existé des Lumières multiples, japonaises, chinoises, latino-américaines, égyptiennes, perses, constituées de courants hybrides qui ont eu leurs spécificités. Ce serait caricatural de réduire les Lumières aux philosophes blancs (sic) du XVIIIe siècle français ». La « blanchité » étonnamment évoquée ici permet à Dame Salamé de confirmer son assentiment à l’idéologie wokiste ; il est dommage que le professeur au Collège de France n’ait pas relevé l’absurdité de cette allusion à la couleur de peau des philosophes (pas seulement français d’ailleurs, mais aussi anglais, écossais et allemands) qui furent les principaux initiateurs des mouvements politiques et philosophiques issus des Lumières. De même, mettre sur le même plan les Lumières européennes et les « Lumières » chinoises, égyptiennes ou perses, laisse perplexe. Il a été beaucoup question, au cours de cette matinale, d’une « hybridation » des idées issues des Lumières européennes avec celles de « différentes cultures », du charlatanisme et du complotisme. Finalement, j’avoue ne pas avoir saisi la substantifique moelle du projet historiographique d’Antoine Lilti. Mais je ne demande qu’à apprendre et, par conséquent, suivrai de près les prochains travaux de l’historien.

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Jusqu’ici nous baignions abstraitement dans les arabesques réflexives et les subtilités spéculatives d’une nouvelle approche historiographique des Lumières. C’était un début, l’historien se faisait la voix. Nous allions soudainement taper dans le dur de l’actualité, si vous me permettez l’expression, et atteindre en même temps au sublime de la réflexion oblique. Nicolas Demorand lit la question d’une auditrice : « Les Lumières aujourd’hui seraient-elles woke ou dénonceraient-elles la culture wokiste ? » Léa Salamé en profite pour rappeler les différentes censures qui ont frappé des personnalités comme Sylviane Agacinski ou Caroline Eliacheff. Après avoir jésuitement godillé entre le bon et le mauvais wokisme (mais on sent quand même que la balance penche en faveur des « éveillés » et des « minorités » qui seraient des « héritiers des Lumières »), Antoine Lilti répond en substance que, pour les Lumières, le principe c’est le débat, l’échange d’arguments, mais que quand il y a « des discours de haine, des provocations, qui attisent trop les passions, qui sortent du cadre de la raison, ils peuvent et doivent être interdits ». Comme nous, Léa Salamé n’est pas certaine d’avoir compris et revient à la charge : que dire précisément à propos de ce colloque d’une pédopsychiatre annulé par la mairie de Paris. « On est du côté des excès de certains activistes et bien sûr je le condamne, répond d’abord l’historien. Mais, ajoute-il dans la foulée, on a trop tendance à se focaliser sur ces formes-là de censure, faut pas oublier qu’aujourd’hui les menaces les plus graves qui pèsent sur la liberté d’expression viennent plutôt de la droite radicale ». Plouf ! Stupéfié par la hardiesse de cette affirmation, je laisse tomber ma tartine dans mon café. « Par exemple, continue Antoine Lilti, aux États-Unis, qui nous a envoyé cette notion de « cancel culture », les menaces les plus graves viennent de la droite américaine ». Replouf ! Quel est le rapport entre les censures opérées dans les universités par l’extrême gauche française et la droite américaine ? Il n’y en a pas, bien sûr – le syntagme « droite radicale » (américaine, suédoise ou martienne, peu importe) ne sert ici qu’à escamoter le débat sur les exactions des gauchistes français. Lilti ne se contente pas de noyer le poisson, il strangule la baleine : « Il ne faut pas mettre sur le même plan des excès de groupes militants qui empêchent une conférence de se tenir et le fait qu’un peu partout dans le monde des minorités LGBT sont persécutées et censurées ». Plus c’est gros, plus ça passe. Les journalistes gobent la grossière démonstration et passent au sujet suivant, à savoir l’histoire de cette enseignante de Valenciennes qui voulait emmener ses étudiants visiter un camp de migrants, l’annulation de cette sortie scolaire par le rectorat, et les menaces de militants d’extrême droite qu’aurait reçues ce professeur. L’historien s’enflamme : « Ça, c’est absolument terrible, car s’il y a vraiment une chose qu’on peut dire, qui est un héritage des Lumières, c’est qu’il faut défendre et protéger les enseignants. […] On a quand même eu le cas de Samuel Paty, on sait ce que c’est qu’un enseignant qui est menacé par des groupes extérieurs, alors une fois c’est les islamistes, une fois c’est l’extrême droite, une autre fois ce sera un autre groupe ». Démonstration surréaliste qui nous informe que le djihadiste tchétchène qui a décapité Samuel Paty était un « groupe extérieur »; que l’extrême droite a menacé d’assassiner un professeur ; qu’un « autre groupe » (les Bouddhistes? Les Chauves? Les Basques? Les Roux?) s’apprêterait à faire de même. Antoine Lilti souffre de ce que les spécialistes appellent un strabisme intellectuel : il ne dit pas ce qu’il voit parce qu’il ne voit pas ce qu’il voit ; en d’autres termes, ses démonstrations amphigouriques et équivoques résultent d’une vision de la réalité déformée par l’idéologie gauchisante et wokiste qui gangrène actuellement les plus hauts lieux du savoir, de Sciences Po au Collège de France.

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À la fin de cet ébouriffant entretien, alors que Léa Salamé évoque Elon Musk, Antoine Lilti alerte sur le nouveau propriétaire de Twitter qui dit être un « défenseur absolutiste de la liberté d’expression ». En effet, argumente l’historien, rappelant au passage qu’il est un spécialiste du XVIIIe siècle, « le fait de mettre la liberté d’expression et l’absolutisme dans la même phrase, ça dit bien qu’on a un problème ». Antoine Lilti ne peut pas ignorer qu’Elon Musk n’a pas utilisé le mot « absolutiste » dans le sens péjoratif qu’il lui prête en faisant référence au pouvoir monarchique, mais, en bon américain libertarien qu’il est, dans le sens ironique et hyperbolique d’une possibilité offerte à tous les individus de pouvoir s’exprimer totalement et librement sur un réseau social dont on sait par ailleurs que les anciens administrateurs ne rechignaient pas à fermer les comptes de ceux qui ne pensent pas comme eux. Oui, mais voilà, si Antoine Lilti est pour la liberté d’expression, il est pour une liberté d’expression « régulée » et regrette que cette liberté d’expression à la Elon Musk permette « de faire un cadeau extraordinaire à ceux qui crient les plus forts, par exemple à Donald Trump ». Léa Salamé acquiesce avec énergie. Nous en sommes donc là : de bons esprits universitaires et médiatiques se font les apôtres d’une liberté d’expression étriquée et de plus en plus contrainte. Ils veulent des lois, plus de lois. Comme si nous en manquions. L’arsenal juridique français est une arme de destruction massive de la liberté d’expression. Comparé à l’immuable premier amendement de la Constitution américaine interdisant au Congrès d’adopter des lois limitant la liberté d’expression, notre article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen[1] paraît au contraire avoir préparé le lit dans lequel les censeurs médiatiques et les mauvais coucheurs législatifs occupent toute la place. Ce n’était sans doute pas le but recherché mais l’histoire est taquine et l’enfer pavé de bonnes intentions. Antoine Lilti le sait mieux que quiconque.

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Mais Antoine Lilti a été coopté par ses pairs pour devenir professeur au Collège de France et le Collège de France est devenu un Club, le haut-lieu de la gauche universitaire, progressiste, arrogante et supportant mal la contradiction. Sur France Inter, Patrick Boucheron, qui dirigea une Histoire mondiale de la France censée « neutraliser la question des origines » d’une France d’avant la France se dissolvant « dans les prémices d’une humanité métisse et migrante », regrettait, avec une moue méprisante, la « surexposition permanente de cette pensée », en l’occurence celle, « mélancolique », d’Alain Finkielkraut. L’historien Alain de Libera fut parmi les premiers et les plus virulents détracteurs de Sylvain Gougenheim [2] qui avait eu l’audace de relativiser l’apport d’un hypothétique « Islam des Lumières » supposé avoir transmis à l’Europe l’essentiel du savoir grec. Au micro de Guillaume Erner, Pierre Rosanvallon dit, et avec quelle morgue, pour quelle raison il ne débattrait jamais avec Alain Finkielkraut : « C’est un essayiste, mais pas vraiment un intellectuel ». Après l’assassinat de Samuel Paty, le démographe François Héran dénonça, dans une condescendante Lettre aux professeurs sur la liberté d’expression, « l’islamophobie », le « racisme structurel » et les « discriminations systémiques » en France, puis demanda aux professeurs, aux caricaturistes et aux Français en général d’en rabattre un peu avec cette fichue liberté d’expression et d’éviter d’être « offensants » envers l’islam et les musulmans. Résultat : de plus en plus de professeurs s’autocensurent, caricaturer Mahomet relève du suicide et les journalistes pèsent chacun de leurs mots quand il s’agit d’écrire un article sur des événements touchant de près ou de loin à l’islam. Les susnommés furent ou sont professeurs au Collège de France, tous adorateurs de la liberté d’expression, tous ardents défenseurs du combat d’idées, du débat public, du duel intellectuel – mais sous certaines conditions. Bienvenue au Club, Monsieur Lilti.


[1] « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

[2] Aristote au Mont Saint-Michel, Seuil, 2008.

La cause des hommes : quelle cause ?

Que deviennent les hommes à l’heure où la révolution des moeurs – la révolution morale – souffle en tempête sur l’Occident ?


Le discrédit dont pâtissent les hommes sous les coups de boutoir de la révolution morale poursuit son inexorable chemin. Où cela conduit, personne ne le sait. Mais la violence gagne partout du terrain. Il y a urgence à réagir. Pas pour défendre la cause des hommes au sens d’un idéal à promouvoir, mais pour éclairer la situation furieusement dégradée qu’ils subissent en Occident. Car quel idéal masculin à défendre ? Si les femmes, contrairement à l’implicite postulat de MeToo, ne sont pas des anges, les hommes ne sont vraiment pas des petits saints. À eux la majorité des violences, justement, et en progression constante. Sans nous attarder sur le cas du malheureux Adrien Quatennens, écrasé sous le poids de la « vérité » assénée par son épouse en instance de divorce (elle le dit violent, donc, pour les louves de sa propre meute, il l’est sans l’ombre d’un doute, accusation fondée ou pas nous n’en savons rien), considérons par exemple les liens établis entre immigration et délinquance. Sauf pour les commentateurs affligés d’une cécité incurable, ces liens ne souffrent aucune contestation. Darmanin, spécialiste des constats prudents, l’a reconnu lui-même devant l’Assemblée nationale, le 2 novembre : « Une partie des étrangers dans les grandes métropoles commettent l’essentiel des actes de délinquance ». Cette réalité occulte cette autre réalité, tout aussi évidente, que la délinquance d’origine immigrée est, pour l’essentiel, le fait non des femmes, mais des hommes. Et secondairement non des hommes, mais des jeunes hommes, des « jeunes », ceux des quartiers « sensibles », c’est-à-dire explosifs, sans doute par opposition aux quartiers insensibles, c’est-à-dire calmes et pacifiques. Les euphémismes ont souvent le paradoxe risible. À ces jeunes hommes farouches s’ajoutent, nul ne l’ignore, les coups de folie des migrants illégaux et le vagabondage des mineurs isolés, cette bombe à retardement dont, en France, l’affaire de l’Ocean Viking a raccourci la mèche.

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Partons de là : les trublions des cités ont des circonstances atténuantes. Preuve en est non pas la mansuétude de la justice à leur égard, si fréquente soit-elle, mais le fait qu’il ne s’agit jamais de jeunes issus de la communauté asiatique, certes beaucoup moins nombreuse et nettement moins regroupée en territoires perdus. Il n’est pas absurde de penser que ces derniers sont mieux intégrés à la société française. Défendre la cause des hommes signifie, en ce cas, se pencher sur les raisons qui expliquent pourquoi les uns sèment à tout bout de champ le bruit et la fureur, et pourquoi pas les autres. On pourra alléguer mille raisons, l’éclatement des familles, l’effacement des pères, les carences de l’éducation, la valorisation traditionnelle des garçons, une moindre appétence aux études que les filles, l’amertume née du colonialisme, l’influence des prédicateurs islamistes, les facilités offertes par le trafic de drogue. Il y a pléthore de raisons, dont l’ensemble se traduit par une inadaptation massive aux compétences nécessaires au fonctionnement huilé de l’économie libérale, d’où les emplois bas de gamme réservés à ceux qui veulent s’en sortir. Étant admis, naturellement, que certains s’en sortent par le haut, rendant utile de connaître les ressorts de ce quasi-miracle, et d’autre part que les carrières flamboyantes ouvertes aux sportifs d’élite ne concernent par définition qu’une poignée des jeunes mâles désœuvrés.

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Aucune politique de la ville ne parvient à réduire cette tumeur devant laquelle l’État, colosse adipeux et en même temps anémié, cherche des remèdes toujours plus coûteux et toujours plus stériles. Le discours de répression en vigueur n’obtient que la morne répétition des impasses. Comment traiter la sauvagerie quand on procède à coups de menton et de discours lénifiants où le vivre-ensemble sert de totem dérisoire, tandis que les élus des municipalités soumises achètent l’électorat qui leur sert de marchepied ? Réponse : certainement pas en minant systématiquement la fierté que les jeunes mâles issus de l’immigration conservent de la prééminence légitimement attachée, selon eux, à leur virilité. Cette fierté, ils la conservent, mais sous la pire des formes, celle des violences qu’ils répandent et du pouvoir archaïque qu’ils imposent aux filles. Leur arrogance signe leur errance. Après les tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher en janvier 2015, Virginie Despentes, on s’en souvient, a loué l’héroïsme des tueurs, la fierté de « ceux qui venaient de s’acheter une kalachnikov au marché noir et avaient décidé, à leur façon, la seule qui leur soit accessible, de mourir debout plutôt que vivre à genoux. J’ai aimé aussi ceux-là qui ont fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur identité avant de viser au visage. J’ai aimé aussi leur désespoir ». Cet éloge abject, qui aurait dû conduire la pseudo-rebelle à observer un silence définitif et ses thuriféraires à se détourner d’elle à jamais, renfermait malgré tout une vérité sans laquelle aucun remède efficace ne sera apporté au marasme des cités. Question : la seule façon qui leur soit accessible, vraiment ? Mais si tel est le cas, le destin de ces jeunes hommes justifie leur désespoir. Sauf que ce n’est pas le cas, à moins que Despentes ne les juge trop dépourvus d’avenir et de cervelle pour être autre chose que des tueurs. Et donc, si ce n’est effectivement pas le cas, en quoi la France échoue-t-elle à éliminer la barbarie de ces meurtriers sans âme ni conscience, caricature sanglante de la violence des « quartiers » ? La cause des hommes, en la circonstance, consiste en l’indispensable examen d’une faille mortelle pour la République et en la recherche de solutions qui se gardent de les réduire à la part maudite de l’humanité.

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Le Proc aux Vraies Voix de Sud Radio

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Chroniqueur de la rubrique « Le Réquisitoire du procureur » sur Sud Radio, Philippe Bilger, ancien magistrat, est tenu de porter un jugement sur une affaire d’actualité. Mais les autres chroniqueurs sont là pour lui apporter la contradiction et tant mieux! Car ce qui caractérise Sud Radio – comme d’ailleurs CNews – c’est justement cet esprit de contradiction.


Créée à l’initiative de Cécile de Ménibus et de Philippe David, animateurs des Vraies Voix (Sud Radio, de 17 h à 19 h tous les jours de la semaine), je tiens depuis la mi-septembre la rubrique « Le réquisitoire du procureur ». Je l’apprécie tout particulièrement parce qu’elle me permet, en totale liberté, de choisir une multitude de sujets, qu’ils soient personnels, judiciaires, politiques ou culturels, et de développer en très peu de temps un point de vue doucement ou intensément à charge.

Ce droit à la diversité m’offre notamment l’opportunité de donner une place considérable à ma subjectivité, à ses humeurs, ses hostilités ou ses répugnances et de quitter le champ habituel des thèmes médiatiques pour, parfois, aborder la richesse de l’intime.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’est pas si simple de choisir chaque jour un fait, une idée, un propos, une réaction, un déplaisir susceptibles de faire l’affaire pour le « proc » qu’on m’a demandé de redevenir !

