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Pourquoi le Maroc a-t-il rappelé son ambassadeur?

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Le 19 janvier, le parlement européen adoptait une résolution intitulée «La situation des journalistes au Maroc, en particulier le cas d’Omar Radi». Cette résolution demande notamment au Maroc la remise en liberté provisoire de ce journaliste. Elle a pour double conséquence de questionner le rôle du parlement européen et de tendre un peu plus les relations entre la France et le Maroc, ce dernier ayant rappelé son ambassadeur auprès de la République française… Analyse.


Cofondateur du Desk, média marocain en ligne, Omar Radi est né en 1986 à Kénitra, près de Rabat. En 2021, alors accusé de viol et d’espionnage, il est condamné par son pays à six ans de prison ferme. Reconnu coupable de « viol et atteinte à la pudeur d’une femme avec violence » et « atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’État », sa peine fut confirmée en appel le 3 mars 2022. Le vote du parlement européen a été très mal reçu au Maroc et son parlement a immédiatement réagi lors de sa séance plénière du 23 janvier, dénonçant une campagne d’accusations « fallacieuses » et une ingérence dans son système judiciaire.

Afin de comprendre la portée de cette résolution, il convient de rappeler et de bien comprendre quelles sont les compétences du parlement européen. Ayant pour rôle de représenter les citoyens des pays membres de l’Union européenne, il dispose d’une triple compétence : législative, budgétaire et de contrôle de l’exécutif, c’est-à-dire de la Commission européenne. Il peut également émettre des résolutions, illustrant une position commune des députés européens et demandant souvent, sans aucune valeur contraignante, à ce que certaines mesures soient prises en conséquence. L’absence de valeur contraignante permet donc au parlement de s’adresser aussi bien aux États membres, qu’à une institution de l’Union ou à une organisation tierce, que ce soit un pays hors de l’UE ou une organisation « civile » etc.

Deux poids deux mesures

Juridiquement la résolution adoptée le 19 janvier n’a pas de valeur. Elle revêt en revanche une symbolique particulière. En effet, cet avis du parlement qui attaque sans faux semblant le Maroc a été adopté en même temps que d’autres résolutions portant sur des situations internationales bien plus préoccupantes comme les conséquences humanitaires du blocus dans le Haut-Karabakh, les crimes d’agression contre l’Ukraine ou encore les exécutions en Iran. Il s’agit là d’un message très osé : l’UE met au même niveau le système judiciaire chérifien que les exécutions iraniennes et d’autres situations dramatiques.

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Au Maroc, l’opinion a été touchée dans son ensemble et les réactions ont émané spontanément de toutes les catégories socio-politiques. Les médias locaux relatent une ingérence étrangère dans le système judiciaire local.  Il est également question d’arrogance et certains, sur les réseaux sociaux, évoquent une attitude « colonialiste » de la part de l’Europe. De même, il s’agirait de faire oublier le récent scandale de corruption Qatar/UE, en même temps qu’une concertation des adversaires du Maroc. La situation est perçue comme un « deux poids deux mesures ». La France est également la cible des articles de ces derniers jours. Les plus virulents affirment sa culpabilité, d’autres lui reprochent son ambiguïté. Il est notable qu’en France, cette actualité soit passée quasiment inaperçue jusqu’à présent, preuve d’un oubli des fondamentaux de nos relations internationales dans la sphère médiatique.

Une ingérence

Le parlement marocain, dans la même logique, reçoit avec beaucoup de « ressentiment cette recommandation qui a mis à mort la confiance entre les institutions législatives marocaines et européennes », qui risque de « nuire aux acquis accumulés au fil de décennies d’actions communes ».  Les mots sont forts et bien choisis, le Maroc menace presque l’Union européenne qui ne devrait pas avoir la vanité de penser qu’elle peut se priver d’un tel partenaire, notamment sur les plans économique, géopolitique et sécuritaire. Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) note lui une ingérence européenne et rappelle que les journalistes condamnés, et au premier rang desquels Omar Radi, le sont au regard du droit commun et qu’en aucun cas ils ne seraient des prisonniers d’opinion. Le CSPJ considère le texte du parlement européen comme « une atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire » et se targue d’une leçon de démocratie en expliquant ainsi à l’Union européenne que l’indépendance de la justice est une valeur fondamentale qu’elle ne devrait pas ignorer…

De même, l’économiste et enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences juridiques, Economiques et Sociales de Fès, Abderrazak Ek Hiri affirme que l’action du parlement européen « cible directement les avancées économiques et géopolitiques du Royaume du Maroc et ne fait qu’entacher [sa] crédibilité (…) et instaurer un climat tendu dans un environnement extrêmement complexe ».

Cette résolution aura donc fait grand bruit et ses conséquences concrètes se dessineront petit à petit pour la France comme pour l’Europe. Le parlement marocain a en effet affirmé « reconsidérer ses relations avec le parlement européen et de les soumettre à une évaluation globale ».

Une résolution pourtant non contraignante

Cette résolution, sans valeur contraignante, est éminemment politique. Il est étonnant qu’elle intervienne néanmoins dans un contexte où les relations du Maroc avec l’Union européenne tendent à se dégrader. En effet, depuis 2016 notamment, la Cour de justice de l’Union européenne est plusieurs fois sortie de ses compétences et a émis d’autres décisions mal reçues au Maroc dans des affaires d’accords commerciaux en matière d’agriculture et de pêche. Ces décisions, qui n’ont pas eu de conséquences sur la politique extérieure de l’UE qui est l’affaire de l’exécutif, ont d’ailleurs été vivement critiquées par des juristes internationaux, tant sur la forme que sur le fond. Le 19 janvier, le parlement européen s’est inscrit dans la même démarche. Depuis longtemps maintenant, il s’est octroyé une compétence de juge moral des situations internationales, au travers de ses résolutions.

La question qui doit être soulevée n’est pas tant celle des avis du parlement européen que celle de l’agenda politique de ses avis. Pourquoi, alors que la situation entre la France et le Maroc laissait espérer un renouveau après quelques années de brouilles, le groupe Renew (c’est-à-dire les eurodéputés du groupe de la majorité du président de la République française) a-t-il initié cette résolution, et, logiquement, voté pour ? Pourquoi la fermeture du média algérien Radio-M et l’emprisonnement de son directeur, le journaliste algérien Ihsane el Kadi en décembre dernier n’ont pas fait l’objet d’une résolution similaire?

C’est donc cet agenda politique qui questionne : pourquoi l’Union européenne et le groupe Renew s’attaquent-ils en ce moment au Maroc ? Les causes sont multiples et sans doute faut-il entendre ici la volonté européenne de donner des gages, dans un contexte énergétique tendu et avec une volonté d’établir une coopération au Sahel, au voisin algérien qui montre une hostilité de plus en plus virulente à l’égard du Royaume du Maroc.

L’Espagne tente d’apaiser la situation

L’Espagne est intervenue pour embellir quelque peu le tableau diplomatique, et rappelle ainsi la force et l’importance des relations bilatérales dans les relations entre les pays européens et le Maroc. L’Union européenne n’est pas seule détentrice de la politique extérieure des Etats membres. Le parti du Premier ministre, le Parti socialiste espagnol (PSOE), s’est prononcé contre cette résolution, tandis que l’eurodéputé PSOE Juan Fernando López Aguilar a confirmé cette position face caméra en demandant si les Espagnols accepteraient « de voir des interventions impitoyables contre l’Espagne et son Roi à l’étranger » et s’ils ne trouveraient « pas ça louche », soulignant que tout cela n’avait rien « d’anodin ».

A lire ensuite, Gil Mihaely: Séisme en Turquie: la corruption première cause de décès

La France a beau être traditionnellement une alliée, et historiquement très proche du Maroc, la situation diplomatique entre Rabat et Paris est au plus mal ces dernières années. Crise des visas, légèreté française à propos de la souveraineté du Maroc sur le Sahara marocain, réaction marocaine quant à l’accueil de ses ressortissants faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, etc. : la liste était déjà longue. Malgré cela, le Roi Mohammed VI et le président français avaient laissé entrevoir un espoir d’embellie à la fin de l’année 2022, et une visite officielle d’Emmanuel Macron devait marquer le début d’une nouvelle ère.

Malheureusement, la résolution européenne du 19 janvier vient à nouveau assombrir le tableau. Nul doute que l’initiative du Groupe Renew a bien été notée du côté des institutions chérifiennes.  Lors de la séance parlementaire du 23 janvier, Ahmed Touizi, membre du Parti Authenticité et Modernité (PAM), accuse un pays « que l’on croyait ami et partenaire sûr ». Il affirme que « l’odeur du gaz lui a fait perdre sa tête »… Difficile de ne pas y entendre que la France, qui s’est rapprochée d’Alger notamment pour son gaz, est responsable de cet incident européen.

Lors d’un point presse du 26 janvier, le ministère français de l’Europe et des Affaires Étrangères a tenu à calmer le jeu en déclarant être, vis-à-vis du Maroc, « dans un partenariat d’exception que nous entendons nourrir » et qui a vocation à s’étendre dans les deux décennies à venir. La position officielle du gouvernement semble donc vouloir se détacher des prérogatives du parlement européen, en insistant sur les relations bilatérales entre Paris et Rabat, la porte-parole du ministère évoquant une « amitié profonde ». La volonté était à l’apaisement, au « en même temps » cher à Emmanuel Macron.  Seulement, les amis de la France la jugent à ses actes plus qu’à ses déclarations, et les tentatives de Christophe Lecourtier, ambassadeur de France à Rabat, qui s’efforçait d’expliquer le 3 février dans le magazine marocain Tel Quel que « la résolution du parlement européen n’engage aucunement la France », resteront vaines. En effet, le Bulletin officiel marocain, d’une manière particulièrement sobre et singulière, mentionne à sa dernière page que « suite aux instructions royales, il a été décidé de mettre fin à la mission de M. Mohammed Benchaâboun en tant qu’ambassadeur de Sa Majesté auprès de la République française, et ce, à compter du 19 janvier 2023 ». La date ne trompe pas : il s’agit là bel et bien d’une réponse au vote du parlement européen – qui a eu lieu ce même jour. Vote dont le Maroc tient la France pour responsable, d’autant que le Roi Mohammed VI a pris le soin de ne pas désigner de remplaçant.

Marine Le Pen au centre de l’arc républicain?

Aurore Bergé (Renaissance) se trompe: même s’ils y mettent beaucoup du leur, il n’y a pas que les députés LFI pour dérouler le tapis rouge au parti de Marine Le Pen. L’analyse de Philippe Bilger.


Est-il nécessaire de se pencher chaque jour sur les débats de l’Assemblée nationale alors qu’ils ne cessent de démontrer à quel point l’infantilisme mêlé d’idéologie – le pire mélange – gangrène notre vie démocratique et que les citoyens en ont honte ? Il y a LFI qui a réussi son pari : se distinguer pour le pire, pour qu’on parle d’elle avec stupéfaction et indignation. LFI parvient, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’hémicycle, à défier le bon sens, la bienséance et la correction républicaine.

La mauvaise foi abyssale du chef de la Nupes

Il y a la Nupes qui derrière une union affichée, obligatoire pour son futur, n’est pas forcément sur la même longueur d’onde que ceux qui s’adonnent à ce brouhaha permanent et grossier, qui ne laisse plus le moindre doute sur la pauvreté des répliques sur le fond alors qu’elles sont rendues délibérément impossibles. Il est effarant de constater combien Jean-Luc Mélenchon s’est dévoyé sur le plan intellectuel, politique et médiatique. Avec une mauvaise foi abyssale au point par exemple, dans un entretien de deux heures, d’être à plusieurs reprises injurieux à l’égard des journalistes et de légitimer avec ironie le geste du député Thomas Portes (exclu 15 jours) posant le pied sur un ballon à l’effigie d’Emmanuel Macron et d’Olivier Dussopt, en faisant mine de ne s’inquiéter que pour le ballon. Pour se rassurer un peu, en dépit du soutien inconditionnel de Manuel Bompard, de Danièle Obono et de Louis Boyard, on doit se rabattre sur la dissidence et la contestation discrètes de ceux qui ont été écartés. Par exemple Clémentine Autain, Raquel Garrido, Alexis Corbière et François Ruffin. Il est symptomatique de relever que ces derniers, sans craindre les coups d’éclat, apparaissent légèrement en deçà pour le tohu-bohu et ont probablement conscience que cette tactique parlementaire les dessert plus qu’elle ne les favorise.

François Ruffin, sur un mode plus net que Clémentine Autain (qui met en cause seulement l’exercice du pouvoir par Mélenchon), discute la ligne de LFI et trace son sillon qui relève d’un retour au peuple, à ses angoisses sur tous les plans et à ses difficultés. Il oppose une contradiction forte à la stratégie de Jean-Luc Mélenchon qui – c’est son immense faiblesse – se réfère, avec une modestie ostentatoire, aux « gens » qu’il invoque trop pour en être réellement proche.

Comportement formellement irréprochable

Il me semble – c’est le cœur de mon billet – que cette nouvelle donne exprimée depuis plusieurs mois par François Ruffin constitue pour lui la seule riposte possible aux avancées du RN. Ruffin mesure le péril, plus que tout autre dans son camp. En tout cas bien plus que les orthodoxes, les trublions systématiques, les inféodés à Jean-Luc Mélenchon qui font semblant de ne pas saisir à quel point ce RN massif à l’Assemblée nationale, à la fois présent mais absent (par son comportement formellement irréprochable), intervenant mais en s’économisant, habilement classique, classiquement vêtu, pèse lourd et comme, en feignant de l’oublier, par contraste, ils amplifient sa vigueur. On peut d’ailleurs se demander si LFI ne calque pas son attitude à rebours sur celle du RN. Aurait-il été débraillé et vociférant que l’extrême gauche sans doute aurait joué superficiellement l’apaisement !

Le RN, témoin, observateur, tacticien, en dehors du rituel des dénonciations stéréotypées, n’est pas assez pris au sérieux par Renaissance pour une double raison. Parce qu’Emmanuel Macron ne sera pas candidat en 2027 et qu’une lutte interne dans la majorité met déjà aux prises ceux qui aspirent à lui succéder. Aurore Bergé se trompe et devrait se culpabiliser avec son groupe : il n’y a pas que LFI pour dérouler le tapis rouge à l’extrême droite… Pourtant ils sont de plus en plus nombreux ceux qui prévoient, espèrent ou craignent une victoire de Marine Le Pen en 2027. Pour ma part je continue à penser que son principal obstacle sera ce nom de Le Pen qu’elle a contribué à dédiaboliser (quoi qu’on prétende). Mais il n’est plus du tout inconcevable, quel que soit l’avenir qui ne sera pas dans tous les cas un chemin national et international semé de roses, qu’elle l’emporte. Et si on l’essayait, elle ? Probablement une curiosité risquée que beaucoup seraient prêts à assumer. Avec ce paradoxe inouï dont la démocratie est en de rares circonstances porteuse.

Après Macron…

Emmanuel Macron, par sa faiblesse régalienne et son mépris du peuple si subtilement affiché qu’il ressemble à de l’empathie surjouée, aura beaucoup fait progresser le RN. Mais puis-je dire que pour 2027, face à elle, il manquera ? Non qu’il l’aurait vaincue en 2017 et en 2022 parce qu’il aurait été le meilleur mais seulement grâce à ce raisonnement simpliste que j’ai beaucoup entendu: qui d’autre à sa place ? c’est le moins mauvais ! En 2027, il est certain que la République ne nous privera pas de candidats de valeur. Mais à gauche et à l’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon s’il s’obstine perdra à nouveau, François Ruffin étonnera, convaincra mais ne gagnera pas, le sympathique Fabien Roussel ne pourra pas faire oublier qu’il est communiste et qu’un petit bout de Staline reste dans son cœur, les écologistes n’ont plus que Marine Tondelier… À droite et au centre cela se bousculera : Laurent Wauquiez, David Lisnard, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Edouard Philippe… Aucune certitude de victoire contre Marine Le Pen ! C’est à cause de 2027 que ce climat parlementaire est suicidaire ; la tenue de la rue lui donnerait presque des leçons. Le RN, absent, présent, qu’on a prétendu sortir de l’arc républicain est en plein dedans : au point de présider la République en 2027 ? Pour le battre, il faudrait autre chose que des mots !

