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Jour de fête à Libération

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Comme mon quotidien du matin a pris l’habitude de ne plus paraître les jours fériés, je me suis, en ce jeudi de l’Ascension, rabattu sur liberation.fr pour savoir ce qui se passait dans le monde. Pas grand chose à se mettre sous la dent, si ce n’est la détestable affaire qui oppose la famille d’Ilan Halimi au mensuel Choc, qui vient de faire sa « une » avec une photo prise par les ravisseurs. Ce cliché montre Ilan Halimi, pistolet sur la tempe, les poignets liés, avec un quotidien du jour posé sur sa poitrine dans la meilleure tradition des preneurs d’otages.

Détestable affaire parce qu’on est sans illusions sur la démarche de Choc, qui se voit contraint de booster ses ventes chancelantes avec des vrais bouts de futur cadavre, son lectorat habituel étant j’imagine peu sensible au classement du salaire des cadres dans l’immobilier ou au régime minceur miracle des francs-maçons.

Les avocats de Choc, nos amis Richard Malka et Claire Chaillou, ont mené de meilleurs combats – et malgré l’amitié, je ne les suivrai pas dans celui-ci. Dur métier, tout de même. Lors de l’audience, mercredi dernier, Me Chaillou a plaidé la vertu pédagogique de cette photo pour le jeune lectorat, estimant que la publication de cette photo avait une utilité. J’ai beau être amateur de chutzpah, notamment judiciaire, je la préfère quand même dans la fameuse blague yiddish où l’avocat commis d’office réclame l’acquittement de son client qui a égorgé père et mère en expliquant au juge : « Vous n’allez tout de même pas condamner un malheureux orphelin ! » Mais bon, tout le monde – Choc comme Fofana compris – a droit à un avocat et ledit avocat ne peut pas s’écrier, comme dans les procès de Moscou : « Mon client est coupable, punissez-le sévèrement ! »

N’empêche, quelle que soit la validité juridique de leur argumentation, on se dit que sur ce coup-là, il leur fallait défendre l’indéfendable. Le Parquet a en tout cas pris une décision exceptionnelle en ordonnant le retrait du mensuel des kiosques à partir de vendredi 14 heures. Une sanction financière très lourde – qui pourrait être plus lourde que celle qui s’abattra sur Fofana, comme l’a noté Richard Malka. Cela dit, malgré tout le mal que je pense de Choc et de sa « une », il est vrai qu’en refusant à celui-ci la possibilité de plaider en appel avant que la sanction soit effective, le tribunal s’est assis sur un principe normalement intangible de notre droit : tout le monde a le droit à un deuxième procès. Même Choc. (L’audience aura finalement lieu lundi après-midi.)

Merci les gars. La « volonté d’informer » du mensuel va de toute évidence créer un précédent juridique. On n’avait pas retiré de la vente un journal depuis des décennies, gageons qu’une fois que les magistrats auront repris ce genre d’habitude, les demandes de saisies en kiosques vont pleuvoir, et pour des cas autrement plus litigieux. Je sens que la liberté de la presse va encore faire un bond en avant.

Toutes considérations dont je ne trouvai bien sûr pas trace dans mon Libé numérique de ce jeudi. Ce qu’on y vendait au lecteur comme un article sur l’affaire était, en fait, une dépêche AFP qu’on ne s’était même pas donné la peine de rebricoler, j’imagine qu’en cherchant bien, on doit trouver, au mot près, le même article sur une série de sites. Publier plein d’articles et coller à l’actu, ça fait riche…

