Accueil Site Page 3025

Halte à la junk-food

9

Une nouvelle affaire de bébé congelé vient d’éclater à Metz où une femme de 32 ans a été mise en examen « pour délaissement de mineur ayant entraîné la mort ». Le nouveau-né a été retrouvé par le fils aîné qui était allé chercher une glace. Cet enfant, lui-même placé en foyer, ne voyait sa mère que durant les week-ends. Suivie par les services sociaux, elle semblait vivre dans un grand dénuement et, manifestement, n’observait pas les préceptes diététiques du ministère de la Santé recommandant la consommation de cinq fruits et légumes différents par jour. Bébés, glaces, pizza, hamburgers, on ne dira jamais assez les ravages de la junk food et de la viande de mauvaise qualité dans les classes populaires. Et qu’on n’aille pas chercher l’alibi facile de la crise ou de la baisse du pouvoir d’achat. Il y en a décidément assez de cette culture de l’excuse.

“Al Doura : le monde arabe doit savoir qu’il a été abusé”

Il y a un an exactement, la Cour d’Appel de Paris vous relaxait dans le procès en diffamation que vous a intenté France 2 dans l’affaire Al Doura. Depuis, France 2 s’est pourvue en cassation et la profession s’est mobilisée, mais en faveur de Charles Enderlin. Vous avez peut-être gagné au plan judiciaire (et encore provisoirement), mais, politiquement et médiatiquement, ça ressemble à une défaite, non ?
Je ne partage pas du tout cette analyse. Il est vrai que quand on observe les médias français, on a l’impression d’être en Corée du nord. En revanche, à l’étranger les choses évoluent positivement. Ainsi, le 4 mars dernier, la télévision publique allemande ARD a diffusé un documentaire  qui met gravement en cause le reportage de France 2 sur Mohamed Al Doura. Ce film aurait dû faire bouger les lignes en France ou au moins susciter le doute de ceux qui continuent à soutenir la chaîne publique. Il n’en a rien été. Ce documentaire est en train d’être acheté et sera diffusé par de nombreuses télévisions étrangères. Malheureusement, en France, pour le moment, aucun « grand média » n’a même jugé bon d’évoquer son existence.

Si la Cour de cassation, qui devrait se prononcer à l’automne, casse l’arrêt de la Cour d’appel, vous serez bien obligé de reconnaître votre défaite…
En octobre 2006, quand j’ai perdu mon procès en première instance, France 2 a claironné au 20h que c’était une victoire judiciaire qui prouvait que le reportage de Charles Enderlin et Talal Abu Rahma était authentique. Quand j’ai gagné en appel, France 2 et ses défenseurs – et vous savez qu’ils sont nombreux dans les médias – ont expliqué que ça ne voulait rien dire, que je n’avais rien prouvé et que le reportage était toujours authentique. En Cour de cassation, je me bats et je souhaite gagner, bien sûr. Si l’arrêt de la Cour d’appel est cassé, il y aura peut-être un moment difficile médiatiquement. Mais ce ne sera pas une tragédie car on retournera en appel et on remettra tous les documents sur la table, et dans les médias qui voudront bien s’en faire l’écho. Je n’ai aucun doute que la vérité éclatera, un jour ou l’autre.

Mais ne doutez-vous jamais de vous-même ? Etes-vous si sûr d’avoir raison ?
Je doute tout le temps. De moi-même et je me demande chaque jour si je me trompe ou non. Depuis plus de 7 ans, chaque fois que quelqu’un me présente un élément destiné à contredire notre démonstration, je l’analyse. Jusqu’à présent, je n’ai jamais été convaincu par les arguments de mes contradicteurs. Si cela changeait, je m’inclinerais et je présenterais mes excuses à France 2, et surtout à tous ceux qui me font confiance depuis tant d’années. Ce qui m’intéresse, c’est la vérité. Et je suis certain que c’est aussi ce qui intéresse Patrick de Carolis.
Cela dit, les preuves que ce reportage est un faux abondent et, sur Causeur, vous les avez vous-mêmes exposées. Vous avez d’ailleurs été un des premiers médias non communautaires à remettre en question le film de France 2. De plus, je ne suis pas le seul à avoir enquêté même si c’est moi qui ai été poursuivi par la chaîne publique. Avant moi, Nahum Shahaf et Stéphane Juffa en Israël, Richard Landes aux Etats-Unis, Gérard Huber en France pour ne citer qu’eux, avaient déjà pointé la plupart des invraisemblances auxquelles France 2 n’apporte aucune réponse. Luc Rosenzweig, Daniel Leconte et Denis Jeambar, sans oublier Esther Schapira et Georg Haffner de la TV publique allemande ARD ont également enquêté. En face, la seule chose qu’on nous répète depuis près de neuf ans, c’est que Charles Enderlin est un grand journaliste et qu’il ne peut pas s’être trompé ou avoir été abusé. Vous avouerez que c’est un peu faible comme argumentation…

En quoi le film d’ARD est-il « accablant » ? Présente-t-il des éléments nouveaux ?
Le film allemand dure 52 minutes. Il serait donc difficile de le résumer en quelques phrases.
Voici quand même trois points essentiels confirmés par ce documentaire :
1. Grâce à une analyse biométrique des visages, il démontre que l’enfant filmé par France 2 n’est pas celui qui a été montré à la morgue de Gaza et enterré plus tard.
2. Dans le reportage de France 2, il n’y a pas de sang sur les corps de Mohamed et Jamal al Doura alors qu’ils sont censés avoir reçu 15 balles à eux deux.
3. L’enfant mort et enterré sous le nom de Mohamed al Doura est arrivé à l’hôpital avant 10 heures, alors que la scène montrée par France 2 a été tournée après 15h.

Al Douriste, c’est pas un métier. Si vous ne vivez pas de cette affaire comme le pensent ceux qui vous accusent de vous livrer à un véritable business, de quoi vivez-vous ? Etes-vous financés par des associations juives ?
Vous voulez dire : après le « Shoah business », le « Al Doura business » ? Toujours les mêmes insinuations de ceux qui font de l’antisémitisme sans le savoir. Néanmoins, je comprends le sens de votre question. La première chose à savoir est que je suis totalement indépendant. Personne ne peut venir me dire :  « là mon vieux tu vas trop loin ! » et c’est essentiel pour mener une bataille comme celle-ci.
De plus en plus d’associations et de personnes, juives ou non, me soutiennent, mais elles me soutiennent moralement, jamais financièrement parce qu’elles ont accepté d’analyser le reportage de France 2. C’est le cas du CRIF en France, et j’en profite pour saluer le courage de son président Richard Prasquier qui m’accompagne dans ce combat difficile, comme de ZOA (Zionist organization of America) aux Etats-Unis. Mais si vous prenez par exemple une organisation juive comme l’American Jewish Committee et sa branche française, ils sont devenus mes pires adversaires. Alors, de quoi est-ce que je vis ? D’abord, je ne suis pas né pauvre. Ensuite, je suis un ancien financier. Enfin, je suis régulièrement invité par de grandes universités américaines – Stanford, Harvard, UCLA pour ne citer qu’elles – et des groupes de réflexion américains. Et, conformément aux usages en vigueur aux Etats-Unis, ces conférences sont rémunérées. Heureusement d’ailleurs ! Parce que les frais engagés dans cette bataille sont considérables : avocats, voyages, documentation…

En dehors de ces institutions juives, vous affirmez avoir beaucoup de partisans à l’étranger. Pouvez-vous en dire plus ?
A l’étranger, les gens acceptent de voir les documents que j’ai, avec d’autres, rassemblés. Et lorsqu’ils les ont vus, ils sont toujours impressionnés. Récemment, j’ai été invité à au Festival de journalisme de Perugia, en Italie. Après ma présentation, ils m’ont donné une salle, le lendemain soir, pour faire un second exposé plus détaillé et répondre aux questions du public. Aux Etats-Unis, je vous l’ai dit, je suis invité par de grandes universités et des think tanks. En France, je multiplie les conférences et les gens qui y assistent sortent tous convaincus. Prochainement, je serai à Marseille, à Lyon, à Grenoble, à Nice avant de repartir à l’étranger, en Europe et aux Etats-Unis. De nombreux journalistes français ont aussi été conquis après avoir visionné nos éléments de preuve mais certains préfèrent rester discrets pour ne pas se « griller » dans la profession – ou dans leur rédaction. Vous-même avez été convaincue lorsque nous nous sommes rencontrés au cours de la Journée du Journalisme Junior organisée par Jacqueline Quéhen pour le rectorat de Nice. J’ai également rencontré des journalistes arabes qui ont trouvé ma démonstration « implacable », selon leurs propres mots. D’ailleurs, je suis en contact avec les gens d’Al Jazeera qui sont très intéressés.

On en reparlera quand ils feront écho à vos thèses dans leurs médias. Comment expliquez-vous la résistance de la France ? Pensez-vous qu’elle est idéologique, autrement dit liée à la « réprobation d’Israël » ?
C’est possible mais il n’y a pas que cela. Cette affaire montre la puissance d’une caste d’intouchables – que vous avez vous-mêmes qualifiée de Parti des médias. Dans un registre assez proche du cas Al Doura, avez-vous entendu parler du film « Envoyés très spéciaux » qui montre deux journalistes radio qui bidonnent en faisant croire qu’ils sont en Irak alors qu’ils sont planqués à Barbès et fabriquent leurs reportages avec des sons pris sur Internet ? La presse a quasiment fait l’impasse sur cette comédie malgré la présence de Gérard Jugnot et de Gérard Lanvin au générique. On a connu nos médias moins fines gueules en matière de cinéma. Pourquoi ? Parce que le film montre la face sombre de leur profession.

Ce n’est pas tout-à-fait vrai. Allez sur Causeur et dans bien d’autres endroits. Admettons en tout cas que beaucoup de gens pensent désormais qu’il y a une entourloupe ou pire dans ce reportage. Que voulez-vous de plus ? Quel est votre objectif exactement ?
Je veux que le monde entier sache que le reportage de France 2 était une pure et simple mise en scène. Je veux que le monde arabe lui-même sache qu’il a été abusé par une image et qu’il a été embrasé à partir d’un faux médiatique. Or, cela n’arrivera que lorsque France 2 aura reconnu son erreur et aura présenté ses excuses aux téléspectateurs du monde entier en ouverture d’un « 20 heures ». Cette image a tué. Elle nourrit l’obsession de la culpabilité occidentale vis-à-vis de l’islam, non seulement dans le monde musulman mais aussi chez nos concitoyens musulmans. Mohamed Al Doura est une icône de Karachi à La Courneuve. Si cette icône est, comme je pense l’avoir démontré, née d’un faux, le monde entier doit le savoir. On parle tout le temps du devoir de mémoire, mais on ne peut inscrire aucune mémoire sur le mensonge. Nous avons un devoir de vérité. Pour aujourd’hui, pour demain, et pour les générations futures.

Julien Coupat aurait lu des livres

L’inquiétante idiotie du pouvoir dans l’affaire de Tarnac a pris, ces derniers temps, une dimension nouvelle. On a l’impression d’avoir affaire à l’un de ces enfants têtus qui s’obstinent dans le mensonge, pris la main dans le pot de confiture conspirative, les doigts collants d’arbitraire, niant l’évidence avec un aplomb affolé avant la gifle bien méritée.

À Rouen, trois « proches de Julien Coupat » ont été placés en garde à vue et, dans le cadre des lois d’exception sur le terrorisme, ce « Patriot Act » à la française, ils peuvent y rester 96 heures. Il faut s’interroger sur ce qui fait de vous un « proche » de Julien Coupat. En l’occurrence, ici, de l’aveu même des brillants pandores de la SDAT (Sous direction à l’antiterrorisme), ces policiers qui assaillirent un jour de novembre un village de Corrèze et le firent entrer définitivement dans la célébrité touristico-politique[1. Le Petit futé Corrèze 2009 ose le passage suivant : « C’est ici que le 11 novembre 2008 furent arrêtés dans une opération policière de grande ampleur (150 policiers et gendarmes) un groupe de personnes vivant en communauté, élevant des chèvres, impliquées dans les sabotages des voies de la SNCF. L’épicier, patron de la station-service faisant partie du lot à la grande surprise et déception des villageois. » C’est notre excellent ami Serge Quadruppani qui nous signale cette information sur son blog Les contrées magnifiques.], il suffit pour cela d’avoir séjourné à Thessalonique en septembre 2008, en même temps que lui, mais pas forcément en sa compagnie. À ce compte-là, toute personne ayant passé des vacances en Espagne avant 1975 était proche de Franco et les lecteurs trouvant une rime amusante à SDAT, par exemple « Securitate », gagneront une cagoule et un treillis bleu marine offerts par l’aile « cellule invisible » de Causeur[2. Bruno Maillé et votre serviteur.].

