Tár de Todd Field trace le portrait dandy d’une artiste aussi géniale qu’inclasssable.
Il y a toujours eu un certain mystère chez le réalisateur américain Todd Field. Né en 1964, il n’a réalisé que deux longs métrages, In the Bedroom en 2001 et Little Children en 2006. Il a été acteur chez Kubrick et chez Woody Allen, dans une autre vie. Depuis près de vingt ans, il restait reclus chez lui, s’occupant de voir grandir ses enfants. Tár est né de ce désœuvrement artistique. Le 12 mars, aux Oscars, le film sera en compétition avec six nominations, entre autres pour le meilleur film, le meilleur réalisateur, la meilleure actrice (l’exceptionnelle Cate Blanchett accomplit ici une performance unique) et le meilleur scénario original.
La figure tutélaire de Leonard Bernstein
Lydia Tár est une cheffe d’orchestre internationale, influencée par celui qui fut son maître, Leonard Bernstein. Quittant New York pour un temps, elle se retrouve au cœur musical de l’Europe, à Berlin, pour enregistrer en live la 5e Symphonie de Gustav Mahler. Tár se heurte d’emblée au « mystère » intrinsèque de cette partition grandiose, qui débute par une Marche funèbre, et dont le dernier mouvement, selon Adorno, sentait littéralement le souffre. Le 5 revient, dans le film, comme un symbole (maléfique ?) permanent ; il est aussi bien la lettre s que le chiffre romain V. Tár se voit encerclée par cette malédiction, sans qu’elle puisse réagir, malgré son énorme vitalité. Elle n’imitera pas sa jeune étudiante, Krista Taylor, qui se suicide. Cet acte est d’ailleurs comme une accusation désespérée contre Tár, d’où le scandale qui éclate…
Le réalisateur, avec cette musicienne obsédée par l’art, nous montre un personnage autoritaire, mais très civilisé et sensible au charme des jeunes filles. A-t-elle abusé de sa position pour nouer des relations avec telle ou telle ? C’est possible. Son amour naissant pour la violoncelliste russe Olga, qu’elle emmène à New York, mais sans que rien ne se passe cependant, le montrerait. Le fait aussi qu’elle décide d’inscrire au programme le Concerto d’Elgar, pour la mettre en vedette. Ce n’est qu’un exemple. Le film de Todd Field revient d’une manière lancinante sur ces thèmes woke, pour en général, du reste, en illustrer l’impasse à coups de syllogismes. Ainsi, ce duel avec un élève de couleur, imprégné de cette pensée, qui affirme ne pas aimer Bach, compositeur blanc, père d’une famille de vingt enfants, etc. Tár n’hésite pas à se montrer, sinon réactionnaire, en tout cas très conservatrice ‒ position originale pour une lesbienne.
Un idéal artistique comme boussole
Ce qui prime avant tout pour elle, c’est son idéal. Leonard Berstein lui a laissé un héritage magnifique, enrichi de pensée judaïque. Elle a approfondi sa réflexion sur la musique par l’ethnologie et un séjour dans la forêt amazonienne. N’oublions pas que quelqu’un comme Leonard Berstein était aussi un penseur, et qu’il en a laissé un témoignage important dans le livre intitulé La Question sans réponse, recueil de conférences à Harvard, sans parler de ses nombreuses émissions de télévision où il se montrait un remarquable pédagogue. C’est l’une de ces émissions que Tár regarde, à la fin, lorsqu’elle rentre chez elle, dans la maison où elle a grandi. C’est aussi le seul moment du film où on la voit pleurer, comme pour nous révéler : « Oui, le grand Bernstein avait raison, l’art transcende absolument tout ! »
Tár est une œuvre extraordinairement subtile et complexe. Tout se règle sur la communication entre les personnages, pleine de sous-entendus et d’allusions ambiguës, mais avec une logique verbale imparable. Il y a là un véritable univers, hautement raffiné, où l’on aime à parler couramment des relations entre Gustav Mahler et sa femme Alma ‒ le sujet revient comme un puissant leitmotiv, imprégnant la narration d’une couleur très particulière. Et puis, il y a aussi des scènes qui échappent au spectateur, qui laissent libre cours à toutes les interprétations.
Ainsi, pourquoi Tár déchire-t-elle dans l’avion le livre de la romancière Vita Sackville-West, Challenge ? Refus d’un certain dandysme, qui pourtant éclate à chaque image ? En regardant Tár, on pense immanquablement à Oscar Wilde, à sa fameuse préface au Portrait de Dorian Gray et à son effondrement irréversible. On n’en est pas loin.
Failles psychologiques
Bernstein a aussi légué à sa disciple sa philosophie de la repentance, techouva en hébreu. À un moment, Tár essaie de rattraper Olga dans un souterrain, où la jeune violoncelliste est censée habiter. L’obscurité du sous-sol se décèle longuement, comme une sorte de métaphore de son inconscient freudien, à haute teneur en sexualité, et dont elle sort défigurée, au sens propre, après une chute. Derrière l’image conquérante de la cheffe d’orchestre à qui tout réussi, il y a la réalité plus banale d’un être humain qui a ses failles intimes. Quand elle réside dans son appartement de Berlin, seule à composer ou à dormir, elle entend des bruits incongrus qui la perturbent. Cette fragilité psychologique, qui cache en fait des abîmes existentiels, est le pendant de son extraordinaire génie, semble nous dire le cinéaste.
Tár est incontestablement un film qu’il faut revoir plusieurs fois. Il est une tentative, de la part de l’Américain Todd Field, de faire retour au creuset européen, à cette culture si sophistiquée qui n’aura germé qu’une seule fois. C’est comme si le cinéaste, dans son économie d’images, voulait nous signifier que nos richesses culturelles, à nous Européens, ne doivent pas être perdues, dilapidées, comme nous le faisons trop souvent, mais poursuivies et retravaillées. Qui pouvait penser aujourd’hui qu’un tel message viendrait de ce côté-là de l’Atlantique ?
Le FBI vient d’admettre avoir fauté, après la fuite d’une note révélant que le contre-terrorisme surveillait des catholiques traditionalistes.
Le principal service de renseignement intérieur américain a donc désormais lui aussi son « affaire des fiches » dans sa lutte contre le terrorisme domestique. Le FBI s’est le plus simplement du monde appuyé sur les notes du Southern Poverty Law Center (SPLC), une association de gauche qui n’hésite pas à taxer d’extrémisme de droite quiconque ne cadre pas avec ses valeurs et a même dépeint comme islamophobe un musulman dénonçant l’islamisme.
Messe en latin et sectarisme du FBI
Le 8 février, l’ancien agent du FBI Kyle Seraphin a publié sur le site UndercoveredDC un mémorandum obtenu d’une source du bureau de Richmond, en Virginie, et intitulé « L’intérêt des extrémistes violents avec des motivations raciales ou ethniques pour l’idéologie catholique radicale-traditionaliste présente presque certainement de nouvelles opportunités de réduction » [des risques, NDLR]. Le document parle de croisements entre les mouvements nationalistes blancs et les « catholiques traditionalistes radicaux ». Dans une démonstration de raccourci intellectuel à montrer dans les cours de l’Académie de Quantico, il associe préférence pour la messe en latin et « adhésion à une idéologie antisémite, anti-immigrés, anti-LGBTQ et suprématiste blanche ». Se félicitant de la découverte, le FBI indique sa « grande confiance » dans ces informations et sa capacité à atténuer la menace en recrutant des sources au sein de l’Église… Le mémo distingue toutefois entre ceux qui se contentent du latin et ceux qui ont en outre « des croyances idéologiques plus extrémistes et une rhétorique violente ». Il n’explique cependant pas ce tri, alors que « le FBI doit noter les sources analysées [pour] éliminer la partisanerie et la partialité, quand il confectionne un produit de renseignement », souligne Seraphin.
La publication du document a suscité l’ire du procureur général de Virginie et ceux de 19 autres États qui ont écrit au ministère de la Justice pour demander que le FBI produise publiquement tous les documents utilisés pour rédiger le mémo. La lettre dénonce un « sectarisme anticatholique qui semble couver au FBI ».
L’agence a depuis retiré son document au motif qu’il ne correspond effectivement pas à ses normes exigeantes. Tocqueville soulignait que, pour les Américains, les associations étaient un rempart contre le despotisme, le FBI semble voir le SPLC comme son analyste pour réduire les libertés !
La désignation des extrémistes de droite, le fonds de commerce du SPLC
Le choix du bureau de Richmond d’utiliser les notes du SPLC interroge sur ses motivations et méthodes. Paresse ou inclinaison politique ? Si le SPLC voit ses rapports repris dans divers médias d’importance régulièrement, il est également très critiqué pour sa propension à accuser d’extrémisme de droite tous les individus et organisations qui ne sont simplement pas de gauche. Même Newsweek, média centriste penchant du côté démocrate, est accusé de soutenir la droite antidémocratique pour avoir recruté des personnalités conservatrices dans un souci de pluralisme. Le Washington Post, pro-démocrate, a publié un long article en 2018 dénonçant les biais du SPLC qui met par exemple dans le même sac les conservateurs et le Klan.
Parmi les accusations infondées du SPLC, celle d’islamophobie à l’encontre de Maajid Nawaz, un musulman qui demande une surveillance des mosquées, demeure la plus savoureuse. Pour éviter les poursuites, le centre a trouvé un arrangement à plus de 3,3 millions de dollars avec Nawaz en 2018. M. Nawaz peut désormais mettre du beurre dans les épinards, et au SPLC, c’est une broutille au regard de ses 518 millions de dollars d’actifs…
La traduction récente de Voyage à Rebours nous permet de découvrir un grand écrivain yiddish.
Le nom de Jacob Glatstein était quasiment inconnu du public francophone jusqu’à ce jour, malgré la parution d’un recueil de poésies aux éditions Buchet Chastel en 2007. Son œuvre de romancier était, elle, totalement inédite en français. Cette lacune est désormais comblée, avec la parution en traduction française de son roman Voyage à rebours. Né à Lublin en 1896 et mort à New York en 1971, Glatstein est surtout réputé pour son œuvre poétique, écrite avant et après la Shoah.
Voyage à rebours est le récit d’un voyage en Pologne en 1934 : Yash (surnom de l’auteur) embarque à New York sur un bateau pour retourner vers sa ville natale, Lublin, qu’il a quittée vingt ans plus tôt. Le voyage le mène au Havre, où il prend le train, passe par Paris. Là, il retrouve des amis artistes ou écrivains yiddish au Dôme, à Montparnasse. Toujours en train, il traverse l’Allemagne – tombée sous le joug nazi l’année précédente – avant d’arriver en Pologne.
Le récit de la traversée de l’Atlantique est un modèle du genre. Comme l’explique l’auteur, « Sur le bateau, on peut vraiment sonder la valeur de l’homme. Dans l’agitation du quotidien, on perd le sens du drame, de la tragédie et de la comédie qui imprègnent toute vie. Sont oubliés et scellés les oreilles et les yeux spontanés qui voient, entendent et s’émerveillent de tout ». C’est précisément ce sens du drame, de la tragédie et de la comédie qui donnent au récit de Glatstein toute sa valeur romanesque.
Multiples facettes du destin juif
Sous la plume de l’auteur, on rencontre toutes sortes de personnages, qui racontent les multiples facettes du destin juif dans le premier tiers du vingtième siècle, quelques années avant que le cataclysme nazi ne vienne accomplir son sinistre travail d’anéantissement. Parmi les plus belles pages du livre figurent celles où l’auteur évoque son enfance dans la Russie d’avant la Révolution, décrivant sa famille, sa vie d’écolier ou encore l’angoisse des fidèles, barricadés dans la synagogue, alors que les bandes révolutionnaires et les Cosaques s’affrontent au dehors.
La plume de Glatstein est le plus souvent empreinte d’un humour réaliste, mais parfois elle se fait lyrique, comme lorsqu’il décrit le « Dieu juif » qui ressemble au Rabbi de Lublin : « un Juif maigre avec une longue barbe blanche, des bas blancs et des chaussons, une voix douce, qui ne comprend rien à l’argent, qui n’accepte pas les dons de ses fidèles, qui jeûne chaque lundi et chaque jeudi… D’une voix fêlée il pleure tous les malheurs juifs. C’était l’allure du Dieu persécuté de mon enfance. Comment peut-on en vouloir à un tel Dieu, dont les bras sont trop courts et les mains trop faibles pour amener le Messie ? ».
Description qui évoque un tableau de Chagall, et qui prend un sens encore plus frappant après la Shoah. Il est difficile de ne pas penser au destin qui attend les personnages de ce récit de voyage qui pourrait être picaresque, s’il ne se déroulait au milieu des années 1930. Le tableau que donne Glatstein du monde juif est ainsi – tout comme les photographies de son contemporain Roman Vishniac – celui d’un monde disparu. Le romancier se fait involontairement, le témoin de son temps. Un grand écrivain yiddish à découvrir.
Jacob Glatstein, Voyage à rebours, traduit du yiddish par Rachel Ertel, éditions de l’antilope 2023.
Une famille « bourgeoise » de la capitale iranienne. Le père veuf, malade, chenu, shooté à l’opium, ne se remet pas de la mort récente de son épouse. Il partage avec ses deux fils une maison qu’il n’a plus les moyens d’entretenir. Le cadet, boxeur professionnel de haut niveau, est en passe d’intégrer l’équipe nationale. L’ainé magouille dans la came, à la fois dealer et consommateur.
Dans ce milieu émancipé largement affranchi des rigueurs de l’Islam, les liens avec l’Occident sont omniprésents, la dictature des mollahs est un hors champ dont il faut s’accommoder de loin. Très belle, une ancienne petite amie du boxeur, mariée en France, est en instance de divorce. Elle réapparait avec son petit garçon, parfaitement bilingue. Elle porte le voile avec trop d’élégance, au point que sa mère croit devoir l’avertir : « on n’est pas en France, ici. Ne te fais pas arrêter ! »…
Passionnant, ce faux thriller urbain terriblement noir investit un Téhéran méconnu : celui des beaux quartiers, au nord de la gigantesque métropole, désormais investis par un jet set perse parvenu, absolument laïque, noctambule, corrompue, qui s’éclate clandestinement dans un entre soi fuligineux, et partage avec cette bourgeoisie intellectuelle, anciennement liée à la possession terrienne, des liens d’affaires tumultueux. Ainsi le fils ainé refuse-t-il de céder à un cousin promoteur immobilier un terrain boisé, vieil héritage familial que l’inexorable extension urbaine est en passe de dévorer. Virevoltante, la caméra serre les visages en très gros plan, circule dans le labyrinthe de la ville, épouse la course vertigineuse d’une moto ou d’une voiture lancée à tombeau ouvert dans la nuit. Elle surplombe l’immensité urbaine, dont le tapis des lumières scintille et tremble à l’infini sous le ciel nocturne.