Il arrive aussi que l’actualité soit si riche, si passionnante à divers titres que l’arbitrage à effectuer suscite mon embarras.

A lire aussi: Tout était-il mieux avant?

Par exemple, pour la soirée du 8 décembre, j’ai hésité entre une première exécution en Iran, l’affaire en appel concernant notamment Nicolas Sarkozy et ses dénégations, la posture choquante de LFI préférant, au détriment de l’urgence du fond sur la réintégration des soignants non vaccinés, privilégier son opposition surjouée au RN, ce qui a contraint sa députée Caroline Fiat à retirer son texte…

Après réflexion, j’ai décidé de me consacrer à une quatrième actualité : le départ de Sciences Po d’une professeur de danse de salon, dénoncée et honnie parce qu’elle avait refusé de supprimer dans son cours la distinction entre les hommes et les femmes (Le Figaro).

Qu’on ne croie pas que le « réquisitoire du procureur » soit un exercice où aucune contradiction ne m’est apportée. On devine bien que face par exemple à Françoise Degois, Élisabeth Lévy ou Olivier Dartigolles, elle ne manque pas et a cette particularité d’être stimulante, d’imposer, en quelques occasions, un retour sur soi bénéfique, comme un doute sur la validité de ce qu’on venait à peine de déclarer.

Car ce n’est jamais la contradiction qui est dure à supporter – elle est indissociable de toute vie intellectuelle – mais, assez souvent, son caractère vain, dérisoire et pavlovien. Profonde, lucide, elle enrichit.

Je suis d’autant plus sensible à cette séquence rapide et solitaire qu’elle représente souvent un complément à ma présence sur CNews, deux fois avec Pascal Praud le lundi matin et le mardi soir et régulièrement à la Belle Equipe le vendredi avec Clélie Mathias.

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Je ne me lasse pas des joutes « judiciaires » avec le premier où, sans m’offenser, il me reproche une « haine » à l’encontre de Nicolas Sarkozy quand je lui impute une trop grande bienveillance fondée sur une méconnaissance, voire une ignorance de la réalité judiciaire ; la Justice étant, avec la Covid et l’équipe de France de foot, le domaine où chaque Français, après avoir été docteur et sélectionneur, se félicite, sans rien savoir, d’être juge contre les juges.

Je ne sais pas, à dire vrai, si mes échanges délicieusement aigres-doux avec ce talentueux et atypique animateur-chroniqueur sont sérieux ou relèvent d’une sorte de jeu où tous les deux nous nous enfermons dans une caricature qui nous amuse, en tout cas en matière de Justice.

On comprendra ainsi pourquoi, une à deux minutes « procureur » sur Sud Radio, je bénis cet instant où je peux libérer une parole laissée ensuite à la grâce des autres chroniqueurs, éventuellement contradicteurs.

Ce lien entre Sud Radio et CNews n’est pas artificiel : ils ne sont réunis que par cette petite chose qui s’appelle la liberté et le pluralisme (si on veut bien venir en profiter).

France – Maroc : la France a déjà gagné

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Avant même le coup de sifflet, ouvrant le début des hostilités sur le terrain mercredi prochain, la France a gagné.


Dans la vie, il y a deux manières de voir les choses : le verre à moitié plein ou bien à moitié vide. De même pour le match à venir entre la France et le Maroc, soit on en reste aux émeutes, soit on lève les yeux vers la véritable réussite française qu’est Walid Regragui, le sélectionneur marocain et l’architecte de l’exploit historique des « Lions de l’Atlas ».

Au sujet des émeutes, tout a été dit et rien en même temps. Une minorité de voyous va casser Paris pour démontrer aux Français qu’ils sont un peuple dominé et que la France est un pays colonisé par les Vandales. Selon l’affiche du jour, ces Vandales peuvent arborer le drapeau marocain, algérien, tunisien ou turc. Cette fois-ci, la tristesse de voir Paris razziée sera mitigée par le véritable score du match et qui consiste dans la victoire de la France, la victoire la plus belle et durable qui soit : l’entraîneur est Français, un pur fruit de l’école française du football et surtout une belle réussite de l’assimilation véritable, celle qui fabrique des hommes valables, des grands messieurs, des références dignes d’admiration. Wali Regragui est né dans l’Essonne, il est citoyen français, il a fait sa carrière de joueur en France avant de s’expatrier au Maroc en tant qu’entraîneur. L’avez-vous entendu parler ? Il s’exprime dans une logique parfaite et dans un style efficace et direct. Walid Regragui est probablement la seule personne préoccupée par l’efficacité (c’est-à-dire par le résultat) dans la salle de presse lors de l’après-match : les journalistes marocains lui parlent de style de jeu (donc de futilité) et lui répond résultat. Il est cartésien, et cela c’est l’empreinte de la France, pas du Maroc ni du Moyen-Orient.

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Qu’il s’appelle Walid ou Jean-Pierre ne veut rien dire ! Il est Français par ses neurones et son état esprit. Qu’il se dise passionné par le Maroc n’enlève rien à son identité « cérébrale » : il applique son esprit logique Made in France à la cause du football marocain. Il est la méritocratie incarnée, la méritocratie appliquée au football d’un pays arabe et musulman, rongé par le népotisme et par le manque de sérieux.

D’ailleurs, Walid Regragui aurait été « impossible » au Maroc, car chez moi la méritocratie passe au second plan derrière la «recommandation». Au Maroc, trop souvent, prévaut le « qui t’a recommandé ? » et non le « qu’as-tu obtenu comme résultat dans tes précédents postes ? »

Ainsi, si j’étais Français, je serais fier en cette veille de match. La France joue contre la France. Le match est gagné.

Il faut espérer que les leaders politiques des deux rives voient clair dans ce qui se joue sur la pelouse mercredi soir. Au-delà de la compétition, deux versions de la France disputeront la demi-finale de la Coupe du Monde. Victoire de la mission civilisatrice de la France qui a su former un être humain aussi admirable que l’entraîneur de l’équipe marocaine.

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Une fois la Coupe du Monde terminée, tout leader, réellement préoccupé par les intérêts supérieurs du Maroc, aura l’obligation de dénicher les centaines de Walid Regragui que la France a formées, et qui sont prêts à réconcilier l’hôpital marocain avec la santé, l’école marocaine avec l’enseignement, l’entreprise marocaine avec l’innovation, l’agriculture marocaine avec la productivité, le tourisme marocain avec le sérieux, et la liste est longue.

Merci la France ! Au Maroc de jouer maintenant !

Je suis sûr que Lyautey aurait pleuré des larmes de joie devant une aussi belle symbiose entre les peuples, une si belle fécondation du Maroc par la France. Et j’espère que demain le Maroc, avec ses qualités propres, fécondera à son tour la France pour soigner sa dépression morale et psychique.

L’homopoutinus

Le Parlement russe souhaite interdire tout ce qu’il considère comme de la propagande en faveur l’homosexualité et la transidentité pour les mineurs. Cela va jusqu’aux dessins animés.


La « loi sur la propagande gay » a été votée par la Russie en juin 2013. Ratifiée par le président Vladimir Poutine, elle vise à « protéger les enfants contre les informations qui favorisent le déni des valeurs traditionnelles de la famille ». En octobre, à l’unanimité, le Parlement a décidé de renforcer son arsenal judiciaire contre toute promotion de l’homosexualité. Si le dirigeant russe signe ce second amendement, il sera désormais interdit de faire la promotion de la transidentité aux enfants mineurs. Le gouvernement pourra bloquer sur internet tout contenu traitant de sujets LGBT et interdire les films montrant des représentations positives de l’homosexualité, y compris des dessins animés tels que Peppa Pig (dans un épisode, l’ours polaire Penny apparaît aux côtés de ses deux mères) ou South Park. Les étrangers suspectés de militantisme LGBT pourront être arrêtés, condamnés à une forte amende et expulsés de Russie. Récemment, lors du discours où il se félicitait du rattachement des quatre provinces ukrainiennes à la mère patrie, le président Vladimir Poutine a dénoncé « ces familles avec un parent numéro un et un parent numéro deux », considérées comme le symbole de la décadence européenne par une majorité de Russes. Une rhétorique également reprise par le patriarche orthodoxe Kirill qui a souvent dépeint la guerre russo-ukrainienne comme « une bataille entre ceux qui soutiennent ces Occidentaux autorisant des gay prides et ceux qui les rejettent catégoriquement ». Les associations LGBT ont dénoncé une volonté évidente de la Douma de criminaliser les relations sexuelles entre adultes de même sexe. 

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Joe Biden réalise le pire échange de prisonniers américano-russes de l’histoire

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Des Américains détenus par les Russes, fallait-il libérer Paul Whelan, ancien Marine accusé d’espionnage, ou Brittney Griner, une basketteuse et militante anti-raciste arrêtée à cause de l’huile de cannabis qu’elle transportait ? Tribune de Paul Reen, membre du Parti républicain.


Le jeudi 8 décembre, Joe Biden a fièrement annoncé dans le Bureau ovale que la basketteuse professionnelle Brittney Griner avait été libérée après neuf mois de captivité en Russie. Accompagné d’une Kamala Harris aux anges, Joe Biden a serré la femme de Brittney dans ses bras devant les caméras. Curieuse coïncidence, le même jour, la Chambre des représentants démocrate célébrait l’adoption d’un projet de loi visant à protéger le mariage homosexuel, alors que celui-ci est déjà légal dans les 50 États. Le théâtre politique de l’administration Biden est sans fin.

Laissons de côté le théâtre politique, l’Amérique était vraiment heureuse pour Brittney, qui a bêtement essayé d’entrer en Russie avec de l’huile de cannabis mais a été retenue dans les prisons russes pendant trop longtemps. Elle aurait dû être libérée bien plus tôt. C’est ce que tout le monde pensait jusqu’à ce que l’Amérique apprenne les détails de la libération. La plupart des gens savent maintenant que Brittney faisait partie d’un échange de prisonniers. Un échange qui a libéré le prisonnier russe le plus notoire, le plus dangereux et le plus important pour Poutine, le « marchand de mort », Victor Bout. Il a ensuite été révélé que Biden avait cherché à libérer un deuxième Américain en échange de Bout, un vétéran décoré des Marines, Paul Whelan, qui est emprisonné à tort en Russie depuis près de quatre ans. Mais Poutine a refusé, alors Biden a cédé et a quand même libéré Bout, laissant le Marine derrière les lignes ennemies. Le plus célèbre marchand d’armes russe, coupable d’avoir vendu des armes à des terroristes pour tuer des Américains, est échangé contre une athlète féminine transportant de l’huile de cannabis pour son usage personnel. Incroyables négociations, monsieur Biden !

Qui est Viktor Bout ? Selon le New York Times, Viktor Bout est accusé d’avoir vendu des armes russes à Al-Qaïda, aux Talibans et à des militants au Rwanda, et d’avoir bafoué les embargos sur les armes en Sierra Leone, en République démocratique du Congo et en Algérie, où il a vendu des armes aux forces gouvernementales et aux rebelles qui les combattaient. Ses actions diaboliques ont servi d’inspiration au film Lord of War (2005), avec Nicolas Cage. Il a été capturé en 2011 et condamné à 25 ans de prison pour conspiration de meurtre d’Américains, entre autres charges. Des experts russes ont déclaré qu’il appartenait au service de renseignement militaire russe G.R.U., ou du moins qu’il travaillait en étroite collaboration avec lui. Les experts affirment également qu’il s’agissait du Russe le plus en vue détenu par les États-Unis et du prisonnier sur lequel la Russie avait exercé le plus de pressions pour qu’il soit rapatrié. Il a maintenant été libéré après avoir purgé moins de la moitié de sa peine.

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Paul Whelan a servi dans la réserve du corps des Marines de 1994 à 2008. Au cours de son service dans les Marines, il a effectué deux déploiements en Irak et a atteint le grade de sergent-chef. Whelan a été arrêté par la Russie dans un hôtel de Moscou en 2018. La Russie a affirmé qu’il menait « une opération d’espionnage », ce qui a conduit à son arrestation. Le frère de Whelan, David, a déclaré que Whelan était à Moscou pour le mariage d’un copain Marine. Il a été condamné à 16 ans de prison. C’est la deuxième fois que Whelan est laissé pour compte cette année. En avril, il y a eu un échange de prisonniers entre les Etats-Unis et la Russie, mais un autre Marine américain, Trevor Reed, qui n’a été emprisonné qu’en 2019, a été libéré à la place. Le frère de Paul, David, affirme également que Paul reste malgré tout confiant en sa libération et qu’il continue de chanter l’hymne national américain tous les matins. 

Brittney Griner est une militante sociale très active depuis 2020 dans les manifestations de Black Lives Matter contre la prétendue brutalité policière et l’injustice raciale. Elle a refusé de se lever pendant l’hymne national avant les matchs, restant plutôt dans le vestiaire. « Honnêtement, je ne pense pas que nous devrions jouer l’hymne national au cours de la saison », a déclaré Griner. « Je ne vais pas être sur le terrain pendant l’hymne national. Si la ligue veut continuer à le jouer, c’est bien. Je ne serai pas sur le terrain pendant toute la saison ».

Les réactions de Biden et d’autres responsables se sont révélées très décevantes pour tous ceux qui cherchaient une justification logique à cet échange de prisonniers :

Joe Biden : Biden a été interrogé jeudi, après un discours sans rapport avec l’affaire, sur ce qu’il dirait à la famille de Whelan. Sa réponse a été évasive, et son équipe l’a rapidement éloigné des caméras et des journalistes qui l’interrogeaient.

John Kirby, Coordinateur des communications stratégiques du Conseil de sécurité nationale : lorsqu’il a été pressé sur la situation jeudi, il a insisté sur le fait que les négociations pour Whelan étaient toujours en cours, ce qui ressemblait à une réponse pré-approuvée de la Maison Blanche.

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Karine Jean-Pierre, secrétaire de presse de la Maison Blanche : Bien que le média ABC ait rapporté que Griner et Whelan avaient tous les deux été proposés comme options pour Viktor Bout, Karine Jean-Pierre a tergiversé : « Il ne s’agissait pas pour nous de choisir quel Américain ramener à la maison. C’était un choix entre ramener un Américain ou aucun ». Et d’ajouter : « Brittney Griner est une inspiration pour les Américains LGBTQI+ et les femmes de couleur ».

Randi Weingarten, chef de la Fédération américaine des enseignants : Elle s’est exclamée sur Twitter : « Quel grand soulagement !!! Une nouvelle extraordinaire, une star du basket, mais aussi une femme noire et gay est libérée ». Elle a ajouté : « Et oui, bien sûr, nous voulons que d’autres prisonniers comme Paul Whelan soient libérés ».

Pendant ce temps, la télévision d’État russe se moque de la faiblesse de Biden pour avoir choisi une athlète plutôt qu’un Marine et à rire de ce que cela dit des priorités des Américains. Poutine et les autres adversaires des États-Unis y verront encore un signe de la faiblesse de Biden après le retrait d’Afghanistan. Se mettront-ils à kidnapper d’autres Américains comme monnaie d’échange ? Cela rappelle également les souvenirs d’un autre terrible échange de prisonniers sous Obama qui a libéré les fameux « Taliban Five », cinq des pires terroristes détenus à Guantanamo Bay, contre le sergent de l’armée américaine déserteur, Bowe Bergdahl, en 2014. Un modèle de faiblesse démocrate.

Pour Griner, espérons qu’elle apprécie un peu plus les États-Unis après avoir vu ce qu’est un vrai régime totalitaire. Pour Paul Whelan, prions pour qu’il conserve sa force et son patriotisme jusqu’à sa libération. La triste vérité est que la faiblesse de Biden menace la sécurité de l’Amérique et de tous les Américains vivant à l’étranger.

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« Emmanuel Macron agit en VRP de l’Union Européenne » : entretien avec Stéphane Rozès

Dans son nouveau livre, Chaos, Stéphane Rozès analyse les causes de la défiance des peuples envers leurs élites et celles de la montée des extrêmes. Loin de défendre des intérêts nationaux, les technocrates qui nous gouvernent légitiment des décisions prises ailleurs et par d’autres, et bafouent l’idéal démocratique dont ils se réclament.


