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Enfin une victoire juridique contre l’écriture inclusive

Le 16 juillet 2020, le Conseil d’Administration de l’Université Grenoble-Alpes avait approuvé le choix de l’écriture inclusive pour la rédaction de ses nouveaux statuts. Un professeur courageux porta l’affaire devant le Tribunal administratif pour que soit annulée la délibération du Conseil d’administration de l’Université.


Le 11 mai 2023, tout récemment, donc, le Tribunal vient de débouter l’Université de Grenoble-Alpes, au motif irréfragable que cette écriture contrevient à l’article 2 de la Constitution lequel déclare que « La langue de la République est le français » en arguant de motifs juridiques imparables : le droit et la norme s’imposent à tous dans un langage intelligible. Ce qu’on appelle des objectifs et exigences à valeur constitutionnelle « d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme ». Le tribunal s’est également mis sous l’autorité de l’Académie Française, gardienne de la langue depuis Richelieu, qui, dénonçant le caractère illisible, confus et discriminant de cette graphie, déclarait, le 26 octobre 2017, que « l’écriture inclusive offusquait la démocratie du langage. » Mieux : ordre a été donné au président de l’Université de procéder à l’affichage et à la publication de ce jugement.

En français et non aultrement !

Résumons: l’écriture inclusive d’actes contenant du droit est contraire à la Constitution. La loi, au sens large, c’est-à-dire, tout acte administratif, doit être aussi rédigé de manière intelligible. Finie la concurrence déloyale d’un idiome discriminant que l’on impose, dans de nombreuses universités. Retour au point de départ dont nous n’aurions jamais dû partir : l’Ordonnance Royale de François Ier, édictée en 1539, connue sous le nom d’Ordonnance de Villers-Cotterêts.

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Le style de l’Ordonnance est clair et sec : tout doit être écrit « en français et non aultrement », dans un langage clair et compréhensible : « Afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence desdits arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement qu’il n’y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ni incertitude ni lieu à demander interprétation. » Date capitale dans notre histoire : chaque mot est à peser. Sur ordre du Roi, le français entre partout dans la vraie vie juridique c’est-à-dire dans les actes de justice de l’existence quotidienne. Avec l’Ordonnance de Beaulieu, en 1564, le français devient la langue de l’administration et s’étend à tous les domaines de la vie, dans toutes les classes sociales.Désormais, notre langue française est la même pour tous : elle est facteur d’unité et d’égalité.

Tous concernés

L’écriture inclusive n’est ni un truc de femmes—savantes ou pas—ni une mode, une lubie, encore moins une exigence louable d’égalité : bien plutôt, elle participe au puissant courant de déconstruction qui affecte notre pays. Oui, notre langue est dans un péril mortel, comme le dit l’Académie. Oui, son sauvetage dépend d’une volonté politique forte. Oui, comme le dit encore l’Académie, « l’écriture inclusive offusque la démocratie du langage. » Contre cette machine à exclure, le président a une arme plus infaillible que tout 49.3 : l’article 2 de la Constitution.

Espérons que cette victoire juridique du 11 mai fera jurisprudence et que nombreux seront les professeurs d’université et de l’Éducation nationale —et tous nos concitoyens—  à entrer en résistance. Car notre langue est « chose politique » c’est-à-dire qu’elle nous concerne tous.

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Planter son drapeau sur des ruines

La loi sur l’obligation de pavoiser les mairies avec le drapeau européen révèle surtout l’arrogance des macronistes.


C’est étonnant, tout de même, ce goût des libéraux français pour les lois inutiles. Naïvement, on croyait que le libéral préférait le contrat. Mais peut-être que le libéral, notamment en France, est libéral quand il s’agit du travail ou de la fiscalité mais beaucoup moins quand il s’agit d’imposer son idéologie, car le libéralisme n’est pas « naturel » contrairement à ce que voudraient faire croire ses thuriféraires de plus en plus nombreux. C’est une construction philosophique, comme le fascisme, le royalisme ou le communisme.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos drapeaux. Voilà que le groupe « Renaissance » a fait passer une loi rendant obligatoire la présence du drapeau européen sur les mairies de plus de 1500 habitants. On nous dit que 78% des mairies échapperont à cette obligation, façon sans doute de faire passer la pilule mais on peut aussi dire que, de facto, toutes les mairies des grandes villes et des villes moyennes seront pavoisées en bleu et or.

Un symbole détourné

Ce qui me gêne un peu, dans cette histoire, ce n’est pas tant le drapeau européen, c’est ce qu’il a fini par symboliser bien malgré lui. Pour aller vite: une zone de libre-échange fondée sur toujours plus de moins-disant social, une zone où est imposée une austérité sans fin, où la répartition des richesses produites par le continent  favorise toujours plus le capital et toujours moins le travail. Une zone dont les promoteurs les plus acharnés sont allés contre la volonté des peuples (remember le non de 2005) et ont fini par faire basculer un certain nombre de pays dans les bras de l’extrême-droite.

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D’ailleurs, derrière les cris d’orfraie des amis de l’UE, « Mon dieu ! la Pologne ; mon dieu ! la Hongrie ; mon dieu ! l’Italie », on voit que finalement, ils s’en accommodent très bien,  les libéraux, des législations restrictives sur l’avortement, sur la fin d’une justice indépendante et autre joyeusetés xénophobes.

Petit Grec, le FMI c’est plus fort que toi !

Tant qu’ils sont dans les clous budgétaires, ces pays-là peuvent tranquillement chasser le migrant. Mais qu’ils ne s’avisent pas de vouloir protéger leur peuple de la violence de la mondialisation en gardant un modèle social avancé, c’est-à-dire en étant de gauche ; là, ils seront punis comme l’U.R.S.S. punissait les « pays frères », à cette différence que c’est le FMI et la BCE qui jouent le rôle du tank.

Alors cette histoire de drapeau, toute symbolique qu’elle soit, elle fait un peu penser à ces armées victorieuses qui plantent leur étendard sur les ruines du rêve de ceux qui croyaient que l’Europe voudrait dire la paix, la prospérité et un modèle social avancé, le rêve de ces utopistes qui n’ont même plus le droit d’exprimer la moindre réserve sur le génie bruxellois, sur l’excellence de la Commission, sans se voir rejeter dans les ténèbres extérieures en compagnie des nationalistes de la pire espèce…

Joe le gaffeur

Il n’y a rien de mal à vouloir séduire un électorat ciblé. Mais en Irlande, Joe Biden nous enseigne exactement ce qu’il ne faut pas faire.


Joe Biden a toujours fait grand cas des origines irlandaises de ses ancêtres. Les exemples du clan Kennedy, de Reagan et de Clinton montrent que, pour un homme politique américain, il n’est pas inutile de plaire à l’électorat issu de l’immigration irlandaise. Pour renforcer son côté irlandais et catholique, le président Biden met la pression sur le gouvernement du Royaume-Uni pour qu’il résolve la question du protocole sur l’Irlande du Nord, conséquence des négociations sur le Brexit. Mais cette pression est peu appréciée des protestants nord-irlandais qui actuellement bloquent la constitution du gouvernement à Belfast. La visite de Bill Clinton en 1998 a été déterminante pour la signature de l’accord du Vendredi saint, qui a mis fin aux troubles. Celle de Joe Biden en avril, qui a coïncidé avec le vingt-cinquième anniversaire de cet accord, a-t-elle aidé à débloquer la situation actuelle ?

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Tout a bien commencé à Belfast avec un discours où le président a révélé qu’il a aussi des ancêtres protestants et même des ancêtres anglais. Pourtant, les observateurs ont repéré un détail désobligeant : normalement, la limousine du président américain, surnommée « The Beast » (« la Bête »), affiche le drapeau américain, d’un côté, et de l’autre, le drapeau du pays où il se trouve. Or, lors de son séjour en Irlande du Nord, on ne voyait pas le drapeau britannique (qu’il avait bien affiché en Écosse en 2021), mais le fanion présidentiel. Cela semblait indiquer qu’il ne reconnaissait pas l’appartenance de l’Irlande du Nord au Royaume-Uni. Et pour finir, lors de son passage dans la République d’Irlande (du sud, Éire), il a passablement gaffé. Voulant complimenter l’équipe de rugby de l’Irlande, il a vanté leur victoire, non sur les All Blacks néo-zélandais, mais sur les Black and Tans, des policiers britanniques qui ont combattu les rebelles lors de la guerre d’indépendance irlandaise de 1919-1921. Joe l’Irlandais ne semble pas si irlandais que ça.

Pas de migrants à Saint-Brevin. Mais pas de maire non plus!

Le maire divers droite de la localité de Loire-Atlantique, Yannick Moretz, a démissionné avec fracas, s’estimant peu soutenu par l’État, et ses véhicules ayant été incendiés à son domicile, une nuit de mars. La population est vent debout contre le projet d’installation d’un centre de migrants. «L’opposition au centre s’est transformée en haine personnelle. Le boulot de maire n’est simple nulle part, mais là on lui a quand même cramé sa baraque» témoigne la patronne d’un centre de toilettage canin dans Le Monde. L’édile sera reçu à Matignon, mercredi. Le commentaire de Céline Pina.


Ce qui est arrivé au maire de Saint-Brevin-les-Pins (44) relance pour la énième fois le débat sur la montée de la violence dans notre pays. L’histoire est maintenant connue: le déplacement d’un centre d’accueil de migrants près d’une école dans cette petite ville de 13 000 âmes a mis le feu aux poudres. Suite à la mobilisation d’un groupe de riverains inquiets pour la sécurité de leurs enfants, la presse locale titre que la grogne monte autour du projet. L’histoire fait alors l’objet de partages sur les réseaux sociaux des partisans de « Reconquête ! » et du Rassemblement national et prend peu à peu une dimension nationale alors que sur le terrain les manifestations se multiplient. Pas moins de quatre seront organisées. Le ton monte entre manifestants anti-migrants et manifestants pro-migrants. Les uns sont accusés d’être d’affreux racistes qui détestent les étrangers et habillent cela d’un discours mettant en avant la crainte pour la sécurité des enfants pour pouvoir mieux instrumentaliser la situation. Les autres sont accusés de « vouloir imposer le vivre ensemble avec le Pakistan dans nos campagnes. »[1]

L’exécutif n’assure pas le SAV du centre de migrants

La polémique ne va cesser d’enfler jusqu’à ce que, le 22 mars, le domicile et les véhicules du maire soient incendiés alors que celui-ci dort dans la maison. L’édile va alors donner sa démission en invoquant un profond sentiment de solitude et accuse l’Etat d’avoir imposé le déplacement du centre d’accueil sans avoir assuré le service après-vente, laissant le maire fort dépourvu face à la grogne. Si l’affaire de Saint-Brevin est exceptionnelle par son retentissement, les chiffres du ministère de l’Intérieur indiquent qu’en 2022, les violences contre les élus ont augmenté de 32%.

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On ne peut que se sentir solidaire du maire de Saint-Brevin. Quoi que l’on puisse penser de la pertinence de l’installation d’un centre d’accueil de réfugiés près d’une école, notre tradition politique veut qu’oppositions et contestations passent avant tout par la parole, l’organisation de manifestations, la sanction électorale, mais pas par l’agression et la tentative de meurtre. L’incendie aurait en effet pu être fatal au maire et à son épouse.