Quand la SDAT ne sévit pas sur les lieux où Flaubert éructait magnifiquement contre la bourgeoisie dans sa Correspondance, elle préfère le soleil de Forcalquier et missionne le SRPJ local pour une surprenante petite rafle matinale : quatre militants du « comité de sabotage de l’antiterrorisme » ont été pareillement mis en garde à vue lundi 18 mai. Le motif est là aussi croquignolet. Ils auraient distribué des tracts invitant à une réunion de soutien sur lesquels figurait une photographie : celle de l’interphone de la résidence secondaire de Bernard Squarcini, chef de la DCRI. Comme la maison poulaga ne recule devant aucun gag dans cette superproduction, une cinquième personne, venue rendre visite aux quatre autres pour voir comment se déroulait l’interpellation n’est pas ressortie du commissariat de Forcalquier et a été placée à son tour en garde à vue.

Si Julien Coupat n’entamait pas son septième mois d’incarcération dans les geôles de notre république bananière assistée par ordinateur, nous ririons de cette superproduction qui fait penser à Un gendarme de Saint-Tropez contre l’ultragauche ou à un film de Blake Edwards nous montrant Monsieur Squarcini dans le rôle d’une Panthère Rose maladroite. Avec en plus, dans le cas de notre Edgar J. Hoover national, une méchanceté hargneuse et tatillonne propre aux chefs des polices politiques dont Balzac, disait justement dans Une ténébreuse affaire, roman qu’il serait intéressant de relire ces temps-ci car lui aussi raconte une étonnante manipulation flicardière sous l’Empire : « On croit la police astucieuse, machiavélique, elle est d’une excessive bénignité ; seulement elle écoute les passions dans leurs paroxysmes, elle reçoit les délations et garde toutes ses notes. Elle n’est épouvantable que d’un côté. Ce qu’elle fait pour la justice, elle le fait aussi pour la politique. Mais en politique, elle est aussi cruelle, partiale que l’Inquisition. »

Elève Alliot-Marie, élève Bauer, élève Squarcini, vous commenterez cette citation dans un développement argumenté. Vous montrerez notamment les analogies entre l’analyse de Balzac qui se situe à l’époque napoléonienne et votre propre tentative d’inventer une « mouvance anarcho-autonome », ce qui est un bel oxymore et prouve votre niaiserie théorique. Les copies seront ramassées le jour de la libération de Julien Coupat quand l’opinion se moquera de vous et de ce qui restera comme la plus grande pantalonnade politico-judiciaire du sarkozysme.

Vous voulez un autre exemple de la méthode délirante que le pouvoir utilise pour tenter de remplir un dossier désespérément vide ? On pourrait l’appeler « le coup de la bibliothèque ». Figurez-vous que la dangereuse communauté invisible qui s’était emparée de Tarnac pour en faire la base arrière de la révolution mondiale et le premier village libéré de l’oppression capitaliste ne se contentait pas de se livrer à d’abominables opérations terroristes comme l’ouverture d’une épicerie, d’un restaurant coopératif et l’organisation de cours du soir. Ils ont été plus loin, ces nihilistes auprès desquels le Stavroguine de Dostoïevski fait figure de gonzesse : ils avaient créé une bibliothèque au premier étage de la fameuse épicerie. Cinq mille livres venant de chaque membre du groupe et mis en commun. Ah, les petits salopards ! Une bibliothèque…Et on s’étonne de l’effondrement des audiences de TF1 et de M6. N’allez pas chercher plus loin, c’est de la faute des « tarnaciens » : plutôt que de rester à regarder des jeux de téléréalité fondés sur l’humiliation volontaire et l’accoutumance à l’idée d’être viré sans ménagement, l’honnête corrézien se retrouvait avec à portée de la main des…livres. On commence par laisser le rural lire Rimbaud et Debord et on se retrouve avec une nation ingouvernable de paysans sodomites et post-situationnistes.

On se doute bien que Monsieur DCRI n’allait pas laisser faire ça. Et c’est à deux reprises qu’il a envoyé ses troupes perquisitionner les lieux et emporter des quantités variables de livres afin de préserver l’intégrité morale des villageois mais aussi et surtout de trouver des…preuves. Vous lisez Marx, vous êtes marxiste, c’est bien connu et vous lisez Fitzgerald et hop, vous devenez alcoolique. Mais quand vous lisez un rapport d’Alain Bauer, vous devenez paranoïaque et vous voyez des gauchistes partout : cela, désormais, semble, hélas, bel et bien prouvé.

Mais notre ami Bernard Squarcini peut faire encore mieux et c’est là que nous atteignons au sublime : le recoupement linguistique comme méthode policière. Dans une intéressante synthèse drôlement intitulée Le coup de Tarnac[3. Éditions Florent Massot.], le journaliste Marcel Gay établit un parallèle saisissant entre la façon dont on voudrait faire tomber Coupat, à partir du seul contenu de L’Insurrection qui vient, et ce qui est arrivé en août 2007 à trois universitaires allemands soupçonnés d’appartenir à un groupe autonome très actif. La BKA (la DCRI germanique), organisme manifestement peuplé de grammairiens distingués et de critiques littéraires, avait estimé que la fréquence des mots utilisés par les universitaires était la même que dans les tracts du groupe en question. D’où la culpabilité des trois hommes…

On voit ici toute la rigueur du raisonnement employé actuellement en désespoir de cause par l’antiterrorisme français, dont on ne sait plus s’il faut rire, pleurer ou avoir peur. On pourra aussi, devant ce « délit de lecture » (voire d’écriture) qui semble être la dernière charge pesant sur Julien Coupat aller signer la pétition initiée par la Maison des écrivains et de la littérature qui met exergue ce magnifique extrait de Walter Benjamin : « Nos bibliothèques sont toutes pleines à craquer de livres subversifs. De ceux-là, nous vient l’inspiration. De ceux-là, nous apprenons à penser. De ceux-là, nous apprenons à douter. Mais aussi à croire. De ceux-là, nous apprenons à lire le monde, à le délier aussi. À ceux-là, nous tenons, tant ils nous tiennent en vie. Ces livres que nous lisons, que nous aimons sont tous, par essence, dans le fond comme dans la forme – par le rapport qu’ils entretiennent à la langue, enracinée dans le vivant –, subversifs. »

Le coup de Tarnac

Price: 2,83 €

10 used & new available from

Armée de l’air pur

C’est l’épatant blog Secret Défense de Jean-Dominique Merchet qui nous l’apprend : l’armée de l’Air vient de recruter cinq lamas ! Affectés à la base d’Avord, dans le Cher, leur ordre de mission consiste à brouter les pelouses, en lieu et place des tondeuses à pétrole, rendues à la vie civile dans le cadre de la « politique de développement durable de l’armée de l’air ». On attend donc incessamment que pour réduire encore plus l’empreinte carbone de ses activités, notre aviation remplace ses chasseurs-bombardiers par des oies, des poules ou des canards. Ecologiques, économiques, il seraient en outre bien plus facile à exporter que les Rafales.

Barack met Bibi au pied du mur

156

Certains compliments sont pires que la plus acerbe des critiques. Après avoir reçu pour la première fois Benjamin Netanyahou, Barack Obama a salué la jeunesse et l’intelligence de son invité. Sauf que, mine de rien, le Premier ministre israélien aura soixante ans dans quelques mois. Autant dire que le président américain a fait le service minimum. Les observateurs expérimentés des relations israélo-américaines ont par ailleurs remarqué qu’il n’avait pas employé l’adjectif « courageux » – ce terme étant exclusivement réservé à ceux qui sont d’accord avec Washington. Effectivement, « le jeune et intelligent » et le très jeune et très intelligent se sont engagés dans une partie de poker dans laquelle chacun possède une carte que l’autre aimerait avoir : Obama a besoin d’un geste israélien fort vis-à-vis des Palestiniens, tandis que son interlocuteur veut fixer une deadline au terme de laquelle la phase de négociations avec l’Iran sera terminée.

Pour l’instant, Obama semble être le plus pressé des deux : attendu au Caire début juin, il aimerait sans doute avoir du concret à présenter à son hôte Moubarak ainsi qu’aux autres dirigeants arabes qui soutiennent l’initiative de paix saoudienne.

Mais l’avantage que cela semble conférer à Netanyahou sera éphémère, car l’essentiel pour lui est d’avoir un échéancier clair de l’action diplomatique américaine sur le dossier iranien. À Jérusalem, on sait que les Iraniens sont très avancés dans leur programme nucléaire militaire et qu’en cas d’échec des négociations, il faudra passer aux sanctions tout en respectant à la lettre les règles du jeu international multilatéral, faute de quoi aucune coalition ne sera possible. Ce qui signifie qu’il faudra des mois avant qu’un passage à l’acte – militaire – soit envisageable.

Pour le moment, aucun des deux n’a lâché le morceau. Netanyahou reste avare de monnaie diplomatique, et sa tactique consiste à faire monter le prix de son consentement public à la solution des « deux Etats ». Plus il tergiverse, plus les enchères montent. Avare de mots, il sera sans doute aussi radin en gestes concrets, en particulier en ce qui concerne le gel des implantations. À Washington, il s’est donc contenté de tourner autour du pot avec des « nous ne voulons pas gouverner les Palestiniens » et autres formules permettant de parler du loup sans le nommer.

Obama, quant à lui, n’a pas fait autre chose en refusant de fixer une échéance pour les négociations avec l’Iran, pour ajouter aussitôt que celles-ci ne dureraient pas une éternité. Il s’agit de formules diplomatiques vides de sens – les négociateurs européens, menés en bateau par les Iraniens depuis 2003, pourraient lui expliquer comment on fonctionne à Téhéran. La seule chose qui peut changer la donne, c’est l’intime conviction des dirigeants iraniens qu’effectivement, pour reprendre un mot du président américain Theodore Roosevelt, le type en face d’eux qui parle doucement porte un gros bâton.

Après ce premier round qui vient de s’achever à Washington tout se joue maintenant autour d’un enjeu intermédiaire – le lien entre les dossiers palestinien et iranien. Le linkage, comme on dit là-bas, a donc un avenir glorieux devant lui. Ce vocable a du reste un passé plus que respectable : il y a trente ans, pendant les négociations entre Israël et l’Egypte, le président Sadate avait exigé de son interlocuteur, l’Israélien Begin, que les avancées bilatérales des deux pays soient liées aux progrès accomplis sur le dossier palestinien. Le Caire savait qu’un accord séparé allait être encore plus difficile à vendre à l’opinion publique locale et arabe. Pendant quelques mois, ce fameux linkage avait fait le bonheur des chancelleries et des rédactions. Puis une formule salvatrice qui enterrait l’Etat palestinien au profit de « l’autonomie » avait finalement été concoctée.

Aujourd’hui, nous en sommes au même point ou presque. Pour Netanyahou comme pour Begin en son temps, il est essentiel que les dossiers palestinien et iranien soient traités séparément, tandis que pour Obama et les dirigeants arabes pro-occidentaux (Moubarak, Abdallah de Jordanie et Abdallah d’Arabie Saoudite) tout comme pour Carter et Sadate en 1978, le conflit israélo-palestinien est indissociable des autres problèmes. Si Shimon Peres – qui est intelligent malgré son âge avancé et dont on connaît le goût pour les formules qui noient le poisson – était en charge du dossier, il aurait sans doute parlé d' »unilatéralisme multilatéral », si ce n’est pas l’inverse.

