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France et Italie, gagnantes de la mondialisation du luxe

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S’il y a un secteur où la France domine toujours le reste du monde, c’est celui du luxe. Mais elle a besoin de son alter ego, l’Italie, l’autre référence dans ce domaine. Les deux attirent à la fois stylistes, créateurs et consommateurs, et leur poids économique est tel que les sœurs latines valent deux tiers du marché global du luxe. Analyse d’un modèle d’intégration économique qui traverse les frontières.


Le secteur du luxe représente un parfait exemple d’osmose culturelle, artistique et économique entre la France et l’Italie. En plus de son importance économique, l’industrie du luxe incarne le « soft power » capable de fasciner, d’attirer, d’influencer un public en quête d’affirmation et de prestige. Si la France et l’Italie ont réussi à faire rêver le monde entier, c’est parce qu’elles ont été capables de promouvoir avec succès l’image de leurs pays en imposant leur conception de l’art de vivre comme un modèle universel.

Qu’est-ce qui lie inéluctablement ces deux grandes nations du luxe ? Pratiquement tout. Elles représentent les deux faces de la même médaille. Bien que chaque pays se développe à son propre rythme, leur interdépendance est si importante qu’aucun ne peut enregistrer séparément de telles performances, tant sur le plan de la création que sur le plan économique.

Si la France est moins présente que l’Italie au palmarès des 100 groupes de luxe mondial, elle représente un chiffre d’affaires plus important, notamment grâce à des champions tels que LVHM, Kering, Hermès et Chanel. Autre aspect fondamental : les groupes de luxe français ont une plus grande dimension et une rentabilité plus importante que les groupes italiens. De son côté, l’Italie représente le plus important producteur de luxe au monde, concentrant à elle seule presque 80% de toute la production. En outre, elle possède un plus grand nombre de marques authentiques avec un chiffre d’affaires supérieur d’un milliard d’euros. La concentration des métiers et des compétences a permis à la Botte de se positionner comme un gigantesque atelier de création et de fabrication.

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La France et l’Italie ont réussi à accaparer les deux tiers du marché mondial du luxe. En 2023, le secteur a atteint un chiffre d’affaires de 347 milliards de dollars, soit 42 de plus qu’en 2022. Selon les estimations, le luxe atteindra les 600 milliards de dollars d’ici 2030, notamment grâce à la forte demande en provenance de la Chine et de l’Asie. C’est bien cette croissance mondiale que les deux pays visent à exploiter.

Des stratégies complémentaires

Étant conscients du potentiel extraordinaire que l’Italie peut leur apporter, les géants du luxe français ont adopté une vision à long terme en appliquant une stratégie en plusieurs étapes. La première a consisté en l’acquisition des fleurons du luxe italien dans le but d’augmenter non seulement la valorisation de leur portefeuille de marques mais aussi une clientèle mondiale conséquente, et le chiffre d’affaires que ces entreprises génèrent. Le nombre de marques italiennes rachetées par LVMH et Kering est important : Bulgari, Fendi, Loro Piana, Acqua di Parma, Gucci, Bottega Veneta, Pomellato, Brioni.

La seconde étape, aussi fondamentale que la première, fut celle se doter, à travers de nombreux investissements et rachats, des usines de fabrication. Les métiers de l’art et de l’artisanat de luxe sont très demandés, très recherchés et presque impossibles à reproduire à court terme. Aussi, les marques françaises ont embauché des stylistes et des développeurs de talents. Cette approche a permis à ces groupes d’internaliser une production et une compétence unique qui a fortement contribué au développement de leurs marques.

A l’inverse de la France où l’industrie de luxe appartient essentiellement à cinq grands groupes, l’industrie italienne est constituée d’une myriade d’entreprises indépendantes de taille moyenne. Il n’existe d’ailleurs aucun conglomérat sur le modèle de LVMH ou Kering. Les points de force de l’industrie du luxe italienne dérivent de trois principaux facteurs. En premier lieu, le pays a un héritage historique sans précédent. L’Italie est le seul pays au monde qui compte des entreprises familiales historiques leaders dans la production des tissus, des vêtements, des sacs, des chaussures, des bijoux, de la maroquinerie, d’ameublement ou encore des voitures.

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Deuxième facteur, l’Italie possède un modèle industriel décentralisé basé sur des districts productifs et sur des chaînes d’approvisionnement spécialisés dans les métiers de l’excellence présentes au nord comme au sud du pays. Ce modèle donne aux entreprises la flexibilité nécessaire pour concevoir et produire en optimisant sur la variété des chaînes d’approvisionnement. Enfin, le troisième facteur repose tout simplement sur le « Made in Italy », synonyme d’excellence, de créativité et d’originalité. Dans un secteur où le désir et le prestige donnent un sens au concept du luxe, cette image de marque nationale est un coefficient multiplicateur de ventes et de marges. 

Dans l’avenir, le défi qui attend les « jumelles » du luxe mondial est de rester leaders du marché. Pour cela elles devront continuer à innover, générer des nouvelles idées, investir dans la production pour faire face à une demande globale de plus en plus importante et aussi former les nouveaux talents. Si le secteur agricole illustre bien les illusions perdues de la « mondialisation heureuse » vantée autrefois par ses nombreux thuriféraires, le luxe reste pour le moment un contre-exemple.

Michel Mourlet, thaumaturge

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Théoricien et historien du cinéma et du théâtre, grand défenseur de la langue française, dramaturge, romancier et chroniqueur, Michel Mourlet vient de publier à 88 ans un nouveau recueil d’articles. L’écrivain Christopher Gérard rend hommage à un auteur qui n’a cessé de pourfendre les littérateurs médiocres, les dévots de la culture officielle et les contempteurs de la nation.


Près d’un demi-siècle après la parution de L’Éléphant dans la porcelaine (1976), recueil d’articles, paraissait le cinquième volume du Temps du refus, sous le titre Péchés d’insoumission. S’y retrouve le même esprit de résistance spirituelle que dans Crépuscule de la modernité, La Guerre des idées et Instants critiques. Même lucidité, même limpidité dans l’analyse du funeste déclin, même ligne claire dans l’expression, même cohérence mentale – une lame de Tolède.

Michel Mourlet publie aujourd’hui, non pas la suite, mais un complément bienvenu, sous le titre : Trissotin, Tartuffe, Torquemada. La conjuration des trois T, les jalons d’un parcours rebelle depuis plus de six décennies, à rebours des modes et en opposition frontale à la culture officielle. Par une triste coïncidence, ce livre paraît au moment où quelques centaines de poétastres et de rimailleuses dénoncent en chœur, et dans un charabia à prétentions « inclusives », un écrivain voyageur, Sylvain Tesson, coupable d’incarner « une icône réactionnaire ». Éternelle cabale des médiocres qui illustre le mot connu de Bernanos : « Les ratés ne vous rateront pas ».

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Depuis le mitan des années 1950, Mourlet ferraille contre cette alliance des pédants, des faux-jetons et des fanatiques, précurseurs de l’actuelle pensée unique. Parmi les cibles de ce recueil de textes anciens ou récents, les dérives d’une certaine littérature, l’académisme de l’art contemporain, la dégradation continue de notre langue française.

L’ouvrage commence par un « Précis de dégoût politique », une démolition en règle du devoir d’ingérence et de toute illusion romantique : « L’erreur fatale de l’homo politicus moderne est d’auréoler d’une frange mythique de morale de purs rapports de force, de purs affrontements de fauves dans la jungle ». Son programme ? « Retrouver l’ordre naturel des choses, la simplicité de l’être », à savoir les hiérarchies, au fondement de toute société juste et durable.

Sa défense de la nation contre les délires fédéralistes, fourriers du mercantilisme le plus destructeur et de la paralysie la plus débilitante, le poussa naguère à s’engager aux côtés de Jean-Pierre Chevènement.

Les attaques sournoises contre le français exaspèrent Mourlet : « La langue nationale fait partie de nos biens les plus précieux. Le citoyen qui la dégrade est coupable de haute trahison ; le politicien ou le fonctionnaire de l’État qui tolère ou encourage cette dégradation est coupable de forfaiture ». Ses charges contre le franglais sont jubilatoires : il s’agit toujours pour lui de se dresser contre ceux qui, acceptant de perdre leur langue, perdent leur âme.

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Rédigé à vingt ans (!) et dans une totale solitude, son « Contre Roland Barthes », « idole aux neurones tordus », témoigne de sa lucidité comme de la fermeté de son style : « La syntaxe est un impératif des échanges humains, intemporel, non soumis aux aléas de l’Histoire ou à quelque contrainte née de la lutte des classes ». Ou cette conclusion, lumineuse : « L’écriture, opération thaumaturgique, se situe d’emblée hors du temporel ; et lorsqu’elle s’y plonge, elle le solidifie, l’immobilise, le sculpte. Avec son ciseau de sculpteur et les armes plus secrètes de sa musique, l’écrivain se bat contre la mort. Tout ce qui tend à situer la littérature à l’écart de ce drame se condamne à l’insignifiance. » Michel Mourlet ? Un pur classique.

Michel Mourlet, Trissotin, Tartuffe, Torquemada : la conjuration des trois « T« . Jalons d’un parcours rebelle 1956-2022, France Univers, 2023, 215 pages.

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Défendre la littérature !

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Pour l’avocat Pierre-Henri Bovis, la récente tribune signée par des « poètes » et des « écrivains » pour protester contre le parrainage de Sylvain Tesson du Printemps des poètes constitue une nouvelle manifestation de l’intolérance woke. Combattre la cancel culture, c’est défendre la littérature.


C’est par une nouvelle tribune, rédigée naturellement en écriture inclusive, que la cancel culture s’est manifestée le 19 janvier, dans Libération, en s’opposant vigoureusement à la nomination de l’écrivain Sylvain Tesson en tant que parrain du Printemps des poètes 2024.

Le mouvement wokiste ne cesse de se propager dans les milieux culturels, littéraires, musicaux, cinématographiques, et impose sa nouvelle vision du monde. Les nains de Blanche-Neige sont discriminants, le baiser de la belle au bois dormant est un appel au viol tandis que Peter Pan est à la frontière de la pédophilie. Le chanteur et compositeur Kanye West n’a pas résisté à ce déferlement qui abat un peu plus à chaque passage les digues de la liberté d’expression. Agatha Christie n’a pas su résister longtemps aux fourches caudines de cette nouvelle gauche qui s’érige en maître de la bien-pensance en proposant la réécriture d’œuvres littéraires. À se demander si Hannah Arendt ne serait pas bientôt la prochaine cible.

Ce mouvement, quasi orwellien, s’immisce également dans le milieu du droit. Le cas de Jonathan Daval est criant, tant le métier d’avocat a subi des coups de canifs d’une association néo-féministe dont la réflexion ne semblait pas le premier atout. Cette association considérait que la défense de Jonathan Daval faisait peser la responsabilité du crime sur la victime. Un avocat qui assure au mieux la défense de ce genre de criminels serait d’ailleurs complice de ces méfaits au point d’oublier la notion même de « défendre » et la vocation première d’un avocat, qui est un « vir bonus, dicendi peritus ».

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Désormais, l’écrivain Sylvain Tesson en fait les frais. Cet écrivain baroudeur, à la découverte du monde, à l’image d’Ernest Hemingway qui titubait au bar du Ritz, ou de Jack London aventurier invétéré, est une figure incontestable de la littérature française.

Mais sa nomination en tant que parrain du Printemps des poètes 2024 est vécue par certains comme un affront et un appel du pied à l’extrême droite. Ses écrits ne seraient pas jugés assez orientés à gauche politiquement. Le reproche principal, outre son penchant « traditionnaliste », est la rédaction de la préface d’un ouvrage écrit par un autre écrivain de renom, Jean Raspail qui, malgré ce que l’on pense, a manqué de peu de siéger à l’Académie française au fauteuil du philosophe Jean Guitton.

Pour ces quelques raisons, la gauche tente de faire taire Sylvain Tesson. Inutile de perdre son temps à polémiquer, débattre, échanger, discuter, il faut le censurer pour une quasi-atteinte aux bonnes mœurs. C’est à se demander si ce n’est pas bientôt le retour aux grands procès du XIXe au cours duquel le procureur impérial Pinard s’acharnait contre les Fleurs du Mal et Madame Bovary pour séduire Napoléon III.

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Si le procureur impérial n’est plus, la mentalité demeure intacte et se traduit de nos jours par des appels à signer des pétitions visant la censure. Or, dans ces cas précis, les pétitions reflètent cette facilité de mettre au ban un individu par ses signataires qui n’ont écrit aucune ligne ni pesé aucun mot. Apposer son nom permet, lâchement, de se donner une soi-disant bonne conscience. Pourtant, dans un tel cas de censure, la pétition affiche une détestation, une haine de l’autre, au point de vouloir l’interdire.

Loin de la philosophie de Voltaire selon laquelle chaque individu doit pouvoir s’exprimer, nonobstant la contradiction sévère que nous pouvons lui apporter, cette nouvelle génération wokiste souhaite arbitrairement censurer, interdire, cacher, effacer, dissimuler.

L’ensemble des signataires, pour la plupart inconnus, a permis une nouvelle fois de faire vivre cet appauvrissement sévère de l’esprit, cette négation de la diversité du génie humain. Il faut pourtant se féliciter des nombreux soutiens politiques apportés à Sylvain Tesson et, plus que de le soutenir, acheter et lire ses écrits permettra de lutter contre cette déferlante qui veut détricoter, jour après jour, notre patrimoine sacré.

La gauche contre le peuple, de Mitterrand à Pierre Moscovici

Le théâtre d’ombres du remaniement aura relégué dans les coulisses de l’actualité la félonie (au sens moral si ce n’est au sens juridique) de Pierre Moscovici, a qui jeté l’opprobre sur une Cour des Comptes désormais largement décrédibilisée.