Le sacerdoce des élus locaux

La démission du maire de Saint-Brevin a entrainé une prise de parole de nombre d’élus locaux qui ont rappelé à quel point le statut de l’élu local peut être ingrat et repose sur un certain sens du devoir et du sacerdoce. Dans les petites villes et les villages, les indemnités sont peu élevées, le maire a une administration souvent sous-dimensionnée et les attentes qu’il génère sont parfois disproportionnées. Mais ce que les statistiques montrent surtout, c’est que le maire commence à être touché par le rejet que subissent les politiques et qui épargnait encore l’échelon local. Un rejet sans doute lié au sentiment de déclassement de la population dans les zones périurbaines. Le constat d’impuissance et/ou d’incompétence des élus face à ce qui inquiète la population (crise de l’énergie, crise migratoire, difficultés financières, difficulté à se projeter dans un monde hostile et anticipation de la régression sociale) rend insupportable un monde politique qui a tendance à remplacer l’action par la leçon de morale permanente. Premier maillon de cette chaîne politique que les Français voient comme plus soucieuse de son poste que de l’avenir du pays, les maires sont en première ligne et essuient les plâtres des erreurs qu’ils n’ont pas commises mais dont ils sont vus comme comptables. Ajoutons à cela que le discours sur la décentralisation prétend leur avoir redonné du pouvoir, mais que la technocratie sait leur lier les mains sur les dossiers les plus susceptibles de susciter des réactions hostiles, comme les installations d’éoliennes ou de centres d’accueil de migrants…

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Concernant ces derniers, les pouvoirs publics font comme si les Français ignoraient la difficulté à assimiler de nouvelles populations dont la culture s’oppose parfois directement à nos fondamentaux, qui refusent l’égalité aux femmes et sont souvent source de nuisances. Les autorités font comme si la question de l’insécurité culturelle n’existait pas, comme si le rejet de l’immigration massive était une légende urbaine, comme si le nombre marginal de reconduites à la frontière était un secret ! Au lieu de travailler à créer des centres plus sécurisés, à mettre en place une politique d’accueil exigeante, à passer des contrats clairs avec les migrants, à leur apprendre leurs obligations et à être capable d’expulser ceux qui n’ont rien à faire sur le territoire, les pouvoirs publics semblent se contenter de jeter l’opprobre sur les riverains. Érigeant tout migrant en victime expiatoire et tout riverain inquiet en salaud xénophobe. Une logique qui pousse certains habitants dans les bras des extrêmes.

Dans cette affaire, tout le monde se sent trahi et abandonné

C’est pour cela qu’il n’y aura pas un avant et un après cette agression. Peut-être que les indemnités des élus seront un jour réévaluées, mais le problème qu’affrontent les maires sur le terrain est bien plus important.

Nos maires sont les interlocuteurs naturels d’une population qui se sent trahie et abandonnée par son gouvernement et ne voit pas d’issue à sa situation car une partie d’entre elle est montrée du doigt et assimilée à des ploucs racistes qui fument des clopes et roulent au diesel. Des gens dont finalement le déclassement importe peu à un gouvernement qui se voit comme un club de premiers de cordée et qui pense qu’il a bien du mérite à essayer de faire avancer un troupeau d’inutiles. Les maires, qui n’ont que peu de prise sur ces réalités-là, finissent parfois par cristalliser sur leur personne un ressentiment qui les dépasse. A Saint-Brevin, cela a failli causer la mort du maire. Peut-être qu’en arrêtant la leçon de morale permanente sur les questions de migration et en affrontant en face la réalité de la pression qu’elles mettent sur les équilibres sociaux, nos élites pourraient enfin faire en sorte que le problème suscite moins de peur et de rage. Force est de constater qu’elles ne s’en donnent pas les moyens. Ce qui est arrivé au maire de Saint-Brevin l’illustre.

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[1] Tweet de Damien Rieu du 25 février 2023

Sarah Bernhardt, quand même !

Sarah Bernhardt incarne et inspire tous les superlatifs : grande, divine, unique, impératrice… Des planches à la ville, cette comédienne hors du commun est entrée dans l’histoire par son excentricité et sa force de caractère. Une exposition au Petit Palais en témoigne.


« Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée.  Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers… », Phèdre, acte II, scène 5. La somptueuse exposition « Sarah Bernhardt » qui vient d’ouvrir ses portes à Paris pour commémorer le centenaire de sa mort, permet au visiteur d’écouter pendant une minute et 45 secondes, cornet à l’oreille, cette voix unique gravée sur cylindre, cette inimitable emphase chevrotante. C’est la « Divine », c’est toute une époque.

En son temps, Sarah Bernhardt (1844-1923) est une icône aux yeux du monde entier. On l’appelle « l’Enchanteresse », « l’Unique », « la Voix d’or »… Le fils de Réjane, autre comédienne, écrit : « Sarah Bernhardt, vers 1900 : plus qu’une impératrice, une espèce de divinité. » Et de préciser : « Je crois qu’au point de vue de sa situation dans le monde, Victor Hugo est le seul qu’on puisse lui comparer. » À ses funérailles, le 29 mars 1923, une foule gigantesque accompagne le cortège funèbre dont les chars tendus de noir, tirés par des chevaux caparaçonnés, traversent Paris jusqu’au Père-Lachaise. L’événement est filmé : c’est saisissant. La « Grande Sarah » avait 79 ans et la République, qui l’a décorée de la Légion d’honneur, lui refuse cependant le Panthéon. Celle pour qui Jean Cocteau invente l’expression « monstre sacré » y aurait pourtant sa place.

Renvoyée du conservatoire

« Quand même », telle est sa devise. Elle en estampille non seulement ses cartes de visite, mais aussi son linge, son papier à lettre, ses meubles, rideaux, vaisselle, et jusqu’à l’oriflamme qui, des années durant, flotte à la brise de Belle-Île, sur le toit du fortin qu’elle a aménagé pour y passer ses étés. Bien du chemin – quand même – pour en arriver là ! Fruit d’une liaison, la future diva est une enfant illégitime. Officier de marine, son géniteur présumé meurt prématurément. Julie, sa mère, surnommée Youle, aventurière juive native d’Amsterdam, est une lorette qui, montée à Paris, s’est enrichie en forniquant : le fortuné duc de Morny, frère adultérin de Napoléon III, compte parmi ses meilleures prises. Mal-aimée, livrée à elle-même, élevée à Auteuil dans l’école privée d’une dame Fessard, Sarah est une adolescente difficile. Deux demi-sœurs, Jeanne et Régina, complètent ce foyer glacial (Régina meurt à 18 ans de tuberculose ; quant à Jeanne, devenue opiomane, elle disparaît à 25 ans).

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En attendant, Morny finance l’éducation de cette demoiselle auréolée de boucles rousses – cours de peinture, de maintien, d’escrime… Son entregent ouvre à Sarah les portes du Conservatoire. Une gifle donnée à une honorable sociétaire provoque son renvoi. Désormais émancipée, Sarah monnaye ses faveurs à l’exemple de sa mère. Dans son Journal, Goncourt flétrit « la putinerie de cette maquerelle » qui « a prostitué toutes ses filles, aussitôt qu’elles ont eu treize ans ». Sarah attend d’en avoir vingt pour donner naissance à Maurice – d’un « père inconnu », en fait un aristo belge. Fils unique, Maurice meurt en 1928, après avoir vécu avec constance aux crochets de sa mère, en panier percé, dans un rapport fusionnel avec elle.

Le goût pour la chair fraïche

Muse vénale, Sarah Bernhardt n’a jamais chassé que le gros gibier : industriels, fils de famille, plénipotentiaires, patrons de presse… Leur nombre impressionne : des acteurs Mounet-Sully à Jean Angelo, Philippe Garnier, Édouard de Max (relation platonique, celle-là, vu les inclinations du monsieur) ; du jeune diplomate Édouard de Langrenée (gentiment appelé, en ville, « le petit chien de Sarah ») au poète Jean Richepin ; du génial illustrateur Gustave Doré au chirurgien lancé Samuel Pozzi, qu’elle baptise « docteur Dieu » ; du critique et auteur dramatique Jules Lemaître à l’adaptateur de Zola pour les planches, William Bushach. Et puis il y a Edmond Rostand, 28 ans, l’auteur de Cyrano, de L’Aiglon, dédié à « sa Reine de l’Attitude » – pas sûr qu’ils aient couché. Chaste chevalier servant, Reynaldo Hahn (l’amant de Proust, lequel Proust immortalise Sarah dans La Recherche, sous les traits de la Berma) lui compose des musiques de scène. De bonne heure, cette « folle » de Montesquiou (modèle du baron de Charlus – toujours Proust) idolâtre Sarah, éprise quant à elle du dandy Charles Haas (le modèle de Swann – encore Proust), avant de convoler en justes noces, en 1882, à Londres, avec le bellâtre grec Aristides Damalas, son cadet de douze ans, impétrant diplomate reconverti en acteur, et qu’on surnomme « Damalas aux camélias » pour ses performances dans Dumas fils. Mariage désastreux : ruiné, drogué, l’épave Damalas coule à pic en 1889, à 32 ans. À l’approche de son 70e anniversaire, Sarah n’a pas perdu le goût de la chair fraîche : elle s’éprend d’un modèle de Rodin, Lou Tellegen, colosse néerlandais de 27 ans, acteur pitoyable auquel elle confie le premier rôle dans plusieurs films muets, en 1912-1913 (La Dame aux camélias, La Reine Élisabeth, Adrienne Lecouvreur)… Tellegen, Damalas en pire, se tranche les veines à 50 ans.

Sarah Benhardt, 1869 © Bridgeman Images

Engagée au Théâtre du Gymnase en 1863, prise à l’essai trois ans plus tard à l’Odéon, Sarah connaît son premier triomphe en 1869 dans un rôle travesti : Le Passant, de François Coppée. Forte de son succès dans Ruy Blas, elle se fait engager, la tête haute, à la Comédie-Française en 1872 ; maison dont, lassée, elle démissionne au bout de huit ans. En 1877, nouveau triomphe dans Hernani, merci Hugo. Le giletier du « drame bourgeois »,Victorien Sardou, lui taille sept pièces sur-mesure – de Fédora à Cléopâtre en passant par La Tosca. Dans les années 1880 commence l’époque des tournées incessantes, des deux Amériques jusqu’en Australie, au point qu’on surnomme « La Muse ferroviaire » cette élégante qui, lorsqu’elle ne vogue pas en cabine de première blasonnée à son chiffre, itinère en Pullman aménagé pour ses aises. Elle fait ainsi trois fois le tour du monde.

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Le début du succès

Follement dispendieuse, Sarah Bernhardt est toujours à court d’argent. À la tête du Théâtre de la Renaissance jusqu’en 1899 puis du Théâtre des Nations, place du Châtelet (actuel Théâtre de la Ville), qu’elle rebaptise à son nom et repeint en jaune « bouton d’or », cette infatigable femme d’affaires dix fois ruinée cumule les emplois : scénographe, décoratrice, meneuse de troupes, programmatrice, impresario… De sa gestuelle étudiée à la luxuriance de ses atours, de l’ameublement de ses résidences successives à sa façon de dire bonjour, Sarah Bernhardt est tout entière en représentation. Son narcissisme intempérant lui ravit le don du naturel.