Le dîner du vaniteux

Emmanuel Macron n’entendait pas forcément faire venir à Paris le président ukrainien avant la date du premier anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Mais, devant le faste déployé par les Britanniques, le président français a rapidement organisé une réception à l’Élysée, mercredi 8 février. Coulisses.


Le soir du mercredi 8 février, le président ukrainien a été invité et reçu à l’Élysée de manière parfaitement impromptue. Selon nos confrères de Politico [1], cette invitation surprise aurait été motivée par la nouvelle de la visite-éclair rendue par M. Zelensky à Londres le même jour. Au fur et à mesure que le programme de la journée londonienne se dévoilait, Paris devenait de plus en plus anxieux à l’idée de ne pas être aussi le centre de l’attention internationale. Il est vrai que les Britanniques avaient tout préparé pour faire de cette visite non seulement une démonstration de solidarité internationale, mais aussi un grand spectacle médiatique. 

À Londres, un programme royal

Arrivant en Angleterre dans un avion britannique, M. Zelensky a été reçu à l’aéroport par le Premier ministre, Rishi Sunak, et emmené au 10 Downing Street où il a été accueilli par les applaudissements des fonctionnaires – devant les caméras. Ensuite, visite au parlement où, après avoir échangé une poignée de main avec le leader de l’opposition, le travailliste, Sir Keir Starmer, le président ukrainien a rencontré les présidents de la Chambre des Communes et de celle des Lords. Au premier, il a donné un casque de pilote de chasseur ayant appartenu à un as de l’armée de l’air ukrainienne. Inscrite dessus, il y avait la formule suivante : « Nous avons la liberté, donnez-nous des ailes pour la protéger ». C’était d’ailleurs le message essentiel du discours qu’il a prononcé par la suite devant les élus rassemblés dans Westminster Hall, la partie la plus ancienne du parlement de Londres. L’étape suivante a été une visite au palais de Buckingham où M. Zelensky a été reçu par le roi Charles. Pour compléter le programme, il est parti en hélicoptère avec Rishi Sunak afin de se rendre à une base militaire dans le Dorset où il a rencontré des soldats ukrainiens qui se formaient sur le char britannique, Challenger 2. Après avoir donné des médailles à certains de ces hommes, il a tenu une conférence de presse commune avec le Premier ministre devant un tank. C’est là que Rishi Sunak a annoncé que les premiers chars britanniques arriveraient en Ukraine au mois de mars et que son gouvernement évaluait la possibilité d’envoyer des avions de chasse, en soulignant que, en matière de soutien à l’Ukraine, rien n’était à exclure. 

En principe, le président Macron n’avait pas l’intention de recevoir M. Zelensky à Paris mercredi. Ce soir-là, il aurait plutôt projeté d’aller au théâtre avec sa femme. Mais face aux images triomphales de la visite du président ukrainien à Londres, tout a changé. Un fonctionnaire de l’Élysée a confié à Politico qu’une décision spontanée a été prise pour attirer M. Zelensky à Paris. Sans doute afin de rivaliser avec le faste et la solennité londoniens, l’Élysée a tenté d’organiser une cérémonie aux Invalides pour honorer son visiteur. Pourtant, comme le président ukrainien ne pouvait pas être à Paris à temps, M. Macron a dû annuler l’événement et se contenter d’un dîner à 22h00. Il a néanmoins pu décerner la Légion d’honneur à son invité, et pour gonfler l’importance de l’occasion, il a réussi à persuader M. Scholtz de sauter dans un avion et de se rendre lui aussi à Paris. 

Improvisation parisienne

Toute cette activité improvisée était d’autant plus curieuse que le président français avait caressé le projet d’inviter M. Zelensky à Paris pour marquer l’anniversaire de l’invasion de son pays par la Russie. Pourtant, à la fin, rien ne s’était concrétisé. Toujours selon Politico, cette inaction s’explique en partie par le fait que, quand le président ukrainien s’adresse ou rend visite à ses homologues occidentaux, c’est surtout pour quémander des livraisons d’armes. Cela ne fait pas peur à M. Sunak, car le Royaume Uni fournit l’Ukraine depuis longtemps. Il a été le premier pays à promettre des chars et le premier pays européen à livrer des missiles antichars. Il est possible qu’il soit le premier à livrer des chasseurs.

Faire de telles promesses, ce serait sans doute aller trop loin pour M. Macron. Être obligé de refuser d’en faire, devant M. Zelensky, le jour symbolique de l’anniversaire de l’invasion, ce n’est pas valorisant.

Pourtant, le président semble n’avoir pas pu résister à la tentation de saisir l’opportunité de se montrer en homme d’État sur la scène internationale. C’est sûrement plus flatteur que de faire face aux manifestations provoquées sur la scène domestique par la réforme des retraites. À croire que M. Macron serait parfois motivé par la vanité. Certes, en politique il ne serait pas le seul. On pense au bon mot d’Elie Faure :

« La vanité et la crainte du ridicule sont les traits les plus saillants du caractère français. C’est étrange, à coup sûr, la vanité étant neuf fois sur dix la source du ridicule ».

[1] https://www.politico.eu/article/emmanuel-macron-volodymyr-zelenskyy-ukraine-behind-the-scenes-scramble-to-paris/

La tête comme un ballon

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Thomas Portes, député LFI d’AOC, a les pieds carrés. Donc, incapable de faire plus de deux jongles, il a préféré mettre le pied droit sur le ballon. Un ballon avec la tête à Olivier Dussopt en photo. Problème, gros problème, ce pur gaucher ceint de son écharpe tricolore sur la photo d’avant-match, se rend coupable, selon la majorité, d’un appel au meurtre, voire à la décapitation. “Si tous les cons volaient il ferait nuit.” (Frédéric Dard)


Sans l’écharpe ça passe. Dans une colère froide, feinte ou bouillante, les députés de la majorité se relaient derrière les micros pour dire à quel point le port de l’écharpe pour jouer au foot avec la tête à Dussopt est anti-sportif. Dans la mesure où le match avait lieu hors de l’hémicycle, si le député Portes n’avait pas arboré son accessoire républicain, il pouvait taper dans la tête à Dudu. Intérieur ou extérieur du pied, demi-volée ou reprise de volée, tout est permis avec la tête à Dudule. Mais pas avec l’écha… Ok on a compris.

Avec l’écharpe sans le pied ça passe. Au fur et à mesure de l’après-midi le règlement du jeu avec la tête à Dédé s’est affiné. Avec l’écharpe en paréo ou en smoking ça peut le faire, mais pas avec les pieds. Au hand, au volley ou en dunk in the panier le Dudu est compatible. En punching-ball dans les salles de boxe c’est jouable. Mais pas avec les pie… Ok on a compris. 

Ça passe ou ça casse. Dans cet après-midi de chienchien, les enfants de la baballe se sont déchirés. Le temple de notre démocratie est donc sous la garde de ces foufous de députés. Et ils ne sont ni les aigles de l’Empire, ni les a Oies du Capito… Ok on a compris.

A ne pas manquer, notre nouveau numéro en vente: Causeur #109: Tous retraités! Le dernier rêve français

Portes au placard. 15 jours de suspension. La sanction est tombée. Lourde, impitoyable. À l’unanimité. Si le Ministre Dustop and go a une tête à claques, il est interdit de s’essuyer les crampons sur sa bobine. Quant au député Thomas Portes que dire, que faire ? Si ce n’est que de la petite à la grande porte, il sera long son chemin à Toto. Pour les cocos et les socialos il va être très long le chemin à supporter les jobards et leurs jobarderies. Ce chemin de croix, ils l’ont choisi. Quant aux ovins de la Macronie, mon dieu mon dieu le niveau… Après cet incident que n’a-t-on pas entendu ? Certains ont fait rouler le ballon jusqu’à la tête de Samuel Paty. Ils ont osé et c’est à ça… Ok on a compris.

Bref. Les saucissons ne poussant pas aux arbres et les ânes n’étant pas des chevaux de course, ce n’est pas de l’hémicycle que jaillira la lumière dans ce pays éclairé aux bouts de chandelles. Dans ce contexte de pénurie d’intelligence pas artificielle et de menaces on ne peut plus réelles on est vraiment dans la m.… Ok on a compris.

La complainte du phoque en Alaska. (Beau Dommage)
Ca vaut pas la peine
De laisser ceux qu’on aime
Pour aller faire tourner
Des ballons sur son nez
Ça fait rire les enfants
Ça dure jamais longtemps
Ça fait plus rire personne
Quand les enfants sont grands

Marie-Thérèse Orain: « J’ai vu le monde de la nuit et des cabarets s’éteindre tout doucement »

La chanteuse et comédienne Marie-Thérèse Orain est le témoin privilégié du Paris des cabarets et des music-halls. Elle a connu les plus grands et les derniers feux d’une époque bénie où la chanson française était un vivier de talents.


Chanteuse et comédienne, Marie-Thérèse Orain aura toute sa vie humblement et passionnément servi son art. Comédienne au boulevard, chanteuse fantaisiste au cabaret, chanteuse lyrique à l’opérette, elle n’a eu de cesse, sa carrière durant, de rebondir vers de nouvelles aventures. Témoin privilégiée de l’époque des « cabarets rive gauche » comme L’Échelle de Jacob ou L’Écluse, Yves Jeuland l’invite en 2012 à raconter cette époque dans son remarquable reportage Il est minuit, Paris s’éveille. En 2015, à l’âge de 80 ans, elle enregistre son premier album, Intacte, laissant enfin une trace de la chanteuse des nuits parisiennes, artiste qui partageait la scène avec Barbara, Brassens, Anne Sylvestre ou encore Patachou.

Aujourd’hui, on a l’impression qu’on ne doit pas pouvoir se remettre d’une main aux fesses. Non vraiment, j’ai du mal à comprendre ce monde…

Sur cet album, d’ailleurs, deux chansons sont consacrées au monde des cabarets, La Chanteuse, de Jacques Debronckart et Va lui dire à la p’tite, texte poignant écrit pour elle par son amie Anne Sylvestre.


Causeur. Vous vouliez devenir comédienne, et vous avez bifurqué vers la chanson et les cabarets. Comment cela s’est-il passé ?

Marie-Thérèse Orain. Je le dois à Patachou ! Après Oscar avec Louis de Funès, on m’a proposé trois petits rôles parlés dans la nouvelle comédie musicale d’Alexandre Breffort (qui venait de faire un triomphe avec Irma la douce). Patachou devait tenir le rôle principal. Durant les répétitions, le metteur en scène était furieux car elle s’absentait souvent pour aller donner des concerts. Il m’a donc proposé d’être sa doublure durant ses absences. J’ai rapidement appris ses airs. Un jour de répétition, j’étais sur scène en train de chanter le rôle principal au milieu des danseurs, très à l’aise, quand Patachou débarque et me voit donc tenir son rôle ! Elle est restée au fond de la salle à me regarder. À la fin de la chanson, elle s’avance jusqu’à la scène et me dit : « T’es chanteuse toi ? » d’un ton assez sec. Je lui réponds que non, qu’on m’a juste demandé de faire ça pour la doubler lors des répétitions. « T’as déjà chanté ? » me lance-t-elle. Je lui assure que non. Elle monte alors sur scène pour que je lui montre ses déplacements que j’avais appris. Et là, à voix basse, elle insiste : « Allez, t’as pas voulu me le dire devant les autres… mais t’as déjà chanté ? » Je lui réponds : « Oui, mais juste un peu, et pas seule, en chœur, dans une revue de Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, juste comme ça .» Patachou, surprise, me dit : « T’as jamais chanté seule ?! Eh bah tu devrais ! Allez, chiche ? Je ne te donne pas de directive ni de conseil, tu choisis quatre ou cinq chansons, tu te trouves un pianiste, tu répètes et quand tu es prête, tu me le dis, tu viens me montrer ça à la maison et je te dirai si ça vaut la peine de continuer. » Je me suis directement inscrite dans une école de chant tenue par Christiane Néret. Les cours avaient lieu au Bœuf sur le Toit. On pouvait y aller à n’importe quelle heure, il y avait toujours un pianiste de fonction. J’y suis allée tous les jours après avoir trouvé des chansons dans des maisons d’édition. À l’époque on faisait comme ça. On allait chez un éditeur et on disait : « Bonjour, je cherche des chansons fantaisistes un peu comme ci ou comme ça ». Le type vous disait : « Attendez, je crois que j’ai ce qu’il vous faut. » Il sortait la partition et la donnait à un pianiste de fonction qui vous la jouait. Et si ça nous plaisait, on achetait ! C’était aussi simple que ça de se constituer un petit répertoire. Je prépare donc ces chansons et, lorsque je suis prête, je le dis à Patachou. Elle me reçoit avec ma pianiste dans son somptueux appartement de Neuilly. On se met à table et à la fin du repas, elle me dit : « Allez, on va dans le salon et tu vas me montrer ça ! » J’étais terrifiée. Elle a tout écouté et à la fin elle m’a dit : « Oui, il faut continuer. Et je vois très bien quel répertoire il te faut… le mien ! » Je pensais qu’elle me prenait pour une concurrente plus jeune qu’elle, je pensais que c’était terminé pour moi. Mais pas du tout ! Lorsqu’elle a été directrice artistique du magnifique cabaret de la tour Eiffel, elle m’a engagée pour faire sa première partie. Voilà comment je suis devenue chanteuse !

Comment avez-vous évolué dans ce monde des cabarets ?

En juillet 1962, un type qui m’avait vu chanter au cours Néret – et qui connaissait bien madame Lebrun, la patronne du cabaret L’Échelle de Jacob – m’appelle et me demande : « Est-ce que vous pouvez aller à L’Échelle, ce soir à minuit, avec vos partitions ? Un artiste est malade et il faut d’urgence le remplacer. Comme ça, Suzy Lebrun vous verra ! » J’arrive là-bas avec un trac épouvantable. La salle était vide ! Il n’y avait qu’un couple qui se roulait des pelles sur la banquette du fond. La mère Lebrun a eu pitié de moi et a fait descendre le barman et la fille du vestiaire pour les mettre au premier rang. Je termine mon tour, la patronne vient me voir et me dit : « Bon, très bien. Vous revenez demain ! » Et je suis restée quatre mois. Je jouais dans la pièce Oscar le soir et ensuite je partais à L’Échelle de Jacob faire mon tour de chant. Puis tout s’est enchaîné. J’ai été engagée à La Villa d’Este, un « cabaret bouchon », un « cabaret champagne »… c’est-à-dire qu’il y avait des entraîneuses. C’était à l’Étoile, un cabaret rive droite ! Ça payait mieux que les cabarets rive gauche ! Mouloudji a lui aussi passé des années à chanter à La Villa d’Este.

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Vous ne chantiez que dans les cabarets ?