Écume des jours, que ce remaniement car entre slogans creux et petites phrases, sur l’essentiel rien ne change. La violence explose (+ 63% de coups et blessures volontaires depuis 2017), il fallait donc que Darmanin reste au gouvernement pour continuer à accuser de tous les maux les supporters anglais, Kévin et Mattéo et Academia Christiana, que Dupont-Moretti reste au gouvernement pour continuer à affirmer que le « sentiment d’insécurité » est « de l’ordre du fantasme », et qu’Emmanuel Macron surenchérisse en attribuant les razzias du début de l’été 2023 à l’oisiveté, mère de tous les vices, et au manque de vacances à la mer et à la montagne. Attila, c’est bien connu, s’ennuyait beaucoup, et que celui qui n’a jamais pillé un magasin, brûlé une école ou incendié une bibliothèque pour compenser le manque de voyages lui jette la première pierre.

Mais Pierre Moscovici lui-même, avec toute son arrogance, n’est pas l’essentiel, seulement la partie temporairement émergée d’un iceberg bien plus dangereux. Le Parti Socialiste a brillament remporté 1,75 % des suffrages aux dernières élections présidentielles et 5 % aux législatives, et pourtant ! C’est un président de la Cour des Comptes issu du PS qui a caché à la réprésentation nationale des informations essentielles lors de l’adoption d’une loi dont un président de la République issu du PS a aussitôt annoncé qu’il ferait détricoter les dispositions qui lui déplaisent par un Conseil Constitutionnel dont le président est issu du PS, pendant que les régions dirigées par le PS annonçaient qu’elles refuseraient de respecter la loi. Et ce sujet a été chassé du devant de la scène par le remplacement d’une première ministre issue du PS par un premier ministre issu du PS, le tout dans une capitale dirigée (ou plutôt méthodiquement détruite) par une édile encartée au PS.

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« C’est une décision que j’ai prise, personnellement » a déclaré Pierre Moscovici, avouant en substance qu’il s’est senti légitime pour estimer, du haut de son immense sagesse, que le Parlement manquait de discernement et aurait utilisé ce rapport « à mauvais escient ». Macron en son temps avait affirmé « j’ai très envie de les emmerder, donc on va continuer de le faire, jusqu’au bout », le point clef n’étant évidemment pas la grossièreté du « emmerder » mais « j’ai très envie, donc ». Sur X/Twitter, un internaute a évoqué la « République du bon plaisir », qu’il me permette de lui emprunter cette excellente formule qui synthétise avec élégance la décadence, pour ne pas dire la déliquescence, des institutions léguées par le Général de Gaulle.

Et en bonne tradition gauchiste, le bon plaisir de cet extrême-centre constitué autour du « cercle de la Raison » cher à Jacques Attali ne manque pas de se draper de vertu, et de se nourrir de la conviction de sa supériorité intellectuelle et morale sur « ceux qui ne sont rien » et autres « sans-dents », accusant de populisme quiconque a l’outrecuidance de rappeler qu’en démocratie, normalement, le peuple est souverain.

Rien de nouveau sous le soleil, la gauche jadis était massivement opposée au vote des femmes car elle craignait que celles-ci soient trop influencées par l’Eglise : il faut croire qu’une démocratie de gauche, c’est fondamentalement une démocratie où seule la gauche a le droit de vote. Et la Vendée se souvient de la manière dont ceux qui croient que la France est née en 1789 peuvent traiter ceux qui savent qu’elle est née avec Clovis.

Plus récemment, un moment majeur de cet immense mépris que les apparatchiks socialistes – rapidement imités par les oligarques de droite – éprouvent pour les Français est la suppression de la peine de mort, dont ils ont toujours clamé avec fierté qu’ils l’avaient réalisée contre la volonté du peuple. C’est d’ailleurs devenu depuis l’exemple récurrent cité par le personnel politique, les éditocrates et les « philosophes » germanopratins pour démontrer, croient-ils, qu’il faut ne pas suivre la volonté générale, que les référendums sont dangereux, et – pour le dire clairement – que le peuple n’est pas fait pour exercer la souveraineté mais pour suivre des guides éclairés – eux-mêmes s’attribuant bien sûr ce rôle. Ils se prennent pour Richelieu canalisant les humeurs d’un Louis XIII immature et capricieux, oubliant opportunément que Richelieu, lui, a rendu la France plus puissante et plus grande alors que depuis des décennies l’hégémonie du « progressisme » gauchiste ne brille pas vraiment par la qualité de ses résultats.

Il ne s’agit pas de discuter ici du bien-fondé de la peine capitale, juste de constater que ces gens ont décidé, il y a 40 ans de cela, que la populace n’avait pas son mot à dire face aux beaux esprits qui président aux destinées du pays, et à leurs valeurs forcément supérieures à celles du vulgum pecus.

Le fait que l’abolition de la peine capitale ait figuré dans le programme de Mitterrand n’empêchait pas une large majorité des Français de vouloir son maintien : un programme électoral est forfaitaire, et on ne vote pas pour un candidat parce qu’on est d’accord avec le moindre de ses points. Mitterrand a du reste trahi bien des fois sa parole, et en 1983 il a définitivement abandonné le peuple et l’essentiel de son programme pour épouser le capital et l’Europe ploutocrate, cette fois au rebours du mandat à lui confié, à la plus grande joie du centre et de la « droite du fric », qui en retour ont adopté et le sociétal délirant, et la morgue anti-démocratique de leurs ennemis préférés.

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Tout ce beau monde ayant acté qu’il était décidément plus simple de gouverner sans le peuple, le RPR, parti de droite populaire, disparut bientôt pour laisser la place à un centrisme bourgeois mou, miroir du socialisme, au point qu’il devint impossible, la calvitie aidant, de distinguer un Juppé d’un Fabius.

Et c’est ainsi qu’au fil des décennies, tout en évoquant les mânes de Clemenceau, Blum et de Gaulle, cette clique qui a fini par se rassembler dans le macronisme a nié la Nation, ce seul bien des pauvres, au bénéfice d’un européisme fanatique ; contourné le référendum de 2005 pour mieux plier devant Bruxelles ; soutenu la soif de censure d’institutions sans aucune légitimité démocratique – on pense à Von Der Leyen appelant ces jours-ci au forum de Davos à un « contrôle global de l’information » ; et applaudi l’immigration incontrôlée, que la gauche populaire refusait pourtant jadis dans l’intérêt des travailleurs, au temps où elle comprenait encore qu’un lumpenproletariat d’importation est évidemment l’ennemi du prolétariat.

Moscovici a trahi l’esprit de sa mission pour favoriser la perpétuation de l’immigration massive. Dans le même but, Macron nie l’évidence du lien entre certaines immigrations et les razzias du début de l’été 2023. C’est que l’immigration massive, surtout en provenance de cultures pour lesquelles la soumission à l’arbitraire est la norme, que cet arbitraire soit divin ou politique, est l’outil parfait pour abolir la démocratie.

La démocratie présuppose en effet que soit constitué un démos, un véritable peuple, souverain sur son territoire, et non plusieurs communautés aux arts de vivre incompatibles se partageant une construction administrative, ou une population atomisée. Et c’est encore plus vrai de ce qui est encore plus précieux que la démocratie, ce qui, quel que soit le régime politique, est la véritable souveraineté des petites gens, le principal contre-pouvoir aux caprices des « grands » et aux fantasmes d’ingénierie sociale des idéologues : la décence commune.

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« Une population – un terme de la langue préfectorale et administrative – désigne l’ensemble des personnes qui habitent un espace. Un peuple, l’ensemble des héritiers d’une même histoire, soit une population façonnée par le temps. Il lui doit sa langue, sa religion, ses habitudes alimentaires, une façon de s’habiller et, en général, accompagnant ces traits distinctifs, une certaine fierté, sentiment qu’exaspère la présence prolongée d’intrus sur un sol qui n’est pas le leur. Les populations seraient beaucoup plus maniables si elles n’étaient constituées en peuples, ou, à défaut, en tribus, clans et communautés venant de loin, eux aussi ». Ce ne sont pas là les propos d’un dangereux identitaire s’excluant par ses outrances du sacro-saint « champ républicain », ni d’un populiste, d’un complotiste ou d’un quelconque « proxy de Moscou » pour citer Sébastien Lecornu (car conformément à la bonne vieille rhétorique des républiques bananières, la macronie aime dire que toute opposition présentant un risque réel pour le pouvoir en place est forcément aux mains d’agents de l’étranger). Non, rien d’aussi sulfureux. C’est une citation de Régis Debray, dans Civilisation. A méditer.

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Pourquoi Nicolas Sarkozy m’a-t-il déçu?

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Loin d’éprouver la moindre « haine » pour l’ancien président de la République, Philippe Bilger avoue être pourtant radicalement désappointé par ce dernier et son rôle d’homme de l’ombre de la macronie.


Est venu à mes oreilles un bruit selon lequel Nicolas Sarkozy (NS) se demanderait pourquoi j’éprouve une telle hostilité à son égard. À condition que cette information soit vraie et même si elle l’est, je me doute bien que NS n’y a pas consacré plus que quelques secondes.

Il n’empêche que pour ma part je tiens à m’expliquer, notamment pour répondre à ces obtus des réseaux sociaux qui, confondant tout, ne cessent d’évoquer « ma haine » – ce qui est ridicule – à l’encontre de l’ancien président continuant à manoeuvrer dans les coulisses du macronisme pour enfoncer encore davantage, espère-t-il, les Républicains.

NS m’a déçu pourtant, et c’est une évidence.

D’abord les admirations vite brisées créent de douloureuses frustrations dont l’aigreur est à proportion inverse des formidables espérances d’avant.

La République « irréprochable » promise en 2007 a été saccagée, il est vrai avec l’appui de quelques personnalités complaisantes, et pour moi ce fut un désappointement radical qui n’a pas été minimisé par son peu d’estime initial pour la magistrature et son incompréhension des règles strictes de l’État de droit.

J’étais d’autant plus amer que j’avais été ébloui par son exceptionnelle campagne de 2007 qui jamais n’a été égalée.

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J’avoue que son quinquennat, à l’exception de durables moments forts où sa naturelle agitation s’est muée en une action remarquablement efficace, m’a perturbé aussi par ses apparences où une forme de familiarité voire de vulgarité, en des circonstances appelant autre chose, a dominé. Je me suis senti blessé en ma qualité de citoyen l’ayant élu en présumant une allure et une dignité trop souvent absentes.

Après sa défaite en 2012, qu’il a admise sans barguigner, faut-il rappeler les nombreuses péripéties politiciennes qui l’ont conduit à vouloir jouer encore un rôle dans le parti dont il avait été l’emblématique incarnation ? Avec des manoeuvres que la lucidité ne guidait pas toujours et qui étaient inspirées par le souci de promouvoir ses affidés et ses inconditionnels. Ainsi on a attendu, à cause de lui, que François Baroin, durant un temps interminable, veuille bien se décider à dire non à la candidature présidentielle !

Convient-il aussi de faire le compte des multiples procédures judiciaires qui ont surgi de son quinquennat ou de ses suites, sur le plan national et international ? Que certaines aient abouti à des exonérations et d’autres à des condamnations ne rend pas moins insupportable ce triste inventaire que l’attitude générale de NS à l’égard des juges n’a pas amélioré. Ce n’est pas à lui seul que j’ai envie de jeter la pierre tant il a été conforté, dans ses postures critiquables, par une majorité à la fois politique et médiatique ignorante et peu regardante sur l’éthique publique.

Sa défaite nette à la primaire organisée pour la droite et le centre, et la victoire éclatante de François Fillon, auraient pu laisser croire à un retrait de NS acceptant, une bonne fois pour toutes, les autres voies que son désir d’action lui proposait, avec la conséquence d’un désinvestissement de la politique.

Ce fut le contraire. Pour le pire.

L’élection d’Emmanuel Macron, puis sa réélection, ont sans doute suscité chez l’ancien président, à cause aussi de son ressentiment pour sa déconfiture de la primaire, une obsession de peser sur le cours de la vie politique française grâce à l’influence réelle dont il se créditait et à la manipulation très habile dont le président usait pour le mettre en confiance et le persuader de son irremplaçable utilité.

NS est allé ainsi au bout d’une logique de désaffection partisane, d’abandon et de traîtrise, manifestée par plusieurs épisodes et mise en oeuvre aussi bien au détriment de Valérie Pécresse que lors des dernières élections législatives, par des coups fourrés ultérieurs, par l’obsession de persuader son ancien camp de se dissoudre dans le macronisme et, enfin, par de médiocres tactiques favorisant l’ignominieux sort fait au sénateur Pierre Charon et validant la désertion de Rachida Dati.

Il a voulu détruire la droite qui l’avait banalisé et servir une cause qui l’a dégradé.

Cela fait tout de même beaucoup et il ne faut rien de moins aujourd’hui que la cécité de plus en plus rare d’une minorité exsangue de soutiens pour ne pas s’émouvoir de telles turpitudes politiques!

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Il me semble que tout ce que je viens d’énoncer dans ce post est de nature à justifier une déception à l’égard de la personnalité publique de NS. Elle n’est pas contradictoire avec la pertinence de certains entretiens qu’il donne et où on retrouve la vigueur intellectuelle et décapante du candidat de 2007.

Mais, pour être honnête avec mes lecteurs, il y a également un élément personnel qui a joué et qui a accentué mon hostilité. Quand j’ai appris que ministre de l’Intérieur, il s’était permis, interviewé par le Monde, comparant Patrick Kron avec mon frère Pierre, de vanter celui-là pour dénigrer celui-ci, je n’ai pas accepté cette totale injustice et ne l’ai pas oubliée. NS défend sa famille. Moi aussi. Et cette indélicatesse émanant de lui relève d’un sacré culot !

J’espère que ce billet mettra les choses au clair et que je n’entendrai plus cette absurdité que ce serait par corporatisme, en tant qu’ancien magistrat, que je serais déçu par NS. Alors que j’ai trop bien cultivé l’art de déplaire au sein de la magistrature et qu’elle me l’a bien rendu.

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L’indigne Georges Despaux

Le roman de Cécile Chabaud retrace l’étrange parcours de Georges Despaux (1906-1969). Ce collabo notoire a été déporté par les nazis à Auschwitz et Buchenwald puis condamné à l’indignité nationale à la Libération. L’horreur des camps a pourtant révélé chez ce marginal une grande humanité.