Causeur. Le titre de votre nouveau livre, Chaos, a de quoi inquiéter venant d’un observateur averti tel que vous, ancien sondeur et conseiller de présidents. Alors qu’on nous a vendu pendant des décennies la mondialisation comme un facteur de paix et l’Europe comme l’avenir des nations, la construction européenne ne fait plus rêver et la mondialisation fait revenir la guerre sur le devant de la scène. Pourquoi ?

Stéphane Rozès. Nos dirigeants ont simplement oublié l’essentiel et ont cru pouvoir substituer au politique et à ses aléas l’économique et ses process maîtrisés. Ils ont juste oublié que ce sont les peuples qui font l’histoire. Les communautés humaines ne sont pas mues fondamentalement par la prospérité, mais par la volonté de maîtriser collectivement leur destin. Chacune d’entre elles a une façon singulière d’être au monde, de penser et de faire. Chaque peuple est habité par un imaginaire commun qui lui permet de s’approprier le réel au travers de représentations, de symboles, d’institutions. Cela lui permet d’intégrer les changements. D’où le sous-titre de mon livre « Essai sur l’imaginaire des peuples ». C’est cet imaginaire, fonctionnant comme un véritable creuset culturel, qui crée le commun et le génie particulier de chaque peuple. C’est lui qui fait tenir ensemble les hommes.

Est-ce que ce sont les atteintes à ces imaginaires qui engendrent le chaos identitaire que nous connaissons ?

Pour moi, l’existence d’une civilisation s’explique par une forme de cohérence entre l’imaginaire des peuples et la façon dont ceux-ci participent à la marche du monde. En revanche, si on constate une déconnexion, si les peuples ont le sentiment de ne plus avoir de choix, ils sont alors rattrapés par des archaïsmes anthropologiques où l’on se rassure sur ce que l’on est en s’affrontant à l’autre. L’interdépendance entre les peuples, que les fondateurs de l’Union européenne voyaient comme une garantie de la paix, ne suffit pas à éviter la violence et la guerre, si ces peuples ont le sentiment d’être dépossédés de toute prise sur leur avenir.

Comment décririez-vous l’imaginaire français ?

Notre pays a toujours été un archipel. Nous sommes un cul-de-sac du continent européen, une queue de comète de fins d’invasions diverses (Celtes, Latins, Germains…). Néanmoins, la France a été un pays où l’on se sédentarise. Pour faire tenir un territoire aux populations disparates, le pays a très vite eu une relation transcendante au pouvoir. C’est la verticalité du politique qui a fait office de structure partagée. D’où le fait qu’en France, le président de la République ne peut être normal, car il est censé incarner le pays et pas en être le simple gestionnaire et administrateur en chef. Cette exigence de dépassement pèse aussi sur le peuple. Ainsi le citoyen français n’est pas l’expression de ses intérêts ou de ses origines. C’est au contraire sa capacité à se détacher de ses singularités initiales qui lui confère l’accès réel à la citoyenneté. Voilà pourquoi, en France, la passion politique est centrale. Pour définir la direction dans laquelle nous devons aller ensemble, il faut articuler deux priorités : la dénaturalisation de nos origines et le dépassement par la projection. Sans l’un, on ne peut avoir l’autre. La place de chacun est donc garantie symboliquement par sa capacité à se projeter dans l’avenir. Voilà pourquoi la réduction de la politique à une adaptation à la globalisation imposée de l’extérieur est particulièrement destructrice chez nous et explique que nous sommes le peuple le plus déprimé d’Europe alors que nous sommes, socialement, les mieux protégés.

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Comment vous en êtes-vous rendu compte ?

En travaillant sur des sujets très prosaïques. Par exemple, des questionnements sur le management peuvent faire remonter des constantes très fortes que l’on retrouve en politique. Je me souviens de clients anglo-saxons qui ne comprenaient pas pourquoi, alors que personne ne contestait les protocoles qu’ils proposaient, les changements ne se mettaient pas en place. Les enquêtes montrent qu’en France, pour s’attaquer à la question du « comment », il faut avoir convaincu les Français du but à atteindre. Si on ne répond pas au « pourquoi » », le « comment » ne mobilise pas ou est vu comme une atteinte au professionnalisme.

Pourquoi voyez-vous dans le néolibéralisme qu’incarne aujourd’hui l’Union européenne le principal facteur de la montée des nationalismes et du populisme ?

La montée des extrêmes qui se constate presque partout en Europe résulte d’une promesse brisée, celle du libéralisme qui associait le politique et l’économique, la souveraineté démocratique et le marché. Or le néolibéralisme actuel veut contourner et dépasser les souverainetés nationales. Pour cela il possède une arme redoutable : la déterritorialisation (de la monnaie et des zones de production) et la mise en place d’institutions transnationales éloignées de la souveraineté des peuples et échappant à leur contrôle. Dans une note datant de 1975, « The Crisis of the Democracy », Samuel Huntington, Michel Crozier et Joji Watanuki  font le constat que les sociétés occidentales n’ont plus les moyens de répondre à l’explosion des droits-créances que génère le développement d’une population occidentale de plus en plus individualiste et hédoniste, alors même que les conditions qui ont fait sa prospérité sont en crise (crise pétrolière). Comme ces penseurs sont très attachés au fait que la décision politique doit rester rationnelle, ils ne comptent plus sur le lien avec le peuple pour y parvenir, mais sur le détachement de ce lien. Ils suggèrent donc d’aider les démocraties à externaliser la décision politique au niveau d’organisations supranationales hors de portée des citoyens. C’est l’illusion techniciste qui fait croire que la raison étant une, elle suffit à définir le bon gouvernement des hommes. Le technicien sait ce qui est bon, et plutôt que de perdre son temps à en convaincre les citoyens, autant faire en sorte que la décision leur échappe pour leur plus grand bien. Cette vision est la matrice de ce qu’est devenue l’Union européenne.

Cela explique-t-il les réticences des peuples vis-à-vis de l’Europe ?

En refusant d’accepter le vote contre le traité constitutionnel de 2005, l’Union européenne et les élites des pays concernés ont permis aux technocrates de remporter la victoire face à la souveraineté des peuples. Elles ont fragilisé la démocratie, alors qu’elles la fétichisent en tant que valeur. En faisant du cadre européen non pas un espace de coopération et de puissance, mais un espace libéral régi par le seul discours de l’adaptation à la globalisation, les élites européennes ont délégitimé la politique comme exercice de la volonté humaine. Le seul choix que pose le néolibéralisme c’est : soit renoncer à ce que l’on est, soit n’avoir d’autre perspective que la survie. Les élites sont désormais des communicants chargés de nous faire avaler la potion amère d’un cours des choses qui nous dépasse. Or, quand tout devient contingent, aléatoire, incontrôlable, et que le pouvoir est lié à la satisfaction des exigences d’une mondialisation qui paraît n’avoir d’autre horizon que le profit et la cupidité, c’est la violence archaïque qui ressurgit.

Comment cette nécessité de volontarisme politique se traduit-elle dans la société française ?

La France doit vouloir faire nation pour en rester une, car elle est originairement multiple. Notre passé n’est pas un verrou suffisant pour nous faire tenir ensemble. C’est là la grande erreur d’Éric Zemmour face à Marine Le Pen. L’un postule que notre malheur s’explique par des raisons identitaires et civilisationnelles alors que l’autre estime que notre malheur a des raisons politiques en lien avec la question de la souveraineté. Pour le premier, notre crise vient de notre éloignement du passé, pour la seconde, de notre panne d’avenir. Or la référence au passé n’est pas notre moteur, notre moteur c’est notre projet, le fait de vouloir construire ensemble un futur. Voilà pourquoi le communautarisme, le multiculturalisme, le séparatisme politico-religieux sont insupportables aux Français. Cela explique notamment leur forte hostilité au port du voile, considéré instinctivement comme une exhibition politico-identitaire battant en brèche au processus de dénaturalisation des origines qui nous permet de faire du commun. Mais comme ce commun, en France, se fabrique dans la projection dans l’avenir, notre moteur est en panne. Au nom de quoi demander la dénaturalisation s’il n’y a plus de projet choisi et partagé ? Se met en place alors une concurrence mémorielle et victimaire où la place de chacun n’est plus gagée sur son apport à une construction et projection à venir, mais sur le remboursement d’une dette de la société envers des minorités. Celles-ci se livrent ensuite à des concurrences féroces où la violence est légitimée au nom des humiliations subies. Cela rend impossible l’intégration à la société française.

L’irruption et la force des populismes montrent donc un désir de politique de la part des peuples?

Si on est optimiste, on peut analyser la montée des droites nationales comme un élément de rééquilibrage interne permettant de revenir vers ce qui est le génie européen, une Europe des peuples et des nations. Si on est pessimiste, on peut interpréter l’accès de ces forces au pouvoir comme une illusion du retour à la maîtrise de leur destin par les peuples. Cette illusion annonce des réveils difficiles : ces mouvements seront amenés, dans le cadre européen actuel, à faire de telles concessions au néolibéralisme qu’ils corroboreront l’idée qu’il n’y a qu’un seul chemin possible.

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Si on vous suit, l’Europe est devenue le piège des démocraties…

En tout cas le mythe du couple franco-allemand en est un. Tant que les élites françaises considéreront qu’il faut d’abord respecter les traités et donner des gages à l’Allemagne pour obtenir une réorientation de l’UE, elles échoueront. La première élection d’Emmanuel Macron témoigne de cette impasse. Expliquer à Angela Merkel qu’on a sauvé la France de l’élection de Marine Le Pen pour espérer d’elle une renégociation de certains traités était d’une grande naïveté. Avant son élection de 2017, Emmanuel Macron avait laissé entendre qu’il pourrait incarner une France qui défend sa souveraineté au sein des instances bruxelloises, mais une fois élu, il a agi en VRP de l’Union européenne et a échoué à incarner l’intérêt général du pays. Il ne suffit pas que les peuples portent au pouvoir des gouvernants qui mettent en scène la volonté de les défendre et de les protéger, encore faut-il que ces gouvernants puissent disposer des leviers de l’action. S’ils ne font que légitimer des décisions technocratiques prises ailleurs, ils perdent leur propre légitimité et abîment l’idéal démocratique.

Pouvez-vous préciser ce point ?

La légitimité du pouvoir trouve sa source dans la souveraineté populaire. C’est le transfert de la part de souveraineté de chacun à des représentants élus qui donne à ces derniers la légitimité à agir et à légiférer. Or le contournement de la souveraineté nationale par le transfert de la décision dans des instances supranationales détruit la souveraineté populaire et donc la source de légitimité de tout pouvoir. La structure européenne n’a pas de légitimité propre. Il n’existe pas de peuple européen constitué. En détruisant la source de légitimité des différents pays, c’est à elle-même qu’elle s’attaque à terme. Le problème c’est que loin d’en prendre conscience, l’Europe s’enfonce dans une fuite en avant en proposant le vote à majorité simple dans ses instances[1]. C’est un ultime coup de force visant à éloigner la décision politique de peuples vus par leurs dirigeants comme trop déraisonnables pour décider de leur destin.

Stéphane Rozès, Chaos : essai sur l’imaginaire des peuples, Le Cerf, 2022.


[1]Jusqu’à présent, seules les décisions votées à l’unanimité sont adoptées au Conseil européen. Ce système pourrait changer avec la majorité simple : 14 voix favorables sur 27 suffiraient à l’adoption d’un texte.


Ukraine : la guerre de précision

Parmi les mauvaises surprise que la guerre contre l’Ukraine a réservées aux Russes, il y a celle du peu de précision et de fiabilité de leurs missiles. Cela n’a pas échappé aux pays qui achètent des armements russes.


Que se passe-t-il avec la Russie ?  Pourquoi ses forces armées utilisent-elles autant de missiles sol-air contre des cibles terrestres ? La réponse est simple : la Russie souffre d’une crise importante dans le domaine des munitions de précision. Un premier groupe d’engins de ce type comprend des munitions lancées par avions de chasse et guidées vers leur cible par l’avion lanceur, par drone ou commandos qui « illuminent » la cible avec une source laser par exemple. On peut ainsi utiliser des bombes aériennes standardisées (250/500/1000 kg) sur lesquelles on installe un « kit » comprenant tête de guidage et ailerons, transformant une bombe « stupide » en bombe « intelligente » pour pas trop cher. Le problème est que pour cela, il faut bénéficier d’une maitrise des airs, ce qui n’est pas le cas de la VKS, l’armée de l’air et de l’espace de la Russie. La deuxième option est les engins tirés de loin.

Depuis les années 1980-1990, la précision des missiles et autre munitions est l’alpha et l’oméga de la guerre. La capacité de frapper l’infrastructure ennemie loin derrière les lignes de front remplace la nécessité d’envoyer des forces terrestres pénétrer les défenses ennemies pour atteindre ces mêmes cibles. Si ce principe n’est pas neuf – il a été établi déjà pendant les années 1920 quand l’avion bombardier était mis au point – les munitions de précision permettent de le faire sans engager des plateformes pilotées par l’homme et surtout avec très peu de munitions !  Quand on parle de précision, de quoi parlons-nous ?  La précision des armements est mesurée en ECP (erreur circulaire probable), c’est-à-dire le rayon du cercle à l’intérieur duquel explosent X% des projectiles lancés (un missile sol-sol, air-sol, ou mer-sol ou même artillerie). Normalement quand la valeur n’est pas mentionnée, il s’agit d’ECP à 50 %. Ainsi, par exemple, si l’ECP est de 10 mètres, cela signifie que l’erreur entre la cible et l’impact de la munition est inférieure à 10 mètres dans 50 % des cas. Un bombardier américain de la Seconde Guerre mondiale avait en moyen un CEP de plus de 300 mètres, tandis que le Tomahawk (missile de croisière américain opérationnelle depuis 1983) a un CEP de 10 mètres ! Avec une charge explosive de plus de 400 kg on voit immédiatement l’économie  réalisée en passant d’un « tapis de bombes » lancé par plusieurs B-17 et une petite rafale de Tomahawk. Même au prix de plus d’un million de dollars l’unité, c’est une excellente affaire.

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La deuxième famille regroupe les missiles de croisière lancés à partir de plateformes maritimes (navires et sous-marins), dont le plus connu est le 3M-54 Kalibr. Il s’agit d’un missile qui peut atteindre 2 000 km et plus encore. Il se dirige vers sa cible par un système de navigation inertielle (inertial navigation system, INS), une technique utilisant des capteurs d’accélération et de rotation afin de déterminer le mouvement absolu d’un objet mouvant (avion, missile, sous-marin) et donc, à partir d’un point de lancement connu, calcule l’éloignement de ce point et peut donc donner à chaque instant le lieu exact de l’objet.  C’est un système moins précis car il ne permet pas de corrections et l’erreur initiale entraine un écart avec la cible en proportion de la distance (plus la cible est loin, plus les petites erreurs entrainent un gros écart au moment de l’impact). Dans ce cas concret, cela donne un ECP de quelques 50 mètres. Cette précision est suffisante lorsqu’il s’agit d’une cible comme un dépôt de carburant, une centrale électrique ou une concentration militaire importante d’hommes et de matériel.

La troisième famille est la plus connue : les missiles sol-sol issus du Scud. Le plus performant est l’Iskandar K720 qui peut toucher une cible à 500 km avec ECP de 5 (!) mètres. Cette famille est différentes des deux précédentes car il s’agit de missiles à trajectoire balistique et non pas de croisière : ils sont lancés vers le ciel et suivent une trajectoire montante puis descendante vers la cible (comme un ballon de basket lancé vers le panier). Cette trajectoire leur donne une vitesse vertigineuse dans la phase descendante et donc une énergie cinétique importante  pour compléter la puissance destructrice de leur charge explosive.