Non, également dans les music-halls [1]. À l’époque il y avait les music-halls de quartier, comme la Gaité Montparnasse. C’étaient des endroits qui avaient essentiellement une clientèle d’arrondissement. J’adorais chanter au Pacra, boulevard Beaumarchais. Le public était composé de petites gens, des concierges, des petits commerçants. Il devait y avoir mille places. L’orchestre était dans la fosse. Les ouvreuses étaient d’époque, c’étaient des dames d’un certain âge qui traînaient la patte. D’ailleurs la régisseuse boitait. C’était une ancienne trapéziste qui s’était cassé la gueule. Ce petit monde du music-hall parisien, c’était quelque chose ! J’adorais ça. C’était une école de vie ! Il fallait travailler, gravir les échelons. Souvent, les chanteurs commençaient dans les cinémas de banlieue car, en ce temps-là, avant le début du film, il y avait des attractions. Parfois un chanteur, parfois un magicien, des jongleurs. Aznavour a commencé comme ça. Après avoir écumé les cinémas de banlieue, les artistes prenaient du galon et passaient aux salles parisiennes. Ensuite seulement, ils accédaient aux music-halls de quartier. Alors, quand on arrivait sur les grandes scènes, on avait du métier.

Combien de temps avez-vous chanté dans les cabarets ?

Malheureusement, j’ai connu la fin des cabarets… Ils ont fermé les uns après les autres. Financièrement, c’était trop difficile pour eux. Les cabarets de la rive gauche étaient taxés autant que ceux de la rive droite – comme La Nouvelle Ève et les boîtes à entraîneuses – où les types dépensaient trois milles balles de champagne dans la nuit, tandis que rive gauche, les gens passaient la soirée à écouter les artistes avec une consommation à vingt balles. La fin des années soixante a été le grand déclin des cabarets.

Dans ces années-là, comment était la nuit parisienne ?

Oh ! Aujourd’hui on ne peut même pas l’imaginer. C’était fantastique ! Moi, avant d’aller chanter au cabaret, vers neuf heures du soir, je m’installais en terrasse sur le boulevard Saint-Michel uniquement pour regarder passer les gens. Ils étaient bien habillés, c’était joyeux, ça bouillonnait ! Je regardais ça émerveillée… puis vers vingt-trois heures, j’allais chanter. La nuit à Paris, il y avait du monde, de l’effervescence, et puis ce n’était pas violent. J’ai été une travailleuse de nuit pendant longtemps, et je peux vous dire qu’en rentrant chez moi tous les soirs après mes prestations, je ne me suis jamais fait voler ou agresser ! Pour moi, la violence et la mauvaise ambiance sont arrivées avec 68. J’ai vu ce monde de la nuit et des cabarets, que j’aimais tant, s’éteindre tout doucement… et là j’ai filé…

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Filé où ?

J’ai toujours eu de la chance. À chaque fois qu’une chose s’est dérobée sous mes pieds, une autre chose s’est pointée. J’apprends ainsi un jour que monsieur Cartier – directeur du théâtre du Châtelet – a une proposition à me faire. Je suis étonnée car c’est un théâtre lyrique et je ne suis pas chanteuse lyrique. Mais il me reçoit et me dit : « J’ai pensé à vous pour la comédie musicale américaine No, no, Nanette. Je ne vous connaissais pas mais ces derniers jours, quatre personnes m’ont dit que pour le rôle de Pauline, il fallait Marie-Thérèse Orain. » Et voilà comment j’ai été engagée au Châtelet. Sans passer d’audition ! C’était en 1982. Ensuite, j’ai enchaîné les opérettes et les comédies musicales. Ça a duré vingt ans. Et, parfois, avec de très beaux spectacles, comme La Veuve joyeuse mise en scène par Alfredo Arias. Et puis j’ai fait beaucoup de spectacles avec Jérôme Savary, notamment des Offenbach magnifiques comme Le Voyage dans la lune et La Vie parisienne. J’ai chanté dans les plus belles salles durant ces vingt ans… Châtelet, Opéra-Comique, Grand Théâtre de Genève…

Pour en revenir aux cabarets, quelles sont les grandes personnalités qui vous ont marquées ?

J’adorais Christine Sèvres, qui était malheureusement estampillée comme la femme de Ferrat. Mais c’était une grande chanteuse ! J’aimais beaucoup Catherine Sauvage aussi. Ses récitals au Théâtre Montparnasse avec Jacques Loussier au piano étaient bouleversants ! Du grand travail ! Et Barbara ! J’ai fait le cabaret La Tête de l’Art pendant un mois avec elle, dans le même programme. Je l’ai bien connue. Et puis Gribouille… qui est malheureusement partie trop tôt. C’était une des plus grandes. Lorsque je l’ai vue à Bobino, elle m’a tout de suite rappelée Piaf. Il y avait aussi Cora Vaucaire : quelle classe, quelle articulation, c’était remarquable ! Vraiment, il y avait un vivier d’artistes dans la chanson française à cette époque… et puis les Yéyés sont arrivés. Et là, ça a été terminé. Voilà, il n’y en avait plus que pour les Yéyés… On m’a proposé de me « reconvertir », mais je n’ai jamais pu. Chanter des conneries, non merci !

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Et Brassens ?

C’était un type formidable. J’ai fait deux fois Bobino avec lui. En principe pour les tournées, il ne voulait pas embarquer de femme dans l’équipe. Il disait : « Dès qu’il y a une chanteuse quelque part, la merde commence. » Lors de notre second Bobino ensemble, le soir de la dernière, je vais le voir et je lui dis : « Bon bah, on se dit au revoir. » Il n’aimait pas les au revoir et, comme il sentait que j’allais pleurer, il était très mal à l’aise. Il m’a juste dit : « Si je refais Bobino, tu feras partie du convoi. » Il part, fait trois pas, puis revient et ajoute : « Parce que je vais te dire… pour une bonne femme, tu n’es pas trop emmerdante. » C’était tout Georges : la tendresse, la pudeur, la délicatesse. Il était très délicat, il faisait attention aux autres. Je ne l’ai jamais vu mal parler à qui que ce soit, jamais. Georges, c’était le peuple dans ce qu’il a de plus noble.

Marie-Thérèse Orain et Georges Brassens, dans les coulisses du théâtre Bobino à Paris, 1973. ©Marie-Thérèse Orain.

Que pensez-vous du monde d’aujourd’hui ?

Je le trouve très inquiétant. L’ambiance n’est plus à la rigolade. Même dans le milieu artistique. Quand on voit la chasse aux sorcières que subissent les hommes… je n’aimerais pas être à leur place. Moi, j’ai du mal à comprendre cela. J’étais mignonnette quand j’étais jeune, des gars qui ont essayé de me coincer, il y en a eu ! J’ai même eu très chaud quelques fois… Mais ça ne m’a jamais traumatisée… franchement ! Ça m’est toujours passé au-dessus. Quand j’y repense, ça aurait plutôt tendance à me faire rire. Aujourd’hui, on a l’impression qu’on ne doit pas pouvoir se remettre d’une main aux fesses. Non vraiment, j’ai du mal à comprendre ce monde que je vois tourner à une vitesse phénoménale, et dans un drôle de sens.

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[1] Le music-hall disposait de grandes salles, plutôt luxueuses (Bobino, Alhambra, Olympia, Concert Pacra). On y présentait des revues avec décors, orchestre, etc., mais aussi des chanteurs et des fantaisistes. Au cabaret, la salle était petite et la scène minuscule. Les artistes s’y succédaient durant la soirée seulement accompagnés d’un pianiste. C’était la chanson sans fioritures ni paillettes. (Barbara, Greco, etc.).

De l’urgence de relire Courteline

«Messieurs les ronds de cuir» de l’édition en ont mis, du temps, pour le rééditer…


Le constat est implacable, sondage après sondage, deux tiers des français ne veulent pas de cette réforme des retraites. Il en est un autre, encore plus alarmant sur la vitalité du théâtre français et l’aphasie éditoriale. On ne lit plus Georges Courteline et, plus grave, on ne le réédite pas. Il est passé de mode, placardisé, lambrissé dans des intérieurs bourgeois, boulevardisé dans les portes qui claquent et les adultères duveteux, relégué à cette toute fin XIXème, juste au moment de l’avènement de la fée lumière et de l’érection d’une Tour boulonnée sur des terrains mouvants. Ses histoires de préposés aux écritures et d’altercations caustiques dans les transports publics sont-elles si éloignées de notre morne réalité où la loi inique et les interdits s’abattent sur nos têtes depuis maintenant trois longues années ?

Moraliste des réunions de syndic

Courteline avait déjà tout écrit, tout prédit sur les illusions perdues, la rapacité commerçante, la médiocrité bureaucratique et les élans incertains du cœur. Il savait intimement que l’Homme libre serait perpétuellement en proie à des forces administratives obscures, d’étranges règlements tentaculaires et la méchanceté inhérente à l’âme humaine, plus commandée par la bêtise que par la malignité des sentiments.

Ce moraliste des réunions de syndic, à l’humour grinçant, pousse les situations banales de l’humiliation ménagère en bombe à retardement. Quand personne ne veut céder, de peur d’être atteint dans son honneur, c’est là que le sport commence, la joute pathétique s’emballe, les arguments glaiseux s’affrontent avec cette outrance surjouée et cette envie de ne pas céder une once de terrain à son adversaire, qu’il s’agisse de payer un ticket de bus à un contrôleur malveillant ou de ne pas réveiller une épouse acariâtre après une nuit trop arrosée. Chez Courteline, l’honneur est souvent bafoué, l’injustice rampante, les maris accablés et les palabres sans fin, l’individu lambda devient alors, selon la formule de Michel Audiard, la mascotte des tortionnaires. Avec Courteline, point de sang et d’armes à feu, seulement des paroles blessantes lancées avec une rogue attitude et toujours sûr de son bon droit, le code à la main. Les faux-héros de ce styliste à l’encre noire, sont souvent de petits bourgeois vindicatifs, des fonctionnaires transparents ou des théâtreuses rapaces.

Cruauté et désespoir derrière le comique

Dans la collection Exhumérante où l’on trouve, entre autres, Octave Mirbeau, Alphonse Allais, Tristan Bernard, Jules Renard ou O. Henry, « l’Arbre Vengeur », toujours inspiré dans sa préservation du patrimoine littéraire publie Ah ! Jeunesse ! de Courteline, illustré avec beaucoup d’à-propos par Stéphane Trapier que Chaval aurait certainement adoubé. Courteline a dédié cette série de nouvelles et saynètes à Marcel Schwob qui avait préfacé Messieurs les ronds-de-cuir (tableau-roman de la vie de bureau) en 1893. Ces morceaux d’ironie tordante se déroulent souvent Place de la Bastille ou rue du Faubourg-Saint-Denis, dans un Paris couleur sépia, voguant entre le vaudeville et l’étude des mœurs, dans un environnement, en apparence, sans histoire. Mais un détail, une réflexion, un minuscule abus d’autorité vont venir dérégler cette grande machinerie que nous appelons aujourd’hui le « vivre ensemble ». Courteline sait faire monter cette mayonnaise, la maïeutique des gens ordinaires.

Avec les années, le côté vaudevillesque l’a emporté dans les mémoires sur la philosophie du désespoir, et surtout, nous avons oublié combien l’écrivain élevé dans sa prime enfance en Touraine chez ses grands-parents, se révèle un auteur plein de perfidies réjouissantes. On se love dans son écriture saignante, faite d’arabesques et de précisions d’entomologiste. Admirez le maître : « Il y a, pour les gens très bêtes, un spectacle très récréatif : c’est celui d’un homme de lettres dans l’exercice de ses fonctions. Non, je ne crois pas qu’il soit un champ où fleurisse, s’épanouisse, prospère de plus luxuriante façon l’observation narquoise des niais et de leur ineffable goguenarderie ». C’est drôlement envoyé, et, celle-là, d’une cruauté abyssale, à propos d’une jeune personne : « La vérité me force pourtant à le dire: au régiment des perruches, Mlle Mariannet eût pu être tambour-major. Sa taille le lui eût permis, et aussi l’insondable point de profondeur où atteignait sa puérilité ». Alors, on se lève tous pour Courteline !

Ah ! Jeunesse ! de Courteline – L’Arbre Vengeur, 224 pages.

Dans la famille de la poésie britannique contemporaine, je réclame Selima Hill

Je veux être une vache…


Il y a deux sortes de guides de voyage, bien plus efficaces que le Routard, pour découvrir un pays. C’est son roman noir et sa poésie (contemporaine). Dans les deux cas, il s’agit d’un pas de côté, d’un changement de l’angle de tir, d’un réagencement de la réalité, des sentiments, du désir, de la pulsion.

Je fais mon miel, ces temps-ci, d’une anthologie bilingue de la poésie britannique, L’île Rebelle (Poésie Gallimard). Elle rassemble des poètes nés entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années 60, qui publient encore pour la plupart aujourd’hui. Les traductions sont de Jacques Darras, un de nos plus grands poètes vivants dont nous vous parlerons bientôt, et Martine De Clercq.

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J’ai particulièrement aimé, entre autres, deux poèmes de Selima Hill, née en 1945, « Vache » et « Portait de mon amant en animal étrange »: elle a l’humour inquiet d’une Sylvia Plath, un art de la métaphore aussi surprenante qu’évocatrice qui fait penser au Morand des débuts, et elle pratique un féminisme sans dogmatisme, comme un art du bestiaire.


Vache

Je veux être une vache
pas la fille de ma mère.
Je veux être une vache
pas amoureuse de toi.
Je veux me sentir libre d’être calme
Je veux être une vache qui jamais ne va connaître
le genre d’amour dont on « tombe amoureux », 
une vache royale avec des hanches aussi amples et saines qu’un grand magasin,
une vache que le fermier trait à genoux,
qui a sa mort sentira l’aurore se pencher sur elle comme une prairie
et lui mouiller les lèvres.

Selima Hill

Pasolini, derniers temps

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Pétrole, le livre testamentaire et maudit de Pasolini ressort dans la collection « l’Imaginaire » de Gallimard…


Lorsqu’il est mort en 1975, assassiné sur une plage d’Ostie, près de Rome, Pier Paolo Pasolini travaillait depuis trois ans à la rédaction d’un roman extrêmement ambitieux, intitulé Pétrole. Malgré son inachèvement évident, le livre fut publié une première fois en Italie en 1992, et en 1995 en France, dans une traduction de René de Ceccatty. La critique ne reçut pas très favorablement ces quelque mille pages, plutôt désarçonnantes et au contenu audacieux. Et pourtant, comme le soutient René de Ceccatty dans la préface à cette nouvelle édition revue et corrigée, Pétrole éclairait en partie les causes de la mort de Pasolini, non pas seulement un « crime sexuel », mais le fruit d’un complot politique.

Lors de diverses enquêtes menées depuis, pour tenter de résoudre cette affaire, les policiers italiens « ont trouvé dans Pétrole, écrit René de Ceccatty, des éléments, selon eux, déterminants pour expliquer les circonstances ou plutôt les causes politiques de son assassinat ». C’est dire l’importance de ce roman dans le dévoilement de la vérité, et du reste personne ne s’y est trompé. Comme si, au centre même de Pétrole, se dissimulait l’énigme du destin de Pasolini.

L’agitation des années 70

Il faut donc se pencher sur ce gros volume, d’un abord il est vrai peu facile. Ce qu’on perçoit en premier lieu, c’est la volonté de Pasolini de faire une synthèse de la littérature de son temps. Nous sommes, rappelons-le, c’est essentiel, dans les années 70, période où les avant-gardes fleurissaient, comme Tel Quel en France. Tout un courant postmoderne s’était développé dans la littérature et les sciences humaines, qui semble avoir retenu l’attention de Pasolini. René de Ceccatty énumère les auteurs classiques qu’il prendra pour modèles, afin de s’en inspirer ou, plus directement, de les pasticher, quand ce n’est pas pour les recopier purement et simplement (comme avec Les Démons de Dostoïevski). On reconnaît, parmi les influences de Pasolini, l’Ulysse de Joyce, les Cantos de Pound, Tristram Shandy de Sterne ou encore La Tentation de saint Antoine de Flaubert. On pourrait encore mentionner La Divine Comédie de Dante, ou bien le marquis de Sade. On le voit, c’est un flux ininterrompu de grands auteurs, qui noierait le texte sans, à chaque fois, une note pour nous indiquer de quoi il s’agit.


