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Et la neige fut…

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Élisabeth Foch-Eyssette nous emmène dans un voyage mémoriel au pays réel (et fantasmé) des flocons dans un « Guide anachronique de la neige » paru chez Arléa


Au commencement, il y a cette couverture qui apaise et capture l’œil, un paysage enneigé qui exerce une attraction enfantine, un décor japonisant à première vue, un personnage indéfini de dos portant une ombrelle et un chien noir qui lui emboîte le pas sur un chemin tendrement immaculé dans un temps imprécis. Aucun autre indice. Ce pourrait être, il y a cent ans ou hier, dans une montagne d’Asie. Au loin, à peine perceptibles, deux faibles lumières jaunes brillent dans une nuit d’inspiration boréale. Ce tableau de Hasui Kawase datant de 1935 est sobrement intitulé « Neige à Shinkawabata ». Des toits recouverts d’une fine couche blanche et ce poudroiement incessant qui brouille la vision à l’infini et en appelle aux souvenirs. À ce moment-là, excepté le titre Guide anachronique de la neige et le nom de son auteur, vous ne savez rien du contenu de ce livre, et pourtant, sur les tables des libraires, à quelques semaines de Noël, vous savez intimement que vous y trouverez le reflet de vos errances. Dès les premières lignes, votre instinct ne vous a pas trompé. J’ai toujours pensé que ce sont les livres qui convoquent le lecteur et non l’inverse. Élisabeth Foch-Eyssette, voyageuse des cimes et poétesse de l’éphémère, sème sur notre route quelques cristaux de neige, réflexions érudites, sentiments d’instants vécus, elle rembobine notre mémoire à la vue d’un flocon par des descriptions éparses ; tout ce qui ne tient pas, ne dure pas éternellement, elle le saisit à la volée, sans pesanteur. L’arrivée de la neige suspend le temps, ce cadeau venu du ciel, phénomène physique autant qu’onirique, bouscule la vacuité de notre existence. Peut-être, nous ramène-t-il à l’essentiel, à notre perception profonde de la nature ; sans la neige, ce miracle qui a disparu de nos villes et de nos campagnes, nous n’aurions pas conscience de notre matérialité sur cette Terre. Nous sommes à la fois, éblouis, totalement décontenancés et bizarrement heureux, béats comme au premier jour, nus et vigoureux, nimbés d’un bonheur sobre, purificateur, qui ne serait pas soumis à la consommation ou à la raison. La neige nous abandonne à nos rêveries, nous autorise exceptionnellement à laisser divaguer notre esprit, à fouler enfin ce territoire inconnu, à ôter notre gangue et à renaître un peu. En outre, elle produit sur nous d’étranges phénomènes physiologiques ; au contact de notre peau, de notre bouche ou de notre langue, la neige réactive nos émotions les plus basiques, nos sens oubliés, une forme de joie intense et d’introspection qui nous semblait jusqu’alors tellement éloignée de nos préoccupations. La neige laisse sur notre corps et notre âme une empreinte quasi-divine, elle réinitialise nos pensées les plus banales. Elle nous oblige à admettre notre fragilité et à dompter notre besoin d’absolu. Face à elle, nous ne pouvons guère lutter. Dans son guide qui n’a rien d’un bréviaire et ressemble plutôt à un journal désordonné, qui ne suit donc aucune logique didactique et c’est tant mieux, Élisabeth Foch-Eyssette partage son adoration de la neige au travers d’instants anodins, de périples lointains, de lectures, de rencontres, d’illuminations ou de drames. Car « la neige a des pages noires que rien n’efface » lorsqu’elle se transforme en avalanche. Cette accumulation fait œuvre de littérature, n’avoue-t-elle pas « aimer les congères », notamment celles du col du Lautaret ? Quand elle raconte l’irruption de la neige alors que, collégienne, elle doit réciter le songe d’Athalie, elle nous convie aux racines de la Libération. Et son premier thé à la neige conserve le goût d’un paradis perdu. De cette « expérience fondatrice », elle écrit : « Cette douce chaleur dans l’œsophage marque le début d’une kyrielle de thés aux saveurs multiples, bus sous toutes les altitudes, servis dans des tasses ou des verres, voire bus à la gamelle. Mais aucun ne supplante la saveur sentimentale de ce premier thé à la neige. Quant au récipient dans lequel il a infusé : une relique ! ». Son guide a l’effet d’un baume qu’on applique sur les lèvres, il nourrit toutes les sécheresses. On ne guérit jamais vraiment de sa première neige vue et ressentie. On peut se désensibiliser de tout, sauf de cette beauté-là. Un homme qui ne voit pas régulièrement la neige comme la mer, est un être amoindri. La neige nous apprend à croire au merveilleux. Notre propre langue ne nous ment pas : « En français, le mot neige se présente comme l’anagramme du mot génie ».

Guide anachronique de la neige de Élisabeth Foch-Eyssette – Arléa

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La Légion sans fard

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« Au moment même où vous vous engagerez, une partie de vous mourra pour toujours. Si vous n’en êtes pas conscient, il vaut mieux que vous restiez chez Maman », dixit l’ex-légionnaire Danilo Pagliaro.


Sur fond de guerres sanglantes et d’extension de la misère partout sur la planète, la Légion étrangère continue au 21ème siècle de recruter des hommes de bonne volonté victimes des bouleversements géopolitiques, jetés sur le pavé, poussés sur les routes de l’exil et condamnés à l’errance[1]. Mais entre la Légion fantasmée et la réalité de la vie légionnaire, un gouffre béant persiste.  

Il y a une vingtaine d’années, l’auteure Marie Larroumet avait mis en lumière, à travers l’étude de la littérature, de la chanson et du cinéma, le décalage entre d’une part, la manière dont le grand public imagine les légionnaires et d’autre part, la perception que la Légion étrangère, créée par Louis-Philippe en 1831, se fait d’elle-même et donc du profil d’hommes qu’elle recrute[2]. Depuis les années 1920, plus d’une cinquantaine de films et des centaines de livres et d’études lui ont été consacrés, véhiculant principalement l’image de héros mythiques romantiques ou de mercenaires sans foi ni loi. Des films tels que Beau geste (1926), Les Hommes sans nom (1937), Casablanca (1942), Un Taxi pour Tobrouk (1961) ou Dien Bien Phu (1992) de Pierre Schoendoerffer, ont durablement marqué les esprits. Les anciens légionnaires que furent les écrivains Arthur Koestler, Ernst Jünger, Alan Seeger, mais aussi le joailler Fred Samuel, l’écrivain Blaise Cendrars, le cinéaste Frédéric Rossif, le jazzman Cole Porter, le peintre Nicolas de Staël, ou l’homme d’affaires Simon Murray – tous sous-officiers ou militaires du rang – ont contribué à susciter l’admiration du grand public pour la Légion.

La réalité au-delà du mythe

S’il est indéniable que cette fascination a permis à l’institution légionnaire, forte de quelque 9000 hommes, de disposer d’un large vivier de recrues venues des quatre coins du monde (un candidat sur 10 en moyenne est retenu), le revers de la médaille est évidemment l’arrivée massive de candidats dont les attentes sont en complet décalage avec les besoins de cette unité d’élite.

Dans son ouvrage intitulé Ne jamais baisser les bras[3], l’ancien légionnaire Danilo Pagliaro bat en brèche les idées reçues et les clichés amplifiés sur internet et tente de dissuader les candidats inopportuns que sont « les mythomanes et les exaltés » de se présenter aux portes de la Légion. Alors que l’âge moyen des nouvelles recrues de la Légion est de 23 ans, l’auteur s’est engagé tardivement à l’âge de 36 ans. Il y a passé plus de deux décennies. Il distille ses conseils aux potentiels candidats à l’engagement, mais tient à leur enlever toute illusion. Il avertit : « Prenez garde à ces garçons très sportifs mais obsédés par leur petit confort et par l’ordinateur : de grands gamins qui vivent aux frais de papa et maman et qui jouent les matamores dans les forums en discutant avec beaucoup d’aplomb des armes, des techniques militaires, des corps d’élite et qui s’enflamment en pensant à la guerre (…) Méfiez-vous des fanfarons de la tranchée et des poètes du barbelé (…) La guerre, ce n’est pas comme dans les jeux vidéo. C’est surtout une abomination ».

Le visage hideux de la guerre

Car, comme l’écrivait Ernst Junger dans Orages d’acier : « On ne connaît pas un homme avant de l’avoir vu au danger ». L’effroyable réalité des combats, Danilo Pagliaro l’a connue dans les conflits en Bosnie et en Centrafrique. « Le vrai légionnaire sait qu’il devra combattre. Vivre la guerre est terrible, la raconter aussi ». Et le retour en force de la guerre en 2023 sur différents théâtres d’opérations appelle inexorablement à sortir de toute fiction pour faire face à la sordide réalité.

A relire, Elisabeth Lévy: Légion étrangère: le chant d’honneur

« Le vrai légionnaire n’aime pas la guerre », assène-t-il aux rêveurs. « Il combat certes, mais tout simplement parce que c’est son boulot. Celui qui a été vraiment sur un champ de bataille porte au fond de lui le lourd fardeau du deuil. Aucun plaisir à en parler, surtout avec ceux qui n’étaient pas avec lui. La guerre, ce n’est pas un match de foot : pas de commentaires en direct, pas de possibilité de revoir les images au ralenti, pas moyen de revenir en arrière ». Et comme l’exhorte l’article 7 du Code d’honneur du légionnaire : « Au combat tu agis sans passion et sans haine, tu respectes les ennemis vaincus, tu n’abandonnes jamais tes morts, ni tes blessés, ni tes armes ».

C’est ainsi que reviennent à l’esprit les exhortations de l’écrivaine biélorusse Svetlana Alexievitch, récipiendaire du Prix Nobel de littérature en 2015, dans son ouvrage La Guerre n’a pas un visage de femme, à cerner la réalité de la guerre dans toute son horreur et, avant tout, l’omniprésence de la Grande faucheuse et le caractère diabolique des atrocités récurrentes, telles que la torture, le viol, les meurtres d’enfants et même le cannibalisme, en plus du froid ou de la fournaise, de la faim, de l’épouvante, et évidemment, de la douleur sous toutes ses formes (physiologique, psychologique, spirituelle…).

Quel avenir pour la Légion étrangère ?

Pour Danilo Pagliaro, « inutile de se voiler la face : les temps changent. La Légion est en train de changer, l’armée est en train de changer, la société entière est en train de changer… ». Il redoute le laxisme et l’affadissement de l’esprit de corps, comme conséquences de l’individualisme des sociétés occidentales. Sans doute a-t-il raison. Cependant, la principale menace que l’on pourrait entrevoir concernant la disparition de la Légion étrangère nous semble avant tout liée au sort de la France dans l’Union européenne. En effet, au vu des évolutions soudaines et des votes historiques récents et à venir concernant la réforme institutionnelle de l’UE (vote inédit au Parlement européen le 22 novembre 2023; le 1er décembre 2023, vote à l’Assemblée nationale de la première étape du nouveau Traité européen), la transformation de l’UE – non plus en une UE fédérale comme on aurait pu le penser – mais en un véritable État européen centralisé à Bruxelles, avec un noyau de personnalités non élues par les peuples au sein du nouvel Exécutif (gouvernement de l’UE avec un président puissant), aurait des conséquences inédites sur la souveraineté de la France et évidemment sur ses forces armées. Comment imaginer en effet qu’une organisation aussi procédurière et tatillonne que l’UE, capable de légiférer à l’infini sur des détails tels que l’interdiction des boîtes à camembert françaises sous de fallacieux prétextes écologiques, puisse tolérer les particularités juridiques de l’institution légionnaire, au premier rang desquelles la mise sous anonymat (identité déclarée) des légionnaires !? Il me semble que la Légion ne puisse perdurer qu’à condition que la France conserve sa souveraineté…

DR.

Quoi qu’il en soit, « si le citoyen n’est pas capable de relever la tête, avec un sursaut d’orgueil digne de son passé et de ses traditions, nous succomberons. Nos symboles, nos étendards, les souvenirs de nos batailles, des sacrifices consentis et du sang versé, tout cela tombera dans les oubliettes de l’histoire. Et la Légion avec », signale Danilo Pagliaro.

Après la Légion, l’ancien brigadier-chef n’est pas retourné vivre en Italie. Il a entrepris des études de lettres puis d’histoire à l’université d’Avignon, obtenant une licence, puis un master, avant de se lancer dans des études doctorales sur l’histoire de l’architecture navale à Venise. Son livre relatant son expérience personnelle à la Légion est un « page turner » comme disent les Américains : on le dévore d’une seule traite. L’institution légionnaire lui saura peut-être gré d’avoir dissuadé les moins aptes des potentiels candidats à se présenter à ses portes.

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[1] Ana Pouvreau : Le Système Légion – Un modèle d’intégration des jeunes étrangers, Paris, L’Esprit du Livre, 2008.

[2] Marie Larroumet : Mythes et images de la Légion étrangère, Paris, L’Harmattan, 2004.

[3] Danilo Pagliaro : Ne jamais baisser les bras, Paris, Mareuil Editions, 2023.

René Daumal, l’expérience des limites

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René Daumal (1908-1944), poète ardennais méconnu, nous a laissé une œuvre littéraire dérangeante. Valérie Mirarchi nous reparle de ce poète en quête d’Absolu dans son dernier essai.


C’est un poète né en 1908 dans les Ardennes, précisément à Boulzicourt, qui a étudié dans le collège de Charleville, fréquenté également par un certain Arthur Rimbaud. Malgré un destin stellaire semblable à celui de l’auteur des Illuminations, René Daumal ne connut pas la même renommée que celle de son illustre aîné. C’est assez injuste, car son talent est réel, et son expérience intérieure ne manque pas d’audace.