La Divine a frayé avec (presque) tout ce qui compte dans la République des lettres et de la politique : George Sand, Dumas, Coppée, Flaubert, Banville, Loti, Hugo, jusqu’à Henri Rochefort et Léon Gambetta… Sans compter les peintres, à commencer par Georges Clairin et Louise Abbema, lesquels, dévots parmi les dévots, la portraiturent inlassablement – en témoigne à foison la présente exposition. Elle lance l’affichiste Mucha, pose pour des artistes de renom : Jules Bastien-Lepage, Alfred Stevens, Antonio de La Gandara, Jean-Léon Gérôme (qui nous a laissé d’elle un incroyable marbre polychrome), mais aussi pour de grands photographes : Nadar, Étienne Carjat, Achille Mélandri (cf. le célèbre cliché où elle dort dans un cercueil)… Le studio londonien W. & D. Downey popularise son image outre-Manche et aux États-Unis car Sarah Bernhardt travaille son image « à l’international » en faisant commerce de ses propres produits dérivés (cosmétique, biscuits, sardines, champagne, absinthe…). Elle gère sa légende, scénarise ses frasques et médiatise ses excentricités.

La fascination qu’exercent ses intérieurs auprès du public prolonge celle de ses parures : acheteuse compulsive, on la voit émerger telle une naïade d’un flot de bibeloteries éclectiques, cernée d’une ménagerie naturalisée mais également vivante : bestiaire où se coudoient chauves-souris, tortues, singes, perroquets, caméléons, et jusqu’à ces lionceaux, guépards et alligators qu’elle aime à lâcher au jardin. Sur le tard, sa folie des bêtes se mue en passion pour les algues marines, dont elle fait des bronzes délicieusement barbares : elle est aussi sculpteur.

Sarah Bernhardt déborde de talents – et de courage : patriote et dreyfusarde, la citoyenne organise un hôpital militaire pendant la guerre de 1870. Et en 1914-1918, quoique amputée d’une jambe, elle se produit devant les « poilus ».

Cette femme inouïe a été notre première star.

A voir :
« Sarah Bernhardt : et la femme créa la star ». Petit Palais, Paris, jusqu’au 27 août.

À lire :
Catalogue de l’exposition : Sarah Bernhardt (dir. Stéphanie Cantarutti et Cécilie Champy-Vinas), Paris Musées, 2023.

À lire également :
Claudette Joannis, Sarah Bernhardt (Payot, 2000, réédition 2023) et surtout la neuve et très riche biographie d’Hélène Tierchant,
Sarah Bernhardt : scandaleuse et indomptable (Tallandier, 2023).

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Mais enfin, Maïwenn!

C’est la starlette dont on va parler cette semaine! Maïwenn fait l’ouverture du festival de Cannes, avec un film dans lequel elle «ose» faire jouer Johnny Depp – malgré les mises en garde néoféministes. Par ailleurs, elle pense qu’Adèle Haenel est un peu con et interprète dans Jeanne du Barry le rôle d’une «courtisane». Enfin, elle a reconnu avoir agressé physiquement le journaliste Edwy Plenel.


Elle est la personnalité du cinéma français dont on parle en ce moment. On ne parle pas ici d’Adèle Haenel, de son caca nerveux et son départ à la retraite, mais de Maïwenn, dont le dernier film Jeanne du Barry ouvrira le prochain festival de Cannes. Par ses dernières prises de position, ses choix d’acteur et même ses coups de griffes administrés à Edwy Plenel dans un restaurant en février dernier, elle est à deux doigts de devenir l’égérie de la droite réactionnaire!

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Un lourd passé de militante décoloniale

Elle revient pourtant de loin. En 2020, elle sortait un film assez navrant, ADN, avec une étrange quête du génome algérien, non sans relents biologiques quelque peu étranges: « Je pense que [l’] engagement [contre le racisme] m’a été transmis par mes ancêtres, qui ont vécu la colonisation ». Depuis, l’actrice et réalisatrice s’est rattrapée. Bien sûr, on ne mettra pas au compte des bonnes actions l’agression d’Edwy Plenel, à coup de tirage de cheveux et de crachats, même si la tentation peut-être grande en présence du patron de Mediapart et son air du type qui vous pique la dernière roue de secours en plein milieu du bush australien. Elle est passée aux aveux, en direct chez Yann Barthès, dans une ambiance de franche rigolade, ce qui a valu une accusation de « complaisance » de la part de Télérama. Fabrice Arfi, la voix de son maître, nous parle carrément de « très mauvais scénario d’une époque ». Quelques semaines après le scandale de la participation d’Hugo Clément au débat de Valeurs actuelles, les médias progressistes semblent se tirer la bourre, et se chercher des poux les uns les autres, c’est à celui qui dérapera le premier.


Concernant l’annonce fracassante de la retraite cinématographique d’Adèle Haenel (celle-ci, additionnée à l’annulation de Stromae et l’arrêt de la matinale de Charline Vanhoenacker, permet d’entrevoir un début de renaissance dans notre pays), Maïwenn n’a pas tout à fait suivi l’enthousiasme de certaines de ses consœurs : « Je trouve ça triste de tenir un discours si radical. Je trouve ça triste pour elle, sur le fait qu’elle voit ce monde-là par ce prisme-là. C’est un peu trop général, un peu trop radical ». En octobre 2020, Maïwenn avait déjà marqué sa divergence avec le féminisme radical d’Adèle Haenel. Enfin, toujours chez Yann Barthès, elle a défendu le choix de faire jouer Johnny Depp dans le rôle de Louis XV, et ce malgré la triste publicité faite par son procès contre Amber Heard. Procès qui nous a permis de ne rien ignorer de ce qui se passait sous les draps, et moins encore, sur les draps.

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« Il a perdu son premier procès, il a gagné le deuxième, c’était parole contre parole, je ne me suis pas sentie de le juger ». Télérama juge bon de nous rappeler que Johnny Depp n’a pas vraiment gagné son procès, « les deux parties ayant été déclarées coupables et condamnées chacune pour diffamation » ; l’acteur a seulement écopé d’une amende moins lourde que son ex-épouse. Le choix de l’acteur est d’autant plus fort qu’il fut fait en janvier 2022, alors que l’issue du procès était loin d’être connue… À l’époque, la frange féministérique des réseaux sociaux s’était étranglée de ce choix.

Une femme dans un milieu d’hommes

Mais alors, où va Maïwenn ? On n’ira pas forcément lui chercher une cohérence idéologique, et on ne lui en demande pas tant. En 2015, elle s’emporte contre ses collègues qui réclament la parité dans les métiers du cinéma. « On fait du tort aux femmes en râlant comme ça. Il y a plus de maquilleuses femmes que d’hommes, et alors ? Qui s’en émeut ? C’est un métier qui fait appel aux hormones masculines [la biologie, encore une fois !], donc il y a tout simplement plus d’hommes réalisateurs, c’est aussi bête que ça ».

Trois ans plus tard, elle signe pourtant la pétition du Collectif 50/50 qui milite pour la parité dans le cinéma. On lui reconnaîtra au moins deux choses : un franc-parler jubilatoire et des derniers coups de gueule salvateurs – mais, par pitié, on ne tire pas les cheveux des vieux messieurs dans les restaurants, même quand ils l’ont un peu mérité !

Une sirène trop voluptueuse

Dans le sud de l’Italie, dans la région des Pouilles et dans une ville nommée Monopoli, une partie de la population semble ne pas avoir apprécié la dernière sculpture d’étudiants en école des arts représentant une sirène. Trop de fesses, trop de seins, trop!


Ah, il est vrai que nous sommes loin de «  la petite sirène » d’Andersen qui inspira une autre statue ; celle que l’on peut voir encore aujourd’hui à Copenhague. Autres temps, autres mœurs ? La sirène n’a jamais cessé d’évoluer. Chez les présocratiques, si mes souvenirs sont bons, ces dames étaient ailées et inspiraient aux hommes capables de les entendre la connaissance suprême. Quand sont-elles exactement tombées dans l’eau ? Je ne saurais le dire. Bien sûr, tout le monde connaît l’aventure d’Ulysse qui boucha les oreilles de ses rameurs avec les boules Quies de l’époque, mais qui, lui, ne résista pas au désir de les entendre tout en prenant soin de ne pas céder à la tentation et, pour ce faire se ficela à son mât.

Il y a quelques années, dans une librairie de Sceaux, la ville bien nommée, je trouvai un livre de Pascal Quignard, intitulé sobrement Boutès. J’ai cru que ce grand écrivain avait inventé ce personnage dont je n’avais jamais entendu parler, puis, je m’aperçus qu’il l’avait, en fait, exhumé. La postérité n’avait donc rien retenu du seul qui avait exécuté le grand saut, et c’est Pascal Quignard qui se chargea de le repêcher.

Il faut voir, du reste, certains tableaux du XIXème siècle qui montrent des marins complètement affolés et reculant d’effroi devant des sirènes échevelées accrochées au bateau. Je les ai toujours trouvés pathétiques et grotesques…

Mais revenons à cette sirène qui fait jaser à défaut de faire chanter pour cause de formes non conformes à la petite fille attendant mélancoliquement sur son rocher. En Italie, elle se trouve, et c’est aussi en Italie, mais plus au sud, en Sicile à vrai dire, que la sirène la plus captivante a été trouvée ; celle que nous devons à Lampédusa:

«  Cette jeune fille, qui devait avoir seize ans, me souriait et ses lèvres pâles, à peine étirées, laissaient entrevoir de petites dents pointues et blanches, pareilles à celles des chiens. Rien de commun cependant avec les sourires que vous échangez, vous autres, toujours abâtardis par une expression accessoire, ironie ou bienveillance, pitié, cruauté ou dieu sait quoi ; ce sourire-là, n’exprimait que lui-même, c’est-à-dire une joie d’exister presque animale, une allégresse quasi divine. »

Je laisse le lecteur découvrir lui-même la suite de cette rencontre fabuleuse qui mènera le futur sénateur, encore jeune à l’époque, à faire le grand plongeon.

En attendant qu’il découvre l’homme qui sauta et la sirène sicilienne, ayons pitié de ceux qui, pourtant Italiens (et ma déception est grande) trouvent à redire aux femmes qui, telle la vague, souvent débordent…


Boutès de P. Quignard, aux éditions Galilée

Le professeur et la sirène de Lampedusa, collection Points aux éditions du Seuil

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Nous sommes bien trop cléments avec le concours de l’Eurovision!

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Nous nous sommes habitués petit à petit à l’extrême vulgarité de ce show musical annuel, qui oppose des chanteurs de tout le continent. À l’issue de la dernière édition, remportée samedi par la Suédoise Loreen, les commentateurs se demandaient si la représentante de la France avait ou non fait un doigt d’honneur à la caméra après avoir découvert son résultat. Mauvais goût: 12 points! Analyse.