Certains d’entre nous vivent entre chien et loup : dans la lumière, ils se perdent, dans l’ombre, ils s’égarent. Ils incarnent notre humanité inquiétante et pitoyable et, parfois, admirable. C’est le travail de l’écrivain de remonter la piste qui mène de leur déchéance à leur énigme. Cécile Chabaud est un écrivain.

Pendant la guerre, M. Mélenchon aurait-il été résistant ou prudent ? Maquisard en blouson de cuir ou petit pépère du peuple en charentaises ? Ne pouvant répondre pour moi-même, je ne saurais me prononcer pour notre trotskyste d’arrondissement. Mais je l’imagine sans peine, à la Libération, en imprécateur de prétoire. Les coupables, réels ou supposés, auraient-ils eu la moindre chance devant ce justicier expéditif qui se serait levé tôt pour requérir, ce « matin du 6 décembre 1945, où s’ouvrait le procès d’un salaud » ?

C’est compliqué !

L’homme que l’on va juger, à Pau, se nomme Georges Despaux (1906-1969). Souffreteux, contrefait, il a l’apparence de ces personnes prodigieusement maigres, avec, dans le regard, un reflet de lassitude et de découragement, et que l’on appelait les déportés. D’ailleurs, c’est un déporté : d’abord à Auschwitz, ensuite à Buchenwald, où il se lie d’une amitié fraternelle avec Samuel, un juif originaire de Louvain, en Belgique. Pourtant, peu de temps avant sa déportation, il avait écrit des articles éclaboussés d’une tache indélébile d’encre antisémite, dans une feuille de chou éditée par la branche locale du Parti populaire français (PPF), fondé par Doriot, que Sophia Chikirou croit reconnaître dans Fabien Roussel, actuel chef du Parti communiste, auquel appartenait avant sa conversion au nazisme ce même Doriot !

Contre l’illusion de l’apparence

Cécile Chabaud ne dissimule rien des fautes, ni rien de leur gravité, de ce personnage auquel elle donne un destin : de cet homme qui eut une existence physique, elle fait une création littéraire. C’est par la fiction, cette chance supplémentaire accordée au réel, qu’elle fonde cette personnalité trouble autant que troublante, acharnée à se perdre, à s’égarer dans les passions tristes, à suivre les conseils de cette présence négative qui vient le visiter régulièrement, qu’au fond il exècre, mais dont il est sûr qu’elle nuira définitivement à sa réputation, jusqu’à le rendre « indigne » de vivre au milieu des hommes…

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Il est malaisé d’entrer dans les détails d’un récit impeccablement construit. Despaux, guidé par un esprit retors, emmêlé dans ses contradictions, a brouillé les cartes et n’a pas fait d’aveux indiscutables. Sans doute contrarié par ses vilenies, ce diable d’homme, qui donne l’impression de se sentir surnuméraire, se cherche un mauvais rôle dans le théâtre de l’Occupation. On le sait collaborationniste, il quitte le PPF, il prétend avoir œuvré en sous-main pour l’Intelligence Service, on le suspecte d’être un escroc. À la fin, il est effectivement arrêté par la Gestapo le 1er février 1944. Condamné comme prisonnier politique (!), après quelques pérégrinations, il parvient à Auschwitz en avril, puis rejoint Buchenwald le 12 mai, jusqu’à la libération du camp, le 11 avril 1945[1].

L’auteur a d’abord mené une enquête, croisé des textes, rencontré les derniers témoins. Quelque chose lui interdisait de refermer le dossier Despaux sur l’infamie qui le signalait à la mémoire de presque tous ceux qu’elle a rencontrés. Elle a tenu tête à l’illusion de l’évidence, elle a trouvé une ligne d’espoir. Elle tenait son affaire, qu’elle pouvait faire basculer dans l’univers hautement révélateur du roman.

Les métamorphoses

C’est à Auschwitz, où il est enfermé peu de temps, et surtout à Buchenwald, dans un univers de pure cruauté, qu’il va se révéler tel qu’en lui-même : amical, protecteur, sensible, talentueux. Il dessine sur des feuilles de fortune ; ses œuvres éblouissent ses codétenus, les divertissent : il est solidaire, estimé, reconnu. Cet ancien de la collaboration, en quittant ses vêtements souillés d’ordures morales pour le pyjama rayé des martyrs, consent enfin à baisser sa garde de crapulerie et trouve sa rédemption. Georges était doué, il possédait toutes les qualités qui font les vies réussies : quelle faille originelle n’avait cessé de grandir en lui, de diviser son être, d’égarer sa raison, de le discréditer ? Dans le camp, il s’attache à Samuel, se prive de pain pour le nourrir, le sauve de la mort : Samuel est juif, de cette « race » qu’il disqualifiait dangereusement dans ses articles d’agitateur plébéien. Ce faisant, il n’assure nullement son avenir : ce cloaque d’extermination abolissait tout espoir de survie. Il survivra, cependant, et Samuel aussi[2]. Néanmoins, en 1945, peu après sa libération, Georges Despaux, collabo notoire, est condamné à l’indignité nationale. Par la suite, il abandonne sa famille, il se retire du monde, se métamorphose encore, cette fois jusqu’à l’effacement social, avant de mourir dans la solitude et le dénuement complet. Samuel ne va jamais le renier, va le secourir sans relâche, mais il était impossible de le maintenir longtemps au-dessus du vide.

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Soit un homme, un Français, un sale type selon toute vraisemblance, plus précisément un mystère français qu’a voulu percer un écrivain. Cécile Chabaud a sauvé du néant d’abjection où il s’était jeté volontairement, un homme voué au malheur d’être né.

À lire: Cécile Chabaud, Indigne (illustré de superbes dessins de Georges Despaux), Écriture, 2023.

Du même auteur, professeur de français : Rachilde, homme de lettres, Écriture, 2022 ; Tu fais quoi dans la vie ? Prof !, L’Archipel, 2021.


[1]. « Le 11 avril 1945, des prisonniers affamés et émaciés prirent d’assaut les tours de guet et s’emparèrent du contrôle du camp. Plus tard dans l’après-midi, l’armée américaine entra dans Buchenwald. […] On estime qu’au moins 56 000 prisonniers masculins, dont 11 000 juifs, furent tués par les SS dans le complexe concentrationnaire de Buchenwald » (Encyclopédie multimédia de la Shoah).

[2]. Depuis plusieurs années, une passionnante exposition intitulée « Georges Despaux : une mémoire contre l’oubli » présente, avec un appareil pédagogique très complet, nombre des dessins que Georges confia à son ami Samuel Vanmolkot (pour l’état civil). Cette exposition itinérante, qui circule partout en France, est une initiative du fils de Samuel. Elle témoigne de l’abominable condition de vie des déportés. Prochaines dates d’expo non communiquées à ce jour.

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Le moment Lanzmann

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40 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un film vit le jour : Shoah. Le chef-d’œuvre de Claude Lanzman, qui dure 9h30, exigea 11 ans d’un travail acharné. Aujourd’hui, un ouvrage collectif intitulé Le moment Lanzmann, publié sous la direction de Jean-Jacques Moscovitz, rend hommage à la fois au cinéaste et à l’évènement historique que représenta la sortie du film. Le fait que ce livre soit publié le 4 décembre 2023, soit presque deux mois après le 7 octobre, n’est pas anodin.


Dans Shoah la question éthique est centrale : aucune image d’archives, aucune mise en scène de femmes nues dans des chambres à gaz ; contrairement à Spielberg dans La liste de Schindler. L’impératif était radical : ne pas porter atteinte aux morts et ne pas mettre le spectateur en position de voyeur s’identifiant, de fait, au nazi qui réellement avait vu cela. Pourquoi ? Pour ne pas en jouir. J’ai connu des adolescents ayant eu une érection devant des corps de femmes entassées et dont le peu de poitrine qui restait attirait l’œil. Un tel scandale, Lanzman n’en voulut pas. Par égard pour les morts, pour lui-même et pour nous. « Dans Shoah, on n’est pas en position de spectateur », dit-il. De quoi alors ? De témoin que le film nous fait devenir, dans le meilleur des cas . Les images qui constituent Shoah sont, aux yeux de son réalisateur « une incarnation ». Il ajoute : « Or, les choses ne deviennent vraies que si elles sont incarnées, sinon c’est du savoir théorique, c’est du savoir abstrait, c’est du savoir pauvre ». Prendre connaissance est d’une autre envergure, et à l’ère de « l’information » élevée au pinacle, il est urgent de s’en souvenir.

Imre Kerzetz, cité dans le livre, disait : « J’ai l’impression qu’il faudra encore beaucoup de temps pour que la nation hongroise comprenne qu’Auschwitz n’était pas l’affaire privée de juifs disséminés dans le monde, mais un évènement traumatique de la culture occidentale qui sera peut-être considéré un jour comme le début d’une nouvelle ère ».

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C’est ce qu’écrit dans  ce livre Arnaud  Desplechin, cinéaste, lorsqu’il raconte l’évènement que constitua ce film pour lui et sa génération : « Je voudrais décrire cet évènement historique si important : la montée de la Shoah à la conscience des hommes pour la compréhension – l’énigme ? – de son unicité : la montée à la conscience de l’ampleur du désastre. Nous avions cru vivre l’après-guerre. Et nous n’avions rien vécu du tout, nous n’avons que continué l’avant-guerre ».

Pour Jean-Claude Milner, linguiste et philosophe, Shoah est le premier film qui fait de la destruction des juifs un évènement à part entière et, en aucune façon, un « détail » de la Seconde Guerre mondiale. A ses yeux, « le génie de Claude Lanzmann se résume à trois découvertes nouées l’une à l’autre. Avoir décidé que seul le langage permettrait de traiter d’une destruction sans ruines. Avoir compris que le langage s’accomplit dans et par la parole. Avoir conclu que le cinéma tel qu’il était devenu grâce à ses chefs-d’œuvre, fournirait le moyen nécessaire ». Pour qu’advienne « ce moment où se dégage de l’être parlant une autre forme d’être » que Lacan nomma «  le parlêtre ». Par ailleurs, J.C. Milner analyse le 11 septembre 2001 comme l’annonce d’une nouvelle ère ou de la poursuite de la précédente dans la même volonté d’anéantissement, cette fois-ci du XXème siècle. « Un même souci d’effacement des traces » s’y manifeste (comme dans le wokisme). Une même ligne conductrice en somme.

 Georges Bensoussan, historien, à qui nous devons la citation d’Imre Kerzetz, interroge la portée de ce film et son enseignement. « Dans un monde où la déshérence et la désaffiliation disent le contraire de ce que nous tentons d’enseigner », que peut signifier l’enseignement de la Shoah ? Paradoxe absolu à laquelle notre époque est confrontée. Que faire avec la « césure anthropologique » que cet « évènement traumatique » créa ? Comment transmettre dans un monde qui a cassé la transmission ? Par ailleurs, mais cela va avec, alors que « la domination du biologique revient sous les traits de l’homme transformé, augmenté, trans-genre », il rappelle que le nazisme avait initié ce remodelage de l’espèce humaine au nom de la race.

Mais Le moment Lanzmann dit ses autres films aussi, dont Pourquoi Israël sans point d’interrogation. A son sujet, Michel Gad Woltowitcz, psychanalyste, écrit qu’« il dégage le temps-architecte (Heschel) de la transmission, une réflexion sur la reconstruction de l’homme par la réappropriation d’un temps intérieur, un retour à sa propre histoire vers le plus d’être possible, de puissance de vie, transformant les difficultés, le mortifère, en forces de vie ». Ils sont venus de 70 pays, et parmi eux, un Russe que Lanzmann accompagne au mur des Lamentations et qui dit : « Je n’ai pas été ici depuis 2000 ans ». Film drôle et plein de vie selon Woltowitcz, à l’image de son réalisateur qui avait le désir de vivre chevillé au corps.

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La question éthique y est centrale, ai-je dit. Elle nous revient en pleine face à l’heure où des gens se prennent en selfie devant ce qui fut la machine à broyer de l’humain, où le touriste se substitue à l’apprenti-témoin, quand ce ne sont pas les tueurs qui filment eux-mêmes leurs actes avant de les balancer sur la toile. Qu’Israël n’ait pas voulu rendre publiques les images du 7 octobre rejoint la volonté essentielle qui anima C.Lanzmann ; celle de ne pas céder un pouce à l’obscénité, de ne pas répandre la jouissance du mal, autrement dit la pulsion de mort comme une traînée de poudre.

Que les multiples auteurs que je n’ai pas cités me pardonnent ; tous les textes sont ici essentiels. Précisons que Lanzmann y parle avec différents interlocuteurs, et que le dialogue avec François Margolin, tiré du film qu’ils firent en Corée du Nord, y est savoureux ; notre cinéaste y récite « Le Bateau ivre » de Rimbaud en entier ! Enfin, Dominique Lanzmann-Petithory, veuve du cinéaste, conclut l’ouvrage avec une simplicité bouleversante, en évoquant la mort de leur fils Félix à 23 ans et le devenir de l’œuvre dont elle est la légataire.

Shoa sera diffusé en intégralité sur France 2 le mardi 30 janvier, à partir de 21h10, ( jusqu’à 6h30 ) et ce, pour commémorer la libération du camp d’Auschwitz le 27 janvier 1945.

Le moment Lanzmann: Shoah, événement originaire. Sous la direction de Jean-Jacques Moscovitz (David Reinharc Editions, 2023).

Contributeurs : Georges Bensoussan, Nellu Cohn, Corina Coulmas, Arnaud Desplechin, Dominique Lanzmann, Marie-Christine Laznik, Jean-Claude Milner, François Margolin, Eric Marty, Richard Prasquier, Baptise Rossi, Marc Sagnol, Didier Sicard, Anne-Lise Stern, Philippe Val, Michel Gad Wolkowicz.

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Numérique: l’enfer est taxé de bonnes intentions

Rouleaux compresseurs de l’industrie du divertissement, les plateformes de musiques et de vidéos en ligne vont bientôt être redevables d’un impôt spécial au titre de la « justice sociale ». Une fausse bonne idée, selon le chercheur, spécialisé en intelligence artificielle et musique, François Pachet, qui est atterré que le législateur ne comprenne rien à l’économie digitale.