Cauchemars

Après plusieurs portraits originaux consacrés à Françoise Sagan, Romain Gary et Albert Camus, Valérie Mirarchi, docteure en philosophie et agrégée de l’université catholique de Louvain-la-Neuve, signe un essai passionnant sur la vie et l’œuvre de René Daumal, mort à Paris le 21 mai 1944, les poumons rongés par la tuberculose. Le garçon, né dans une famille de sept enfants, d’un père instituteur socialiste, de complexion fragile, est un brillant étudiant au style flamboyant. Dans son Traité des Patagrammes, publié en 1972, chez Gallimard, Daumal évoque l’agitation socialiste qui règne dans sa ville natale : « Je naquis donc sous l’ascendant auditif et social d’une ceinture rouge, comme le halo d’un astre en furie de prolétaire. » Le ton est donné, il ne changera pas. Le jeune homme, très vite, est tourmenté par la pensée de la mort. C’est une idée fixe. Le néant l’angoisse, aucune « consolation tranquillisante », pour reprendre l’expression de Mirarchi, n’est possible. Que faire alors ? La torture métaphysique est intolérable, l’obsession ne cède jamais. Il faut donc expérimenter ce qui, par essence, ne peut l’être. L’œuvre de Daumal, décapante, exubérante, unique, part de cette source noire. Mirarchi cite l’écrivain : « Un jour, je décidai pourtant d’affronter le problème de la mort elle-même ; je mettrais mon corps dans un état aussi voisin que possible de la mort physiologique, mais en employant toute mon attention à rester éveillé et à enregistrer tout ce qui se présenterait à moi. » Tout ceux que la littérature de l’expérience des limites fascine, devraient lire Daumal. Ils comprendraient que les mots sont « trop mous ou trop rigides » ; ils sont les poux dans la chevelure de Samson ; il convient de les « secouer » pour créer un agencement nouveau qui ouvre sur l’inconnu. Les nuits de Daumal, insistons, sont cauchemardesques. Il consigne : « Mes nuits seules sont bien remplies : de lourds cauchemars de suie et de glaise, d’averses de draps visqueux et de légers cadavres. » L’expérience de la mort imminente débouche sur l’existence de l’autre monde. Son témoignage est saisissant. Toute l’écriture s’en trouve alors bouleversée. Le pâle copiste de la réalité – souvent de ses propres faits divers – fuira en courant, et c’est tant mieux.

A lire ensuite: Emmanuel Le Roy Ladurie, mémorialiste des paysans de France

Passage secret

Valérie Mirarchi raconte avec précision à la fois l’itinéraire et l’élaboration de l’œuvre de Daumal que je vous laisse découvrir. Tout y est, le dépassement des limites, les jeux surréalistes, les prises de stupéfiants, les ambitions radicales notamment avec l’entreprise audacieuse du groupe, « le Grand jeu », et de sa revue éponyme. Elle n’oublie pas de commenter sa poésie, Le contre-ciel (1936), son premier roman, La Grande Beuverie (1939) et surtout le roman, hélas inachevé, Le Mont Analogue, publié à titre posthume en 1952, chez Gallimard, et réédité en 2020 aux Éditions Allia. Celui-là, il ne faut pas le louper, et le commander immédiatement. Daumal nous dit qu’il y a, entre la terre et le ciel, une montagne énorme, à la fois visible et invisible : le Mont Analogue. C’est là, affirme-t-il, que se tient un passage secret qui débouche sur la source foisonnante de la création.

Antonin Artaud, André Dhôtel, Jean Follain, Adonis, Henri Michaux ou encore Hubert Haddad ont été influencés par le dessein ésotérique de Daumal. Laissons-lui le dernier mot :

« Je suis mort parce que je n’ai pas le désir,
Je n’ai pas le désir parce que je crois posséder,
Je crois posséder parce que je n’essaye pas de donner ;
Essayant de donner, on voit qu’on n’a rien,
Voyant qu’on n’a rien, on essaye de se donner,
Essayant de se donner, on voit qu’on n’est rien,
Voyant qu’on n’est rien, on désire devenir,
Désirant devenir, on vit. »

Valérie Mirarchi, René Daumal ou la course à l’Absolu, préface de Xavier Dandoy de Casabianca, Éditions universitaires de Dijon, Collection Essais.

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Verdict du premier procès Paty: «Une double voire une triple peine pour la famille»

Le procès à huis clos des six anciens collégiens jugés pour leur implication dans l’assassinat en 2020 du professeur Samuel Paty par un islamiste vient de s’achever au tribunal de Paris.


Les jeunes gens ont été condamnés à des sanctions allant de 14 mois de prison avec sursis à six mois de prison ferme (cette dernière peine étant aménagée sous bracelet électronique). Le verdict a été critiqué par les avocats des proches de Samuel Paty, qui s’estiment déçus par une décision selon eux « pas à la hauteur du drame » et envoyant « un mauvais signal ». Auteur du livre le plus complet sur l’affaire (Les Derniers Jours de Samuel Paty, Plon), Stéphane Simon apporte son éclairage sur le procès.


Causeur. Comprenez-vous la colère des avocats des proches de Samuel Paty ?

Stéphane Simon.
Je la comprends parfaitement. Deux ans d’enquête ont permis d’établir la responsabilité écrasante de ceux qui, à la sortie du collège du Bois-d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine, ont désigné Samuel Paty au tueur Abdoullakh Anzorov. Il y a eu des aveux clairs de la part de certains, voire des regrets. Mais chez certains seulement ! Au regard des responsabilités, les jugements prononcés sont un peu uniformes et légers. On peut être étonné que la jeune fille dont les mensonges sont à l’origine de toute l’affaire n’ait pas écopé d’une peine plus sévère. Il faut dire qu’elle n’était mise en examen que pour « dénonciation calomnieuse »… Sans doute la Justice a-t-elle voulu donner une deuxième chance à ces six élèves, plutôt que de faire un exemple pour tous les élèves de France.

Ce procès vous a-t-il donné la possibilité de récolter de nouveaux faits, de nouvelles pièces au puzzle ?

Je ne peux entrer dans les détails, le procès s’étant tenu à huis clos, car il s’agissait de juger des personnes mineures. Néanmoins je peux vous dire qu’il y a eu des surprises. Dont une bonne du côté d’un des élèves, qui a reconnu tous les faits, parmi lesquels sa connaissance de l’intention criminelle qui était celle d’Anzorov. Cet élève a exprimé des excuses, qui ont ému la famille. Les juges en ont certainement tenu compte. D’autres condamnés semblent en revanche toujours convaincus de la thèse absurde selon laquelle Samuel Paty était islamophobe. Thèse relayée par leurs avocats, ce qui équivaut à une double voire une triple peine pour la famille de Samuel Paty.

A lire aussi: IFOP: 31% des jeunes musulmans scolarisés n’arrivent pas à désapprouver totalement l’attentat d’Arras

Quelles sont les prochaines échéances judiciaires dans ce dossier ? Qu’en attendez-vous ?

Le prochain procès sera celui des huit adultes, dont ceux qui ont permis à Anzarov de se procurer des armes, ceux qui l’ont assisté dans son projet, et ceux qui ont appelé à la haine contre Samuel Paty sur les réseaux sociaux et livré son nom aux chiens. Ce procès se déroulera à partir du 12 novembre 2024. Les débats seront publics et cette fois on verra tous les engrenages qui ont rendu possible cette tragédie. On verra mieux qui a agi pour que le lynchage de Samuel Paty ait lieu : ceux qui lui ont mis une cible sur le front, mais aussi ceux qui se sont rendus complices par leur inaction. Et puis il y aura d’autres rendez-vous judiciaires. Au pénal peut-être encore, mais au tribunal administratif sûrement. Car de nombreuses actions sont en cours. On n’a pas fini d’entendre parler dans les prétoires de l’assassinat de Samuel Paty et c’est heureux, car je suis de ceux qui attendent qu’une catharsis se produise dans notre société ayant pour effet de mieux protéger les professeurs et les élèves, en dissuadant l’islamisme de porter son fer dans l’enceinte de nos écoles. Sans cela, nos professeurs seront toujours plus tentés de renoncer à enseigner les heures sombres de notre histoire, comme la Shoah, ou à raconter les fondements de notre société tels que la liberté d’expression et la nécessaire laïcité à l’école. Sans cela, il y a aura toujours plus d’islamisme sans gêne à l’école, et d’autres crimes, comme on l’a vu avec Dominique Bernard, assassiné à Arras en octobre dernier. Prophétique, Samuel Paty avait espéré que sa mort un jour puisse servir à quelque chose. Rendons-lui collectivement cette justice !

Terre de Feu

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Felipe Galvez nous propose une relecture acerbe de l’histoire du Chili


Vous accroche immédiatement la bande-son : une musique extraordinaire de percussions sauvages, débridées, qui résonnent comme autant de coups de fouets : la partition est signée Harry Allouche, un compositeur également pianiste qui accompagne régulièrement en live les films muets projetés à la Cinémathèque française ou à la Fondation Jérôme Seydoux Pathé, avenue des Gobelins, à Paris. Premier long métrage de Felipe Galvez, quarante ans, cinéaste chilien implanté à Paris, Les Colons distillera d’autres superbes morceaux choraux en guise d’illustration de cet étrange road movie situé en Terre de Feu, au tournant du XIXème siècle.

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Dans cet extrême sud du Chili, José Menendez, grand propriétaire terrien espagnol, envoie Mac Lennon un lieutenant anglais, Bill un mercenaire yankee, deux hommes sans foi ni loi, secondés par un jeune métis mapuche et espagnol, Segundo, pour délimiter l’étendue de ses nouvelles possessions. L’expédition prend un tour « punitif » avec le massacre des Selk’namm, ces tribus indigènes qu’on appelle aussi les Onas.  Sept années passent. La fortune de Menendez a prospéré. Vicuña, émissaire onctueux et cynique du président de la République, avalise la mainmise des colons sur un territoire dont un certain Moreno est par ailleurs chargé de fixer le tracé de la frontière qui sépare le Chili de l’Argentine. Segundo, rongé par la culpabilité, s’est marié avec une survivante de la tuerie. Il vit avec elle dans une petite ferme, où Vicuña, flanqué d’un opérateur de cinéma, viendra les filmer, costumés tous deux pour l’Histoire officielle : naissance d’une nation…

© Quijote Films

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Divisé en chapitres titrés à la manière d’un feuilleton, épousant un format carré « à l’ancienne », Les Colons fait donc retour sur un aspect supposément expurgé de l’historiographie : le sacrifice des Indiens autochtones sur l’autel de ces conquistadors des temps modernes. En cela le film se veut une relecture acerbe de l’histoire du Chili. Mais, drapé dans son manteau éthique, Les Colons, à son tour, n’est-il pas une autre mise en scène de l’Histoire, a posteriori, au prisme du cinéma ? Éternelle mise en abyme ! Film de fiction, ce document à charge n’en est pas moins, par sa forme singulière et sa puissance d’évocation, comme on dit : de la belle ouvrage.

Les Colons. Film de Felipe Galvez. Chili, Argentine, France, Taiwan, Royaume-Uni, Danemark, Suède, Allemagne, couleur, 2023. Durée : 1h37. En salles le 20 décembre 2023

La Miss et le dictateur

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Dans le Nicaragua de Daniel Ortega, manifester et brandir le drapeau national en public est interdit et passible de prison depuis 2018. 


Couronnée Miss Univers 2023, Sheynnis Palacios, originaire du Nicaragua, est devenue malgré elle un emblème de résistance face au régime autoritaire du président Daniel Ortega. Ce dernier entend pourtant doucher tout enthousiasme en faveur de cette étudiante de 23 ans dont il fait peu de cas.

Le 18 novembre 2023, Sheynnis Palacios a remporté le titre de Miss Univers. À l’annonce de sa victoire, ses compatriotes ont bravé l’interdiction de manifester, imposée par le gouvernement depuis cinq ans. Les rues principales de Managua, la capitale de cette république sud-américaine, ont été rapidement envahies par des centaines de personnes dansant et klaxonnant, arborant le drapeau national devenu emblématique de l’opposition au régime autoritaire de Daniel Ortega (en fonction entre 1979 et 1990, puis revenu à la tête de l’État en 2007). Ce même régime qui, par le simple port de ce symbole, peut vous conduire rapidement à une incarcération sans espoir de libération immédiate.

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L’épouse du dictateur, vice-présidente, jalouse?

La maire de la capitale, Reyna Rueda, et le vice-maire, Enrique Armas, ont présenté leurs félicitations à la famille de Palacios en lui offrant des bouquets aux couleurs rouge et noir, du parti sandiniste. Le lendemain de cette visite, le gouvernement a émis une déclaration officielle, bien que non signée par Daniel Ortega ou son épouse, la vice-présidente Rosario Murillo, dans laquelle il affirmait « se joindre à la juste joie de Sheynnis, de sa famille et de notre peuple (…) ». Un communiqué qui semblait pourtant vouloir dissimuler l’embarras dans lequel le gouvernement s’est trouvé avec la victoire inattendue de Sheynnis Palacios. Quelques jours auparavant, lors d’une émission diffusée à l’échelle nationale, la future Miss Univers avait été vivement moquée par des journalistes qui ne pariaient pas un cordoba d’or sur son succès. Les commentateurs n’avaient pas hésité à la surnommer « Miss buñuelos », en référence à un dessert frit au manioc agrémenté de fromage blanc et de miel, que la lauréate vendait dans la rue pour financer ses études.