Reste une seule question. Combien de temps Obama accordera-t-il à Netanyahou avant de lui poser des questions auxquelles il faudra répondre par « oui » ou par « non », et rapidement ? Avant de fixer une deadline à l’Iran, il est probable que la Maison-Blanche en imposera une à Israël. Finalement, si cela permet aux négociateurs américains de se mettre en jambes pour le grand jeu avec Téhéran, cette petite partie de poker n’aura pas été une perte de temps.

L’or du rein

Pour ceux qui ne l’auraient pas remarqué, tout est dans Shakespeare. L’amour, la vie, la mort et le reste qui, en comparaison, est toujours futile. « A horse ! a horse ! my kingdom for a horse ! » Le cri que lance Richard III à Catesby dispense à lui seul de lire des bibliothèques entières de philosophie – et d’équitation. Pourtant, la fréquentation assidue de Shakespeare, et même de ses Sonnets dont on ne saura jamais à quelle dame ils étaient destinés, ne nous dispense pas de la lecture quotidienne de la presse : tout n’y est pas, mais on y trouve de tout.

Le 15 mai, le quotidien La Dépêche consacrait un article faussement fait-diversier à Alain Canovaro. Ce Toulousain de quarante-trois ans, enfant de la DDASS – ça ne gâche rien –, cherche un emploi depuis six mois. On comprend que les dernières années n’ont pas été, pour lui, de tout repos : rupture, déprime, départ à l’étranger et retour en France, poches vides, fins de mois difficiles surtout après le 1er du mois.

Lui vient alors sa chienne d’idée : il y a en France 6.000 patients qui attendent une greffe de rein, peut-être l’un d’entre eux sera patron ou en connaîtra un… Notre Toulousain y va. Il n’a pas Internet et demande à une amie de lui poster une annonce sur une dizaine de sites : « Échange rein contre emploi. » Non seulement cet homme est au fond, mais il a des « amis » qui l’enfoncent encore plus, sans le dissuader, l’arrêter et, au final, faire toujours ce qu’un vrai ami fait dans ces cas-là, débiter du Brel par cœur : « Non, Jef, t’es pas tout seul, mais arrête de pleurer, comme ça devant tout le monde parce qu’une demi-vieille, parce qu’une fausse blonde t’a relaissé tomber… » Du côté des Aminches sans frontière, qui ont le mérite d’avoir chez eux une connexion haut débit, y a des coups de pied au cul qui se perdent.

Les coups de tatane ne seraient pas non plus superflus pour certains de nos estimés confrères. À commencer par l’excellentissime journaliste de La Dépêche qui commence son article par un magnifique : « Alain Canovaro, 43 ans, est loin d’être un illuminé. Au contraire. Il a un sens aigu des réalités. » Si je comprends bien, pour avoir le sens des réalités, se faire amputer d’un rein suffit. Et la lucidité, c’est combien ? Il faut donner son cœur ou son cerveau ? De même, l’on passera très vite, par charité chrétienne, sur la notion de « don », de peur de réveiller Marcel Mauss.

Mais la palme – ou plutôt le bistouri d’Or – revient au Post. Le 15 mai, notre chômeur toulousain lance son cri désespéré et, trois jours plus tard, un branquignole d’investigation du Post – filiale numérique du quotidien Le Monde – l’appelle pour rédiger un articulet pas piqué des hannetons :

« Sur Le Post, Alain Canovaro fait le point trois jours après sa proposition :
– Où en êtes-vous ?
– Nulle part. Absolument nulle part. Je suis déçu, très déçu, presque dépité. »

Voilà un homme qui est au bout du bout. Pas de fric, pas de job, la déprime, le sentiment de déréliction, ce truc qui vous casse, vous empêche non seulement de dormir mais aussi de rester éveillé. Alain Canovaro, lui, le RMI, le RSA et le visage rubicond de Martin Hirsch, il n’en veut pas. En crèverait même d’être assisté. Et les ronds-de-cuir de notre presse libre et indépendante qui tournent autour de vous pour poser la question : alors, coco, trois jours après, on fait le point ? Non contents de le justifier dans sa douce folie – car c’est bien une folie désespérée que de proposer un organe contre un job –, ils l’enfoncent dans son désespoir. Messieurs, chers confrères, procurez-lui un flingue. Il n’a pas de fric pour les munitions. Qu’à cela ne tienne : la profession se cotisera pour la balle et n’aura pas l’indécence, malgré les maoïstes qu’elle compte à la pelle, de la facturer à sa famille.

Car le plus étrange – et le plus indigne dans cette histoire – est qu’il n’est venu à l’esprit de personne que le vrai scandale ne résidait pas dans l’absence de réponses favorables à la proposition d’Alain Canovaro, mais dans sa proposition-même.

Médiatiquement, je comprends mes confrères : ils vivent, sans en être eux-mêmes affectés, dans une mythologie de la crise lue chez Horace McCoy ou vue chez Stanley Kubrick : rien n’est plus vendeur que de commenter, le petit doigt levé, un remake de On achève bien les chevaux. Or, dans la vraie vie, il n’y pas de Robert et de Gloria, ni de marathons de danse, ni de gens qui crèvent au long des épreuves qui leur sont infligées : il y a de braves types, des Alain Canovaro, qui essaient de surnager, de se débrouiller, de ne pas sombrer dans l’indignité sociale même s’ils doivent payer le prix d’une indignité plus grande encore. Tout le reste n’est que diversion. On les voit, mes chers et bien-aimés confrères, condamner le « mourir pour Dantzig » de Marcel Déat, mais ne rien trouver du tout à redire face au « se dépecer pour un job » d’un type comme vous et moi.

Car mon brillant confrère de La Dépêche, ne trouve rien d’autre à faire, pour conclure son article, qu’agiter la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique : « On ne peut faire don d’un organe, de son vivant, qu’à un membre de sa famille ou à quelqu’un avec qui on vit depuis au moins deux ans. Sa proposition n’a donc aucune chance d’aboutir légalement. » Et la quasi-totalité de la presse nationale reprend l’info : « La loi s’y oppose. »

Bien, camarades. Mais face au désespoir d’un homme, quand on est un homme, ce n’est pas son Code civil que l’on ressort. Les Dalloz rouges n’ont jamais sauvé personne. La question n’est pas celle de la légalité ; elle n’est pas même un cas moral ou éthique, mais une affaire de civilisation, un point de détail, mais le point d’un détail qui s’appelle humanité.

La loi autoriserait-elle à faire commerce des organes ou des restes humains que cela ne changerait rien. D’ailleurs, Jean-Pierre Baud l’a montré dans L’Affaire de la main volée (Seuil, 1993) : le statut juridique des organes humains varie, d’une manière assez étonnante, au gré de l’histoire. La législation sur la bioéthique a beau être sous les projecteurs de l’actualité, puisque le Parlement a entamé sa révision : elle ne nous dispense pas d’avoir une conscience. Depuis quand les journalistes doivent-ils se comporter en petit greffier de tribunal d’instance, agiter de la loi bioéthique à longueur d’articles quand il s’agit en fin de compte, non pas de questions juridiques, mais de sentiments humains ?

Jean-Luc Nancy dans son très beau Corpus (Métaillé, 2000) et Jacques Derrida dans un de ses textes les plus extraordinaires, Le Toucher (Galilée, 2000) ont formulé le problème : notre impensé contemporain est celui de la « prise de corps », ce hoc est enim corpus meum, qui avait régenté la civilisation occidentale jusqu’à ce qu’elle perde trace de tout, jusqu’à la signification de cela. Or, comme le professait non seulement le sensualisme de Locke mais aussi tout l’aristotélisme (nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu), rien n’existe qui ne prenne corps. Rien n’existe qui ne soit corps. C’est une question si cruciale pour notre époque qu’on s’apercevra, d’ici huit ou neuf cents ans, qu’elle était en 1995 le centre de l’encyclique Evangelium Vitae, lorsque l’on aura proclamé docteurs de l’Eglise, Jean-Paul II et Benoît XVI.

On ne peut, en effet, résumer le problème de l’incarnation ni à la foi chrétienne en l’Incarnation, ni à la vulgate mécaniste – celle, par exemple, de Deleuze et Guattari : « Ça respire, ça chauffe, ça mange. Ça chie, ça baise. » Il y a quelque chose d’autre que cette mécanique fonctionnelle. Comment, au moment même où j’écris, ai-je besoin de mes doigts sur le clavier pour vous transmettre ma pensée ? Dans les premiers chapitres de Sein und Zeit, Heidegger pousse le questionnement plus loin : comment le son qui sort de ma bouche, entrechoquant physiquement l’air, peut prendre corps pour devenir un message intelligible ? La dualité cartésienne entre la matière et l’esprit ne valent rien quand l’esprit a besoin de la matière pour se manifester.

Partant de là, et par d’abrupts et d’obscurs raccourcis, de multiples chemins qui ne mènent nulle part, on devrait s’en tenir, en matière bioéthique, à une seule règle : notre corps ne nous appartient pas. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je ne nie pas ici le slogan des féministes des années 1960 et suivantes. Je dis seulement que ce n’est là qu’un slogan, un manifeste politique, et qu’au-delà notre corps ne nous appartient pas. Même si vous ne croyez pas après saint Paul qu’il soit le temple de l’Esprit, il reste le temple de notre esprit. Nous n’existons pas sans notre corps, nous ne pouvons rien dire, voir, penser sans lui. Et pourtant, il n’est pas à nous. Il est, même les pieds sales, le propre de nous.

En étant le propre de nous, il échappe à toute notion de propriété. Il n’est ni négociable, ni soldable. Et notre civilisation s’est construite sur cette idée-là, quand on a considéré que le corps humain n’était pas un morceau de viande débitable en tranches à l’envi dans des pique-niques champêtres et anthropophages. Que tout soit commerce aujourd’hui, un objet d’échange et de troc, soit ! Mais là où nous aurons transformé jusqu’à notre fondement en part du CAC40, nous aurons perdu ce qui nous reste, une idée de l’homme. Et jamais nous ne pourrons désormais être Catesby, réconfortant comme il le peut Richard III sans toutefois le déposséder de son royaume : « Withdraw, my lord. I’ll help you to a horse. »

Transsexuels, l’Iran montre l’exemple

33

France 5 a diffusé hier soir un documentaire étonnant consacré aux transsexuels iraniens. On y apprend que ceux-ci sont quasiment mieux traités là-bas que chez nous, où rappelons-le, jusqu’à la semaine dernière et au geste héroïque de Roselyne Bachelot, les transgenres étaient considérés comme des malades mentaux. Rien de tel en République Islamique, où les trans sont traités avec bienveillance par les autorités depuis que l’imam Khomeyni a promulgué une fatwa en leur faveur. Et si, dans l’indifférence totale des mouvement gays occidentaux, les homos standard restent passibles de la peine de mort du côté de Téhéran ou d’Ispahan, les hommes qui veulent changer de sexe peuvent, eux, le faire en toute légalité. Cela dit, devenir une femme au pays des mollahs, faut vraiment en avoir envie…

Le vote utile, oui, mais utile à qui ?

28 % ! Un triomphe, une victoire historique pour l’UMP. Une dégelée pour ces ânes bâtés du PS, embourbés dans leurs querelles internes, comme disent les journalistes qui savent. Hop, fermez le ban. Ces élections européennes sont pliées. On passe à autre chose.

La droite gouvernementale, aidée par les supplétifs du Nouveau Centre, pointe en tête. Aux alentours de 28 % des intentions de vote pour le scrutin du 7 juin. Le PS à la ramasse se situerait dans la moyenne des précédentes élections avec près de 22 %. Et tous nos commentateurs attitrés de s’exciter sur une nouvelle phase de « turbulences » pour le « partidemartineaubry », qui manquerait de légitimité, de lisibilité, de crédibilité, ou de machintrucité.

Plus le temps et les élections passent, plus nous aimons les journalistes et leurs émotions adolescentes pour les chiffres des premiers sondages venus. Essayons donc d’être calme et de faire des règles de trois.