En confiant à Behzad Dorani le rôle du père, Chevalier noir se place dans la filiation du très grand et regretté Abbas Kiarostami : on y reconnait l’acteur qu’on avait vu, beaucoup plus jeune, dans Le Vent nous emportera (1999). Jamais oiseuses, les répliques y sont pesées au trébuchet, dans un découpage millimétré, selon une économie dramaturgique impeccablement dosée, et sans que la moindre musique de fond n’en dilue l’âpreté.
Né en 1979, ancien étudiant de l’excellente école d’art visuel du Fresnoy, dirigée depuis sa création à Tourcoing par le grand artiste et écrivain Alain Fleischer, Emad Aleebrahim Dehkrordi vit en France depuis un grand nombre d’années. Réalisé à Téhéran en pleine pandémie, Chevalier noir est son premier long métrage. Voilà qui promet.
Chevalier noir. Film de Emad Aleebrahim Dehkordi. Iran, couleur, 2022. Durée : 1h41. En salles le 22 février.
Le malaise des médecins libéraux révèle une maladie bien française: celle de l’étatisation de notre système de santé, qui pourrait encore s’aggraver avec le projet de « tiers payant intégral »
Depuis quelques semaines, nombre de médecins français font grève. Après les mouvements des 1er et 2 décembre, puis la fermeture des cabinets entre Noël et le jour de l’An, ils ont de nouveau, le 14 février, manifesté leur mécontentement. Et les raisons sont nombreuses !
Tout d’abord, ils sont vent debout contre une nouvelle proposition de loi de la majorité. Votée à l’unanimité en première lecture le 19 janvier, elle pourrait permettre aux patients de s’adresser directement à certains professionnels paramédicaux, sans passer par le médecin traitant. Les généralistes craignent de disparaître en tant que coordinateurs du parcours de soins.
La médecine « libérale » n’existe pas
Les généralistes se mobilisent aussi contre une nouvelle proposition de loi portée par un député socialiste qui prévoit d’abolir leur liberté de s’installer où ils le souhaitent pour lutter contre les « déserts médicaux ». Une immixtion de la puissance publique dans la vie privée inefficace selon les professionnels, qui estiment que l’incitation et surtout, la mise en œuvre d’un environnement propice (écoles pour les enfants, meilleures rétributions…) pourraient être bien plus efficaces.
Enfin, ils craignent que la prochaine convention médicale, qui établira les tarifs de la profession pour les cinq prochaines années, ne change strictement rien : la consultation est à 25 euros, l’une des rémunérations les plus basses d’Europe (45 euros en moyenne), qui n’a pas été révisée depuis 2016. On leur propose une augmentation de… 1.50 euros.
Les médecins ont raison. Ils sont victimes du système français de santé qui est un monopole d’État. On parle de médecine libérale mais, en réalité, il n’y a pratiquement aucune liberté nulle part. C’est le dirigisme qui règne : les tarifs sont rigides, le nombre de praticiens, limité, le salariat, étatique et les objectifs de résultats, nationaux. La santé en France est aujourd’hui un secteur entièrement régulé. Tout est figé, rien ne peut bouger et il n’y a pas plus de place pour d’éventuels nouveaux acteurs que de nouveaux lits aux urgences.
L’État veut avaler les complémentaires santé
Pire, l’État veut aussi phagocyter les mutuelles privées : un projet du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) laisse craindre que l’acquittement du ticket modérateur, dont la responsabilité incombe pour le moment aux complémentaires, soit confié à l’Assurance maladie. Un transfert du privé au public, donc, qui pourrait se concrétiser dans le courant de cette année. Une grande partie de dépenses de santé, des médicaments aux soins de ville, du reste à charge hospitalier aux lunettes, serait désormais non plus partiellement, mais intégralement remboursée par la Sécurité sociale. Cette mesure concernerait plus de 96% des Français, environ 400 organismes d’assurance complémentaire santé et plus de 60 000 emplois. Les mutuelles pourraient alors tout simplement disparaître.
Pourquoi cet acharnement ? Parce que, c’est un comble, l’État reproche aux mutuelles leurs tarifs et frais de gestion ! Il entend, pour remédier à cette déplorable situation, les faire fondre dans une « Grande Sécu », une sorte de chaudron d’où sortirait en quelque sorte une potion magique. C’est donc notre État avec son armée de fonctionnaires, notre État obèse, omnipotent et impuissant, notre État champion du monde des taxes, des impôts et des dépenses, qui s’inquiète des coûts et de la gestion des mutuelles ! L’hôpital qui se fout de la charité.
Or, le secteur des mutuelles fonctionne bien. C’est un service qui peut en effet être assez coûteux, mais il est modulable selon la situation de chacun, efficace, et ses avantages sont appréciables, surtout pour les couples avec enfants. D’ailleurs les Français ne s’en plaignent pas.
Il faut donc considérer cette initiative comme très inquiétante. D’une part, priver les Français de leur mutuelle, c’est les déresponsabiliser encore davantage. D’autre part, où s’arrêtera-t-on ? Le constat a pu être fait par tous en 2020, au début de la pandémie : malgré tout l’argent qu’il a dépensé, l’État a failli. Il n’a rien réformé pour autant. Mais il est resté aussi affamé et veut maintenant engloutir les complémentaires santé. La fiscalité qu’il leur applique, 15% par contrat souscrit, ne lui suffit plus. À quoi devrons-nous nous attendre demain ? À l’étatisation des assurances auto ? À la nationalisation des assurances habitation ?
Le système de santé français n’est pas déficitaire à cause des mutuelles. Elles ne sont pas non plus à l’origine de la crise des hôpitaux. Et l’argent ne manque pas. Il n’y a pas de bouc émissaire, la principale responsable est bien la désorganisation de l’État. Dans d’autres pays comparables au nôtre, riches et démocratiques (Allemagne, Pays-Bas, Suisse…), l’assurance maladie est confiée pour une large part à structures privées qui sont mises en concurrence. Les médecins n’y sont pas dirigés à la baguette par l’État, ils peuvent exercer librement, sans réglementations excessives. Pourquoi ne pas étudier comment les choses se passent ailleurs et s’en inspirer ?
L’écrivain faisait, bien malgré lui, la une de Libération mardi
Sophie des Déserts a tellement de talent qu’elle rend désirable ce qu’elle croit et veut dénoncer. Ainsi pour Michel Houellebecq auquel Libérationconsacre quatre pages sous sa signature. Je n’ai aucune raison de le cacher : pour moi, il est notre plus grand écrivain. J’ose le terme: un génie qui honore la France, sauf, comme on l’a constaté, pour le Comité Nobel et celle que ce dernier a promue et qui aigrement s’en est prise à l’exclu. Parce que, à l’évidence, Michel Houellebecq n’avait pas le bon profil pour être célébré. Son évolution intellectuelle, politique et sociale l’a conduit vers des positions conservatrices – par exemple sur la peine de mort, l’islam, l’Europe et l’euthanasie – insupportables pour la bienséance critique qui prétend régenter les Lettres.
Michel Houellebecq : enquête sur une dérive. C'est la une de @Libe mardi
En appréhendant immédiatement la charge de Libération, elle pourrait être résumée par ces griefs apparemment impardonnables : « haine de l’islam, amitiés d’extrême droite, tournage porno », auxquels il faudrait, semble-t-il, rajouter ses déménagements fréquents, les modalités de son union conjugale et ses liens avec un monde officiel qui n’aurait pas l’heur de plaire à ce quotidien que j’avais goûté il y a longtemps, tellement imprévisible alors, tellement tristement prévisible aujourd’hui – l’allégresse d’un gauchisme spontané et inventif muée en une inquisition lassante à force de s’en prendre aux mêmes cibles.
Y aurait-il vraiment de quoi intenter un procès à Michel Houellebecq, en quelque sorte hors littérature, avec les seuls et pauvres éléments dont l’accusation se sert ? Michel Houellebecq, à la suite de son long et passionnant entretien avec Michel Onfray dans Front Populaire, a été sommé de s’expliquer sur ses propos sur l’islam et les souhaits qu’il prête à « la population française de souche » de voir les musulmans s’assimiler ou, s’ils s’y refusaient, de les voir partir. Il a invoqué qu’il faisait part d’un sentiment majoritaire tout en admettant avoir commis une maladresse verbale et en s’engageant à la réparer.
L’honnêteté oblige à reconnaître que Michel Houellebecq n’est pas lui-même très bien disposé à l’égard de l’islam mais puis-je questionner: et alors ? En quoi son personnage, le remarquable écrivain qu’il est, la lucidité prophétique dont il a fait preuve sur les tréfonds de la société française, devraient-ils être affectés par cette conviction, qu’on peut ne pas partager mais qui n’est pas honteuse ? Cette intrusion d’une morale emplie d’un humanisme « progressiste » avec ses préjugés et ses intolérances, dans la relation d’une histoire intellectuelle et littéraire singulière, avec toutes les origines psychanalytiques qu’on voudra, n’est sans doute pas la manière la plus appropriée pour maîtriser la personnalité riche et complexe de Michel Houellebecq, qui serait « au fond du trouble ». Faut-il considérer que pour le reste qui ne serait pas lié au thème de l’islam, la liberté de l’homme Houellebecq ne serait pas entière et qu’il devrait rendre des comptes aux médias sourcilleux voire impitoyables à son égard ? Parce que son image ne correspondrait pas au profil du « bon écrivain » selon Libération, qui serait de gauche, avec des amitiés exclusives du même tonneau, un militantisme à la Annie Ernaux, des dialogues parfaitement et idéologiquement orientés et une solidarité ostentatoire mais sans risque avec tous les damnés de la terre ?
En approfondissant ce qui ressort des pages de Libération, j’avoue être surpris par le fait que ce quotidien semble oublier ce qui, dans le domaine culturel, artistique et littéraire, paraît essentiel, avec une conception aux antipodes du classicisme, des critiques plus idéologiques que techniques, l’homosexualité comme critère décisif de la qualité d’un film, un culte des incongruités et des provocations au sein desquelles la singularité existentielle de Michel Houellebecq n’est de loin pas la plus surprenante. Pourquoi alors dresser un tel portrait de cet écrivain en occultant son génie romanesque pour ne s’attacher qu’à une périphérie dont on invente la gravité ?
Je ne m’accorde pas avec toutes les dilections de Michel Houellebecq: Emmanuel Carrère soit ! Frédéric Beigbeder, je renâcle ! Mais peu importe. Au pire, ne pourrait-on s’accorder sur la rançon obligatoire qu’un créateur unique, dans notre monde médiatique et culturel, doit nécessairement payer, s’il n’est pas conforme, heureusement banal, progressiste comme il convient ? Michel Houellebecq manque de ces dispositions ! Pour ma part, je m’en tiendrai au meilleur. J’ai trop d’admiration – facile à justifier – pour Michel Houellebecq pour ne pas regretter que l’indéniable talent d’une journaliste serve à projeter des ombres sur une personnalité qui n’a commis que le crime d’être singulière. Et, par ricochet, sur une œuvre incomparable.
Le président du groupe LR à l’Assemblée, Olivier Marleix, explique à Causeur pourquoi il votera la réforme des retraites. Il déplore que beaucoup de Français n’en retiennent que les pires aspects, la communication du gouvernement étant mauvaise…
Causeur. Cette réforme des retraites va-t-elle, et surtout doit-elle, passer dans sa forme finale ?
Olivier Marleix. On peut difficilement soutenir l’idée qu’il n’y a pas besoin de réforme, qu’on pourrait faire l’économie d’un recul de l’âge de départ à la retraite. Il faut donc qu’elle soit adoptée avec tous les ajustements qui méritent d’être faits. C’est vrai qu’elle est incomplète sur plusieurs points, notamment la politique familiale.
Des milliers d’amendements de la Nupes pour faire obstruction, une tête de ministre jouée à la balle par un député lors d’une manifestation, ce même ministre qualifié d’ « assassin » par un autre lors des débats: est-ce que, comme le dit le Canard Enchaîné, c’est pas bientôt fini cet « hémicirque » ? Allez-vous libérer la vie parlementaire de cet enfer en vous assurant que votre groupe donnera une majorité au projet de réforme des retraites du gouvernement ?
Je ne sais pas si le fait qu’il y ait une majorité sur ce texte suffira à changer la Nupes ! Le comportement de LFI, mais aussi des partis otages de LFI (PS, PCF, EELV) témoigne d’une radicalité, exprime même parfois une forme de violence. Qu’un député portant l’écharpe tricolore dise que la tête du ministre est comme un ballon, c’est assez douteux ! L’idée que l’Assemblée nationale puisse être un endroit qui donne l’exemple de la violence et qui, partant, peut légitimer la violence à l’extérieur, est insupportable et contraire au débat démocratique. Mais tout cela n’est pas vraiment surprenant. Malheureusement, le président de la République a sa part de responsabilité dans cette dégradation de la vie politique. C’est le résultat de sa propre stratégie politique de radicalisation, qui a consisté à fracturer le pays, à renvoyer les gens de gauche dans les bras de l’extrême gauche, et les gens de droite dans les bras de l’extrême droite. Les députés de LFI ont un comportement inacceptable, certes, mais interrogeons-nous : comment en sommes-nous arrivés à créer ce climat dans le pays ? Est-ce vraiment le fruit du hasard ?
Que des jeunes ou des fonctionnaires bénéficiant de régimes spéciaux portent des idées de gauche et manifestent, ce n’est pas franchement une surprise
Quelle est votre stratégie politique, chez les LR, pour vous montrer responsables en soutenant une réforme nécessaire, et en même temps pour montrer que vous n’êtes pas aux ordres du gouvernement ?
Cela passe par le choix de quelques combats emblématiques. Le premier combat, le plus important, c’est celui de la revalorisation immédiate des retraites. Nous avons obtenu que 1 800 000 retraités voient leur pension augmenter de 678 euros par an en moyenne. Nous voulons montrer que cette réforme n’est pas faite uniquement pour envoyer un signal aux marchés financiers, et qu’elle n’est pas faite non plus pour répondre à une injonction de la Commission européenne, même si le gouvernement lui a déjà envoyé une copie et que cela existe dans l’esprit du président de la République ! Pour nous, cette réforme des retraites est faite pour les Français. Elle est faite pour assurer la sauvegarde de ce système par répartition qu’a légué le général de Gaulle à la Libération et auquel nous sommes attachés. Il était important de montrer qu’à l’effort contributif demandé aux Français pour préserver le système, il y avait un gain immédiat pour les retraités eux-mêmes – cette revalorisation des pensions. Au total, on parle de 1,8 million d’euros de revalorisation. C’est un effort jamais réalisé.
Tout compte fait, on a eu le sentiment étonnant, pendant les débats, que la droite se montrait plus gentille que le gouvernement, moins brutale que lui !