On sait de longue date que l’Eurovision, le concours européen de la chanson, est un rendez-vous annuel du mauvais goût. S’y côtoient souvent une certaine vulgarité esthétique et une pauvreté musicale. D’aucuns soutiennent d’ailleurs que c’est là tout l’intérêt du concours, dont la finale télévisée serait à regarder au second degré pour accéder à la supposée dimension comique du spectacle, ludique et sans prétention. Notre époque étant si hostile à la légèreté, à l’humour et à la joie de vivre, on serait alors tenté d’accorder le bénéfice du doute à ce vieux monument du kitsch télévisuel qu’est la soirée de l’Eurovision. Après tout, une bulle de résistance festive et chaleureuse dans un univers si morose ne peut manquer d’intérêt. Un visionnage du spectacle de samedi soir suffit pourtant à dissiper toute illusion: la mauvaise réputation de l’Eurovision est méritée, voire encore trop clémente. 

Sous-texte féministo-lgbtqiste peu subtil

La chanson et l’interprète choisies pour représenter la France avaient cependant pour elles l’intérêt d’avoir misé sur l’élégance. Un texte soigné en français, un air à la fois classique et moderne, une interprétation maîtrisée inspirée de Piaf, le tout servi par une chanteuse à l’allure très sophistiquée: les agents de France Télévisions qui ont choisi cette prestation pour représenter la France ont opté pour l’affirmation d’une France belle et confiante. Une vidéo de présentation de la candidate, tournée à Fontainebleau, était à ce titre très réussie. Passons sur le sens équivoque des paroles de la chanson: elles ressemblent aux confidences d’une prostituée rêveuse et désabusée (façon « Les hommes qui passent » de Patricia Kaas, elle-même candidate de la France au concours de 2009), mais évoluent ensuite vers une harangue de l’artiste elle-même (« Ai-je réussi à chanter la grande France ? », nous demande-t-elle dans une envolée vocale). L’exégèse des chansons pop est un art périlleux qu’il vaut mieux laisser aux initiés. 

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Outre cette prestation française, il faut d’emblée constater que le reste fut pénible. Mauvais goût et pauvreté artistiques étaient bien là. L’hypothèse du second degré s’est quant à elle vite évaporée: la soif de notoriété des participants et des présentateurs, qui rivalisaient d’artifices et de postures pour s’illustrer à la caméra, donna à voir un spectacle assez laid – et franchement risible – d’orgueil et de fatuité. Le message militant et vindicatif que revêtait la plupart des prestations scéniques, avec un sous-texte féministo-lgbtqistes si peu subtil, doucha tout espoir de passer un moment léger et fédérateur. Enfin, les allusions innombrables au conflit en Ukraine, sans rapport ni propos avec la soirée musicale, cadencées comme le seraient des coupures publicité, étaient d’une lourdeur sans nom. Dans ce temple du narcissisme, les démonstrations de soutien au peuple ukrainien, répétées ad nauseam, manifestaient surtout une prétention morale aussi grotesque qu’indécente. Au lieu de lamentations forcées, la réalité tragique de la guerre appelait plutôt recueillement et retenue.

Uniformisation

Au terme de la soirée, un constat s’impose. L’Eurovision n’est ni une célébration de la chanson, ni une célébration de l’Europe. Plutôt qu’un forum de la diversité et de la créativité musicales européennes, le concours s’avère davantage une vitrine de l’uniformisation anglo-saxonne mâtinée de discours pseudo-engagés et convenus. La plupart des prestations consistent en des morceaux faciles de pop, chantés en anglais. Les prestations sont presque toutes interchangeables. L’influence des codes du divertissement américain y est évidente, avec des mises en scène faussement grandioses, ridiculement grandiloquentes, dans une logique de performance très hollywoodienne. C’est d’ailleurs une sorte de pré-requis tacite du concours: n’ont une chance de gagner que les pays dont la prestation fait le pari clair de l’extravagance. La diversité des styles et des langues européennes ne se manifestent qu’à la marge et sous une forme folklorique. La forme règne sans partage, le fond est dépourvu de propos véritable, de sentiment ou d’émotion authentiques, conséquence logique de l’emploi généralisé d’une langue internationale standardisée et appauvrie. À ce titre, l’acculturation américaine se manifeste aussi dans les paroles et expressions des acteurs de ce spectacle, qu’ils soient participants, présentateurs ou intervenants extérieurs: dans un anglais d’aéroport, les échanges sont ponctués d’expressions faciales exagérées et l’on ne compte plus les « oh my god », « so great » et inévitables « amazing ». 

En bref, le concours de l’Eurovision présente l’image parfaite d’une Europe forcément a-nationale, mais surtout a-culturelle: un élément vide, neutre, indistinct, sans caractère propre, qui ne brille que par réfraction des influences extérieures. Un astre mort.

[VIDEO] Driss Ghali sur la colonisation française: mensonge de gauche et mensonge de droite…

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Entretien avec Driss Ghali, écrivain, conférencier et auteur à Causeur. Il nous présente son dernier livre, Une contre-histoire de la colonisation française (Jean-Cyrille Godefroy éditions).


L’essayiste raconte les faces cachées de la colonisation française d’un point de vue à la fois politique, économique et financier, en dénonçant la désinformation et la pensée unique de la colonisation. Selon lui, les colonisés n’ont pas plus raison de se plaindre de la colonisation que les colonisateurs n’en ont de s’en glorifier.

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Il veut dénoncer la désinformation et la pensée unique de la colonisation. Tout le débat contemporain est caduc et nous empêche d’aller de l’avant.

5 questions à Driss Ghali

Une contre-histoire de la colonisation française

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Démocrature, dictablanda et blablabla?

Avec Cinquante Nuances de dictature, tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs, Renée Fregosi échauffe les esprits et c’est avec froideur qu’elle aborde la brûlante question de l’état actuel du pays : « De là à considérer la démocratie française comme une dictature, il y a de la marge », affirme-t-elle.


« Il arrive que des régimes dictatoriaux s’installent dans des sociétés démocratiques… qui ont posé des principes d’égalité entre leurs membres et de liberté d’individus, mais qui en ont perdu le sens », explique la politologue Renée Fregosi. Nous, Français, spécialistes du créneau, avons-nous développé un tel problème de latéralisation ? 

L’essai fait principalement voyager dans les dictatures de l’ailleurs. Du Venezuela à la Russie, de la Chine à l’Arabie Saoudite, en passant par la Libye et l’Allemagne nazie, toutes les aires géographiques sont passées au peigne fin. Toutes les figures des livres d’Histoire, de Pinochet à Kadhafi, sont convoquées. Et, chiffres à l’appui, sont passés au crible les divers critères de démocratisation. 

Tour du monde des réussites autoritaires

Car le néologisme a été fort utile pour définir le degré plus ou moins marginal de la démocratisation d’un régime. Si l’on est habitué aux « dictablanda » ou encore aux « démocratures », l’Economist Intelligence Unit, elle, identifie les « régimes autoritaires » (35,3 % des pays de la planète), les « régimes hybrides » (20,4 %), les « démocraties pleines » (12,6%) et les « démocraties imparfaites (31,7%). Évidemment, « pleut-il ou ne pleut-il pas » est une question moins épineuse… 

Renée Frégosi © BALTEL/SIPA

« Ne serait-il pas plus clair de parler de « régimes autoritaires imparfaits » ou « plus-que-parfaits » plutôt que de régimes hybrides ? » interroge la philosophe. Pourquoi ne pas alors décréter que les deux totalitarismes, nazisme et communisme, sont des « régimes antérieurs » à ce « totalitarisme du troisième type » comme Frégosi nomme le totalitarisme islamique dans son troisième chapitre ? Parce que l’on passerait à côté des émergences néo-nazies ? Pourtant, selon une autre équipe de chercheurs, qui mesure « la qualité de démocratie de chaque régime, en [l’] évaluant sur une échelle de 0 à 10 », Pologne et Hongrie obtiennent respectivement une note de 6,80 et 6,50. 

A relire: Turquie: est-ce la fin du calife Erdoğan?

Alors il en est des régimes comme des hommes, ils changent : « Depuis 2016, et sur les cinq années consécutives, le nombre des pays versant dans l’autoritarisme est approximativement trois fois plus haut que celui de ceux qui progressent vers la démocratie. » Et dans ce tour du monde des tentatives et réussites autoritaires, Fregosi fait remarquer que peu de pays seraient, depuis leur création, identifiés comme « démocratie » et félicités d’une bonne note, ainsi pour le Proche-Orient, seul « Israël, avec ses 7,84, se situe depuis sa fondation en 1948 dans le groupe des démocraties ». 

Les Français menacés par leur servitude volontaire

Alors quid de la France promise dès le titre de l’essai ? Paradoxalement, elle apparaît peu, et les définitions liminaires invitent à se demander si l’analyse de Fregosi n’est pas une habile turquerie — ce processus dont les Lumières ont usé et abusé, et grâce auquel une pièce de Voltaire intitulée Mahomet attaquait la religion catholique. Une turquerie dont les analyses révèlent deux lourdes menaces pour la démocratie française : le frérisme et le wokisme.

Quand elle explique : « Les pouvoirs autoritaires fonctionnent toujours selon le principe de l’imposition de certains sur d’autres, et entravent ou interdisent le libre choix de chacun », ne pense-t-on pas à… Et quand on lit que la « dictature politique survient comme la conséquence d’une dégradation de la société qui n’a pas su se prémunir contre, d’une part, l’atomisation, l’égoïsme et la « servitude volontaire », ne penserait-on pas à… ?

La nuance entre les mots ne tient qu’à un fil, et ignorer celui-ci amène à tous les abus. Dictature, totalitarisme, ou fascisme sont autant de gros mots qui ont envahi façon blitzkrieg la basse-cour politique et les réseaux sociaux. Employés comme des étendards, leur prolifération provient du « flou des mots qui embrouille les esprits [et] fait écho au désintérêt pour l’étude des dictatures contemporaines ». Désintérêt d’une part et complaisance de l’autre : « Quant aux pays du Maghreb, du proche et moyen Orient, ils ont été, et pour nombre d’entre eux sont toujours, l’objet d’une complaisance ahurissante de la part des démocraties occidentales. » Ah bon ?

La « fin de l’histoire », pour l’Occident, n’a pas été l’extension d’une démocratie idyllique mais plutôt une déshistorisation des concepts. L’apprentissage, la projection, la réflexion, bref la nuance, sont hors-jeu dès lors que le buzz et le pathos sont autant de moteurs du discours politique. « Car une pensée extrême se fait par l’évacuation de toute autre idée compensatrice, modératrice ou contradictoire avec l’idée première. » Mais il y a bien des sujets de pathos en France, et les régimes peuvent tomber. « Les dictatures comme les démocraties » conclut l’auteur dans Corse Matin (Fregosi est née à Ajaccio), et l’on se demande bien de quel côté va tomber la France. 

Renée Fregosi, Cinquante nuances de dictature : tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs, Editions de l’aube, avril 2023, 191 p.

Enfin une victoire juridique contre l’écriture inclusive

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D.R.

Le 16 juillet 2020, le Conseil d’Administration de l’Université Grenoble-Alpes avait approuvé le choix de l’écriture inclusive pour la rédaction de ses nouveaux statuts. Un professeur courageux porta l’affaire devant le Tribunal administratif pour que soit annulée la délibération du Conseil d’administration de l’Université.