Le problème est que tout cela est vrai en théorie. Mais, dans la réalité, ces systèmes d’armement russes fonctionnent très mal.  Les Ukrainiens arrivent à abattre une grande partie des missiles de croisière, et plus généralement une partie importante des missiles subissent des pannes : lancement avorté, sortie de trajectoire et charges explosives qui n’explosent pas à l’impact. Ainsi, pour réussir à délivrer 1kg d’explosif sur une cible, il faut lancer encore plus d’engins que ne l’exige la simple ECP théorique calculée à l’usine. Cet échec à lui seul nous apprend beaucoup sur les Russes. Tout d’abord, quant aux talents de leurs scientifiques et ingénieurs qui conçoivent des systèmes ingénieux avec beaucoup moins de moyens que leurs collègues américains ou européens. Mais pour le reste c’est moins glorieux. Et à Moscou ils auraient pu s’en douter bien avant le lancement de l’offensive, le 24 février 2022.

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L’anecdote est croustillante. Dans un entretien donné en février 2021 par Serge Sarkissian, ancien président de l’Arménie, cet opposant notoire de l’actuel premier ministre, Nikol Pashinian, s’est interrogé, commentant la défaite militaire contre l’Azerbaïdjan : pourquoi  les forces arméniennes n’avaient pas utilisé leurs missiles balistiques Iskander de fabrication russe ? Et puisqu’il a plus ou moins insinué que Pashinian aurait souhaité la victoire de Bakou, celui-ci lui a répondu que la raison était… le manque de fiabilité des Iskander, n’ayant « explosé que dans 10% des cas ».  À cet échange s’est invité le général Tigran Khatchatrian, chef d’état-major adjoint des forces arméniennes. Pour ce très haut gradé, les propos du Premier ministre étaient « ridicules » et risquaient même d’agacer les Russes. Pour toute réponse Pashinian a limogé le général insolent provoquant une crise politique : Cedant arma togae (les militaires doivent céder aux civils) !

À Moscou, la remise en cause des missiles Iskander n’est pas passée… Ainsi, le ministère russe de la Défense a fait une mise au point déclarant avoir « pris connaissance, avec étonnement, de la déclaration du Premier ministre Nikol Pachinian ». « D’après les informations objectives et fiables, expliquaient les Russes, aucun des missiles de ce type n’a été utilisé pendant le conflit du Haut-Karabakh ». Une affirmation rapidement contredite par des déclarations des militaires arméniens dont le général Hakobyan, contrôleur général des forces armées de son pays. En outre, au moins un tir du missile russe par les forces arméniennes a été documenté par des sources ouvertes. Et c’est ainsi qu’une alerte sérieuse a été ignorée sans qu’aucun contre-pouvoir (medias, Douma) ne puisse mettre son nez dedans.

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Et si on va un peu plus loin, on apprend que les Russes ne savent pas mettre en place de processus rigoureux de développement et de vérification de qualité. Autrement dit, leurs missiles n’ont pas été correctement développés et avaient été mal testés. Trop d’à peu près, trop de mensonges et de dissimilations sans parler de corruption. Tout cela ne se voit pas si les systèmes d’armement sont utilisés dans des « guerres » sans ennemi comme en Syrie. Mais quand, en face, se trouve un adversaire digne de ce nom, on ne peut plus raconter d’histoires. Ainsi, à la très longue série de surprises désagréables, les dirigeants russes ont dû ajouter celle de découvrir que leurs systèmes d’armes de précision sont moins précis et moins fiables que prévus. Et c’est pour cette raison qu’ils se trouvent aujourd’hui à tirer des S-300 anti-aériens et des KH22 anti-navires contre des centrales et des dépôts de carburants avec des dégâts collatéraux énormes pour la population civile.

Dans la guerre de précision, les Ukrainiens, soutenus par les Etats-Unis et l’OTAN, se révèlent bien supérieurs aux Russes dont la réponse pour le moment est de changer de terrain : faire en sorte que la qualité cède devant la quantité.

Sauf que cette stratégie a un prix et pas le moindre : les grands clients de leur industrie d’armement regardent et prennent des notes. Et les premiers résultats sont visibles : en 2022 les exportations russes d’armements vont atteindre le 11 milliards de dollars, 26% de moins qu’en 2021 et 40% de moins qu’en 2020.

Angleterre : mort et renouveau des centres-villes?

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Outre-Manche, on assiste au déclin, lent et apparemment inexorable, des centres-villes. Depuis 2010, tous les gouvernements britanniques cherchent des solutions pour remédier au problème, en vain. Mais l’espoir d’un renouveau n’est pas encore mort. Témoignage.


On dit que Napoléon a traité l’Angleterre de «nation de boutiquiers». Pourtant, aujourd’hui, les commerçants anglais ne sont plus suffisamment nombreux ou florissants pour maintenir la vitalité des centres-villes. Depuis 2010, les gouvernements britanniques successifs ont cherché des solutions pour « sauver les centres-villes », mais ces derniers, malgré tous les efforts de l’État, continuent de se désertifier.

Après avoir quitté l’Angleterre pour venir vivre en France en 2012, je suis récemment retourné pour la première fois depuis quatre ans dans ma ville, Cheltenham. Située entre Birmingham et Bristol au sud-ouest de l’Angleterre, comprenant 116 000 habitants principalement de la classe moyenne, cette ville a toujours connu une activité commerciale intense ainsi qu’un centre-ville particulièrement animé. Dotée de boutiques de luxe et de grandes chaînes côtoyant des petits commerces, des bars et des restaurants, cette ville ne me semblait pas un instant devoir un jour subir elle aussi pareille désertification.

Dans le grand centre commercial de Cheltenham, une boutique sur trois semblait avoir été fermée. Par ailleurs, la diversité des magasins avait laissé place à une série de magasins vendant des articles  d’occasion et à d’innombrables cafés presque vides. Même l’animation habituelle du soir n’avait plus cours ; on ne voyait plus grand monde sortant en groupe pour aller boire un verre.

Je me suis demandé ce qui s’était passé et ce que le gouvernement et la mairie faisaient pour améliorer la situation. Dans cette enquête j’ai pu interroger Tony Dale, adjoint au maire et responsable de l’économie et de la transformation au Cotswold District Council (autorité publique regroupant les petites villes autour de Cheltenham).

Plusieurs raisons expliquent ce phénomène au Royaume Uni, du reste accentué par les règles du confinement dues à l’épidémie de Covid. Tout d’abord, les « UK Business rates », équivalents aux cotisations foncières des entreprises en France, sont aujourd’hui calculés à 50% de la valeur locative, même si certaines remises sont accordées à quelques petits commerces. Et cet impôt, payé par l’entreprise installée ou par le propriétaire du bâtiment dans le cas où celui-ci est vide, est depuis des années le plus cher en Europe. Sans compter que le Royaume uni est toujours le pays européen le plus cher pour les espaces commerciaux.

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Du fait de ces deux effets conjugués, en février 2021, les dirigeants des grandes entreprises ont alerté le gouvernement sur le risque de l’accélération de la mort des centres villes, à moins qu’une réforme radicale du calcul de l’impôt ne soit envisagée. Car aujourd’hui, avec l’inflation à 10%, les charges fiscales des entreprises ne font que croître.

Cependant, une autre cause de ce phénomène tient au fait que les Britanniques sont les champions du monde de l’achat en ligne, à raison de plusieurs achats par semaine. En 2019, un sondage portant sur 4500 personnes et réalisé par Episerver (désormais Optimezely) montra que 38% des consommateurs au Royaume Uni commandent en ligne au moins une fois par semaine ; alors qu’aux États-Unis le pourcentage est de 26% et en Allemagne de 20%. Ce nouveau comportement a évidemment un effet négatif sur la fréquentation des magasins qui avait déjà baissé avec l’épidémie de Covid.

Par ailleurs, et selon Tony Dale, une autre raison éclaire la situation : certains grands commerces nationaux ont décidé de ne plus changer l’équipe de gestion en cas de bénéfice insuffisant ; dès lors, ces magasins sont systématiquement fermés. Sans compter que certains secteurs florissants, comme l’informatique ou la téléphonie mobile, sont désormais arrivés à saturation et que des magasins de ce type mettent eux aussi la clef sous la porte.

Conscient de ce phénomène des espaces vides dans les centres villes, en 2021, le gouvernement de Boris Johnson a modifié la réglementation concernant l’usage des bâtiments commerciaux des centres-villes. Selon Tony Dale qui, en tant que membre des Libéraux Démocrates, parti de centre gauche, est normalement opposé aux idées du gouvernement conservateur, « Le changement du système était nécessaire et je suis d’accord avec cette réforme ».

Historiquement considérés comme ayant un usage différent, les banques, les restaurants, les bureaux et les magasins sont dorénavant regroupés. Ce changement a permis aux propriétaires de louer des bâtiments à des entreprises affichant des activités différenciées sans avoir à en demander l’autorisation à la Mairie.

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D’autre part, il est maintenant plus aisé de changer l’usage d’un bâtiment et de le faire passer, par exemple, d’une activité commerciale à une fonction d’habitation. La conséquence de ce changement de réglementation est que ce ne sont plus les mairies qui sont désormais chargées de la cohérence ou de l’incohérence qui avait entraîné la fin de la diversité commerciale et le moindre afflux des visiteurs.

Tony Dale, qui se réjouit de ce que les jeunes professionnels puissent acheter dorénavant un appartement ou une maison a pu dire que Cheltenham fait face aux problèmes que les petites villes ont déjà subis et surmontés. Il a ajouté qu’il est par ailleurs normal que les charges locales soient importantes car le Royaume Uni est  doté d’un nombre important de règles liées à la sécurité et à la santé publique ; règles bénéfiques pour tous mais qui engendrent, évidemment, un coût non négligeable pour les entreprises. Il se satisfait également de ce que les espaces commerciaux quittés par les grandes entreprises aient laissé place à des petits magasins artisanaux qui vendent des produits spécialisés et de provenance locale.

Ainsi, selon lui, le rôle des mairies a changé. Ce n’est plus aux élus de décider quelle entreprise pourra ou ne pourra pas s’installer ici ou là. Désormais, ils se concentrent sur le conseil aux petits commerçants en leur indiquant comment ils peuvent augmenter leur présence en ligne, comment faire face au changement climatique et comment s’approvisionner en produits et matériaux de la région.

Grâce à la nouvelle réglementation et au nouveau rôle des mairies, la situation du centre-ville de Cheltenham, des agglomérations environnantes et d’autres villes similaires en Angleterre est en train de s’améliorer. Tony Dale a bon espoir que la vie y reprenne ses droits. Et que Napoléon aura de nouveau raison dans le jugement qu’il porte sur les Anglais !

Maroc contre Europe: la Coupe du Monde du Choc des civilisations?

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Bruxelles, centre-ville, après des affrontements entre la police et des supporteurs de l'équipe marocaine, le 27 novembre 2022 Shutterstock/SIPA Shutterstock41023578_000023

Selon George Orwell, le sport « c’est la guerre, les fusils en moins ». Beaucoup des attitudes et émotions provoquées par les victoires éclatantes de l’équipe marocaine au Qatar impliquent un désir de revanche du monde arabo-musulman sur les pays de l’Europe occidentale qui dépasse le domaine sportif. Tribune libre de Damien Rieu.


La Coupe du monde est-elle l’occasion pour une certaine rivalité amicale entre les nations ou pour l’expression d’attitudes revanchardes voire vengeresses contre l’Occident ? Le président de la FIFA, Gianni Infantino, semble y voir surtout une opportunité pour une grande auto-culpabilisation historique, lui qui a fait la déclaration suivante : « Pour ce que nous, les Européens, avons fait au cours des 3000 dernières années, nous devrions nous excuser pendant les 3000 prochaines années avant de donner des leçons au Qatar ». L’attitude de supporteurs et de joueurs de pays maghrébins, notamment du Maroc, suggère, de différentes manières, qu’à leurs yeux il y a bien une revanche à prendre sur les anciennes nations colonisatrices, comme si eux croyaient moins au « vivre ensemble » prêché par les idéologues immigrationnistes qu’à un véritable choc des civilisations.

Quand la fête se transforme en émeute

Les victoires des « Lions de l’Atlas » face à la Belgique (27 novembre), à l’Espagne (6 décembre) et au Portugal (10 décembre) ont donné lieu à des scènes d’affrontements avec les policiers : aux Pays-Bas, en France et en Belgique, surtout dans l’enclave marocaine de Molenbeek, en banlieue de Bruxelles.

Preuve de l’importance des enjeux géopolitiques, les joueurs et supporters marocains ont fêté leurs victoires en brandissant le drapeau palestinien. Le 6 décembre, aux Champs-Elysées, les supporteurs du Maroc ont fêté leur triomphe aux cris de « Free Palestine ! », et des images ont montré des supporteurs mettant le feu à un drapeau d’Israël. Le même soir, d’autres supporteurs ont installé leur drapeau sur la façade de la Mairie d’Amiens Nord.  En plus de ces épisodes d’importance symbolique, de nombreux autres incidents violents ailleurs en France, comme le pillage de commerces et d’un camion à Avignon, contrastent avec les célébrations sans incident de la communauté portugaise de France, pourtant beaucoup plus nombreuse que la marocaine.

Revanche sur la Reconquista et références islamiques

Sur les réseaux sociaux les supporters du Maroc ont publié de nombreux visuels s’inscrivant dans une perspective historique de revanche notamment contre l’Espagne, considérée coupable d’avoir osé se libérer de sept siècles d’occupation arabe en menant sa Reconquista. Sur internet, tel montage revisite la composition de l’équipe avec les conquérants arabes de l’Espagne, tel autre diffuse une carte d’Al Andalus avec le commentaire, « It’s back ».

« Cette victoire appartient à tout le peuple marocain, tous les peuples arabes, et tous les peuples musulmans du monde », a commenté de son côté le joueur Sofiane Boufal. Difficile d’imaginer l’ampleur du scandale si un joueur de l’équipe nationale d’Italie, de France ou d’Espagne avait revendiqué son succès au nom « de tous les peuples européens, de tous les peuples chrétiens ».

La dimension islamique de l’enjeu s’exprime d’ailleurs sous de multiples aspects. Par exemple, les joueurs marocains pratiquent la prière islamique pour célébrer leur victoire ou avant une séance de tir au but et n’hésitent pas à appeler directement à rejoindre l’islam au cri « d’Allah akbar ». Le Hamas a félicité l’équipe marocaine pour sa victoire sur le Portugal.[1]

Sur le site du mensuel marocain francophone Le Courrier de l’Atlas, le journaliste Abdellatif El Azizi analyse la victoire du Maroc dans un article intitulé de manière significative, « Football. La reconquête » : « Bien sûr, nous n’avons pas libéré la Palestine, nous n’avons pas repris nos territoires occupés de Sebta et Mellilia, c’est certain que l’Occident continue de piller nos richesses, mais il y avait du bonheur à regarder ces jeunes joueurs redonner de la joie à des populations dépitées par l’hégémonie sportive des anciens colons ». Il poursuit : « Chez nos ennemis d’hier, ce n’était pas encore la panique mais il semble que déjà̀ une peur sourde gagne le monde occidental. Alors, si le foot est devenu la continuation de la guerre par d’autres moyens, tant mieux […] ». Il conclut : « La blessure de l’Andalousie […] n’a jamais été totalement pansée entre ces deux pays qui se regardent en chiens de faïence malgré cette réconciliation de façade. Il n’y a qu’à observer la profusion de vidéos évoquant l’Andalousie ou le chef de guerre Tarek Ibn Ziyad pour s’en convaincre ». Ce dernier étant un des conquérants arabes historiques de la péninsule ibérique, on ne peut pas être plus clair : derrière ce match entre l’Espagne et le Maroc se cachaient ses rancœurs historiques multiséculaires contre l’Occident. Car le monde arabo-islamique ne s’est toujours pas remis de ce qu’il considère comme une humiliation et il entend bien laver l’affront chaque fois qu’il en aura l’opportunité. Une vision que confirme à So Foot l’écrivain marocain Abdellah Taïa : « il se joue dans le parcours des Lions quelque chose de l’ordre du post-colonial. Je suis à El Jadida, une ville fondée par les Portugais. Dans la rue, dans les conversations, j’entendais : « On s’est débarrassés des Portugais, des Espagnols et bientôt des Français ». Le parallèle historique est évident. C’est encore plus fort dans le cas de la France qui conserve une grande influence au Maroc. Il existe donc un sentiment de revanche »

Les risques de limmigration

Dès lors, se pose la question : ne manquerait-t-on pas au principe de précaution en continuant de laisser venir s’installer chez nous par millions des personnes dont au moins un certain nombre pensent qu’ils ont une revanche à prendre sur l’Occident? Faisons le bilan de l’immigration marocaine. En France, la communauté marocaine représentait 1,5 millions en 2015, mais aujourd’hui elle représente probablement 2 millions d’individus sur 3 générations (selon l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, article à paraître dans Causeur). Le Maroc est la première terre d’origine des mineurs non-accompagnés (MNA) dont la généreuse contribution statistique à la délinquance des grandes villes est reconnue. Dans les prisons, les Marocains sont aussi la deuxième nationalité la plus représentée derrière les Algériens et même la première au niveau européen avec près de 12.000 détenus. Avec un taux de fécondité des immigrées marocaines largement supérieur à celui des Françaises natives (3,4 enfants par femme contre 1,9 enfants par femme française native) et 34% des Marocains qui souhaitent émigrer, la pression démographique marocaine est intense. D’autant que chaque année, environ 30 000 primo-visas sont offerts au Maroc, avec un record de 35192 en 2021, et 19% des naturalisations françaises sont accordées à des Marocains. Pourtant, 42,7% des Marocains de plus de 15 ans qui vivent en France étaient chômeurs ou inactifs en 2017.

