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Professeur Carlos, numéro 1 de l’enfance


Professeur Carlos, numéro 1 de l’enfance
Carlos et Amanda Lear sur TF1 en 2002 © T.F.1-SUREAU

Né en 1943, le chanteur à la barbe fleurie et aux refrains marrants aurait fêté ses 80 ans, le 20 février


Il y a des rigolos qui me rendent triste et joyeux à la fois. « Big bisou » me tire les larmes d’un bonheur perdu, d’une Atlantide de souvenirs, une terre que je ne foulerai plus jamais. Qu’il est loin le temps des Carpentier, de Jean-Jacques Debout superstar et de Claude Luter à la clarinette, d’un Paris zazou, d’une télé à paillettes, d’un show-business à visage presque humain, du divertissement exercé avec une certaine dignité. Ils étaient tous créatifs quand ce mot avait encore un sens et n’avait pas été dévitalisé par les cyniques et les blasés. 

Carlos, chanteur comique à la dimension irénique, était le réceptacle de cette enfance où se fondaient l’âge bête des farces et attrapes et, déjà, l’adulte en construction, en proie aux doutes et à la nostalgie. Était-ce à cause de sa voix essoufflée, gravement cajoleuse de patriarche orthodoxe que je ressentais chez lui une forme de sagesse et, dois-je le confesser, une légère peine, de ces brisures qui rendent les Hommes moins cruels et moins cons ? Carlos imprimait dans nos têtes en formation, quelque chose de plus gros que lui, de plus tendrement fissuré que ses chemises à larges fleurs de tiaré, de plus rêveur aussi que le Tirlipimpon

Une sympathie immédiate

Derrière le clown de Saint-Germain-des-Prés, l’enjôleur de nos samedis soir, l’amuseur débonnaire des Grosses Têtes, sans qu’il en ait vraiment conscience, il était porteur d’une autre histoire épique et tragique, du cabinet de Françoise Dolto au viager du baron de Ville d’Avray, du Vème arrondissement à Antibes, des révolutions de canons au swing des caves. Cette génération d’artistes du music-hall, je pense à Joe Dassin et à Mort Shuman, faisait de la variété un art noble, respectueux et inventif, ils savaient garder la bonne distance avec leur public. Carlos attirait la sympathie immédiate, le salut affectueux et, en même temps, nous ne pouvions passer à côté de sa profondeur. Il nous troublait par son humilité et son écoute sincère. 

Petit, chez Dorothée ou Drucker, nous présentions imperceptiblement qu’il était doué d’une intelligence supérieure, à sa manière de se comporter sur les plateaux avec les autres, jamais avare d’un mot, d’un clin d’œil, d’une tape amicale, jamais rance dans une profession si prompte à générer de la rancœur, il renvoyait la balle à Dave, à Chantal Goya ou à Jeane Manson avec suavité, il était ce partenaire délicat et attentionné, ce confident qui ne juge pas et qui se trouvera toujours sur votre chemin quoique vous fassiez. 

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À sa mort, en 2008, à soixante-cinq ans à peine, Sylvie Vartan, si pudique et réservée d’habitude, fut dévastée. Carlos fut son ami intime, son secrétaire particulier, son accompagnateur sur des tournées picaresques, le témoin d’une gloire frénétique et d’une jeunesse enflammée, le parrain de son fils David, le trublion d’une nuit sans fin qui avait démarré dans les années 1960. Déboussolée et inconsolable, elle n’avait que des superlatifs à son attention, l’affublant joliment de toutes les qualités. « Très profond, très sensible, très intelligent, très cultivé, etc. » dit-elle de lui, son chagrin était immense. Johnny, sous le choc, K.O débout, déclara : « J’ai perdu un frère ». Le jour de ses obsèques, Hugues Aufray, Philippe Lavil, Michel Delpech ou Eddy sont venus soutenir Mimi, son épouse, non pour la photo, pour la frime, mais parce qu’ils perdaient ce jour-là un copain précieux, que s’envolaient leurs plus belles années et qu’ils mesuraient tous la chance d’avoir croisé sa route. Qu’assurément la fête serait moins folle sans sa présence et que les conversations, quand les projecteurs s’éteignent, n’auraient plus la même intensité. 

Fantaisie et bienveillance

Carlos était un seigneur russe qui ne roulait pas des mécaniques, il aimait la pêche, Jean Rostand, Sidney Bechet, le homard, les voyages et les lumières de la Crimée. « Le loup-garou du bougalou » et « Rosalie » participaient d’une même émotion venue des brumes des années 1970. Que nous étions heureux de le retrouver dans nos salons, vêtu d’improbables déguisements. Un soir, il était arrivé en grenouille pour chanter « Señor météo », c’était complètement loufoque et assumé, la fantaisie l’habillait, sa bienveillance l’honorait. Ce gros bonhomme aux yeux d’asiate fut également un fils, celui de Boris Dolto, son héros, un temps clochard à Constantinople puis pape de la kinésithérapie en France. Carlos se définissait ainsi dans une chanson : « Je suis chanteur comique. Je fais dans la musique. Je joue pour les bambinos des petits refrains rigolos ».




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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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