Le 11 mai 2023, tout récemment, donc, le Tribunal vient de débouter l’Université de Grenoble-Alpes, au motif irréfragable que cette écriture contrevient à l’article 2 de la Constitution lequel déclare que « La langue de la République est le français » en arguant de motifs juridiques imparables : le droit et la norme s’imposent à tous dans un langage intelligible. Ce qu’on appelle des objectifs et exigences à valeur constitutionnelle « d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme ». Le tribunal s’est également mis sous l’autorité de l’Académie Française, gardienne de la langue depuis Richelieu, qui, dénonçant le caractère illisible, confus et discriminant de cette graphie, déclarait, le 26 octobre 2017, que « l’écriture inclusive offusquait la démocratie du langage. » Mieux : ordre a été donné au président de l’Université de procéder à l’affichage et à la publication de ce jugement.

En français et non aultrement !

Résumons: l’écriture inclusive d’actes contenant du droit est contraire à la Constitution. La loi, au sens large, c’est-à-dire, tout acte administratif, doit être aussi rédigé de manière intelligible. Finie la concurrence déloyale d’un idiome discriminant que l’on impose, dans de nombreuses universités. Retour au point de départ dont nous n’aurions jamais dû partir : l’Ordonnance Royale de François Ier, édictée en 1539, connue sous le nom d’Ordonnance de Villers-Cotterêts.

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Le style de l’Ordonnance est clair et sec : tout doit être écrit « en français et non aultrement », dans un langage clair et compréhensible : « Afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence desdits arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement qu’il n’y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ni incertitude ni lieu à demander interprétation. » Date capitale dans notre histoire : chaque mot est à peser. Sur ordre du Roi, le français entre partout dans la vraie vie juridique c’est-à-dire dans les actes de justice de l’existence quotidienne. Avec l’Ordonnance de Beaulieu, en 1564, le français devient la langue de l’administration et s’étend à tous les domaines de la vie, dans toutes les classes sociales.Désormais, notre langue française est la même pour tous : elle est facteur d’unité et d’égalité.

Tous concernés

L’écriture inclusive n’est ni un truc de femmes—savantes ou pas—ni une mode, une lubie, encore moins une exigence louable d’égalité : bien plutôt, elle participe au puissant courant de déconstruction qui affecte notre pays. Oui, notre langue est dans un péril mortel, comme le dit l’Académie. Oui, son sauvetage dépend d’une volonté politique forte. Oui, comme le dit encore l’Académie, « l’écriture inclusive offusque la démocratie du langage. » Contre cette machine à exclure, le président a une arme plus infaillible que tout 49.3 : l’article 2 de la Constitution.

Espérons que cette victoire juridique du 11 mai fera jurisprudence et que nombreux seront les professeurs d’université et de l’Éducation nationale —et tous nos concitoyens—  à entrer en résistance. Car notre langue est « chose politique » c’est-à-dire qu’elle nous concerne tous.

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Planter son drapeau sur des ruines

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Le député Renaissance Mathieu Lefèvre lors des séances de questions au Gouvernement, en octobre 2022. © Jacques Witt/SIPA

La loi sur l’obligation de pavoiser les mairies avec le drapeau européen révèle surtout l’arrogance des macronistes.


C’est étonnant, tout de même, ce goût des libéraux français pour les lois inutiles. Naïvement, on croyait que le libéral préférait le contrat. Mais peut-être que le libéral, notamment en France, est libéral quand il s’agit du travail ou de la fiscalité mais beaucoup moins quand il s’agit d’imposer son idéologie, car le libéralisme n’est pas « naturel » contrairement à ce que voudraient faire croire ses thuriféraires de plus en plus nombreux. C’est une construction philosophique, comme le fascisme, le royalisme ou le communisme.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos drapeaux. Voilà que le groupe « Renaissance » a fait passer une loi rendant obligatoire la présence du drapeau européen sur les mairies de plus de 1500 habitants. On nous dit que 78% des mairies échapperont à cette obligation, façon sans doute de faire passer la pilule mais on peut aussi dire que, de facto, toutes les mairies des grandes villes et des villes moyennes seront pavoisées en bleu et or.

Un symbole détourné

Ce qui me gêne un peu, dans cette histoire, ce n’est pas tant le drapeau européen, c’est ce qu’il a fini par symboliser bien malgré lui. Pour aller vite: une zone de libre-échange fondée sur toujours plus de moins-disant social, une zone où est imposée une austérité sans fin, où la répartition des richesses produites par le continent  favorise toujours plus le capital et toujours moins le travail. Une zone dont les promoteurs les plus acharnés sont allés contre la volonté des peuples (remember le non de 2005) et ont fini par faire basculer un certain nombre de pays dans les bras de l’extrême-droite.

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D’ailleurs, derrière les cris d’orfraie des amis de l’UE, « Mon dieu ! la Pologne ; mon dieu ! la Hongrie ; mon dieu ! l’Italie », on voit que finalement, ils s’en accommodent très bien,  les libéraux, des législations restrictives sur l’avortement, sur la fin d’une justice indépendante et autre joyeusetés xénophobes.

Petit Grec, le FMI c’est plus fort que toi !

Tant qu’ils sont dans les clous budgétaires, ces pays-là peuvent tranquillement chasser le migrant. Mais qu’ils ne s’avisent pas de vouloir protéger leur peuple de la violence de la mondialisation en gardant un modèle social avancé, c’est-à-dire en étant de gauche ; là, ils seront punis comme l’U.R.S.S. punissait les « pays frères », à cette différence que c’est le FMI et la BCE qui jouent le rôle du tank.

Alors cette histoire de drapeau, toute symbolique qu’elle soit, elle fait un peu penser à ces armées victorieuses qui plantent leur étendard sur les ruines du rêve de ceux qui croyaient que l’Europe voudrait dire la paix, la prospérité et un modèle social avancé, le rêve de ces utopistes qui n’ont même plus le droit d’exprimer la moindre réserve sur le génie bruxellois, sur l’excellence de la Commission, sans se voir rejeter dans les ténèbres extérieures en compagnie des nationalistes de la pire espèce…

Joe le gaffeur

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© D.R.

Il n’y a rien de mal à vouloir séduire un électorat ciblé. Mais en Irlande, Joe Biden nous enseigne exactement ce qu’il ne faut pas faire.


Joe Biden a toujours fait grand cas des origines irlandaises de ses ancêtres. Les exemples du clan Kennedy, de Reagan et de Clinton montrent que, pour un homme politique américain, il n’est pas inutile de plaire à l’électorat issu de l’immigration irlandaise. Pour renforcer son côté irlandais et catholique, le président Biden met la pression sur le gouvernement du Royaume-Uni pour qu’il résolve la question du protocole sur l’Irlande du Nord, conséquence des négociations sur le Brexit. Mais cette pression est peu appréciée des protestants nord-irlandais qui actuellement bloquent la constitution du gouvernement à Belfast. La visite de Bill Clinton en 1998 a été déterminante pour la signature de l’accord du Vendredi saint, qui a mis fin aux troubles. Celle de Joe Biden en avril, qui a coïncidé avec le vingt-cinquième anniversaire de cet accord, a-t-elle aidé à débloquer la situation actuelle ?

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Tout a bien commencé à Belfast avec un discours où le président a révélé qu’il a aussi des ancêtres protestants et même des ancêtres anglais. Pourtant, les observateurs ont repéré un détail désobligeant : normalement, la limousine du président américain, surnommée « The Beast » (« la Bête »), affiche le drapeau américain, d’un côté, et de l’autre, le drapeau du pays où il se trouve. Or, lors de son séjour en Irlande du Nord, on ne voyait pas le drapeau britannique (qu’il avait bien affiché en Écosse en 2021), mais le fanion présidentiel. Cela semblait indiquer qu’il ne reconnaissait pas l’appartenance de l’Irlande du Nord au Royaume-Uni. Et pour finir, lors de son passage dans la République d’Irlande (du sud, Éire), il a passablement gaffé. Voulant complimenter l’équipe de rugby de l’Irlande, il a vanté leur victoire, non sur les All Blacks néo-zélandais, mais sur les Black and Tans, des policiers britanniques qui ont combattu les rebelles lors de la guerre d’indépendance irlandaise de 1919-1921. Joe l’Irlandais ne semble pas si irlandais que ça.

Pas de migrants à Saint-Brevin. Mais pas de maire non plus!

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Le maire divers droite de la localité de Loire-Atlantique, Yannick Moretz, a démissionné avec fracas, s’estimant peu soutenu par l’État, et ses véhicules ayant été incendiés à son domicile, une nuit de mars. La population est vent debout contre le projet d’installation d’un centre de migrants. «L’opposition au centre s’est transformée en haine personnelle. Le boulot de maire n’est simple nulle part, mais là on lui a quand même cramé sa baraque» témoigne la patronne d’un centre de toilettage canin dans Le Monde. L’édile sera reçu à Matignon, mercredi. Le commentaire de Céline Pina.


Ce qui est arrivé au maire de Saint-Brevin-les-Pins (44) relance pour la énième fois le débat sur la montée de la violence dans notre pays. L’histoire est maintenant connue: le déplacement d’un centre d’accueil de migrants près d’une école dans cette petite ville de 13 000 âmes a mis le feu aux poudres. Suite à la mobilisation d’un groupe de riverains inquiets pour la sécurité de leurs enfants, la presse locale titre que la grogne monte autour du projet. L’histoire fait alors l’objet de partages sur les réseaux sociaux des partisans de « Reconquête ! » et du Rassemblement national et prend peu à peu une dimension nationale alors que sur le terrain les manifestations se multiplient. Pas moins de quatre seront organisées. Le ton monte entre manifestants anti-migrants et manifestants pro-migrants. Les uns sont accusés d’être d’affreux racistes qui détestent les étrangers et habillent cela d’un discours mettant en avant la crainte pour la sécurité des enfants pour pouvoir mieux instrumentaliser la situation. Les autres sont accusés de « vouloir imposer le vivre ensemble avec le Pakistan dans nos campagnes. »[1]

L’exécutif n’assure pas le SAV du centre de migrants

La polémique ne va cesser d’enfler jusqu’à ce que, le 22 mars, le domicile et les véhicules du maire soient incendiés alors que celui-ci dort dans la maison. L’édile va alors donner sa démission en invoquant un profond sentiment de solitude et accuse l’Etat d’avoir imposé le déplacement du centre d’accueil sans avoir assuré le service après-vente, laissant le maire fort dépourvu face à la grogne. Si l’affaire de Saint-Brevin est exceptionnelle par son retentissement, les chiffres du ministère de l’Intérieur indiquent qu’en 2022, les violences contre les élus ont augmenté de 32%.

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On ne peut que se sentir solidaire du maire de Saint-Brevin. Quoi que l’on puisse penser de la pertinence de l’installation d’un centre d’accueil de réfugiés près d’une école, notre tradition politique veut qu’oppositions et contestations passent avant tout par la parole, l’organisation de manifestations, la sanction électorale, mais pas par l’agression et la tentative de meurtre. L’incendie aurait en effet pu être fatal au maire et à son épouse.