Constatons à ce propos l’importance des notes, dans la lecture de Pétrole. Elles proviennent en grande partie des deux éditions italiennes, auxquelles René de Ceccatty a ajouté les siennes  pour sa traduction en français. Il est passionnant de poursuivre la lecture de ce roman grâce aux notes, qui ouvrent bien des portes sur le travail de Pasolini. Celui-ci ne lisait pas seulement Dante ou Sade, mais aussi les livres et la presse de son époque. On apprend ainsi, à l’occasion d’une expression particulière que Pasolini emploie dans Pétrole, qu’elle est « tirée d’un essai de l’ethnologue américain, spécialiste de l’Inde, David G. Mandelbaum (1911-1987) […] Pasolini possédait cet ouvrage et l’avait étudié attentivement… » Ce genre de précision mettra en joie le lecteur érudit et fétichiste, amoureux des livres. Je ne dis pas pour autant que les notes sont plus intéressantes que le texte de Pasolini, mais elles jouent un rôle prépondérant dans notre lecture.

Idéologie et illisibilité du récit

De son côté, Pasolini commente, dans le corps même de son roman, l’avancée de son récit. Il fait de nombreuses remarques sur ce qu’il est en train d’écrire, sur ce qu’il veut dire. Aurait-il laissé ces passages dans la version finale ? Difficile de trancher. Mais ces remarques intéressent néanmoins le lecteur, et, selon moi, il aurait été dommage de s’en priver. Pasolini précise par exemple, à propos de son récit, qu’il « appartient par sa nature à l’ordre de l’illisible », et que « sa lisibilité est donc artificielle : une deuxième nature non moins réelle, en tout cas, que la première ». Plus loin, il confie, de la même manière, que « la psychologie est remplacée par l’idéologie ». Cette réflexion est à souligner dans la mesure où elle caractérise les personnages que met en scène Pétrole. Le livre est censé raconter un assassinat réel (bizarre coïncidence, tout de même), celui de l’homme d’affaires Enrico Mattei. Mais Pasolini se concentre sur d’autres personnages tout à fait imaginaires, dont certains, livrés à eux-mêmes, se dédoublent. Ils ont signé un pacte avec le Diable, et leur vie est une descente aux enfers. La sexualité est chez eux une obsession malsaine, avec des fantasmes rudimentaires. On connaît la part centrale pour Pasolini de l’érotisme. René de Ceccatty souligne très bien que, dans ce dernier roman, de même que dans son film posthume, Salò ou Les 120 Journées de Sodome (1976), il y a un « revirement de Pasolini quant à son usage de la sexualité dans son art ». En clair : « Le sexe peu à peu devenait un ennemi, pour lui. »

Un livre à reprendre et à relire

Pétrole est certainement un de ces livres qu’il ne faut pas hésiter à reprendre. Sa lecture en est problématique, parfois. C’est un livre d’une grande ambition, dans lequel Pasolini essaie de mettre noir sur blanc des choses quasi incompréhensibles. Pour ma part, je ne me suis pas laissé intimider par ce monument, car Pasolini, intellectuel généreux, sait toujours rester un homme simple, avec un arrière-fond de sagesse évident. Il reste que, dans les années 70, ce n’était pas la sagesse qui comptait le plus. On pourrait se demander légitimement : « Et aujourd’hui ? »

Pier Paolo Pasolini, Pétrole. Édition revue et augmentée. Traduit de l’italien par René de Ceccatty. Préfaces de Bertrand Bonello et René de Ceccatty. Éd. Gallimard, collection « L’Imaginaire ».

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Serge Lama, le petit garçon au ballon rouge, a 80 ans

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Pour l’occasion, il s’est confié à Mireille Dumas, notre confesseur(e) nationale, dans un documentaire émouvant: «Serge Lama la vie à la folie», toujours visible en replay sur France 5.


Bien sûr, comme dans tous les documentaires qui retracent la vie d’un artiste, on nous montre des images d’archives. Cependant, concernant celui-ci, elles sont peu nombreuses : Mireille Dumas, avec sa façon subtile de poser des questions, un peu en retrait, laisse toute la place à celui qui se trouve en face d’elle.

Et nous sommes immédiatement captivés par l’histoire de Serge Chauvier dit Serge Lama, parce que sa vie est un roman, mais surtout parce que Lama est un conteur, qui sait trouver les mots, ceux qui nous transpercent d’émotion. Nous le sentons également apaisé, lui qui fut secoué par tant de drames, comme celui de perdre la femme aimée, celui d’avoir vécu une enfance pas toujours rose, mais qui lui fit le cuir. Nous avons l’impression que Serge Lama a laissé la place au petit Serge Chauvier : « Qu’importe ma vie, je veux seulement qu’elle reste jusqu’au bout fidèle à l’enfant que je fus » aurait pu dire Lama, comme Bernanos.

Maman Chauvier

Serge Chauvier est né en 1943 à Bordeaux, il est fils unique, et son père était un chanteur d’opérette qui remportait un certain succès. Serge adore traîner dans les coulisses des théâtres, il se souviendra toujours de l’odeur « de femmes et de fards » qui y régnait.

Mais papa Chauvier voulut conquérir Paris, qui ne voulut pas de lui. La famille en est donc réduite à vivre à trois dans une chambre, cependant au cœur du XIᵉ arrondissement. Ce premier traumatisme, Serge le raconte superbement dans une chanson un peu méconnue: Maman Chauvier : « En 50, j’avais 7 ans, j’habitais la rue Duvivier, pauvre dans un quartier diamant, trois dans une chambre meublée. » Mais pourquoi ce titre : Maman Chauvier ? Cette chanson est bien sûr dédiée à sa mère, qui selon ses propres mots, lui fit vivre l’enfer. Et fit vivre l’enfer à son mari, à cause de sa jalousie morbide.

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Lorsque Serge était au faîte de sa gloire, elle lui disait qu’elle aurait préféré qu’il soit avocat. Les artistes ne trouvèrent jamais grâce à ses yeux. Cependant, parce qu’on aime toujours sa mère, cette chanson est une déclaration d’amour du petit Serge à sa maman : « Maman Chauvier, un enfant t’aime, 19 rue Duvivier Paris 7ᵉ. » A travers ses chansons, Lama a finalement écrit son autobiographie, il a même déclaré qu’il est devenu chanteur pour venger son père, qui ne trouva jamais le succès qu’il avait si ardemment désiré.

Autobiographie en chansons

Serge voulait devenir écrivain, il y est parvenu : en distillant, chansons après chansons ses mots si justes et émouvants, de ceux qui vous vont droit au cœur, et qui nous laissent avec des larmes au bord des yeux.

Et puis, il y a cet épisode bien connu, cet accident qui faillit avoir sa peau, et qui eut la peau de la femme qu’il ne cessa jamais d’aimer. Il raconte que lorsqu’il apprit sa mort, qu’on lui avait cachée, il poussa toute une nuit des cris de bête. Ces cris, il les sublima dans une magnifique chanson : D’aventure en aventure« Bien sûr j’ai d’autres certitudes, j’ai d’autres habitudes, et d’autres que toi sont venues, marquer leurs dents sur ma peau nue. » Cette femme, qui en perdant la vie, a fait naître Serge Lama, était Liliane Benelli, la pianiste de Barbara, qui lui rendit hommage dans « Une petite cantate »« Mais tu es partie fragile, vers l’au-delà. »

Lama, dans son corps massif à la patte folle, englobe également toute la chanson française de la deuxième partie du XXᵉ siècle, il les connut tous : de Barbara à Brassens, en passant par Marcel Amont. Comme eux, il fit ses débuts au fameux cabaret l’Écluse, comme eux, il connut les vaches maigres avant le succès. Cependant, il ne gagna jamais les galons de chanteur à textes, lui qui en écrivit de si beaux. Il devint ce qu’on appelle un chanteur de variété, ce qui est à mon sens un statut hautement respectable, la variété française est ma marotte, et je ne cesse de la défendre.

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Un de ses plus grands tours de force est d’avoir mis des mots, si simples et si vrais sur la sale guerre, celle que l’on n’osa pas nommer pendant des décennies, la guerre d’Algérie : « L’Algérie, écrasée par l’azur, c’était une aventure dont on ne voulait pas, l’Algérie, du désert à Blida, c’est là qu’on est parti jouer les petits soldats. » Et, il faut croire que les Français en avaient besoin de ces mots-là, car lorsqu’il la chantait sur scène, elle avait encore plus de succès que Je suis malade. Je passe sur l’épisode Napoléon, et Lama semble également, au soir de sa vie, vouloir l’oublier, il l’esquive presque lors de sa conversation avec Mireille Dumas. 

Il préfère évoquer le petit garçon qui n’a pas eu de ballon rouge, et il a bien raison.

« Serge Lama la vie à la folie », sur France 5

Pornographie: coupez tout ce qui dépasse

Le gouvernement pense réguler (mais comment ?) l’accès aux sites pornographiques. La CNIL et l’ARCOM vont présenter dans la semaine à venir un dispositif pour empêcher les mineurs d’y accéder. Notre chroniqueur, à qui rien de ce qui est érotique n’est étranger, et qui s’est jadis ému lui-même des dégâts de la « société pornographique », fait le tour de la question.


Dans Le Figaro, c’est une psychologue, Sabine Duflo, qui s’inquiète : « L’âge moyen du premier visionnage d’images pornographiques est de dix ans aujourd’hui, contre quatorze ans en 2017. Un tiers des enfants de douze ans ont déjà été exposés à des images pornographiques. Chaque mois, près d’un tiers des garçons de moins de 15 ans visite un site porno. » [1] Et de citer le rapport établi par quatre sénatrices, Porno, l’enfer du décor.

Encore un (mauvais) coup de Pfizer

J’ai jadis moi-même écrit un livre sur la question, La Société pornographique (2012). J’y déplorais déjà le fait que, comme le dit Sabine Duflo, les premières relations sexuelles se fassent sous l’injonction de la pornographie — et se passent très mal. Entre les garçons pré-traumatisés parce qu’ils correspondent rarement au pseudo-standard de taille établi par des hardeurs sélectionnés (il y a jusqu’à 25% de cas d’impuissance chez les moins de 25 ans), et les filles en attente d’étreintes majuscules (faites rimer l’adjectif avec ce que vous voulez), il n’y a que des déceptions. J’avais eu l’occasion d’en parler chez Laurent Ruquier (voir vidéo plus bas).
Ça alors, le sexe sur Internet fait les affaires de Pfizer…

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Rappelez-vous. Quand on a mis au point le Viagra, Pfizer (ils sont partout !) a sollicité le vice (c’est le cas de le dire)-président des Etats-Unis, Bob Dole, pour faire la publicité de ce produit pour vieillards en libido défaillante. Aujourd’hui, les stimulants sont majoritairement consommés par des hommes jeunes, en (qué)quête de performances: on a vu sur Internet les prouesses de tel ou tel hardeur, on veut l’égaler, le surpasser, le con / fondre. Et on se détruit.


D’autant que les acteurs pornographiques trichent eux-mêmes, consomment des produits divers et variés, s’injectent de la papavérine dans la verge, — et, le soir, rentrant chez eux, rêvent d’un pot-au-feu, d’un livre et de plantes vertes. Surtout pas de femmes. Les hardeuses, saturées d’érections maximalistes, sont lesbiennes pour la plupart. Les uns et les autres connaissent un taux de suicides sans commune mesure avec les statistiques générales. À ne plus exister que par la cheville ouvrière ou quelques réceptacles, on cesse d’exister en soi et pour soi. Comme dit un site spécialisé : « Non, le porno n’est pas glamour. »

Tout est faux dans le sexe sur Internet. Tout est joué.

Des intérêts XXL

Il y a quelques années, j’avais suggéré au ministère de l’Education de me confier une mission pour me rendre dans les lycées, escorté (si je puis m’exprimer ainsi) d’une professionnelle du hard, afin d’expliquer aux jeunes ce qui est normal, et ce qui ne l’est pas. Hé non, mesdemoiselles, vous n’êtes pas obligées de vous faire sodomiser, d’autant que statistiquement, il n’y a guère que 15% des femmes qui y trouvent un réel plaisir. Et oui, l’acte sexuel quasi absent des sites pornographiques, c’est le baiser.

On mesure l’écart entre fiction et réalité.

Plusieurs pays (la Chine, oui, mais aussi l’Islande) ont complètement banni la pornographie. Ce n’est pas très difficile à faire — mais on froisse alors des intérêts monstrueux : quand on évoque le chiffre d’affaires de la pornographie, on parle en centaine de milliards de dollars (vous remarquerez que le cul se mesure en dollars, c’est plus chic qu’en euros ou en zlotys. L’idée de réguler l’accès des sites aux mineurs (mais comment ? Sur déclaration préalable ? Ça existe déjà, il suffit d’affirmer que l’on a plus de 18 ans) est l’exemple-type de ces demi-mesures qui servent à faire parler, et n’ont aucune efficacité réelle.

Près de la Canebière, Brighelli: c’est plus fort que toi

On me dira : « Il est étonnant, de la part d’un individu qui a écrit des livres érotiques, et qui parraine depuis des années un blog intégralement con / sacré à la chose, d’en arriver à promouvoir la censure la plus stricte… » Oui : mais c’est justement en défense de l’érotisme que je récuse la pornographie. On peut abominer la pornographie et adorer le sexe. On peut tolérer la prostitution et vomir les barbeaux. L’un des bons souvenirs de ma vie est d’avoir cassé, contre la margelle de la fontaine des Danaïdes à Marseille, toutes les incisives d’un proxénète qui prétendait mettre deux amies d’enfance en coupe réglée. L’idée qu’il a avalé de la purée liquide à la paille pendant quelques semaines me fait encore rire, cinquante ans plus tard.

La Dépêche a fait la liste des propositions de la CNIL [2], et émis avec intelligence des réserves sur leur application. Oui, on peut passer par une « attestation numérique » qui fonctionnerait comme une attestation bancaire : mais comment faire appliquer une législation française à des sites pour la plupart localisés à l’étranger ? Internet, c’est la mondialisation supra-nationale. Oui, on peut confier le contrôle de l’identité à un organisme tiers — mais des modes de contournement existent déjà. Après tout, les sites de streaming ont contourné sans peine la loi Hadopi de 2009, censée protéger la création et la diffusion sur Internet.

Seul un blocage total aurait une réelle efficacité : tout le monde n’a pas envie de se risquer sur le DarkNet, qui est certes opaque, mais qui est scruté de près par la police. Je mesure bien le risque d’une telle proposition : c’est requérir les bons services de Big Brother. Mais quand ce seront vos enfants qui hanteront les sites pornographiques grâce aux smartphones que vous leur aurez achetés (et que vous ne devriez pas leur acheter), vous y réfléchirez à deux fois avant de crier à, la censure.

Jean-Paul Brighelli, La Société pornographique, François Bourin / Les Pérégrines 2012, 130p.

[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/regulation-des-sites-pour-adulte-comment-la-pornographie-aliene-des-generations-entieres-20230208

[2] https://www.ladepeche.fr/2023/02/07/pornographie-5-questions-sur-le-nouveau-dispositif-pour-bloquer-lacces-des-sites-aux-mineurs-10979138.php

Pourquoi le Maroc a-t-il rappelé son ambassadeur?

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Le président Macron avec le Roi du Maroc, Rabat, 15 novembre 2018 © Christophe Archambault/AP/SIPA

Le 19 janvier, le parlement européen adoptait une résolution intitulée «La situation des journalistes au Maroc, en particulier le cas d’Omar Radi». Cette résolution demande notamment au Maroc la remise en liberté provisoire de ce journaliste. Elle a pour double conséquence de questionner le rôle du parlement européen et de tendre un peu plus les relations entre la France et le Maroc, ce dernier ayant rappelé son ambassadeur auprès de la République française… Analyse.