Depuis les succès du streaming, désormais la première forme de diffusion de la musique, de nombreuses voix s’insurgent contre les rémunérations très faibles versées aux artistes par les plateformes. Le sujet est complexe, mais il est vrai que vivre de sa musique est aujourd’hui très difficile, à moins d’être une star internationale. Il faut faire un million d’écoutes pour gagner quelques milliers d’euros, dont seulement une petite partie est reversée aux artistes. Qui fait des millions de streams aujourd’hui en France ? N’oublions pas cependant que le streaming réalise un rêve ancien, voire antique : rendre la culture accessible à tous, à grande échelle et partout. L’accès plutôt que la propriété : le streaming crée un monde dont les boomers les plus audacieux n’auraient jamais rêvé. Les plus riches d’entre eux possédaient une centaine de vinyles. Un jeune de la génération Z a à sa disposition immédiate et quasi gratuite (dix euros par mois) environ 100 millions de titres. Nous sommes passés de la rareté stable à ce que les anthropologues appellent une société d’abondance. Nous l’avons tous voulue, nous l’avons eue.

À première vue, trouver des financements pour permettre à la filière de compenser des revenus trop faibles semble donc être une bonne idée. La loi votée le 13 décembre par l’Assemblée nationale prévoit de prélever 1,5 % du chiffre d’affaires des diffuseurs de musique par streaming. Cette loi concernera les acteurs comme Spotify, Deezer, mais aussi de gros diffuseurs comme Amazon, Apple ou Google (via YouTube), qui représentent des parts de marché non négligeables.

C’est malheureusement une loi inique, voire stupide. Déjà, taxer le chiffre d’affaires (les revenus) et non pas les bénéfices relève d’une vision étrange de l’économie (on apprend désormais au lycée, voire au collège, qu’une société a des charges, qu’il faut retrancher du CA pour obtenir le bénéfice). Les revenus des plateformes de streaming sont par ailleurs reversés à 70 % environ aux ayants droit, c’est-à-dire aux labels (Universal, Sony Music, etc.). Moribonds dans les années 2000 quand la musique a été massivement numérisée grâce au format MP3, victimes de piratage massif, ils sont aujourd’hui plus riches que jamais, et ce grâce à ces plateformes qui leur reversent des milliards de dollars par an. Cependant, aucune plateforme aujourd’hui n’est encore véritablement rentable. Les bénéfices réalisés par les acteurs indépendants Spotify et Deezer, tous deux européens (Deezer est né en France, Spotify est suédois), sont fragiles. Depuis sa création en 2008, Spotify n’a jamais été profitable sur une année entière ! En cause, précisément, les charges élevées (maintenir une plateforme pour 500 millions d’utilisateurs est très coûteux) et le reversement de l’essentiel des revenus aux labels. En 2023, Spotify a licencié environ 25 % de ses effectifs dans l’espoir de parvenir enfin, après quinze ans, à être profitable. Enfin, ces deux entreprises, les seules européennes du secteur, doivent lutter contre des services analogues proposés par les fameux Gafam (notamment Amazon, Apple, Google), qui sont régulièrement accusés de domination excessive. Il faut noter que les revenus spécifiques au streaming de ces Gafam ne sont pas connus, car ils sont mélangés à d’autres activités (vente d’ordinateurs et d’iPhones pour Apple, vente de tout pour Amazon) qui sont, elles, très lucratives. On peut cependant douter qu’ils soient rentables en eux-mêmes. On taxe donc une activité européenne pas ou peu rentable, qui lutte à armes inégales contre les méchants Américains. D’ailleurs, la loi à peine votée, Spotify a déclaré qu’il réduirait ses investissements en France, et abandonnait son soutien financier aux Francofolies de La Rochelle et au Printemps de Bourges : cherchez l’erreur.

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La relative faiblesse des revenus des artistes s’explique par le fait que les labels conservent l’essentiel des revenus (un contrat typique donne environ 10 % à l’artiste). Si les plateformes de streaming peinent à trouver la rentabilité, il faut chercher les causes ailleurs que dans la gourmandise des artistes.

Le fait est qu’au moment où le rêve d’un accès universel à la culture se réalisait, la démocratisation des moyens de production musicale (le home studio) engendrait un effet imprévu : la surabondance de l’offre. Fini les coûteux studios d’enregistrement avec des tables de mixage sophistiquées et des ingénieurs du son pour les piloter. N’importe qui peut désormais, pour un coût dérisoire, composer et produire entièrement un titre sur son lit (il y a même un style de musique clinophile[1] : la bedroom pop). Les plateformes proposent à peu près autant de nouveaux titres par jour qu’il y en avait par an en Angleterre il y a vingt ans ! Par conséquent, beaucoup plus d’artistes, beaucoup plus de musique et une difficulté quasi insurmontable pour un nouvel arrivant de se frayer une place dans les playlists et les recommandations plus ou moins automatiques.

Autant dire que la loi streaming ne réglera rien. Il faut souligner que la plupart de nos députés sont totalement incompétents dans les matières techniques et scientifiques. On avait Cédric Villani, un brillant esprit capable de comprendre et synthétiser des domaines entiers de l’industrie de la « tech », mais il n’a pas survécu aux mouvements chaotiques de la vie politique. Dans l’Assemblée nationale actuelle, on peine à trouver un élu ayant une quelconque expérience (ne parlons même pas de connaissance) des milieux de la tech qu’il faudrait aujourd’hui, plus que jamais, défendre.

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En réalité, ce texte est un sparadrap de fortune qui cache mal le problème de fond dont personne n’ose parler : la dévaluation de la culture numérique. On le sait, quand on fait tourner la planche à billets, on crée de l’inflation en dévaluant la monnaie. Pourquoi en irait-il autrement avec une création culturelle toujours plus prolifique, plus rapide, plus balisée, plus facile à produire ? On ne peut pas à la fois prétendre que n’importe qui est artiste et garantir à tous ces artistes des revenus susceptibles de les faire vivre. Le même phénomène touche les livres – les éditeurs ont du mal à lire tous les manuscrits qu’ils reçoivent, au point que pendant le Covid, ils ont cherché à calmer les ardeurs des auteurs en herbe. Et le cinéma n’échappe pas à cette tendance. Comme dit Éric Neuhoff, on n’a peut-être pas besoin de 250 films français par an. Finalement, l’abondance culturelle, longtemps désirée, n’est peut-être pas si désirable.


[1]. La clinophilie est le besoin (pathologique) de rester couché.

Reconfiguration du monde arabe : quelles clés pour surmonter les tensions ?

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Afin de protéger leurs intérêts, l’Europe et la France se doivent de mieux comprendre les relations et tensions complexes existant entre les différents acteurs au Moyen Orient. Il s’agit surtout de pouvoir choisir les meilleurs partenaires arabes pour contrer à la fois le salafisme, le frérisme et l’axe russo-iranien. L’analyse de Gabriel Robin.


Depuis plusieurs décennies, le monde musulman est caractérisé par d’importantes tensions et une instabilité politique qui ont des conséquences graves sur les ensembles voisins, à commencer par l’Europe. Dans ce jeu d’échecs que se livrent des puissances et intérêts divergents, la France doit pouvoir compter sur des pôles moins hostiles alors que son influence au Sahel et dans le Moyen-Orient décline au fil des ans.

La guerre déclenchée par le Hamas le 7 octobre 2023 a notamment pu mettre en lumière l’insigne fragilité de la région du Levant, où de nombreux Etats sont en passe de faillir et peinent à envisager sereinement le futur (Liban, Syrie). Pourtant, cette région du monde qui fut la première à s’éveiller au Néolithique détermine toujours une grande part de notre prospérité collective, tant par les richesses en hydrocarbures qu’elle contient que par sa nature intrinsèque jamais contestée de « route de la soie ». La mer Rouge est ainsi toujours l’un des principaux canaux des échanges commerciaux maritimes, d’où les préoccupations légitimes entourant les velléités impérialistes de l’Iran qui agit par ses « proxys Houthis » au Yémen en déroutant les navires marchands qui opèrent la jonction entre la mer de Chine et la Méditerranée.

Car, au fond, la nouvelle phase du conflit opposant Israël à la Palestine est intervenue au pire moment, peut-être du reste à dessein puisqu’une partie des pays arabes étaient entrés dans une phase de normalisation avec l’Etat juif grâce aux Accords d’Abraham signés sous le patronage américain de Donald Trump. Ce dernier avait réussi à réunir cinq signataires menés par les Emirats arabes unis et le Bahreïn, rejoints ensuite par le Maroc et le Soudan. Le président égyptien al-Sissi et le gouvernement d’Oman avaient de leur côté salué ces avancées. L’enjeu était d’ailleurs que ces pays ayant normalisé leurs relations avec Israël soient finalement rejoints par l’Arabie saoudite, ce que la guerre a reporté à un futur incertain. Reste que la politique constante des Emirats arabes unis n’a pas été remise en question, s’agissant d’un partenariat stratégique de long terme.

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Il nous faut comprendre que les pays arabes stables sont aujourd’hui engagés sur deux fronts qu’ils doivent contenir afin de poursuivre sereinement leur développement : celui de l’axe iranien et celui de l’islam politique sunnite. Ces deux fronts se trouvent en filigrane de tous les conflits actuels dans la région et au-delà, qu’il s’agisse du Sahel, du Yémen ou du Soudan, qu’a encore illustré le sommet de la Ligue Arabe de 2022. L’Algérie y a affiché un positionnement antisioniste radical mais aussi une détermination à conserver son emprise sur le Sahel que les généraux jugent être une arrière-cour naturelle dans laquelle toute concurrence arabe est vue d’un très mauvais œil. Depuis, de nouvelles crises ont contribué à complexifier les relations et alliance internes. Le 17 janvier, Alger a par une formule lapidaire signifié son hostilité en exprimant ses « regrets concernant les agissements hostiles émanant d’un pays arabe frère ». Concluant la réunion du Haut conseil de sécurité présidé par le chef de l’Etat Abdelmajid Tebboune, le communiqué évitait soigneusement de citer le « pays arabe frère », mais ne cachait pas qu’il s’agissait des Emirats accusés de s’ingérer dans les affaires sahéliennes.

Nous évoluons dans un monde de guerre « hors limites » où chaque conflit est connecté aux autres. Ce qui se passe à Donetsk n’est pas neutre à Erevan, Gaza ou Bamako. Et dans cet environnement qui menace d’exploser à chaque instant, la France et l’Europe doivent avoir à cœur leurs intérêts en privilégiant des partenariats de nature à les protéger de nombreux dangers qui, s’additionnant, pourraient causer des dommages irréversibles. Il y a bien sûr la lutte contre le terrorisme islamiste et pour l’accès aux ressources naturelles, mais aussi contre l’axe russo-iranien hostile. Dans ce cadre, nous ne pouvons pas nous permettre d’entretenir des relations difficiles avec tout le monde. Il est ainsi de notre intérêt de privilégier les pays arabes qui veulent faire pièce au salafisme et à l’islam frèriste soutenu par la Turquie ou le Qatar. C’est notamment le cas des Emirats ou de Bahreïn.

Parti pris de l’étranger

45 % des Français musulmans estiment que les attaques du 7 octobre sont des « actions de résistance ». Alors que pendant des décennies, les rapports entre la France et Israël alimentaient fantasmes et hantises, c’est désormais la « rue arabe » qui retient l’attention des Français.


Beaucoup de citoyens estiment que dans une France idéale, les soubresauts sanglants du Proche-Orient ne devraient pas affecter notre concorde civile. Toutefois, l’étude IFOP/Écran de veille du 18 décembre, concernant les regards portés par les Français musulmans sur ce conflit, ne laisse pas d’interroger. On y apprend que, pour 45 % des Français musulmans, les attaques terroristes du Hamas du 7 octobre sont bien des « actions de résistance ». Seulement 10 % de l’ensemble des Français pensent cela ! Les plus jeunes, ceux qui vivent dans une banlieue aisée ou ceux qui vont le plus régulièrement à la prière sont les plus nombreux à partager cet avis. Sur le plan politique, 58 % des Français musulmans estiment que la France est plutôt du côté d’Israël contre 20 % en moyenne chez l’ensemble des Français ; et, enfin, 67 % considèrent que les médias sont du côté d’Israël (contre 38 % en moyenne chez les Français).

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De tels chiffres expliquent peut-être le choix du président Macron de ne pas se rendre à la manifestation contre l’antisémitisme du 12 novembre autant que l’argumentaire, certainement brillant, de Yassine Belattar. L’IFOP n’est pas en mesure de donner les réponses de nos concitoyens juifs. On se doute que leurs réponses seraient différentes de celles des musulmans, mais on ignore dans quel sens et ans quelle mesure. « La proportion des juifs est tellement faible (0.5 % de la population) qu’il est techniquement impossible d’en interviewer un millier à moins de se donner plusieurs mois pour le faire et un budget très élevé », explique François Kraus, directeur du pôle politique et actualités. De toute façon, alors que Jérôme Fourquet (qui travaille aussi à l’IFOP) nous a appris qu’un nouveau-né sur cinq ( !) en France se voyait attribuer un prénom arabo-musulman, ce sont les ingérences de la rue arabe qui alimentent les fantasmes et hantises des Français.

France et Italie, gagnantes de la mondialisation du luxe

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Bernard Arnault, accompagnée de son épouse, arrive à l'Elysée pour un dîner officiel avec Emmanuel Macron et le président italien, Sergio Mattarella, le 5/7/2021 Lewis Joly/AP/SIPA

S’il y a un secteur où la France domine toujours le reste du monde, c’est celui du luxe. Mais elle a besoin de son alter ego, l’Italie, l’autre référence dans ce domaine. Les deux attirent à la fois stylistes, créateurs et consommateurs, et leur poids économique est tel que les sœurs latines valent deux tiers du marché global du luxe. Analyse d’un modèle d’intégration économique qui traverse les frontières.