Le sacerdoce des élus locaux

La démission du maire de Saint-Brevin a entrainé une prise de parole de nombre d’élus locaux qui ont rappelé à quel point le statut de l’élu local peut être ingrat et repose sur un certain sens du devoir et du sacerdoce. Dans les petites villes et les villages, les indemnités sont peu élevées, le maire a une administration souvent sous-dimensionnée et les attentes qu’il génère sont parfois disproportionnées. Mais ce que les statistiques montrent surtout, c’est que le maire commence à être touché par le rejet que subissent les politiques et qui épargnait encore l’échelon local. Un rejet sans doute lié au sentiment de déclassement de la population dans les zones périurbaines. Le constat d’impuissance et/ou d’incompétence des élus face à ce qui inquiète la population (crise de l’énergie, crise migratoire, difficultés financières, difficulté à se projeter dans un monde hostile et anticipation de la régression sociale) rend insupportable un monde politique qui a tendance à remplacer l’action par la leçon de morale permanente. Premier maillon de cette chaîne politique que les Français voient comme plus soucieuse de son poste que de l’avenir du pays, les maires sont en première ligne et essuient les plâtres des erreurs qu’ils n’ont pas commises mais dont ils sont vus comme comptables. Ajoutons à cela que le discours sur la décentralisation prétend leur avoir redonné du pouvoir, mais que la technocratie sait leur lier les mains sur les dossiers les plus susceptibles de susciter des réactions hostiles, comme les installations d’éoliennes ou de centres d’accueil de migrants…

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Concernant ces derniers, les pouvoirs publics font comme si les Français ignoraient la difficulté à assimiler de nouvelles populations dont la culture s’oppose parfois directement à nos fondamentaux, qui refusent l’égalité aux femmes et sont souvent source de nuisances. Les autorités font comme si la question de l’insécurité culturelle n’existait pas, comme si le rejet de l’immigration massive était une légende urbaine, comme si le nombre marginal de reconduites à la frontière était un secret ! Au lieu de travailler à créer des centres plus sécurisés, à mettre en place une politique d’accueil exigeante, à passer des contrats clairs avec les migrants, à leur apprendre leurs obligations et à être capable d’expulser ceux qui n’ont rien à faire sur le territoire, les pouvoirs publics semblent se contenter de jeter l’opprobre sur les riverains. Érigeant tout migrant en victime expiatoire et tout riverain inquiet en salaud xénophobe. Une logique qui pousse certains habitants dans les bras des extrêmes.

Dans cette affaire, tout le monde se sent trahi et abandonné

C’est pour cela qu’il n’y aura pas un avant et un après cette agression. Peut-être que les indemnités des élus seront un jour réévaluées, mais le problème qu’affrontent les maires sur le terrain est bien plus important.

Nos maires sont les interlocuteurs naturels d’une population qui se sent trahie et abandonnée par son gouvernement et ne voit pas d’issue à sa situation car une partie d’entre elle est montrée du doigt et assimilée à des ploucs racistes qui fument des clopes et roulent au diesel. Des gens dont finalement le déclassement importe peu à un gouvernement qui se voit comme un club de premiers de cordée et qui pense qu’il a bien du mérite à essayer de faire avancer un troupeau d’inutiles. Les maires, qui n’ont que peu de prise sur ces réalités-là, finissent parfois par cristalliser sur leur personne un ressentiment qui les dépasse. A Saint-Brevin, cela a failli causer la mort du maire. Peut-être qu’en arrêtant la leçon de morale permanente sur les questions de migration et en affrontant en face la réalité de la pression qu’elles mettent sur les équilibres sociaux, nos élites pourraient enfin faire en sorte que le problème suscite moins de peur et de rage. Force est de constater qu’elles ne s’en donnent pas les moyens. Ce qui est arrivé au maire de Saint-Brevin l’illustre.

Ces biens essentiels

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[1] Tweet de Damien Rieu du 25 février 2023

Sarah Bernhardt, quand même !

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Portrait de Sarah Bernhardt, Georges Clairin, 1876 © Bridgeman Images

Sarah Bernhardt incarne et inspire tous les superlatifs : grande, divine, unique, impératrice… Des planches à la ville, cette comédienne hors du commun est entrée dans l’histoire par son excentricité et sa force de caractère. Une exposition au Petit Palais en témoigne.


« Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée.  Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers… », Phèdre, acte II, scène 5. La somptueuse exposition « Sarah Bernhardt » qui vient d’ouvrir ses portes à Paris pour commémorer le centenaire de sa mort, permet au visiteur d’écouter pendant une minute et 45 secondes, cornet à l’oreille, cette voix unique gravée sur cylindre, cette inimitable emphase chevrotante. C’est la « Divine », c’est toute une époque.

En son temps, Sarah Bernhardt (1844-1923) est une icône aux yeux du monde entier. On l’appelle « l’Enchanteresse », « l’Unique », « la Voix d’or »… Le fils de Réjane, autre comédienne, écrit : « Sarah Bernhardt, vers 1900 : plus qu’une impératrice, une espèce de divinité. » Et de préciser : « Je crois qu’au point de vue de sa situation dans le monde, Victor Hugo est le seul qu’on puisse lui comparer. » À ses funérailles, le 29 mars 1923, une foule gigantesque accompagne le cortège funèbre dont les chars tendus de noir, tirés par des chevaux caparaçonnés, traversent Paris jusqu’au Père-Lachaise. L’événement est filmé : c’est saisissant. La « Grande Sarah » avait 79 ans et la République, qui l’a décorée de la Légion d’honneur, lui refuse cependant le Panthéon. Celle pour qui Jean Cocteau invente l’expression « monstre sacré » y aurait pourtant sa place.

Renvoyée du conservatoire

« Quand même », telle est sa devise. Elle en estampille non seulement ses cartes de visite, mais aussi son linge, son papier à lettre, ses meubles, rideaux, vaisselle, et jusqu’à l’oriflamme qui, des années durant, flotte à la brise de Belle-Île, sur le toit du fortin qu’elle a aménagé pour y passer ses étés. Bien du chemin – quand même – pour en arriver là ! Fruit d’une liaison, la future diva est une enfant illégitime. Officier de marine, son géniteur présumé meurt prématurément. Julie, sa mère, surnommée Youle, aventurière juive native d’Amsterdam, est une lorette qui, montée à Paris, s’est enrichie en forniquant : le fortuné duc de Morny, frère adultérin de Napoléon III, compte parmi ses meilleures prises. Mal-aimée, livrée à elle-même, élevée à Auteuil dans l’école privée d’une dame Fessard, Sarah est une adolescente difficile. Deux demi-sœurs, Jeanne et Régina, complètent ce foyer glacial (Régina meurt à 18 ans de tuberculose ; quant à Jeanne, devenue opiomane, elle disparaît à 25 ans).

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En attendant, Morny finance l’éducation de cette demoiselle auréolée de boucles rousses – cours de peinture, de maintien, d’escrime… Son entregent ouvre à Sarah les portes du Conservatoire. Une gifle donnée à une honorable sociétaire provoque son renvoi. Désormais émancipée, Sarah monnaye ses faveurs à l’exemple de sa mère. Dans son Journal, Goncourt flétrit « la putinerie de cette maquerelle » qui « a prostitué toutes ses filles, aussitôt qu’elles ont eu treize ans ». Sarah attend d’en avoir vingt pour donner naissance à Maurice – d’un « père inconnu », en fait un aristo belge. Fils unique, Maurice meurt en 1928, après avoir vécu avec constance aux crochets de sa mère, en panier percé, dans un rapport fusionnel avec elle.

Le goût pour la chair fraïche

Muse vénale, Sarah Bernhardt n’a jamais chassé que le gros gibier : industriels, fils de famille, plénipotentiaires, patrons de presse… Leur nombre impressionne : des acteurs Mounet-Sully à Jean Angelo, Philippe Garnier, Édouard de Max (relation platonique, celle-là, vu les inclinations du monsieur) ; du jeune diplomate Édouard de Langrenée (gentiment appelé, en ville, « le petit chien de Sarah ») au poète Jean Richepin ; du génial illustrateur Gustave Doré au chirurgien lancé Samuel Pozzi, qu’elle baptise « docteur Dieu » ; du critique et auteur dramatique Jules Lemaître à l’adaptateur de Zola pour les planches, William Bushach. Et puis il y a Edmond Rostand, 28 ans, l’auteur de Cyrano, de L’Aiglon, dédié à « sa Reine de l’Attitude » – pas sûr qu’ils aient couché. Chaste chevalier servant, Reynaldo Hahn (l’amant de Proust, lequel Proust immortalise Sarah dans La Recherche, sous les traits de la Berma) lui compose des musiques de scène. De bonne heure, cette « folle » de Montesquiou (modèle du baron de Charlus – toujours Proust) idolâtre Sarah, éprise quant à elle du dandy Charles Haas (le modèle de Swann – encore Proust), avant de convoler en justes noces, en 1882, à Londres, avec le bellâtre grec Aristides Damalas, son cadet de douze ans, impétrant diplomate reconverti en acteur, et qu’on surnomme « Damalas aux camélias » pour ses performances dans Dumas fils. Mariage désastreux : ruiné, drogué, l’épave Damalas coule à pic en 1889, à 32 ans. À l’approche de son 70e anniversaire, Sarah n’a pas perdu le goût de la chair fraîche : elle s’éprend d’un modèle de Rodin, Lou Tellegen, colosse néerlandais de 27 ans, acteur pitoyable auquel elle confie le premier rôle dans plusieurs films muets, en 1912-1913 (La Dame aux camélias, La Reine Élisabeth, Adrienne Lecouvreur)… Tellegen, Damalas en pire, se tranche les veines à 50 ans.

Sarah Benhardt, 1869 © Bridgeman Images

Engagée au Théâtre du Gymnase en 1863, prise à l’essai trois ans plus tard à l’Odéon, Sarah connaît son premier triomphe en 1869 dans un rôle travesti : Le Passant, de François Coppée. Forte de son succès dans Ruy Blas, elle se fait engager, la tête haute, à la Comédie-Française en 1872 ; maison dont, lassée, elle démissionne au bout de huit ans. En 1877, nouveau triomphe dans Hernani, merci Hugo. Le giletier du « drame bourgeois »,Victorien Sardou, lui taille sept pièces sur-mesure – de Fédora à Cléopâtre en passant par La Tosca. Dans les années 1880 commence l’époque des tournées incessantes, des deux Amériques jusqu’en Australie, au point qu’on surnomme « La Muse ferroviaire » cette élégante qui, lorsqu’elle ne vogue pas en cabine de première blasonnée à son chiffre, itinère en Pullman aménagé pour ses aises. Elle fait ainsi trois fois le tour du monde.

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Le début du succès

Follement dispendieuse, Sarah Bernhardt est toujours à court d’argent. À la tête du Théâtre de la Renaissance jusqu’en 1899 puis du Théâtre des Nations, place du Châtelet (actuel Théâtre de la Ville), qu’elle rebaptise à son nom et repeint en jaune « bouton d’or », cette infatigable femme d’affaires dix fois ruinée cumule les emplois : scénographe, décoratrice, meneuse de troupes, programmatrice, impresario… De sa gestuelle étudiée à la luxuriance de ses atours, de l’ameublement de ses résidences successives à sa façon de dire bonjour, Sarah Bernhardt est tout entière en représentation. Son narcissisme intempérant lui ravit le don du naturel.