Cofondateur du Desk, média marocain en ligne, Omar Radi est né en 1986 à Kénitra, près de Rabat. En 2021, alors accusé de viol et d’espionnage, il est condamné par son pays à six ans de prison ferme. Reconnu coupable de « viol et atteinte à la pudeur d’une femme avec violence » et « atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’État », sa peine fut confirmée en appel le 3 mars 2022. Le vote du parlement européen a été très mal reçu au Maroc et son parlement a immédiatement réagi lors de sa séance plénière du 23 janvier, dénonçant une campagne d’accusations « fallacieuses » et une ingérence dans son système judiciaire.

Afin de comprendre la portée de cette résolution, il convient de rappeler et de bien comprendre quelles sont les compétences du parlement européen. Ayant pour rôle de représenter les citoyens des pays membres de l’Union européenne, il dispose d’une triple compétence : législative, budgétaire et de contrôle de l’exécutif, c’est-à-dire de la Commission européenne. Il peut également émettre des résolutions, illustrant une position commune des députés européens et demandant souvent, sans aucune valeur contraignante, à ce que certaines mesures soient prises en conséquence. L’absence de valeur contraignante permet donc au parlement de s’adresser aussi bien aux États membres, qu’à une institution de l’Union ou à une organisation tierce, que ce soit un pays hors de l’UE ou une organisation « civile » etc.

Deux poids deux mesures

Juridiquement la résolution adoptée le 19 janvier n’a pas de valeur. Elle revêt en revanche une symbolique particulière. En effet, cet avis du parlement qui attaque sans faux semblant le Maroc a été adopté en même temps que d’autres résolutions portant sur des situations internationales bien plus préoccupantes comme les conséquences humanitaires du blocus dans le Haut-Karabakh, les crimes d’agression contre l’Ukraine ou encore les exécutions en Iran. Il s’agit là d’un message très osé : l’UE met au même niveau le système judiciaire chérifien que les exécutions iraniennes et d’autres situations dramatiques.

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Le dîner du vaniteux

Au Maroc, l’opinion a été touchée dans son ensemble et les réactions ont émané spontanément de toutes les catégories socio-politiques. Les médias locaux relatent une ingérence étrangère dans le système judiciaire local.  Il est également question d’arrogance et certains, sur les réseaux sociaux, évoquent une attitude « colonialiste » de la part de l’Europe. De même, il s’agirait de faire oublier le récent scandale de corruption Qatar/UE, en même temps qu’une concertation des adversaires du Maroc. La situation est perçue comme un « deux poids deux mesures ». La France est également la cible des articles de ces derniers jours. Les plus virulents affirment sa culpabilité, d’autres lui reprochent son ambiguïté. Il est notable qu’en France, cette actualité soit passée quasiment inaperçue jusqu’à présent, preuve d’un oubli des fondamentaux de nos relations internationales dans la sphère médiatique.

Une ingérence

Le parlement marocain, dans la même logique, reçoit avec beaucoup de « ressentiment cette recommandation qui a mis à mort la confiance entre les institutions législatives marocaines et européennes », qui risque de « nuire aux acquis accumulés au fil de décennies d’actions communes ».  Les mots sont forts et bien choisis, le Maroc menace presque l’Union européenne qui ne devrait pas avoir la vanité de penser qu’elle peut se priver d’un tel partenaire, notamment sur les plans économique, géopolitique et sécuritaire. Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) note lui une ingérence européenne et rappelle que les journalistes condamnés, et au premier rang desquels Omar Radi, le sont au regard du droit commun et qu’en aucun cas ils ne seraient des prisonniers d’opinion. Le CSPJ considère le texte du parlement européen comme « une atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire » et se targue d’une leçon de démocratie en expliquant ainsi à l’Union européenne que l’indépendance de la justice est une valeur fondamentale qu’elle ne devrait pas ignorer…

De même, l’économiste et enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences juridiques, Economiques et Sociales de Fès, Abderrazak Ek Hiri affirme que l’action du parlement européen « cible directement les avancées économiques et géopolitiques du Royaume du Maroc et ne fait qu’entacher [sa] crédibilité (…) et instaurer un climat tendu dans un environnement extrêmement complexe ».

Cette résolution aura donc fait grand bruit et ses conséquences concrètes se dessineront petit à petit pour la France comme pour l’Europe. Le parlement marocain a en effet affirmé « reconsidérer ses relations avec le parlement européen et de les soumettre à une évaluation globale ».

Une résolution pourtant non contraignante

Cette résolution, sans valeur contraignante, est éminemment politique. Il est étonnant qu’elle intervienne néanmoins dans un contexte où les relations du Maroc avec l’Union européenne tendent à se dégrader. En effet, depuis 2016 notamment, la Cour de justice de l’Union européenne est plusieurs fois sortie de ses compétences et a émis d’autres décisions mal reçues au Maroc dans des affaires d’accords commerciaux en matière d’agriculture et de pêche. Ces décisions, qui n’ont pas eu de conséquences sur la politique extérieure de l’UE qui est l’affaire de l’exécutif, ont d’ailleurs été vivement critiquées par des juristes internationaux, tant sur la forme que sur le fond. Le 19 janvier, le parlement européen s’est inscrit dans la même démarche. Depuis longtemps maintenant, il s’est octroyé une compétence de juge moral des situations internationales, au travers de ses résolutions.

La question qui doit être soulevée n’est pas tant celle des avis du parlement européen que celle de l’agenda politique de ses avis. Pourquoi, alors que la situation entre la France et le Maroc laissait espérer un renouveau après quelques années de brouilles, le groupe Renew (c’est-à-dire les eurodéputés du groupe de la majorité du président de la République française) a-t-il initié cette résolution, et, logiquement, voté pour ? Pourquoi la fermeture du média algérien Radio-M et l’emprisonnement de son directeur, le journaliste algérien Ihsane el Kadi en décembre dernier n’ont pas fait l’objet d’une résolution similaire?

C’est donc cet agenda politique qui questionne : pourquoi l’Union européenne et le groupe Renew s’attaquent-ils en ce moment au Maroc ? Les causes sont multiples et sans doute faut-il entendre ici la volonté européenne de donner des gages, dans un contexte énergétique tendu et avec une volonté d’établir une coopération au Sahel, au voisin algérien qui montre une hostilité de plus en plus virulente à l’égard du Royaume du Maroc.

L’Espagne tente d’apaiser la situation

L’Espagne est intervenue pour embellir quelque peu le tableau diplomatique, et rappelle ainsi la force et l’importance des relations bilatérales dans les relations entre les pays européens et le Maroc. L’Union européenne n’est pas seule détentrice de la politique extérieure des Etats membres. Le parti du Premier ministre, le Parti socialiste espagnol (PSOE), s’est prononcé contre cette résolution, tandis que l’eurodéputé PSOE Juan Fernando López Aguilar a confirmé cette position face caméra en demandant si les Espagnols accepteraient « de voir des interventions impitoyables contre l’Espagne et son Roi à l’étranger » et s’ils ne trouveraient « pas ça louche », soulignant que tout cela n’avait rien « d’anodin ».

A lire ensuite, Gil Mihaely: Séisme en Turquie: la corruption première cause de décès

La France a beau être traditionnellement une alliée, et historiquement très proche du Maroc, la situation diplomatique entre Rabat et Paris est au plus mal ces dernières années. Crise des visas, légèreté française à propos de la souveraineté du Maroc sur le Sahara marocain, réaction marocaine quant à l’accueil de ses ressortissants faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, etc. : la liste était déjà longue. Malgré cela, le Roi Mohammed VI et le président français avaient laissé entrevoir un espoir d’embellie à la fin de l’année 2022, et une visite officielle d’Emmanuel Macron devait marquer le début d’une nouvelle ère.

Malheureusement, la résolution européenne du 19 janvier vient à nouveau assombrir le tableau. Nul doute que l’initiative du Groupe Renew a bien été notée du côté des institutions chérifiennes.  Lors de la séance parlementaire du 23 janvier, Ahmed Touizi, membre du Parti Authenticité et Modernité (PAM), accuse un pays « que l’on croyait ami et partenaire sûr ». Il affirme que « l’odeur du gaz lui a fait perdre sa tête »… Difficile de ne pas y entendre que la France, qui s’est rapprochée d’Alger notamment pour son gaz, est responsable de cet incident européen.

Lors d’un point presse du 26 janvier, le ministère français de l’Europe et des Affaires Étrangères a tenu à calmer le jeu en déclarant être, vis-à-vis du Maroc, « dans un partenariat d’exception que nous entendons nourrir » et qui a vocation à s’étendre dans les deux décennies à venir. La position officielle du gouvernement semble donc vouloir se détacher des prérogatives du parlement européen, en insistant sur les relations bilatérales entre Paris et Rabat, la porte-parole du ministère évoquant une « amitié profonde ». La volonté était à l’apaisement, au « en même temps » cher à Emmanuel Macron.  Seulement, les amis de la France la jugent à ses actes plus qu’à ses déclarations, et les tentatives de Christophe Lecourtier, ambassadeur de France à Rabat, qui s’efforçait d’expliquer le 3 février dans le magazine marocain Tel Quel que « la résolution du parlement européen n’engage aucunement la France », resteront vaines. En effet, le Bulletin officiel marocain, d’une manière particulièrement sobre et singulière, mentionne à sa dernière page que « suite aux instructions royales, il a été décidé de mettre fin à la mission de M. Mohammed Benchaâboun en tant qu’ambassadeur de Sa Majesté auprès de la République française, et ce, à compter du 19 janvier 2023 ». La date ne trompe pas : il s’agit là bel et bien d’une réponse au vote du parlement européen – qui a eu lieu ce même jour. Vote dont le Maroc tient la France pour responsable, d’autant que le Roi Mohammed VI a pris le soin de ne pas désigner de remplaçant.

Marine Le Pen au centre de l’arc républicain?

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Marine Le Pen entourée d'autres députés lors des débats sur la réforme des retraites à l'Assemblée nationale, Paris, 6 février 2023 © Jacques Witt/SIPA

Aurore Bergé (Renaissance) se trompe: même s’ils y mettent beaucoup du leur, il n’y a pas que les députés LFI pour dérouler le tapis rouge au parti de Marine Le Pen. L’analyse de Philippe Bilger.


Est-il nécessaire de se pencher chaque jour sur les débats de l’Assemblée nationale alors qu’ils ne cessent de démontrer à quel point l’infantilisme mêlé d’idéologie – le pire mélange – gangrène notre vie démocratique et que les citoyens en ont honte ? Il y a LFI qui a réussi son pari : se distinguer pour le pire, pour qu’on parle d’elle avec stupéfaction et indignation. LFI parvient, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’hémicycle, à défier le bon sens, la bienséance et la correction républicaine.

La mauvaise foi abyssale du chef de la Nupes

Il y a la Nupes qui derrière une union affichée, obligatoire pour son futur, n’est pas forcément sur la même longueur d’onde que ceux qui s’adonnent à ce brouhaha permanent et grossier, qui ne laisse plus le moindre doute sur la pauvreté des répliques sur le fond alors qu’elles sont rendues délibérément impossibles. Il est effarant de constater combien Jean-Luc Mélenchon s’est dévoyé sur le plan intellectuel, politique et médiatique. Avec une mauvaise foi abyssale au point par exemple, dans un entretien de deux heures, d’être à plusieurs reprises injurieux à l’égard des journalistes et de légitimer avec ironie le geste du député Thomas Portes (exclu 15 jours) posant le pied sur un ballon à l’effigie d’Emmanuel Macron et d’Olivier Dussopt, en faisant mine de ne s’inquiéter que pour le ballon. Pour se rassurer un peu, en dépit du soutien inconditionnel de Manuel Bompard, de Danièle Obono et de Louis Boyard, on doit se rabattre sur la dissidence et la contestation discrètes de ceux qui ont été écartés. Par exemple Clémentine Autain, Raquel Garrido, Alexis Corbière et François Ruffin. Il est symptomatique de relever que ces derniers, sans craindre les coups d’éclat, apparaissent légèrement en deçà pour le tohu-bohu et ont probablement conscience que cette tactique parlementaire les dessert plus qu’elle ne les favorise.

François Ruffin, sur un mode plus net que Clémentine Autain (qui met en cause seulement l’exercice du pouvoir par Mélenchon), discute la ligne de LFI et trace son sillon qui relève d’un retour au peuple, à ses angoisses sur tous les plans et à ses difficultés. Il oppose une contradiction forte à la stratégie de Jean-Luc Mélenchon qui – c’est son immense faiblesse – se réfère, avec une modestie ostentatoire, aux « gens » qu’il invoque trop pour en être réellement proche.

Comportement formellement irréprochable

Il me semble – c’est le cœur de mon billet – que cette nouvelle donne exprimée depuis plusieurs mois par François Ruffin constitue pour lui la seule riposte possible aux avancées du RN. Ruffin mesure le péril, plus que tout autre dans son camp. En tout cas bien plus que les orthodoxes, les trublions systématiques, les inféodés à Jean-Luc Mélenchon qui font semblant de ne pas saisir à quel point ce RN massif à l’Assemblée nationale, à la fois présent mais absent (par son comportement formellement irréprochable), intervenant mais en s’économisant, habilement classique, classiquement vêtu, pèse lourd et comme, en feignant de l’oublier, par contraste, ils amplifient sa vigueur. On peut d’ailleurs se demander si LFI ne calque pas son attitude à rebours sur celle du RN. Aurait-il été débraillé et vociférant que l’extrême gauche sans doute aurait joué superficiellement l’apaisement !

Le RN, témoin, observateur, tacticien, en dehors du rituel des dénonciations stéréotypées, n’est pas assez pris au sérieux par Renaissance pour une double raison. Parce qu’Emmanuel Macron ne sera pas candidat en 2027 et qu’une lutte interne dans la majorité met déjà aux prises ceux qui aspirent à lui succéder. Aurore Bergé se trompe et devrait se culpabiliser avec son groupe : il n’y a pas que LFI pour dérouler le tapis rouge à l’extrême droite… Pourtant ils sont de plus en plus nombreux ceux qui prévoient, espèrent ou craignent une victoire de Marine Le Pen en 2027. Pour ma part je continue à penser que son principal obstacle sera ce nom de Le Pen qu’elle a contribué à dédiaboliser (quoi qu’on prétende). Mais il n’est plus du tout inconcevable, quel que soit l’avenir qui ne sera pas dans tous les cas un chemin national et international semé de roses, qu’elle l’emporte. Et si on l’essayait, elle ? Probablement une curiosité risquée que beaucoup seraient prêts à assumer. Avec ce paradoxe inouï dont la démocratie est en de rares circonstances porteuse.

Après Macron…

Emmanuel Macron, par sa faiblesse régalienne et son mépris du peuple si subtilement affiché qu’il ressemble à de l’empathie surjouée, aura beaucoup fait progresser le RN. Mais puis-je dire que pour 2027, face à elle, il manquera ? Non qu’il l’aurait vaincue en 2017 et en 2022 parce qu’il aurait été le meilleur mais seulement grâce à ce raisonnement simpliste que j’ai beaucoup entendu: qui d’autre à sa place ? c’est le moins mauvais ! En 2027, il est certain que la République ne nous privera pas de candidats de valeur. Mais à gauche et à l’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon s’il s’obstine perdra à nouveau, François Ruffin étonnera, convaincra mais ne gagnera pas, le sympathique Fabien Roussel ne pourra pas faire oublier qu’il est communiste et qu’un petit bout de Staline reste dans son cœur, les écologistes n’ont plus que Marine Tondelier… À droite et au centre cela se bousculera : Laurent Wauquiez, David Lisnard, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Edouard Philippe… Aucune certitude de victoire contre Marine Le Pen ! C’est à cause de 2027 que ce climat parlementaire est suicidaire ; la tenue de la rue lui donnerait presque des leçons. Le RN, absent, présent, qu’on a prétendu sortir de l’arc républicain est en plein dedans : au point de présider la République en 2027 ? Pour le battre, il faudrait autre chose que des mots !