Il est évident que si on veut réussir une réforme, il y a un souci d’acceptabilité, c’est pour cela aussi qu’on s’est opposé à une réforme trop brutale. Quand on fait des réformes dans un pays, ce n’est pas contre les citoyens, c’est dans leur intérêt ! Ce n’est pas aux Français de payer les retards de Macron. Avant d’aller à 65 ans, il faut passer par 64, et avant d’aller à 64, il faut passer par 63. On a donc fixé le rythme souhaitable à un trimestre par an, ce qui amène à 63 ans à la fin de ce quinquennat, et 64 ans en 2031.
Pour nous cette réforme n’est pas dogmatique, elle est pragmatique. Elle répond à la nécessité très concrète de rééquilibrer le système. On pourrait ne pas faire de réforme, mais on aurait un déficit qui se creuserait – qui ne serait peut-être pas dramatique par rapport au déficit de l’État (car on a des déficits partout) – sauf qu’il y aurait une conséquence : on ne pourrait plus du tout augmenter les retraites, et les retraités qui ont déjà perdu 200 euros par mois de pouvoir d’achat depuis 10 ans, sous l’effet de la CSG et des impôts, verraient leur pouvoir d’achat continuer de baisser. Moi je le refuse ! La retraite c’est le capital de ceux qui n’en ont pas.
Sur le traitement particulier pour les gens qui ont commencé plus tôt,il y a eu beaucoup de discussions au sein même de votre groupe. Est-ce que le public vous sera reconnaissant pour cela ? Après un recadrage avec le chef du parti Eric Ciotti mardi soir, votre groupe est-il maintenant sur la même ligne et d’accord ? Parmi les députés LR, est-ce qu’il y en a encore beaucoup qui pourraient ne pas voter pour cette réforme ?
Aucune réforme des retraites n’a jamais été populaire. Je considère qu’en dix ans de Macron, ce sera sans doute le seul acte de redressement du pays qui aura été proposé. On n’a pas le droit de passer à côté. On verra dans trois, quatre ou cinq ans qui aura été responsable et qui ne l’aura pas été. Il y a peut-être douze ou quinze députés LR qui ont dit de manière définitive ne pas vouloir voter la réforme. C’est leur liberté.
Dans les rangs du Rassemblement national, où ils sont pourtant plus nombreux que vous, ils vont voter ce que leur chef Marine Le Pen leur dit de voter. Enviez-vous parfois la discipline qu’il peut y avoir dans ce groupe ?
Je ne suis pas sûr qu’il y ait motif à tirer gloire d’être un Playmobil de la majorité qui votera pour la réforme, ou un petit soldat de plomb de Le Pen qui votera contre parce qu’il y est obligé, même s’il n’est pas d’accord ! Finalement, RN ou LFI, ces députés sont interchangeables, ce sont des gens à qui un parti politique a donné une investiture et qui sont souvent parachutés. Ce n’est pas le modèle politique que je veux pour mon pays. Je pense qu’il vaut mieux des députés bien ancrés dans leur territoire, qui ont des convictions même si parfois on n’est pas d’accord.
Avec les protestations qui se poursuivent, craignez-vous que le pays soit gouverné par la rue ?
Le débat à l’Assemblée nationale se termine vendredi à minuit, puis le texte part au Sénat, où les sénateurs débutent immédiatement avec la Commission des Affaires sociales. Ensuite, le débat va durer du 2 au 12 mars dans l’hémicycle, et, il n’y a pas de mystère, à mon avis, le texte sera voté au Sénat. Après cela, il y aura une commission mixte paritaire et le texte peut être promulgué à partir du 16 mars. Le mouvement social va surtout être relancé à partir du 7 ou 8 mars, je crois. Il y aura probablement quelques jours de blocage. Il ne faut pas exclure qu’on ait aussi des mouvements un peu plus durs. Mais je pense que le processus ira jusqu’au bout. Personne ne peut prédire comment réagit l’opinion. Le fait que ce soit les régimes spéciaux – assez réservés – qui bloquent le pays ne sera peut-être pas apprécié par les Français !
La réalité, c’est que les gens qui nous parlent de la réforme dans nos circonscriptions, ce sont des gens qui sont à cinq ou six ans de la retraite, et qui sont donc le plus directement concernés par l’accélération du calendrier. Mais les cinquantenaires savent que de toute façon la réforme Touraine les oblige déjà à faire 43 annuités et qu’ils ne pourront pas partir avant 64 ans. Tous les autres qui manifestent sont en réalité ceux qui n’aiment pas Macron. Certes, ça fait beaucoup de monde !
Qu’est-ce que ça dit des Français, le fait qu’il y ait autant de monde dans la rue pour la retraite ? Notre directrice de la rédaction dit que les Français sont devenus « un peuple d’ayant-droits qui s’adonne aux délices d’un individualisme financé par l’État ». Partagez-vous ce point de vue ?
Ça y ressemble un peu. Mais, n’oubliez pas qu’il y a avant tout l’inconséquence du gouvernement. Il y a un problème sur la cohérence générale de la politique menée par Macron, qui n’aide pas à l’acceptation de la réforme. Comment comprendre que la perspective d’un déficit de 12 milliards en 2027 sur notre régime de retraites soit un problème, alors qu’un déficit de 156 milliards dans le budget (qu’on a voté il y a un mois) n’est pas un problème ? C’est totalement incompréhensible ! Les gens se disent qu’on sait trouver de l’argent quand il faut. Et cela ne donne pas le sentiment d’un effort réparti.
Ensuite, on est dans un pays qui est quand même dans une spirale de la dépense publique, de l’assistance à tous les étages. Quelqu’un me rapportait ce matin l’exemple d’une mère de famille qui avait huit enfants et qui, au mois de septembre, a eu près de 8000 euros de revenus de l’assistance entre les allocations familiales, l’APL et les allocations de rentrée scolaire. Nous vivons dans un pays où le sens du travail et de l’effort a été étouffé sous des politiques de redistribution tous azimuts, et Macron a finalement été dans la fuite en avant en la matière. Ce coup de frein soudain est incompréhensible pour les gens. Il y a aussi la relation des Français avec le travail qui est « en crise » ou en mutation. Pendant la pandémie, les Français ont pu, pendant plusieurs mois, continuer à gagner leur vie en restant assis sur leur canapé, à regarder Édouard Philippe à la télé. Quel cauchemar ! Cela a entretenu l’illusion « mélenchonesque » qu’il n’y a pas besoin de travailler. Il y a aussi une évolution un peu philosophique : les gens s’interrogent collectivement sur la dimension matérialiste de nos vies. Certains font des choix de vie différents aujourd’hui. Je pense à ces avocats d’affaires qui ont travaillé comme des malades pour avoir un bon patrimoine et pouvoir arrêter de travailler avant 50 ans. Je connais aussi un Polytechnicien qui a tout arrêté pour aller ouvrir une petite boulangerie dans les Alpes de Haute-Provence… Ces gens sont dans une aspiration à autre chose.
Et tous ces phénomènes se rejoignent. Enfin, ne nions pas qu’il y a une « crise des vocations » à la fois pour les salariés de grandes multinationales qui sont « une donnée » dans un tableau Excel ou pour les agents en quête de sens dans des services publics, hôpital, écoles, justice, police, à bout de souffle.
Quand vous voyez un jeune qui va manifester pour sa retraite, qu’avez-vous envie de lui dire ?
L’image de cette petite fille sur BFMTV qui dit « si on laisse passer cette réforme, après il y en aura une autre puis une autre et on va travailler jusqu’à la fin de notre vie » est ubuesque ! Il faut que nos compatriotes se rappellent que le travail est au cœur du pacte social, lequel a été abîmé par cette redistribution déconnectée du travail que j’évoquai. On ponctionne de plus en plus sur un nombre de plus en plus réduit de gens, pour donner à d’autres à qui on ne demande pas d’efforts. La tentation de l’individualisme gagne du terrain. La question du travail dépasse même notre pacte social. Travailler, c’est une loi naturelle. Depuis la Préhistoire, si l’homme ne chasse pas, il ne mange pas. Le travail n’est pas une invention capitaliste comme veut le faire croire la LFI. Le fait de produire est une nécessité de l’humanité depuis ses débuts.
On a tellement fait croire aux gens qu’il existait de l’argent magique, qu’il n’y avait pas de problème de dépenses publiques, que tout d’un coup cette réforme paraît incompréhensible ! La comparaison avec d’autres pays européens est édifiante. Partout, nos voisins ont engagé des processus pour aller jusqu’à 66 ou 67 ans.
Entre le bazar de l’extrême gauche à l’Assemblée et la mobilisation dans les rues, on a l’impression qu’on ne parle plus que de ça en France. Vos électeurs ont peut-être envie de passer à autre chose.
Que des jeunes ou des fonctionnaires bénéficiant de régimes spéciaux portent des idées de gauche et manifestent, ce n’est pas franchement une surprise. Mais effectivement, quelle ambition les Français veulent-ils avoir pour leur pays ? Il faut quand même bien comprendre que si on ne fait pas cette réforme, on paupérisera petit à petit notre système de retraites, qui est aujourd’hui un système hyper-redistributif. C’est vraiment le système le plus favorable pour les gens les plus modestes en réalité. Il y a un bien commun à protéger ! Je pense que la vraie difficulté de cette réforme, c’est que Macron est le plus mal placé pour la porter. C’est une réforme des retraites qui ne lui ressemble pas. Quand Sarkozy fait la sienne en 2010, c’est le président qui, avant, s’est intéressé aux Français les plus modestes avec les heures supplémentaires, par définition les non-cadres. C’est lui qui a protégé l’épargne des Français lors de la crise financière. Sarkozy est alors crédible dans la défense de la sauvegarde d’un système favorable aux gens les plus modestes. Macron, lui, n’est pas crédible pour protéger les plus modestes.
Pour l’instant, Macron semble ailleurs. Que pensez-vous de la communication du gouvernement ? Tout le monde dit que que Mme Borne manque cruellement d’empathie. Cela n’envenime-t-il pas les choses ?
Je pense que Macron fait effectivement bien de ne pas en parler, son impopularité n’arrangerait pas les choses, au contraire. Elle explique une grande part du rejet de la réforme.
Le gouvernement s’est inspiré du contre-projet que les Républicains avaient proposé en 2018 sur les critères d’âge. Ils ont repris le travail des Républicains au Sénat. L’exécutif n’est pas bien placé pour l’expliquer, parce que ce n’est pas leur philosophie. Je suis frappé de voir à quel point le gouvernement s’est embourbé dans cette histoire des 1200 euros.
L’année prochaine, il y aura 1,8 milliard pour la revalorisation des petites retraites. Il n’y avait sans doute pas eu depuis des décennies un tel effort de rattrapage. Ils ne le mettent pas du tout en avant. Les gens ne retiennent que les pires aspects, car la communication du gouvernement est pitoyable.
Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.
Il est un moment où il m’est impossible d’interrompre Élisabeth Lévy, c’est quand je lis son éditorial dans Causeur. À la différence des débats sur CNews où nos échanges peuvent être vifs, car l’un comme l’autre nous n’aimons pas l’eau tiède, je dois accepter, ou à tout le moins entendre, ses commentaires et analyses sans mot dire. Et sans maudire, car j’ai la passion de la disputatio, des confrontations politiques où il ne s’agit pas d’effacer les clivages, les ancrages, mais de les assumer crânement pour contribuer à notre vie démocratique. Macron et les siens, à commencer par les forces de l’argent, ont-ils réellement cru atteindre leur objectif ? Réduire un horizon humain à un tableur Excel ? En finir avec le débat et le désir d’imaginaire ?
Alors, quand Élisabeth Lévy m’a proposé cette chronique, « Coup de rouge », j’ai accepté avec la garantie d’une expression totalement libre. Au regard de ma sensibilité politique, l’alliance du drapeau rouge et du drapeau tricolore, de Ferrat et de Fréhel, je viens ici pour être lu… sans être interrompu et avec mon tempérament de Gascon : « On trouve des mots quand on monte à l’assaut ! » (Cyrano de Bergerac).
Justement, c’est le thème de ce numéro, et sans l’avoir lu, je subodore que notre désaccord sera frontal…
Si l’allongement de l’âge légal de départ à la retraite et celui de la durée de cotisation est à ce point rejeté, et de manière écrasante, par les salariés, du public et du privé, les plus exposés aux travaux pénibles, c’est qu’il est déjà impossible d’atteindre une carrière complète. Voilà la première défaite idéologique de Macron-Borne-Ciotti. Les premiers de corvée, les éclopés qui n’ont cessé d’« attaquer une journée de travail » pendant de longues années en espérant partir le plus tôt possible à la retraite pour en profiter un peu, leur disent : « Deux ans de plus, non merci !» Il faut donc changer le travail, sa nature, son sens. Il y a tant à faire dans ce domaine, à l’usine et au bureau, avec une véritable sécurisation des parcours professionnels, avec, de la fin du lycée jusqu’à 60 ans, l’alternance de périodes d’activités et de formation, pour s’épanouir au travail avant de profiter des plus belles années à la retraite, celles en bonne santé.
Voilà pourquoi ceux qui pensent que la « gauche du travail » ne devrait pas encourager les « feignasses » qui manifestent et ne veulent pas donner deux ans de plus pour « équilibrer les comptes » sont ou des ignorants ou des cyniques.
Si le monde du travail est le plus opposé à cette réforme injuste, c’est que la pédagogie gouvernementale a échoué à rendre acceptable ce qui ne l’est plus. Alors que les entreprises du CAC 40 ont distribué 80 milliards à leurs actionnaires en 2022, dont 56,5 milliards de dividendes, un pognon de dingue pour un record historique, la réforme ne leur impose que la publication d’un index sur l’activité des seniors. Rien sur une nécessaire mise à contribution des revenus du capital comme le sont les revenus du travail pour le financement des retraites. Une question d’efficacité économique et de justice. Pour les Léon Dessertine/Bernard Blier –Un idiot à Paris – d’aujourd’hui, la fête continue avec des salariés qui restent les « êtres les plus vulnérables du monde capitaliste ».
Changer le travail et en finir avec le dieu argent. Les deux pour une retraite heureuse.
Le nouveau film d’Omar Sy est un film de guerre. Tirailleurs fait la guerre aux Français et à leur histoire, à tous ces méchants Blancs colonisateurs que nous sommes. Comme tant d’artistes – subventionnés – et d’universitaires, il relaie un diktat culpabilisateur, woke et indigéniste.
Nous remercions notre contributeur Gabriel Robin pour l’invention du néologisme « promolémique ». À l’occasion d’un entretien promotionnel dans Le Parisien, l’acteur Omar Sy a reproché aux Français d’être plus touchés par la guerre en Ukraine que par celles du continent africain.
Depuis deux siècles qu’elle a pris le pouvoir en Occident, la gauche a toujours marché sur deux jambes : la pensée et la violence. Le libéralisme avait ses carbonari ; les socialistes avaient leurs assassins ; les anarchistes avaient leurs brigands et leurs terroristes ; les communistes avaient leurs traîtres à la patrie. Les violents de la gauche ne sont pas sa face obscure mais son avant-garde. Le progressisme, phase actuelle de la pensée de gauche, a ses antifas et ses wokes.