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Au Pays-Bas, la « Mocro Mafia » marocaine qui gère le trafic de drogue fait régner la terreur dans le pays. Une centaine de morts dans des règlements de compte, des attaques au lance-roquette et à la voiture-bélier contre des médias trop curieux (Panorama et De Telegraaf), l’assassinat d’un journaliste et la mise sous protection rapprochée de la princesse et du Premier ministre suite à des tentatives d’enlèvement ont bouleversé la tranquillité du pays des tulipes.

Enfin, en Belgique, le pays est au seuil du basculement démographique : 20% de la population est d’origine étrangère, principalement marocaine.  A Molenbeek-Saint-Jean, l’épicentre des célébrations des victoires du Maroc dans le pays, une scène a d’ailleurs provoqué le malaise sur les réseaux sociaux : le procureur du Roi des Belges Yassine Sellika, a été surpris apparemment en train de célébrer la victoire du Maroc face à la Belgique. Cette ville de 80.000 habitants est devenue la base arrière du djihadisme en Europe. C’est là qu’avait trouvé refuge Salah Abdeslam. La contribution de l’immigration marocaine au terrorisme islamique fait d’ailleurs frémir. Le meurtrier de Thomas Monjoie, policier belge égorgé il y a 15 jours à Schaerbeek dans la banlieue de Bruxelles ? Yassine Mahi : belgo-marocain. Le terroriste du Thalys, condamné cette semaine à la perpétuité ? Ayoub El Khazzani : français d’origine marocaine. Les terroristes du 13 novembre 2015 ? Les frères Abdeslam et Bilal Hadfi : français d’origine marocaine, et Abdelhamid Abbaoud : belgo-marocain. Et ceux des attentats de Bruxelles et Zaventeen de mars 2016 qui sont jugés ce mois-ci ? Mohammed Abrinni, Khalid et Ibrahim El Bakraoui : belges d’origine marocaine, et Najim Laachraoui : belgo-marocain. L’assassin des policiers égorgés à Magnanville ? Larossi Abbala : français d’origine marocaine. Et le terroriste qui a tué le gendarme Arnaud Beltrame à Trèbes ? Radouane Lakdim : Français d’origine marocaine.

Le match de ce mercredi sera-t-il donc un épisode du choc sportif des civilisations, celui d’une revanche historique contre l’ancien colonisateur teintée de prosélytisme islamique ? Pour cette mission, les joueurs du Maroc peuvent compter sur le soutien de tous les pays arabo-musulmans qui rêvent autant de voir l’un des leurs en finale du Coupe du Monde que d’humilier les Français. Victoire ou défaite, faut-il craindre le pire pour cette soirée ?

[1] Les victoires du Maroc seraient même fêtées par les brigades armées du Hamas.

Antoine Lilti au Collège de France : le strabisme intellectuel

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Antoine Lilti / Capture d'écran YouTube d'une vidéo du 08/12/22, de la chaine France Inter

Ce jeudi 8 décembre, sur France Inter, Léa Salamé et Nicolas Demorand recevaient l’historien Antoine Lilti qui vient d’être nommé professeur au Collège de France. Les auditeurs ont été surpris d’apprendre que ce spécialiste des Lumières n’est pas entièrement acquis à l’idée de liberté d’expression.


Antoine Lilti est reconnu pour être une pointure dans son domaine ; il ne me viendrait pas à l’idée d’aller le titiller sur ses connaissances historiques qui sont largement supérieures aux miennes. Toutefois, à l’écoute de cet entretien, plusieurs choses intriguent l’historien amateur comme le citoyen lambda.

En premier lieu, le résumé que Léa Salamé fait du travail d’Antoine Lilti et que ce dernier confirme : « Les Lumières ne se réduisent pas à un héritage européen, faut pas croire que c’est juste l’Europe, les Lumières. Vous dites qu’il a existé des Lumières multiples, japonaises, chinoises, latino-américaines, égyptiennes, perses, constituées de courants hybrides qui ont eu leurs spécificités. Ce serait caricatural de réduire les Lumières aux philosophes blancs (sic) du XVIIIe siècle français ». La « blanchité » étonnamment évoquée ici permet à Dame Salamé de confirmer son assentiment à l’idéologie wokiste ; il est dommage que le professeur au Collège de France n’ait pas relevé l’absurdité de cette allusion à la couleur de peau des philosophes (pas seulement français d’ailleurs, mais aussi anglais, écossais et allemands) qui furent les principaux initiateurs des mouvements politiques et philosophiques issus des Lumières. De même, mettre sur le même plan les Lumières européennes et les « Lumières » chinoises, égyptiennes ou perses, laisse perplexe. Il a été beaucoup question, au cours de cette matinale, d’une « hybridation » des idées issues des Lumières européennes avec celles de « différentes cultures », du charlatanisme et du complotisme. Finalement, j’avoue ne pas avoir saisi la substantifique moelle du projet historiographique d’Antoine Lilti. Mais je ne demande qu’à apprendre et, par conséquent, suivrai de près les prochains travaux de l’historien.

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Jusqu’ici nous baignions abstraitement dans les arabesques réflexives et les subtilités spéculatives d’une nouvelle approche historiographique des Lumières. C’était un début, l’historien se faisait la voix. Nous allions soudainement taper dans le dur de l’actualité, si vous me permettez l’expression, et atteindre en même temps au sublime de la réflexion oblique. Nicolas Demorand lit la question d’une auditrice : « Les Lumières aujourd’hui seraient-elles woke ou dénonceraient-elles la culture wokiste ? » Léa Salamé en profite pour rappeler les différentes censures qui ont frappé des personnalités comme Sylviane Agacinski ou Caroline Eliacheff. Après avoir jésuitement godillé entre le bon et le mauvais wokisme (mais on sent quand même que la balance penche en faveur des « éveillés » et des « minorités » qui seraient des « héritiers des Lumières »), Antoine Lilti répond en substance que, pour les Lumières, le principe c’est le débat, l’échange d’arguments, mais que quand il y a « des discours de haine, des provocations, qui attisent trop les passions, qui sortent du cadre de la raison, ils peuvent et doivent être interdits ». Comme nous, Léa Salamé n’est pas certaine d’avoir compris et revient à la charge : que dire précisément à propos de ce colloque d’une pédopsychiatre annulé par la mairie de Paris. « On est du côté des excès de certains activistes et bien sûr je le condamne, répond d’abord l’historien. Mais, ajoute-il dans la foulée, on a trop tendance à se focaliser sur ces formes-là de censure, faut pas oublier qu’aujourd’hui les menaces les plus graves qui pèsent sur la liberté d’expression viennent plutôt de la droite radicale ». Plouf ! Stupéfié par la hardiesse de cette affirmation, je laisse tomber ma tartine dans mon café. « Par exemple, continue Antoine Lilti, aux États-Unis, qui nous a envoyé cette notion de « cancel culture », les menaces les plus graves viennent de la droite américaine ». Replouf ! Quel est le rapport entre les censures opérées dans les universités par l’extrême gauche française et la droite américaine ? Il n’y en a pas, bien sûr – le syntagme « droite radicale » (américaine, suédoise ou martienne, peu importe) ne sert ici qu’à escamoter le débat sur les exactions des gauchistes français. Lilti ne se contente pas de noyer le poisson, il strangule la baleine : « Il ne faut pas mettre sur le même plan des excès de groupes militants qui empêchent une conférence de se tenir et le fait qu’un peu partout dans le monde des minorités LGBT sont persécutées et censurées ». Plus c’est gros, plus ça passe. Les journalistes gobent la grossière démonstration et passent au sujet suivant, à savoir l’histoire de cette enseignante de Valenciennes qui voulait emmener ses étudiants visiter un camp de migrants, l’annulation de cette sortie scolaire par le rectorat, et les menaces de militants d’extrême droite qu’aurait reçues ce professeur. L’historien s’enflamme : « Ça, c’est absolument terrible, car s’il y a vraiment une chose qu’on peut dire, qui est un héritage des Lumières, c’est qu’il faut défendre et protéger les enseignants. […] On a quand même eu le cas de Samuel Paty, on sait ce que c’est qu’un enseignant qui est menacé par des groupes extérieurs, alors une fois c’est les islamistes, une fois c’est l’extrême droite, une autre fois ce sera un autre groupe ». Démonstration surréaliste qui nous informe que le djihadiste tchétchène qui a décapité Samuel Paty était un « groupe extérieur »; que l’extrême droite a menacé d’assassiner un professeur ; qu’un « autre groupe » (les Bouddhistes? Les Chauves? Les Basques? Les Roux?) s’apprêterait à faire de même. Antoine Lilti souffre de ce que les spécialistes appellent un strabisme intellectuel : il ne dit pas ce qu’il voit parce qu’il ne voit pas ce qu’il voit ; en d’autres termes, ses démonstrations amphigouriques et équivoques résultent d’une vision de la réalité déformée par l’idéologie gauchisante et wokiste qui gangrène actuellement les plus hauts lieux du savoir, de Sciences Po au Collège de France.

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À la fin de cet ébouriffant entretien, alors que Léa Salamé évoque Elon Musk, Antoine Lilti alerte sur le nouveau propriétaire de Twitter qui dit être un « défenseur absolutiste de la liberté d’expression ». En effet, argumente l’historien, rappelant au passage qu’il est un spécialiste du XVIIIe siècle, « le fait de mettre la liberté d’expression et l’absolutisme dans la même phrase, ça dit bien qu’on a un problème ». Antoine Lilti ne peut pas ignorer qu’Elon Musk n’a pas utilisé le mot « absolutiste » dans le sens péjoratif qu’il lui prête en faisant référence au pouvoir monarchique, mais, en bon américain libertarien qu’il est, dans le sens ironique et hyperbolique d’une possibilité offerte à tous les individus de pouvoir s’exprimer totalement et librement sur un réseau social dont on sait par ailleurs que les anciens administrateurs ne rechignaient pas à fermer les comptes de ceux qui ne pensent pas comme eux. Oui, mais voilà, si Antoine Lilti est pour la liberté d’expression, il est pour une liberté d’expression « régulée » et regrette que cette liberté d’expression à la Elon Musk permette « de faire un cadeau extraordinaire à ceux qui crient les plus forts, par exemple à Donald Trump ». Léa Salamé acquiesce avec énergie. Nous en sommes donc là : de bons esprits universitaires et médiatiques se font les apôtres d’une liberté d’expression étriquée et de plus en plus contrainte. Ils veulent des lois, plus de lois. Comme si nous en manquions. L’arsenal juridique français est une arme de destruction massive de la liberté d’expression. Comparé à l’immuable premier amendement de la Constitution américaine interdisant au Congrès d’adopter des lois limitant la liberté d’expression, notre article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen[1] paraît au contraire avoir préparé le lit dans lequel les censeurs médiatiques et les mauvais coucheurs législatifs occupent toute la place. Ce n’était sans doute pas le but recherché mais l’histoire est taquine et l’enfer pavé de bonnes intentions. Antoine Lilti le sait mieux que quiconque.

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Mais Antoine Lilti a été coopté par ses pairs pour devenir professeur au Collège de France et le Collège de France est devenu un Club, le haut-lieu de la gauche universitaire, progressiste, arrogante et supportant mal la contradiction. Sur France Inter, Patrick Boucheron, qui dirigea une Histoire mondiale de la France censée « neutraliser la question des origines » d’une France d’avant la France se dissolvant « dans les prémices d’une humanité métisse et migrante », regrettait, avec une moue méprisante, la « surexposition permanente de cette pensée », en l’occurence celle, « mélancolique », d’Alain Finkielkraut. L’historien Alain de Libera fut parmi les premiers et les plus virulents détracteurs de Sylvain Gougenheim [2] qui avait eu l’audace de relativiser l’apport d’un hypothétique « Islam des Lumières » supposé avoir transmis à l’Europe l’essentiel du savoir grec. Au micro de Guillaume Erner, Pierre Rosanvallon dit, et avec quelle morgue, pour quelle raison il ne débattrait jamais avec Alain Finkielkraut : « C’est un essayiste, mais pas vraiment un intellectuel ». Après l’assassinat de Samuel Paty, le démographe François Héran dénonça, dans une condescendante Lettre aux professeurs sur la liberté d’expression, « l’islamophobie », le « racisme structurel » et les « discriminations systémiques » en France, puis demanda aux professeurs, aux caricaturistes et aux Français en général d’en rabattre un peu avec cette fichue liberté d’expression et d’éviter d’être « offensants » envers l’islam et les musulmans. Résultat : de plus en plus de professeurs s’autocensurent, caricaturer Mahomet relève du suicide et les journalistes pèsent chacun de leurs mots quand il s’agit d’écrire un article sur des événements touchant de près ou de loin à l’islam. Les susnommés furent ou sont professeurs au Collège de France, tous adorateurs de la liberté d’expression, tous ardents défenseurs du combat d’idées, du débat public, du duel intellectuel – mais sous certaines conditions. Bienvenue au Club, Monsieur Lilti.


[1] « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

[2] Aristote au Mont Saint-Michel, Seuil, 2008.

La cause des hommes : quelle cause ?

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Adlan Mansri / Sipa

Que deviennent les hommes à l’heure où la révolution des moeurs – la révolution morale – souffle en tempête sur l’Occident ?


Le discrédit dont pâtissent les hommes sous les coups de boutoir de la révolution morale poursuit son inexorable chemin. Où cela conduit, personne ne le sait. Mais la violence gagne partout du terrain. Il y a urgence à réagir. Pas pour défendre la cause des hommes au sens d’un idéal à promouvoir, mais pour éclairer la situation furieusement dégradée qu’ils subissent en Occident. Car quel idéal masculin à défendre ? Si les femmes, contrairement à l’implicite postulat de MeToo, ne sont pas des anges, les hommes ne sont vraiment pas des petits saints. À eux la majorité des violences, justement, et en progression constante. Sans nous attarder sur le cas du malheureux Adrien Quatennens, écrasé sous le poids de la « vérité » assénée par son épouse en instance de divorce (elle le dit violent, donc, pour les louves de sa propre meute, il l’est sans l’ombre d’un doute, accusation fondée ou pas nous n’en savons rien), considérons par exemple les liens établis entre immigration et délinquance. Sauf pour les commentateurs affligés d’une cécité incurable, ces liens ne souffrent aucune contestation. Darmanin, spécialiste des constats prudents, l’a reconnu lui-même devant l’Assemblée nationale, le 2 novembre : « Une partie des étrangers dans les grandes métropoles commettent l’essentiel des actes de délinquance ». Cette réalité occulte cette autre réalité, tout aussi évidente, que la délinquance d’origine immigrée est, pour l’essentiel, le fait non des femmes, mais des hommes. Et secondairement non des hommes, mais des jeunes hommes, des « jeunes », ceux des quartiers « sensibles », c’est-à-dire explosifs, sans doute par opposition aux quartiers insensibles, c’est-à-dire calmes et pacifiques. Les euphémismes ont souvent le paradoxe risible. À ces jeunes hommes farouches s’ajoutent, nul ne l’ignore, les coups de folie des migrants illégaux et le vagabondage des mineurs isolés, cette bombe à retardement dont, en France, l’affaire de l’Ocean Viking a raccourci la mèche.