La droite d’abord : souvenons-nous, il y a deux ans, Nicolas Sarkozy devenait président de la République. Avec 53 % des voix. Passons aux législatives, la majorité présidentielle les a emportées avec 49,66 % des voix, contre 42 % pour le PS. Et aujourd’hui, donc, par le miracle de la règle à calcul, avec 28 % on parle de banco pour l’UMP ! Il est vrai qu’en période de crise on apprend à se contenter de peu. Mais là, on se demande si la droite officielle ne devient pas un peu trop adepte de la décroissance. D’autant que les élections européennes, au risque d’enfoncer nous aussi des portes ouvertes, ne sont pas très mobilisatrices. Là aussi, revenons aux chiffres : 2004, 42 % des Français inscrits sont allés voter, soit 17 752 603 électeurs sur 41 518 595 sont censés pouvoir donner leur avis. Ça calme déjà.

Alors les 28 % à venir devraient aussi calmer les ardeurs des communicants de l’UMP. Parce que ça chiffre à peine à 5 millions le nombre d’électeurs désireux de porter en triomphe le président Chouchou.

Et la gauche alors, bon dieu. Pourquoi n’essaie-t-elle pas de délivrer calmement cette petite leçon d’arithmétique à l’usage des malcomprenants ? À l’exception de l’animal à sang froid Cambadélis, qui remarque ce mardi dans Le Parisien que la droite aurait dû au moins rassembler 40 % et qu’elle s’écroule, pas une tête de liste pour endosser ce constat plein de bon sens.

Alors, soyons, une fois n’est pas coutume, pervers. Dans le fond, la dramatisation, genre « l’UMP va vous en faire baver si vous ne venez pas voter ou si vous cédez aux sirènes des listes qui sont à gauche » (pardon à gauche du PS), donc cette dramatisation donne une raison d’être à la campagne du PS.

Au départ celle-ci était orientée de façon offensive contre l’Europe de « Sarkozy et Barroso ». Au moins ce slogan négatif évitait d’avoir à trop discuter contenu, déminait le contentieux ouiouiste/noniste et devait mobiliser le socialiste lambda en colère contre l’omniprésident. Patatras. Les camarades lambda n’ont pas aimé cette campagne négative. Repatatras, José-Luis Zapatero, le grand ami espagnol, explique, lui, qu’il n’a rien contre une nouvelle candidature de Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne. Pour éviter la cata, les socialistes d’en haut cherchent vaguement des idées, n’en trouvent pas, et finissent par proposer ce fabuleux slogan mobilisateur : « Pour une Europe à gauche, maintenant. » Allez savoir pourquoi, aucun miracle ne s’en est ensuivi…

Du coup, un Solférino boy, du fond d’un bureau aveugle, avec du linoléum beige usé au sol a une idée : et si on refaisait le coup du vote utile, hein ? Genre, l’antéchrist c’est la droite, la menace c’est la dispersion ! Donc, au lieu de vous amuser, votez PS, sinon faudra pas vous plaindre quand les hordes de caissières roumaines ou de banquiers luxembourgeois débarqueront dans nos belles provinces. L’électeur socialiste, on le sait, a la culpabilité facile depuis un fameux 21 avril. Ça devrait donc suffire pour une campagne de même pas trois semaines.

Et puis au fait, si l’objectif de la gauche, comme de la droite ou de tous les autres, pardon, n’était pas uniquement de faire de ces élections un moment de politique. Non, il s’agit bien souvent de garantir un statut social à de pauvres hommes et femmes politiques qui ont besoin de Bruxelles pour survivre. Des ministres en disgrâce (Dati) aux fantômes politiques (Harlem Désir), en passant par des recalés du suffrage direct (Peillon) et, enfin, des redécoupées de l’Assemblée qui veulent pas aller chercher un travail, un vrai travail s’entend (Aurélie Filipetti). Vincent Peillon envoyé « à contrecœur » jouer la tête de liste dans la région Sud-Est pour le PS ne fait même pas mine de dire autre chose quand il appelle au vote utile : « Combien de députés Besancenot fera perdre au groupe socialiste en obtenant 4 à 6 % des voix… » Ben oui, Vincent a une famille à nourrir, lui. Electeurs, soyez gentils, un petit bulletin le 7 juin pour manger et rester propre.

Sarah Palin va bien

Sarah Palin, ex-candidate républicaine à la vice-présidence en 2008, va bien. La plus belle femme politique de la planète et de tous les temps, à l’exception peut-être de Cléopâtre, va écrire et publier ses mémoires l’année prochaine. L’annonce a été faite par Bill Murray, PDG de la maison d’édition HarperCollins, qui déclare de la toute divine Sarah aux bras blancs qu’elle a « une histoire fascinante à raconter » et qu’il s’agit d’une « des personnalités les plus charismatiques de la vie politique américaine ». Il est amusant de savoir que HarperCollins est aussi l’éditeur de Christopher Moore, un des écrivains les plus underground, trash et drôle des USA (voir L’Agneau, disponible en Série Noire). On ne sait pas en revanche si Sarah Palin annoncera dans ce livre son audacieux programme marxiste de dépérissement de l’État pour 2012, qu’elle déguise sous le nom de libertarianisme pour ne pas affoler les chasseurs de phoques. Car, en plus d’être sublime, ma Sarah, c’est un vrai génie politique.

Européens, ne nous cassez pas les urnes !

Renchérissant sur Paul Thibaud, qui confessait sur les ondes de France Culture ne pas juger bon de se déplacer vers l’isoloir le 7 juin prochain, mon collègue de colonne, Luc Rosenzweig, appelait les Européens à l’abstention, rejoint dans la foulée par David Dupré qui avouait – faute avouée, à demi-pardonnée – donner son suffrage à la liste « Europe Démocratie Espéranto ».

Faut pas charrier, les amis. L’espéranto, je n’y crois pas. Quiconque a un peu d’esprit et de lettres le sait : c’est le volapük qu’il nous faut ! Inventée par un curé catholique de Baden, Johann Martin Schleyer, cette langue est si compliquée que ses défenseurs ne la parlaient même pas entre eux, lorsqu’à la fin du XIXe siècle ils se réunissaient en colloques et symposiums pour déterminer s’il fallait cinq ou dix ans pour l’imposer au reste du monde. Il y a, dans le volapük, ce que disait Paul Valéry de l’Europe, c’est-à-dire une conjonction des maximums : maximum de complications, de déclinaisons et d’inepties possibles.

Bref, de toutes les langues que l’esprit humain a inventées – du basic au langage C, en passant par le cobol et le pascal –, le volapük est la langue la plus conforme à l’esprit byzantin qui souffle sur le Berlaymont et ses alentours. Une langue qu’on ne peut pas parler, une langue dans laquelle aucune intelligibilité n’est possible et qui ne permet aucun échange, puisque chacun des locuteurs qui en userait se perdrait inéluctablement dans ses méandres brumeux et ses abstractions foireuses. Mais la plus littéraire des langues qui soit, car au final elle pointe, façon Sarraute et Ionesco, l’incommunicabilité des consciences. Miss Smith ne comprend pas Mr Smith : voilà l’Europe qui commence. Et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

À cette Europe incompréhensible, unie comme les vingt-sept doigts de la main, le moindre est d’offrir la plus incompréhensible de toutes les langues : le volapük, tout le volapük, rien que le volapük. Le mérite le plus notoire de cet idiome est qu’il continue à rester obscur et confus lorsque l’on est assis sur sa chaise et que l’on y sautille comme un cabri.

Le problème est qu’aucune liste – du moins en France, je n’ai pas regardé ailleurs – ne propose le recours systématique au volapük dans les instances européennes. Vais-je, pour autant, aller tâtonner le goujon le 7 juin ? Bien sûr que non. Si je connais des thons, des carpes et même des tanches, je ne suis, jusqu’à nouvel ordre, pas assez intime avec un goujon pour oser le tâtonner. Même un peu. Fût-il européen. Et de bonne moralité.

Cela étant, en démocratie, on ne vote jamais tout à fait pour son idéal politique, à moins de se présenter soi-même à l’élection – ce n’est pas interdit. Dans la plupart des cas, on est obligé de composer avec la réalité. Non pas de faire comme si, à la manière kantienne. Mais de faire avec, façon Gilbert Bécaud dernier album. Le vote n’est pas la simple expression d’une adhésion totale à un représentant et à ses idées : il est un choix. Et comporte, par nature, une part de reniement de soi-même. C’est cet abandon de soi que Rousseau, l’un des pères putatifs du totalitarisme, dénonçait déjà dans son Projet de Constitution pour la Corse de 1763, puis dans le Contrat social, en critiquant le système parlementaire : la démocratie représentative va toujours à l’encontre de notre nature.

Lorsqu’on vote, on ne porte jamais son suffrage vers celui qui pense comme nous, mais toujours vers une approximation. À moins d’être le militant dont Régis Debray tirait le portrait en 1981 dans la Critique de la raison politique, on vote, toujours et parfois malgré soi, en désespoir de cause. Et l’on devrait se méfier comme de la plus grande peste de ceux qui veulent « réenchanter le politique » : le monde n’est pas une opérette, mais un juste et relatif milieu entre la peste et le choléra, la grippe porcine et la grippe aviaire, le rhume et l’eczéma. C’est au centre que nous avons, en définitive, à voter. Pas au centre de l’échiquier politique actuel, où l’on entend, par exemple, un Jean-François Kahn tenir les mêmes discours que Le Pen hier sur la sécurité et le risque des vagues d’immigration déferlant sur l’Europe. Même Sarkozy n’avait pas osé. Non, il s’agit de voter au centre : là où, même aveugle, nous pensons pouvoir toucher au plus proche du cœur de la cible que nous avons nous-mêmes déterminé.

Moi, par exemple, qui ai été élevé dans un républicanisme séguino-chevènementiste, j’essaie d’ajuster le tir. Ce n’est pas certain que je vais réussir, mais au moins j’aurai essayé. Ce que je sais, c’est que je ne voterai pas pour les listes Dieudonné. D’abord, parce qu’il n’en présente pas dans le Grand est, que je ne suis pas suffisamment gaga pour confondre le café-théâtre et l’isoloir et, last but not least (je ne sais pas comment on dit ça en hébreu) parce que le fameux lobby dont est censé dépendre Causeur ne m’a pas encore payé suffisamment pour les articles (superbes) que j’écris – Elisabeth, tu l’as mis où, le lobby ? Je ne voterai pas non plus pour Europe Écologie : je suis Strasbourgeois, d’accord. Mais je suis aussi patriote et je pense que lutter contre la présence du Parlement européen à Strasbourg au nom du « bilan carbone » comme le fait Daniel Cohn-Bendit, n’est rien d’autre que la plus grosse fumisterie de tous les temps. Et je ne vous dis pas comme c’est polluant, une fumisterie industrielle à ce point-là.

Peut-être voterai-je communiste, enfin Front de gauche. Rien que pour embêter Jérôme Leroy. Et le déboussoler encore un peu, moi qui me souviens de Malraux et du papier à cigarette dont les feuilles ne séparent jamais rien de rien. Ou PS, pour équilibrer le vote Kouchner.

Enfin, je voterai. Et je le ferai comme je vote aux cantonales, même si je sais pertinemment que le pouvoir d’un conseiller général est proche du zéro absolu quand le contingent d’aide sociale – c’est-à-dire les dépenses obligatoires – prend une place telle dans le budget des départements qu’ils n’ont plus aucune latitude pour mener leurs propres politiques. Car la réalité, c’est aussi ça : des marges de manœuvres partout de plus en plus réduites.

À Strasbourg, Peter Sloterdijk m’a un jour confié être étonné par les appartements de ses amis français : on s’y croirait, disait-il, comme dans un musée. Et il poursuivait : les Français font aussi de la politique comme dans un musée. Emportés par le romantisme, ils croient encore aux destins impériaux tout comme aux lendemains qui chantent.

J’avais été choqué par son propos. Je ne le suis plus. Peter avait raison : la politique ne chante pas. Elle ne chante plus les tubes que nous connaissions et, au juke-box démocratique, nous reste comme ultime devoir de ne plus sélectionner que notre petite musique. À notre rythme, mais peut-être pas très accordée.