Le secteur du luxe représente un parfait exemple d’osmose culturelle, artistique et économique entre la France et l’Italie. En plus de son importance économique, l’industrie du luxe incarne le « soft power » capable de fasciner, d’attirer, d’influencer un public en quête d’affirmation et de prestige. Si la France et l’Italie ont réussi à faire rêver le monde entier, c’est parce qu’elles ont été capables de promouvoir avec succès l’image de leurs pays en imposant leur conception de l’art de vivre comme un modèle universel.

Qu’est-ce qui lie inéluctablement ces deux grandes nations du luxe ? Pratiquement tout. Elles représentent les deux faces de la même médaille. Bien que chaque pays se développe à son propre rythme, leur interdépendance est si importante qu’aucun ne peut enregistrer séparément de telles performances, tant sur le plan de la création que sur le plan économique.

Si la France est moins présente que l’Italie au palmarès des 100 groupes de luxe mondial, elle représente un chiffre d’affaires plus important, notamment grâce à des champions tels que LVHM, Kering, Hermès et Chanel. Autre aspect fondamental : les groupes de luxe français ont une plus grande dimension et une rentabilité plus importante que les groupes italiens. De son côté, l’Italie représente le plus important producteur de luxe au monde, concentrant à elle seule presque 80% de toute la production. En outre, elle possède un plus grand nombre de marques authentiques avec un chiffre d’affaires supérieur d’un milliard d’euros. La concentration des métiers et des compétences a permis à la Botte de se positionner comme un gigantesque atelier de création et de fabrication.

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La France et l’Italie ont réussi à accaparer les deux tiers du marché mondial du luxe. En 2023, le secteur a atteint un chiffre d’affaires de 347 milliards de dollars, soit 42 de plus qu’en 2022. Selon les estimations, le luxe atteindra les 600 milliards de dollars d’ici 2030, notamment grâce à la forte demande en provenance de la Chine et de l’Asie. C’est bien cette croissance mondiale que les deux pays visent à exploiter.

Des stratégies complémentaires

Étant conscients du potentiel extraordinaire que l’Italie peut leur apporter, les géants du luxe français ont adopté une vision à long terme en appliquant une stratégie en plusieurs étapes. La première a consisté en l’acquisition des fleurons du luxe italien dans le but d’augmenter non seulement la valorisation de leur portefeuille de marques mais aussi une clientèle mondiale conséquente, et le chiffre d’affaires que ces entreprises génèrent. Le nombre de marques italiennes rachetées par LVMH et Kering est important : Bulgari, Fendi, Loro Piana, Acqua di Parma, Gucci, Bottega Veneta, Pomellato, Brioni.

La seconde étape, aussi fondamentale que la première, fut celle se doter, à travers de nombreux investissements et rachats, des usines de fabrication. Les métiers de l’art et de l’artisanat de luxe sont très demandés, très recherchés et presque impossibles à reproduire à court terme. Aussi, les marques françaises ont embauché des stylistes et des développeurs de talents. Cette approche a permis à ces groupes d’internaliser une production et une compétence unique qui a fortement contribué au développement de leurs marques.

A l’inverse de la France où l’industrie de luxe appartient essentiellement à cinq grands groupes, l’industrie italienne est constituée d’une myriade d’entreprises indépendantes de taille moyenne. Il n’existe d’ailleurs aucun conglomérat sur le modèle de LVMH ou Kering. Les points de force de l’industrie du luxe italienne dérivent de trois principaux facteurs. En premier lieu, le pays a un héritage historique sans précédent. L’Italie est le seul pays au monde qui compte des entreprises familiales historiques leaders dans la production des tissus, des vêtements, des sacs, des chaussures, des bijoux, de la maroquinerie, d’ameublement ou encore des voitures.

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Deuxième facteur, l’Italie possède un modèle industriel décentralisé basé sur des districts productifs et sur des chaînes d’approvisionnement spécialisés dans les métiers de l’excellence présentes au nord comme au sud du pays. Ce modèle donne aux entreprises la flexibilité nécessaire pour concevoir et produire en optimisant sur la variété des chaînes d’approvisionnement. Enfin, le troisième facteur repose tout simplement sur le « Made in Italy », synonyme d’excellence, de créativité et d’originalité. Dans un secteur où le désir et le prestige donnent un sens au concept du luxe, cette image de marque nationale est un coefficient multiplicateur de ventes et de marges. 

Dans l’avenir, le défi qui attend les « jumelles » du luxe mondial est de rester leaders du marché. Pour cela elles devront continuer à innover, générer des nouvelles idées, investir dans la production pour faire face à une demande globale de plus en plus importante et aussi former les nouveaux talents. Si le secteur agricole illustre bien les illusions perdues de la « mondialisation heureuse » vantée autrefois par ses nombreux thuriféraires, le luxe reste pour le moment un contre-exemple.

Michel Mourlet, thaumaturge

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Michel Mourlet en janvier 2016. Association F.U., CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons

Théoricien et historien du cinéma et du théâtre, grand défenseur de la langue française, dramaturge, romancier et chroniqueur, Michel Mourlet vient de publier à 88 ans un nouveau recueil d’articles. L’écrivain Christopher Gérard rend hommage à un auteur qui n’a cessé de pourfendre les littérateurs médiocres, les dévots de la culture officielle et les contempteurs de la nation.


Près d’un demi-siècle après la parution de L’Éléphant dans la porcelaine (1976), recueil d’articles, paraissait le cinquième volume du Temps du refus, sous le titre Péchés d’insoumission. S’y retrouve le même esprit de résistance spirituelle que dans Crépuscule de la modernité, La Guerre des idées et Instants critiques. Même lucidité, même limpidité dans l’analyse du funeste déclin, même ligne claire dans l’expression, même cohérence mentale – une lame de Tolède.

Michel Mourlet publie aujourd’hui, non pas la suite, mais un complément bienvenu, sous le titre : Trissotin, Tartuffe, Torquemada. La conjuration des trois T, les jalons d’un parcours rebelle depuis plus de six décennies, à rebours des modes et en opposition frontale à la culture officielle. Par une triste coïncidence, ce livre paraît au moment où quelques centaines de poétastres et de rimailleuses dénoncent en chœur, et dans un charabia à prétentions « inclusives », un écrivain voyageur, Sylvain Tesson, coupable d’incarner « une icône réactionnaire ». Éternelle cabale des médiocres qui illustre le mot connu de Bernanos : « Les ratés ne vous rateront pas ».

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Depuis le mitan des années 1950, Mourlet ferraille contre cette alliance des pédants, des faux-jetons et des fanatiques, précurseurs de l’actuelle pensée unique. Parmi les cibles de ce recueil de textes anciens ou récents, les dérives d’une certaine littérature, l’académisme de l’art contemporain, la dégradation continue de notre langue française.

L’ouvrage commence par un « Précis de dégoût politique », une démolition en règle du devoir d’ingérence et de toute illusion romantique : « L’erreur fatale de l’homo politicus moderne est d’auréoler d’une frange mythique de morale de purs rapports de force, de purs affrontements de fauves dans la jungle ». Son programme ? « Retrouver l’ordre naturel des choses, la simplicité de l’être », à savoir les hiérarchies, au fondement de toute société juste et durable.

Sa défense de la nation contre les délires fédéralistes, fourriers du mercantilisme le plus destructeur et de la paralysie la plus débilitante, le poussa naguère à s’engager aux côtés de Jean-Pierre Chevènement.

Les attaques sournoises contre le français exaspèrent Mourlet : « La langue nationale fait partie de nos biens les plus précieux. Le citoyen qui la dégrade est coupable de haute trahison ; le politicien ou le fonctionnaire de l’État qui tolère ou encourage cette dégradation est coupable de forfaiture ». Ses charges contre le franglais sont jubilatoires : il s’agit toujours pour lui de se dresser contre ceux qui, acceptant de perdre leur langue, perdent leur âme.

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Rédigé à vingt ans (!) et dans une totale solitude, son « Contre Roland Barthes », « idole aux neurones tordus », témoigne de sa lucidité comme de la fermeté de son style : « La syntaxe est un impératif des échanges humains, intemporel, non soumis aux aléas de l’Histoire ou à quelque contrainte née de la lutte des classes ». Ou cette conclusion, lumineuse : « L’écriture, opération thaumaturgique, se situe d’emblée hors du temporel ; et lorsqu’elle s’y plonge, elle le solidifie, l’immobilise, le sculpte. Avec son ciseau de sculpteur et les armes plus secrètes de sa musique, l’écrivain se bat contre la mort. Tout ce qui tend à situer la littérature à l’écart de ce drame se condamne à l’insignifiance. » Michel Mourlet ? Un pur classique.

Michel Mourlet, Trissotin, Tartuffe, Torquemada : la conjuration des trois « T« . Jalons d’un parcours rebelle 1956-2022, France Univers, 2023, 215 pages.

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Défendre la littérature !

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Sylvain Tesson à la première du film, Les Chemins noirs, au cinema UGC Normandie, Paris, le 13 mars 2023 Laurent VU/SIPA

Pour l’avocat Pierre-Henri Bovis, la récente tribune signée par des « poètes » et des « écrivains » pour protester contre le parrainage de Sylvain Tesson du Printemps des poètes constitue une nouvelle manifestation de l’intolérance woke. Combattre la cancel culture, c’est défendre la littérature.


C’est par une nouvelle tribune, rédigée naturellement en écriture inclusive, que la cancel culture s’est manifestée le 19 janvier, dans Libération, en s’opposant vigoureusement à la nomination de l’écrivain Sylvain Tesson en tant que parrain du Printemps des poètes 2024.

Le mouvement wokiste ne cesse de se propager dans les milieux culturels, littéraires, musicaux, cinématographiques, et impose sa nouvelle vision du monde. Les nains de Blanche-Neige sont discriminants, le baiser de la belle au bois dormant est un appel au viol tandis que Peter Pan est à la frontière de la pédophilie. Le chanteur et compositeur Kanye West n’a pas résisté à ce déferlement qui abat un peu plus à chaque passage les digues de la liberté d’expression. Agatha Christie n’a pas su résister longtemps aux fourches caudines de cette nouvelle gauche qui s’érige en maître de la bien-pensance en proposant la réécriture d’œuvres littéraires. À se demander si Hannah Arendt ne serait pas bientôt la prochaine cible.

Ce mouvement, quasi orwellien, s’immisce également dans le milieu du droit. Le cas de Jonathan Daval est criant, tant le métier d’avocat a subi des coups de canifs d’une association néo-féministe dont la réflexion ne semblait pas le premier atout. Cette association considérait que la défense de Jonathan Daval faisait peser la responsabilité du crime sur la victime. Un avocat qui assure au mieux la défense de ce genre de criminels serait d’ailleurs complice de ces méfaits au point d’oublier la notion même de « défendre » et la vocation première d’un avocat, qui est un « vir bonus, dicendi peritus ».

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Désormais, l’écrivain Sylvain Tesson en fait les frais. Cet écrivain baroudeur, à la découverte du monde, à l’image d’Ernest Hemingway qui titubait au bar du Ritz, ou de Jack London aventurier invétéré, est une figure incontestable de la littérature française.

Mais sa nomination en tant que parrain du Printemps des poètes 2024 est vécue par certains comme un affront et un appel du pied à l’extrême droite. Ses écrits ne seraient pas jugés assez orientés à gauche politiquement. Le reproche principal, outre son penchant « traditionnaliste », est la rédaction de la préface d’un ouvrage écrit par un autre écrivain de renom, Jean Raspail qui, malgré ce que l’on pense, a manqué de peu de siéger à l’Académie française au fauteuil du philosophe Jean Guitton.

Pour ces quelques raisons, la gauche tente de faire taire Sylvain Tesson. Inutile de perdre son temps à polémiquer, débattre, échanger, discuter, il faut le censurer pour une quasi-atteinte aux bonnes mœurs. C’est à se demander si ce n’est pas bientôt le retour aux grands procès du XIXe au cours duquel le procureur impérial Pinard s’acharnait contre les Fleurs du Mal et Madame Bovary pour séduire Napoléon III.

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Si le procureur impérial n’est plus, la mentalité demeure intacte et se traduit de nos jours par des appels à signer des pétitions visant la censure. Or, dans ces cas précis, les pétitions reflètent cette facilité de mettre au ban un individu par ses signataires qui n’ont écrit aucune ligne ni pesé aucun mot. Apposer son nom permet, lâchement, de se donner une soi-disant bonne conscience. Pourtant, dans un tel cas de censure, la pétition affiche une détestation, une haine de l’autre, au point de vouloir l’interdire.

Loin de la philosophie de Voltaire selon laquelle chaque individu doit pouvoir s’exprimer, nonobstant la contradiction sévère que nous pouvons lui apporter, cette nouvelle génération wokiste souhaite arbitrairement censurer, interdire, cacher, effacer, dissimuler.

L’ensemble des signataires, pour la plupart inconnus, a permis une nouvelle fois de faire vivre cet appauvrissement sévère de l’esprit, cette négation de la diversité du génie humain. Il faut pourtant se féliciter des nombreux soutiens politiques apportés à Sylvain Tesson et, plus que de le soutenir, acheter et lire ses écrits permettra de lutter contre cette déferlante qui veut détricoter, jour après jour, notre patrimoine sacré.

La gauche contre le peuple, de Mitterrand à Pierre Moscovici

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Pierre Moscovici © Alessandra Tarantino/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22401905_000001

Le théâtre d’ombres du remaniement aura relégué dans les coulisses de l’actualité la félonie (au sens moral si ce n’est au sens juridique) de Pierre Moscovici, a qui jeté l’opprobre sur une Cour des Comptes désormais largement décrédibilisée.