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Partons de là : les trublions des cités ont des circonstances atténuantes. Preuve en est non pas la mansuétude de la justice à leur égard, si fréquente soit-elle, mais le fait qu’il ne s’agit jamais de jeunes issus de la communauté asiatique, certes beaucoup moins nombreuse et nettement moins regroupée en territoires perdus. Il n’est pas absurde de penser que ces derniers sont mieux intégrés à la société française. Défendre la cause des hommes signifie, en ce cas, se pencher sur les raisons qui expliquent pourquoi les uns sèment à tout bout de champ le bruit et la fureur, et pourquoi pas les autres. On pourra alléguer mille raisons, l’éclatement des familles, l’effacement des pères, les carences de l’éducation, la valorisation traditionnelle des garçons, une moindre appétence aux études que les filles, l’amertume née du colonialisme, l’influence des prédicateurs islamistes, les facilités offertes par le trafic de drogue. Il y a pléthore de raisons, dont l’ensemble se traduit par une inadaptation massive aux compétences nécessaires au fonctionnement huilé de l’économie libérale, d’où les emplois bas de gamme réservés à ceux qui veulent s’en sortir. Étant admis, naturellement, que certains s’en sortent par le haut, rendant utile de connaître les ressorts de ce quasi-miracle, et d’autre part que les carrières flamboyantes ouvertes aux sportifs d’élite ne concernent par définition qu’une poignée des jeunes mâles désœuvrés.

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Aucune politique de la ville ne parvient à réduire cette tumeur devant laquelle l’État, colosse adipeux et en même temps anémié, cherche des remèdes toujours plus coûteux et toujours plus stériles. Le discours de répression en vigueur n’obtient que la morne répétition des impasses. Comment traiter la sauvagerie quand on procède à coups de menton et de discours lénifiants où le vivre-ensemble sert de totem dérisoire, tandis que les élus des municipalités soumises achètent l’électorat qui leur sert de marchepied ? Réponse : certainement pas en minant systématiquement la fierté que les jeunes mâles issus de l’immigration conservent de la prééminence légitimement attachée, selon eux, à leur virilité. Cette fierté, ils la conservent, mais sous la pire des formes, celle des violences qu’ils répandent et du pouvoir archaïque qu’ils imposent aux filles. Leur arrogance signe leur errance. Après les tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher en janvier 2015, Virginie Despentes, on s’en souvient, a loué l’héroïsme des tueurs, la fierté de « ceux qui venaient de s’acheter une kalachnikov au marché noir et avaient décidé, à leur façon, la seule qui leur soit accessible, de mourir debout plutôt que vivre à genoux. J’ai aimé aussi ceux-là qui ont fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur identité avant de viser au visage. J’ai aimé aussi leur désespoir ». Cet éloge abject, qui aurait dû conduire la pseudo-rebelle à observer un silence définitif et ses thuriféraires à se détourner d’elle à jamais, renfermait malgré tout une vérité sans laquelle aucun remède efficace ne sera apporté au marasme des cités. Question : la seule façon qui leur soit accessible, vraiment ? Mais si tel est le cas, le destin de ces jeunes hommes justifie leur désespoir. Sauf que ce n’est pas le cas, à moins que Despentes ne les juge trop dépourvus d’avenir et de cervelle pour être autre chose que des tueurs. Et donc, si ce n’est effectivement pas le cas, en quoi la France échoue-t-elle à éliminer la barbarie de ces meurtriers sans âme ni conscience, caricature sanglante de la violence des « quartiers » ? La cause des hommes, en la circonstance, consiste en l’indispensable examen d’une faille mortelle pour la République et en la recherche de solutions qui se gardent de les réduire à la part maudite de l’humanité.

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Le Proc aux Vraies Voix de Sud Radio

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Philippe Bilger, le 16/11/15 / PHOTO: IBO/SIPA / 00730943_000004

Chroniqueur de la rubrique « Le Réquisitoire du procureur » sur Sud Radio, Philippe Bilger, ancien magistrat, est tenu de porter un jugement sur une affaire d’actualité. Mais les autres chroniqueurs sont là pour lui apporter la contradiction et tant mieux! Car ce qui caractérise Sud Radio – comme d’ailleurs CNews – c’est justement cet esprit de contradiction.


Créée à l’initiative de Cécile de Ménibus et de Philippe David, animateurs des Vraies Voix (Sud Radio, de 17 h à 19 h tous les jours de la semaine), je tiens depuis la mi-septembre la rubrique « Le réquisitoire du procureur ». Je l’apprécie tout particulièrement parce qu’elle me permet, en totale liberté, de choisir une multitude de sujets, qu’ils soient personnels, judiciaires, politiques ou culturels, et de développer en très peu de temps un point de vue doucement ou intensément à charge.

Ce droit à la diversité m’offre notamment l’opportunité de donner une place considérable à ma subjectivité, à ses humeurs, ses hostilités ou ses répugnances et de quitter le champ habituel des thèmes médiatiques pour, parfois, aborder la richesse de l’intime.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’est pas si simple de choisir chaque jour un fait, une idée, un propos, une réaction, un déplaisir susceptibles de faire l’affaire pour le « proc » qu’on m’a demandé de redevenir !

Il arrive aussi que l’actualité soit si riche, si passionnante à divers titres que l’arbitrage à effectuer suscite mon embarras.

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Par exemple, pour la soirée du 8 décembre, j’ai hésité entre une première exécution en Iran, l’affaire en appel concernant notamment Nicolas Sarkozy et ses dénégations, la posture choquante de LFI préférant, au détriment de l’urgence du fond sur la réintégration des soignants non vaccinés, privilégier son opposition surjouée au RN, ce qui a contraint sa députée Caroline Fiat à retirer son texte…

Après réflexion, j’ai décidé de me consacrer à une quatrième actualité : le départ de Sciences Po d’une professeur de danse de salon, dénoncée et honnie parce qu’elle avait refusé de supprimer dans son cours la distinction entre les hommes et les femmes (Le Figaro).

Qu’on ne croie pas que le « réquisitoire du procureur » soit un exercice où aucune contradiction ne m’est apportée. On devine bien que face par exemple à Françoise Degois, Élisabeth Lévy ou Olivier Dartigolles, elle ne manque pas et a cette particularité d’être stimulante, d’imposer, en quelques occasions, un retour sur soi bénéfique, comme un doute sur la validité de ce qu’on venait à peine de déclarer.

Car ce n’est jamais la contradiction qui est dure à supporter – elle est indissociable de toute vie intellectuelle – mais, assez souvent, son caractère vain, dérisoire et pavlovien. Profonde, lucide, elle enrichit.

Je suis d’autant plus sensible à cette séquence rapide et solitaire qu’elle représente souvent un complément à ma présence sur CNews, deux fois avec Pascal Praud le lundi matin et le mardi soir et régulièrement à la Belle Equipe le vendredi avec Clélie Mathias.

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Je ne me lasse pas des joutes « judiciaires » avec le premier où, sans m’offenser, il me reproche une « haine » à l’encontre de Nicolas Sarkozy quand je lui impute une trop grande bienveillance fondée sur une méconnaissance, voire une ignorance de la réalité judiciaire ; la Justice étant, avec la Covid et l’équipe de France de foot, le domaine où chaque Français, après avoir été docteur et sélectionneur, se félicite, sans rien savoir, d’être juge contre les juges.

Je ne sais pas, à dire vrai, si mes échanges délicieusement aigres-doux avec ce talentueux et atypique animateur-chroniqueur sont sérieux ou relèvent d’une sorte de jeu où tous les deux nous nous enfermons dans une caricature qui nous amuse, en tout cas en matière de Justice.

On comprendra ainsi pourquoi, une à deux minutes « procureur » sur Sud Radio, je bénis cet instant où je peux libérer une parole laissée ensuite à la grâce des autres chroniqueurs, éventuellement contradicteurs.

Ce lien entre Sud Radio et CNews n’est pas artificiel : ils ne sont réunis que par cette petite chose qui s’appelle la liberté et le pluralisme (si on veut bien venir en profiter).

France – Maroc : la France a déjà gagné

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Walid Regragui au Media Center, Doha, le 13 décembre 2022 Rodolfo Buhrer/La Imagem/Fotoare/SIPA SIPAUSA30334543_000012

Avant même le coup de sifflet, ouvrant le début des hostilités sur le terrain mercredi prochain, la France a gagné.


Dans la vie, il y a deux manières de voir les choses : le verre à moitié plein ou bien à moitié vide. De même pour le match à venir entre la France et le Maroc, soit on en reste aux émeutes, soit on lève les yeux vers la véritable réussite française qu’est Walid Regragui, le sélectionneur marocain et l’architecte de l’exploit historique des « Lions de l’Atlas ».

Au sujet des émeutes, tout a été dit et rien en même temps. Une minorité de voyous va casser Paris pour démontrer aux Français qu’ils sont un peuple dominé et que la France est un pays colonisé par les Vandales. Selon l’affiche du jour, ces Vandales peuvent arborer le drapeau marocain, algérien, tunisien ou turc. Cette fois-ci, la tristesse de voir Paris razziée sera mitigée par le véritable score du match et qui consiste dans la victoire de la France, la victoire la plus belle et durable qui soit : l’entraîneur est Français, un pur fruit de l’école française du football et surtout une belle réussite de l’assimilation véritable, celle qui fabrique des hommes valables, des grands messieurs, des références dignes d’admiration. Wali Regragui est né dans l’Essonne, il est citoyen français, il a fait sa carrière de joueur en France avant de s’expatrier au Maroc en tant qu’entraîneur. L’avez-vous entendu parler ? Il s’exprime dans une logique parfaite et dans un style efficace et direct. Walid Regragui est probablement la seule personne préoccupée par l’efficacité (c’est-à-dire par le résultat) dans la salle de presse lors de l’après-match : les journalistes marocains lui parlent de style de jeu (donc de futilité) et lui répond résultat. Il est cartésien, et cela c’est l’empreinte de la France, pas du Maroc ni du Moyen-Orient.

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Qu’il s’appelle Walid ou Jean-Pierre ne veut rien dire ! Il est Français par ses neurones et son état esprit. Qu’il se dise passionné par le Maroc n’enlève rien à son identité « cérébrale » : il applique son esprit logique Made in France à la cause du football marocain. Il est la méritocratie incarnée, la méritocratie appliquée au football d’un pays arabe et musulman, rongé par le népotisme et par le manque de sérieux.

D’ailleurs, Walid Regragui aurait été « impossible » au Maroc, car chez moi la méritocratie passe au second plan derrière la «recommandation». Au Maroc, trop souvent, prévaut le « qui t’a recommandé ? » et non le « qu’as-tu obtenu comme résultat dans tes précédents postes ? »

Ainsi, si j’étais Français, je serais fier en cette veille de match. La France joue contre la France. Le match est gagné.

Il faut espérer que les leaders politiques des deux rives voient clair dans ce qui se joue sur la pelouse mercredi soir. Au-delà de la compétition, deux versions de la France disputeront la demi-finale de la Coupe du Monde. Victoire de la mission civilisatrice de la France qui a su former un être humain aussi admirable que l’entraîneur de l’équipe marocaine.

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Une fois la Coupe du Monde terminée, tout leader, réellement préoccupé par les intérêts supérieurs du Maroc, aura l’obligation de dénicher les centaines de Walid Regragui que la France a formées, et qui sont prêts à réconcilier l’hôpital marocain avec la santé, l’école marocaine avec l’enseignement, l’entreprise marocaine avec l’innovation, l’agriculture marocaine avec la productivité, le tourisme marocain avec le sérieux, et la liste est longue.

Merci la France ! Au Maroc de jouer maintenant !

Je suis sûr que Lyautey aurait pleuré des larmes de joie devant une aussi belle symbiose entre les peuples, une si belle fécondation du Maroc par la France. Et j’espère que demain le Maroc, avec ses qualités propres, fécondera à son tour la France pour soigner sa dépression morale et psychique.

L’homopoutinus

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OLIVIER DOULIERY / AFP

Le Parlement russe souhaite interdire tout ce qu’il considère comme de la propagande en faveur l’homosexualité et la transidentité pour les mineurs. Cela va jusqu’aux dessins animés.


La « loi sur la propagande gay » a été votée par la Russie en juin 2013. Ratifiée par le président Vladimir Poutine, elle vise à « protéger les enfants contre les informations qui favorisent le déni des valeurs traditionnelles de la famille ». En octobre, à l’unanimité, le Parlement a décidé de renforcer son arsenal judiciaire contre toute promotion de l’homosexualité. Si le dirigeant russe signe ce second amendement, il sera désormais interdit de faire la promotion de la transidentité aux enfants mineurs. Le gouvernement pourra bloquer sur internet tout contenu traitant de sujets LGBT et interdire les films montrant des représentations positives de l’homosexualité, y compris des dessins animés tels que Peppa Pig (dans un épisode, l’ours polaire Penny apparaît aux côtés de ses deux mères) ou South Park. Les étrangers suspectés de militantisme LGBT pourront être arrêtés, condamnés à une forte amende et expulsés de Russie. Récemment, lors du discours où il se félicitait du rattachement des quatre provinces ukrainiennes à la mère patrie, le président Vladimir Poutine a dénoncé « ces familles avec un parent numéro un et un parent numéro deux », considérées comme le symbole de la décadence européenne par une majorité de Russes. Une rhétorique également reprise par le patriarche orthodoxe Kirill qui a souvent dépeint la guerre russo-ukrainienne comme « une bataille entre ceux qui soutiennent ces Occidentaux autorisant des gay prides et ceux qui les rejettent catégoriquement ». Les associations LGBT ont dénoncé une volonté évidente de la Douma de criminaliser les relations sexuelles entre adultes de même sexe. 

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Joe Biden réalise le pire échange de prisonniers américano-russes de l’histoire

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Joe Biden sur un vélo pour enfant, lors d'un évènement organisé par le corps de la Marine, le 12 Décembre 2022. UPI/Newscom/SIPA SIPAUSA31609930_000006

Des Américains détenus par les Russes, fallait-il libérer Paul Whelan, ancien Marine accusé d’espionnage, ou Brittney Griner, une basketteuse et militante anti-raciste arrêtée à cause de l’huile de cannabis qu’elle transportait ? Tribune de Paul Reen, membre du Parti républicain.


Le jeudi 8 décembre, Joe Biden a fièrement annoncé dans le Bureau ovale que la basketteuse professionnelle Brittney Griner avait été libérée après neuf mois de captivité en Russie. Accompagné d’une Kamala Harris aux anges, Joe Biden a serré la femme de Brittney dans ses bras devant les caméras. Curieuse coïncidence, le même jour, la Chambre des représentants démocrate célébrait l’adoption d’un projet de loi visant à protéger le mariage homosexuel, alors que celui-ci est déjà légal dans les 50 États. Le théâtre politique de l’administration Biden est sans fin.

Laissons de côté le théâtre politique, l’Amérique était vraiment heureuse pour Brittney, qui a bêtement essayé d’entrer en Russie avec de l’huile de cannabis mais a été retenue dans les prisons russes pendant trop longtemps. Elle aurait dû être libérée bien plus tôt. C’est ce que tout le monde pensait jusqu’à ce que l’Amérique apprenne les détails de la libération. La plupart des gens savent maintenant que Brittney faisait partie d’un échange de prisonniers. Un échange qui a libéré le prisonnier russe le plus notoire, le plus dangereux et le plus important pour Poutine, le « marchand de mort », Victor Bout. Il a ensuite été révélé que Biden avait cherché à libérer un deuxième Américain en échange de Bout, un vétéran décoré des Marines, Paul Whelan, qui est emprisonné à tort en Russie depuis près de quatre ans. Mais Poutine a refusé, alors Biden a cédé et a quand même libéré Bout, laissant le Marine derrière les lignes ennemies. Le plus célèbre marchand d’armes russe, coupable d’avoir vendu des armes à des terroristes pour tuer des Américains, est échangé contre une athlète féminine transportant de l’huile de cannabis pour son usage personnel. Incroyables négociations, monsieur Biden !