La pensée de gauche s’appuie depuis les Lumières au moins sur les milieux culturels, au premier rang desquels s’est longtemps trouvée l’Université. L’étoile de cette dernière a pâli, certes, concurrencée – et comment ! – par les médias, l’industrie du divertissement, le showbiz. Mais c’est, encore aujourd’hui, à l’Université que se forge et se transforme la pensée de gauche – et pour la gauche, il n’est d’autre pensée que la sienne.
Tirailleurs ou le réalisme-vivrensembliste
Chez nous, deux affaires ont bruyamment manifesté la victoire du progressisme à l’Université ; elles ont été, dans le domaine de l’histoire, les matrices des délires dans lesquels la gauche se vautre désormais avec le contentement d’un porc à qui l’on tend une pomme pourrie. Ce sont les affaires dites Pétré-Grenouilleau et Sylvain Gouguenheim. Elles datent respectivement de 2006 et 2008. Comme vous les connaissez sûrement, qu’elles sont au fond de la même nature, je passe la première et je fais vite sur la seconde. Dans Aristote au Mont-Saint-Michel, Gouguenheim, professeur à l’ENS, racontait ce que tous ceux qui ont suivi une heure d’histoire byzantine savaient : que la philosophie grecque, savamment entretenue à Constantinople, était passée en Occident par le truchement des hommes d’Église. Il battait ainsi en brèche l’idée – alors déjà très à la mode dans les milieux culturels et emphatiquement propagée par les médias – selon laquelle ladite philosophie avait été « sauvée » par les « savants musulmans » – seuls capables de la comprendre puisque, selon les partisans de cette thèse, les Occidentaux vivaient alors à poil, dans des grottes, ne savaient ni lire ni écrire, buvaient leur urine et mangeaient leurs excréments. Tout se discute. Il était possible et même potentiellement fructueux de contredire Gouguenheim. Mais certains collègues de ce dernier et certains élèves de l’ENS ne cherchèrent aucunement à débattre avec lui : ils firent une pétition pour réclamer son renvoi de la grande école. Ce qui était reproché à Gouguenheim, ce n’était pas tant d’avoir peut-être tort, mais… de nuire au vivre-ensemble. Pour les signataires de la pétition, la vérité comptait peu ; six ans après l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, ce livre, écrivaient-ils, minimisait le génie du monde musulman et, ce faisant, bridait la fierté de jeunes-Français-d’origine-immigrée, les condamnant donc, par conséquent, à siffler les filles dans la rue, brûler des voitures, dealer du shit, haïr cette France qui refusait de les accueillir comme ils le mériteraient, c’est-à-dire comme les agents de notre indispensable métissage-expiation. L’histoire, disaient donc ces gestapistes, ne doit pas être une recherche de la vérité, mais un instrument de la concorde… La noblesse du but justifie le mensonge ou, ce qui revient au même, de taire la vérité. La fin, les moyens… La gauche n’est pas l’enfant de Saint-Just pour rien.
C’étaient des professeurs – et pas n’importe lesquels, des de l’ENS – qui disaient cela il y a déjà près de quinze ans. Depuis, bien sûr, le progressisme est devenu hégémonique – et même dictatorial – à l’Université. De nos jours, du moins au rayon sciences humaines, la majorité des thèses est consacrée aux « minorités » : les trans dans la France de Charles V, les lesbiennes sous Philippe II, les ouvriers homosexuels au temps du Front populaire et surtout, bien sûr, les femmes, partout, tout le temps, de Périclès jusqu’à nous, les femmes qui ont tout fait, tout découvert, à qui nous devons tout, mais qui étaient invisibilisées.
Le cinéma – qui s’est rétracté durant cette période sur sa base bourgeoise, avec les idées propres à la bourgeoisie contemporaine – ne pouvait ignorer qu’il avait, lui aussi, pour mission de flatter les immigrés – en vomissant, bien entendu, au passage, sur la France.
Depuis quelques années, ça s’emballe : pas un mois sans un film sur une Française qui tombe amoureuse d’un clandestin soudanais, une Française qui tombe amoureuse d’une lesbienne tunisienne, sur une Afghane traquée – sans blague, c’est en ce moment dans les salles – par des identitaires dans les Alpes – et je ne parle pas des comédies communautaristes centrées sur les séfarades, les « mamans solos », les gays, les jeunes, les Maliens. Bourgeois donc progressiste, le cinéma français est aussi formidablement subventionné par l’État, les collectivités, les institutions. Il est de gauche et, s’il veut trouver des financements pour produire ces nanars qui n’attirent personne hormis des dizaines de milliers de collégiens traînés dans les salles par des institutrices socialo-écologistes, il a intérêt de le prouver. On pourra nommer ce courant le « réalisme-vivre-ensembliste ».
La plupart les films de guerre français depuis deux décennies ont pour unique objet de montrer la contribution décisive des troupes coloniales à la victoire dans les guerres mondiales et l’insigne cruauté de nos pères durant les guerres dites de décolonisation. Indigènes (2006) et L’Ennemi intime (2007) ont lancé le mouvement. Les films de guerre des décennies précédentes maudissaient bêtement la guerre, « absurde » par définition, sorte de complot des États contre les hommes. Appliqué à la guerre, le réalisme-vivre-ensembliste entend, lui, montrer la lâcheté, le racisme, la méchanceté des Blancs et la bravoure, la magnanimité des colonisés. La guerre n’est plus « injuste » par essence ; entre les mains des colonisés, elle est au contraire le plus bel instrument de la justice. Tirailleurs, qui vient de sortir, s’inscrit parfaitement dans cette veine. Son premier rôle et coproducteur, Omar Sy, acteur nullissime dont le succès doit tout – comme hélas celui de beaucoup d’autres « racisés » qui emplissent désormais nos écrans en vertu de quotas tacites – à la discrimination positive et, ironiquement, au rire « bananiesque » qu’il affichait lorsqu’il commettait, bien sûr sur Canal+, des pastilles d’une médiocrité confondante avec un autre raté, Fred – seul un autre duo, lui aussi lancé par la « chaîne cryptée », les épouvantables Éric et Quentin, peut contester à ces deux gus le titre de pires humoristes français – Omar Sy, donc, a d’ailleurs profité de la promo de Tirailleurs pour redire tout le mal qu’il pensait de ces Français ethnocentrés qui ont pourtant fait de lui une star et même – on se pince pour le croire – un acteur hollywoodien, avec les millions et la villa à Los Angeles qui vont avec.
Répondant, par ricochet, à la « polémique » provoquée par les propos de Sy sur l’Ukraine et l’Afrique, Guillaume Perrault, dans Le Figarodu 4 janvier, a remarquablement expliqué comment Tirailleurs navigue entre l’exagération, l’à-peu-près et le mensonge. Mais que pèse la vérité des faits – et ici, ils sont bien documentés, ils sont incontestables – face à l’idéologie à l’origine de cette œuvre et qui lui vaut les éloges des médias systémiques ? Il me semble que c’est Dumas qui dit qu’on peut violer l’histoire à condition de lui faire de beaux enfants. Pour le système, et pour les historiens de gauche, c’est-à-dire 90 % des historiens, on peut allégrement violer l’histoire si c’est pour contribuer à la déconstruction du « roman national ». Le but de Tirailleurs – comme le confesse son réalisateur, comme l’avouent tous les réalisateurs de films de ce genre – est d’abord politique : faire honte aux Français. Ce faisant, ces « artistes » nourrissent plus ou moins consciemment le sentiment de culpabilité qui empêche moralement notre peuple de se défendre face à une immigration inédite par son ampleur et sa nature. Si la France a repoussé les Allemands en 1914-1918 et les a battus en 1939-1945 uniquement grâce aux Africains, et que ces derniers ont été, en plus, sacrifiés, méprisés et oubliés par la France ; et si, par ailleurs, ces mêmes Africains ont « reconstruit la France », nous avons une dette envers eux, et l’« immigration », c’est-à-dire, concrètement, le changement de peuple, en est – en tout cas aux yeux des antiracistes, hégémoniques dans les milieux culturels – le minimal remboursement.
Tirailleurs est un film de propagande. Il plaît aux médias pour une seule raison : il leur permet de faire ce qu’ils aiment le plus, à savoir le procès de la France. Il fera assurément, comme les récents Ils sont vivants et Les Survivants – éloquente ressemblance des titres qui manifeste tout à la fois l’individualisme de leurs auteurs, dans une logique de développement personnel, et le vitalisme propre aux immigrés selon la gauche –, un four. La plupart des films de ce genre font perdre de l’argent à leurs producteurs. Mais cela n’a pas d’importance : c’est le CNC – donc nos impôts – qui régale. Non seulement nous la subissons, mais en plus nous finançons l’immigration. Nous finançons également le discours qui légitime cette dernière. Nous déposséder de la terre de nos ancêtres ne suffit pas aux progressistes ; ils veulent nous faire payer – au propre comme au figuré – notre dépossession. Les glorieuses troupes coloniales ne sont, entre leurs mains, qu’un prétexte ; le mythe qu’elles fabriquent avec elles contribue à la disparition des Français en tant que peuple.
Le processus de maturation identitaire est une quête longue et angoissante. Elle l’est d’autant plus aujourd’hui dans une société qui à la question « Qui suis-je ? » apporte comme réponse « ce que tu veux ». Une approche philosophique du sujet permet ainsi de revenir aux fondamentaux de l’identité. Un sujet crucial de nos jours… Propos recueillis par Côme de Bisschop et Jean-Baptiste Noé.
Docteur en philosophie et directeur et enseignant à l’Ircom Lyon, François-Marie Portes est l’auteur de Sexe, Gender et Identités: Essai sur l’identité sexuelle et La femme au Moyen-Age. Aristote contre l’Évangile.
Revue Conflits. Sur un sujet comme l’identité sexuelle, il est souvent difficile de dialoguer de manière rationnelle et réfléchie sans avoir un débat hystérique. Dans une société où la logique et les critères communs nécessaires au dialogue semblent s’effacer, comment réussir à traiter cette question de façon rationnelle ?
François-Marie Portes. C’est peut-être mon optimisme stupide, mais je suis assez confiant dans l’intelligence humaine. Certains nient le principe de non-contradiction. Pour ceux-là, Aristote disait qu’il fallait simplement leur mettre des coups de bâtons, car ils ont beau nier l’existence de la logique, ils l’utilisent eux-mêmes lorsqu’ils parlent et lorsqu’ils pensent. Ainsi, la logique n’est pas une affaire extérieure et secondaire, mais d’abord un fonctionnement naturel de notre intelligence. Il y a cependant des personnes avec lesquelles on ne peut radicalement pas discuter, notamment des personnes éprises d’un néo-féminisme violent par exemple. Pour celles-ci, il n’est plus question de discuter puisque tout ce qui relève de la discussion est vécu comme un patriarcat déguisé donc comme une instance de domination.
La plupart des personnes sont aujourd’hui fortement attachées au sentimentalisme, interdisant ainsi tout discours qui irait à l’encontre du ressenti de chacun. Comment établir un dialogue avec des personnes qui vivent tout de manière sensitive ?
C’est la question de l’identité. Comme l’individu est laissé seul, il n’a plus grand-chose pour pouvoir se définir lui-même. C’est le sens d’une de mes parties sur le féminisme où j’explique que le féminisme est une conséquence de la philosophie dite du « sujet » et non une instance politique. On arrive enfin à une aporie de la philosophie initiée par Descartes. C’est-à-dire la fin du sujet qui essaie de se trouver en retournant son intelligence contre lui pour essayer de se définir par lui-même. Quand on parle des questions identitaires et pas seulement sexuelles, la personne n’arrive pas à distinguer sa thèse, son désir et ce qu’il est. L’enjeu de ce livre est justement d’essayer de ramener à la rationalité l’ensemble des dimensions de la personne qui ne se limitent pas à celles dont elle a conscience. C’est-à-dire qu’il existe beaucoup de phénomènes en moi dont je n’ai pas conscience et qui pourtant font partie de mon identité. Ainsi, avoir un dialogue constructif avec quelqu’un qui est dans l’hyper-sentimentalisme est certes complexe, mais lui faire prendre conscience que sa personne dépasse le simple champ de sa conscience, c’est une bonne chose et c’est possible.
Dans l’identité il y a une partie que l’on se construit et il y a une partie dont on hérite. Comment intègre-t-on nos dimensions sexuelles à notre propre personne ?
Il y a plusieurs dimensions à la question de l’identité sexuelle. La première est la dimension biologique, qui est à la fois chromosomique XX ou XY chez l’être humain et phénotypique avec les organes génitaux. S’ajoutent à cela deux dimensions qu’il est souvent difficile de démêler. Il y a une dimension psychologique du sexe et une dimension sociale du sexe. Le sexe psychologique, c’est l’intégration consciente que l’individu va être capable de faire entre la dimension biologique et la dimension sociale de sa sexualité. En effet, l’environnent de chaque individu véhicule une représentation sur son identité sexuelle. Par exemple, écouter des personnalités publiques, pour lesquelles vous avez de l’intérêt, raconter que la transition sexuelle est une très bonne chose, va naturellement vous rendre plus favorable à la question de la transition sexuelle. Cependant, cette dimension n’est ni bonne ni mauvaise, elle est le principe même de notre identité, tout ce qui existe en l’homme a besoin de passer par le crible de l’éducation et de la culture, du fait de notre rationalité.
Le sujet de l’identité sexuelle c’est aussi le rapport de la nature et de la culture. Il y a une dimension naturelle évidente, mais aussi culturelle. Philosophiquement, faut-il opposer nature et culture ?
Je pense sincèrement que l’opposition entre nature et culture est une opposition stérile, surtout lorsqu’elle concerne l’homme. En anthropologie, il est essentiel de comprendre qu’il est dans la nature de l’homme d’avoir une culture. Il n’y a donc rien en l’homme qui soit purement naturel. Cela s’explique par le fait que la rationalité de l’homme l’oblige à s’envisager comme un objet et envisager ses relations avec les autres comme un objet également, avant de se considérer lui-même comme un sujet. Peu importe la culture, les comportements sexuels d’antan visaient d’abord deux choses : l’amitié conjugale et la fécondité. Ces deux pôles ont été évacués dans notre société de manière très violente. C’est pour cela qu’il est d’autant plus difficile pour l’individu de trouver son identité sexuelle.
Si les choses sont culturelles, notre vision de l’homme et de la femme est issue de notre culture chrétienne là où d’autres cultures ont une vision complètement différente. Peut-on ainsi défendre une vision universelle de ce qu’est l’homme et la femme ?
Il est évident que le masculin et le féminin ne se retrouvent pas de la même façon dans les…
Tár de Todd Field trace le portrait dandy d’une artiste aussi géniale qu’inclasssable.