Le dîner du vaniteux

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Le président Macron et le président de l'Ukraine Volodymyr Zelensky, Paris, 8 février 2023 © Lewis Joly/AP/SIPA

Emmanuel Macron n’entendait pas forcément faire venir à Paris le président ukrainien avant la date du premier anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Mais, devant le faste déployé par les Britanniques, le président français a rapidement organisé une réception à l’Élysée, mercredi 8 février. Coulisses.


Le soir du mercredi 8 février, le président ukrainien a été invité et reçu à l’Élysée de manière parfaitement impromptue. Selon nos confrères de Politico [1], cette invitation surprise aurait été motivée par la nouvelle de la visite-éclair rendue par M. Zelensky à Londres le même jour. Au fur et à mesure que le programme de la journée londonienne se dévoilait, Paris devenait de plus en plus anxieux à l’idée de ne pas être aussi le centre de l’attention internationale. Il est vrai que les Britanniques avaient tout préparé pour faire de cette visite non seulement une démonstration de solidarité internationale, mais aussi un grand spectacle médiatique. 

À Londres, un programme royal

Arrivant en Angleterre dans un avion britannique, M. Zelensky a été reçu à l’aéroport par le Premier ministre, Rishi Sunak, et emmené au 10 Downing Street où il a été accueilli par les applaudissements des fonctionnaires – devant les caméras. Ensuite, visite au parlement où, après avoir échangé une poignée de main avec le leader de l’opposition, le travailliste, Sir Keir Starmer, le président ukrainien a rencontré les présidents de la Chambre des Communes et de celle des Lords. Au premier, il a donné un casque de pilote de chasseur ayant appartenu à un as de l’armée de l’air ukrainienne. Inscrite dessus, il y avait la formule suivante : « Nous avons la liberté, donnez-nous des ailes pour la protéger ». C’était d’ailleurs le message essentiel du discours qu’il a prononcé par la suite devant les élus rassemblés dans Westminster Hall, la partie la plus ancienne du parlement de Londres. L’étape suivante a été une visite au palais de Buckingham où M. Zelensky a été reçu par le roi Charles. Pour compléter le programme, il est parti en hélicoptère avec Rishi Sunak afin de se rendre à une base militaire dans le Dorset où il a rencontré des soldats ukrainiens qui se formaient sur le char britannique, Challenger 2. Après avoir donné des médailles à certains de ces hommes, il a tenu une conférence de presse commune avec le Premier ministre devant un tank. C’est là que Rishi Sunak a annoncé que les premiers chars britanniques arriveraient en Ukraine au mois de mars et que son gouvernement évaluait la possibilité d’envoyer des avions de chasse, en soulignant que, en matière de soutien à l’Ukraine, rien n’était à exclure. 

En principe, le président Macron n’avait pas l’intention de recevoir M. Zelensky à Paris mercredi. Ce soir-là, il aurait plutôt projeté d’aller au théâtre avec sa femme. Mais face aux images triomphales de la visite du président ukrainien à Londres, tout a changé. Un fonctionnaire de l’Élysée a confié à Politico qu’une décision spontanée a été prise pour attirer M. Zelensky à Paris. Sans doute afin de rivaliser avec le faste et la solennité londoniens, l’Élysée a tenté d’organiser une cérémonie aux Invalides pour honorer son visiteur. Pourtant, comme le président ukrainien ne pouvait pas être à Paris à temps, M. Macron a dû annuler l’événement et se contenter d’un dîner à 22h00. Il a néanmoins pu décerner la Légion d’honneur à son invité, et pour gonfler l’importance de l’occasion, il a réussi à persuader M. Scholtz de sauter dans un avion et de se rendre lui aussi à Paris. 

Improvisation parisienne

Toute cette activité improvisée était d’autant plus curieuse que le président français avait caressé le projet d’inviter M. Zelensky à Paris pour marquer l’anniversaire de l’invasion de son pays par la Russie. Pourtant, à la fin, rien ne s’était concrétisé. Toujours selon Politico, cette inaction s’explique en partie par le fait que, quand le président ukrainien s’adresse ou rend visite à ses homologues occidentaux, c’est surtout pour quémander des livraisons d’armes. Cela ne fait pas peur à M. Sunak, car le Royaume Uni fournit l’Ukraine depuis longtemps. Il a été le premier pays à promettre des chars et le premier pays européen à livrer des missiles antichars. Il est possible qu’il soit le premier à livrer des chasseurs.

Faire de telles promesses, ce serait sans doute aller trop loin pour M. Macron. Être obligé de refuser d’en faire, devant M. Zelensky, le jour symbolique de l’anniversaire de l’invasion, ce n’est pas valorisant.

Pourtant, le président semble n’avoir pas pu résister à la tentation de saisir l’opportunité de se montrer en homme d’État sur la scène internationale. C’est sûrement plus flatteur que de faire face aux manifestations provoquées sur la scène domestique par la réforme des retraites. À croire que M. Macron serait parfois motivé par la vanité. Certes, en politique il ne serait pas le seul. On pense au bon mot d’Elie Faure :

« La vanité et la crainte du ridicule sont les traits les plus saillants du caractère français. C’est étrange, à coup sûr, la vanité étant neuf fois sur dix la source du ridicule ».

[1] https://www.politico.eu/article/emmanuel-macron-volodymyr-zelenskyy-ukraine-behind-the-scenes-scramble-to-paris/

La tête comme un ballon

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Thomas Portes, député LFI d’AOC, a les pieds carrés. Donc, incapable de faire plus de deux jongles, il a préféré mettre le pied droit sur le ballon. Un ballon avec la tête à Olivier Dussopt en photo. Problème, gros problème, ce pur gaucher ceint de son écharpe tricolore sur la photo d’avant-match, se rend coupable, selon la majorité, d’un appel au meurtre, voire à la décapitation. “Si tous les cons volaient il ferait nuit.” (Frédéric Dard)


Sans l’écharpe ça passe. Dans une colère froide, feinte ou bouillante, les députés de la majorité se relaient derrière les micros pour dire à quel point le port de l’écharpe pour jouer au foot avec la tête à Dussopt est anti-sportif. Dans la mesure où le match avait lieu hors de l’hémicycle, si le député Portes n’avait pas arboré son accessoire républicain, il pouvait taper dans la tête à Dudu. Intérieur ou extérieur du pied, demi-volée ou reprise de volée, tout est permis avec la tête à Dudule. Mais pas avec l’écha… Ok on a compris.

Avec l’écharpe sans le pied ça passe. Au fur et à mesure de l’après-midi le règlement du jeu avec la tête à Dédé s’est affiné. Avec l’écharpe en paréo ou en smoking ça peut le faire, mais pas avec les pieds. Au hand, au volley ou en dunk in the panier le Dudu est compatible. En punching-ball dans les salles de boxe c’est jouable. Mais pas avec les pie… Ok on a compris. 

Ça passe ou ça casse. Dans cet après-midi de chienchien, les enfants de la baballe se sont déchirés. Le temple de notre démocratie est donc sous la garde de ces foufous de députés. Et ils ne sont ni les aigles de l’Empire, ni les a Oies du Capito… Ok on a compris.

A ne pas manquer, notre nouveau numéro en vente: Causeur #109: Tous retraités! Le dernier rêve français

Portes au placard. 15 jours de suspension. La sanction est tombée. Lourde, impitoyable. À l’unanimité. Si le Ministre Dustop and go a une tête à claques, il est interdit de s’essuyer les crampons sur sa bobine. Quant au député Thomas Portes que dire, que faire ? Si ce n’est que de la petite à la grande porte, il sera long son chemin à Toto. Pour les cocos et les socialos il va être très long le chemin à supporter les jobards et leurs jobarderies. Ce chemin de croix, ils l’ont choisi. Quant aux ovins de la Macronie, mon dieu mon dieu le niveau… Après cet incident que n’a-t-on pas entendu ? Certains ont fait rouler le ballon jusqu’à la tête de Samuel Paty. Ils ont osé et c’est à ça… Ok on a compris.

Bref. Les saucissons ne poussant pas aux arbres et les ânes n’étant pas des chevaux de course, ce n’est pas de l’hémicycle que jaillira la lumière dans ce pays éclairé aux bouts de chandelles. Dans ce contexte de pénurie d’intelligence pas artificielle et de menaces on ne peut plus réelles on est vraiment dans la m.… Ok on a compris.

La complainte du phoque en Alaska. (Beau Dommage)
Ca vaut pas la peine
De laisser ceux qu’on aime
Pour aller faire tourner
Des ballons sur son nez
Ça fait rire les enfants
Ça dure jamais longtemps
Ça fait plus rire personne
Quand les enfants sont grands

Marie-Thérèse Orain: « J’ai vu le monde de la nuit et des cabarets s’éteindre tout doucement »

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Marie-Thérèse Orain © Hannah Assouline

La chanteuse et comédienne Marie-Thérèse Orain est le témoin privilégié du Paris des cabarets et des music-halls. Elle a connu les plus grands et les derniers feux d’une époque bénie où la chanson française était un vivier de talents.


Chanteuse et comédienne, Marie-Thérèse Orain aura toute sa vie humblement et passionnément servi son art. Comédienne au boulevard, chanteuse fantaisiste au cabaret, chanteuse lyrique à l’opérette, elle n’a eu de cesse, sa carrière durant, de rebondir vers de nouvelles aventures. Témoin privilégiée de l’époque des « cabarets rive gauche » comme L’Échelle de Jacob ou L’Écluse, Yves Jeuland l’invite en 2012 à raconter cette époque dans son remarquable reportage Il est minuit, Paris s’éveille. En 2015, à l’âge de 80 ans, elle enregistre son premier album, Intacte, laissant enfin une trace de la chanteuse des nuits parisiennes, artiste qui partageait la scène avec Barbara, Brassens, Anne Sylvestre ou encore Patachou.

Aujourd’hui, on a l’impression qu’on ne doit pas pouvoir se remettre d’une main aux fesses. Non vraiment, j’ai du mal à comprendre ce monde…

Sur cet album, d’ailleurs, deux chansons sont consacrées au monde des cabarets, La Chanteuse, de Jacques Debronckart et Va lui dire à la p’tite, texte poignant écrit pour elle par son amie Anne Sylvestre.


Causeur. Vous vouliez devenir comédienne, et vous avez bifurqué vers la chanson et les cabarets. Comment cela s’est-il passé ?

Marie-Thérèse Orain. Je le dois à Patachou ! Après Oscar avec Louis de Funès, on m’a proposé trois petits rôles parlés dans la nouvelle comédie musicale d’Alexandre Breffort (qui venait de faire un triomphe avec Irma la douce). Patachou devait tenir le rôle principal. Durant les répétitions, le metteur en scène était furieux car elle s’absentait souvent pour aller donner des concerts. Il m’a donc proposé d’être sa doublure durant ses absences. J’ai rapidement appris ses airs. Un jour de répétition, j’étais sur scène en train de chanter le rôle principal au milieu des danseurs, très à l’aise, quand Patachou débarque et me voit donc tenir son rôle ! Elle est restée au fond de la salle à me regarder. À la fin de la chanson, elle s’avance jusqu’à la scène et me dit : « T’es chanteuse toi ? » d’un ton assez sec. Je lui réponds que non, qu’on m’a juste demandé de faire ça pour la doubler lors des répétitions. « T’as déjà chanté ? » me lance-t-elle. Je lui assure que non. Elle monte alors sur scène pour que je lui montre ses déplacements que j’avais appris. Et là, à voix basse, elle insiste : « Allez, t’as pas voulu me le dire devant les autres… mais t’as déjà chanté ? » Je lui réponds : « Oui, mais juste un peu, et pas seule, en chœur, dans une revue de Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, juste comme ça .» Patachou, surprise, me dit : « T’as jamais chanté seule ?! Eh bah tu devrais ! Allez, chiche ? Je ne te donne pas de directive ni de conseil, tu choisis quatre ou cinq chansons, tu te trouves un pianiste, tu répètes et quand tu es prête, tu me le dis, tu viens me montrer ça à la maison et je te dirai si ça vaut la peine de continuer. » Je me suis directement inscrite dans une école de chant tenue par Christiane Néret. Les cours avaient lieu au Bœuf sur le Toit. On pouvait y aller à n’importe quelle heure, il y avait toujours un pianiste de fonction. J’y suis allée tous les jours après avoir trouvé des chansons dans des maisons d’édition. À l’époque on faisait comme ça. On allait chez un éditeur et on disait : « Bonjour, je cherche des chansons fantaisistes un peu comme ci ou comme ça ». Le type vous disait : « Attendez, je crois que j’ai ce qu’il vous faut. » Il sortait la partition et la donnait à un pianiste de fonction qui vous la jouait. Et si ça nous plaisait, on achetait ! C’était aussi simple que ça de se constituer un petit répertoire. Je prépare donc ces chansons et, lorsque je suis prête, je le dis à Patachou. Elle me reçoit avec ma pianiste dans son somptueux appartement de Neuilly. On se met à table et à la fin du repas, elle me dit : « Allez, on va dans le salon et tu vas me montrer ça ! » J’étais terrifiée. Elle a tout écouté et à la fin elle m’a dit : « Oui, il faut continuer. Et je vois très bien quel répertoire il te faut… le mien ! » Je pensais qu’elle me prenait pour une concurrente plus jeune qu’elle, je pensais que c’était terminé pour moi. Mais pas du tout ! Lorsqu’elle a été directrice artistique du magnifique cabaret de la tour Eiffel, elle m’a engagée pour faire sa première partie. Voilà comment je suis devenue chanteuse !

Comment avez-vous évolué dans ce monde des cabarets ?

En juillet 1962, un type qui m’avait vu chanter au cours Néret – et qui connaissait bien madame Lebrun, la patronne du cabaret L’Échelle de Jacob – m’appelle et me demande : « Est-ce que vous pouvez aller à L’Échelle, ce soir à minuit, avec vos partitions ? Un artiste est malade et il faut d’urgence le remplacer. Comme ça, Suzy Lebrun vous verra ! » J’arrive là-bas avec un trac épouvantable. La salle était vide ! Il n’y avait qu’un couple qui se roulait des pelles sur la banquette du fond. La mère Lebrun a eu pitié de moi et a fait descendre le barman et la fille du vestiaire pour les mettre au premier rang. Je termine mon tour, la patronne vient me voir et me dit : « Bon, très bien. Vous revenez demain ! » Et je suis restée quatre mois. Je jouais dans la pièce Oscar le soir et ensuite je partais à L’Échelle de Jacob faire mon tour de chant. Puis tout s’est enchaîné. J’ai été engagée à La Villa d’Este, un « cabaret bouchon », un « cabaret champagne »… c’est-à-dire qu’il y avait des entraîneuses. C’était à l’Étoile, un cabaret rive droite ! Ça payait mieux que les cabarets rive gauche ! Mouloudji a lui aussi passé des années à chanter à La Villa d’Este.

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Vous ne chantiez que dans les cabarets ?