Si l'Europe s'éveille

Price: 2,08 €

5 used & new available from

Halte à la junk-food

9

Une nouvelle affaire de bébé congelé vient d’éclater à Metz où une femme de 32 ans a été mise en examen « pour délaissement de mineur ayant entraîné la mort ». Le nouveau-né a été retrouvé par le fils aîné qui était allé chercher une glace. Cet enfant, lui-même placé en foyer, ne voyait sa mère que durant les week-ends. Suivie par les services sociaux, elle semblait vivre dans un grand dénuement et, manifestement, n’observait pas les préceptes diététiques du ministère de la Santé recommandant la consommation de cinq fruits et légumes différents par jour. Bébés, glaces, pizza, hamburgers, on ne dira jamais assez les ravages de la junk food et de la viande de mauvaise qualité dans les classes populaires. Et qu’on n’aille pas chercher l’alibi facile de la crise ou de la baisse du pouvoir d’achat. Il y en a décidément assez de cette culture de l’excuse.

“Al Doura : le monde arabe doit savoir qu’il a été abusé”

419

Il y a un an exactement, la Cour d’Appel de Paris vous relaxait dans le procès en diffamation que vous a intenté France 2 dans l’affaire Al Doura. Depuis, France 2 s’est pourvue en cassation et la profession s’est mobilisée, mais en faveur de Charles Enderlin. Vous avez peut-être gagné au plan judiciaire (et encore provisoirement), mais, politiquement et médiatiquement, ça ressemble à une défaite, non ?
Je ne partage pas du tout cette analyse. Il est vrai que quand on observe les médias français, on a l’impression d’être en Corée du nord. En revanche, à l’étranger les choses évoluent positivement. Ainsi, le 4 mars dernier, la télévision publique allemande ARD a diffusé un documentaire  qui met gravement en cause le reportage de France 2 sur Mohamed Al Doura. Ce film aurait dû faire bouger les lignes en France ou au moins susciter le doute de ceux qui continuent à soutenir la chaîne publique. Il n’en a rien été. Ce documentaire est en train d’être acheté et sera diffusé par de nombreuses télévisions étrangères. Malheureusement, en France, pour le moment, aucun « grand média » n’a même jugé bon d’évoquer son existence.

Si la Cour de cassation, qui devrait se prononcer à l’automne, casse l’arrêt de la Cour d’appel, vous serez bien obligé de reconnaître votre défaite…
En octobre 2006, quand j’ai perdu mon procès en première instance, France 2 a claironné au 20h que c’était une victoire judiciaire qui prouvait que le reportage de Charles Enderlin et Talal Abu Rahma était authentique. Quand j’ai gagné en appel, France 2 et ses défenseurs – et vous savez qu’ils sont nombreux dans les médias – ont expliqué que ça ne voulait rien dire, que je n’avais rien prouvé et que le reportage était toujours authentique. En Cour de cassation, je me bats et je souhaite gagner, bien sûr. Si l’arrêt de la Cour d’appel est cassé, il y aura peut-être un moment difficile médiatiquement. Mais ce ne sera pas une tragédie car on retournera en appel et on remettra tous les documents sur la table, et dans les médias qui voudront bien s’en faire l’écho. Je n’ai aucun doute que la vérité éclatera, un jour ou l’autre.

Mais ne doutez-vous jamais de vous-même ? Etes-vous si sûr d’avoir raison ?
Je doute tout le temps. De moi-même et je me demande chaque jour si je me trompe ou non. Depuis plus de 7 ans, chaque fois que quelqu’un me présente un élément destiné à contredire notre démonstration, je l’analyse. Jusqu’à présent, je n’ai jamais été convaincu par les arguments de mes contradicteurs. Si cela changeait, je m’inclinerais et je présenterais mes excuses à France 2, et surtout à tous ceux qui me font confiance depuis tant d’années. Ce qui m’intéresse, c’est la vérité. Et je suis certain que c’est aussi ce qui intéresse Patrick de Carolis.
Cela dit, les preuves que ce reportage est un faux abondent et, sur Causeur, vous les avez vous-mêmes exposées. Vous avez d’ailleurs été un des premiers médias non communautaires à remettre en question le film de France 2. De plus, je ne suis pas le seul à avoir enquêté même si c’est moi qui ai été poursuivi par la chaîne publique. Avant moi, Nahum Shahaf et Stéphane Juffa en Israël, Richard Landes aux Etats-Unis, Gérard Huber en France pour ne citer qu’eux, avaient déjà pointé la plupart des invraisemblances auxquelles France 2 n’apporte aucune réponse. Luc Rosenzweig, Daniel Leconte et Denis Jeambar, sans oublier Esther Schapira et Georg Haffner de la TV publique allemande ARD ont également enquêté. En face, la seule chose qu’on nous répète depuis près de neuf ans, c’est que Charles Enderlin est un grand journaliste et qu’il ne peut pas s’être trompé ou avoir été abusé. Vous avouerez que c’est un peu faible comme argumentation…

En quoi le film d’ARD est-il « accablant » ? Présente-t-il des éléments nouveaux ?
Le film allemand dure 52 minutes. Il serait donc difficile de le résumer en quelques phrases.
Voici quand même trois points essentiels confirmés par ce documentaire :
1. Grâce à une analyse biométrique des visages, il démontre que l’enfant filmé par France 2 n’est pas celui qui a été montré à la morgue de Gaza et enterré plus tard.
2. Dans le reportage de France 2, il n’y a pas de sang sur les corps de Mohamed et Jamal al Doura alors qu’ils sont censés avoir reçu 15 balles à eux deux.
3. L’enfant mort et enterré sous le nom de Mohamed al Doura est arrivé à l’hôpital avant 10 heures, alors que la scène montrée par France 2 a été tournée après 15h.

Al Douriste, c’est pas un métier. Si vous ne vivez pas de cette affaire comme le pensent ceux qui vous accusent de vous livrer à un véritable business, de quoi vivez-vous ? Etes-vous financés par des associations juives ?
Vous voulez dire : après le « Shoah business », le « Al Doura business » ? Toujours les mêmes insinuations de ceux qui font de l’antisémitisme sans le savoir. Néanmoins, je comprends le sens de votre question. La première chose à savoir est que je suis totalement indépendant. Personne ne peut venir me dire :  « là mon vieux tu vas trop loin ! » et c’est essentiel pour mener une bataille comme celle-ci.
De plus en plus d’associations et de personnes, juives ou non, me soutiennent, mais elles me soutiennent moralement, jamais financièrement parce qu’elles ont accepté d’analyser le reportage de France 2. C’est le cas du CRIF en France, et j’en profite pour saluer le courage de son président Richard Prasquier qui m’accompagne dans ce combat difficile, comme de ZOA (Zionist organization of America) aux Etats-Unis. Mais si vous prenez par exemple une organisation juive comme l’American Jewish Committee et sa branche française, ils sont devenus mes pires adversaires. Alors, de quoi est-ce que je vis ? D’abord, je ne suis pas né pauvre. Ensuite, je suis un ancien financier. Enfin, je suis régulièrement invité par de grandes universités américaines – Stanford, Harvard, UCLA pour ne citer qu’elles – et des groupes de réflexion américains. Et, conformément aux usages en vigueur aux Etats-Unis, ces conférences sont rémunérées. Heureusement d’ailleurs ! Parce que les frais engagés dans cette bataille sont considérables : avocats, voyages, documentation…

En dehors de ces institutions juives, vous affirmez avoir beaucoup de partisans à l’étranger. Pouvez-vous en dire plus ?
A l’étranger, les gens acceptent de voir les documents que j’ai, avec d’autres, rassemblés. Et lorsqu’ils les ont vus, ils sont toujours impressionnés. Récemment, j’ai été invité à au Festival de journalisme de Perugia, en Italie. Après ma présentation, ils m’ont donné une salle, le lendemain soir, pour faire un second exposé plus détaillé et répondre aux questions du public. Aux Etats-Unis, je vous l’ai dit, je suis invité par de grandes universités et des think tanks. En France, je multiplie les conférences et les gens qui y assistent sortent tous convaincus. Prochainement, je serai à Marseille, à Lyon, à Grenoble, à Nice avant de repartir à l’étranger, en Europe et aux Etats-Unis. De nombreux journalistes français ont aussi été conquis après avoir visionné nos éléments de preuve mais certains préfèrent rester discrets pour ne pas se « griller » dans la profession – ou dans leur rédaction. Vous-même avez été convaincue lorsque nous nous sommes rencontrés au cours de la Journée du Journalisme Junior organisée par Jacqueline Quéhen pour le rectorat de Nice. J’ai également rencontré des journalistes arabes qui ont trouvé ma démonstration « implacable », selon leurs propres mots. D’ailleurs, je suis en contact avec les gens d’Al Jazeera qui sont très intéressés.

On en reparlera quand ils feront écho à vos thèses dans leurs médias. Comment expliquez-vous la résistance de la France ? Pensez-vous qu’elle est idéologique, autrement dit liée à la « réprobation d’Israël » ?
C’est possible mais il n’y a pas que cela. Cette affaire montre la puissance d’une caste d’intouchables – que vous avez vous-mêmes qualifiée de Parti des médias. Dans un registre assez proche du cas Al Doura, avez-vous entendu parler du film « Envoyés très spéciaux » qui montre deux journalistes radio qui bidonnent en faisant croire qu’ils sont en Irak alors qu’ils sont planqués à Barbès et fabriquent leurs reportages avec des sons pris sur Internet ? La presse a quasiment fait l’impasse sur cette comédie malgré la présence de Gérard Jugnot et de Gérard Lanvin au générique. On a connu nos médias moins fines gueules en matière de cinéma. Pourquoi ? Parce que le film montre la face sombre de leur profession.

Ce n’est pas tout-à-fait vrai. Allez sur Causeur et dans bien d’autres endroits. Admettons en tout cas que beaucoup de gens pensent désormais qu’il y a une entourloupe ou pire dans ce reportage. Que voulez-vous de plus ? Quel est votre objectif exactement ?
Je veux que le monde entier sache que le reportage de France 2 était une pure et simple mise en scène. Je veux que le monde arabe lui-même sache qu’il a été abusé par une image et qu’il a été embrasé à partir d’un faux médiatique. Or, cela n’arrivera que lorsque France 2 aura reconnu son erreur et aura présenté ses excuses aux téléspectateurs du monde entier en ouverture d’un « 20 heures ». Cette image a tué. Elle nourrit l’obsession de la culpabilité occidentale vis-à-vis de l’islam, non seulement dans le monde musulman mais aussi chez nos concitoyens musulmans. Mohamed Al Doura est une icône de Karachi à La Courneuve. Si cette icône est, comme je pense l’avoir démontré, née d’un faux, le monde entier doit le savoir. On parle tout le temps du devoir de mémoire, mais on ne peut inscrire aucune mémoire sur le mensonge. Nous avons un devoir de vérité. Pour aujourd’hui, pour demain, et pour les générations futures.

Julien Coupat aurait lu des livres

206

L’inquiétante idiotie du pouvoir dans l’affaire de Tarnac a pris, ces derniers temps, une dimension nouvelle. On a l’impression d’avoir affaire à l’un de ces enfants têtus qui s’obstinent dans le mensonge, pris la main dans le pot de confiture conspirative, les doigts collants d’arbitraire, niant l’évidence avec un aplomb affolé avant la gifle bien méritée.

À Rouen, trois « proches de Julien Coupat » ont été placés en garde à vue et, dans le cadre des lois d’exception sur le terrorisme, ce « Patriot Act » à la française, ils peuvent y rester 96 heures. Il faut s’interroger sur ce qui fait de vous un « proche » de Julien Coupat. En l’occurrence, ici, de l’aveu même des brillants pandores de la SDAT (Sous direction à l’antiterrorisme), ces policiers qui assaillirent un jour de novembre un village de Corrèze et le firent entrer définitivement dans la célébrité touristico-politique[1. Le Petit futé Corrèze 2009 ose le passage suivant : « C’est ici que le 11 novembre 2008 furent arrêtés dans une opération policière de grande ampleur (150 policiers et gendarmes) un groupe de personnes vivant en communauté, élevant des chèvres, impliquées dans les sabotages des voies de la SNCF. L’épicier, patron de la station-service faisant partie du lot à la grande surprise et déception des villageois. » C’est notre excellent ami Serge Quadruppani qui nous signale cette information sur son blog Les contrées magnifiques.], il suffit pour cela d’avoir séjourné à Thessalonique en septembre 2008, en même temps que lui, mais pas forcément en sa compagnie. À ce compte-là, toute personne ayant passé des vacances en Espagne avant 1975 était proche de Franco et les lecteurs trouvant une rime amusante à SDAT, par exemple « Securitate », gagneront une cagoule et un treillis bleu marine offerts par l’aile « cellule invisible » de Causeur[2. Bruno Maillé et votre serviteur.].