Il y a toujours eu un certain mystère chez le réalisateur américain Todd Field. Né en 1964, il n’a réalisé que deux longs métrages, In the Bedroom en 2001 et Little Children en 2006. Il a été acteur chez Kubrick et chez Woody Allen, dans une autre vie. Depuis près de vingt ans, il restait reclus chez lui, s’occupant de voir grandir ses enfants. Tár est né de ce désœuvrement artistique. Le 12 mars, aux Oscars, le film sera en compétition avec six nominations, entre autres pour le meilleur film, le meilleur réalisateur, la meilleure actrice (l’exceptionnelle Cate Blanchett accomplit ici une performance unique) et le meilleur scénario original.
La figure tutélaire de Leonard Bernstein
Lydia Tár est une cheffe d’orchestre internationale, influencée par celui qui fut son maître, Leonard Bernstein. Quittant New York pour un temps, elle se retrouve au cœur musical de l’Europe, à Berlin, pour enregistrer en live la 5e Symphonie de Gustav Mahler. Tár se heurte d’emblée au « mystère » intrinsèque de cette partition grandiose, qui débute par une Marche funèbre, et dont le dernier mouvement, selon Adorno, sentait littéralement le souffre. Le 5 revient, dans le film, comme un symbole (maléfique ?) permanent ; il est aussi bien la lettre s que le chiffre romain V. Tár se voit encerclée par cette malédiction, sans qu’elle puisse réagir, malgré son énorme vitalité. Elle n’imitera pas sa jeune étudiante, Krista Taylor, qui se suicide. Cet acte est d’ailleurs comme une accusation désespérée contre Tár, d’où le scandale qui éclate…
Le réalisateur, avec cette musicienne obsédée par l’art, nous montre un personnage autoritaire, mais très civilisé et sensible au charme des jeunes filles. A-t-elle abusé de sa position pour nouer des relations avec telle ou telle ? C’est possible. Son amour naissant pour la violoncelliste russe Olga, qu’elle emmène à New York, mais sans que rien ne se passe cependant, le montrerait. Le fait aussi qu’elle décide d’inscrire au programme le Concerto d’Elgar, pour la mettre en vedette. Ce n’est qu’un exemple. Le film de Todd Field revient d’une manière lancinante sur ces thèmes woke, pour en général, du reste, en illustrer l’impasse à coups de syllogismes. Ainsi, ce duel avec un élève de couleur, imprégné de cette pensée, qui affirme ne pas aimer Bach, compositeur blanc, père d’une famille de vingt enfants, etc. Tár n’hésite pas à se montrer, sinon réactionnaire, en tout cas très conservatrice ‒ position originale pour une lesbienne.
Un idéal artistique comme boussole
Ce qui prime avant tout pour elle, c’est son idéal. Leonard Berstein lui a laissé un héritage magnifique, enrichi de pensée judaïque. Elle a approfondi sa réflexion sur la musique par l’ethnologie et un séjour dans la forêt amazonienne. N’oublions pas que quelqu’un comme Leonard Berstein était aussi un penseur, et qu’il en a laissé un témoignage important dans le livre intitulé La Question sans réponse, recueil de conférences à Harvard, sans parler de ses nombreuses émissions de télévision où il se montrait un remarquable pédagogue. C’est l’une de ces émissions que Tár regarde, à la fin, lorsqu’elle rentre chez elle, dans la maison où elle a grandi. C’est aussi le seul moment du film où on la voit pleurer, comme pour nous révéler : « Oui, le grand Bernstein avait raison, l’art transcende absolument tout ! »
Tár est une œuvre extraordinairement subtile et complexe. Tout se règle sur la communication entre les personnages, pleine de sous-entendus et d’allusions ambiguës, mais avec une logique verbale imparable. Il y a là un véritable univers, hautement raffiné, où l’on aime à parler couramment des relations entre Gustav Mahler et sa femme Alma ‒ le sujet revient comme un puissant leitmotiv, imprégnant la narration d’une couleur très particulière. Et puis, il y a aussi des scènes qui échappent au spectateur, qui laissent libre cours à toutes les interprétations.
Ainsi, pourquoi Tár déchire-t-elle dans l’avion le livre de la romancière Vita Sackville-West, Challenge ? Refus d’un certain dandysme, qui pourtant éclate à chaque image ? En regardant Tár, on pense immanquablement à Oscar Wilde, à sa fameuse préface au Portrait de Dorian Gray et à son effondrement irréversible. On n’en est pas loin.
Failles psychologiques
Bernstein a aussi légué à sa disciple sa philosophie de la repentance, techouva en hébreu. À un moment, Tár essaie de rattraper Olga dans un souterrain, où la jeune violoncelliste est censée habiter. L’obscurité du sous-sol se décèle longuement, comme une sorte de métaphore de son inconscient freudien, à haute teneur en sexualité, et dont elle sort défigurée, au sens propre, après une chute. Derrière l’image conquérante de la cheffe d’orchestre à qui tout réussi, il y a la réalité plus banale d’un être humain qui a ses failles intimes. Quand elle réside dans son appartement de Berlin, seule à composer ou à dormir, elle entend des bruits incongrus qui la perturbent. Cette fragilité psychologique, qui cache en fait des abîmes existentiels, est le pendant de son extraordinaire génie, semble nous dire le cinéaste.
Tár est incontestablement un film qu’il faut revoir plusieurs fois. Il est une tentative, de la part de l’Américain Todd Field, de faire retour au creuset européen, à cette culture si sophistiquée qui n’aura germé qu’une seule fois. C’est comme si le cinéaste, dans son économie d’images, voulait nous signifier que nos richesses culturelles, à nous Européens, ne doivent pas être perdues, dilapidées, comme nous le faisons trop souvent, mais poursuivies et retravaillées. Qui pouvait penser aujourd’hui qu’un tel message viendrait de ce côté-là de l’Atlantique ?
Le FBI vient d’admettre avoir fauté, après la fuite d’une note révélant que le contre-terrorisme surveillait des catholiques traditionalistes.
Le principal service de renseignement intérieur américain a donc désormais lui aussi son « affaire des fiches » dans sa lutte contre le terrorisme domestique. Le FBI s’est le plus simplement du monde appuyé sur les notes du Southern Poverty Law Center (SPLC), une association de gauche qui n’hésite pas à taxer d’extrémisme de droite quiconque ne cadre pas avec ses valeurs et a même dépeint comme islamophobe un musulman dénonçant l’islamisme.
Messe en latin et sectarisme du FBI
Le 8 février, l’ancien agent du FBI Kyle Seraphin a publié sur le site UndercoveredDC un mémorandum obtenu d’une source du bureau de Richmond, en Virginie, et intitulé « L’intérêt des extrémistes violents avec des motivations raciales ou ethniques pour l’idéologie catholique radicale-traditionaliste présente presque certainement de nouvelles opportunités de réduction » [des risques, NDLR]. Le document parle de croisements entre les mouvements nationalistes blancs et les « catholiques traditionalistes radicaux ». Dans une démonstration de raccourci intellectuel à montrer dans les cours de l’Académie de Quantico, il associe préférence pour la messe en latin et « adhésion à une idéologie antisémite, anti-immigrés, anti-LGBTQ et suprématiste blanche ». Se félicitant de la découverte, le FBI indique sa « grande confiance » dans ces informations et sa capacité à atténuer la menace en recrutant des sources au sein de l’Église… Le mémo distingue toutefois entre ceux qui se contentent du latin et ceux qui ont en outre « des croyances idéologiques plus extrémistes et une rhétorique violente ». Il n’explique cependant pas ce tri, alors que « le FBI doit noter les sources analysées [pour] éliminer la partisanerie et la partialité, quand il confectionne un produit de renseignement », souligne Seraphin.
La publication du document a suscité l’ire du procureur général de Virginie et ceux de 19 autres États qui ont écrit au ministère de la Justice pour demander que le FBI produise publiquement tous les documents utilisés pour rédiger le mémo. La lettre dénonce un « sectarisme anticatholique qui semble couver au FBI ».
L’agence a depuis retiré son document au motif qu’il ne correspond effectivement pas à ses normes exigeantes. Tocqueville soulignait que, pour les Américains, les associations étaient un rempart contre le despotisme, le FBI semble voir le SPLC comme son analyste pour réduire les libertés !
La désignation des extrémistes de droite, le fonds de commerce du SPLC
Le choix du bureau de Richmond d’utiliser les notes du SPLC interroge sur ses motivations et méthodes. Paresse ou inclinaison politique ? Si le SPLC voit ses rapports repris dans divers médias d’importance régulièrement, il est également très critiqué pour sa propension à accuser d’extrémisme de droite tous les individus et organisations qui ne sont simplement pas de gauche. Même Newsweek, média centriste penchant du côté démocrate, est accusé de soutenir la droite antidémocratique pour avoir recruté des personnalités conservatrices dans un souci de pluralisme. Le Washington Post, pro-démocrate, a publié un long article en 2018 dénonçant les biais du SPLC qui met par exemple dans le même sac les conservateurs et le Klan.
Parmi les accusations infondées du SPLC, celle d’islamophobie à l’encontre de Maajid Nawaz, un musulman qui demande une surveillance des mosquées, demeure la plus savoureuse. Pour éviter les poursuites, le centre a trouvé un arrangement à plus de 3,3 millions de dollars avec Nawaz en 2018. M. Nawaz peut désormais mettre du beurre dans les épinards, et au SPLC, c’est une broutille au regard de ses 518 millions de dollars d’actifs…
Le poète yiddish Jacob Glatstein (1896-1971). D.R.
La traduction récente de Voyage à Rebours nous permet de découvrir un grand écrivain yiddish.
Le nom de Jacob Glatstein était quasiment inconnu du public francophone jusqu’à ce jour, malgré la parution d’un recueil de poésies aux éditions Buchet Chastel en 2007. Son œuvre de romancier était, elle, totalement inédite en français. Cette lacune est désormais comblée, avec la parution en traduction française de son roman Voyage à rebours. Né à Lublin en 1896 et mort à New York en 1971, Glatstein est surtout réputé pour son œuvre poétique, écrite avant et après la Shoah.
Voyage à rebours est le récit d’un voyage en Pologne en 1934 : Yash (surnom de l’auteur) embarque à New York sur un bateau pour retourner vers sa ville natale, Lublin, qu’il a quittée vingt ans plus tôt. Le voyage le mène au Havre, où il prend le train, passe par Paris. Là, il retrouve des amis artistes ou écrivains yiddish au Dôme, à Montparnasse. Toujours en train, il traverse l’Allemagne – tombée sous le joug nazi l’année précédente – avant d’arriver en Pologne.
Le récit de la traversée de l’Atlantique est un modèle du genre. Comme l’explique l’auteur, « Sur le bateau, on peut vraiment sonder la valeur de l’homme. Dans l’agitation du quotidien, on perd le sens du drame, de la tragédie et de la comédie qui imprègnent toute vie. Sont oubliés et scellés les oreilles et les yeux spontanés qui voient, entendent et s’émerveillent de tout ». C’est précisément ce sens du drame, de la tragédie et de la comédie qui donnent au récit de Glatstein toute sa valeur romanesque.
Multiples facettes du destin juif
Sous la plume de l’auteur, on rencontre toutes sortes de personnages, qui racontent les multiples facettes du destin juif dans le premier tiers du vingtième siècle, quelques années avant que le cataclysme nazi ne vienne accomplir son sinistre travail d’anéantissement. Parmi les plus belles pages du livre figurent celles où l’auteur évoque son enfance dans la Russie d’avant la Révolution, décrivant sa famille, sa vie d’écolier ou encore l’angoisse des fidèles, barricadés dans la synagogue, alors que les bandes révolutionnaires et les Cosaques s’affrontent au dehors.
La plume de Glatstein est le plus souvent empreinte d’un humour réaliste, mais parfois elle se fait lyrique, comme lorsqu’il décrit le « Dieu juif » qui ressemble au Rabbi de Lublin : « un Juif maigre avec une longue barbe blanche, des bas blancs et des chaussons, une voix douce, qui ne comprend rien à l’argent, qui n’accepte pas les dons de ses fidèles, qui jeûne chaque lundi et chaque jeudi… D’une voix fêlée il pleure tous les malheurs juifs. C’était l’allure du Dieu persécuté de mon enfance. Comment peut-on en vouloir à un tel Dieu, dont les bras sont trop courts et les mains trop faibles pour amener le Messie ? ».
Description qui évoque un tableau de Chagall, et qui prend un sens encore plus frappant après la Shoah. Il est difficile de ne pas penser au destin qui attend les personnages de ce récit de voyage qui pourrait être picaresque, s’il ne se déroulait au milieu des années 1930. Le tableau que donne Glatstein du monde juif est ainsi – tout comme les photographies de son contemporain Roman Vishniac – celui d’un monde disparu. Le romancier se fait involontairement, le témoin de son temps. Un grand écrivain yiddish à découvrir.
Jacob Glatstein, Voyage à rebours, traduit du yiddish par Rachel Ertel, éditions de l’antilope 2023.
Une famille « bourgeoise » de la capitale iranienne. Le père veuf, malade, chenu, shooté à l’opium, ne se remet pas de la mort récente de son épouse. Il partage avec ses deux fils une maison qu’il n’a plus les moyens d’entretenir. Le cadet, boxeur professionnel de haut niveau, est en passe d’intégrer l’équipe nationale. L’ainé magouille dans la came, à la fois dealer et consommateur.
Dans ce milieu émancipé largement affranchi des rigueurs de l’Islam, les liens avec l’Occident sont omniprésents, la dictature des mollahs est un hors champ dont il faut s’accommoder de loin. Très belle, une ancienne petite amie du boxeur, mariée en France, est en instance de divorce. Elle réapparait avec son petit garçon, parfaitement bilingue. Elle porte le voile avec trop d’élégance, au point que sa mère croit devoir l’avertir : « on n’est pas en France, ici. Ne te fais pas arrêter ! »…
Passionnant, ce faux thriller urbain terriblement noir investit un Téhéran méconnu : celui des beaux quartiers, au nord de la gigantesque métropole, désormais investis par un jet set perse parvenu, absolument laïque, noctambule, corrompue, qui s’éclate clandestinement dans un entre soi fuligineux, et partage avec cette bourgeoisie intellectuelle, anciennement liée à la possession terrienne, des liens d’affaires tumultueux. Ainsi le fils ainé refuse-t-il de céder à un cousin promoteur immobilier un terrain boisé, vieil héritage familial que l’inexorable extension urbaine est en passe de dévorer. Virevoltante, la caméra serre les visages en très gros plan, circule dans le labyrinthe de la ville, épouse la course vertigineuse d’une moto ou d’une voiture lancée à tombeau ouvert dans la nuit. Elle surplombe l’immensité urbaine, dont le tapis des lumières scintille et tremble à l’infini sous le ciel nocturne.