Le président du Nicaragua Daniel Ortega et la vice-présidente Rosario Murillo, Managua, janvier 2022 © CHINE NOUVELLE/SIPA

Sylvie Tellier et Madame de Fontenay peuvent aller se rhabiller

L’euphorie nationale a de toute façon été de courte durée, et l’enthousiasme rapidement éteint par les autorités. Trois jours après la victoire, la vice-présidente Murillo a dénoncé ceux qu’elle soupçonne de « glorifier la plus belle femme de la planète » à des fins politiques, pointant du doigt ses opposants (qu’elle avait qualifiés de « terroristes » lors des émeutes violemment réprimées en 2018), les accusant de fomenter un coup d’État. En réponse à ces manifestations, le gouvernement a simultanément interdit à deux artistes de créer une fresque murale en hommage à la nouvelle Miss Univers. La directrice du concours Miss Nicaragua, Karen Celebertti, s’est elle-même vue refuser l’entrée dans le pays, soupçonnée par la police d’avoir « intentionnellement truqué les concours pour permettre aux reines de beauté opposées au gouvernement de remporter les compétitions ». Son mari, Martín Argüello, et leur fils, Bernardo, ont été immédiatement emprisonnés, pour complot et trahison. Pour les opposants, cette décision ressemble plus à une tentative du couple présidentiel de reprendre le contrôle du concours, avec l’intention présumée de le remettre à leur belle-fille, Xiomara Blandino, ancienne Miss Nicaragua de 2007 et critique sévère de la gestion des Miss par Karen Celebertti.

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Loin de cette « drama » ubuesque, Sheynnis Palacios s’est installée à New York pour un séjour d’un an comme son contrat le lui impose. Elle n’envisage pas de retour au Nicaragua, d’autant que celui-ci semble dès plus incertains en raison des menaces qui pèsent sur sa couronne. D’autant que la jeune fille de 23 ans est effectivement connue pour son opposition publique au pouvoir actuel. Depuis qu’elle a décroché la couronne de Miss Univers au Salvador le 18 novembre, des photos de la bomba latina brandissant un drapeau nicaraguayen dans des manifestations antigouvernementales ont en effet refait surface…

Une rave de cauchemar

Gal Levy est un miraculé. Il dansait au Festival de Reïm, le 7 octobre, quand les tueurs du Hamas lui ont tiré dessus. Blessé, il est resté caché des heures durant. Nous l’avons rencontré à l’hôpital Sheba de Ramat Gan.


Il revenait d’Amérique du Sud où il avait passé quelques semaines après l’armée. Le pire qui pouvait arriver, pensait-il, c’était une rave party qui tourne au mauvais trip sous acide. Mais c’est la mort et la terreur qui se sont invitées au petit matin du samedi 7 octobre, au Festival de Reïm. J’ai rencontré Gal Levy au cours d’un voyage organisé par le KKL pour permettre à des journalistes de comprendre et de témoigner sur cette journée de barbarie antijuive.

C’est à l’hôpital Sheba, à Ramat Gan, où il est toujours soigné pour ses blessures, que Gal, 24 ans, nous a raconté cette matinée de terreur, la pluie de roquettes, l’assaut du Hamas et la fuite éperdue vers un abri de fortune.

À la bordée d’un bois, il est touché à la jambe par une balle. Il trouve refuge dans une construction sommaire mise en place par l’organisation du festival pour la vente des places de concert. Couché avec d’autres inconnus, dans les cris, la peur et les coups de feu, il se fait un garrot pour sauver sa jambe et sa vie.

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Un terroriste pénètre alors dans l’abri et vole montres, argent et portables.

Par miracle le tueur ne revient pas. Dans l’après-midi, Gal et les autres sont délivrés par Tsahal. Mais près de 200 jeunes ont été massacrés, dont deux de ses amis. Aujourd’hui, il se protège en se tenant loin des informations. Nous reprendrons bientôt de ses nouvelles.

Avant que son téléphone soit volé, il a échangé des messages avec un ami. Il nous a autorisés à les reproduire.

« Où es-tu ? »
« À l’entrée. Là où on distribue les bracelets. On m’a tiré dessus. Je perds du sang. J’ai un trou dans la jambe. J’ai été touché par une balle. »
« Fais un garrot. »
Gal envoie une photo de sa jambe.
« Plus fort. Tourne avec un bâton. »
« C’est fait »
« Il faut presser fort. »
« Je suis en vie. Mais ils tirent tout près. J’ai vraiment peur. J’ai besoin d’aide. »
« J’ai envoyé ta position à mon père, il s’en occupe, reste avec moi s’il te plaît. Sois fort. »
« Nous sommes à l’entrée, 5 personnes. On a besoin d’aide. Il y a un terroriste à 5 mètres de moi. Je ne peux pas répondre au téléphone. »

Aujourd’hui, Gal se protège en se tenant loin des informations. Nous reprendrons bientôt de ses nouvelles.

Se tenir à côté des Juifs de France ne nécessitait pas de porter atteinte à la laïcité

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Faire allumer par le grand rabbin de France la première bougie de Hanouka dans la cour de l’Élysée. Le symbole se voulait fort. D’autant plus marquant qu’il était destiné à faire oublier le refus d’Emmanuel Macron de participer à la grande marche contre l’antisémitisme, alors que les Juifs subissaient un niveau d’attaques sans précédent. Le problème est que le geste piétine la laïcité sans répondre à la réalité des discriminations et des violences que subissent les Juifs en France. Plutôt que maudire l’obscurité, il vaut mieux allumer une bougie, nul ne saurait être contre. Mais quand on est au pouvoir, les bougies qui font reculer l’obscurantisme sont les actes que l’on pose. Et en la matière, comme dans beaucoup d’autres, la politique d’Emmanuel Macron est illisible.


Dans un contexte de montée de l’antisémitisme, que le président choisisse un symbole fort pour montrer à quel point les Français de confession juive sont chers à la France, était nécessaire et important. Le contexte politique l’exige. Déjà par le passé, les juifs qui ne représentent que 0,6% des Français, étaient les plus attaqués pour des motifs religieux. En année standard, si l’on ose dire, ils subissent environ 500 actes antireligieux par an, quand ceux-ci sont évalués à 1000 environ pour les chrétiens et 170 pour les musulmans. Par an. Mais depuis le 7 octobre, en deux mois environ c’est plus de 1500 actes anti-juifs qui ont été recensés.

L’explosion de l’antisémitisme liée au massacre perpétré par le Hamas

Et ce qui a boosté l’explosion de l’antisémitisme est le massacre atroce perpétré par le Hamas en Israël. Un crime contre l’humanité qui a vu des terroristes surarmés décapiter des bébés, brûler vifs des enfants, violer les femmes, abattre les hommes, torturer des familles entières, profaner des cadavres. Le Hamas s’est comporté en Israël comme les héritiers des nazis et au lieu de susciter l’horreur, cela a abouti à une décompensation antisémite sur notre sol. Une décompensation qui ne concerne pas tout le monde. La violence à l’égard des Juifs et des occidentaux plus largement est relayée à la fois par l’extrême gauche et les islamistes. Mais les Français dans leur ensemble ont compris le message : « après le samedi vient le dimanche ». Ils ont compris qu’ils avaient sur leur sol aussi des rejetons du Hamas. Ils ont payé le prix du sang pour le savoir : la violence islamiste tue chez nous, années après années, et nul n’est à l’abri.

Le résultat du travail de l’islam politique sur la communauté musulmane en France

L’explosion de l’antisémitisme lié à l’importation du conflit israëlo-palestinien témoigne du poids de l’islam politique dans la communauté musulmane. Ce travail de réislamisation à mettre au crédit des frères musulmans, se double d’un rejet de l’appartenance à la France et d’un refus de l’intégration. Et il ne concerne pas, hélas, qu’une infime minorité de musulmans. Une étude IFOP et Elmaniya.tv montre que ceux-ci jugent que la laïcité est discriminatoire envers les Musulmans (78%), 65% sont pour le port du voile et il y a un vrai décalage entre cette population et le reste des Français : 50% des Musulmans font primer la religion sur les enseignements de l’école (les élèves devraient pouvoir refuser les cours qui heurtent leurs convictions religieuses) et ils sont trois fois plus nombreux (16% contre 5%) à ne pas condamner totalement l’assassinat du professeur de Français à Arras. Un chiffre qui monte à 31% dans la jeunesse musulmane[1].

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Ce sondage tord le cou au discours politique sur « l’infime minorité » de musulmans en rupture avec les valeurs de la République. Il témoigne surtout du fait que le travail politique effectué sur cette population par les islamistes fonctionne et qu’il est temps que la République réagisse fermement.

La laïcité maltraitée

Que le président de la République veuille dans ce cadre se tenir aux côtés des Juifs de France a du sens, la question est : était-ce la bonne façon de faire ?

Dans une société fracturée comme la nôtre, où les questions religieuses, instrumentalisées notamment par l’islam politique, prennent une importance mortifère, comment vont réagir les représentants des autres religions à qui on oppose la laïcité pour expliquer que les symboles religieux n’ont pas leur place au sein de la République quand le président en installe un dans la cour de l’Elysée ? Comment comprendre la ligne politique d’un homme qui refuse de participer à une marche contre l’antisémitisme, car il craint de froisser la communauté musulmane en France, et qui dans le même temps fait allumer la première bougie de Hanouka à l’Élysée par le grand rabbin de France ? Quelle est la prochaine étape ? Si une mosquée se fait attaquer ou une femme voilée, bousculer, il fera quoi notre président ? Sacrifier un mouton pour l’Aïd dans le jardin de l’Élysée ?

« L’Élysée, ce n’est pas l’endroit où allumer une bougie. J’ai été surpris. Je me demande pourquoi Macron l’a fait, ce n’est pas son rôle » regrettait ce matin Yonathan Arfi, le président du Crif, au micro de Jean-Jacques Bourdin.

Cette erreur commise est d’autant plus agaçante, qu’une fois de plus, obsédé par son image, le président n’a pas réfléchi aux conséquences de ses actes. S’il veut envoyer un signal fort à la communauté juive, alors il peut faire afficher le visage de tous nos concitoyens massacrés le 7 octobre en Israël par le Hamas. Il peut afficher en grand sur nos édifices publics le visage des otages encore détenus à Gaza, exiger du service public audiovisuel qu’il ouvre les journaux en rappelant que certains des nôtres sont aux mains des terroristes islamistes.

Un énième pétard symbolique mouillé

Mais ce n’est pas ce qu’il a fait. Il a au contraire donné l’impression que la religion juive bénéficiait d’un privilège. Exactement… ce que met en scène le discours antisémite. Tout comme les victimes d’attentats méritent mieux que des nounours et des bougies de la part de leurs gouvernements, même déposés sous forme de paroles martiales désincarnées et de compassion larmoyante, les Juifs de France méritent mieux que des symboles qui peuvent encore se retourner à terme contre eux.

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On est une fois de plus devant le énième pétard symbolique mouillé de cette présidence chaotique. Si le gouvernement veut vraiment agir contre l’antisémitisme, il va lui falloir arrêter de se payer de mots et assumer le réel. Si l’on ne pose pas un diagnostic sur le fait qu’aujourd’hui, l’explosion de violence antisémite est majoritairement liée à un travail de radicalisation politique qu’organisent chez nous l’extrême-gauche et l’islamisme, alors on ne pourra agir. Si on utilise l’ultra-droite pour éviter d’affronter l’antisémitisme arabo-musulman, alors la condition des Juifs en France continuera de se dégrader. Pour combattre concrètement l’antisémitisme, il faut dire comment il se manifeste : militantisme sur le voile, prosélytisme religieux, refus d’intégration, détestation de la France vue comme esclavagiste et colonialiste, justification de la violence politique, importation du conflit israélo-palestinien idéalisé de façon messianique…


Un déni destiné à masquer l’impuissance

Or le gouvernement n’ignore pas ces réalités, mais s’il ne les affronte pas c’est que son déni lui sert à masquer son sentiment d’impuissance. Ces gens veulent réellement bien faire, mais ils pensent qu’ils ont déjà perdu le contrôle, que leur pouvoir est faible et que trop d’autorité ferait éclater une société déjà fracturée. Ils essaient juste de gagner du temps. Ils pallient l’impuissance par des mots et des images. Mais la réalité les rattrape et ils ne comprennent pas les symboles qu’ils manipulent. De ce fait ils échouent à en faire des repères, des représentations communes des idéaux. Nous en arrivons à être incapables de combattre le voile alors que notre modèle de société démocratique est basé sur l’égalité des droits des êtres humains au-delà du sexe, de la « race », de la philosophie, de la religion. Cet idéal est beau et exigeant et nous en arrivons à être mis en accusation au nom de la liberté religieuse de porter un signe qui refuse aux femmes l’égalité en droit. Ce refus de se plier à la loi commune au nom d’un particularisme religieux n’est simplement pas acceptable eu égard aux fondamentaux de notre contrat social.

Notre modèle de société n’est pas parfait ? Notre histoire a sa part d’ombre ? Certes. Mais quel est le modèle de société des islamistes, de l’extrême-gauche ? Daesh ? L’Iran ? La Terreur ? Que font-ils concrètement des libertés individuelles ? de l’égalité en droit ? Il est temps de nommer l’idéologie qui nous attaque et de la désigner comme à la racine de trop de nos difficultés. Ce combat est politique, judiciaire, policier, éducatif, culturel. Surtout culturel. Il commence par poser des mots. Pas pour faire joli. Pour reconnaitre le réel. Ce serait déjà un grand pas. Avec Elisabeth Borne et son « sentiment d’insécurité »[2] on peut douter que ce gouvernement soit en capacité de le faire.