Quand la SDAT ne sévit pas sur les lieux où Flaubert éructait magnifiquement contre la bourgeoisie dans sa Correspondance, elle préfère le soleil de Forcalquier et missionne le SRPJ local pour une surprenante petite rafle matinale : quatre militants du « comité de sabotage de l’antiterrorisme » ont été pareillement mis en garde à vue lundi 18 mai. Le motif est là aussi croquignolet. Ils auraient distribué des tracts invitant à une réunion de soutien sur lesquels figurait une photographie : celle de l’interphone de la résidence secondaire de Bernard Squarcini, chef de la DCRI. Comme la maison poulaga ne recule devant aucun gag dans cette superproduction, une cinquième personne, venue rendre visite aux quatre autres pour voir comment se déroulait l’interpellation n’est pas ressortie du commissariat de Forcalquier et a été placée à son tour en garde à vue.

Si Julien Coupat n’entamait pas son septième mois d’incarcération dans les geôles de notre république bananière assistée par ordinateur, nous ririons de cette superproduction qui fait penser à Un gendarme de Saint-Tropez contre l’ultragauche ou à un film de Blake Edwards nous montrant Monsieur Squarcini dans le rôle d’une Panthère Rose maladroite. Avec en plus, dans le cas de notre Edgar J. Hoover national, une méchanceté hargneuse et tatillonne propre aux chefs des polices politiques dont Balzac, disait justement dans Une ténébreuse affaire, roman qu’il serait intéressant de relire ces temps-ci car lui aussi raconte une étonnante manipulation flicardière sous l’Empire : « On croit la police astucieuse, machiavélique, elle est d’une excessive bénignité ; seulement elle écoute les passions dans leurs paroxysmes, elle reçoit les délations et garde toutes ses notes. Elle n’est épouvantable que d’un côté. Ce qu’elle fait pour la justice, elle le fait aussi pour la politique. Mais en politique, elle est aussi cruelle, partiale que l’Inquisition. »

Elève Alliot-Marie, élève Bauer, élève Squarcini, vous commenterez cette citation dans un développement argumenté. Vous montrerez notamment les analogies entre l’analyse de Balzac qui se situe à l’époque napoléonienne et votre propre tentative d’inventer une « mouvance anarcho-autonome », ce qui est un bel oxymore et prouve votre niaiserie théorique. Les copies seront ramassées le jour de la libération de Julien Coupat quand l’opinion se moquera de vous et de ce qui restera comme la plus grande pantalonnade politico-judiciaire du sarkozysme.

Vous voulez un autre exemple de la méthode délirante que le pouvoir utilise pour tenter de remplir un dossier désespérément vide ? On pourrait l’appeler « le coup de la bibliothèque ». Figurez-vous que la dangereuse communauté invisible qui s’était emparée de Tarnac pour en faire la base arrière de la révolution mondiale et le premier village libéré de l’oppression capitaliste ne se contentait pas de se livrer à d’abominables opérations terroristes comme l’ouverture d’une épicerie, d’un restaurant coopératif et l’organisation de cours du soir. Ils ont été plus loin, ces nihilistes auprès desquels le Stavroguine de Dostoïevski fait figure de gonzesse : ils avaient créé une bibliothèque au premier étage de la fameuse épicerie. Cinq mille livres venant de chaque membre du groupe et mis en commun. Ah, les petits salopards ! Une bibliothèque…Et on s’étonne de l’effondrement des audiences de TF1 et de M6. N’allez pas chercher plus loin, c’est de la faute des « tarnaciens » : plutôt que de rester à regarder des jeux de téléréalité fondés sur l’humiliation volontaire et l’accoutumance à l’idée d’être viré sans ménagement, l’honnête corrézien se retrouvait avec à portée de la main des…livres. On commence par laisser le rural lire Rimbaud et Debord et on se retrouve avec une nation ingouvernable de paysans sodomites et post-situationnistes.

On se doute bien que Monsieur DCRI n’allait pas laisser faire ça. Et c’est à deux reprises qu’il a envoyé ses troupes perquisitionner les lieux et emporter des quantités variables de livres afin de préserver l’intégrité morale des villageois mais aussi et surtout de trouver des…preuves. Vous lisez Marx, vous êtes marxiste, c’est bien connu et vous lisez Fitzgerald et hop, vous devenez alcoolique. Mais quand vous lisez un rapport d’Alain Bauer, vous devenez paranoïaque et vous voyez des gauchistes partout : cela, désormais, semble, hélas, bel et bien prouvé.

Mais notre ami Bernard Squarcini peut faire encore mieux et c’est là que nous atteignons au sublime : le recoupement linguistique comme méthode policière. Dans une intéressante synthèse drôlement intitulée Le coup de Tarnac[3. Éditions Florent Massot.], le journaliste Marcel Gay établit un parallèle saisissant entre la façon dont on voudrait faire tomber Coupat, à partir du seul contenu de L’Insurrection qui vient, et ce qui est arrivé en août 2007 à trois universitaires allemands soupçonnés d’appartenir à un groupe autonome très actif. La BKA (la DCRI germanique), organisme manifestement peuplé de grammairiens distingués et de critiques littéraires, avait estimé que la fréquence des mots utilisés par les universitaires était la même que dans les tracts du groupe en question. D’où la culpabilité des trois hommes…

On voit ici toute la rigueur du raisonnement employé actuellement en désespoir de cause par l’antiterrorisme français, dont on ne sait plus s’il faut rire, pleurer ou avoir peur. On pourra aussi, devant ce « délit de lecture » (voire d’écriture) qui semble être la dernière charge pesant sur Julien Coupat aller signer la pétition initiée par la Maison des écrivains et de la littérature qui met exergue ce magnifique extrait de Walter Benjamin : « Nos bibliothèques sont toutes pleines à craquer de livres subversifs. De ceux-là, nous vient l’inspiration. De ceux-là, nous apprenons à penser. De ceux-là, nous apprenons à douter. Mais aussi à croire. De ceux-là, nous apprenons à lire le monde, à le délier aussi. À ceux-là, nous tenons, tant ils nous tiennent en vie. Ces livres que nous lisons, que nous aimons sont tous, par essence, dans le fond comme dans la forme – par le rapport qu’ils entretiennent à la langue, enracinée dans le vivant –, subversifs. »

Le coup de Tarnac

Price: 2,83 €

10 used & new available from

Armée de l’air pur

15

C’est l’épatant blog Secret Défense de Jean-Dominique Merchet qui nous l’apprend : l’armée de l’Air vient de recruter cinq lamas ! Affectés à la base d’Avord, dans le Cher, leur ordre de mission consiste à brouter les pelouses, en lieu et place des tondeuses à pétrole, rendues à la vie civile dans le cadre de la « politique de développement durable de l’armée de l’air ». On attend donc incessamment que pour réduire encore plus l’empreinte carbone de ses activités, notre aviation remplace ses chasseurs-bombardiers par des oies, des poules ou des canards. Ecologiques, économiques, il seraient en outre bien plus facile à exporter que les Rafales.

Barack met Bibi au pied du mur

156

Certains compliments sont pires que la plus acerbe des critiques. Après avoir reçu pour la première fois Benjamin Netanyahou, Barack Obama a salué la jeunesse et l’intelligence de son invité. Sauf que, mine de rien, le Premier ministre israélien aura soixante ans dans quelques mois. Autant dire que le président américain a fait le service minimum. Les observateurs expérimentés des relations israélo-américaines ont par ailleurs remarqué qu’il n’avait pas employé l’adjectif « courageux » – ce terme étant exclusivement réservé à ceux qui sont d’accord avec Washington. Effectivement, « le jeune et intelligent » et le très jeune et très intelligent se sont engagés dans une partie de poker dans laquelle chacun possède une carte que l’autre aimerait avoir : Obama a besoin d’un geste israélien fort vis-à-vis des Palestiniens, tandis que son interlocuteur veut fixer une deadline au terme de laquelle la phase de négociations avec l’Iran sera terminée.

Pour l’instant, Obama semble être le plus pressé des deux : attendu au Caire début juin, il aimerait sans doute avoir du concret à présenter à son hôte Moubarak ainsi qu’aux autres dirigeants arabes qui soutiennent l’initiative de paix saoudienne.

Mais l’avantage que cela semble conférer à Netanyahou sera éphémère, car l’essentiel pour lui est d’avoir un échéancier clair de l’action diplomatique américaine sur le dossier iranien. À Jérusalem, on sait que les Iraniens sont très avancés dans leur programme nucléaire militaire et qu’en cas d’échec des négociations, il faudra passer aux sanctions tout en respectant à la lettre les règles du jeu international multilatéral, faute de quoi aucune coalition ne sera possible. Ce qui signifie qu’il faudra des mois avant qu’un passage à l’acte – militaire – soit envisageable.

Pour le moment, aucun des deux n’a lâché le morceau. Netanyahou reste avare de monnaie diplomatique, et sa tactique consiste à faire monter le prix de son consentement public à la solution des « deux Etats ». Plus il tergiverse, plus les enchères montent. Avare de mots, il sera sans doute aussi radin en gestes concrets, en particulier en ce qui concerne le gel des implantations. À Washington, il s’est donc contenté de tourner autour du pot avec des « nous ne voulons pas gouverner les Palestiniens » et autres formules permettant de parler du loup sans le nommer.

Obama, quant à lui, n’a pas fait autre chose en refusant de fixer une échéance pour les négociations avec l’Iran, pour ajouter aussitôt que celles-ci ne dureraient pas une éternité. Il s’agit de formules diplomatiques vides de sens – les négociateurs européens, menés en bateau par les Iraniens depuis 2003, pourraient lui expliquer comment on fonctionne à Téhéran. La seule chose qui peut changer la donne, c’est l’intime conviction des dirigeants iraniens qu’effectivement, pour reprendre un mot du président américain Theodore Roosevelt, le type en face d’eux qui parle doucement porte un gros bâton.

Après ce premier round qui vient de s’achever à Washington tout se joue maintenant autour d’un enjeu intermédiaire – le lien entre les dossiers palestinien et iranien. Le linkage, comme on dit là-bas, a donc un avenir glorieux devant lui. Ce vocable a du reste un passé plus que respectable : il y a trente ans, pendant les négociations entre Israël et l’Egypte, le président Sadate avait exigé de son interlocuteur, l’Israélien Begin, que les avancées bilatérales des deux pays soient liées aux progrès accomplis sur le dossier palestinien. Le Caire savait qu’un accord séparé allait être encore plus difficile à vendre à l’opinion publique locale et arabe. Pendant quelques mois, ce fameux linkage avait fait le bonheur des chancelleries et des rédactions. Puis une formule salvatrice qui enterrait l’Etat palestinien au profit de « l’autonomie » avait finalement été concoctée.

Aujourd’hui, nous en sommes au même point ou presque. Pour Netanyahou comme pour Begin en son temps, il est essentiel que les dossiers palestinien et iranien soient traités séparément, tandis que pour Obama et les dirigeants arabes pro-occidentaux (Moubarak, Abdallah de Jordanie et Abdallah d’Arabie Saoudite) tout comme pour Carter et Sadate en 1978, le conflit israélo-palestinien est indissociable des autres problèmes. Si Shimon Peres – qui est intelligent malgré son âge avancé et dont on connaît le goût pour les formules qui noient le poisson – était en charge du dossier, il aurait sans doute parlé d' »unilatéralisme multilatéral », si ce n’est pas l’inverse.