En confiant à Behzad Dorani le rôle du père, Chevalier noir se place dans la filiation du très grand et regretté Abbas Kiarostami : on y reconnait l’acteur qu’on avait vu, beaucoup plus jeune, dans Le Vent nous emportera (1999). Jamais oiseuses, les répliques y sont pesées au trébuchet, dans un découpage millimétré, selon une économie dramaturgique impeccablement dosée, et sans que la moindre musique de fond n’en dilue l’âpreté.
Né en 1979, ancien étudiant de l’excellente école d’art visuel du Fresnoy, dirigée depuis sa création à Tourcoing par le grand artiste et écrivain Alain Fleischer, Emad Aleebrahim Dehkrordi vit en France depuis un grand nombre d’années. Réalisé à Téhéran en pleine pandémie, Chevalier noir est son premier long métrage. Voilà qui promet.
Chevalier noir. Film de Emad Aleebrahim Dehkordi. Iran, couleur, 2022. Durée : 1h41. En salles le 22 février.
Le malaise des médecins libéraux révèle une maladie bien française: celle de l’étatisation de notre système de santé, qui pourrait encore s’aggraver avec le projet de « tiers payant intégral »
Depuis quelques semaines, nombre de médecins français font grève. Après les mouvements des 1er et 2 décembre, puis la fermeture des cabinets entre Noël et le jour de l’An, ils ont de nouveau, le 14 février, manifesté leur mécontentement. Et les raisons sont nombreuses !
Tout d’abord, ils sont vent debout contre une nouvelle proposition de loi de la majorité. Votée à l’unanimité en première lecture le 19 janvier, elle pourrait permettre aux patients de s’adresser directement à certains professionnels paramédicaux, sans passer par le médecin traitant. Les généralistes craignent de disparaître en tant que coordinateurs du parcours de soins.
La médecine « libérale » n’existe pas
Les généralistes se mobilisent aussi contre une nouvelle proposition de loi portée par un député socialiste qui prévoit d’abolir leur liberté de s’installer où ils le souhaitent pour lutter contre les « déserts médicaux ». Une immixtion de la puissance publique dans la vie privée inefficace selon les professionnels, qui estiment que l’incitation et surtout, la mise en œuvre d’un environnement propice (écoles pour les enfants, meilleures rétributions…) pourraient être bien plus efficaces.
Enfin, ils craignent que la prochaine convention médicale, qui établira les tarifs de la profession pour les cinq prochaines années, ne change strictement rien : la consultation est à 25 euros, l’une des rémunérations les plus basses d’Europe (45 euros en moyenne), qui n’a pas été révisée depuis 2016. On leur propose une augmentation de… 1.50 euros.
Les médecins ont raison. Ils sont victimes du système français de santé qui est un monopole d’État. On parle de médecine libérale mais, en réalité, il n’y a pratiquement aucune liberté nulle part. C’est le dirigisme qui règne : les tarifs sont rigides, le nombre de praticiens, limité, le salariat, étatique et les objectifs de résultats, nationaux. La santé en France est aujourd’hui un secteur entièrement régulé. Tout est figé, rien ne peut bouger et il n’y a pas plus de place pour d’éventuels nouveaux acteurs que de nouveaux lits aux urgences.
L’État veut avaler les complémentaires santé
Pire, l’État veut aussi phagocyter les mutuelles privées : un projet du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) laisse craindre que l’acquittement du ticket modérateur, dont la responsabilité incombe pour le moment aux complémentaires, soit confié à l’Assurance maladie. Un transfert du privé au public, donc, qui pourrait se concrétiser dans le courant de cette année. Une grande partie de dépenses de santé, des médicaments aux soins de ville, du reste à charge hospitalier aux lunettes, serait désormais non plus partiellement, mais intégralement remboursée par la Sécurité sociale. Cette mesure concernerait plus de 96% des Français, environ 400 organismes d’assurance complémentaire santé et plus de 60 000 emplois. Les mutuelles pourraient alors tout simplement disparaître.
Pourquoi cet acharnement ? Parce que, c’est un comble, l’État reproche aux mutuelles leurs tarifs et frais de gestion ! Il entend, pour remédier à cette déplorable situation, les faire fondre dans une « Grande Sécu », une sorte de chaudron d’où sortirait en quelque sorte une potion magique. C’est donc notre État avec son armée de fonctionnaires, notre État obèse, omnipotent et impuissant, notre État champion du monde des taxes, des impôts et des dépenses, qui s’inquiète des coûts et de la gestion des mutuelles ! L’hôpital qui se fout de la charité.
Or, le secteur des mutuelles fonctionne bien. C’est un service qui peut en effet être assez coûteux, mais il est modulable selon la situation de chacun, efficace, et ses avantages sont appréciables, surtout pour les couples avec enfants. D’ailleurs les Français ne s’en plaignent pas.
Il faut donc considérer cette initiative comme très inquiétante. D’une part, priver les Français de leur mutuelle, c’est les déresponsabiliser encore davantage. D’autre part, où s’arrêtera-t-on ? Le constat a pu être fait par tous en 2020, au début de la pandémie : malgré tout l’argent qu’il a dépensé, l’État a failli. Il n’a rien réformé pour autant. Mais il est resté aussi affamé et veut maintenant engloutir les complémentaires santé. La fiscalité qu’il leur applique, 15% par contrat souscrit, ne lui suffit plus. À quoi devrons-nous nous attendre demain ? À l’étatisation des assurances auto ? À la nationalisation des assurances habitation ?
Le système de santé français n’est pas déficitaire à cause des mutuelles. Elles ne sont pas non plus à l’origine de la crise des hôpitaux. Et l’argent ne manque pas. Il n’y a pas de bouc émissaire, la principale responsable est bien la désorganisation de l’État. Dans d’autres pays comparables au nôtre, riches et démocratiques (Allemagne, Pays-Bas, Suisse…), l’assurance maladie est confiée pour une large part à structures privées qui sont mises en concurrence. Les médecins n’y sont pas dirigés à la baguette par l’État, ils peuvent exercer librement, sans réglementations excessives. Pourquoi ne pas étudier comment les choses se passent ailleurs et s’en inspirer ?
L’écrivain faisait, bien malgré lui, la une de Libération mardi
Sophie des Déserts a tellement de talent qu’elle rend désirable ce qu’elle croit et veut dénoncer. Ainsi pour Michel Houellebecq auquel Libérationconsacre quatre pages sous sa signature. Je n’ai aucune raison de le cacher : pour moi, il est notre plus grand écrivain. J’ose le terme: un génie qui honore la France, sauf, comme on l’a constaté, pour le Comité Nobel et celle que ce dernier a promue et qui aigrement s’en est prise à l’exclu. Parce que, à l’évidence, Michel Houellebecq n’avait pas le bon profil pour être célébré. Son évolution intellectuelle, politique et sociale l’a conduit vers des positions conservatrices – par exemple sur la peine de mort, l’islam, l’Europe et l’euthanasie – insupportables pour la bienséance critique qui prétend régenter les Lettres.
Michel Houellebecq : enquête sur une dérive. C'est la une de @Libe mardi
En appréhendant immédiatement la charge de Libération, elle pourrait être résumée par ces griefs apparemment impardonnables : « haine de l’islam, amitiés d’extrême droite, tournage porno », auxquels il faudrait, semble-t-il, rajouter ses déménagements fréquents, les modalités de son union conjugale et ses liens avec un monde officiel qui n’aurait pas l’heur de plaire à ce quotidien que j’avais goûté il y a longtemps, tellement imprévisible alors, tellement tristement prévisible aujourd’hui – l’allégresse d’un gauchisme spontané et inventif muée en une inquisition lassante à force de s’en prendre aux mêmes cibles.
Y aurait-il vraiment de quoi intenter un procès à Michel Houellebecq, en quelque sorte hors littérature, avec les seuls et pauvres éléments dont l’accusation se sert ? Michel Houellebecq, à la suite de son long et passionnant entretien avec Michel Onfray dans Front Populaire, a été sommé de s’expliquer sur ses propos sur l’islam et les souhaits qu’il prête à « la population française de souche » de voir les musulmans s’assimiler ou, s’ils s’y refusaient, de les voir partir. Il a invoqué qu’il faisait part d’un sentiment majoritaire tout en admettant avoir commis une maladresse verbale et en s’engageant à la réparer.
L’honnêteté oblige à reconnaître que Michel Houellebecq n’est pas lui-même très bien disposé à l’égard de l’islam mais puis-je questionner: et alors ? En quoi son personnage, le remarquable écrivain qu’il est, la lucidité prophétique dont il a fait preuve sur les tréfonds de la société française, devraient-ils être affectés par cette conviction, qu’on peut ne pas partager mais qui n’est pas honteuse ? Cette intrusion d’une morale emplie d’un humanisme « progressiste » avec ses préjugés et ses intolérances, dans la relation d’une histoire intellectuelle et littéraire singulière, avec toutes les origines psychanalytiques qu’on voudra, n’est sans doute pas la manière la plus appropriée pour maîtriser la personnalité riche et complexe de Michel Houellebecq, qui serait « au fond du trouble ». Faut-il considérer que pour le reste qui ne serait pas lié au thème de l’islam, la liberté de l’homme Houellebecq ne serait pas entière et qu’il devrait rendre des comptes aux médias sourcilleux voire impitoyables à son égard ? Parce que son image ne correspondrait pas au profil du « bon écrivain » selon Libération, qui serait de gauche, avec des amitiés exclusives du même tonneau, un militantisme à la Annie Ernaux, des dialogues parfaitement et idéologiquement orientés et une solidarité ostentatoire mais sans risque avec tous les damnés de la terre ?
En approfondissant ce qui ressort des pages de Libération, j’avoue être surpris par le fait que ce quotidien semble oublier ce qui, dans le domaine culturel, artistique et littéraire, paraît essentiel, avec une conception aux antipodes du classicisme, des critiques plus idéologiques que techniques, l’homosexualité comme critère décisif de la qualité d’un film, un culte des incongruités et des provocations au sein desquelles la singularité existentielle de Michel Houellebecq n’est de loin pas la plus surprenante. Pourquoi alors dresser un tel portrait de cet écrivain en occultant son génie romanesque pour ne s’attacher qu’à une périphérie dont on invente la gravité ?
Je ne m’accorde pas avec toutes les dilections de Michel Houellebecq: Emmanuel Carrère soit ! Frédéric Beigbeder, je renâcle ! Mais peu importe. Au pire, ne pourrait-on s’accorder sur la rançon obligatoire qu’un créateur unique, dans notre monde médiatique et culturel, doit nécessairement payer, s’il n’est pas conforme, heureusement banal, progressiste comme il convient ? Michel Houellebecq manque de ces dispositions ! Pour ma part, je m’en tiendrai au meilleur. J’ai trop d’admiration – facile à justifier – pour Michel Houellebecq pour ne pas regretter que l’indéniable talent d’une journaliste serve à projeter des ombres sur une personnalité qui n’a commis que le crime d’être singulière. Et, par ricochet, sur une œuvre incomparable.
Le président du groupe LR à l’Assemblée, Olivier Marleix, explique à Causeur pourquoi il votera la réforme des retraites. Il déplore que beaucoup de Français n’en retiennent que les pires aspects, la communication du gouvernement étant mauvaise…
Causeur. Cette réforme des retraites va-t-elle, et surtout doit-elle, passer dans sa forme finale ?
Olivier Marleix. On peut difficilement soutenir l’idée qu’il n’y a pas besoin de réforme, qu’on pourrait faire l’économie d’un recul de l’âge de départ à la retraite. Il faut donc qu’elle soit adoptée avec tous les ajustements qui méritent d’être faits. C’est vrai qu’elle est incomplète sur plusieurs points, notamment la politique familiale.
Des milliers d’amendements de la Nupes pour faire obstruction, une tête de ministre jouée à la balle par un député lors d’une manifestation, ce même ministre qualifié d’ « assassin » par un autre lors des débats: est-ce que, comme le dit le Canard Enchaîné, c’est pas bientôt fini cet « hémicirque » ? Allez-vous libérer la vie parlementaire de cet enfer en vous assurant que votre groupe donnera une majorité au projet de réforme des retraites du gouvernement ?
Je ne sais pas si le fait qu’il y ait une majorité sur ce texte suffira à changer la Nupes ! Le comportement de LFI, mais aussi des partis otages de LFI (PS, PCF, EELV) témoigne d’une radicalité, exprime même parfois une forme de violence. Qu’un député portant l’écharpe tricolore dise que la tête du ministre est comme un ballon, c’est assez douteux ! L’idée que l’Assemblée nationale puisse être un endroit qui donne l’exemple de la violence et qui, partant, peut légitimer la violence à l’extérieur, est insupportable et contraire au débat démocratique. Mais tout cela n’est pas vraiment surprenant. Malheureusement, le président de la République a sa part de responsabilité dans cette dégradation de la vie politique. C’est le résultat de sa propre stratégie politique de radicalisation, qui a consisté à fracturer le pays, à renvoyer les gens de gauche dans les bras de l’extrême gauche, et les gens de droite dans les bras de l’extrême droite. Les députés de LFI ont un comportement inacceptable, certes, mais interrogeons-nous : comment en sommes-nous arrivés à créer ce climat dans le pays ? Est-ce vraiment le fruit du hasard ?
Que des jeunes ou des fonctionnaires bénéficiant de régimes spéciaux portent des idées de gauche et manifestent, ce n’est pas franchement une surprise
Quelle est votre stratégie politique, chez les LR, pour vous montrer responsables en soutenant une réforme nécessaire, et en même temps pour montrer que vous n’êtes pas aux ordres du gouvernement ?
Cela passe par le choix de quelques combats emblématiques. Le premier combat, le plus important, c’est celui de la revalorisation immédiate des retraites. Nous avons obtenu que 1 800 000 retraités voient leur pension augmenter de 678 euros par an en moyenne. Nous voulons montrer que cette réforme n’est pas faite uniquement pour envoyer un signal aux marchés financiers, et qu’elle n’est pas faite non plus pour répondre à une injonction de la Commission européenne, même si le gouvernement lui a déjà envoyé une copie et que cela existe dans l’esprit du président de la République ! Pour nous, cette réforme des retraites est faite pour les Français. Elle est faite pour assurer la sauvegarde de ce système par répartition qu’a légué le général de Gaulle à la Libération et auquel nous sommes attachés. Il était important de montrer qu’à l’effort contributif demandé aux Français pour préserver le système, il y avait un gain immédiat pour les retraités eux-mêmes – cette revalorisation des pensions. Au total, on parle de 1,8 million d’euros de revalorisation. C’est un effort jamais réalisé.
Tout compte fait, on a eu le sentiment étonnant, pendant les débats, que la droite se montrait plus gentille que le gouvernement, moins brutale que lui !