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[1] https://www.causeur.fr/ifop-dans-nos-ecoles-31-des-jeunes-musulmans-scolarises-narrivent-pas-a-desapprouver-totalement-lattentat-darras-271304

[2] https://www.causeur.fr/elisabeth-borne-la-premiere-ministre-nest-pas-a-la-hauteur-271283

La vie quotidienne à Prague au temps de la Shoah

Dans son roman Vivre avec une étoile, l’écrivain tchèque et juif Jiří Weil relate la période de sa vie durant laquelle il fut plongé dans la clandestinité.


L’écrivain Jiří Weil (1900-1959) fut confronté, sa vie durant, à la situation chaotique de son pays, l’ancienne Tchécoslovaquie, placée au cœur d’une Europe à feu et à sang. Dans les années 20, il est étudiant à Prague et fait une thèse sur Gogol. Membre du PC, il vit de travaux journalistiques et de traductions de textes marxistes-léninistes. Il traduit aussi de la poésie. Il subit le contrecoup des purges staliniennes, en 1935, date à laquelle il est exclu du Parti et envoyé dans un camp de rééducation. Quand il revient à Prague, il publie un témoignage fracassant, De Moscou à la frontière (1937), dans lequel il dénonce le totalitarisme soviétique. Lorsque les nazis envahiront son pays, en 1939, sa situation deviendra intenable, d’abord en tant que communiste, mais surtout en tant que Juif. L’énergie qu’il n’avait pas mise à fuir l’Europe de Hitler, il la mettra à survivre au quotidien dans une Prague exsangue. En 1942, sur le point d’être déporté à Auschwitz, il parvient miraculeusement à faire croire qu’il s’est suicidé. Cette invention, digne d’une fiction romanesque, lui sauvera la vie. Il survivra jusqu’à la fin de la guerre dans la clandestinité, et c’est cette période de sa vie qu’il relate dans ce livre, son plus fameux, Vivre avec une étoile, publié en 1949.

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Dans la lignée d’un Kafka

Ce roman de Jiří Weil fut remarqué et soutenu par la suite par de célèbres auteurs, comme Harold Pinter ou Philip Roth. On connaît la passion de ce dernier pour la ville de Prague et ses habitants, et en particulier pour ses écrivains. Pour Philip Roth, de même que pour Jiří Weil, la référence presque absolue en littérature, c’est Kafka. Roth a vu en Weil un héritier du Procès. Dans son intéressante préface au roman de son confrère, Roth insiste sur « le ton neutre dont se servait Weil pour communiquer sa haine des nazis et sa pitié envers leurs victimes ». C’est ce style kafkaïen que Weil va utiliser, de manière très inspirée, pour raconter la Shoah à Prague – pas encore la Shoah des camps, celle d’Auschwitz, mais la Shoah en amont, celle de la longue traque des Juifs dans la ville, le piège implacable qui se referme sur eux. De tous ces Juifs, en cavale dans leurs propres quartiers, bien peu réussiront à avoir la vie sauve, comme on sait.

Rejeté de toutes parts

Jiří Weil décrit la longue descente aux enfers de son personnage principal, Josef Roubíček, ancien employé de banque, possédant pour tout logement un trou à rat humide et glacial. Il n’a presque plus d’argent pour s’acheter de la nourriture. Au début du roman, il est seul et sans amis : « je ne recevais aucune aide de personne », confie-t-il. Il était amoureux d’une certaine Růžena, mais elle a réussi à s’exiler. Il lui parle quand même, dans le vide, comme si elle venait toujours le voir, il se raccroche au souvenir de cette silhouette évanouie. C’est tout ce qui lui reste, en réalité.

« On m’a chassé de partout, je ne peux plus partir nulle part. On veut me prendre cette chambre nue aussi, dans laquelle il pleut. » Il ne se fait plus d’illusions : « On va m’expédier vers une terre étrangère et là-bas, peut-être, on me tuera. Je ne crois pas qu’on me permettra de vivre. » Ses voisins à l’affût convoitent son misérable logis. Une femme lui dit : « votre baraque nous irait ». On a déjà entériné sa disparition définitive. L’étoile jaune qu’il doit coudre sur son vêtement, à la place du cœur, en est la préfiguration évidente.

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Solidarité et perspective de la déportation

Au fil du récit, Roubíček finit par rencontrer des personnages un peu plus bienveillants, qui lui apportent quelque secours matériel (de la nourriture), et du réconfort moral. Il se lie avec un ouvrier, Josef Materna, adepte de la solidarité entre travailleurs. Il revoit par hasard d’anciens amis juifs, qui se préparent à la déportation. Celle-ci se profile à l’horizon. Tous en parlent, ne sachant cependant pas exactement ce que cela signifiera pour eux. Ce sont en général juste des propos plus ou moins vagues : « Comme du bétail, explique quelqu’un qui croit être dans le secret. Ils les collent dans des wagons et les emmènent à l’est. Ils disent qu’on les évacue pour aller travailler. Mais ils prennent les vieux, les femmes, les enfants… » Jiří Weil évite de bout en bout les mots Juifs ou nazis, préférant rester dans le flou, et donnant ainsi à son récit une portée encore plus dramatique et plus universelle.

Dans Le Procès, Kafka employait pour ainsi dire le même procédé, poussé à l’extrême, n’indiquant ni le lieu ni le temps, ni rien de tangible, qui aurait pu sans doute rassurer le lecteur en lui suggérant que cela se passait ailleurs très loin. La prophétie de Kafka était déjà terrible. La description apocalyptique de Jiří Weil ne l’est pas moins. Il trace, au jour le jour, le sombre et réaliste tableau de cette fin du monde, de ce règne de la mort arrivant pour tout anéantir de la civilisation. Vivre avec une étoile est un roman essentiel pour comprendre ce qui s’est passé dans l’homme à cette époque encore récente. Cette intraitable leçon d’histoire nous concerne tous.


Jiří Weil, Vivre avec une étoile. Traduit du tchèque par Xavier Galmiche. Préface de Philip Roth. Éd. Denoël.

Le Procès

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Les chiens assaillent Depardieu, joyeux hallali!

Notre Gégé national est sous le feu des critiques, après la diffusion par France 2 de séquences filmées en Corée du Nord durant lesquelles l’acteur se montre assez odieusement grivois.


La soirée de chasse à mort commence par un “teasing” sur BFM TV, sur lequel je tombe par hasard pendant que ma chaîne favorite distille de la publicité racisée. Un certain Waleckx fait de la réclame pour son Complément d’enquête qui passera le soir même sur Antenne 2 à 23 heures. L’homme explique avec un sourire gourmand qu’il a récupéré le plus légalement du monde les rushes d’un film documentaire sur le voyage en Corée du Nord de Gérard Depardieu et Yann Moix. Ce film contient des images insoutenables prouvant que le vieil acteur est un des pires agresseurs et violeurs de femmes de notre époque, les soldats russes de Butcha et les terroristes du Hamas coupeurs de seins et extracteurs de fœtus à coups de couteau dans le ventre de leurs mères vont passer pour des garnements malpolis. Le jeune Waleckx a rapproché ces horreurs des accusations portées contre le vieux cerf par de jeunes biches pas si effarouchées que ça, il l’a rapproché de vieilles rumeurs que l’acteur lui-même aurait propagées sur sa folle jeunesse dans la jungle urbaine de Châteauroux. Et bingo, le puzzle assemblé a donné l’image d’un monstre ! Oubliez Crépol, oubliez Bir Hakeim, oubliez les kibboutz proches de Gaza, venez participer à la mise à mort de la bête.

Allusions sexuelles incessantes

Accepter une invitation en Corée du Nord pour les soixante-dix ans de cette belle république n’est certes pas le signe d’une conscience politique élevée. Faute morale qui ne tombe sous le coup d’aucune loi. La conduite de Gégé avec l’interprète coréenne est grossière, ses allusions au sexe de cette jeune femme sont incessantes, elle répond avec un sourire gêné. Commence alors la petite musique de l’omerta, personne ne critique l’inconduite de Gégé, ni en Corée, ni sur les innombrables tournages de film où il a travaillé. Gégé est au-dessus des lois, et on lui impute à crime la non-dénonciation par les autres…

La séquence du manège d’équitation me paraît le comble de la saloperie dénonciatrice. Une fillette de dix ans passe au galop devant lui. Il fait à Yann Moix un commentaire de corps de garde sur la jouissance éprouvée par les femmes quand leur clitoris se frotte à la selle d’un cheval cavalcadant. L’acteur ne touche nullement la fillette, ses paroles ne peuvent pas provoquer en elle un ressenti destructeur : elle passe au galop et ne comprend vraisemblablement pas le français, et encore moins le français fort épicé et libidineux parlé par Gérard. Mais le rapprochement fillette-propos salaces fait baver tous les chiens et on amène dans la clairière de l’hallali l’arme de destruction massive : la pédophilie ! Une vieille chipie précise : il a un imaginaire pédophile ! Après la police de la pensée, celle de l’imagination. L’imagination délirante est plutôt dans la tête de la chipie, puisque les réelles accusatrices de l’acteur sont des femmes adultes.

Complément d’enquête bat des records de crapulerie

Il faut le dire avec regret : le fameux documentaire coréen ne présente pas un monstre, mais un homme atteint de sénilité, qui rabâche ses obsessions sexuelles, ce qui encore une fois ne tombe sous le coup d’aucune loi. Mais notre société vogue joyeusement vers la criminalisation du désir masculin, surtout hétérosexuel mais parfois homosexuel comme le montre l’affaire Kevin Spacey, disons que les gays échappent un peu à l’intersectionnel. Jean-Louis Livi, l’ami producteur de Depardieu, qui intervient à la fin de ce Complément d’enquête qui bat ses propres records de crapulerie, avance une hypothèse. Le vieux cerf aurait des difficultés de rut, il ne couvrirait pas ses biches avec la même puissance qu’autrefois, et il bramerait son dépit par ces flots de grivoiserie.

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Entrée des violées. Les seules qui ont porté plainte en bonne et due forme. Les autres, toutes celles qui ne savent pas coller une gifle à un malotru ou, ne connaissant pas l’adresse du plus proche commissariat, préfèrent le tribunal médiatique, me paraissent des personnes dangereuses, à discréditer impérativement. Avec ces deux amantes de Gérard Depardieu qui ont porté plainte, c’est comme souvent parole contre parole, et dénonciations anachroniques. Je trouve dangereuse la phrase « les violées sont tellement sidérées qu’elles ne peuvent porter plaintes tout de suite ». Elle ouvre la porte à tous les faux souvenirs et à tous les chantages, principalement dirigés sur des hommes qui ont de l’argent. La première avait été doigtée, consentement, pas consentement ? Voir la problématique Vanessa Springora. La seconde, Charlotte Arnould, une petite jeune femme à l’air fragile qu’on a envie de protéger, a fait l’amour avec l’acteur chez celui-ci. Consentante, pas consentante, bien du plaisir aux enquêteurs. Mais voilà que huit jours après cette atrocité digne de Butcha ou des kibboutz, cette jeune femme, qui devrait avoir en horreur la rue Campagne-Première et tout le sixième arrondissement, retourne chez Depardieu et se retrouve dans ses draps, violée-pas violée. Personne n’a relevé cette incohérence. Dans l’affaire du cardinal Gerlier, on a reproché au prélat d’avoir couvert les agissements d’un prêtre dont la victime, un tout jeune homme majeur, s’était rendue à l’hôtel du violeur à Biarritz, y avait subi un sort terrible. À quelques semaines de là, le pauvre petit était remonté voir son prédateur dans une chambre d’hôtel de Lourdes. Le violé-reviolé et la violée-reviolée devraient être des personnages de vaudeville, ils sont les sujets d’attendrissement d’une époque très bête.

La télévision-délation

Dernier volet de la fresque assassine. Gérard aurait dit qu’à 9 ans, dans sa tumultueuse jeunesse castelroussine, il aurait participé plusieurs fois à des viols de jeunes femmes “qui n’attendaient que ça”. Aucune vieille dame de Châteauroux ne s’est réveillée soixante-cinq ans après les faits pour aller se plaindre de Gégé, mais ça viendra sûrement après l’émission du fouille-merde Waleckx. Il s’agit aussi d’une ignorance complète de ce que pouvaient être les garçons d’une époque moins pudibonde, où l’entreprise de dévirilisation des hommes n’était pas encore lancée par les féministes, où l’on riait plutôt de la vantardise masculine qu’on ne cherchait à la traîner en justice. La vantardise entre garçons, loin des oreilles féminines ! Toutes les filles que j’ai sautées ! Dès que j’entre dans un bal, elles tombent toutes à la renverse et on va voir la feuille à l’envers ! Bravo Waleckx, tu as raison d’arborer ton petit sourire carnassier ! Tu dégommes un grand acteur classé à droite, sa carrière est foutue. Tu te fais une grosse réputation dans le service public, ta carrière de sycophante sera splendide, tu fais oublier Crépol, Butcha, les kibboutz et l’islamisme ravageur. Coup double, triple, quadruple, quintuple !