Écume des jours, que ce remaniement car entre slogans creux et petites phrases, sur l’essentiel rien ne change. La violence explose (+ 63% de coups et blessures volontaires depuis 2017), il fallait donc que Darmanin reste au gouvernement pour continuer à accuser de tous les maux les supporters anglais, Kévin et Mattéo et Academia Christiana, que Dupont-Moretti reste au gouvernement pour continuer à affirmer que le « sentiment d’insécurité » est « de l’ordre du fantasme », et qu’Emmanuel Macron surenchérisse en attribuant les razzias du début de l’été 2023 à l’oisiveté, mère de tous les vices, et au manque de vacances à la mer et à la montagne. Attila, c’est bien connu, s’ennuyait beaucoup, et que celui qui n’a jamais pillé un magasin, brûlé une école ou incendié une bibliothèque pour compenser le manque de voyages lui jette la première pierre.

Mais Pierre Moscovici lui-même, avec toute son arrogance, n’est pas l’essentiel, seulement la partie temporairement émergée d’un iceberg bien plus dangereux. Le Parti Socialiste a brillament remporté 1,75 % des suffrages aux dernières élections présidentielles et 5 % aux législatives, et pourtant ! C’est un président de la Cour des Comptes issu du PS qui a caché à la réprésentation nationale des informations essentielles lors de l’adoption d’une loi dont un président de la République issu du PS a aussitôt annoncé qu’il ferait détricoter les dispositions qui lui déplaisent par un Conseil Constitutionnel dont le président est issu du PS, pendant que les régions dirigées par le PS annonçaient qu’elles refuseraient de respecter la loi. Et ce sujet a été chassé du devant de la scène par le remplacement d’une première ministre issue du PS par un premier ministre issu du PS, le tout dans une capitale dirigée (ou plutôt méthodiquement détruite) par une édile encartée au PS.

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« C’est une décision que j’ai prise, personnellement » a déclaré Pierre Moscovici, avouant en substance qu’il s’est senti légitime pour estimer, du haut de son immense sagesse, que le Parlement manquait de discernement et aurait utilisé ce rapport « à mauvais escient ». Macron en son temps avait affirmé « j’ai très envie de les emmerder, donc on va continuer de le faire, jusqu’au bout », le point clef n’étant évidemment pas la grossièreté du « emmerder » mais « j’ai très envie, donc ». Sur X/Twitter, un internaute a évoqué la « République du bon plaisir », qu’il me permette de lui emprunter cette excellente formule qui synthétise avec élégance la décadence, pour ne pas dire la déliquescence, des institutions léguées par le Général de Gaulle.

Et en bonne tradition gauchiste, le bon plaisir de cet extrême-centre constitué autour du « cercle de la Raison » cher à Jacques Attali ne manque pas de se draper de vertu, et de se nourrir de la conviction de sa supériorité intellectuelle et morale sur « ceux qui ne sont rien » et autres « sans-dents », accusant de populisme quiconque a l’outrecuidance de rappeler qu’en démocratie, normalement, le peuple est souverain.

Rien de nouveau sous le soleil, la gauche jadis était massivement opposée au vote des femmes car elle craignait que celles-ci soient trop influencées par l’Eglise : il faut croire qu’une démocratie de gauche, c’est fondamentalement une démocratie où seule la gauche a le droit de vote. Et la Vendée se souvient de la manière dont ceux qui croient que la France est née en 1789 peuvent traiter ceux qui savent qu’elle est née avec Clovis.

Plus récemment, un moment majeur de cet immense mépris que les apparatchiks socialistes – rapidement imités par les oligarques de droite – éprouvent pour les Français est la suppression de la peine de mort, dont ils ont toujours clamé avec fierté qu’ils l’avaient réalisée contre la volonté du peuple. C’est d’ailleurs devenu depuis l’exemple récurrent cité par le personnel politique, les éditocrates et les « philosophes » germanopratins pour démontrer, croient-ils, qu’il faut ne pas suivre la volonté générale, que les référendums sont dangereux, et – pour le dire clairement – que le peuple n’est pas fait pour exercer la souveraineté mais pour suivre des guides éclairés – eux-mêmes s’attribuant bien sûr ce rôle. Ils se prennent pour Richelieu canalisant les humeurs d’un Louis XIII immature et capricieux, oubliant opportunément que Richelieu, lui, a rendu la France plus puissante et plus grande alors que depuis des décennies l’hégémonie du « progressisme » gauchiste ne brille pas vraiment par la qualité de ses résultats.

Il ne s’agit pas de discuter ici du bien-fondé de la peine capitale, juste de constater que ces gens ont décidé, il y a 40 ans de cela, que la populace n’avait pas son mot à dire face aux beaux esprits qui président aux destinées du pays, et à leurs valeurs forcément supérieures à celles du vulgum pecus.

Le fait que l’abolition de la peine capitale ait figuré dans le programme de Mitterrand n’empêchait pas une large majorité des Français de vouloir son maintien : un programme électoral est forfaitaire, et on ne vote pas pour un candidat parce qu’on est d’accord avec le moindre de ses points. Mitterrand a du reste trahi bien des fois sa parole, et en 1983 il a définitivement abandonné le peuple et l’essentiel de son programme pour épouser le capital et l’Europe ploutocrate, cette fois au rebours du mandat à lui confié, à la plus grande joie du centre et de la « droite du fric », qui en retour ont adopté et le sociétal délirant, et la morgue anti-démocratique de leurs ennemis préférés.

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Tout ce beau monde ayant acté qu’il était décidément plus simple de gouverner sans le peuple, le RPR, parti de droite populaire, disparut bientôt pour laisser la place à un centrisme bourgeois mou, miroir du socialisme, au point qu’il devint impossible, la calvitie aidant, de distinguer un Juppé d’un Fabius.

Et c’est ainsi qu’au fil des décennies, tout en évoquant les mânes de Clemenceau, Blum et de Gaulle, cette clique qui a fini par se rassembler dans le macronisme a nié la Nation, ce seul bien des pauvres, au bénéfice d’un européisme fanatique ; contourné le référendum de 2005 pour mieux plier devant Bruxelles ; soutenu la soif de censure d’institutions sans aucune légitimité démocratique – on pense à Von Der Leyen appelant ces jours-ci au forum de Davos à un « contrôle global de l’information » ; et applaudi l’immigration incontrôlée, que la gauche populaire refusait pourtant jadis dans l’intérêt des travailleurs, au temps où elle comprenait encore qu’un lumpenproletariat d’importation est évidemment l’ennemi du prolétariat.

Moscovici a trahi l’esprit de sa mission pour favoriser la perpétuation de l’immigration massive. Dans le même but, Macron nie l’évidence du lien entre certaines immigrations et les razzias du début de l’été 2023. C’est que l’immigration massive, surtout en provenance de cultures pour lesquelles la soumission à l’arbitraire est la norme, que cet arbitraire soit divin ou politique, est l’outil parfait pour abolir la démocratie.

La démocratie présuppose en effet que soit constitué un démos, un véritable peuple, souverain sur son territoire, et non plusieurs communautés aux arts de vivre incompatibles se partageant une construction administrative, ou une population atomisée. Et c’est encore plus vrai de ce qui est encore plus précieux que la démocratie, ce qui, quel que soit le régime politique, est la véritable souveraineté des petites gens, le principal contre-pouvoir aux caprices des « grands » et aux fantasmes d’ingénierie sociale des idéologues : la décence commune.

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« Une population – un terme de la langue préfectorale et administrative – désigne l’ensemble des personnes qui habitent un espace. Un peuple, l’ensemble des héritiers d’une même histoire, soit une population façonnée par le temps. Il lui doit sa langue, sa religion, ses habitudes alimentaires, une façon de s’habiller et, en général, accompagnant ces traits distinctifs, une certaine fierté, sentiment qu’exaspère la présence prolongée d’intrus sur un sol qui n’est pas le leur. Les populations seraient beaucoup plus maniables si elles n’étaient constituées en peuples, ou, à défaut, en tribus, clans et communautés venant de loin, eux aussi ». Ce ne sont pas là les propos d’un dangereux identitaire s’excluant par ses outrances du sacro-saint « champ républicain », ni d’un populiste, d’un complotiste ou d’un quelconque « proxy de Moscou » pour citer Sébastien Lecornu (car conformément à la bonne vieille rhétorique des républiques bananières, la macronie aime dire que toute opposition présentant un risque réel pour le pouvoir en place est forcément aux mains d’agents de l’étranger). Non, rien d’aussi sulfureux. C’est une citation de Régis Debray, dans Civilisation. A méditer.

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Pourquoi Nicolas Sarkozy m’a-t-il déçu?

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Paris, mars 2023 © ERIC TSCHAEN / POOL/SIPA

Loin d’éprouver la moindre « haine » pour l’ancien président de la République, Philippe Bilger avoue être pourtant radicalement désappointé par ce dernier et son rôle d’homme de l’ombre de la macronie.


Est venu à mes oreilles un bruit selon lequel Nicolas Sarkozy (NS) se demanderait pourquoi j’éprouve une telle hostilité à son égard. À condition que cette information soit vraie et même si elle l’est, je me doute bien que NS n’y a pas consacré plus que quelques secondes.

Il n’empêche que pour ma part je tiens à m’expliquer, notamment pour répondre à ces obtus des réseaux sociaux qui, confondant tout, ne cessent d’évoquer « ma haine » – ce qui est ridicule – à l’encontre de l’ancien président continuant à manoeuvrer dans les coulisses du macronisme pour enfoncer encore davantage, espère-t-il, les Républicains.

NS m’a déçu pourtant, et c’est une évidence.

D’abord les admirations vite brisées créent de douloureuses frustrations dont l’aigreur est à proportion inverse des formidables espérances d’avant.

La République « irréprochable » promise en 2007 a été saccagée, il est vrai avec l’appui de quelques personnalités complaisantes, et pour moi ce fut un désappointement radical qui n’a pas été minimisé par son peu d’estime initial pour la magistrature et son incompréhension des règles strictes de l’État de droit.

J’étais d’autant plus amer que j’avais été ébloui par son exceptionnelle campagne de 2007 qui jamais n’a été égalée.

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J’avoue que son quinquennat, à l’exception de durables moments forts où sa naturelle agitation s’est muée en une action remarquablement efficace, m’a perturbé aussi par ses apparences où une forme de familiarité voire de vulgarité, en des circonstances appelant autre chose, a dominé. Je me suis senti blessé en ma qualité de citoyen l’ayant élu en présumant une allure et une dignité trop souvent absentes.

Après sa défaite en 2012, qu’il a admise sans barguigner, faut-il rappeler les nombreuses péripéties politiciennes qui l’ont conduit à vouloir jouer encore un rôle dans le parti dont il avait été l’emblématique incarnation ? Avec des manoeuvres que la lucidité ne guidait pas toujours et qui étaient inspirées par le souci de promouvoir ses affidés et ses inconditionnels. Ainsi on a attendu, à cause de lui, que François Baroin, durant un temps interminable, veuille bien se décider à dire non à la candidature présidentielle !

Convient-il aussi de faire le compte des multiples procédures judiciaires qui ont surgi de son quinquennat ou de ses suites, sur le plan national et international ? Que certaines aient abouti à des exonérations et d’autres à des condamnations ne rend pas moins insupportable ce triste inventaire que l’attitude générale de NS à l’égard des juges n’a pas amélioré. Ce n’est pas à lui seul que j’ai envie de jeter la pierre tant il a été conforté, dans ses postures critiquables, par une majorité à la fois politique et médiatique ignorante et peu regardante sur l’éthique publique.

Sa défaite nette à la primaire organisée pour la droite et le centre, et la victoire éclatante de François Fillon, auraient pu laisser croire à un retrait de NS acceptant, une bonne fois pour toutes, les autres voies que son désir d’action lui proposait, avec la conséquence d’un désinvestissement de la politique.

Ce fut le contraire. Pour le pire.

L’élection d’Emmanuel Macron, puis sa réélection, ont sans doute suscité chez l’ancien président, à cause aussi de son ressentiment pour sa déconfiture de la primaire, une obsession de peser sur le cours de la vie politique française grâce à l’influence réelle dont il se créditait et à la manipulation très habile dont le président usait pour le mettre en confiance et le persuader de son irremplaçable utilité.

NS est allé ainsi au bout d’une logique de désaffection partisane, d’abandon et de traîtrise, manifestée par plusieurs épisodes et mise en oeuvre aussi bien au détriment de Valérie Pécresse que lors des dernières élections législatives, par des coups fourrés ultérieurs, par l’obsession de persuader son ancien camp de se dissoudre dans le macronisme et, enfin, par de médiocres tactiques favorisant l’ignominieux sort fait au sénateur Pierre Charon et validant la désertion de Rachida Dati.

Il a voulu détruire la droite qui l’avait banalisé et servir une cause qui l’a dégradé.

Cela fait tout de même beaucoup et il ne faut rien de moins aujourd’hui que la cécité de plus en plus rare d’une minorité exsangue de soutiens pour ne pas s’émouvoir de telles turpitudes politiques!

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Il me semble que tout ce que je viens d’énoncer dans ce post est de nature à justifier une déception à l’égard de la personnalité publique de NS. Elle n’est pas contradictoire avec la pertinence de certains entretiens qu’il donne et où on retrouve la vigueur intellectuelle et décapante du candidat de 2007.

Mais, pour être honnête avec mes lecteurs, il y a également un élément personnel qui a joué et qui a accentué mon hostilité. Quand j’ai appris que ministre de l’Intérieur, il s’était permis, interviewé par le Monde, comparant Patrick Kron avec mon frère Pierre, de vanter celui-là pour dénigrer celui-ci, je n’ai pas accepté cette totale injustice et ne l’ai pas oubliée. NS défend sa famille. Moi aussi. Et cette indélicatesse émanant de lui relève d’un sacré culot !

J’espère que ce billet mettra les choses au clair et que je n’entendrai plus cette absurdité que ce serait par corporatisme, en tant qu’ancien magistrat, que je serais déçu par NS. Alors que j’ai trop bien cultivé l’art de déplaire au sein de la magistrature et qu’elle me l’a bien rendu.

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L’indigne Georges Despaux

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Georges Despaux, peintre de l'horreur de Buchenwald. D.R.

Le roman de Cécile Chabaud retrace l’étrange parcours de Georges Despaux (1906-1969). Ce collabo notoire a été déporté par les nazis à Auschwitz et Buchenwald puis condamné à l’indignité nationale à la Libération. L’horreur des camps a pourtant révélé chez ce marginal une grande humanité.