Non, également dans les music-halls [1]. À l’époque il y avait les music-halls de quartier, comme la Gaité Montparnasse. C’étaient des endroits qui avaient essentiellement une clientèle d’arrondissement. J’adorais chanter au Pacra, boulevard Beaumarchais. Le public était composé de petites gens, des concierges, des petits commerçants. Il devait y avoir mille places. L’orchestre était dans la fosse. Les ouvreuses étaient d’époque, c’étaient des dames d’un certain âge qui traînaient la patte. D’ailleurs la régisseuse boitait. C’était une ancienne trapéziste qui s’était cassé la gueule. Ce petit monde du music-hall parisien, c’était quelque chose ! J’adorais ça. C’était une école de vie ! Il fallait travailler, gravir les échelons. Souvent, les chanteurs commençaient dans les cinémas de banlieue car, en ce temps-là, avant le début du film, il y avait des attractions. Parfois un chanteur, parfois un magicien, des jongleurs. Aznavour a commencé comme ça. Après avoir écumé les cinémas de banlieue, les artistes prenaient du galon et passaient aux salles parisiennes. Ensuite seulement, ils accédaient aux music-halls de quartier. Alors, quand on arrivait sur les grandes scènes, on avait du métier.

Combien de temps avez-vous chanté dans les cabarets ?

Malheureusement, j’ai connu la fin des cabarets… Ils ont fermé les uns après les autres. Financièrement, c’était trop difficile pour eux. Les cabarets de la rive gauche étaient taxés autant que ceux de la rive droite – comme La Nouvelle Ève et les boîtes à entraîneuses – où les types dépensaient trois milles balles de champagne dans la nuit, tandis que rive gauche, les gens passaient la soirée à écouter les artistes avec une consommation à vingt balles. La fin des années soixante a été le grand déclin des cabarets.

Dans ces années-là, comment était la nuit parisienne ?

Oh ! Aujourd’hui on ne peut même pas l’imaginer. C’était fantastique ! Moi, avant d’aller chanter au cabaret, vers neuf heures du soir, je m’installais en terrasse sur le boulevard Saint-Michel uniquement pour regarder passer les gens. Ils étaient bien habillés, c’était joyeux, ça bouillonnait ! Je regardais ça émerveillée… puis vers vingt-trois heures, j’allais chanter. La nuit à Paris, il y avait du monde, de l’effervescence, et puis ce n’était pas violent. J’ai été une travailleuse de nuit pendant longtemps, et je peux vous dire qu’en rentrant chez moi tous les soirs après mes prestations, je ne me suis jamais fait voler ou agresser ! Pour moi, la violence et la mauvaise ambiance sont arrivées avec 68. J’ai vu ce monde de la nuit et des cabarets, que j’aimais tant, s’éteindre tout doucement… et là j’ai filé…

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Filé où ?

J’ai toujours eu de la chance. À chaque fois qu’une chose s’est dérobée sous mes pieds, une autre chose s’est pointée. J’apprends ainsi un jour que monsieur Cartier – directeur du théâtre du Châtelet – a une proposition à me faire. Je suis étonnée car c’est un théâtre lyrique et je ne suis pas chanteuse lyrique. Mais il me reçoit et me dit : « J’ai pensé à vous pour la comédie musicale américaine No, no, Nanette. Je ne vous connaissais pas mais ces derniers jours, quatre personnes m’ont dit que pour le rôle de Pauline, il fallait Marie-Thérèse Orain. » Et voilà comment j’ai été engagée au Châtelet. Sans passer d’audition ! C’était en 1982. Ensuite, j’ai enchaîné les opérettes et les comédies musicales. Ça a duré vingt ans. Et, parfois, avec de très beaux spectacles, comme La Veuve joyeuse mise en scène par Alfredo Arias. Et puis j’ai fait beaucoup de spectacles avec Jérôme Savary, notamment des Offenbach magnifiques comme Le Voyage dans la lune et La Vie parisienne. J’ai chanté dans les plus belles salles durant ces vingt ans… Châtelet, Opéra-Comique, Grand Théâtre de Genève…

Pour en revenir aux cabarets, quelles sont les grandes personnalités qui vous ont marquées ?

J’adorais Christine Sèvres, qui était malheureusement estampillée comme la femme de Ferrat. Mais c’était une grande chanteuse ! J’aimais beaucoup Catherine Sauvage aussi. Ses récitals au Théâtre Montparnasse avec Jacques Loussier au piano étaient bouleversants ! Du grand travail ! Et Barbara ! J’ai fait le cabaret La Tête de l’Art pendant un mois avec elle, dans le même programme. Je l’ai bien connue. Et puis Gribouille… qui est malheureusement partie trop tôt. C’était une des plus grandes. Lorsque je l’ai vue à Bobino, elle m’a tout de suite rappelée Piaf. Il y avait aussi Cora Vaucaire : quelle classe, quelle articulation, c’était remarquable ! Vraiment, il y avait un vivier d’artistes dans la chanson française à cette époque… et puis les Yéyés sont arrivés. Et là, ça a été terminé. Voilà, il n’y en avait plus que pour les Yéyés… On m’a proposé de me « reconvertir », mais je n’ai jamais pu. Chanter des conneries, non merci !

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Et Brassens ?

C’était un type formidable. J’ai fait deux fois Bobino avec lui. En principe pour les tournées, il ne voulait pas embarquer de femme dans l’équipe. Il disait : « Dès qu’il y a une chanteuse quelque part, la merde commence. » Lors de notre second Bobino ensemble, le soir de la dernière, je vais le voir et je lui dis : « Bon bah, on se dit au revoir. » Il n’aimait pas les au revoir et, comme il sentait que j’allais pleurer, il était très mal à l’aise. Il m’a juste dit : « Si je refais Bobino, tu feras partie du convoi. » Il part, fait trois pas, puis revient et ajoute : « Parce que je vais te dire… pour une bonne femme, tu n’es pas trop emmerdante. » C’était tout Georges : la tendresse, la pudeur, la délicatesse. Il était très délicat, il faisait attention aux autres. Je ne l’ai jamais vu mal parler à qui que ce soit, jamais. Georges, c’était le peuple dans ce qu’il a de plus noble.

Marie-Thérèse Orain et Georges Brassens, dans les coulisses du théâtre Bobino à Paris, 1973. ©Marie-Thérèse Orain.

Que pensez-vous du monde d’aujourd’hui ?

Je le trouve très inquiétant. L’ambiance n’est plus à la rigolade. Même dans le milieu artistique. Quand on voit la chasse aux sorcières que subissent les hommes… je n’aimerais pas être à leur place. Moi, j’ai du mal à comprendre cela. J’étais mignonnette quand j’étais jeune, des gars qui ont essayé de me coincer, il y en a eu ! J’ai même eu très chaud quelques fois… Mais ça ne m’a jamais traumatisée… franchement ! Ça m’est toujours passé au-dessus. Quand j’y repense, ça aurait plutôt tendance à me faire rire. Aujourd’hui, on a l’impression qu’on ne doit pas pouvoir se remettre d’une main aux fesses. Non vraiment, j’ai du mal à comprendre ce monde que je vois tourner à une vitesse phénoménale, et dans un drôle de sens.

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[1] Le music-hall disposait de grandes salles, plutôt luxueuses (Bobino, Alhambra, Olympia, Concert Pacra). On y présentait des revues avec décors, orchestre, etc., mais aussi des chanteurs et des fantaisistes. Au cabaret, la salle était petite et la scène minuscule. Les artistes s’y succédaient durant la soirée seulement accompagnés d’un pianiste. C’était la chanson sans fioritures ni paillettes. (Barbara, Greco, etc.).

De l’urgence de relire Courteline

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Georges Courteline, écrivain français (1858-1929). Photo : D.R.

«Messieurs les ronds de cuir» de l’édition en ont mis, du temps, pour le rééditer…


Le constat est implacable, sondage après sondage, deux tiers des français ne veulent pas de cette réforme des retraites. Il en est un autre, encore plus alarmant sur la vitalité du théâtre français et l’aphasie éditoriale. On ne lit plus Georges Courteline et, plus grave, on ne le réédite pas. Il est passé de mode, placardisé, lambrissé dans des intérieurs bourgeois, boulevardisé dans les portes qui claquent et les adultères duveteux, relégué à cette toute fin XIXème, juste au moment de l’avènement de la fée lumière et de l’érection d’une Tour boulonnée sur des terrains mouvants. Ses histoires de préposés aux écritures et d’altercations caustiques dans les transports publics sont-elles si éloignées de notre morne réalité où la loi inique et les interdits s’abattent sur nos têtes depuis maintenant trois longues années ?

Moraliste des réunions de syndic

Courteline avait déjà tout écrit, tout prédit sur les illusions perdues, la rapacité commerçante, la médiocrité bureaucratique et les élans incertains du cœur. Il savait intimement que l’Homme libre serait perpétuellement en proie à des forces administratives obscures, d’étranges règlements tentaculaires et la méchanceté inhérente à l’âme humaine, plus commandée par la bêtise que par la malignité des sentiments.

Ce moraliste des réunions de syndic, à l’humour grinçant, pousse les situations banales de l’humiliation ménagère en bombe à retardement. Quand personne ne veut céder, de peur d’être atteint dans son honneur, c’est là que le sport commence, la joute pathétique s’emballe, les arguments glaiseux s’affrontent avec cette outrance surjouée et cette envie de ne pas céder une once de terrain à son adversaire, qu’il s’agisse de payer un ticket de bus à un contrôleur malveillant ou de ne pas réveiller une épouse acariâtre après une nuit trop arrosée. Chez Courteline, l’honneur est souvent bafoué, l’injustice rampante, les maris accablés et les palabres sans fin, l’individu lambda devient alors, selon la formule de Michel Audiard, la mascotte des tortionnaires. Avec Courteline, point de sang et d’armes à feu, seulement des paroles blessantes lancées avec une rogue attitude et toujours sûr de son bon droit, le code à la main. Les faux-héros de ce styliste à l’encre noire, sont souvent de petits bourgeois vindicatifs, des fonctionnaires transparents ou des théâtreuses rapaces.

Cruauté et désespoir derrière le comique

Dans la collection Exhumérante où l’on trouve, entre autres, Octave Mirbeau, Alphonse Allais, Tristan Bernard, Jules Renard ou O. Henry, « l’Arbre Vengeur », toujours inspiré dans sa préservation du patrimoine littéraire publie Ah ! Jeunesse ! de Courteline, illustré avec beaucoup d’à-propos par Stéphane Trapier que Chaval aurait certainement adoubé. Courteline a dédié cette série de nouvelles et saynètes à Marcel Schwob qui avait préfacé Messieurs les ronds-de-cuir (tableau-roman de la vie de bureau) en 1893. Ces morceaux d’ironie tordante se déroulent souvent Place de la Bastille ou rue du Faubourg-Saint-Denis, dans un Paris couleur sépia, voguant entre le vaudeville et l’étude des mœurs, dans un environnement, en apparence, sans histoire. Mais un détail, une réflexion, un minuscule abus d’autorité vont venir dérégler cette grande machinerie que nous appelons aujourd’hui le « vivre ensemble ». Courteline sait faire monter cette mayonnaise, la maïeutique des gens ordinaires.

Avec les années, le côté vaudevillesque l’a emporté dans les mémoires sur la philosophie du désespoir, et surtout, nous avons oublié combien l’écrivain élevé dans sa prime enfance en Touraine chez ses grands-parents, se révèle un auteur plein de perfidies réjouissantes. On se love dans son écriture saignante, faite d’arabesques et de précisions d’entomologiste. Admirez le maître : « Il y a, pour les gens très bêtes, un spectacle très récréatif : c’est celui d’un homme de lettres dans l’exercice de ses fonctions. Non, je ne crois pas qu’il soit un champ où fleurisse, s’épanouisse, prospère de plus luxuriante façon l’observation narquoise des niais et de leur ineffable goguenarderie ». C’est drôlement envoyé, et, celle-là, d’une cruauté abyssale, à propos d’une jeune personne : « La vérité me force pourtant à le dire: au régiment des perruches, Mlle Mariannet eût pu être tambour-major. Sa taille le lui eût permis, et aussi l’insondable point de profondeur où atteignait sa puérilité ». Alors, on se lève tous pour Courteline !

Ah ! Jeunesse ! de Courteline – L’Arbre Vengeur, 224 pages.

Dans la famille de la poésie britannique contemporaine, je réclame Selima Hill

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Image d'illustration Unsplash.

Je veux être une vache…


Il y a deux sortes de guides de voyage, bien plus efficaces que le Routard, pour découvrir un pays. C’est son roman noir et sa poésie (contemporaine). Dans les deux cas, il s’agit d’un pas de côté, d’un changement de l’angle de tir, d’un réagencement de la réalité, des sentiments, du désir, de la pulsion.

Je fais mon miel, ces temps-ci, d’une anthologie bilingue de la poésie britannique, L’île Rebelle (Poésie Gallimard). Elle rassemble des poètes nés entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années 60, qui publient encore pour la plupart aujourd’hui. Les traductions sont de Jacques Darras, un de nos plus grands poètes vivants dont nous vous parlerons bientôt, et Martine De Clercq.

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J’ai particulièrement aimé, entre autres, deux poèmes de Selima Hill, née en 1945, « Vache » et « Portait de mon amant en animal étrange »: elle a l’humour inquiet d’une Sylvia Plath, un art de la métaphore aussi surprenante qu’évocatrice qui fait penser au Morand des débuts, et elle pratique un féminisme sans dogmatisme, comme un art du bestiaire.


Vache

Je veux être une vache
pas la fille de ma mère.
Je veux être une vache
pas amoureuse de toi.
Je veux me sentir libre d’être calme
Je veux être une vache qui jamais ne va connaître
le genre d’amour dont on « tombe amoureux », 
une vache royale avec des hanches aussi amples et saines qu’un grand magasin,
une vache que le fermier trait à genoux,
qui a sa mort sentira l’aurore se pencher sur elle comme une prairie
et lui mouiller les lèvres.

Selima Hill

Pasolini, derniers temps

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Pier Paolo Pasolini (1922-1975) © MARY EVANS/SIPA

Pétrole, le livre testamentaire et maudit de Pasolini ressort dans la collection « l’Imaginaire » de Gallimard…


Lorsqu’il est mort en 1975, assassiné sur une plage d’Ostie, près de Rome, Pier Paolo Pasolini travaillait depuis trois ans à la rédaction d’un roman extrêmement ambitieux, intitulé Pétrole. Malgré son inachèvement évident, le livre fut publié une première fois en Italie en 1992, et en 1995 en France, dans une traduction de René de Ceccatty. La critique ne reçut pas très favorablement ces quelque mille pages, plutôt désarçonnantes et au contenu audacieux. Et pourtant, comme le soutient René de Ceccatty dans la préface à cette nouvelle édition revue et corrigée, Pétrole éclairait en partie les causes de la mort de Pasolini, non pas seulement un « crime sexuel », mais le fruit d’un complot politique.

Lors de diverses enquêtes menées depuis, pour tenter de résoudre cette affaire, les policiers italiens « ont trouvé dans Pétrole, écrit René de Ceccatty, des éléments, selon eux, déterminants pour expliquer les circonstances ou plutôt les causes politiques de son assassinat ». C’est dire l’importance de ce roman dans le dévoilement de la vérité, et du reste personne ne s’y est trompé. Comme si, au centre même de Pétrole, se dissimulait l’énigme du destin de Pasolini.

L’agitation des années 70

Il faut donc se pencher sur ce gros volume, d’un abord il est vrai peu facile. Ce qu’on perçoit en premier lieu, c’est la volonté de Pasolini de faire une synthèse de la littérature de son temps. Nous sommes, rappelons-le, c’est essentiel, dans les années 70, période où les avant-gardes fleurissaient, comme Tel Quel en France. Tout un courant postmoderne s’était développé dans la littérature et les sciences humaines, qui semble avoir retenu l’attention de Pasolini. René de Ceccatty énumère les auteurs classiques qu’il prendra pour modèles, afin de s’en inspirer ou, plus directement, de les pasticher, quand ce n’est pas pour les recopier purement et simplement (comme avec Les Démons de Dostoïevski). On reconnaît, parmi les influences de Pasolini, l’Ulysse de Joyce, les Cantos de Pound, Tristram Shandy de Sterne ou encore La Tentation de saint Antoine de Flaubert. On pourrait encore mentionner La Divine Comédie de Dante, ou bien le marquis de Sade. On le voit, c’est un flux ininterrompu de grands auteurs, qui noierait le texte sans, à chaque fois, une note pour nous indiquer de quoi il s’agit.