Gérard Depardieu dans « Maigret » de Patrice Leconte (2022) © CINÉ-@ F COMME FILM et PASCAL CHANTIER – STÉPHANIE BRANCHU

Et la neige fut…

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Élisabeth Foch-Eyssette nous emmène dans un voyage mémoriel au pays réel (et fantasmé) des flocons dans un « Guide anachronique de la neige » paru chez Arléa


Au commencement, il y a cette couverture qui apaise et capture l’œil, un paysage enneigé qui exerce une attraction enfantine, un décor japonisant à première vue, un personnage indéfini de dos portant une ombrelle et un chien noir qui lui emboîte le pas sur un chemin tendrement immaculé dans un temps imprécis. Aucun autre indice. Ce pourrait être, il y a cent ans ou hier, dans une montagne d’Asie. Au loin, à peine perceptibles, deux faibles lumières jaunes brillent dans une nuit d’inspiration boréale. Ce tableau de Hasui Kawase datant de 1935 est sobrement intitulé « Neige à Shinkawabata ». Des toits recouverts d’une fine couche blanche et ce poudroiement incessant qui brouille la vision à l’infini et en appelle aux souvenirs. À ce moment-là, excepté le titre Guide anachronique de la neige et le nom de son auteur, vous ne savez rien du contenu de ce livre, et pourtant, sur les tables des libraires, à quelques semaines de Noël, vous savez intimement que vous y trouverez le reflet de vos errances. Dès les premières lignes, votre instinct ne vous a pas trompé. J’ai toujours pensé que ce sont les livres qui convoquent le lecteur et non l’inverse. Élisabeth Foch-Eyssette, voyageuse des cimes et poétesse de l’éphémère, sème sur notre route quelques cristaux de neige, réflexions érudites, sentiments d’instants vécus, elle rembobine notre mémoire à la vue d’un flocon par des descriptions éparses ; tout ce qui ne tient pas, ne dure pas éternellement, elle le saisit à la volée, sans pesanteur. L’arrivée de la neige suspend le temps, ce cadeau venu du ciel, phénomène physique autant qu’onirique, bouscule la vacuité de notre existence. Peut-être, nous ramène-t-il à l’essentiel, à notre perception profonde de la nature ; sans la neige, ce miracle qui a disparu de nos villes et de nos campagnes, nous n’aurions pas conscience de notre matérialité sur cette Terre. Nous sommes à la fois, éblouis, totalement décontenancés et bizarrement heureux, béats comme au premier jour, nus et vigoureux, nimbés d’un bonheur sobre, purificateur, qui ne serait pas soumis à la consommation ou à la raison. La neige nous abandonne à nos rêveries, nous autorise exceptionnellement à laisser divaguer notre esprit, à fouler enfin ce territoire inconnu, à ôter notre gangue et à renaître un peu. En outre, elle produit sur nous d’étranges phénomènes physiologiques ; au contact de notre peau, de notre bouche ou de notre langue, la neige réactive nos émotions les plus basiques, nos sens oubliés, une forme de joie intense et d’introspection qui nous semblait jusqu’alors tellement éloignée de nos préoccupations. La neige laisse sur notre corps et notre âme une empreinte quasi-divine, elle réinitialise nos pensées les plus banales. Elle nous oblige à admettre notre fragilité et à dompter notre besoin d’absolu. Face à elle, nous ne pouvons guère lutter. Dans son guide qui n’a rien d’un bréviaire et ressemble plutôt à un journal désordonné, qui ne suit donc aucune logique didactique et c’est tant mieux, Élisabeth Foch-Eyssette partage son adoration de la neige au travers d’instants anodins, de périples lointains, de lectures, de rencontres, d’illuminations ou de drames. Car « la neige a des pages noires que rien n’efface » lorsqu’elle se transforme en avalanche. Cette accumulation fait œuvre de littérature, n’avoue-t-elle pas « aimer les congères », notamment celles du col du Lautaret ? Quand elle raconte l’irruption de la neige alors que, collégienne, elle doit réciter le songe d’Athalie, elle nous convie aux racines de la Libération. Et son premier thé à la neige conserve le goût d’un paradis perdu. De cette « expérience fondatrice », elle écrit : « Cette douce chaleur dans l’œsophage marque le début d’une kyrielle de thés aux saveurs multiples, bus sous toutes les altitudes, servis dans des tasses ou des verres, voire bus à la gamelle. Mais aucun ne supplante la saveur sentimentale de ce premier thé à la neige. Quant au récipient dans lequel il a infusé : une relique ! ». Son guide a l’effet d’un baume qu’on applique sur les lèvres, il nourrit toutes les sécheresses. On ne guérit jamais vraiment de sa première neige vue et ressentie. On peut se désensibiliser de tout, sauf de cette beauté-là. Un homme qui ne voit pas régulièrement la neige comme la mer, est un être amoindri. La neige nous apprend à croire au merveilleux. Notre propre langue ne nous ment pas : « En français, le mot neige se présente comme l’anagramme du mot génie ».

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La Légion sans fard

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Danilo Pagliaro DR.

« Au moment même où vous vous engagerez, une partie de vous mourra pour toujours. Si vous n’en êtes pas conscient, il vaut mieux que vous restiez chez Maman », dixit l’ex-légionnaire Danilo Pagliaro.


Sur fond de guerres sanglantes et d’extension de la misère partout sur la planète, la Légion étrangère continue au 21ème siècle de recruter des hommes de bonne volonté victimes des bouleversements géopolitiques, jetés sur le pavé, poussés sur les routes de l’exil et condamnés à l’errance[1]. Mais entre la Légion fantasmée et la réalité de la vie légionnaire, un gouffre béant persiste.  

Il y a une vingtaine d’années, l’auteure Marie Larroumet avait mis en lumière, à travers l’étude de la littérature, de la chanson et du cinéma, le décalage entre d’une part, la manière dont le grand public imagine les légionnaires et d’autre part, la perception que la Légion étrangère, créée par Louis-Philippe en 1831, se fait d’elle-même et donc du profil d’hommes qu’elle recrute[2]. Depuis les années 1920, plus d’une cinquantaine de films et des centaines de livres et d’études lui ont été consacrés, véhiculant principalement l’image de héros mythiques romantiques ou de mercenaires sans foi ni loi. Des films tels que Beau geste (1926), Les Hommes sans nom (1937), Casablanca (1942), Un Taxi pour Tobrouk (1961) ou Dien Bien Phu (1992) de Pierre Schoendoerffer, ont durablement marqué les esprits. Les anciens légionnaires que furent les écrivains Arthur Koestler, Ernst Jünger, Alan Seeger, mais aussi le joailler Fred Samuel, l’écrivain Blaise Cendrars, le cinéaste Frédéric Rossif, le jazzman Cole Porter, le peintre Nicolas de Staël, ou l’homme d’affaires Simon Murray – tous sous-officiers ou militaires du rang – ont contribué à susciter l’admiration du grand public pour la Légion.

La réalité au-delà du mythe

S’il est indéniable que cette fascination a permis à l’institution légionnaire, forte de quelque 9000 hommes, de disposer d’un large vivier de recrues venues des quatre coins du monde (un candidat sur 10 en moyenne est retenu), le revers de la médaille est évidemment l’arrivée massive de candidats dont les attentes sont en complet décalage avec les besoins de cette unité d’élite.

Dans son ouvrage intitulé Ne jamais baisser les bras[3], l’ancien légionnaire Danilo Pagliaro bat en brèche les idées reçues et les clichés amplifiés sur internet et tente de dissuader les candidats inopportuns que sont « les mythomanes et les exaltés » de se présenter aux portes de la Légion. Alors que l’âge moyen des nouvelles recrues de la Légion est de 23 ans, l’auteur s’est engagé tardivement à l’âge de 36 ans. Il y a passé plus de deux décennies. Il distille ses conseils aux potentiels candidats à l’engagement, mais tient à leur enlever toute illusion. Il avertit : « Prenez garde à ces garçons très sportifs mais obsédés par leur petit confort et par l’ordinateur : de grands gamins qui vivent aux frais de papa et maman et qui jouent les matamores dans les forums en discutant avec beaucoup d’aplomb des armes, des techniques militaires, des corps d’élite et qui s’enflamment en pensant à la guerre (…) Méfiez-vous des fanfarons de la tranchée et des poètes du barbelé (…) La guerre, ce n’est pas comme dans les jeux vidéo. C’est surtout une abomination ».

Le visage hideux de la guerre

Car, comme l’écrivait Ernst Junger dans Orages d’acier : « On ne connaît pas un homme avant de l’avoir vu au danger ». L’effroyable réalité des combats, Danilo Pagliaro l’a connue dans les conflits en Bosnie et en Centrafrique. « Le vrai légionnaire sait qu’il devra combattre. Vivre la guerre est terrible, la raconter aussi ». Et le retour en force de la guerre en 2023 sur différents théâtres d’opérations appelle inexorablement à sortir de toute fiction pour faire face à la sordide réalité.

A relire, Elisabeth Lévy: Légion étrangère: le chant d’honneur

« Le vrai légionnaire n’aime pas la guerre », assène-t-il aux rêveurs. « Il combat certes, mais tout simplement parce que c’est son boulot. Celui qui a été vraiment sur un champ de bataille porte au fond de lui le lourd fardeau du deuil. Aucun plaisir à en parler, surtout avec ceux qui n’étaient pas avec lui. La guerre, ce n’est pas un match de foot : pas de commentaires en direct, pas de possibilité de revoir les images au ralenti, pas moyen de revenir en arrière ». Et comme l’exhorte l’article 7 du Code d’honneur du légionnaire : « Au combat tu agis sans passion et sans haine, tu respectes les ennemis vaincus, tu n’abandonnes jamais tes morts, ni tes blessés, ni tes armes ».

C’est ainsi que reviennent à l’esprit les exhortations de l’écrivaine biélorusse Svetlana Alexievitch, récipiendaire du Prix Nobel de littérature en 2015, dans son ouvrage La Guerre n’a pas un visage de femme, à cerner la réalité de la guerre dans toute son horreur et, avant tout, l’omniprésence de la Grande faucheuse et le caractère diabolique des atrocités récurrentes, telles que la torture, le viol, les meurtres d’enfants et même le cannibalisme, en plus du froid ou de la fournaise, de la faim, de l’épouvante, et évidemment, de la douleur sous toutes ses formes (physiologique, psychologique, spirituelle…).

Quel avenir pour la Légion étrangère ?

Pour Danilo Pagliaro, « inutile de se voiler la face : les temps changent. La Légion est en train de changer, l’armée est en train de changer, la société entière est en train de changer… ». Il redoute le laxisme et l’affadissement de l’esprit de corps, comme conséquences de l’individualisme des sociétés occidentales. Sans doute a-t-il raison. Cependant, la principale menace que l’on pourrait entrevoir concernant la disparition de la Légion étrangère nous semble avant tout liée au sort de la France dans l’Union européenne. En effet, au vu des évolutions soudaines et des votes historiques récents et à venir concernant la réforme institutionnelle de l’UE (vote inédit au Parlement européen le 22 novembre 2023; le 1er décembre 2023, vote à l’Assemblée nationale de la première étape du nouveau Traité européen), la transformation de l’UE – non plus en une UE fédérale comme on aurait pu le penser – mais en un véritable État européen centralisé à Bruxelles, avec un noyau de personnalités non élues par les peuples au sein du nouvel Exécutif (gouvernement de l’UE avec un président puissant), aurait des conséquences inédites sur la souveraineté de la France et évidemment sur ses forces armées. Comment imaginer en effet qu’une organisation aussi procédurière et tatillonne que l’UE, capable de légiférer à l’infini sur des détails tels que l’interdiction des boîtes à camembert françaises sous de fallacieux prétextes écologiques, puisse tolérer les particularités juridiques de l’institution légionnaire, au premier rang desquelles la mise sous anonymat (identité déclarée) des légionnaires !? Il me semble que la Légion ne puisse perdurer qu’à condition que la France conserve sa souveraineté…

DR.

Quoi qu’il en soit, « si le citoyen n’est pas capable de relever la tête, avec un sursaut d’orgueil digne de son passé et de ses traditions, nous succomberons. Nos symboles, nos étendards, les souvenirs de nos batailles, des sacrifices consentis et du sang versé, tout cela tombera dans les oubliettes de l’histoire. Et la Légion avec », signale Danilo Pagliaro.

Après la Légion, l’ancien brigadier-chef n’est pas retourné vivre en Italie. Il a entrepris des études de lettres puis d’histoire à l’université d’Avignon, obtenant une licence, puis un master, avant de se lancer dans des études doctorales sur l’histoire de l’architecture navale à Venise. Son livre relatant son expérience personnelle à la Légion est un « page turner » comme disent les Américains : on le dévore d’une seule traite. L’institution légionnaire lui saura peut-être gré d’avoir dissuadé les moins aptes des potentiels candidats à se présenter à ses portes.

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[1] Ana Pouvreau : Le Système Légion – Un modèle d’intégration des jeunes étrangers, Paris, L’Esprit du Livre, 2008.

[2] Marie Larroumet : Mythes et images de la Légion étrangère, Paris, L’Harmattan, 2004.

[3] Danilo Pagliaro : Ne jamais baisser les bras, Paris, Mareuil Editions, 2023.

René Daumal, l’expérience des limites

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Le poète français René Daumal, 1944. DR.

René Daumal (1908-1944), poète ardennais méconnu, nous a laissé une œuvre littéraire dérangeante. Valérie Mirarchi nous reparle de ce poète en quête d’Absolu dans son dernier essai.


C’est un poète né en 1908 dans les Ardennes, précisément à Boulzicourt, qui a étudié dans le collège de Charleville, fréquenté également par un certain Arthur Rimbaud. Malgré un destin stellaire semblable à celui de l’auteur des Illuminations, René Daumal ne connut pas la même renommée que celle de son illustre aîné. C’est assez injuste, car son talent est réel, et son expérience intérieure ne manque pas d’audace.