La Divine a frayé avec (presque) tout ce qui compte dans la République des lettres et de la politique : George Sand, Dumas, Coppée, Flaubert, Banville, Loti, Hugo, jusqu’à Henri Rochefort et Léon Gambetta… Sans compter les peintres, à commencer par Georges Clairin et Louise Abbema, lesquels, dévots parmi les dévots, la portraiturent inlassablement – en témoigne à foison la présente exposition. Elle lance l’affichiste Mucha, pose pour des artistes de renom : Jules Bastien-Lepage, Alfred Stevens, Antonio de La Gandara, Jean-Léon Gérôme (qui nous a laissé d’elle un incroyable marbre polychrome), mais aussi pour de grands photographes : Nadar, Étienne Carjat, Achille Mélandri (cf. le célèbre cliché où elle dort dans un cercueil)… Le studio londonien W. & D. Downey popularise son image outre-Manche et aux États-Unis car Sarah Bernhardt travaille son image « à l’international » en faisant commerce de ses propres produits dérivés (cosmétique, biscuits, sardines, champagne, absinthe…). Elle gère sa légende, scénarise ses frasques et médiatise ses excentricités.

La fascination qu’exercent ses intérieurs auprès du public prolonge celle de ses parures : acheteuse compulsive, on la voit émerger telle une naïade d’un flot de bibeloteries éclectiques, cernée d’une ménagerie naturalisée mais également vivante : bestiaire où se coudoient chauves-souris, tortues, singes, perroquets, caméléons, et jusqu’à ces lionceaux, guépards et alligators qu’elle aime à lâcher au jardin. Sur le tard, sa folie des bêtes se mue en passion pour les algues marines, dont elle fait des bronzes délicieusement barbares : elle est aussi sculpteur.

Sarah Bernhardt déborde de talents – et de courage : patriote et dreyfusarde, la citoyenne organise un hôpital militaire pendant la guerre de 1870. Et en 1914-1918, quoique amputée d’une jambe, elle se produit devant les « poilus ».

Cette femme inouïe a été notre première star.

A voir :
« Sarah Bernhardt : et la femme créa la star ». Petit Palais, Paris, jusqu’au 27 août.

À lire :
Catalogue de l’exposition : Sarah Bernhardt (dir. Stéphanie Cantarutti et Cécilie Champy-Vinas), Paris Musées, 2023.

À lire également :
Claudette Joannis, Sarah Bernhardt (Payot, 2000, réédition 2023) et surtout la neuve et très riche biographie d’Hélène Tierchant,
Sarah Bernhardt : scandaleuse et indomptable (Tallandier, 2023).

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Mais enfin, Maïwenn!

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La réalisatrice et actrice franco-algérienne Maïwenn, photographiée en 2021 à Cannes © LAURENT VU/PARIENTE JEAN-PHILIPPE/SIPA

C’est la starlette dont on va parler cette semaine! Maïwenn fait l’ouverture du festival de Cannes, avec un film dans lequel elle «ose» faire jouer Johnny Depp – malgré les mises en garde néoféministes. Par ailleurs, elle pense qu’Adèle Haenel est un peu con et interprète dans Jeanne du Barry le rôle d’une «courtisane». Enfin, elle a reconnu avoir agressé physiquement le journaliste Edwy Plenel.


Elle est la personnalité du cinéma français dont on parle en ce moment. On ne parle pas ici d’Adèle Haenel, de son caca nerveux et son départ à la retraite, mais de Maïwenn, dont le dernier film Jeanne du Barry ouvrira le prochain festival de Cannes. Par ses dernières prises de position, ses choix d’acteur et même ses coups de griffes administrés à Edwy Plenel dans un restaurant en février dernier, elle est à deux doigts de devenir l’égérie de la droite réactionnaire!

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Un lourd passé de militante décoloniale

Elle revient pourtant de loin. En 2020, elle sortait un film assez navrant, ADN, avec une étrange quête du génome algérien, non sans relents biologiques quelque peu étranges: « Je pense que [l’] engagement [contre le racisme] m’a été transmis par mes ancêtres, qui ont vécu la colonisation ». Depuis, l’actrice et réalisatrice s’est rattrapée. Bien sûr, on ne mettra pas au compte des bonnes actions l’agression d’Edwy Plenel, à coup de tirage de cheveux et de crachats, même si la tentation peut-être grande en présence du patron de Mediapart et son air du type qui vous pique la dernière roue de secours en plein milieu du bush australien. Elle est passée aux aveux, en direct chez Yann Barthès, dans une ambiance de franche rigolade, ce qui a valu une accusation de « complaisance » de la part de Télérama. Fabrice Arfi, la voix de son maître, nous parle carrément de « très mauvais scénario d’une époque ». Quelques semaines après le scandale de la participation d’Hugo Clément au débat de Valeurs actuelles, les médias progressistes semblent se tirer la bourre, et se chercher des poux les uns les autres, c’est à celui qui dérapera le premier.


Concernant l’annonce fracassante de la retraite cinématographique d’Adèle Haenel (celle-ci, additionnée à l’annulation de Stromae et l’arrêt de la matinale de Charline Vanhoenacker, permet d’entrevoir un début de renaissance dans notre pays), Maïwenn n’a pas tout à fait suivi l’enthousiasme de certaines de ses consœurs : « Je trouve ça triste de tenir un discours si radical. Je trouve ça triste pour elle, sur le fait qu’elle voit ce monde-là par ce prisme-là. C’est un peu trop général, un peu trop radical ». En octobre 2020, Maïwenn avait déjà marqué sa divergence avec le féminisme radical d’Adèle Haenel. Enfin, toujours chez Yann Barthès, elle a défendu le choix de faire jouer Johnny Depp dans le rôle de Louis XV, et ce malgré la triste publicité faite par son procès contre Amber Heard. Procès qui nous a permis de ne rien ignorer de ce qui se passait sous les draps, et moins encore, sur les draps.

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« Il a perdu son premier procès, il a gagné le deuxième, c’était parole contre parole, je ne me suis pas sentie de le juger ». Télérama juge bon de nous rappeler que Johnny Depp n’a pas vraiment gagné son procès, « les deux parties ayant été déclarées coupables et condamnées chacune pour diffamation » ; l’acteur a seulement écopé d’une amende moins lourde que son ex-épouse. Le choix de l’acteur est d’autant plus fort qu’il fut fait en janvier 2022, alors que l’issue du procès était loin d’être connue… À l’époque, la frange féministérique des réseaux sociaux s’était étranglée de ce choix.

Une femme dans un milieu d’hommes

Mais alors, où va Maïwenn ? On n’ira pas forcément lui chercher une cohérence idéologique, et on ne lui en demande pas tant. En 2015, elle s’emporte contre ses collègues qui réclament la parité dans les métiers du cinéma. « On fait du tort aux femmes en râlant comme ça. Il y a plus de maquilleuses femmes que d’hommes, et alors ? Qui s’en émeut ? C’est un métier qui fait appel aux hormones masculines [la biologie, encore une fois !], donc il y a tout simplement plus d’hommes réalisateurs, c’est aussi bête que ça ».

Trois ans plus tard, elle signe pourtant la pétition du Collectif 50/50 qui milite pour la parité dans le cinéma. On lui reconnaîtra au moins deux choses : un franc-parler jubilatoire et des derniers coups de gueule salvateurs – mais, par pitié, on ne tire pas les cheveux des vieux messieurs dans les restaurants, même quand ils l’ont un peu mérité !

Une sirène trop voluptueuse

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D.R.

Dans le sud de l’Italie, dans la région des Pouilles et dans une ville nommée Monopoli, une partie de la population semble ne pas avoir apprécié la dernière sculpture d’étudiants en école des arts représentant une sirène. Trop de fesses, trop de seins, trop!


Ah, il est vrai que nous sommes loin de «  la petite sirène » d’Andersen qui inspira une autre statue ; celle que l’on peut voir encore aujourd’hui à Copenhague. Autres temps, autres mœurs ? La sirène n’a jamais cessé d’évoluer. Chez les présocratiques, si mes souvenirs sont bons, ces dames étaient ailées et inspiraient aux hommes capables de les entendre la connaissance suprême. Quand sont-elles exactement tombées dans l’eau ? Je ne saurais le dire. Bien sûr, tout le monde connaît l’aventure d’Ulysse qui boucha les oreilles de ses rameurs avec les boules Quies de l’époque, mais qui, lui, ne résista pas au désir de les entendre tout en prenant soin de ne pas céder à la tentation et, pour ce faire se ficela à son mât.

Il y a quelques années, dans une librairie de Sceaux, la ville bien nommée, je trouvai un livre de Pascal Quignard, intitulé sobrement Boutès. J’ai cru que ce grand écrivain avait inventé ce personnage dont je n’avais jamais entendu parler, puis, je m’aperçus qu’il l’avait, en fait, exhumé. La postérité n’avait donc rien retenu du seul qui avait exécuté le grand saut, et c’est Pascal Quignard qui se chargea de le repêcher.

Il faut voir, du reste, certains tableaux du XIXème siècle qui montrent des marins complètement affolés et reculant d’effroi devant des sirènes échevelées accrochées au bateau. Je les ai toujours trouvés pathétiques et grotesques…

Mais revenons à cette sirène qui fait jaser à défaut de faire chanter pour cause de formes non conformes à la petite fille attendant mélancoliquement sur son rocher. En Italie, elle se trouve, et c’est aussi en Italie, mais plus au sud, en Sicile à vrai dire, que la sirène la plus captivante a été trouvée ; celle que nous devons à Lampédusa:

«  Cette jeune fille, qui devait avoir seize ans, me souriait et ses lèvres pâles, à peine étirées, laissaient entrevoir de petites dents pointues et blanches, pareilles à celles des chiens. Rien de commun cependant avec les sourires que vous échangez, vous autres, toujours abâtardis par une expression accessoire, ironie ou bienveillance, pitié, cruauté ou dieu sait quoi ; ce sourire-là, n’exprimait que lui-même, c’est-à-dire une joie d’exister presque animale, une allégresse quasi divine. »

Je laisse le lecteur découvrir lui-même la suite de cette rencontre fabuleuse qui mènera le futur sénateur, encore jeune à l’époque, à faire le grand plongeon.

En attendant qu’il découvre l’homme qui sauta et la sirène sicilienne, ayons pitié de ceux qui, pourtant Italiens (et ma déception est grande) trouvent à redire aux femmes qui, telle la vague, souvent débordent…


Boutès de P. Quignard, aux éditions Galilée

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Le professeur et la sirène de Lampedusa, collection Points aux éditions du Seuil

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Nous sommes bien trop cléments avec le concours de l’Eurovision!

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Kaarija, le hip hop finlandais, s'est classé second, Liverpool, 13 mai 2023 © Graham Finney/Cover ImagesCOVER/SIPA

Nous nous sommes habitués petit à petit à l’extrême vulgarité de ce show musical annuel, qui oppose des chanteurs de tout le continent. À l’issue de la dernière édition, remportée samedi par la Suédoise Loreen, les commentateurs se demandaient si la représentante de la France avait ou non fait un doigt d’honneur à la caméra après avoir découvert son résultat. Mauvais goût: 12 points! Analyse.