Certains d’entre nous vivent entre chien et loup : dans la lumière, ils se perdent, dans l’ombre, ils s’égarent. Ils incarnent notre humanité inquiétante et pitoyable et, parfois, admirable. C’est le travail de l’écrivain de remonter la piste qui mène de leur déchéance à leur énigme. Cécile Chabaud est un écrivain.

Pendant la guerre, M. Mélenchon aurait-il été résistant ou prudent ? Maquisard en blouson de cuir ou petit pépère du peuple en charentaises ? Ne pouvant répondre pour moi-même, je ne saurais me prononcer pour notre trotskyste d’arrondissement. Mais je l’imagine sans peine, à la Libération, en imprécateur de prétoire. Les coupables, réels ou supposés, auraient-ils eu la moindre chance devant ce justicier expéditif qui se serait levé tôt pour requérir, ce « matin du 6 décembre 1945, où s’ouvrait le procès d’un salaud » ?

C’est compliqué !

L’homme que l’on va juger, à Pau, se nomme Georges Despaux (1906-1969). Souffreteux, contrefait, il a l’apparence de ces personnes prodigieusement maigres, avec, dans le regard, un reflet de lassitude et de découragement, et que l’on appelait les déportés. D’ailleurs, c’est un déporté : d’abord à Auschwitz, ensuite à Buchenwald, où il se lie d’une amitié fraternelle avec Samuel, un juif originaire de Louvain, en Belgique. Pourtant, peu de temps avant sa déportation, il avait écrit des articles éclaboussés d’une tache indélébile d’encre antisémite, dans une feuille de chou éditée par la branche locale du Parti populaire français (PPF), fondé par Doriot, que Sophia Chikirou croit reconnaître dans Fabien Roussel, actuel chef du Parti communiste, auquel appartenait avant sa conversion au nazisme ce même Doriot !

Contre l’illusion de l’apparence

Cécile Chabaud ne dissimule rien des fautes, ni rien de leur gravité, de ce personnage auquel elle donne un destin : de cet homme qui eut une existence physique, elle fait une création littéraire. C’est par la fiction, cette chance supplémentaire accordée au réel, qu’elle fonde cette personnalité trouble autant que troublante, acharnée à se perdre, à s’égarer dans les passions tristes, à suivre les conseils de cette présence négative qui vient le visiter régulièrement, qu’au fond il exècre, mais dont il est sûr qu’elle nuira définitivement à sa réputation, jusqu’à le rendre « indigne » de vivre au milieu des hommes…

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Il est malaisé d’entrer dans les détails d’un récit impeccablement construit. Despaux, guidé par un esprit retors, emmêlé dans ses contradictions, a brouillé les cartes et n’a pas fait d’aveux indiscutables. Sans doute contrarié par ses vilenies, ce diable d’homme, qui donne l’impression de se sentir surnuméraire, se cherche un mauvais rôle dans le théâtre de l’Occupation. On le sait collaborationniste, il quitte le PPF, il prétend avoir œuvré en sous-main pour l’Intelligence Service, on le suspecte d’être un escroc. À la fin, il est effectivement arrêté par la Gestapo le 1er février 1944. Condamné comme prisonnier politique (!), après quelques pérégrinations, il parvient à Auschwitz en avril, puis rejoint Buchenwald le 12 mai, jusqu’à la libération du camp, le 11 avril 1945[1].

L’auteur a d’abord mené une enquête, croisé des textes, rencontré les derniers témoins. Quelque chose lui interdisait de refermer le dossier Despaux sur l’infamie qui le signalait à la mémoire de presque tous ceux qu’elle a rencontrés. Elle a tenu tête à l’illusion de l’évidence, elle a trouvé une ligne d’espoir. Elle tenait son affaire, qu’elle pouvait faire basculer dans l’univers hautement révélateur du roman.

Les métamorphoses

C’est à Auschwitz, où il est enfermé peu de temps, et surtout à Buchenwald, dans un univers de pure cruauté, qu’il va se révéler tel qu’en lui-même : amical, protecteur, sensible, talentueux. Il dessine sur des feuilles de fortune ; ses œuvres éblouissent ses codétenus, les divertissent : il est solidaire, estimé, reconnu. Cet ancien de la collaboration, en quittant ses vêtements souillés d’ordures morales pour le pyjama rayé des martyrs, consent enfin à baisser sa garde de crapulerie et trouve sa rédemption. Georges était doué, il possédait toutes les qualités qui font les vies réussies : quelle faille originelle n’avait cessé de grandir en lui, de diviser son être, d’égarer sa raison, de le discréditer ? Dans le camp, il s’attache à Samuel, se prive de pain pour le nourrir, le sauve de la mort : Samuel est juif, de cette « race » qu’il disqualifiait dangereusement dans ses articles d’agitateur plébéien. Ce faisant, il n’assure nullement son avenir : ce cloaque d’extermination abolissait tout espoir de survie. Il survivra, cependant, et Samuel aussi[2]. Néanmoins, en 1945, peu après sa libération, Georges Despaux, collabo notoire, est condamné à l’indignité nationale. Par la suite, il abandonne sa famille, il se retire du monde, se métamorphose encore, cette fois jusqu’à l’effacement social, avant de mourir dans la solitude et le dénuement complet. Samuel ne va jamais le renier, va le secourir sans relâche, mais il était impossible de le maintenir longtemps au-dessus du vide.

A lire aussi: Et si c’était le talent que la gauche reprochait à Sylvain Tesson?

Soit un homme, un Français, un sale type selon toute vraisemblance, plus précisément un mystère français qu’a voulu percer un écrivain. Cécile Chabaud a sauvé du néant d’abjection où il s’était jeté volontairement, un homme voué au malheur d’être né.

À lire: Cécile Chabaud, Indigne (illustré de superbes dessins de Georges Despaux), Écriture, 2023.

Du même auteur, professeur de français : Rachilde, homme de lettres, Écriture, 2022 ; Tu fais quoi dans la vie ? Prof !, L’Archipel, 2021.


[1]. « Le 11 avril 1945, des prisonniers affamés et émaciés prirent d’assaut les tours de guet et s’emparèrent du contrôle du camp. Plus tard dans l’après-midi, l’armée américaine entra dans Buchenwald. […] On estime qu’au moins 56 000 prisonniers masculins, dont 11 000 juifs, furent tués par les SS dans le complexe concentrationnaire de Buchenwald » (Encyclopédie multimédia de la Shoah).

[2]. Depuis plusieurs années, une passionnante exposition intitulée « Georges Despaux : une mémoire contre l’oubli » présente, avec un appareil pédagogique très complet, nombre des dessins que Georges confia à son ami Samuel Vanmolkot (pour l’état civil). Cette exposition itinérante, qui circule partout en France, est une initiative du fils de Samuel. Elle témoigne de l’abominable condition de vie des déportés. Prochaines dates d’expo non communiquées à ce jour.

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Le moment Lanzmann

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Claude Lanzmann lors du festival la "Foret des Livres", à Chanceaux-pres-Loches, le 31/8/2013 BALTEL/SIPA

40 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un film vit le jour : Shoah. Le chef-d’œuvre de Claude Lanzman, qui dure 9h30, exigea 11 ans d’un travail acharné. Aujourd’hui, un ouvrage collectif intitulé Le moment Lanzmann, publié sous la direction de Jean-Jacques Moscovitz, rend hommage à la fois au cinéaste et à l’évènement historique que représenta la sortie du film. Le fait que ce livre soit publié le 4 décembre 2023, soit presque deux mois après le 7 octobre, n’est pas anodin.


Dans Shoah la question éthique est centrale : aucune image d’archives, aucune mise en scène de femmes nues dans des chambres à gaz ; contrairement à Spielberg dans La liste de Schindler. L’impératif était radical : ne pas porter atteinte aux morts et ne pas mettre le spectateur en position de voyeur s’identifiant, de fait, au nazi qui réellement avait vu cela. Pourquoi ? Pour ne pas en jouir. J’ai connu des adolescents ayant eu une érection devant des corps de femmes entassées et dont le peu de poitrine qui restait attirait l’œil. Un tel scandale, Lanzman n’en voulut pas. Par égard pour les morts, pour lui-même et pour nous. « Dans Shoah, on n’est pas en position de spectateur », dit-il. De quoi alors ? De témoin que le film nous fait devenir, dans le meilleur des cas . Les images qui constituent Shoah sont, aux yeux de son réalisateur « une incarnation ». Il ajoute : « Or, les choses ne deviennent vraies que si elles sont incarnées, sinon c’est du savoir théorique, c’est du savoir abstrait, c’est du savoir pauvre ». Prendre connaissance est d’une autre envergure, et à l’ère de « l’information » élevée au pinacle, il est urgent de s’en souvenir.

Imre Kerzetz, cité dans le livre, disait : « J’ai l’impression qu’il faudra encore beaucoup de temps pour que la nation hongroise comprenne qu’Auschwitz n’était pas l’affaire privée de juifs disséminés dans le monde, mais un évènement traumatique de la culture occidentale qui sera peut-être considéré un jour comme le début d’une nouvelle ère ».

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C’est ce qu’écrit dans  ce livre Arnaud  Desplechin, cinéaste, lorsqu’il raconte l’évènement que constitua ce film pour lui et sa génération : « Je voudrais décrire cet évènement historique si important : la montée de la Shoah à la conscience des hommes pour la compréhension – l’énigme ? – de son unicité : la montée à la conscience de l’ampleur du désastre. Nous avions cru vivre l’après-guerre. Et nous n’avions rien vécu du tout, nous n’avons que continué l’avant-guerre ».

Pour Jean-Claude Milner, linguiste et philosophe, Shoah est le premier film qui fait de la destruction des juifs un évènement à part entière et, en aucune façon, un « détail » de la Seconde Guerre mondiale. A ses yeux, « le génie de Claude Lanzmann se résume à trois découvertes nouées l’une à l’autre. Avoir décidé que seul le langage permettrait de traiter d’une destruction sans ruines. Avoir compris que le langage s’accomplit dans et par la parole. Avoir conclu que le cinéma tel qu’il était devenu grâce à ses chefs-d’œuvre, fournirait le moyen nécessaire ». Pour qu’advienne « ce moment où se dégage de l’être parlant une autre forme d’être » que Lacan nomma «  le parlêtre ». Par ailleurs, J.C. Milner analyse le 11 septembre 2001 comme l’annonce d’une nouvelle ère ou de la poursuite de la précédente dans la même volonté d’anéantissement, cette fois-ci du XXème siècle. « Un même souci d’effacement des traces » s’y manifeste (comme dans le wokisme). Une même ligne conductrice en somme.

 Georges Bensoussan, historien, à qui nous devons la citation d’Imre Kerzetz, interroge la portée de ce film et son enseignement. « Dans un monde où la déshérence et la désaffiliation disent le contraire de ce que nous tentons d’enseigner », que peut signifier l’enseignement de la Shoah ? Paradoxe absolu à laquelle notre époque est confrontée. Que faire avec la « césure anthropologique » que cet « évènement traumatique » créa ? Comment transmettre dans un monde qui a cassé la transmission ? Par ailleurs, mais cela va avec, alors que « la domination du biologique revient sous les traits de l’homme transformé, augmenté, trans-genre », il rappelle que le nazisme avait initié ce remodelage de l’espèce humaine au nom de la race.

Mais Le moment Lanzmann dit ses autres films aussi, dont Pourquoi Israël sans point d’interrogation. A son sujet, Michel Gad Woltowitcz, psychanalyste, écrit qu’« il dégage le temps-architecte (Heschel) de la transmission, une réflexion sur la reconstruction de l’homme par la réappropriation d’un temps intérieur, un retour à sa propre histoire vers le plus d’être possible, de puissance de vie, transformant les difficultés, le mortifère, en forces de vie ». Ils sont venus de 70 pays, et parmi eux, un Russe que Lanzmann accompagne au mur des Lamentations et qui dit : « Je n’ai pas été ici depuis 2000 ans ». Film drôle et plein de vie selon Woltowitcz, à l’image de son réalisateur qui avait le désir de vivre chevillé au corps.

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La question éthique y est centrale, ai-je dit. Elle nous revient en pleine face à l’heure où des gens se prennent en selfie devant ce qui fut la machine à broyer de l’humain, où le touriste se substitue à l’apprenti-témoin, quand ce ne sont pas les tueurs qui filment eux-mêmes leurs actes avant de les balancer sur la toile. Qu’Israël n’ait pas voulu rendre publiques les images du 7 octobre rejoint la volonté essentielle qui anima C.Lanzmann ; celle de ne pas céder un pouce à l’obscénité, de ne pas répandre la jouissance du mal, autrement dit la pulsion de mort comme une traînée de poudre.

Que les multiples auteurs que je n’ai pas cités me pardonnent ; tous les textes sont ici essentiels. Précisons que Lanzmann y parle avec différents interlocuteurs, et que le dialogue avec François Margolin, tiré du film qu’ils firent en Corée du Nord, y est savoureux ; notre cinéaste y récite « Le Bateau ivre » de Rimbaud en entier ! Enfin, Dominique Lanzmann-Petithory, veuve du cinéaste, conclut l’ouvrage avec une simplicité bouleversante, en évoquant la mort de leur fils Félix à 23 ans et le devenir de l’œuvre dont elle est la légataire.

Shoa sera diffusé en intégralité sur France 2 le mardi 30 janvier, à partir de 21h10, ( jusqu’à 6h30 ) et ce, pour commémorer la libération du camp d’Auschwitz le 27 janvier 1945.

Le moment Lanzmann: Shoah, événement originaire. Sous la direction de Jean-Jacques Moscovitz (David Reinharc Editions, 2023).

Contributeurs : Georges Bensoussan, Nellu Cohn, Corina Coulmas, Arnaud Desplechin, Dominique Lanzmann, Marie-Christine Laznik, Jean-Claude Milner, François Margolin, Eric Marty, Richard Prasquier, Baptise Rossi, Marc Sagnol, Didier Sicard, Anne-Lise Stern, Philippe Val, Michel Gad Wolkowicz.