Cauchemars

Après plusieurs portraits originaux consacrés à Françoise Sagan, Romain Gary et Albert Camus, Valérie Mirarchi, docteure en philosophie et agrégée de l’université catholique de Louvain-la-Neuve, signe un essai passionnant sur la vie et l’œuvre de René Daumal, mort à Paris le 21 mai 1944, les poumons rongés par la tuberculose. Le garçon, né dans une famille de sept enfants, d’un père instituteur socialiste, de complexion fragile, est un brillant étudiant au style flamboyant. Dans son Traité des Patagrammes, publié en 1972, chez Gallimard, Daumal évoque l’agitation socialiste qui règne dans sa ville natale : « Je naquis donc sous l’ascendant auditif et social d’une ceinture rouge, comme le halo d’un astre en furie de prolétaire. » Le ton est donné, il ne changera pas. Le jeune homme, très vite, est tourmenté par la pensée de la mort. C’est une idée fixe. Le néant l’angoisse, aucune « consolation tranquillisante », pour reprendre l’expression de Mirarchi, n’est possible. Que faire alors ? La torture métaphysique est intolérable, l’obsession ne cède jamais. Il faut donc expérimenter ce qui, par essence, ne peut l’être. L’œuvre de Daumal, décapante, exubérante, unique, part de cette source noire. Mirarchi cite l’écrivain : « Un jour, je décidai pourtant d’affronter le problème de la mort elle-même ; je mettrais mon corps dans un état aussi voisin que possible de la mort physiologique, mais en employant toute mon attention à rester éveillé et à enregistrer tout ce qui se présenterait à moi. » Tout ceux que la littérature de l’expérience des limites fascine, devraient lire Daumal. Ils comprendraient que les mots sont « trop mous ou trop rigides » ; ils sont les poux dans la chevelure de Samson ; il convient de les « secouer » pour créer un agencement nouveau qui ouvre sur l’inconnu. Les nuits de Daumal, insistons, sont cauchemardesques. Il consigne : « Mes nuits seules sont bien remplies : de lourds cauchemars de suie et de glaise, d’averses de draps visqueux et de légers cadavres. » L’expérience de la mort imminente débouche sur l’existence de l’autre monde. Son témoignage est saisissant. Toute l’écriture s’en trouve alors bouleversée. Le pâle copiste de la réalité – souvent de ses propres faits divers – fuira en courant, et c’est tant mieux.

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Passage secret

Valérie Mirarchi raconte avec précision à la fois l’itinéraire et l’élaboration de l’œuvre de Daumal que je vous laisse découvrir. Tout y est, le dépassement des limites, les jeux surréalistes, les prises de stupéfiants, les ambitions radicales notamment avec l’entreprise audacieuse du groupe, « le Grand jeu », et de sa revue éponyme. Elle n’oublie pas de commenter sa poésie, Le contre-ciel (1936), son premier roman, La Grande Beuverie (1939) et surtout le roman, hélas inachevé, Le Mont Analogue, publié à titre posthume en 1952, chez Gallimard, et réédité en 2020 aux Éditions Allia. Celui-là, il ne faut pas le louper, et le commander immédiatement. Daumal nous dit qu’il y a, entre la terre et le ciel, une montagne énorme, à la fois visible et invisible : le Mont Analogue. C’est là, affirme-t-il, que se tient un passage secret qui débouche sur la source foisonnante de la création.

Antonin Artaud, André Dhôtel, Jean Follain, Adonis, Henri Michaux ou encore Hubert Haddad ont été influencés par le dessein ésotérique de Daumal. Laissons-lui le dernier mot :

« Je suis mort parce que je n’ai pas le désir,
Je n’ai pas le désir parce que je crois posséder,
Je crois posséder parce que je n’essaye pas de donner ;
Essayant de donner, on voit qu’on n’a rien,
Voyant qu’on n’a rien, on essaye de se donner,
Essayant de se donner, on voit qu’on n’est rien,
Voyant qu’on n’est rien, on désire devenir,
Désirant devenir, on vit. »

Valérie Mirarchi, René Daumal ou la course à l’Absolu, préface de Xavier Dandoy de Casabianca, Éditions universitaires de Dijon, Collection Essais.

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Verdict du premier procès Paty: «Une double voire une triple peine pour la famille»

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DR.

Le procès à huis clos des six anciens collégiens jugés pour leur implication dans l’assassinat en 2020 du professeur Samuel Paty par un islamiste vient de s’achever au tribunal de Paris.


Les jeunes gens ont été condamnés à des sanctions allant de 14 mois de prison avec sursis à six mois de prison ferme (cette dernière peine étant aménagée sous bracelet électronique). Le verdict a été critiqué par les avocats des proches de Samuel Paty, qui s’estiment déçus par une décision selon eux « pas à la hauteur du drame » et envoyant « un mauvais signal ». Auteur du livre le plus complet sur l’affaire (Les Derniers Jours de Samuel Paty, Plon), Stéphane Simon apporte son éclairage sur le procès.


Causeur. Comprenez-vous la colère des avocats des proches de Samuel Paty ?

Stéphane Simon.
Je la comprends parfaitement. Deux ans d’enquête ont permis d’établir la responsabilité écrasante de ceux qui, à la sortie du collège du Bois-d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine, ont désigné Samuel Paty au tueur Abdoullakh Anzorov. Il y a eu des aveux clairs de la part de certains, voire des regrets. Mais chez certains seulement ! Au regard des responsabilités, les jugements prononcés sont un peu uniformes et légers. On peut être étonné que la jeune fille dont les mensonges sont à l’origine de toute l’affaire n’ait pas écopé d’une peine plus sévère. Il faut dire qu’elle n’était mise en examen que pour « dénonciation calomnieuse »… Sans doute la Justice a-t-elle voulu donner une deuxième chance à ces six élèves, plutôt que de faire un exemple pour tous les élèves de France.

Ce procès vous a-t-il donné la possibilité de récolter de nouveaux faits, de nouvelles pièces au puzzle ?

Je ne peux entrer dans les détails, le procès s’étant tenu à huis clos, car il s’agissait de juger des personnes mineures. Néanmoins je peux vous dire qu’il y a eu des surprises. Dont une bonne du côté d’un des élèves, qui a reconnu tous les faits, parmi lesquels sa connaissance de l’intention criminelle qui était celle d’Anzorov. Cet élève a exprimé des excuses, qui ont ému la famille. Les juges en ont certainement tenu compte. D’autres condamnés semblent en revanche toujours convaincus de la thèse absurde selon laquelle Samuel Paty était islamophobe. Thèse relayée par leurs avocats, ce qui équivaut à une double voire une triple peine pour la famille de Samuel Paty.

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Quelles sont les prochaines échéances judiciaires dans ce dossier ? Qu’en attendez-vous ?

Le prochain procès sera celui des huit adultes, dont ceux qui ont permis à Anzarov de se procurer des armes, ceux qui l’ont assisté dans son projet, et ceux qui ont appelé à la haine contre Samuel Paty sur les réseaux sociaux et livré son nom aux chiens. Ce procès se déroulera à partir du 12 novembre 2024. Les débats seront publics et cette fois on verra tous les engrenages qui ont rendu possible cette tragédie. On verra mieux qui a agi pour que le lynchage de Samuel Paty ait lieu : ceux qui lui ont mis une cible sur le front, mais aussi ceux qui se sont rendus complices par leur inaction. Et puis il y aura d’autres rendez-vous judiciaires. Au pénal peut-être encore, mais au tribunal administratif sûrement. Car de nombreuses actions sont en cours. On n’a pas fini d’entendre parler dans les prétoires de l’assassinat de Samuel Paty et c’est heureux, car je suis de ceux qui attendent qu’une catharsis se produise dans notre société ayant pour effet de mieux protéger les professeurs et les élèves, en dissuadant l’islamisme de porter son fer dans l’enceinte de nos écoles. Sans cela, nos professeurs seront toujours plus tentés de renoncer à enseigner les heures sombres de notre histoire, comme la Shoah, ou à raconter les fondements de notre société tels que la liberté d’expression et la nécessaire laïcité à l’école. Sans cela, il y a aura toujours plus d’islamisme sans gêne à l’école, et d’autres crimes, comme on l’a vu avec Dominique Bernard, assassiné à Arras en octobre dernier. Prophétique, Samuel Paty avait espéré que sa mort un jour puisse servir à quelque chose. Rendons-lui collectivement cette justice !

Terre de Feu

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© Quijote Films

Felipe Galvez nous propose une relecture acerbe de l’histoire du Chili


Vous accroche immédiatement la bande-son : une musique extraordinaire de percussions sauvages, débridées, qui résonnent comme autant de coups de fouets : la partition est signée Harry Allouche, un compositeur également pianiste qui accompagne régulièrement en live les films muets projetés à la Cinémathèque française ou à la Fondation Jérôme Seydoux Pathé, avenue des Gobelins, à Paris. Premier long métrage de Felipe Galvez, quarante ans, cinéaste chilien implanté à Paris, Les Colons distillera d’autres superbes morceaux choraux en guise d’illustration de cet étrange road movie situé en Terre de Feu, au tournant du XIXème siècle.

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Dans cet extrême sud du Chili, José Menendez, grand propriétaire terrien espagnol, envoie Mac Lennon un lieutenant anglais, Bill un mercenaire yankee, deux hommes sans foi ni loi, secondés par un jeune métis mapuche et espagnol, Segundo, pour délimiter l’étendue de ses nouvelles possessions. L’expédition prend un tour « punitif » avec le massacre des Selk’namm, ces tribus indigènes qu’on appelle aussi les Onas.  Sept années passent. La fortune de Menendez a prospéré. Vicuña, émissaire onctueux et cynique du président de la République, avalise la mainmise des colons sur un territoire dont un certain Moreno est par ailleurs chargé de fixer le tracé de la frontière qui sépare le Chili de l’Argentine. Segundo, rongé par la culpabilité, s’est marié avec une survivante de la tuerie. Il vit avec elle dans une petite ferme, où Vicuña, flanqué d’un opérateur de cinéma, viendra les filmer, costumés tous deux pour l’Histoire officielle : naissance d’une nation…

© Quijote Films

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Divisé en chapitres titrés à la manière d’un feuilleton, épousant un format carré « à l’ancienne », Les Colons fait donc retour sur un aspect supposément expurgé de l’historiographie : le sacrifice des Indiens autochtones sur l’autel de ces conquistadors des temps modernes. En cela le film se veut une relecture acerbe de l’histoire du Chili. Mais, drapé dans son manteau éthique, Les Colons, à son tour, n’est-il pas une autre mise en scène de l’Histoire, a posteriori, au prisme du cinéma ? Éternelle mise en abyme ! Film de fiction, ce document à charge n’en est pas moins, par sa forme singulière et sa puissance d’évocation, comme on dit : de la belle ouvrage.

Les Colons. Film de Felipe Galvez. Chili, Argentine, France, Taiwan, Royaume-Uni, Danemark, Suède, Allemagne, couleur, 2023. Durée : 1h37. En salles le 20 décembre 2023

La Miss et le dictateur

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Sheynnis Palacios, Miss Univers, San Salvador, 18 novembre 2023 © Moises Castillo/AP/SIPA

Dans le Nicaragua de Daniel Ortega, manifester et brandir le drapeau national en public est interdit et passible de prison depuis 2018. 


Couronnée Miss Univers 2023, Sheynnis Palacios, originaire du Nicaragua, est devenue malgré elle un emblème de résistance face au régime autoritaire du président Daniel Ortega. Ce dernier entend pourtant doucher tout enthousiasme en faveur de cette étudiante de 23 ans dont il fait peu de cas.

Le 18 novembre 2023, Sheynnis Palacios a remporté le titre de Miss Univers. À l’annonce de sa victoire, ses compatriotes ont bravé l’interdiction de manifester, imposée par le gouvernement depuis cinq ans. Les rues principales de Managua, la capitale de cette république sud-américaine, ont été rapidement envahies par des centaines de personnes dansant et klaxonnant, arborant le drapeau national devenu emblématique de l’opposition au régime autoritaire de Daniel Ortega (en fonction entre 1979 et 1990, puis revenu à la tête de l’État en 2007). Ce même régime qui, par le simple port de ce symbole, peut vous conduire rapidement à une incarcération sans espoir de libération immédiate.

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L’épouse du dictateur, vice-présidente, jalouse?

La maire de la capitale, Reyna Rueda, et le vice-maire, Enrique Armas, ont présenté leurs félicitations à la famille de Palacios en lui offrant des bouquets aux couleurs rouge et noir, du parti sandiniste. Le lendemain de cette visite, le gouvernement a émis une déclaration officielle, bien que non signée par Daniel Ortega ou son épouse, la vice-présidente Rosario Murillo, dans laquelle il affirmait « se joindre à la juste joie de Sheynnis, de sa famille et de notre peuple (…) ». Un communiqué qui semblait pourtant vouloir dissimuler l’embarras dans lequel le gouvernement s’est trouvé avec la victoire inattendue de Sheynnis Palacios. Quelques jours auparavant, lors d’une émission diffusée à l’échelle nationale, la future Miss Univers avait été vivement moquée par des journalistes qui ne pariaient pas un cordoba d’or sur son succès. Les commentateurs n’avaient pas hésité à la surnommer « Miss buñuelos », en référence à un dessert frit au manioc agrémenté de fromage blanc et de miel, que la lauréate vendait dans la rue pour financer ses études.