On sait de longue date que l’Eurovision, le concours européen de la chanson, est un rendez-vous annuel du mauvais goût. S’y côtoient souvent une certaine vulgarité esthétique et une pauvreté musicale. D’aucuns soutiennent d’ailleurs que c’est là tout l’intérêt du concours, dont la finale télévisée serait à regarder au second degré pour accéder à la supposée dimension comique du spectacle, ludique et sans prétention. Notre époque étant si hostile à la légèreté, à l’humour et à la joie de vivre, on serait alors tenté d’accorder le bénéfice du doute à ce vieux monument du kitsch télévisuel qu’est la soirée de l’Eurovision. Après tout, une bulle de résistance festive et chaleureuse dans un univers si morose ne peut manquer d’intérêt. Un visionnage du spectacle de samedi soir suffit pourtant à dissiper toute illusion: la mauvaise réputation de l’Eurovision est méritée, voire encore trop clémente. 

Sous-texte féministo-lgbtqiste peu subtil

La chanson et l’interprète choisies pour représenter la France avaient cependant pour elles l’intérêt d’avoir misé sur l’élégance. Un texte soigné en français, un air à la fois classique et moderne, une interprétation maîtrisée inspirée de Piaf, le tout servi par une chanteuse à l’allure très sophistiquée: les agents de France Télévisions qui ont choisi cette prestation pour représenter la France ont opté pour l’affirmation d’une France belle et confiante. Une vidéo de présentation de la candidate, tournée à Fontainebleau, était à ce titre très réussie. Passons sur le sens équivoque des paroles de la chanson: elles ressemblent aux confidences d’une prostituée rêveuse et désabusée (façon « Les hommes qui passent » de Patricia Kaas, elle-même candidate de la France au concours de 2009), mais évoluent ensuite vers une harangue de l’artiste elle-même (« Ai-je réussi à chanter la grande France ? », nous demande-t-elle dans une envolée vocale). L’exégèse des chansons pop est un art périlleux qu’il vaut mieux laisser aux initiés. 

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Outre cette prestation française, il faut d’emblée constater que le reste fut pénible. Mauvais goût et pauvreté artistiques étaient bien là. L’hypothèse du second degré s’est quant à elle vite évaporée: la soif de notoriété des participants et des présentateurs, qui rivalisaient d’artifices et de postures pour s’illustrer à la caméra, donna à voir un spectacle assez laid – et franchement risible – d’orgueil et de fatuité. Le message militant et vindicatif que revêtait la plupart des prestations scéniques, avec un sous-texte féministo-lgbtqistes si peu subtil, doucha tout espoir de passer un moment léger et fédérateur. Enfin, les allusions innombrables au conflit en Ukraine, sans rapport ni propos avec la soirée musicale, cadencées comme le seraient des coupures publicité, étaient d’une lourdeur sans nom. Dans ce temple du narcissisme, les démonstrations de soutien au peuple ukrainien, répétées ad nauseam, manifestaient surtout une prétention morale aussi grotesque qu’indécente. Au lieu de lamentations forcées, la réalité tragique de la guerre appelait plutôt recueillement et retenue.

Uniformisation

Au terme de la soirée, un constat s’impose. L’Eurovision n’est ni une célébration de la chanson, ni une célébration de l’Europe. Plutôt qu’un forum de la diversité et de la créativité musicales européennes, le concours s’avère davantage une vitrine de l’uniformisation anglo-saxonne mâtinée de discours pseudo-engagés et convenus. La plupart des prestations consistent en des morceaux faciles de pop, chantés en anglais. Les prestations sont presque toutes interchangeables. L’influence des codes du divertissement américain y est évidente, avec des mises en scène faussement grandioses, ridiculement grandiloquentes, dans une logique de performance très hollywoodienne. C’est d’ailleurs une sorte de pré-requis tacite du concours: n’ont une chance de gagner que les pays dont la prestation fait le pari clair de l’extravagance. La diversité des styles et des langues européennes ne se manifestent qu’à la marge et sous une forme folklorique. La forme règne sans partage, le fond est dépourvu de propos véritable, de sentiment ou d’émotion authentiques, conséquence logique de l’emploi généralisé d’une langue internationale standardisée et appauvrie. À ce titre, l’acculturation américaine se manifeste aussi dans les paroles et expressions des acteurs de ce spectacle, qu’ils soient participants, présentateurs ou intervenants extérieurs: dans un anglais d’aéroport, les échanges sont ponctués d’expressions faciales exagérées et l’on ne compte plus les « oh my god », « so great » et inévitables « amazing ». 

En bref, le concours de l’Eurovision présente l’image parfaite d’une Europe forcément a-nationale, mais surtout a-culturelle: un élément vide, neutre, indistinct, sans caractère propre, qui ne brille que par réfraction des influences extérieures. Un astre mort.

[VIDEO] Driss Ghali sur la colonisation française: mensonge de gauche et mensonge de droite…

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Entretien avec Driss Ghali, écrivain, conférencier et auteur à Causeur. Il nous présente son dernier livre, Une contre-histoire de la colonisation française (Jean-Cyrille Godefroy éditions).


L’essayiste raconte les faces cachées de la colonisation française d’un point de vue à la fois politique, économique et financier, en dénonçant la désinformation et la pensée unique de la colonisation. Selon lui, les colonisés n’ont pas plus raison de se plaindre de la colonisation que les colonisateurs n’en ont de s’en glorifier.

A lire aussi, Alexis Brunet: La colonisation, histoire d’un échec

Il veut dénoncer la désinformation et la pensée unique de la colonisation. Tout le débat contemporain est caduc et nous empêche d’aller de l’avant.

5 questions à Driss Ghali

Une contre-histoire de la colonisation française

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Démocrature, dictablanda et blablabla?

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Recep Tayyip Erdogan dans un bureau de vote à Istanbul, accompagné de son épouse Emine, 14 mai 2023 © Umit Bektas/AP/SIPA

Avec Cinquante Nuances de dictature, tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs, Renée Fregosi échauffe les esprits et c’est avec froideur qu’elle aborde la brûlante question de l’état actuel du pays : « De là à considérer la démocratie française comme une dictature, il y a de la marge », affirme-t-elle.


« Il arrive que des régimes dictatoriaux s’installent dans des sociétés démocratiques… qui ont posé des principes d’égalité entre leurs membres et de liberté d’individus, mais qui en ont perdu le sens », explique la politologue Renée Fregosi. Nous, Français, spécialistes du créneau, avons-nous développé un tel problème de latéralisation ? 

L’essai fait principalement voyager dans les dictatures de l’ailleurs. Du Venezuela à la Russie, de la Chine à l’Arabie Saoudite, en passant par la Libye et l’Allemagne nazie, toutes les aires géographiques sont passées au peigne fin. Toutes les figures des livres d’Histoire, de Pinochet à Kadhafi, sont convoquées. Et, chiffres à l’appui, sont passés au crible les divers critères de démocratisation. 

Tour du monde des réussites autoritaires

Car le néologisme a été fort utile pour définir le degré plus ou moins marginal de la démocratisation d’un régime. Si l’on est habitué aux « dictablanda » ou encore aux « démocratures », l’Economist Intelligence Unit, elle, identifie les « régimes autoritaires » (35,3 % des pays de la planète), les « régimes hybrides » (20,4 %), les « démocraties pleines » (12,6%) et les « démocraties imparfaites (31,7%). Évidemment, « pleut-il ou ne pleut-il pas » est une question moins épineuse… 

Renée Frégosi © BALTEL/SIPA

« Ne serait-il pas plus clair de parler de « régimes autoritaires imparfaits » ou « plus-que-parfaits » plutôt que de régimes hybrides ? » interroge la philosophe. Pourquoi ne pas alors décréter que les deux totalitarismes, nazisme et communisme, sont des « régimes antérieurs » à ce « totalitarisme du troisième type » comme Frégosi nomme le totalitarisme islamique dans son troisième chapitre ? Parce que l’on passerait à côté des émergences néo-nazies ? Pourtant, selon une autre équipe de chercheurs, qui mesure « la qualité de démocratie de chaque régime, en [l’] évaluant sur une échelle de 0 à 10 », Pologne et Hongrie obtiennent respectivement une note de 6,80 et 6,50. 

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Alors il en est des régimes comme des hommes, ils changent : « Depuis 2016, et sur les cinq années consécutives, le nombre des pays versant dans l’autoritarisme est approximativement trois fois plus haut que celui de ceux qui progressent vers la démocratie. » Et dans ce tour du monde des tentatives et réussites autoritaires, Fregosi fait remarquer que peu de pays seraient, depuis leur création, identifiés comme « démocratie » et félicités d’une bonne note, ainsi pour le Proche-Orient, seul « Israël, avec ses 7,84, se situe depuis sa fondation en 1948 dans le groupe des démocraties ». 

Les Français menacés par leur servitude volontaire

Alors quid de la France promise dès le titre de l’essai ? Paradoxalement, elle apparaît peu, et les définitions liminaires invitent à se demander si l’analyse de Fregosi n’est pas une habile turquerie — ce processus dont les Lumières ont usé et abusé, et grâce auquel une pièce de Voltaire intitulée Mahomet attaquait la religion catholique. Une turquerie dont les analyses révèlent deux lourdes menaces pour la démocratie française : le frérisme et le wokisme.

Quand elle explique : « Les pouvoirs autoritaires fonctionnent toujours selon le principe de l’imposition de certains sur d’autres, et entravent ou interdisent le libre choix de chacun », ne pense-t-on pas à… Et quand on lit que la « dictature politique survient comme la conséquence d’une dégradation de la société qui n’a pas su se prémunir contre, d’une part, l’atomisation, l’égoïsme et la « servitude volontaire », ne penserait-on pas à… ?

La nuance entre les mots ne tient qu’à un fil, et ignorer celui-ci amène à tous les abus. Dictature, totalitarisme, ou fascisme sont autant de gros mots qui ont envahi façon blitzkrieg la basse-cour politique et les réseaux sociaux. Employés comme des étendards, leur prolifération provient du « flou des mots qui embrouille les esprits [et] fait écho au désintérêt pour l’étude des dictatures contemporaines ». Désintérêt d’une part et complaisance de l’autre : « Quant aux pays du Maghreb, du proche et moyen Orient, ils ont été, et pour nombre d’entre eux sont toujours, l’objet d’une complaisance ahurissante de la part des démocraties occidentales. » Ah bon ?

La « fin de l’histoire », pour l’Occident, n’a pas été l’extension d’une démocratie idyllique mais plutôt une déshistorisation des concepts. L’apprentissage, la projection, la réflexion, bref la nuance, sont hors-jeu dès lors que le buzz et le pathos sont autant de moteurs du discours politique. « Car une pensée extrême se fait par l’évacuation de toute autre idée compensatrice, modératrice ou contradictoire avec l’idée première. » Mais il y a bien des sujets de pathos en France, et les régimes peuvent tomber. « Les dictatures comme les démocraties » conclut l’auteur dans Corse Matin (Fregosi est née à Ajaccio), et l’on se demande bien de quel côté va tomber la France. 

Renée Fregosi, Cinquante nuances de dictature : tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs, Editions de l’aube, avril 2023, 191 p.