Reste une seule question. Combien de temps Obama accordera-t-il à Netanyahou avant de lui poser des questions auxquelles il faudra répondre par « oui » ou par « non », et rapidement ? Avant de fixer une deadline à l’Iran, il est probable que la Maison-Blanche en imposera une à Israël. Finalement, si cela permet aux négociateurs américains de se mettre en jambes pour le grand jeu avec Téhéran, cette petite partie de poker n’aura pas été une perte de temps.

L’or du rein

89

Pour ceux qui ne l’auraient pas remarqué, tout est dans Shakespeare. L’amour, la vie, la mort et le reste qui, en comparaison, est toujours futile. « A horse ! a horse ! my kingdom for a horse ! » Le cri que lance Richard III à Catesby dispense à lui seul de lire des bibliothèques entières de philosophie – et d’équitation. Pourtant, la fréquentation assidue de Shakespeare, et même de ses Sonnets dont on ne saura jamais à quelle dame ils étaient destinés, ne nous dispense pas de la lecture quotidienne de la presse : tout n’y est pas, mais on y trouve de tout.

Le 15 mai, le quotidien La Dépêche consacrait un article faussement fait-diversier à Alain Canovaro. Ce Toulousain de quarante-trois ans, enfant de la DDASS – ça ne gâche rien –, cherche un emploi depuis six mois. On comprend que les dernières années n’ont pas été, pour lui, de tout repos : rupture, déprime, départ à l’étranger et retour en France, poches vides, fins de mois difficiles surtout après le 1er du mois.

Lui vient alors sa chienne d’idée : il y a en France 6.000 patients qui attendent une greffe de rein, peut-être l’un d’entre eux sera patron ou en connaîtra un… Notre Toulousain y va. Il n’a pas Internet et demande à une amie de lui poster une annonce sur une dizaine de sites : « Échange rein contre emploi. » Non seulement cet homme est au fond, mais il a des « amis » qui l’enfoncent encore plus, sans le dissuader, l’arrêter et, au final, faire toujours ce qu’un vrai ami fait dans ces cas-là, débiter du Brel par cœur : « Non, Jef, t’es pas tout seul, mais arrête de pleurer, comme ça devant tout le monde parce qu’une demi-vieille, parce qu’une fausse blonde t’a relaissé tomber… » Du côté des Aminches sans frontière, qui ont le mérite d’avoir chez eux une connexion haut débit, y a des coups de pied au cul qui se perdent.

Les coups de tatane ne seraient pas non plus superflus pour certains de nos estimés confrères. À commencer par l’excellentissime journaliste de La Dépêche qui commence son article par un magnifique : « Alain Canovaro, 43 ans, est loin d’être un illuminé. Au contraire. Il a un sens aigu des réalités. » Si je comprends bien, pour avoir le sens des réalités, se faire amputer d’un rein suffit. Et la lucidité, c’est combien ? Il faut donner son cœur ou son cerveau ? De même, l’on passera très vite, par charité chrétienne, sur la notion de « don », de peur de réveiller Marcel Mauss.

Mais la palme – ou plutôt le bistouri d’Or – revient au Post. Le 15 mai, notre chômeur toulousain lance son cri désespéré et, trois jours plus tard, un branquignole d’investigation du Post – filiale numérique du quotidien Le Monde – l’appelle pour rédiger un articulet pas piqué des hannetons :

« Sur Le Post, Alain Canovaro fait le point trois jours après sa proposition :
– Où en êtes-vous ?
– Nulle part. Absolument nulle part. Je suis déçu, très déçu, presque dépité. »

Voilà un homme qui est au bout du bout. Pas de fric, pas de job, la déprime, le sentiment de déréliction, ce truc qui vous casse, vous empêche non seulement de dormir mais aussi de rester éveillé. Alain Canovaro, lui, le RMI, le RSA et le visage rubicond de Martin Hirsch, il n’en veut pas. En crèverait même d’être assisté. Et les ronds-de-cuir de notre presse libre et indépendante qui tournent autour de vous pour poser la question : alors, coco, trois jours après, on fait le point ? Non contents de le justifier dans sa douce folie – car c’est bien une folie désespérée que de proposer un organe contre un job –, ils l’enfoncent dans son désespoir. Messieurs, chers confrères, procurez-lui un flingue. Il n’a pas de fric pour les munitions. Qu’à cela ne tienne : la profession se cotisera pour la balle et n’aura pas l’indécence, malgré les maoïstes qu’elle compte à la pelle, de la facturer à sa famille.

Car le plus étrange – et le plus indigne dans cette histoire – est qu’il n’est venu à l’esprit de personne que le vrai scandale ne résidait pas dans l’absence de réponses favorables à la proposition d’Alain Canovaro, mais dans sa proposition-même.

Médiatiquement, je comprends mes confrères : ils vivent, sans en être eux-mêmes affectés, dans une mythologie de la crise lue chez Horace McCoy ou vue chez Stanley Kubrick : rien n’est plus vendeur que de commenter, le petit doigt levé, un remake de On achève bien les chevaux. Or, dans la vraie vie, il n’y pas de Robert et de Gloria, ni de marathons de danse, ni de gens qui crèvent au long des épreuves qui leur sont infligées : il y a de braves types, des Alain Canovaro, qui essaient de surnager, de se débrouiller, de ne pas sombrer dans l’indignité sociale même s’ils doivent payer le prix d’une indignité plus grande encore. Tout le reste n’est que diversion. On les voit, mes chers et bien-aimés confrères, condamner le « mourir pour Dantzig » de Marcel Déat, mais ne rien trouver du tout à redire face au « se dépecer pour un job » d’un type comme vous et moi.

Car mon brillant confrère de La Dépêche, ne trouve rien d’autre à faire, pour conclure son article, qu’agiter la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique : « On ne peut faire don d’un organe, de son vivant, qu’à un membre de sa famille ou à quelqu’un avec qui on vit depuis au moins deux ans. Sa proposition n’a donc aucune chance d’aboutir légalement. » Et la quasi-totalité de la presse nationale reprend l’info : « La loi s’y oppose. »

Bien, camarades. Mais face au désespoir d’un homme, quand on est un homme, ce n’est pas son Code civil que l’on ressort. Les Dalloz rouges n’ont jamais sauvé personne. La question n’est pas celle de la légalité ; elle n’est pas même un cas moral ou éthique, mais une affaire de civilisation, un point de détail, mais le point d’un détail qui s’appelle humanité.

La loi autoriserait-elle à faire commerce des organes ou des restes humains que cela ne changerait rien. D’ailleurs, Jean-Pierre Baud l’a montré dans L’Affaire de la main volée (Seuil, 1993) : le statut juridique des organes humains varie, d’une manière assez étonnante, au gré de l’histoire. La législation sur la bioéthique a beau être sous les projecteurs de l’actualité, puisque le Parlement a entamé sa révision : elle ne nous dispense pas d’avoir une conscience. Depuis quand les journalistes doivent-ils se comporter en petit greffier de tribunal d’instance, agiter de la loi bioéthique à longueur d’articles quand il s’agit en fin de compte, non pas de questions juridiques, mais de sentiments humains ?

Jean-Luc Nancy dans son très beau Corpus (Métaillé, 2000) et Jacques Derrida dans un de ses textes les plus extraordinaires, Le Toucher (Galilée, 2000) ont formulé le problème : notre impensé contemporain est celui de la « prise de corps », ce hoc est enim corpus meum, qui avait régenté la civilisation occidentale jusqu’à ce qu’elle perde trace de tout, jusqu’à la signification de cela. Or, comme le professait non seulement le sensualisme de Locke mais aussi tout l’aristotélisme (nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu), rien n’existe qui ne prenne corps. Rien n’existe qui ne soit corps. C’est une question si cruciale pour notre époque qu’on s’apercevra, d’ici huit ou neuf cents ans, qu’elle était en 1995 le centre de l’encyclique Evangelium Vitae, lorsque l’on aura proclamé docteurs de l’Eglise, Jean-Paul II et Benoît XVI.

On ne peut, en effet, résumer le problème de l’incarnation ni à la foi chrétienne en l’Incarnation, ni à la vulgate mécaniste – celle, par exemple, de Deleuze et Guattari : « Ça respire, ça chauffe, ça mange. Ça chie, ça baise. » Il y a quelque chose d’autre que cette mécanique fonctionnelle. Comment, au moment même où j’écris, ai-je besoin de mes doigts sur le clavier pour vous transmettre ma pensée ? Dans les premiers chapitres de Sein und Zeit, Heidegger pousse le questionnement plus loin : comment le son qui sort de ma bouche, entrechoquant physiquement l’air, peut prendre corps pour devenir un message intelligible ? La dualité cartésienne entre la matière et l’esprit ne valent rien quand l’esprit a besoin de la matière pour se manifester.

Partant de là, et par d’abrupts et d’obscurs raccourcis, de multiples chemins qui ne mènent nulle part, on devrait s’en tenir, en matière bioéthique, à une seule règle : notre corps ne nous appartient pas. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je ne nie pas ici le slogan des féministes des années 1960 et suivantes. Je dis seulement que ce n’est là qu’un slogan, un manifeste politique, et qu’au-delà notre corps ne nous appartient pas. Même si vous ne croyez pas après saint Paul qu’il soit le temple de l’Esprit, il reste le temple de notre esprit. Nous n’existons pas sans notre corps, nous ne pouvons rien dire, voir, penser sans lui. Et pourtant, il n’est pas à nous. Il est, même les pieds sales, le propre de nous.

En étant le propre de nous, il échappe à toute notion de propriété. Il n’est ni négociable, ni soldable. Et notre civilisation s’est construite sur cette idée-là, quand on a considéré que le corps humain n’était pas un morceau de viande débitable en tranches à l’envi dans des pique-niques champêtres et anthropophages. Que tout soit commerce aujourd’hui, un objet d’échange et de troc, soit ! Mais là où nous aurons transformé jusqu’à notre fondement en part du CAC40, nous aurons perdu ce qui nous reste, une idée de l’homme. Et jamais nous ne pourrons désormais être Catesby, réconfortant comme il le peut Richard III sans toutefois le déposséder de son royaume : « Withdraw, my lord. I’ll help you to a horse. »

Transsexuels, l’Iran montre l’exemple

33

France 5 a diffusé hier soir un documentaire étonnant consacré aux transsexuels iraniens. On y apprend que ceux-ci sont quasiment mieux traités là-bas que chez nous, où rappelons-le, jusqu’à la semaine dernière et au geste héroïque de Roselyne Bachelot, les transgenres étaient considérés comme des malades mentaux. Rien de tel en République Islamique, où les trans sont traités avec bienveillance par les autorités depuis que l’imam Khomeyni a promulgué une fatwa en leur faveur. Et si, dans l’indifférence totale des mouvement gays occidentaux, les homos standard restent passibles de la peine de mort du côté de Téhéran ou d’Ispahan, les hommes qui veulent changer de sexe peuvent, eux, le faire en toute légalité. Cela dit, devenir une femme au pays des mollahs, faut vraiment en avoir envie…

Le vote utile, oui, mais utile à qui ?

32

28 % ! Un triomphe, une victoire historique pour l’UMP. Une dégelée pour ces ânes bâtés du PS, embourbés dans leurs querelles internes, comme disent les journalistes qui savent. Hop, fermez le ban. Ces élections européennes sont pliées. On passe à autre chose.

La droite gouvernementale, aidée par les supplétifs du Nouveau Centre, pointe en tête. Aux alentours de 28 % des intentions de vote pour le scrutin du 7 juin. Le PS à la ramasse se situerait dans la moyenne des précédentes élections avec près de 22 %. Et tous nos commentateurs attitrés de s’exciter sur une nouvelle phase de « turbulences » pour le « partidemartineaubry », qui manquerait de légitimité, de lisibilité, de crédibilité, ou de machintrucité.

Plus le temps et les élections passent, plus nous aimons les journalistes et leurs émotions adolescentes pour les chiffres des premiers sondages venus. Essayons donc d’être calme et de faire des règles de trois.