Le président du Nicaragua Daniel Ortega et la vice-présidente Rosario Murillo, Managua, janvier 2022 © CHINE NOUVELLE/SIPA

Sylvie Tellier et Madame de Fontenay peuvent aller se rhabiller

L’euphorie nationale a de toute façon été de courte durée, et l’enthousiasme rapidement éteint par les autorités. Trois jours après la victoire, la vice-présidente Murillo a dénoncé ceux qu’elle soupçonne de « glorifier la plus belle femme de la planète » à des fins politiques, pointant du doigt ses opposants (qu’elle avait qualifiés de « terroristes » lors des émeutes violemment réprimées en 2018), les accusant de fomenter un coup d’État. En réponse à ces manifestations, le gouvernement a simultanément interdit à deux artistes de créer une fresque murale en hommage à la nouvelle Miss Univers. La directrice du concours Miss Nicaragua, Karen Celebertti, s’est elle-même vue refuser l’entrée dans le pays, soupçonnée par la police d’avoir « intentionnellement truqué les concours pour permettre aux reines de beauté opposées au gouvernement de remporter les compétitions ». Son mari, Martín Argüello, et leur fils, Bernardo, ont été immédiatement emprisonnés, pour complot et trahison. Pour les opposants, cette décision ressemble plus à une tentative du couple présidentiel de reprendre le contrôle du concours, avec l’intention présumée de le remettre à leur belle-fille, Xiomara Blandino, ancienne Miss Nicaragua de 2007 et critique sévère de la gestion des Miss par Karen Celebertti.

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Loin de cette « drama » ubuesque, Sheynnis Palacios s’est installée à New York pour un séjour d’un an comme son contrat le lui impose. Elle n’envisage pas de retour au Nicaragua, d’autant que celui-ci semble dès plus incertains en raison des menaces qui pèsent sur sa couronne. D’autant que la jeune fille de 23 ans est effectivement connue pour son opposition publique au pouvoir actuel. Depuis qu’elle a décroché la couronne de Miss Univers au Salvador le 18 novembre, des photos de la bomba latina brandissant un drapeau nicaraguayen dans des manifestations antigouvernementales ont en effet refait surface…

Une rave de cauchemar

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Gal Lévy © Stéphane Edelson

Gal Levy est un miraculé. Il dansait au Festival de Reïm, le 7 octobre, quand les tueurs du Hamas lui ont tiré dessus. Blessé, il est resté caché des heures durant. Nous l’avons rencontré à l’hôpital Sheba de Ramat Gan.


Il revenait d’Amérique du Sud où il avait passé quelques semaines après l’armée. Le pire qui pouvait arriver, pensait-il, c’était une rave party qui tourne au mauvais trip sous acide. Mais c’est la mort et la terreur qui se sont invitées au petit matin du samedi 7 octobre, au Festival de Reïm. J’ai rencontré Gal Levy au cours d’un voyage organisé par le KKL pour permettre à des journalistes de comprendre et de témoigner sur cette journée de barbarie antijuive.

C’est à l’hôpital Sheba, à Ramat Gan, où il est toujours soigné pour ses blessures, que Gal, 24 ans, nous a raconté cette matinée de terreur, la pluie de roquettes, l’assaut du Hamas et la fuite éperdue vers un abri de fortune.

À la bordée d’un bois, il est touché à la jambe par une balle. Il trouve refuge dans une construction sommaire mise en place par l’organisation du festival pour la vente des places de concert. Couché avec d’autres inconnus, dans les cris, la peur et les coups de feu, il se fait un garrot pour sauver sa jambe et sa vie.

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Un terroriste pénètre alors dans l’abri et vole montres, argent et portables.

Par miracle le tueur ne revient pas. Dans l’après-midi, Gal et les autres sont délivrés par Tsahal. Mais près de 200 jeunes ont été massacrés, dont deux de ses amis. Aujourd’hui, il se protège en se tenant loin des informations. Nous reprendrons bientôt de ses nouvelles.

Avant que son téléphone soit volé, il a échangé des messages avec un ami. Il nous a autorisés à les reproduire.

« Où es-tu ? »
« À l’entrée. Là où on distribue les bracelets. On m’a tiré dessus. Je perds du sang. J’ai un trou dans la jambe. J’ai été touché par une balle. »
« Fais un garrot. »
Gal envoie une photo de sa jambe.
« Plus fort. Tourne avec un bâton. »
« C’est fait »
« Il faut presser fort. »
« Je suis en vie. Mais ils tirent tout près. J’ai vraiment peur. J’ai besoin d’aide. »
« J’ai envoyé ta position à mon père, il s’en occupe, reste avec moi s’il te plaît. Sois fort. »
« Nous sommes à l’entrée, 5 personnes. On a besoin d’aide. Il y a un terroriste à 5 mètres de moi. Je ne peux pas répondre au téléphone. »

Aujourd’hui, Gal se protège en se tenant loin des informations. Nous reprendrons bientôt de ses nouvelles.

Se tenir à côté des Juifs de France ne nécessitait pas de porter atteinte à la laïcité

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Le président Macron et le rabbin Haïm Korsia dans la salle des fêtes de l'Elysée, 7 décembre 2023. DR.

Faire allumer par le grand rabbin de France la première bougie de Hanouka dans la cour de l’Élysée. Le symbole se voulait fort. D’autant plus marquant qu’il était destiné à faire oublier le refus d’Emmanuel Macron de participer à la grande marche contre l’antisémitisme, alors que les Juifs subissaient un niveau d’attaques sans précédent. Le problème est que le geste piétine la laïcité sans répondre à la réalité des discriminations et des violences que subissent les Juifs en France. Plutôt que maudire l’obscurité, il vaut mieux allumer une bougie, nul ne saurait être contre. Mais quand on est au pouvoir, les bougies qui font reculer l’obscurantisme sont les actes que l’on pose. Et en la matière, comme dans beaucoup d’autres, la politique d’Emmanuel Macron est illisible.


Dans un contexte de montée de l’antisémitisme, que le président choisisse un symbole fort pour montrer à quel point les Français de confession juive sont chers à la France, était nécessaire et important. Le contexte politique l’exige. Déjà par le passé, les juifs qui ne représentent que 0,6% des Français, étaient les plus attaqués pour des motifs religieux. En année standard, si l’on ose dire, ils subissent environ 500 actes antireligieux par an, quand ceux-ci sont évalués à 1000 environ pour les chrétiens et 170 pour les musulmans. Par an. Mais depuis le 7 octobre, en deux mois environ c’est plus de 1500 actes anti-juifs qui ont été recensés.

L’explosion de l’antisémitisme liée au massacre perpétré par le Hamas

Et ce qui a boosté l’explosion de l’antisémitisme est le massacre atroce perpétré par le Hamas en Israël. Un crime contre l’humanité qui a vu des terroristes surarmés décapiter des bébés, brûler vifs des enfants, violer les femmes, abattre les hommes, torturer des familles entières, profaner des cadavres. Le Hamas s’est comporté en Israël comme les héritiers des nazis et au lieu de susciter l’horreur, cela a abouti à une décompensation antisémite sur notre sol. Une décompensation qui ne concerne pas tout le monde. La violence à l’égard des Juifs et des occidentaux plus largement est relayée à la fois par l’extrême gauche et les islamistes. Mais les Français dans leur ensemble ont compris le message : « après le samedi vient le dimanche ». Ils ont compris qu’ils avaient sur leur sol aussi des rejetons du Hamas. Ils ont payé le prix du sang pour le savoir : la violence islamiste tue chez nous, années après années, et nul n’est à l’abri.

Le résultat du travail de l’islam politique sur la communauté musulmane en France

L’explosion de l’antisémitisme lié à l’importation du conflit israëlo-palestinien témoigne du poids de l’islam politique dans la communauté musulmane. Ce travail de réislamisation à mettre au crédit des frères musulmans, se double d’un rejet de l’appartenance à la France et d’un refus de l’intégration. Et il ne concerne pas, hélas, qu’une infime minorité de musulmans. Une étude IFOP et Elmaniya.tv montre que ceux-ci jugent que la laïcité est discriminatoire envers les Musulmans (78%), 65% sont pour le port du voile et il y a un vrai décalage entre cette population et le reste des Français : 50% des Musulmans font primer la religion sur les enseignements de l’école (les élèves devraient pouvoir refuser les cours qui heurtent leurs convictions religieuses) et ils sont trois fois plus nombreux (16% contre 5%) à ne pas condamner totalement l’assassinat du professeur de Français à Arras. Un chiffre qui monte à 31% dans la jeunesse musulmane[1].

A lire aussi, du même auteur: Affaire Ruth Elkrief: non, Jean-Luc Mélenchon n’a pas «dérapé»

Ce sondage tord le cou au discours politique sur « l’infime minorité » de musulmans en rupture avec les valeurs de la République. Il témoigne surtout du fait que le travail politique effectué sur cette population par les islamistes fonctionne et qu’il est temps que la République réagisse fermement.

La laïcité maltraitée

Que le président de la République veuille dans ce cadre se tenir aux côtés des Juifs de France a du sens, la question est : était-ce la bonne façon de faire ?

Dans une société fracturée comme la nôtre, où les questions religieuses, instrumentalisées notamment par l’islam politique, prennent une importance mortifère, comment vont réagir les représentants des autres religions à qui on oppose la laïcité pour expliquer que les symboles religieux n’ont pas leur place au sein de la République quand le président en installe un dans la cour de l’Elysée ? Comment comprendre la ligne politique d’un homme qui refuse de participer à une marche contre l’antisémitisme, car il craint de froisser la communauté musulmane en France, et qui dans le même temps fait allumer la première bougie de Hanouka à l’Élysée par le grand rabbin de France ? Quelle est la prochaine étape ? Si une mosquée se fait attaquer ou une femme voilée, bousculer, il fera quoi notre président ? Sacrifier un mouton pour l’Aïd dans le jardin de l’Élysée ?

« L’Élysée, ce n’est pas l’endroit où allumer une bougie. J’ai été surpris. Je me demande pourquoi Macron l’a fait, ce n’est pas son rôle » regrettait ce matin Yonathan Arfi, le président du Crif, au micro de Jean-Jacques Bourdin.

Cette erreur commise est d’autant plus agaçante, qu’une fois de plus, obsédé par son image, le président n’a pas réfléchi aux conséquences de ses actes. S’il veut envoyer un signal fort à la communauté juive, alors il peut faire afficher le visage de tous nos concitoyens massacrés le 7 octobre en Israël par le Hamas. Il peut afficher en grand sur nos édifices publics le visage des otages encore détenus à Gaza, exiger du service public audiovisuel qu’il ouvre les journaux en rappelant que certains des nôtres sont aux mains des terroristes islamistes.

Un énième pétard symbolique mouillé

Mais ce n’est pas ce qu’il a fait. Il a au contraire donné l’impression que la religion juive bénéficiait d’un privilège. Exactement… ce que met en scène le discours antisémite. Tout comme les victimes d’attentats méritent mieux que des nounours et des bougies de la part de leurs gouvernements, même déposés sous forme de paroles martiales désincarnées et de compassion larmoyante, les Juifs de France méritent mieux que des symboles qui peuvent encore se retourner à terme contre eux.

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On est une fois de plus devant le énième pétard symbolique mouillé de cette présidence chaotique. Si le gouvernement veut vraiment agir contre l’antisémitisme, il va lui falloir arrêter de se payer de mots et assumer le réel. Si l’on ne pose pas un diagnostic sur le fait qu’aujourd’hui, l’explosion de violence antisémite est majoritairement liée à un travail de radicalisation politique qu’organisent chez nous l’extrême-gauche et l’islamisme, alors on ne pourra agir. Si on utilise l’ultra-droite pour éviter d’affronter l’antisémitisme arabo-musulman, alors la condition des Juifs en France continuera de se dégrader. Pour combattre concrètement l’antisémitisme, il faut dire comment il se manifeste : militantisme sur le voile, prosélytisme religieux, refus d’intégration, détestation de la France vue comme esclavagiste et colonialiste, justification de la violence politique, importation du conflit israélo-palestinien idéalisé de façon messianique…


Un déni destiné à masquer l’impuissance

Or le gouvernement n’ignore pas ces réalités, mais s’il ne les affronte pas c’est que son déni lui sert à masquer son sentiment d’impuissance. Ces gens veulent réellement bien faire, mais ils pensent qu’ils ont déjà perdu le contrôle, que leur pouvoir est faible et que trop d’autorité ferait éclater une société déjà fracturée. Ils essaient juste de gagner du temps. Ils pallient l’impuissance par des mots et des images. Mais la réalité les rattrape et ils ne comprennent pas les symboles qu’ils manipulent. De ce fait ils échouent à en faire des repères, des représentations communes des idéaux. Nous en arrivons à être incapables de combattre le voile alors que notre modèle de société démocratique est basé sur l’égalité des droits des êtres humains au-delà du sexe, de la « race », de la philosophie, de la religion. Cet idéal est beau et exigeant et nous en arrivons à être mis en accusation au nom de la liberté religieuse de porter un signe qui refuse aux femmes l’égalité en droit. Ce refus de se plier à la loi commune au nom d’un particularisme religieux n’est simplement pas acceptable eu égard aux fondamentaux de notre contrat social.

Notre modèle de société n’est pas parfait ? Notre histoire a sa part d’ombre ? Certes. Mais quel est le modèle de société des islamistes, de l’extrême-gauche ? Daesh ? L’Iran ? La Terreur ? Que font-ils concrètement des libertés individuelles ? de l’égalité en droit ? Il est temps de nommer l’idéologie qui nous attaque et de la désigner comme à la racine de trop de nos difficultés. Ce combat est politique, judiciaire, policier, éducatif, culturel. Surtout culturel. Il commence par poser des mots. Pas pour faire joli. Pour reconnaitre le réel. Ce serait déjà un grand pas. Avec Elisabeth Borne et son « sentiment d’insécurité »[2] on peut douter que ce gouvernement soit en capacité de le faire.