Qui est Viktor Bout ? Selon le New York Times, Viktor Bout est accusé d’avoir vendu des armes russes à Al-Qaïda, aux Talibans et à des militants au Rwanda, et d’avoir bafoué les embargos sur les armes en Sierra Leone, en République démocratique du Congo et en Algérie, où il a vendu des armes aux forces gouvernementales et aux rebelles qui les combattaient. Ses actions diaboliques ont servi d’inspiration au film Lord of War (2005), avec Nicolas Cage. Il a été capturé en 2011 et condamné à 25 ans de prison pour conspiration de meurtre d’Américains, entre autres charges. Des experts russes ont déclaré qu’il appartenait au service de renseignement militaire russe G.R.U., ou du moins qu’il travaillait en étroite collaboration avec lui. Les experts affirment également qu’il s’agissait du Russe le plus en vue détenu par les États-Unis et du prisonnier sur lequel la Russie avait exercé le plus de pressions pour qu’il soit rapatrié. Il a maintenant été libéré après avoir purgé moins de la moitié de sa peine.

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Paul Whelan a servi dans la réserve du corps des Marines de 1994 à 2008. Au cours de son service dans les Marines, il a effectué deux déploiements en Irak et a atteint le grade de sergent-chef. Whelan a été arrêté par la Russie dans un hôtel de Moscou en 2018. La Russie a affirmé qu’il menait « une opération d’espionnage », ce qui a conduit à son arrestation. Le frère de Whelan, David, a déclaré que Whelan était à Moscou pour le mariage d’un copain Marine. Il a été condamné à 16 ans de prison. C’est la deuxième fois que Whelan est laissé pour compte cette année. En avril, il y a eu un échange de prisonniers entre les Etats-Unis et la Russie, mais un autre Marine américain, Trevor Reed, qui n’a été emprisonné qu’en 2019, a été libéré à la place. Le frère de Paul, David, affirme également que Paul reste malgré tout confiant en sa libération et qu’il continue de chanter l’hymne national américain tous les matins. 

Brittney Griner est une militante sociale très active depuis 2020 dans les manifestations de Black Lives Matter contre la prétendue brutalité policière et l’injustice raciale. Elle a refusé de se lever pendant l’hymne national avant les matchs, restant plutôt dans le vestiaire. « Honnêtement, je ne pense pas que nous devrions jouer l’hymne national au cours de la saison », a déclaré Griner. « Je ne vais pas être sur le terrain pendant l’hymne national. Si la ligue veut continuer à le jouer, c’est bien. Je ne serai pas sur le terrain pendant toute la saison ».

Les réactions de Biden et d’autres responsables se sont révélées très décevantes pour tous ceux qui cherchaient une justification logique à cet échange de prisonniers :

Joe Biden : Biden a été interrogé jeudi, après un discours sans rapport avec l’affaire, sur ce qu’il dirait à la famille de Whelan. Sa réponse a été évasive, et son équipe l’a rapidement éloigné des caméras et des journalistes qui l’interrogeaient.

John Kirby, Coordinateur des communications stratégiques du Conseil de sécurité nationale : lorsqu’il a été pressé sur la situation jeudi, il a insisté sur le fait que les négociations pour Whelan étaient toujours en cours, ce qui ressemblait à une réponse pré-approuvée de la Maison Blanche.

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Karine Jean-Pierre, secrétaire de presse de la Maison Blanche : Bien que le média ABC ait rapporté que Griner et Whelan avaient tous les deux été proposés comme options pour Viktor Bout, Karine Jean-Pierre a tergiversé : « Il ne s’agissait pas pour nous de choisir quel Américain ramener à la maison. C’était un choix entre ramener un Américain ou aucun ». Et d’ajouter : « Brittney Griner est une inspiration pour les Américains LGBTQI+ et les femmes de couleur ».

Randi Weingarten, chef de la Fédération américaine des enseignants : Elle s’est exclamée sur Twitter : « Quel grand soulagement !!! Une nouvelle extraordinaire, une star du basket, mais aussi une femme noire et gay est libérée ». Elle a ajouté : « Et oui, bien sûr, nous voulons que d’autres prisonniers comme Paul Whelan soient libérés ».

Pendant ce temps, la télévision d’État russe se moque de la faiblesse de Biden pour avoir choisi une athlète plutôt qu’un Marine et à rire de ce que cela dit des priorités des Américains. Poutine et les autres adversaires des États-Unis y verront encore un signe de la faiblesse de Biden après le retrait d’Afghanistan. Se mettront-ils à kidnapper d’autres Américains comme monnaie d’échange ? Cela rappelle également les souvenirs d’un autre terrible échange de prisonniers sous Obama qui a libéré les fameux « Taliban Five », cinq des pires terroristes détenus à Guantanamo Bay, contre le sergent de l’armée américaine déserteur, Bowe Bergdahl, en 2014. Un modèle de faiblesse démocrate.

Pour Griner, espérons qu’elle apprécie un peu plus les États-Unis après avoir vu ce qu’est un vrai régime totalitaire. Pour Paul Whelan, prions pour qu’il conserve sa force et son patriotisme jusqu’à sa libération. La triste vérité est que la faiblesse de Biden menace la sécurité de l’Amérique et de tous les Américains vivant à l’étranger.

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« Emmanuel Macron agit en VRP de l’Union Européenne » : entretien avec Stéphane Rozès

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Emmanuel Macron, peut-être plus soucieux de plaire aux saintes institutions européennes qu'au peuple français, en pèlerinage au Parlement européen, Strasbourg, 19 janvier 2022. / Bertrand GUAY/POOL/AFP

Dans son nouveau livre, Chaos, Stéphane Rozès analyse les causes de la défiance des peuples envers leurs élites et celles de la montée des extrêmes. Loin de défendre des intérêts nationaux, les technocrates qui nous gouvernent légitiment des décisions prises ailleurs et par d’autres, et bafouent l’idéal démocratique dont ils se réclament.


Causeur. Le titre de votre nouveau livre, Chaos, a de quoi inquiéter venant d’un observateur averti tel que vous, ancien sondeur et conseiller de présidents. Alors qu’on nous a vendu pendant des décennies la mondialisation comme un facteur de paix et l’Europe comme l’avenir des nations, la construction européenne ne fait plus rêver et la mondialisation fait revenir la guerre sur le devant de la scène. Pourquoi ?

Stéphane Rozès. Nos dirigeants ont simplement oublié l’essentiel et ont cru pouvoir substituer au politique et à ses aléas l’économique et ses process maîtrisés. Ils ont juste oublié que ce sont les peuples qui font l’histoire. Les communautés humaines ne sont pas mues fondamentalement par la prospérité, mais par la volonté de maîtriser collectivement leur destin. Chacune d’entre elles a une façon singulière d’être au monde, de penser et de faire. Chaque peuple est habité par un imaginaire commun qui lui permet de s’approprier le réel au travers de représentations, de symboles, d’institutions. Cela lui permet d’intégrer les changements. D’où le sous-titre de mon livre « Essai sur l’imaginaire des peuples ». C’est cet imaginaire, fonctionnant comme un véritable creuset culturel, qui crée le commun et le génie particulier de chaque peuple. C’est lui qui fait tenir ensemble les hommes.

Est-ce que ce sont les atteintes à ces imaginaires qui engendrent le chaos identitaire que nous connaissons ?

Pour moi, l’existence d’une civilisation s’explique par une forme de cohérence entre l’imaginaire des peuples et la façon dont ceux-ci participent à la marche du monde. En revanche, si on constate une déconnexion, si les peuples ont le sentiment de ne plus avoir de choix, ils sont alors rattrapés par des archaïsmes anthropologiques où l’on se rassure sur ce que l’on est en s’affrontant à l’autre. L’interdépendance entre les peuples, que les fondateurs de l’Union européenne voyaient comme une garantie de la paix, ne suffit pas à éviter la violence et la guerre, si ces peuples ont le sentiment d’être dépossédés de toute prise sur leur avenir.

Comment décririez-vous l’imaginaire français ?

Notre pays a toujours été un archipel. Nous sommes un cul-de-sac du continent européen, une queue de comète de fins d’invasions diverses (Celtes, Latins, Germains…). Néanmoins, la France a été un pays où l’on se sédentarise. Pour faire tenir un territoire aux populations disparates, le pays a très vite eu une relation transcendante au pouvoir. C’est la verticalité du politique qui a fait office de structure partagée. D’où le fait qu’en France, le président de la République ne peut être normal, car il est censé incarner le pays et pas en être le simple gestionnaire et administrateur en chef. Cette exigence de dépassement pèse aussi sur le peuple. Ainsi le citoyen français n’est pas l’expression de ses intérêts ou de ses origines. C’est au contraire sa capacité à se détacher de ses singularités initiales qui lui confère l’accès réel à la citoyenneté. Voilà pourquoi, en France, la passion politique est centrale. Pour définir la direction dans laquelle nous devons aller ensemble, il faut articuler deux priorités : la dénaturalisation de nos origines et le dépassement par la projection. Sans l’un, on ne peut avoir l’autre. La place de chacun est donc garantie symboliquement par sa capacité à se projeter dans l’avenir. Voilà pourquoi la réduction de la politique à une adaptation à la globalisation imposée de l’extérieur est particulièrement destructrice chez nous et explique que nous sommes le peuple le plus déprimé d’Europe alors que nous sommes, socialement, les mieux protégés.

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Comment vous en êtes-vous rendu compte ?

En travaillant sur des sujets très prosaïques. Par exemple, des questionnements sur le management peuvent faire remonter des constantes très fortes que l’on retrouve en politique. Je me souviens de clients anglo-saxons qui ne comprenaient pas pourquoi, alors que personne ne contestait les protocoles qu’ils proposaient, les changements ne se mettaient pas en place. Les enquêtes montrent qu’en France, pour s’attaquer à la question du « comment », il faut avoir convaincu les Français du but à atteindre. Si on ne répond pas au « pourquoi » », le « comment » ne mobilise pas ou est vu comme une atteinte au professionnalisme.

Pourquoi voyez-vous dans le néolibéralisme qu’incarne aujourd’hui l’Union européenne le principal facteur de la montée des nationalismes et du populisme ?

La montée des extrêmes qui se constate presque partout en Europe résulte d’une promesse brisée, celle du libéralisme qui associait le politique et l’économique, la souveraineté démocratique et le marché. Or le néolibéralisme actuel veut contourner et dépasser les souverainetés nationales. Pour cela il possède une arme redoutable : la déterritorialisation (de la monnaie et des zones de production) et la mise en place d’institutions transnationales éloignées de la souveraineté des peuples et échappant à leur contrôle. Dans une note datant de 1975, « The Crisis of the Democracy », Samuel Huntington, Michel Crozier et Joji Watanuki  font le constat que les sociétés occidentales n’ont plus les moyens de répondre à l’explosion des droits-créances que génère le développement d’une population occidentale de plus en plus individualiste et hédoniste, alors même que les conditions qui ont fait sa prospérité sont en crise (crise pétrolière). Comme ces penseurs sont très attachés au fait que la décision politique doit rester rationnelle, ils ne comptent plus sur le lien avec le peuple pour y parvenir, mais sur le détachement de ce lien. Ils suggèrent donc d’aider les démocraties à externaliser la décision politique au niveau d’organisations supranationales hors de portée des citoyens. C’est l’illusion techniciste qui fait croire que la raison étant une, elle suffit à définir le bon gouvernement des hommes. Le technicien sait ce qui est bon, et plutôt que de perdre son temps à en convaincre les citoyens, autant faire en sorte que la décision leur échappe pour leur plus grand bien. Cette vision est la matrice de ce qu’est devenue l’Union européenne.

Cela explique-t-il les réticences des peuples vis-à-vis de l’Europe ?

En refusant d’accepter le vote contre le traité constitutionnel de 2005, l’Union européenne et les élites des pays concernés ont permis aux technocrates de remporter la victoire face à la souveraineté des peuples. Elles ont fragilisé la démocratie, alors qu’elles la fétichisent en tant que valeur. En faisant du cadre européen non pas un espace de coopération et de puissance, mais un espace libéral régi par le seul discours de l’adaptation à la globalisation, les élites européennes ont délégitimé la politique comme exercice de la volonté humaine. Le seul choix que pose le néolibéralisme c’est : soit renoncer à ce que l’on est, soit n’avoir d’autre perspective que la survie. Les élites sont désormais des communicants chargés de nous faire avaler la potion amère d’un cours des choses qui nous dépasse. Or, quand tout devient contingent, aléatoire, incontrôlable, et que le pouvoir est lié à la satisfaction des exigences d’une mondialisation qui paraît n’avoir d’autre horizon que le profit et la cupidité, c’est la violence archaïque qui ressurgit.

Comment cette nécessité de volontarisme politique se traduit-elle dans la société française ?

La France doit vouloir faire nation pour en rester une, car elle est originairement multiple. Notre passé n’est pas un verrou suffisant pour nous faire tenir ensemble. C’est là la grande erreur d’Éric Zemmour face à Marine Le Pen. L’un postule que notre malheur s’explique par des raisons identitaires et civilisationnelles alors que l’autre estime que notre malheur a des raisons politiques en lien avec la question de la souveraineté. Pour le premier, notre crise vient de notre éloignement du passé, pour la seconde, de notre panne d’avenir. Or la référence au passé n’est pas notre moteur, notre moteur c’est notre projet, le fait de vouloir construire ensemble un futur. Voilà pourquoi le communautarisme, le multiculturalisme, le séparatisme politico-religieux sont insupportables aux Français. Cela explique notamment leur forte hostilité au port du voile, considéré instinctivement comme une exhibition politico-identitaire battant en brèche au processus de dénaturalisation des origines qui nous permet de faire du commun. Mais comme ce commun, en France, se fabrique dans la projection dans l’avenir, notre moteur est en panne. Au nom de quoi demander la dénaturalisation s’il n’y a plus de projet choisi et partagé ? Se met en place alors une concurrence mémorielle et victimaire où la place de chacun n’est plus gagée sur son apport à une construction et projection à venir, mais sur le remboursement d’une dette de la société envers des minorités. Celles-ci se livrent ensuite à des concurrences féroces où la violence est légitimée au nom des humiliations subies. Cela rend impossible l’intégration à la société française.

L’irruption et la force des populismes montrent donc un désir de politique de la part des peuples?

Si on est optimiste, on peut analyser la montée des droites nationales comme un élément de rééquilibrage interne permettant de revenir vers ce qui est le génie européen, une Europe des peuples et des nations. Si on est pessimiste, on peut interpréter l’accès de ces forces au pouvoir comme une illusion du retour à la maîtrise de leur destin par les peuples. Cette illusion annonce des réveils difficiles : ces mouvements seront amenés, dans le cadre européen actuel, à faire de telles concessions au néolibéralisme qu’ils corroboreront l’idée qu’il n’y a qu’un seul chemin possible.

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Si on vous suit, l’Europe est devenue le piège des démocraties…

En tout cas le mythe du couple franco-allemand en est un. Tant que les élites françaises considéreront qu’il faut d’abord respecter les traités et donner des gages à l’Allemagne pour obtenir une réorientation de l’UE, elles échoueront. La première élection d’Emmanuel Macron témoigne de cette impasse. Expliquer à Angela Merkel qu’on a sauvé la France de l’élection de Marine Le Pen pour espérer d’elle une renégociation de certains traités était d’une grande naïveté. Avant son élection de 2017, Emmanuel Macron avait laissé entendre qu’il pourrait incarner une France qui défend sa souveraineté au sein des instances bruxelloises, mais une fois élu, il a agi en VRP de l’Union européenne et a échoué à incarner l’intérêt général du pays. Il ne suffit pas que les peuples portent au pouvoir des gouvernants qui mettent en scène la volonté de les défendre et de les protéger, encore faut-il que ces gouvernants puissent disposer des leviers de l’action. S’ils ne font que légitimer des décisions technocratiques prises ailleurs, ils perdent leur propre légitimité et abîment l’idéal démocratique.

Pouvez-vous préciser ce point ?