La droite d’abord : souvenons-nous, il y a deux ans, Nicolas Sarkozy devenait président de la République. Avec 53 % des voix. Passons aux législatives, la majorité présidentielle les a emportées avec 49,66 % des voix, contre 42 % pour le PS. Et aujourd’hui, donc, par le miracle de la règle à calcul, avec 28 % on parle de banco pour l’UMP ! Il est vrai qu’en période de crise on apprend à se contenter de peu. Mais là, on se demande si la droite officielle ne devient pas un peu trop adepte de la décroissance. D’autant que les élections européennes, au risque d’enfoncer nous aussi des portes ouvertes, ne sont pas très mobilisatrices. Là aussi, revenons aux chiffres : 2004, 42 % des Français inscrits sont allés voter, soit 17 752 603 électeurs sur 41 518 595 sont censés pouvoir donner leur avis. Ça calme déjà.

Alors les 28 % à venir devraient aussi calmer les ardeurs des communicants de l’UMP. Parce que ça chiffre à peine à 5 millions le nombre d’électeurs désireux de porter en triomphe le président Chouchou.

Et la gauche alors, bon dieu. Pourquoi n’essaie-t-elle pas de délivrer calmement cette petite leçon d’arithmétique à l’usage des malcomprenants ? À l’exception de l’animal à sang froid Cambadélis, qui remarque ce mardi dans Le Parisien que la droite aurait dû au moins rassembler 40 % et qu’elle s’écroule, pas une tête de liste pour endosser ce constat plein de bon sens.

Alors, soyons, une fois n’est pas coutume, pervers. Dans le fond, la dramatisation, genre « l’UMP va vous en faire baver si vous ne venez pas voter ou si vous cédez aux sirènes des listes qui sont à gauche » (pardon à gauche du PS), donc cette dramatisation donne une raison d’être à la campagne du PS.

Au départ celle-ci était orientée de façon offensive contre l’Europe de « Sarkozy et Barroso ». Au moins ce slogan négatif évitait d’avoir à trop discuter contenu, déminait le contentieux ouiouiste/noniste et devait mobiliser le socialiste lambda en colère contre l’omniprésident. Patatras. Les camarades lambda n’ont pas aimé cette campagne négative. Repatatras, José-Luis Zapatero, le grand ami espagnol, explique, lui, qu’il n’a rien contre une nouvelle candidature de Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne. Pour éviter la cata, les socialistes d’en haut cherchent vaguement des idées, n’en trouvent pas, et finissent par proposer ce fabuleux slogan mobilisateur : « Pour une Europe à gauche, maintenant. » Allez savoir pourquoi, aucun miracle ne s’en est ensuivi…

Du coup, un Solférino boy, du fond d’un bureau aveugle, avec du linoléum beige usé au sol a une idée : et si on refaisait le coup du vote utile, hein ? Genre, l’antéchrist c’est la droite, la menace c’est la dispersion ! Donc, au lieu de vous amuser, votez PS, sinon faudra pas vous plaindre quand les hordes de caissières roumaines ou de banquiers luxembourgeois débarqueront dans nos belles provinces. L’électeur socialiste, on le sait, a la culpabilité facile depuis un fameux 21 avril. Ça devrait donc suffire pour une campagne de même pas trois semaines.

Et puis au fait, si l’objectif de la gauche, comme de la droite ou de tous les autres, pardon, n’était pas uniquement de faire de ces élections un moment de politique. Non, il s’agit bien souvent de garantir un statut social à de pauvres hommes et femmes politiques qui ont besoin de Bruxelles pour survivre. Des ministres en disgrâce (Dati) aux fantômes politiques (Harlem Désir), en passant par des recalés du suffrage direct (Peillon) et, enfin, des redécoupées de l’Assemblée qui veulent pas aller chercher un travail, un vrai travail s’entend (Aurélie Filipetti). Vincent Peillon envoyé « à contrecœur » jouer la tête de liste dans la région Sud-Est pour le PS ne fait même pas mine de dire autre chose quand il appelle au vote utile : « Combien de députés Besancenot fera perdre au groupe socialiste en obtenant 4 à 6 % des voix… » Ben oui, Vincent a une famille à nourrir, lui. Electeurs, soyez gentils, un petit bulletin le 7 juin pour manger et rester propre.

Sarah Palin va bien

21

Sarah Palin, ex-candidate républicaine à la vice-présidence en 2008, va bien. La plus belle femme politique de la planète et de tous les temps, à l’exception peut-être de Cléopâtre, va écrire et publier ses mémoires l’année prochaine. L’annonce a été faite par Bill Murray, PDG de la maison d’édition HarperCollins, qui déclare de la toute divine Sarah aux bras blancs qu’elle a « une histoire fascinante à raconter » et qu’il s’agit d’une « des personnalités les plus charismatiques de la vie politique américaine ». Il est amusant de savoir que HarperCollins est aussi l’éditeur de Christopher Moore, un des écrivains les plus underground, trash et drôle des USA (voir L’Agneau, disponible en Série Noire). On ne sait pas en revanche si Sarah Palin annoncera dans ce livre son audacieux programme marxiste de dépérissement de l’État pour 2012, qu’elle déguise sous le nom de libertarianisme pour ne pas affoler les chasseurs de phoques. Car, en plus d’être sublime, ma Sarah, c’est un vrai génie politique.

Européens, ne nous cassez pas les urnes !

86

Renchérissant sur Paul Thibaud, qui confessait sur les ondes de France Culture ne pas juger bon de se déplacer vers l’isoloir le 7 juin prochain, mon collègue de colonne, Luc Rosenzweig, appelait les Européens à l’abstention, rejoint dans la foulée par David Dupré qui avouait – faute avouée, à demi-pardonnée – donner son suffrage à la liste « Europe Démocratie Espéranto ».

Faut pas charrier, les amis. L’espéranto, je n’y crois pas. Quiconque a un peu d’esprit et de lettres le sait : c’est le volapük qu’il nous faut ! Inventée par un curé catholique de Baden, Johann Martin Schleyer, cette langue est si compliquée que ses défenseurs ne la parlaient même pas entre eux, lorsqu’à la fin du XIXe siècle ils se réunissaient en colloques et symposiums pour déterminer s’il fallait cinq ou dix ans pour l’imposer au reste du monde. Il y a, dans le volapük, ce que disait Paul Valéry de l’Europe, c’est-à-dire une conjonction des maximums : maximum de complications, de déclinaisons et d’inepties possibles.

Bref, de toutes les langues que l’esprit humain a inventées – du basic au langage C, en passant par le cobol et le pascal –, le volapük est la langue la plus conforme à l’esprit byzantin qui souffle sur le Berlaymont et ses alentours. Une langue qu’on ne peut pas parler, une langue dans laquelle aucune intelligibilité n’est possible et qui ne permet aucun échange, puisque chacun des locuteurs qui en userait se perdrait inéluctablement dans ses méandres brumeux et ses abstractions foireuses. Mais la plus littéraire des langues qui soit, car au final elle pointe, façon Sarraute et Ionesco, l’incommunicabilité des consciences. Miss Smith ne comprend pas Mr Smith : voilà l’Europe qui commence. Et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

À cette Europe incompréhensible, unie comme les vingt-sept doigts de la main, le moindre est d’offrir la plus incompréhensible de toutes les langues : le volapük, tout le volapük, rien que le volapük. Le mérite le plus notoire de cet idiome est qu’il continue à rester obscur et confus lorsque l’on est assis sur sa chaise et que l’on y sautille comme un cabri.

Le problème est qu’aucune liste – du moins en France, je n’ai pas regardé ailleurs – ne propose le recours systématique au volapük dans les instances européennes. Vais-je, pour autant, aller tâtonner le goujon le 7 juin ? Bien sûr que non. Si je connais des thons, des carpes et même des tanches, je ne suis, jusqu’à nouvel ordre, pas assez intime avec un goujon pour oser le tâtonner. Même un peu. Fût-il européen. Et de bonne moralité.

Cela étant, en démocratie, on ne vote jamais tout à fait pour son idéal politique, à moins de se présenter soi-même à l’élection – ce n’est pas interdit. Dans la plupart des cas, on est obligé de composer avec la réalité. Non pas de faire comme si, à la manière kantienne. Mais de faire avec, façon Gilbert Bécaud dernier album. Le vote n’est pas la simple expression d’une adhésion totale à un représentant et à ses idées : il est un choix. Et comporte, par nature, une part de reniement de soi-même. C’est cet abandon de soi que Rousseau, l’un des pères putatifs du totalitarisme, dénonçait déjà dans son Projet de Constitution pour la Corse de 1763, puis dans le Contrat social, en critiquant le système parlementaire : la démocratie représentative va toujours à l’encontre de notre nature.

Lorsqu’on vote, on ne porte jamais son suffrage vers celui qui pense comme nous, mais toujours vers une approximation. À moins d’être le militant dont Régis Debray tirait le portrait en 1981 dans la Critique de la raison politique, on vote, toujours et parfois malgré soi, en désespoir de cause. Et l’on devrait se méfier comme de la plus grande peste de ceux qui veulent « réenchanter le politique » : le monde n’est pas une opérette, mais un juste et relatif milieu entre la peste et le choléra, la grippe porcine et la grippe aviaire, le rhume et l’eczéma. C’est au centre que nous avons, en définitive, à voter. Pas au centre de l’échiquier politique actuel, où l’on entend, par exemple, un Jean-François Kahn tenir les mêmes discours que Le Pen hier sur la sécurité et le risque des vagues d’immigration déferlant sur l’Europe. Même Sarkozy n’avait pas osé. Non, il s’agit de voter au centre : là où, même aveugle, nous pensons pouvoir toucher au plus proche du cœur de la cible que nous avons nous-mêmes déterminé.

Moi, par exemple, qui ai été élevé dans un républicanisme séguino-chevènementiste, j’essaie d’ajuster le tir. Ce n’est pas certain que je vais réussir, mais au moins j’aurai essayé. Ce que je sais, c’est que je ne voterai pas pour les listes Dieudonné. D’abord, parce qu’il n’en présente pas dans le Grand est, que je ne suis pas suffisamment gaga pour confondre le café-théâtre et l’isoloir et, last but not least (je ne sais pas comment on dit ça en hébreu) parce que le fameux lobby dont est censé dépendre Causeur ne m’a pas encore payé suffisamment pour les articles (superbes) que j’écris – Elisabeth, tu l’as mis où, le lobby ? Je ne voterai pas non plus pour Europe Écologie : je suis Strasbourgeois, d’accord. Mais je suis aussi patriote et je pense que lutter contre la présence du Parlement européen à Strasbourg au nom du « bilan carbone » comme le fait Daniel Cohn-Bendit, n’est rien d’autre que la plus grosse fumisterie de tous les temps. Et je ne vous dis pas comme c’est polluant, une fumisterie industrielle à ce point-là.

Peut-être voterai-je communiste, enfin Front de gauche. Rien que pour embêter Jérôme Leroy. Et le déboussoler encore un peu, moi qui me souviens de Malraux et du papier à cigarette dont les feuilles ne séparent jamais rien de rien. Ou PS, pour équilibrer le vote Kouchner.

Enfin, je voterai. Et je le ferai comme je vote aux cantonales, même si je sais pertinemment que le pouvoir d’un conseiller général est proche du zéro absolu quand le contingent d’aide sociale – c’est-à-dire les dépenses obligatoires – prend une place telle dans le budget des départements qu’ils n’ont plus aucune latitude pour mener leurs propres politiques. Car la réalité, c’est aussi ça : des marges de manœuvres partout de plus en plus réduites.

À Strasbourg, Peter Sloterdijk m’a un jour confié être étonné par les appartements de ses amis français : on s’y croirait, disait-il, comme dans un musée. Et il poursuivait : les Français font aussi de la politique comme dans un musée. Emportés par le romantisme, ils croient encore aux destins impériaux tout comme aux lendemains qui chantent.

J’avais été choqué par son propos. Je ne le suis plus. Peter avait raison : la politique ne chante pas. Elle ne chante plus les tubes que nous connaissions et, au juke-box démocratique, nous reste comme ultime devoir de ne plus sélectionner que notre petite musique. À notre rythme, mais peut-être pas très accordée.

Si l'Europe s'éveille

Price: 2,08 €

5 used & new available from