Silence coupable

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[1] https://www.causeur.fr/ifop-dans-nos-ecoles-31-des-jeunes-musulmans-scolarises-narrivent-pas-a-desapprouver-totalement-lattentat-darras-271304

[2] https://www.causeur.fr/elisabeth-borne-la-premiere-ministre-nest-pas-a-la-hauteur-271283

La vie quotidienne à Prague au temps de la Shoah

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Couverture de "Vivre avec une étoile", de Jiří Weil, D.R

Dans son roman Vivre avec une étoile, l’écrivain tchèque et juif Jiří Weil relate la période de sa vie durant laquelle il fut plongé dans la clandestinité.


L’écrivain Jiří Weil (1900-1959) fut confronté, sa vie durant, à la situation chaotique de son pays, l’ancienne Tchécoslovaquie, placée au cœur d’une Europe à feu et à sang. Dans les années 20, il est étudiant à Prague et fait une thèse sur Gogol. Membre du PC, il vit de travaux journalistiques et de traductions de textes marxistes-léninistes. Il traduit aussi de la poésie. Il subit le contrecoup des purges staliniennes, en 1935, date à laquelle il est exclu du Parti et envoyé dans un camp de rééducation. Quand il revient à Prague, il publie un témoignage fracassant, De Moscou à la frontière (1937), dans lequel il dénonce le totalitarisme soviétique. Lorsque les nazis envahiront son pays, en 1939, sa situation deviendra intenable, d’abord en tant que communiste, mais surtout en tant que Juif. L’énergie qu’il n’avait pas mise à fuir l’Europe de Hitler, il la mettra à survivre au quotidien dans une Prague exsangue. En 1942, sur le point d’être déporté à Auschwitz, il parvient miraculeusement à faire croire qu’il s’est suicidé. Cette invention, digne d’une fiction romanesque, lui sauvera la vie. Il survivra jusqu’à la fin de la guerre dans la clandestinité, et c’est cette période de sa vie qu’il relate dans ce livre, son plus fameux, Vivre avec une étoile, publié en 1949.

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Dans la lignée d’un Kafka

Ce roman de Jiří Weil fut remarqué et soutenu par la suite par de célèbres auteurs, comme Harold Pinter ou Philip Roth. On connaît la passion de ce dernier pour la ville de Prague et ses habitants, et en particulier pour ses écrivains. Pour Philip Roth, de même que pour Jiří Weil, la référence presque absolue en littérature, c’est Kafka. Roth a vu en Weil un héritier du Procès. Dans son intéressante préface au roman de son confrère, Roth insiste sur « le ton neutre dont se servait Weil pour communiquer sa haine des nazis et sa pitié envers leurs victimes ». C’est ce style kafkaïen que Weil va utiliser, de manière très inspirée, pour raconter la Shoah à Prague – pas encore la Shoah des camps, celle d’Auschwitz, mais la Shoah en amont, celle de la longue traque des Juifs dans la ville, le piège implacable qui se referme sur eux. De tous ces Juifs, en cavale dans leurs propres quartiers, bien peu réussiront à avoir la vie sauve, comme on sait.

Rejeté de toutes parts

Jiří Weil décrit la longue descente aux enfers de son personnage principal, Josef Roubíček, ancien employé de banque, possédant pour tout logement un trou à rat humide et glacial. Il n’a presque plus d’argent pour s’acheter de la nourriture. Au début du roman, il est seul et sans amis : « je ne recevais aucune aide de personne », confie-t-il. Il était amoureux d’une certaine Růžena, mais elle a réussi à s’exiler. Il lui parle quand même, dans le vide, comme si elle venait toujours le voir, il se raccroche au souvenir de cette silhouette évanouie. C’est tout ce qui lui reste, en réalité.

« On m’a chassé de partout, je ne peux plus partir nulle part. On veut me prendre cette chambre nue aussi, dans laquelle il pleut. » Il ne se fait plus d’illusions : « On va m’expédier vers une terre étrangère et là-bas, peut-être, on me tuera. Je ne crois pas qu’on me permettra de vivre. » Ses voisins à l’affût convoitent son misérable logis. Une femme lui dit : « votre baraque nous irait ». On a déjà entériné sa disparition définitive. L’étoile jaune qu’il doit coudre sur son vêtement, à la place du cœur, en est la préfiguration évidente.

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Solidarité et perspective de la déportation

Au fil du récit, Roubíček finit par rencontrer des personnages un peu plus bienveillants, qui lui apportent quelque secours matériel (de la nourriture), et du réconfort moral. Il se lie avec un ouvrier, Josef Materna, adepte de la solidarité entre travailleurs. Il revoit par hasard d’anciens amis juifs, qui se préparent à la déportation. Celle-ci se profile à l’horizon. Tous en parlent, ne sachant cependant pas exactement ce que cela signifiera pour eux. Ce sont en général juste des propos plus ou moins vagues : « Comme du bétail, explique quelqu’un qui croit être dans le secret. Ils les collent dans des wagons et les emmènent à l’est. Ils disent qu’on les évacue pour aller travailler. Mais ils prennent les vieux, les femmes, les enfants… » Jiří Weil évite de bout en bout les mots Juifs ou nazis, préférant rester dans le flou, et donnant ainsi à son récit une portée encore plus dramatique et plus universelle.

Dans Le Procès, Kafka employait pour ainsi dire le même procédé, poussé à l’extrême, n’indiquant ni le lieu ni le temps, ni rien de tangible, qui aurait pu sans doute rassurer le lecteur en lui suggérant que cela se passait ailleurs très loin. La prophétie de Kafka était déjà terrible. La description apocalyptique de Jiří Weil ne l’est pas moins. Il trace, au jour le jour, le sombre et réaliste tableau de cette fin du monde, de ce règne de la mort arrivant pour tout anéantir de la civilisation. Vivre avec une étoile est un roman essentiel pour comprendre ce qui s’est passé dans l’homme à cette époque encore récente. Cette intraitable leçon d’histoire nous concerne tous.


Jiří Weil, Vivre avec une étoile. Traduit du tchèque par Xavier Galmiche. Préface de Philip Roth. Éd. Denoël.

Vivre avec une étoile

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Les chiens assaillent Depardieu, joyeux hallali!

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Militantes féministes à Toulouse, mai 2023 © FRED SCHEIBER/SIPA

Notre Gégé national est sous le feu des critiques, après la diffusion par France 2 de séquences filmées en Corée du Nord durant lesquelles l’acteur se montre assez odieusement grivois.


La soirée de chasse à mort commence par un “teasing” sur BFM TV, sur lequel je tombe par hasard pendant que ma chaîne favorite distille de la publicité racisée. Un certain Waleckx fait de la réclame pour son Complément d’enquête qui passera le soir même sur Antenne 2 à 23 heures. L’homme explique avec un sourire gourmand qu’il a récupéré le plus légalement du monde les rushes d’un film documentaire sur le voyage en Corée du Nord de Gérard Depardieu et Yann Moix. Ce film contient des images insoutenables prouvant que le vieil acteur est un des pires agresseurs et violeurs de femmes de notre époque, les soldats russes de Butcha et les terroristes du Hamas coupeurs de seins et extracteurs de fœtus à coups de couteau dans le ventre de leurs mères vont passer pour des garnements malpolis. Le jeune Waleckx a rapproché ces horreurs des accusations portées contre le vieux cerf par de jeunes biches pas si effarouchées que ça, il l’a rapproché de vieilles rumeurs que l’acteur lui-même aurait propagées sur sa folle jeunesse dans la jungle urbaine de Châteauroux. Et bingo, le puzzle assemblé a donné l’image d’un monstre ! Oubliez Crépol, oubliez Bir Hakeim, oubliez les kibboutz proches de Gaza, venez participer à la mise à mort de la bête.

Allusions sexuelles incessantes

Accepter une invitation en Corée du Nord pour les soixante-dix ans de cette belle république n’est certes pas le signe d’une conscience politique élevée. Faute morale qui ne tombe sous le coup d’aucune loi. La conduite de Gégé avec l’interprète coréenne est grossière, ses allusions au sexe de cette jeune femme sont incessantes, elle répond avec un sourire gêné. Commence alors la petite musique de l’omerta, personne ne critique l’inconduite de Gégé, ni en Corée, ni sur les innombrables tournages de film où il a travaillé. Gégé est au-dessus des lois, et on lui impute à crime la non-dénonciation par les autres…

La séquence du manège d’équitation me paraît le comble de la saloperie dénonciatrice. Une fillette de dix ans passe au galop devant lui. Il fait à Yann Moix un commentaire de corps de garde sur la jouissance éprouvée par les femmes quand leur clitoris se frotte à la selle d’un cheval cavalcadant. L’acteur ne touche nullement la fillette, ses paroles ne peuvent pas provoquer en elle un ressenti destructeur : elle passe au galop et ne comprend vraisemblablement pas le français, et encore moins le français fort épicé et libidineux parlé par Gérard. Mais le rapprochement fillette-propos salaces fait baver tous les chiens et on amène dans la clairière de l’hallali l’arme de destruction massive : la pédophilie ! Une vieille chipie précise : il a un imaginaire pédophile ! Après la police de la pensée, celle de l’imagination. L’imagination délirante est plutôt dans la tête de la chipie, puisque les réelles accusatrices de l’acteur sont des femmes adultes.

Complément d’enquête bat des records de crapulerie

Il faut le dire avec regret : le fameux documentaire coréen ne présente pas un monstre, mais un homme atteint de sénilité, qui rabâche ses obsessions sexuelles, ce qui encore une fois ne tombe sous le coup d’aucune loi. Mais notre société vogue joyeusement vers la criminalisation du désir masculin, surtout hétérosexuel mais parfois homosexuel comme le montre l’affaire Kevin Spacey, disons que les gays échappent un peu à l’intersectionnel. Jean-Louis Livi, l’ami producteur de Depardieu, qui intervient à la fin de ce Complément d’enquête qui bat ses propres records de crapulerie, avance une hypothèse. Le vieux cerf aurait des difficultés de rut, il ne couvrirait pas ses biches avec la même puissance qu’autrefois, et il bramerait son dépit par ces flots de grivoiserie.

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Entrée des violées. Les seules qui ont porté plainte en bonne et due forme. Les autres, toutes celles qui ne savent pas coller une gifle à un malotru ou, ne connaissant pas l’adresse du plus proche commissariat, préfèrent le tribunal médiatique, me paraissent des personnes dangereuses, à discréditer impérativement. Avec ces deux amantes de Gérard Depardieu qui ont porté plainte, c’est comme souvent parole contre parole, et dénonciations anachroniques. Je trouve dangereuse la phrase « les violées sont tellement sidérées qu’elles ne peuvent porter plaintes tout de suite ». Elle ouvre la porte à tous les faux souvenirs et à tous les chantages, principalement dirigés sur des hommes qui ont de l’argent. La première avait été doigtée, consentement, pas consentement ? Voir la problématique Vanessa Springora. La seconde, Charlotte Arnould, une petite jeune femme à l’air fragile qu’on a envie de protéger, a fait l’amour avec l’acteur chez celui-ci. Consentante, pas consentante, bien du plaisir aux enquêteurs. Mais voilà que huit jours après cette atrocité digne de Butcha ou des kibboutz, cette jeune femme, qui devrait avoir en horreur la rue Campagne-Première et tout le sixième arrondissement, retourne chez Depardieu et se retrouve dans ses draps, violée-pas violée. Personne n’a relevé cette incohérence. Dans l’affaire du cardinal Gerlier, on a reproché au prélat d’avoir couvert les agissements d’un prêtre dont la victime, un tout jeune homme majeur, s’était rendue à l’hôtel du violeur à Biarritz, y avait subi un sort terrible. À quelques semaines de là, le pauvre petit était remonté voir son prédateur dans une chambre d’hôtel de Lourdes. Le violé-reviolé et la violée-reviolée devraient être des personnages de vaudeville, ils sont les sujets d’attendrissement d’une époque très bête.

La télévision-délation

Dernier volet de la fresque assassine. Gérard aurait dit qu’à 9 ans, dans sa tumultueuse jeunesse castelroussine, il aurait participé plusieurs fois à des viols de jeunes femmes “qui n’attendaient que ça”. Aucune vieille dame de Châteauroux ne s’est réveillée soixante-cinq ans après les faits pour aller se plaindre de Gégé, mais ça viendra sûrement après l’émission du fouille-merde Waleckx. Il s’agit aussi d’une ignorance complète de ce que pouvaient être les garçons d’une époque moins pudibonde, où l’entreprise de dévirilisation des hommes n’était pas encore lancée par les féministes, où l’on riait plutôt de la vantardise masculine qu’on ne cherchait à la traîner en justice. La vantardise entre garçons, loin des oreilles féminines ! Toutes les filles que j’ai sautées ! Dès que j’entre dans un bal, elles tombent toutes à la renverse et on va voir la feuille à l’envers ! Bravo Waleckx, tu as raison d’arborer ton petit sourire carnassier ! Tu dégommes un grand acteur classé à droite, sa carrière est foutue. Tu te fais une grosse réputation dans le service public, ta carrière de sycophante sera splendide, tu fais oublier Crépol, Butcha, les kibboutz et l’islamisme ravageur. Coup double, triple, quadruple, quintuple !

Gérard Depardieu dans « Maigret » de Patrice Leconte (2022) © CINÉ-@ F COMME FILM et PASCAL CHANTIER – STÉPHANIE BRANCHU