Il est évident que si on veut réussir une réforme, il y a un souci d’acceptabilité, c’est pour cela aussi qu’on s’est opposé à une réforme trop brutale. Quand on fait des réformes dans un pays, ce n’est pas contre les citoyens, c’est dans leur intérêt ! Ce n’est pas aux Français de payer les retards de Macron. Avant d’aller à 65 ans, il faut passer par 64, et avant d’aller à 64, il faut passer par 63. On a donc fixé le rythme souhaitable à un trimestre par an, ce qui amène à 63 ans à la fin de ce quinquennat, et 64 ans en 2031.
Pour nous cette réforme n’est pas dogmatique, elle est pragmatique. Elle répond à la nécessité très concrète de rééquilibrer le système. On pourrait ne pas faire de réforme, mais on aurait un déficit qui se creuserait – qui ne serait peut-être pas dramatique par rapport au déficit de l’État (car on a des déficits partout) – sauf qu’il y aurait une conséquence : on ne pourrait plus du tout augmenter les retraites, et les retraités qui ont déjà perdu 200 euros par mois de pouvoir d’achat depuis 10 ans, sous l’effet de la CSG et des impôts, verraient leur pouvoir d’achat continuer de baisser. Moi je le refuse ! La retraite c’est le capital de ceux qui n’en ont pas.
Sur le traitement particulier pour les gens qui ont commencé plus tôt,il y a eu beaucoup de discussions au sein même de votre groupe. Est-ce que le public vous sera reconnaissant pour cela ? Après un recadrage avec le chef du parti Eric Ciotti mardi soir, votre groupe est-il maintenant sur la même ligne et d’accord ? Parmi les députés LR, est-ce qu’il y en a encore beaucoup qui pourraient ne pas voter pour cette réforme ?
Aucune réforme des retraites n’a jamais été populaire. Je considère qu’en dix ans de Macron, ce sera sans doute le seul acte de redressement du pays qui aura été proposé. On n’a pas le droit de passer à côté. On verra dans trois, quatre ou cinq ans qui aura été responsable et qui ne l’aura pas été. Il y a peut-être douze ou quinze députés LR qui ont dit de manière définitive ne pas vouloir voter la réforme. C’est leur liberté.
Dans les rangs du Rassemblement national, où ils sont pourtant plus nombreux que vous, ils vont voter ce que leur chef Marine Le Pen leur dit de voter. Enviez-vous parfois la discipline qu’il peut y avoir dans ce groupe ?
Je ne suis pas sûr qu’il y ait motif à tirer gloire d’être un Playmobil de la majorité qui votera pour la réforme, ou un petit soldat de plomb de Le Pen qui votera contre parce qu’il y est obligé, même s’il n’est pas d’accord ! Finalement, RN ou LFI, ces députés sont interchangeables, ce sont des gens à qui un parti politique a donné une investiture et qui sont souvent parachutés. Ce n’est pas le modèle politique que je veux pour mon pays. Je pense qu’il vaut mieux des députés bien ancrés dans leur territoire, qui ont des convictions même si parfois on n’est pas d’accord.
Avec les protestations qui se poursuivent, craignez-vous que le pays soit gouverné par la rue ?
Le débat à l’Assemblée nationale se termine vendredi à minuit, puis le texte part au Sénat, où les sénateurs débutent immédiatement avec la Commission des Affaires sociales. Ensuite, le débat va durer du 2 au 12 mars dans l’hémicycle, et, il n’y a pas de mystère, à mon avis, le texte sera voté au Sénat. Après cela, il y aura une commission mixte paritaire et le texte peut être promulgué à partir du 16 mars. Le mouvement social va surtout être relancé à partir du 7 ou 8 mars, je crois. Il y aura probablement quelques jours de blocage. Il ne faut pas exclure qu’on ait aussi des mouvements un peu plus durs. Mais je pense que le processus ira jusqu’au bout. Personne ne peut prédire comment réagit l’opinion. Le fait que ce soit les régimes spéciaux – assez réservés – qui bloquent le pays ne sera peut-être pas apprécié par les Français !
La réalité, c’est que les gens qui nous parlent de la réforme dans nos circonscriptions, ce sont des gens qui sont à cinq ou six ans de la retraite, et qui sont donc le plus directement concernés par l’accélération du calendrier. Mais les cinquantenaires savent que de toute façon la réforme Touraine les oblige déjà à faire 43 annuités et qu’ils ne pourront pas partir avant 64 ans. Tous les autres qui manifestent sont en réalité ceux qui n’aiment pas Macron. Certes, ça fait beaucoup de monde !
Qu’est-ce que ça dit des Français, le fait qu’il y ait autant de monde dans la rue pour la retraite ? Notre directrice de la rédaction dit que les Français sont devenus « un peuple d’ayant-droits qui s’adonne aux délices d’un individualisme financé par l’État ». Partagez-vous ce point de vue ?
Ça y ressemble un peu. Mais, n’oubliez pas qu’il y a avant tout l’inconséquence du gouvernement. Il y a un problème sur la cohérence générale de la politique menée par Macron, qui n’aide pas à l’acceptation de la réforme. Comment comprendre que la perspective d’un déficit de 12 milliards en 2027 sur notre régime de retraites soit un problème, alors qu’un déficit de 156 milliards dans le budget (qu’on a voté il y a un mois) n’est pas un problème ? C’est totalement incompréhensible ! Les gens se disent qu’on sait trouver de l’argent quand il faut. Et cela ne donne pas le sentiment d’un effort réparti.
Ensuite, on est dans un pays qui est quand même dans une spirale de la dépense publique, de l’assistance à tous les étages. Quelqu’un me rapportait ce matin l’exemple d’une mère de famille qui avait huit enfants et qui, au mois de septembre, a eu près de 8000 euros de revenus de l’assistance entre les allocations familiales, l’APL et les allocations de rentrée scolaire. Nous vivons dans un pays où le sens du travail et de l’effort a été étouffé sous des politiques de redistribution tous azimuts, et Macron a finalement été dans la fuite en avant en la matière. Ce coup de frein soudain est incompréhensible pour les gens. Il y a aussi la relation des Français avec le travail qui est « en crise » ou en mutation. Pendant la pandémie, les Français ont pu, pendant plusieurs mois, continuer à gagner leur vie en restant assis sur leur canapé, à regarder Édouard Philippe à la télé. Quel cauchemar ! Cela a entretenu l’illusion « mélenchonesque » qu’il n’y a pas besoin de travailler. Il y a aussi une évolution un peu philosophique : les gens s’interrogent collectivement sur la dimension matérialiste de nos vies. Certains font des choix de vie différents aujourd’hui. Je pense à ces avocats d’affaires qui ont travaillé comme des malades pour avoir un bon patrimoine et pouvoir arrêter de travailler avant 50 ans. Je connais aussi un Polytechnicien qui a tout arrêté pour aller ouvrir une petite boulangerie dans les Alpes de Haute-Provence… Ces gens sont dans une aspiration à autre chose.
Et tous ces phénomènes se rejoignent. Enfin, ne nions pas qu’il y a une « crise des vocations » à la fois pour les salariés de grandes multinationales qui sont « une donnée » dans un tableau Excel ou pour les agents en quête de sens dans des services publics, hôpital, écoles, justice, police, à bout de souffle.
Quand vous voyez un jeune qui va manifester pour sa retraite, qu’avez-vous envie de lui dire ?
L’image de cette petite fille sur BFMTV qui dit « si on laisse passer cette réforme, après il y en aura une autre puis une autre et on va travailler jusqu’à la fin de notre vie » est ubuesque ! Il faut que nos compatriotes se rappellent que le travail est au cœur du pacte social, lequel a été abîmé par cette redistribution déconnectée du travail que j’évoquai. On ponctionne de plus en plus sur un nombre de plus en plus réduit de gens, pour donner à d’autres à qui on ne demande pas d’efforts. La tentation de l’individualisme gagne du terrain. La question du travail dépasse même notre pacte social. Travailler, c’est une loi naturelle. Depuis la Préhistoire, si l’homme ne chasse pas, il ne mange pas. Le travail n’est pas une invention capitaliste comme veut le faire croire la LFI. Le fait de produire est une nécessité de l’humanité depuis ses débuts.
On a tellement fait croire aux gens qu’il existait de l’argent magique, qu’il n’y avait pas de problème de dépenses publiques, que tout d’un coup cette réforme paraît incompréhensible ! La comparaison avec d’autres pays européens est édifiante. Partout, nos voisins ont engagé des processus pour aller jusqu’à 66 ou 67 ans.
Entre le bazar de l’extrême gauche à l’Assemblée et la mobilisation dans les rues, on a l’impression qu’on ne parle plus que de ça en France. Vos électeurs ont peut-être envie de passer à autre chose.
Que des jeunes ou des fonctionnaires bénéficiant de régimes spéciaux portent des idées de gauche et manifestent, ce n’est pas franchement une surprise. Mais effectivement, quelle ambition les Français veulent-ils avoir pour leur pays ? Il faut quand même bien comprendre que si on ne fait pas cette réforme, on paupérisera petit à petit notre système de retraites, qui est aujourd’hui un système hyper-redistributif. C’est vraiment le système le plus favorable pour les gens les plus modestes en réalité. Il y a un bien commun à protéger ! Je pense que la vraie difficulté de cette réforme, c’est que Macron est le plus mal placé pour la porter. C’est une réforme des retraites qui ne lui ressemble pas. Quand Sarkozy fait la sienne en 2010, c’est le président qui, avant, s’est intéressé aux Français les plus modestes avec les heures supplémentaires, par définition les non-cadres. C’est lui qui a protégé l’épargne des Français lors de la crise financière. Sarkozy est alors crédible dans la défense de la sauvegarde d’un système favorable aux gens les plus modestes. Macron, lui, n’est pas crédible pour protéger les plus modestes.
Pour l’instant, Macron semble ailleurs. Que pensez-vous de la communication du gouvernement ? Tout le monde dit que que Mme Borne manque cruellement d’empathie. Cela n’envenime-t-il pas les choses ?
Je pense que Macron fait effectivement bien de ne pas en parler, son impopularité n’arrangerait pas les choses, au contraire. Elle explique une grande part du rejet de la réforme.
Le gouvernement s’est inspiré du contre-projet que les Républicains avaient proposé en 2018 sur les critères d’âge. Ils ont repris le travail des Républicains au Sénat. L’exécutif n’est pas bien placé pour l’expliquer, parce que ce n’est pas leur philosophie. Je suis frappé de voir à quel point le gouvernement s’est embourbé dans cette histoire des 1200 euros.
L’année prochaine, il y aura 1,8 milliard pour la revalorisation des petites retraites. Il n’y avait sans doute pas eu depuis des décennies un tel effort de rattrapage. Ils ne le mettent pas du tout en avant. Les gens ne retiennent que les pires aspects, car la communication du gouvernement est pitoyable.
Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.
Il est un moment où il m’est impossible d’interrompre Élisabeth Lévy, c’est quand je lis son éditorial dans Causeur. À la différence des débats sur CNews où nos échanges peuvent être vifs, car l’un comme l’autre nous n’aimons pas l’eau tiède, je dois accepter, ou à tout le moins entendre, ses commentaires et analyses sans mot dire. Et sans maudire, car j’ai la passion de la disputatio, des confrontations politiques où il ne s’agit pas d’effacer les clivages, les ancrages, mais de les assumer crânement pour contribuer à notre vie démocratique. Macron et les siens, à commencer par les forces de l’argent, ont-ils réellement cru atteindre leur objectif ? Réduire un horizon humain à un tableur Excel ? En finir avec le débat et le désir d’imaginaire ?
Alors, quand Élisabeth Lévy m’a proposé cette chronique, « Coup de rouge », j’ai accepté avec la garantie d’une expression totalement libre. Au regard de ma sensibilité politique, l’alliance du drapeau rouge et du drapeau tricolore, de Ferrat et de Fréhel, je viens ici pour être lu… sans être interrompu et avec mon tempérament de Gascon : « On trouve des mots quand on monte à l’assaut ! » (Cyrano de Bergerac).
Justement, c’est le thème de ce numéro, et sans l’avoir lu, je subodore que notre désaccord sera frontal…
Si l’allongement de l’âge légal de départ à la retraite et celui de la durée de cotisation est à ce point rejeté, et de manière écrasante, par les salariés, du public et du privé, les plus exposés aux travaux pénibles, c’est qu’il est déjà impossible d’atteindre une carrière complète. Voilà la première défaite idéologique de Macron-Borne-Ciotti. Les premiers de corvée, les éclopés qui n’ont cessé d’« attaquer une journée de travail » pendant de longues années en espérant partir le plus tôt possible à la retraite pour en profiter un peu, leur disent : « Deux ans de plus, non merci !» Il faut donc changer le travail, sa nature, son sens. Il y a tant à faire dans ce domaine, à l’usine et au bureau, avec une véritable sécurisation des parcours professionnels, avec, de la fin du lycée jusqu’à 60 ans, l’alternance de périodes d’activités et de formation, pour s’épanouir au travail avant de profiter des plus belles années à la retraite, celles en bonne santé.
Voilà pourquoi ceux qui pensent que la « gauche du travail » ne devrait pas encourager les « feignasses » qui manifestent et ne veulent pas donner deux ans de plus pour « équilibrer les comptes » sont ou des ignorants ou des cyniques.
Si le monde du travail est le plus opposé à cette réforme injuste, c’est que la pédagogie gouvernementale a échoué à rendre acceptable ce qui ne l’est plus. Alors que les entreprises du CAC 40 ont distribué 80 milliards à leurs actionnaires en 2022, dont 56,5 milliards de dividendes, un pognon de dingue pour un record historique, la réforme ne leur impose que la publication d’un index sur l’activité des seniors. Rien sur une nécessaire mise à contribution des revenus du capital comme le sont les revenus du travail pour le financement des retraites. Une question d’efficacité économique et de justice. Pour les Léon Dessertine/Bernard Blier –Un idiot à Paris – d’aujourd’hui, la fête continue avec des salariés qui restent les « êtres les plus vulnérables du monde capitaliste ».
Changer le travail et en finir avec le dieu argent. Les deux pour une retraite heureuse.
Le nouveau film d’Omar Sy est un film de guerre. Tirailleurs fait la guerre aux Français et à leur histoire, à tous ces méchants Blancs colonisateurs que nous sommes. Comme tant d’artistes – subventionnés – et d’universitaires, il relaie un diktat culpabilisateur, woke et indigéniste.
Nous remercions notre contributeur Gabriel Robin pour l’invention du néologisme « promolémique ». À l’occasion d’un entretien promotionnel dans Le Parisien, l’acteur Omar Sy a reproché aux Français d’être plus touchés par la guerre en Ukraine que par celles du continent africain.