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Numérique: l’enfer est taxé de bonnes intentions

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La plateforme française de streaming musical Deezer célèbre son introduction à la Bourse de Paris, 5/7/2022 Romuald Meigneux/SIPA

Rouleaux compresseurs de l’industrie du divertissement, les plateformes de musiques et de vidéos en ligne vont bientôt être redevables d’un impôt spécial au titre de la « justice sociale ». Une fausse bonne idée, selon le chercheur, spécialisé en intelligence artificielle et musique, François Pachet, qui est atterré que le législateur ne comprenne rien à l’économie digitale.


Depuis les succès du streaming, désormais la première forme de diffusion de la musique, de nombreuses voix s’insurgent contre les rémunérations très faibles versées aux artistes par les plateformes. Le sujet est complexe, mais il est vrai que vivre de sa musique est aujourd’hui très difficile, à moins d’être une star internationale. Il faut faire un million d’écoutes pour gagner quelques milliers d’euros, dont seulement une petite partie est reversée aux artistes. Qui fait des millions de streams aujourd’hui en France ? N’oublions pas cependant que le streaming réalise un rêve ancien, voire antique : rendre la culture accessible à tous, à grande échelle et partout. L’accès plutôt que la propriété : le streaming crée un monde dont les boomers les plus audacieux n’auraient jamais rêvé. Les plus riches d’entre eux possédaient une centaine de vinyles. Un jeune de la génération Z a à sa disposition immédiate et quasi gratuite (dix euros par mois) environ 100 millions de titres. Nous sommes passés de la rareté stable à ce que les anthropologues appellent une société d’abondance. Nous l’avons tous voulue, nous l’avons eue.

À première vue, trouver des financements pour permettre à la filière de compenser des revenus trop faibles semble donc être une bonne idée. La loi votée le 13 décembre par l’Assemblée nationale prévoit de prélever 1,5 % du chiffre d’affaires des diffuseurs de musique par streaming. Cette loi concernera les acteurs comme Spotify, Deezer, mais aussi de gros diffuseurs comme Amazon, Apple ou Google (via YouTube), qui représentent des parts de marché non négligeables.

C’est malheureusement une loi inique, voire stupide. Déjà, taxer le chiffre d’affaires (les revenus) et non pas les bénéfices relève d’une vision étrange de l’économie (on apprend désormais au lycée, voire au collège, qu’une société a des charges, qu’il faut retrancher du CA pour obtenir le bénéfice). Les revenus des plateformes de streaming sont par ailleurs reversés à 70 % environ aux ayants droit, c’est-à-dire aux labels (Universal, Sony Music, etc.). Moribonds dans les années 2000 quand la musique a été massivement numérisée grâce au format MP3, victimes de piratage massif, ils sont aujourd’hui plus riches que jamais, et ce grâce à ces plateformes qui leur reversent des milliards de dollars par an. Cependant, aucune plateforme aujourd’hui n’est encore véritablement rentable. Les bénéfices réalisés par les acteurs indépendants Spotify et Deezer, tous deux européens (Deezer est né en France, Spotify est suédois), sont fragiles. Depuis sa création en 2008, Spotify n’a jamais été profitable sur une année entière ! En cause, précisément, les charges élevées (maintenir une plateforme pour 500 millions d’utilisateurs est très coûteux) et le reversement de l’essentiel des revenus aux labels. En 2023, Spotify a licencié environ 25 % de ses effectifs dans l’espoir de parvenir enfin, après quinze ans, à être profitable. Enfin, ces deux entreprises, les seules européennes du secteur, doivent lutter contre des services analogues proposés par les fameux Gafam (notamment Amazon, Apple, Google), qui sont régulièrement accusés de domination excessive. Il faut noter que les revenus spécifiques au streaming de ces Gafam ne sont pas connus, car ils sont mélangés à d’autres activités (vente d’ordinateurs et d’iPhones pour Apple, vente de tout pour Amazon) qui sont, elles, très lucratives. On peut cependant douter qu’ils soient rentables en eux-mêmes. On taxe donc une activité européenne pas ou peu rentable, qui lutte à armes inégales contre les méchants Américains. D’ailleurs, la loi à peine votée, Spotify a déclaré qu’il réduirait ses investissements en France, et abandonnait son soutien financier aux Francofolies de La Rochelle et au Printemps de Bourges : cherchez l’erreur.

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La relative faiblesse des revenus des artistes s’explique par le fait que les labels conservent l’essentiel des revenus (un contrat typique donne environ 10 % à l’artiste). Si les plateformes de streaming peinent à trouver la rentabilité, il faut chercher les causes ailleurs que dans la gourmandise des artistes.

Le fait est qu’au moment où le rêve d’un accès universel à la culture se réalisait, la démocratisation des moyens de production musicale (le home studio) engendrait un effet imprévu : la surabondance de l’offre. Fini les coûteux studios d’enregistrement avec des tables de mixage sophistiquées et des ingénieurs du son pour les piloter. N’importe qui peut désormais, pour un coût dérisoire, composer et produire entièrement un titre sur son lit (il y a même un style de musique clinophile[1] : la bedroom pop). Les plateformes proposent à peu près autant de nouveaux titres par jour qu’il y en avait par an en Angleterre il y a vingt ans ! Par conséquent, beaucoup plus d’artistes, beaucoup plus de musique et une difficulté quasi insurmontable pour un nouvel arrivant de se frayer une place dans les playlists et les recommandations plus ou moins automatiques.

Autant dire que la loi streaming ne réglera rien. Il faut souligner que la plupart de nos députés sont totalement incompétents dans les matières techniques et scientifiques. On avait Cédric Villani, un brillant esprit capable de comprendre et synthétiser des domaines entiers de l’industrie de la « tech », mais il n’a pas survécu aux mouvements chaotiques de la vie politique. Dans l’Assemblée nationale actuelle, on peine à trouver un élu ayant une quelconque expérience (ne parlons même pas de connaissance) des milieux de la tech qu’il faudrait aujourd’hui, plus que jamais, défendre.

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En réalité, ce texte est un sparadrap de fortune qui cache mal le problème de fond dont personne n’ose parler : la dévaluation de la culture numérique. On le sait, quand on fait tourner la planche à billets, on crée de l’inflation en dévaluant la monnaie. Pourquoi en irait-il autrement avec une création culturelle toujours plus prolifique, plus rapide, plus balisée, plus facile à produire ? On ne peut pas à la fois prétendre que n’importe qui est artiste et garantir à tous ces artistes des revenus susceptibles de les faire vivre. Le même phénomène touche les livres – les éditeurs ont du mal à lire tous les manuscrits qu’ils reçoivent, au point que pendant le Covid, ils ont cherché à calmer les ardeurs des auteurs en herbe. Et le cinéma n’échappe pas à cette tendance. Comme dit Éric Neuhoff, on n’a peut-être pas besoin de 250 films français par an. Finalement, l’abondance culturelle, longtemps désirée, n’est peut-être pas si désirable.


[1]. La clinophilie est le besoin (pathologique) de rester couché.

Reconfiguration du monde arabe : quelles clés pour surmonter les tensions ?

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Les 3 lieus de culte, la synagogue Moses Ben Maimon, la mosquée Imam al-Tayeb et l'église Saint Francis d'Assise, à la Maison de la famille abrahamique, Abu Dhabi, Emirats arabes unis, 21/2/2023 Kamran Jebreili/AP/SIPA

Afin de protéger leurs intérêts, l’Europe et la France se doivent de mieux comprendre les relations et tensions complexes existant entre les différents acteurs au Moyen Orient. Il s’agit surtout de pouvoir choisir les meilleurs partenaires arabes pour contrer à la fois le salafisme, le frérisme et l’axe russo-iranien. L’analyse de Gabriel Robin.


Depuis plusieurs décennies, le monde musulman est caractérisé par d’importantes tensions et une instabilité politique qui ont des conséquences graves sur les ensembles voisins, à commencer par l’Europe. Dans ce jeu d’échecs que se livrent des puissances et intérêts divergents, la France doit pouvoir compter sur des pôles moins hostiles alors que son influence au Sahel et dans le Moyen-Orient décline au fil des ans.

La guerre déclenchée par le Hamas le 7 octobre 2023 a notamment pu mettre en lumière l’insigne fragilité de la région du Levant, où de nombreux Etats sont en passe de faillir et peinent à envisager sereinement le futur (Liban, Syrie). Pourtant, cette région du monde qui fut la première à s’éveiller au Néolithique détermine toujours une grande part de notre prospérité collective, tant par les richesses en hydrocarbures qu’elle contient que par sa nature intrinsèque jamais contestée de « route de la soie ». La mer Rouge est ainsi toujours l’un des principaux canaux des échanges commerciaux maritimes, d’où les préoccupations légitimes entourant les velléités impérialistes de l’Iran qui agit par ses « proxys Houthis » au Yémen en déroutant les navires marchands qui opèrent la jonction entre la mer de Chine et la Méditerranée.

Car, au fond, la nouvelle phase du conflit opposant Israël à la Palestine est intervenue au pire moment, peut-être du reste à dessein puisqu’une partie des pays arabes étaient entrés dans une phase de normalisation avec l’Etat juif grâce aux Accords d’Abraham signés sous le patronage américain de Donald Trump. Ce dernier avait réussi à réunir cinq signataires menés par les Emirats arabes unis et le Bahreïn, rejoints ensuite par le Maroc et le Soudan. Le président égyptien al-Sissi et le gouvernement d’Oman avaient de leur côté salué ces avancées. L’enjeu était d’ailleurs que ces pays ayant normalisé leurs relations avec Israël soient finalement rejoints par l’Arabie saoudite, ce que la guerre a reporté à un futur incertain. Reste que la politique constante des Emirats arabes unis n’a pas été remise en question, s’agissant d’un partenariat stratégique de long terme.

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Il nous faut comprendre que les pays arabes stables sont aujourd’hui engagés sur deux fronts qu’ils doivent contenir afin de poursuivre sereinement leur développement : celui de l’axe iranien et celui de l’islam politique sunnite. Ces deux fronts se trouvent en filigrane de tous les conflits actuels dans la région et au-delà, qu’il s’agisse du Sahel, du Yémen ou du Soudan, qu’a encore illustré le sommet de la Ligue Arabe de 2022. L’Algérie y a affiché un positionnement antisioniste radical mais aussi une détermination à conserver son emprise sur le Sahel que les généraux jugent être une arrière-cour naturelle dans laquelle toute concurrence arabe est vue d’un très mauvais œil. Depuis, de nouvelles crises ont contribué à complexifier les relations et alliance internes. Le 17 janvier, Alger a par une formule lapidaire signifié son hostilité en exprimant ses « regrets concernant les agissements hostiles émanant d’un pays arabe frère ». Concluant la réunion du Haut conseil de sécurité présidé par le chef de l’Etat Abdelmajid Tebboune, le communiqué évitait soigneusement de citer le « pays arabe frère », mais ne cachait pas qu’il s’agissait des Emirats accusés de s’ingérer dans les affaires sahéliennes.

Nous évoluons dans un monde de guerre « hors limites » où chaque conflit est connecté aux autres. Ce qui se passe à Donetsk n’est pas neutre à Erevan, Gaza ou Bamako. Et dans cet environnement qui menace d’exploser à chaque instant, la France et l’Europe doivent avoir à cœur leurs intérêts en privilégiant des partenariats de nature à les protéger de nombreux dangers qui, s’additionnant, pourraient causer des dommages irréversibles. Il y a bien sûr la lutte contre le terrorisme islamiste et pour l’accès aux ressources naturelles, mais aussi contre l’axe russo-iranien hostile. Dans ce cadre, nous ne pouvons pas nous permettre d’entretenir des relations difficiles avec tout le monde. Il est ainsi de notre intérêt de privilégier les pays arabes qui veulent faire pièce au salafisme et à l’islam frèriste soutenu par la Turquie ou le Qatar. C’est notamment le cas des Emirats ou de Bahreïn.

Parti pris de l’étranger

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D.R

45 % des Français musulmans estiment que les attaques du 7 octobre sont des « actions de résistance ». Alors que pendant des décennies, les rapports entre la France et Israël alimentaient fantasmes et hantises, c’est désormais la « rue arabe » qui retient l’attention des Français.


Beaucoup de citoyens estiment que dans une France idéale, les soubresauts sanglants du Proche-Orient ne devraient pas affecter notre concorde civile. Toutefois, l’étude IFOP/Écran de veille du 18 décembre, concernant les regards portés par les Français musulmans sur ce conflit, ne laisse pas d’interroger. On y apprend que, pour 45 % des Français musulmans, les attaques terroristes du Hamas du 7 octobre sont bien des « actions de résistance ». Seulement 10 % de l’ensemble des Français pensent cela ! Les plus jeunes, ceux qui vivent dans une banlieue aisée ou ceux qui vont le plus régulièrement à la prière sont les plus nombreux à partager cet avis. Sur le plan politique, 58 % des Français musulmans estiment que la France est plutôt du côté d’Israël contre 20 % en moyenne chez l’ensemble des Français ; et, enfin, 67 % considèrent que les médias sont du côté d’Israël (contre 38 % en moyenne chez les Français).

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De tels chiffres expliquent peut-être le choix du président Macron de ne pas se rendre à la manifestation contre l’antisémitisme du 12 novembre autant que l’argumentaire, certainement brillant, de Yassine Belattar. L’IFOP n’est pas en mesure de donner les réponses de nos concitoyens juifs. On se doute que leurs réponses seraient différentes de celles des musulmans, mais on ignore dans quel sens et ans quelle mesure. « La proportion des juifs est tellement faible (0.5 % de la population) qu’il est techniquement impossible d’en interviewer un millier à moins de se donner plusieurs mois pour le faire et un budget très élevé », explique François Kraus, directeur du pôle politique et actualités. De toute façon, alors que Jérôme Fourquet (qui travaille aussi à l’IFOP) nous a appris qu’un nouveau-né sur cinq ( !) en France se voyait attribuer un prénom arabo-musulman, ce sont les ingérences de la rue arabe qui alimentent les fantasmes et hantises des Français.