Constatons à ce propos l’importance des notes, dans la lecture de Pétrole. Elles proviennent en grande partie des deux éditions italiennes, auxquelles René de Ceccatty a ajouté les siennes  pour sa traduction en français. Il est passionnant de poursuivre la lecture de ce roman grâce aux notes, qui ouvrent bien des portes sur le travail de Pasolini. Celui-ci ne lisait pas seulement Dante ou Sade, mais aussi les livres et la presse de son époque. On apprend ainsi, à l’occasion d’une expression particulière que Pasolini emploie dans Pétrole, qu’elle est « tirée d’un essai de l’ethnologue américain, spécialiste de l’Inde, David G. Mandelbaum (1911-1987) […] Pasolini possédait cet ouvrage et l’avait étudié attentivement… » Ce genre de précision mettra en joie le lecteur érudit et fétichiste, amoureux des livres. Je ne dis pas pour autant que les notes sont plus intéressantes que le texte de Pasolini, mais elles jouent un rôle prépondérant dans notre lecture.

Idéologie et illisibilité du récit

De son côté, Pasolini commente, dans le corps même de son roman, l’avancée de son récit. Il fait de nombreuses remarques sur ce qu’il est en train d’écrire, sur ce qu’il veut dire. Aurait-il laissé ces passages dans la version finale ? Difficile de trancher. Mais ces remarques intéressent néanmoins le lecteur, et, selon moi, il aurait été dommage de s’en priver. Pasolini précise par exemple, à propos de son récit, qu’il « appartient par sa nature à l’ordre de l’illisible », et que « sa lisibilité est donc artificielle : une deuxième nature non moins réelle, en tout cas, que la première ». Plus loin, il confie, de la même manière, que « la psychologie est remplacée par l’idéologie ». Cette réflexion est à souligner dans la mesure où elle caractérise les personnages que met en scène Pétrole. Le livre est censé raconter un assassinat réel (bizarre coïncidence, tout de même), celui de l’homme d’affaires Enrico Mattei. Mais Pasolini se concentre sur d’autres personnages tout à fait imaginaires, dont certains, livrés à eux-mêmes, se dédoublent. Ils ont signé un pacte avec le Diable, et leur vie est une descente aux enfers. La sexualité est chez eux une obsession malsaine, avec des fantasmes rudimentaires. On connaît la part centrale pour Pasolini de l’érotisme. René de Ceccatty souligne très bien que, dans ce dernier roman, de même que dans son film posthume, Salò ou Les 120 Journées de Sodome (1976), il y a un « revirement de Pasolini quant à son usage de la sexualité dans son art ». En clair : « Le sexe peu à peu devenait un ennemi, pour lui. »

Un livre à reprendre et à relire

Pétrole est certainement un de ces livres qu’il ne faut pas hésiter à reprendre. Sa lecture en est problématique, parfois. C’est un livre d’une grande ambition, dans lequel Pasolini essaie de mettre noir sur blanc des choses quasi incompréhensibles. Pour ma part, je ne me suis pas laissé intimider par ce monument, car Pasolini, intellectuel généreux, sait toujours rester un homme simple, avec un arrière-fond de sagesse évident. Il reste que, dans les années 70, ce n’était pas la sagesse qui comptait le plus. On pourrait se demander légitimement : « Et aujourd’hui ? »

Pier Paolo Pasolini, Pétrole. Édition revue et augmentée. Traduit de l’italien par René de Ceccatty. Préfaces de Bertrand Bonello et René de Ceccatty. Éd. Gallimard, collection « L’Imaginaire ».

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Serge Lama, le petit garçon au ballon rouge, a 80 ans

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Serge Lama en concert à Paris en 1998. ©BENAROCH/SIPA

Pour l’occasion, il s’est confié à Mireille Dumas, notre confesseur(e) nationale, dans un documentaire émouvant: «Serge Lama la vie à la folie», toujours visible en replay sur France 5.


Bien sûr, comme dans tous les documentaires qui retracent la vie d’un artiste, on nous montre des images d’archives. Cependant, concernant celui-ci, elles sont peu nombreuses : Mireille Dumas, avec sa façon subtile de poser des questions, un peu en retrait, laisse toute la place à celui qui se trouve en face d’elle.

Et nous sommes immédiatement captivés par l’histoire de Serge Chauvier dit Serge Lama, parce que sa vie est un roman, mais surtout parce que Lama est un conteur, qui sait trouver les mots, ceux qui nous transpercent d’émotion. Nous le sentons également apaisé, lui qui fut secoué par tant de drames, comme celui de perdre la femme aimée, celui d’avoir vécu une enfance pas toujours rose, mais qui lui fit le cuir. Nous avons l’impression que Serge Lama a laissé la place au petit Serge Chauvier : « Qu’importe ma vie, je veux seulement qu’elle reste jusqu’au bout fidèle à l’enfant que je fus » aurait pu dire Lama, comme Bernanos.

Maman Chauvier

Serge Chauvier est né en 1943 à Bordeaux, il est fils unique, et son père était un chanteur d’opérette qui remportait un certain succès. Serge adore traîner dans les coulisses des théâtres, il se souviendra toujours de l’odeur « de femmes et de fards » qui y régnait.

Mais papa Chauvier voulut conquérir Paris, qui ne voulut pas de lui. La famille en est donc réduite à vivre à trois dans une chambre, cependant au cœur du XIᵉ arrondissement. Ce premier traumatisme, Serge le raconte superbement dans une chanson un peu méconnue: Maman Chauvier : « En 50, j’avais 7 ans, j’habitais la rue Duvivier, pauvre dans un quartier diamant, trois dans une chambre meublée. » Mais pourquoi ce titre : Maman Chauvier ? Cette chanson est bien sûr dédiée à sa mère, qui selon ses propres mots, lui fit vivre l’enfer. Et fit vivre l’enfer à son mari, à cause de sa jalousie morbide.

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Lorsque Serge était au faîte de sa gloire, elle lui disait qu’elle aurait préféré qu’il soit avocat. Les artistes ne trouvèrent jamais grâce à ses yeux. Cependant, parce qu’on aime toujours sa mère, cette chanson est une déclaration d’amour du petit Serge à sa maman : « Maman Chauvier, un enfant t’aime, 19 rue Duvivier Paris 7ᵉ. » A travers ses chansons, Lama a finalement écrit son autobiographie, il a même déclaré qu’il est devenu chanteur pour venger son père, qui ne trouva jamais le succès qu’il avait si ardemment désiré.

Autobiographie en chansons

Serge voulait devenir écrivain, il y est parvenu : en distillant, chansons après chansons ses mots si justes et émouvants, de ceux qui vous vont droit au cœur, et qui nous laissent avec des larmes au bord des yeux.

Et puis, il y a cet épisode bien connu, cet accident qui faillit avoir sa peau, et qui eut la peau de la femme qu’il ne cessa jamais d’aimer. Il raconte que lorsqu’il apprit sa mort, qu’on lui avait cachée, il poussa toute une nuit des cris de bête. Ces cris, il les sublima dans une magnifique chanson : D’aventure en aventure« Bien sûr j’ai d’autres certitudes, j’ai d’autres habitudes, et d’autres que toi sont venues, marquer leurs dents sur ma peau nue. » Cette femme, qui en perdant la vie, a fait naître Serge Lama, était Liliane Benelli, la pianiste de Barbara, qui lui rendit hommage dans « Une petite cantate »« Mais tu es partie fragile, vers l’au-delà. »

Lama, dans son corps massif à la patte folle, englobe également toute la chanson française de la deuxième partie du XXᵉ siècle, il les connut tous : de Barbara à Brassens, en passant par Marcel Amont. Comme eux, il fit ses débuts au fameux cabaret l’Écluse, comme eux, il connut les vaches maigres avant le succès. Cependant, il ne gagna jamais les galons de chanteur à textes, lui qui en écrivit de si beaux. Il devint ce qu’on appelle un chanteur de variété, ce qui est à mon sens un statut hautement respectable, la variété française est ma marotte, et je ne cesse de la défendre.

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Un de ses plus grands tours de force est d’avoir mis des mots, si simples et si vrais sur la sale guerre, celle que l’on n’osa pas nommer pendant des décennies, la guerre d’Algérie : « L’Algérie, écrasée par l’azur, c’était une aventure dont on ne voulait pas, l’Algérie, du désert à Blida, c’est là qu’on est parti jouer les petits soldats. » Et, il faut croire que les Français en avaient besoin de ces mots-là, car lorsqu’il la chantait sur scène, elle avait encore plus de succès que Je suis malade. Je passe sur l’épisode Napoléon, et Lama semble également, au soir de sa vie, vouloir l’oublier, il l’esquive presque lors de sa conversation avec Mireille Dumas. 

Il préfère évoquer le petit garçon qui n’a pas eu de ballon rouge, et il a bien raison.

« Serge Lama la vie à la folie », sur France 5

Pornographie: coupez tout ce qui dépasse

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L'acteur de films érotiques italien Rocco Siffredi photographié en 2006 © TPS/DURAND FLORENCE/SIPA

Le gouvernement pense réguler (mais comment ?) l’accès aux sites pornographiques. La CNIL et l’ARCOM vont présenter dans la semaine à venir un dispositif pour empêcher les mineurs d’y accéder. Notre chroniqueur, à qui rien de ce qui est érotique n’est étranger, et qui s’est jadis ému lui-même des dégâts de la « société pornographique », fait le tour de la question.


Dans Le Figaro, c’est une psychologue, Sabine Duflo, qui s’inquiète : « L’âge moyen du premier visionnage d’images pornographiques est de dix ans aujourd’hui, contre quatorze ans en 2017. Un tiers des enfants de douze ans ont déjà été exposés à des images pornographiques. Chaque mois, près d’un tiers des garçons de moins de 15 ans visite un site porno. » [1] Et de citer le rapport établi par quatre sénatrices, Porno, l’enfer du décor.

Encore un (mauvais) coup de Pfizer

J’ai jadis moi-même écrit un livre sur la question, La Société pornographique (2012). J’y déplorais déjà le fait que, comme le dit Sabine Duflo, les premières relations sexuelles se fassent sous l’injonction de la pornographie — et se passent très mal. Entre les garçons pré-traumatisés parce qu’ils correspondent rarement au pseudo-standard de taille établi par des hardeurs sélectionnés (il y a jusqu’à 25% de cas d’impuissance chez les moins de 25 ans), et les filles en attente d’étreintes majuscules (faites rimer l’adjectif avec ce que vous voulez), il n’y a que des déceptions. J’avais eu l’occasion d’en parler chez Laurent Ruquier (voir vidéo plus bas).
Ça alors, le sexe sur Internet fait les affaires de Pfizer…

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Rappelez-vous. Quand on a mis au point le Viagra, Pfizer (ils sont partout !) a sollicité le vice (c’est le cas de le dire)-président des Etats-Unis, Bob Dole, pour faire la publicité de ce produit pour vieillards en libido défaillante. Aujourd’hui, les stimulants sont majoritairement consommés par des hommes jeunes, en (qué)quête de performances: on a vu sur Internet les prouesses de tel ou tel hardeur, on veut l’égaler, le surpasser, le con / fondre. Et on se détruit.


D’autant que les acteurs pornographiques trichent eux-mêmes, consomment des produits divers et variés, s’injectent de la papavérine dans la verge, — et, le soir, rentrant chez eux, rêvent d’un pot-au-feu, d’un livre et de plantes vertes. Surtout pas de femmes. Les hardeuses, saturées d’érections maximalistes, sont lesbiennes pour la plupart. Les uns et les autres connaissent un taux de suicides sans commune mesure avec les statistiques générales. À ne plus exister que par la cheville ouvrière ou quelques réceptacles, on cesse d’exister en soi et pour soi. Comme dit un site spécialisé : « Non, le porno n’est pas glamour. »

Tout est faux dans le sexe sur Internet. Tout est joué.

Des intérêts XXL

Il y a quelques années, j’avais suggéré au ministère de l’Education de me confier une mission pour me rendre dans les lycées, escorté (si je puis m’exprimer ainsi) d’une professionnelle du hard, afin d’expliquer aux jeunes ce qui est normal, et ce qui ne l’est pas. Hé non, mesdemoiselles, vous n’êtes pas obligées de vous faire sodomiser, d’autant que statistiquement, il n’y a guère que 15% des femmes qui y trouvent un réel plaisir. Et oui, l’acte sexuel quasi absent des sites pornographiques, c’est le baiser.

On mesure l’écart entre fiction et réalité.

Plusieurs pays (la Chine, oui, mais aussi l’Islande) ont complètement banni la pornographie. Ce n’est pas très difficile à faire — mais on froisse alors des intérêts monstrueux : quand on évoque le chiffre d’affaires de la pornographie, on parle en centaine de milliards de dollars (vous remarquerez que le cul se mesure en dollars, c’est plus chic qu’en euros ou en zlotys. L’idée de réguler l’accès des sites aux mineurs (mais comment ? Sur déclaration préalable ? Ça existe déjà, il suffit d’affirmer que l’on a plus de 18 ans) est l’exemple-type de ces demi-mesures qui servent à faire parler, et n’ont aucune efficacité réelle.

Près de la Canebière, Brighelli: c’est plus fort que toi

On me dira : « Il est étonnant, de la part d’un individu qui a écrit des livres érotiques, et qui parraine depuis des années un blog intégralement con / sacré à la chose, d’en arriver à promouvoir la censure la plus stricte… » Oui : mais c’est justement en défense de l’érotisme que je récuse la pornographie. On peut abominer la pornographie et adorer le sexe. On peut tolérer la prostitution et vomir les barbeaux. L’un des bons souvenirs de ma vie est d’avoir cassé, contre la margelle de la fontaine des Danaïdes à Marseille, toutes les incisives d’un proxénète qui prétendait mettre deux amies d’enfance en coupe réglée. L’idée qu’il a avalé de la purée liquide à la paille pendant quelques semaines me fait encore rire, cinquante ans plus tard.

La Dépêche a fait la liste des propositions de la CNIL [2], et émis avec intelligence des réserves sur leur application. Oui, on peut passer par une « attestation numérique » qui fonctionnerait comme une attestation bancaire : mais comment faire appliquer une législation française à des sites pour la plupart localisés à l’étranger ? Internet, c’est la mondialisation supra-nationale. Oui, on peut confier le contrôle de l’identité à un organisme tiers — mais des modes de contournement existent déjà. Après tout, les sites de streaming ont contourné sans peine la loi Hadopi de 2009, censée protéger la création et la diffusion sur Internet.

Seul un blocage total aurait une réelle efficacité : tout le monde n’a pas envie de se risquer sur le DarkNet, qui est certes opaque, mais qui est scruté de près par la police. Je mesure bien le risque d’une telle proposition : c’est requérir les bons services de Big Brother. Mais quand ce seront vos enfants qui hanteront les sites pornographiques grâce aux smartphones que vous leur aurez achetés (et que vous ne devriez pas leur acheter), vous y réfléchirez à deux fois avant de crier à, la censure.

Jean-Paul Brighelli, La Société pornographique, François Bourin / Les Pérégrines 2012, 130p.

[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/regulation-des-sites-pour-adulte-comment-la-pornographie-aliene-des-generations-entieres-20230208

[2] https://www.ladepeche.fr/2023/02/07/pornographie-5-questions-sur-le-nouveau-dispositif-pour-bloquer-lacces-des-sites-aux-mineurs-10979138.php