La légitimité du pouvoir trouve sa source dans la souveraineté populaire. C’est le transfert de la part de souveraineté de chacun à des représentants élus qui donne à ces derniers la légitimité à agir et à légiférer. Or le contournement de la souveraineté nationale par le transfert de la décision dans des instances supranationales détruit la souveraineté populaire et donc la source de légitimité de tout pouvoir. La structure européenne n’a pas de légitimité propre. Il n’existe pas de peuple européen constitué. En détruisant la source de légitimité des différents pays, c’est à elle-même qu’elle s’attaque à terme. Le problème c’est que loin d’en prendre conscience, l’Europe s’enfonce dans une fuite en avant en proposant le vote à majorité simple dans ses instances[1]. C’est un ultime coup de force visant à éloigner la décision politique de peuples vus par leurs dirigeants comme trop déraisonnables pour décider de leur destin.

Stéphane Rozès, Chaos : essai sur l’imaginaire des peuples, Le Cerf, 2022.


[1]Jusqu’à présent, seules les décisions votées à l’unanimité sont adoptées au Conseil européen. Ce système pourrait changer avec la majorité simple : 14 voix favorables sur 27 suffiraient à l’adoption d’un texte.


Ukraine : la guerre de précision

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Missile 3M-54 Kalibr, le 3 janvier 2010 Auteur: Allocer Creative commons WIkipedia https://commons.wikimedia.org/wiki/File:3M-54E1.jpg

Parmi les mauvaises surprise que la guerre contre l’Ukraine a réservées aux Russes, il y a celle du peu de précision et de fiabilité de leurs missiles. Cela n’a pas échappé aux pays qui achètent des armements russes.


Que se passe-t-il avec la Russie ?  Pourquoi ses forces armées utilisent-elles autant de missiles sol-air contre des cibles terrestres ? La réponse est simple : la Russie souffre d’une crise importante dans le domaine des munitions de précision. Un premier groupe d’engins de ce type comprend des munitions lancées par avions de chasse et guidées vers leur cible par l’avion lanceur, par drone ou commandos qui « illuminent » la cible avec une source laser par exemple. On peut ainsi utiliser des bombes aériennes standardisées (250/500/1000 kg) sur lesquelles on installe un « kit » comprenant tête de guidage et ailerons, transformant une bombe « stupide » en bombe « intelligente » pour pas trop cher. Le problème est que pour cela, il faut bénéficier d’une maitrise des airs, ce qui n’est pas le cas de la VKS, l’armée de l’air et de l’espace de la Russie. La deuxième option est les engins tirés de loin.

Depuis les années 1980-1990, la précision des missiles et autre munitions est l’alpha et l’oméga de la guerre. La capacité de frapper l’infrastructure ennemie loin derrière les lignes de front remplace la nécessité d’envoyer des forces terrestres pénétrer les défenses ennemies pour atteindre ces mêmes cibles. Si ce principe n’est pas neuf – il a été établi déjà pendant les années 1920 quand l’avion bombardier était mis au point – les munitions de précision permettent de le faire sans engager des plateformes pilotées par l’homme et surtout avec très peu de munitions !  Quand on parle de précision, de quoi parlons-nous ?  La précision des armements est mesurée en ECP (erreur circulaire probable), c’est-à-dire le rayon du cercle à l’intérieur duquel explosent X% des projectiles lancés (un missile sol-sol, air-sol, ou mer-sol ou même artillerie). Normalement quand la valeur n’est pas mentionnée, il s’agit d’ECP à 50 %. Ainsi, par exemple, si l’ECP est de 10 mètres, cela signifie que l’erreur entre la cible et l’impact de la munition est inférieure à 10 mètres dans 50 % des cas. Un bombardier américain de la Seconde Guerre mondiale avait en moyen un CEP de plus de 300 mètres, tandis que le Tomahawk (missile de croisière américain opérationnelle depuis 1983) a un CEP de 10 mètres ! Avec une charge explosive de plus de 400 kg on voit immédiatement l’économie  réalisée en passant d’un « tapis de bombes » lancé par plusieurs B-17 et une petite rafale de Tomahawk. Même au prix de plus d’un million de dollars l’unité, c’est une excellente affaire.

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La deuxième famille regroupe les missiles de croisière lancés à partir de plateformes maritimes (navires et sous-marins), dont le plus connu est le 3M-54 Kalibr. Il s’agit d’un missile qui peut atteindre 2 000 km et plus encore. Il se dirige vers sa cible par un système de navigation inertielle (inertial navigation system, INS), une technique utilisant des capteurs d’accélération et de rotation afin de déterminer le mouvement absolu d’un objet mouvant (avion, missile, sous-marin) et donc, à partir d’un point de lancement connu, calcule l’éloignement de ce point et peut donc donner à chaque instant le lieu exact de l’objet.  C’est un système moins précis car il ne permet pas de corrections et l’erreur initiale entraine un écart avec la cible en proportion de la distance (plus la cible est loin, plus les petites erreurs entrainent un gros écart au moment de l’impact). Dans ce cas concret, cela donne un ECP de quelques 50 mètres. Cette précision est suffisante lorsqu’il s’agit d’une cible comme un dépôt de carburant, une centrale électrique ou une concentration militaire importante d’hommes et de matériel.

La troisième famille est la plus connue : les missiles sol-sol issus du Scud. Le plus performant est l’Iskandar K720 qui peut toucher une cible à 500 km avec ECP de 5 (!) mètres. Cette famille est différentes des deux précédentes car il s’agit de missiles à trajectoire balistique et non pas de croisière : ils sont lancés vers le ciel et suivent une trajectoire montante puis descendante vers la cible (comme un ballon de basket lancé vers le panier). Cette trajectoire leur donne une vitesse vertigineuse dans la phase descendante et donc une énergie cinétique importante  pour compléter la puissance destructrice de leur charge explosive.

Le problème est que tout cela est vrai en théorie. Mais, dans la réalité, ces systèmes d’armement russes fonctionnent très mal.  Les Ukrainiens arrivent à abattre une grande partie des missiles de croisière, et plus généralement une partie importante des missiles subissent des pannes : lancement avorté, sortie de trajectoire et charges explosives qui n’explosent pas à l’impact. Ainsi, pour réussir à délivrer 1kg d’explosif sur une cible, il faut lancer encore plus d’engins que ne l’exige la simple ECP théorique calculée à l’usine. Cet échec à lui seul nous apprend beaucoup sur les Russes. Tout d’abord, quant aux talents de leurs scientifiques et ingénieurs qui conçoivent des systèmes ingénieux avec beaucoup moins de moyens que leurs collègues américains ou européens. Mais pour le reste c’est moins glorieux. Et à Moscou ils auraient pu s’en douter bien avant le lancement de l’offensive, le 24 février 2022.

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L’anecdote est croustillante. Dans un entretien donné en février 2021 par Serge Sarkissian, ancien président de l’Arménie, cet opposant notoire de l’actuel premier ministre, Nikol Pashinian, s’est interrogé, commentant la défaite militaire contre l’Azerbaïdjan : pourquoi  les forces arméniennes n’avaient pas utilisé leurs missiles balistiques Iskander de fabrication russe ? Et puisqu’il a plus ou moins insinué que Pashinian aurait souhaité la victoire de Bakou, celui-ci lui a répondu que la raison était… le manque de fiabilité des Iskander, n’ayant « explosé que dans 10% des cas ».  À cet échange s’est invité le général Tigran Khatchatrian, chef d’état-major adjoint des forces arméniennes. Pour ce très haut gradé, les propos du Premier ministre étaient « ridicules » et risquaient même d’agacer les Russes. Pour toute réponse Pashinian a limogé le général insolent provoquant une crise politique : Cedant arma togae (les militaires doivent céder aux civils) !

À Moscou, la remise en cause des missiles Iskander n’est pas passée… Ainsi, le ministère russe de la Défense a fait une mise au point déclarant avoir « pris connaissance, avec étonnement, de la déclaration du Premier ministre Nikol Pachinian ». « D’après les informations objectives et fiables, expliquaient les Russes, aucun des missiles de ce type n’a été utilisé pendant le conflit du Haut-Karabakh ». Une affirmation rapidement contredite par des déclarations des militaires arméniens dont le général Hakobyan, contrôleur général des forces armées de son pays. En outre, au moins un tir du missile russe par les forces arméniennes a été documenté par des sources ouvertes. Et c’est ainsi qu’une alerte sérieuse a été ignorée sans qu’aucun contre-pouvoir (medias, Douma) ne puisse mettre son nez dedans.

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Et si on va un peu plus loin, on apprend que les Russes ne savent pas mettre en place de processus rigoureux de développement et de vérification de qualité. Autrement dit, leurs missiles n’ont pas été correctement développés et avaient été mal testés. Trop d’à peu près, trop de mensonges et de dissimilations sans parler de corruption. Tout cela ne se voit pas si les systèmes d’armement sont utilisés dans des « guerres » sans ennemi comme en Syrie. Mais quand, en face, se trouve un adversaire digne de ce nom, on ne peut plus raconter d’histoires. Ainsi, à la très longue série de surprises désagréables, les dirigeants russes ont dû ajouter celle de découvrir que leurs systèmes d’armes de précision sont moins précis et moins fiables que prévus. Et c’est pour cette raison qu’ils se trouvent aujourd’hui à tirer des S-300 anti-aériens et des KH22 anti-navires contre des centrales et des dépôts de carburants avec des dégâts collatéraux énormes pour la population civile.

Dans la guerre de précision, les Ukrainiens, soutenus par les Etats-Unis et l’OTAN, se révèlent bien supérieurs aux Russes dont la réponse pour le moment est de changer de terrain : faire en sorte que la qualité cède devant la quantité.

Sauf que cette stratégie a un prix et pas le moindre : les grands clients de leur industrie d’armement regardent et prennent des notes. Et les premiers résultats sont visibles : en 2022 les exportations russes d’armements vont atteindre le 11 milliards de dollars, 26% de moins qu’en 2021 et 40% de moins qu’en 2020.

Angleterre : mort et renouveau des centres-villes?

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Cheltenham / Adrian Pingstone, le 4 juin 2006 / domaine public / https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cheltenham.from.leckhampton.arp.jpg

Outre-Manche, on assiste au déclin, lent et apparemment inexorable, des centres-villes. Depuis 2010, tous les gouvernements britanniques cherchent des solutions pour remédier au problème, en vain. Mais l’espoir d’un renouveau n’est pas encore mort. Témoignage.


On dit que Napoléon a traité l’Angleterre de «nation de boutiquiers». Pourtant, aujourd’hui, les commerçants anglais ne sont plus suffisamment nombreux ou florissants pour maintenir la vitalité des centres-villes. Depuis 2010, les gouvernements britanniques successifs ont cherché des solutions pour « sauver les centres-villes », mais ces derniers, malgré tous les efforts de l’État, continuent de se désertifier.

Après avoir quitté l’Angleterre pour venir vivre en France en 2012, je suis récemment retourné pour la première fois depuis quatre ans dans ma ville, Cheltenham. Située entre Birmingham et Bristol au sud-ouest de l’Angleterre, comprenant 116 000 habitants principalement de la classe moyenne, cette ville a toujours connu une activité commerciale intense ainsi qu’un centre-ville particulièrement animé. Dotée de boutiques de luxe et de grandes chaînes côtoyant des petits commerces, des bars et des restaurants, cette ville ne me semblait pas un instant devoir un jour subir elle aussi pareille désertification.

Dans le grand centre commercial de Cheltenham, une boutique sur trois semblait avoir été fermée. Par ailleurs, la diversité des magasins avait laissé place à une série de magasins vendant des articles  d’occasion et à d’innombrables cafés presque vides. Même l’animation habituelle du soir n’avait plus cours ; on ne voyait plus grand monde sortant en groupe pour aller boire un verre.

Je me suis demandé ce qui s’était passé et ce que le gouvernement et la mairie faisaient pour améliorer la situation. Dans cette enquête j’ai pu interroger Tony Dale, adjoint au maire et responsable de l’économie et de la transformation au Cotswold District Council (autorité publique regroupant les petites villes autour de Cheltenham).

Plusieurs raisons expliquent ce phénomène au Royaume Uni, du reste accentué par les règles du confinement dues à l’épidémie de Covid. Tout d’abord, les « UK Business rates », équivalents aux cotisations foncières des entreprises en France, sont aujourd’hui calculés à 50% de la valeur locative, même si certaines remises sont accordées à quelques petits commerces. Et cet impôt, payé par l’entreprise installée ou par le propriétaire du bâtiment dans le cas où celui-ci est vide, est depuis des années le plus cher en Europe. Sans compter que le Royaume uni est toujours le pays européen le plus cher pour les espaces commerciaux.

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Du fait de ces deux effets conjugués, en février 2021, les dirigeants des grandes entreprises ont alerté le gouvernement sur le risque de l’accélération de la mort des centres villes, à moins qu’une réforme radicale du calcul de l’impôt ne soit envisagée. Car aujourd’hui, avec l’inflation à 10%, les charges fiscales des entreprises ne font que croître.

Cependant, une autre cause de ce phénomène tient au fait que les Britanniques sont les champions du monde de l’achat en ligne, à raison de plusieurs achats par semaine. En 2019, un sondage portant sur 4500 personnes et réalisé par Episerver (désormais Optimezely) montra que 38% des consommateurs au Royaume Uni commandent en ligne au moins une fois par semaine ; alors qu’aux États-Unis le pourcentage est de 26% et en Allemagne de 20%. Ce nouveau comportement a évidemment un effet négatif sur la fréquentation des magasins qui avait déjà baissé avec l’épidémie de Covid.

Par ailleurs, et selon Tony Dale, une autre raison éclaire la situation : certains grands commerces nationaux ont décidé de ne plus changer l’équipe de gestion en cas de bénéfice insuffisant ; dès lors, ces magasins sont systématiquement fermés. Sans compter que certains secteurs florissants, comme l’informatique ou la téléphonie mobile, sont désormais arrivés à saturation et que des magasins de ce type mettent eux aussi la clef sous la porte.

Conscient de ce phénomène des espaces vides dans les centres villes, en 2021, le gouvernement de Boris Johnson a modifié la réglementation concernant l’usage des bâtiments commerciaux des centres-villes. Selon Tony Dale qui, en tant que membre des Libéraux Démocrates, parti de centre gauche, est normalement opposé aux idées du gouvernement conservateur, « Le changement du système était nécessaire et je suis d’accord avec cette réforme ».

Historiquement considérés comme ayant un usage différent, les banques, les restaurants, les bureaux et les magasins sont dorénavant regroupés. Ce changement a permis aux propriétaires de louer des bâtiments à des entreprises affichant des activités différenciées sans avoir à en demander l’autorisation à la Mairie.

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D’autre part, il est maintenant plus aisé de changer l’usage d’un bâtiment et de le faire passer, par exemple, d’une activité commerciale à une fonction d’habitation. La conséquence de ce changement de réglementation est que ce ne sont plus les mairies qui sont désormais chargées de la cohérence ou de l’incohérence qui avait entraîné la fin de la diversité commerciale et le moindre afflux des visiteurs.

Tony Dale, qui se réjouit de ce que les jeunes professionnels puissent acheter dorénavant un appartement ou une maison a pu dire que Cheltenham fait face aux problèmes que les petites villes ont déjà subis et surmontés. Il a ajouté qu’il est par ailleurs normal que les charges locales soient importantes car le Royaume Uni est  doté d’un nombre important de règles liées à la sécurité et à la santé publique ; règles bénéfiques pour tous mais qui engendrent, évidemment, un coût non négligeable pour les entreprises. Il se satisfait également de ce que les espaces commerciaux quittés par les grandes entreprises aient laissé place à des petits magasins artisanaux qui vendent des produits spécialisés et de provenance locale.

Ainsi, selon lui, le rôle des mairies a changé. Ce n’est plus aux élus de décider quelle entreprise pourra ou ne pourra pas s’installer ici ou là. Désormais, ils se concentrent sur le conseil aux petits commerçants en leur indiquant comment ils peuvent augmenter leur présence en ligne, comment faire face au changement climatique et comment s’approvisionner en produits et matériaux de la région.

Grâce à la nouvelle réglementation et au nouveau rôle des mairies, la situation du centre-ville de Cheltenham, des agglomérations environnantes et d’autres villes similaires en Angleterre est en train de s’améliorer. Tony Dale a bon espoir que la vie y reprenne ses droits. Et que Napoléon aura de nouveau raison dans le jugement qu’il porte sur les Anglais !