Depuis deux siècles qu’elle a pris le pouvoir en Occident, la gauche a toujours marché sur deux jambes : la pensée et la violence. Le libéralisme avait ses carbonari ; les socialistes avaient leurs assassins ; les anarchistes avaient leurs brigands et leurs terroristes ; les communistes avaient leurs traîtres à la patrie. Les violents de la gauche ne sont pas sa face obscure mais son avant-garde. Le progressisme, phase actuelle de la pensée de gauche, a ses antifas et ses wokes.
La pensée de gauche s’appuie depuis les Lumières au moins sur les milieux culturels, au premier rang desquels s’est longtemps trouvée l’Université. L’étoile de cette dernière a pâli, certes, concurrencée – et comment ! – par les médias, l’industrie du divertissement, le showbiz. Mais c’est, encore aujourd’hui, à l’Université que se forge et se transforme la pensée de gauche – et pour la gauche, il n’est d’autre pensée que la sienne.
Tirailleurs ou le réalisme-vivrensembliste
Chez nous, deux affaires ont bruyamment manifesté la victoire du progressisme à l’Université ; elles ont été, dans le domaine de l’histoire, les matrices des délires dans lesquels la gauche se vautre désormais avec le contentement d’un porc à qui l’on tend une pomme pourrie. Ce sont les affaires dites Pétré-Grenouilleau et Sylvain Gouguenheim. Elles datent respectivement de 2006 et 2008. Comme vous les connaissez sûrement, qu’elles sont au fond de la même nature, je passe la première et je fais vite sur la seconde. Dans Aristote au Mont-Saint-Michel, Gouguenheim, professeur à l’ENS, racontait ce que tous ceux qui ont suivi une heure d’histoire byzantine savaient : que la philosophie grecque, savamment entretenue à Constantinople, était passée en Occident par le truchement des hommes d’Église. Il battait ainsi en brèche l’idée – alors déjà très à la mode dans les milieux culturels et emphatiquement propagée par les médias – selon laquelle ladite philosophie avait été « sauvée » par les « savants musulmans » – seuls capables de la comprendre puisque, selon les partisans de cette thèse, les Occidentaux vivaient alors à poil, dans des grottes, ne savaient ni lire ni écrire, buvaient leur urine et mangeaient leurs excréments. Tout se discute. Il était possible et même potentiellement fructueux de contredire Gouguenheim. Mais certains collègues de ce dernier et certains élèves de l’ENS ne cherchèrent aucunement à débattre avec lui : ils firent une pétition pour réclamer son renvoi de la grande école. Ce qui était reproché à Gouguenheim, ce n’était pas tant d’avoir peut-être tort, mais… de nuire au vivre-ensemble. Pour les signataires de la pétition, la vérité comptait peu ; six ans après l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, ce livre, écrivaient-ils, minimisait le génie du monde musulman et, ce faisant, bridait la fierté de jeunes-Français-d’origine-immigrée, les condamnant donc, par conséquent, à siffler les filles dans la rue, brûler des voitures, dealer du shit, haïr cette France qui refusait de les accueillir comme ils le mériteraient, c’est-à-dire comme les agents de notre indispensable métissage-expiation. L’histoire, disaient donc ces gestapistes, ne doit pas être une recherche de la vérité, mais un instrument de la concorde… La noblesse du but justifie le mensonge ou, ce qui revient au même, de taire la vérité. La fin, les moyens… La gauche n’est pas l’enfant de Saint-Just pour rien.
C’étaient des professeurs – et pas n’importe lesquels, des de l’ENS – qui disaient cela il y a déjà près de quinze ans. Depuis, bien sûr, le progressisme est devenu hégémonique – et même dictatorial – à l’Université. De nos jours, du moins au rayon sciences humaines, la majorité des thèses est consacrée aux « minorités » : les trans dans la France de Charles V, les lesbiennes sous Philippe II, les ouvriers homosexuels au temps du Front populaire et surtout, bien sûr, les femmes, partout, tout le temps, de Périclès jusqu’à nous, les femmes qui ont tout fait, tout découvert, à qui nous devons tout, mais qui étaient invisibilisées.
Le cinéma – qui s’est rétracté durant cette période sur sa base bourgeoise, avec les idées propres à la bourgeoisie contemporaine – ne pouvait ignorer qu’il avait, lui aussi, pour mission de flatter les immigrés – en vomissant, bien entendu, au passage, sur la France.
Depuis quelques années, ça s’emballe : pas un mois sans un film sur une Française qui tombe amoureuse d’un clandestin soudanais, une Française qui tombe amoureuse d’une lesbienne tunisienne, sur une Afghane traquée – sans blague, c’est en ce moment dans les salles – par des identitaires dans les Alpes – et je ne parle pas des comédies communautaristes centrées sur les séfarades, les « mamans solos », les gays, les jeunes, les Maliens. Bourgeois donc progressiste, le cinéma français est aussi formidablement subventionné par l’État, les collectivités, les institutions. Il est de gauche et, s’il veut trouver des financements pour produire ces nanars qui n’attirent personne hormis des dizaines de milliers de collégiens traînés dans les salles par des institutrices socialo-écologistes, il a intérêt de le prouver. On pourra nommer ce courant le « réalisme-vivre-ensembliste ».
La plupart les films de guerre français depuis deux décennies ont pour unique objet de montrer la contribution décisive des troupes coloniales à la victoire dans les guerres mondiales et l’insigne cruauté de nos pères durant les guerres dites de décolonisation. Indigènes (2006) et L’Ennemi intime (2007) ont lancé le mouvement. Les films de guerre des décennies précédentes maudissaient bêtement la guerre, « absurde » par définition, sorte de complot des États contre les hommes. Appliqué à la guerre, le réalisme-vivre-ensembliste entend, lui, montrer la lâcheté, le racisme, la méchanceté des Blancs et la bravoure, la magnanimité des colonisés. La guerre n’est plus « injuste » par essence ; entre les mains des colonisés, elle est au contraire le plus bel instrument de la justice. Tirailleurs, qui vient de sortir, s’inscrit parfaitement dans cette veine. Son premier rôle et coproducteur, Omar Sy, acteur nullissime dont le succès doit tout – comme hélas celui de beaucoup d’autres « racisés » qui emplissent désormais nos écrans en vertu de quotas tacites – à la discrimination positive et, ironiquement, au rire « bananiesque » qu’il affichait lorsqu’il commettait, bien sûr sur Canal+, des pastilles d’une médiocrité confondante avec un autre raté, Fred – seul un autre duo, lui aussi lancé par la « chaîne cryptée », les épouvantables Éric et Quentin, peut contester à ces deux gus le titre de pires humoristes français – Omar Sy, donc, a d’ailleurs profité de la promo de Tirailleurs pour redire tout le mal qu’il pensait de ces Français ethnocentrés qui ont pourtant fait de lui une star et même – on se pince pour le croire – un acteur hollywoodien, avec les millions et la villa à Los Angeles qui vont avec.
Répondant, par ricochet, à la « polémique » provoquée par les propos de Sy sur l’Ukraine et l’Afrique, Guillaume Perrault, dans Le Figarodu 4 janvier, a remarquablement expliqué comment Tirailleurs navigue entre l’exagération, l’à-peu-près et le mensonge. Mais que pèse la vérité des faits – et ici, ils sont bien documentés, ils sont incontestables – face à l’idéologie à l’origine de cette œuvre et qui lui vaut les éloges des médias systémiques ? Il me semble que c’est Dumas qui dit qu’on peut violer l’histoire à condition de lui faire de beaux enfants. Pour le système, et pour les historiens de gauche, c’est-à-dire 90 % des historiens, on peut allégrement violer l’histoire si c’est pour contribuer à la déconstruction du « roman national ». Le but de Tirailleurs – comme le confesse son réalisateur, comme l’avouent tous les réalisateurs de films de ce genre – est d’abord politique : faire honte aux Français. Ce faisant, ces « artistes » nourrissent plus ou moins consciemment le sentiment de culpabilité qui empêche moralement notre peuple de se défendre face à une immigration inédite par son ampleur et sa nature. Si la France a repoussé les Allemands en 1914-1918 et les a battus en 1939-1945 uniquement grâce aux Africains, et que ces derniers ont été, en plus, sacrifiés, méprisés et oubliés par la France ; et si, par ailleurs, ces mêmes Africains ont « reconstruit la France », nous avons une dette envers eux, et l’« immigration », c’est-à-dire, concrètement, le changement de peuple, en est – en tout cas aux yeux des antiracistes, hégémoniques dans les milieux culturels – le minimal remboursement.
Tirailleurs est un film de propagande. Il plaît aux médias pour une seule raison : il leur permet de faire ce qu’ils aiment le plus, à savoir le procès de la France. Il fera assurément, comme les récents Ils sont vivants et Les Survivants – éloquente ressemblance des titres qui manifeste tout à la fois l’individualisme de leurs auteurs, dans une logique de développement personnel, et le vitalisme propre aux immigrés selon la gauche –, un four. La plupart des films de ce genre font perdre de l’argent à leurs producteurs. Mais cela n’a pas d’importance : c’est le CNC – donc nos impôts – qui régale. Non seulement nous la subissons, mais en plus nous finançons l’immigration. Nous finançons également le discours qui légitime cette dernière. Nous déposséder de la terre de nos ancêtres ne suffit pas aux progressistes ; ils veulent nous faire payer – au propre comme au figuré – notre dépossession. Les glorieuses troupes coloniales ne sont, entre leurs mains, qu’un prétexte ; le mythe qu’elles fabriquent avec elles contribue à la disparition des Français en tant que peuple.
Le processus de maturation identitaire est une quête longue et angoissante. Elle l’est d’autant plus aujourd’hui dans une société qui à la question « Qui suis-je ? » apporte comme réponse « ce que tu veux ». Une approche philosophique du sujet permet ainsi de revenir aux fondamentaux de l’identité. Un sujet crucial de nos jours… Propos recueillis par Côme de Bisschop et Jean-Baptiste Noé.
Docteur en philosophie et directeur et enseignant à l’Ircom Lyon, François-Marie Portes est l’auteur de Sexe, Gender et Identités: Essai sur l’identité sexuelle et La femme au Moyen-Age. Aristote contre l’Évangile.
Revue Conflits. Sur un sujet comme l’identité sexuelle, il est souvent difficile de dialoguer de manière rationnelle et réfléchie sans avoir un débat hystérique. Dans une société où la logique et les critères communs nécessaires au dialogue semblent s’effacer, comment réussir à traiter cette question de façon rationnelle ?
François-Marie Portes. C’est peut-être mon optimisme stupide, mais je suis assez confiant dans l’intelligence humaine. Certains nient le principe de non-contradiction. Pour ceux-là, Aristote disait qu’il fallait simplement leur mettre des coups de bâtons, car ils ont beau nier l’existence de la logique, ils l’utilisent eux-mêmes lorsqu’ils parlent et lorsqu’ils pensent. Ainsi, la logique n’est pas une affaire extérieure et secondaire, mais d’abord un fonctionnement naturel de notre intelligence. Il y a cependant des personnes avec lesquelles on ne peut radicalement pas discuter, notamment des personnes éprises d’un néo-féminisme violent par exemple. Pour celles-ci, il n’est plus question de discuter puisque tout ce qui relève de la discussion est vécu comme un patriarcat déguisé donc comme une instance de domination.
La plupart des personnes sont aujourd’hui fortement attachées au sentimentalisme, interdisant ainsi tout discours qui irait à l’encontre du ressenti de chacun. Comment établir un dialogue avec des personnes qui vivent tout de manière sensitive ?
C’est la question de l’identité. Comme l’individu est laissé seul, il n’a plus grand-chose pour pouvoir se définir lui-même. C’est le sens d’une de mes parties sur le féminisme où j’explique que le féminisme est une conséquence de la philosophie dite du « sujet » et non une instance politique. On arrive enfin à une aporie de la philosophie initiée par Descartes. C’est-à-dire la fin du sujet qui essaie de se trouver en retournant son intelligence contre lui pour essayer de se définir par lui-même. Quand on parle des questions identitaires et pas seulement sexuelles, la personne n’arrive pas à distinguer sa thèse, son désir et ce qu’il est. L’enjeu de ce livre est justement d’essayer de ramener à la rationalité l’ensemble des dimensions de la personne qui ne se limitent pas à celles dont elle a conscience. C’est-à-dire qu’il existe beaucoup de phénomènes en moi dont je n’ai pas conscience et qui pourtant font partie de mon identité. Ainsi, avoir un dialogue constructif avec quelqu’un qui est dans l’hyper-sentimentalisme est certes complexe, mais lui faire prendre conscience que sa personne dépasse le simple champ de sa conscience, c’est une bonne chose et c’est possible.
Dans l’identité il y a une partie que l’on se construit et il y a une partie dont on hérite. Comment intègre-t-on nos dimensions sexuelles à notre propre personne ?
Il y a plusieurs dimensions à la question de l’identité sexuelle. La première est la dimension biologique, qui est à la fois chromosomique XX ou XY chez l’être humain et phénotypique avec les organes génitaux. S’ajoutent à cela deux dimensions qu’il est souvent difficile de démêler. Il y a une dimension psychologique du sexe et une dimension sociale du sexe. Le sexe psychologique, c’est l’intégration consciente que l’individu va être capable de faire entre la dimension biologique et la dimension sociale de sa sexualité. En effet, l’environnent de chaque individu véhicule une représentation sur son identité sexuelle. Par exemple, écouter des personnalités publiques, pour lesquelles vous avez de l’intérêt, raconter que la transition sexuelle est une très bonne chose, va naturellement vous rendre plus favorable à la question de la transition sexuelle. Cependant, cette dimension n’est ni bonne ni mauvaise, elle est le principe même de notre identité, tout ce qui existe en l’homme a besoin de passer par le crible de l’éducation et de la culture, du fait de notre rationalité.
Le sujet de l’identité sexuelle c’est aussi le rapport de la nature et de la culture. Il y a une dimension naturelle évidente, mais aussi culturelle. Philosophiquement, faut-il opposer nature et culture ?
Je pense sincèrement que l’opposition entre nature et culture est une opposition stérile, surtout lorsqu’elle concerne l’homme. En anthropologie, il est essentiel de comprendre qu’il est dans la nature de l’homme d’avoir une culture. Il n’y a donc rien en l’homme qui soit purement naturel. Cela s’explique par le fait que la rationalité de l’homme l’oblige à s’envisager comme un objet et envisager ses relations avec les autres comme un objet également, avant de se considérer lui-même comme un sujet. Peu importe la culture, les comportements sexuels d’antan visaient d’abord deux choses : l’amitié conjugale et la fécondité. Ces deux pôles ont été évacués dans notre société de manière très violente. C’est pour cela qu’il est d’autant plus difficile pour l’individu de trouver son identité sexuelle.
Si les choses sont culturelles, notre vision de l’homme et de la femme est issue de notre culture chrétienne là où d’autres cultures ont une vision complètement différente. Peut-on ainsi défendre une vision universelle de ce qu’est l’homme et la femme ?
Il est évident que le masculin et le féminin ne se retrouvent pas de la même façon dans les…