Ce qu’en revanche, on ne trouvait que sur libération.fr, c’étaient les commentaires de lecteurs. Des commentaires doublement modérés, puisqu’il faut être inscrit sur le site pour pouvoir donner son avis sur les violences policières qui montent ou le lait qui baisse. Là-dessus intervient un modérateur dont on présume que le métier est de veiller à ce que les propos tenus restent dans le cadre des lois en vigueur. Peut-être ce modérateur était-il de repos en ce jeudi de l’Ascension, sinon il n’aurait pas fallu attendre ce vendredi après-midi pour qu’on se décide à retirer du fil des commentaires comme celui-ci, publié par le courageux internaute Guilec741, jeudi à 20 h 52 : « Trop drôle. Les juifs n’aiment pas l’argent nous dit-on, mais ils réclament 100 000 euros, en quoi cet argent va-t-il les soulager, je suis mort de rire de ses contradictions. »

Mort de rire. Trop drôle en effet de voir les immondices qu’ose publier un quotidien qui donne des leçons de morale à la planète entière, qui s’érige régulièrement en arbitre des élégances médiatiques et notamment webistiques. Trop drôle de constater que Joffrin et son armée mexicaine de sous-chefaillons sont tous partis faire le pont à Cannes sans laisser de consignes minima, genre surveiller les sujets « sensibles » voire, si on n’est pas équipé pour, les fermer tout bêtement aux commentaires, comme cela se fait couramment dans les bonnes maisons.

Trop drôle de voir que le modérateur de Libé (ou selon certains bruits de couloirs, le modérateur sous-traité par Libé), de retour de son repos forcé n’ait pas cru utile de zapper le commentaire de Beya, mis en ligne le 21 mai à 14 h 19 et toujours en place ce vendredi soir, qu’il a donc dû juger conforme aux valeurs du journal. Jugez par vous-même : « Je peux dire liberté d’expression tout simplement l’affaire est publique. Les photos aussi à moins qu’il s’agit de pièces à convictions. Et puis les 100 000 euros c’est pourquoi faire !! tout est louche.. A la fin ce n’est plus un français tué par un barbare mais un musulman « barbare » tue un juif « innocent ». »

Ilan Halimi, un juif « innocent » ? Après les photos, doit-on aussi imposer à sa famille le supplice des guillemets ?

Il est vrai que l’affaire n’a pas encore été jugée…

Ultragauche contre SNCF : l’escalade

L’antiterrorisme français est sur les dents. Après les rafles rouennaises et forcalquieroises de « proches de Julien Coupat », le pouvoir a subi la riposte de la dangereuse internationale tiqqunienne qui a franchi une étape supplémentaire dans l’horreur. Utilisant ses pouvoirs parapsychiques, elle a provoqué un mercredi noir, veille de l’Ascension, chez les usagers de la SNCF par un attentat terroriste inquiétant : la collision entre deux trains de fret aux environs d’Angoulême en Charente, dans le tunnel du Livernan. Le chargement de tractopelles d’un train d’ECR, filiale de la compagnie ferroviaire allemande Deutsche Bahn, visiblement mal arrimé, s’est déplacé, « engageant le gabarit de la voie contiguë ». Circulant dans le sens Paris-Bordeaux, le convoi a ainsi « frotté », en le croisant, un autre train de fret, cette fois-ci appartenant à la SNCF. Blessé, le conducteur de ce dernier a été hospitalisé. Il souffre d’une fracture du poignet. L’internationale tiqqunienne n’a évidemment pas revendiqué cet attentat psychique se contentant de manipuler mentalement les archéostaliniens de la CGT qui ont déclaré : « La recherche du profit conduit les entreprises à économiser sur les organisations du travail, les conditions sociales, les procédures réglementaires et les formations. » N’importe quoi.

Les racines de l’Olivier

Le saviez-vous ? L’extrême gauche est au cœur des débats politiques hexagonaux. Le PS lui reproche de faire le jeu de la droite, tandis que celle-ci l’accuse d’orchestrer la contestation sociale sous toutes ses formes, dans les entreprises, le secteur public, les universités et jusque dans nos bras…

Pour comprendre ce phénomène (de foire), il faut remonter non pas les Champs-Elysées mais le fil de notre histoire jusqu’à la Révolution française. Celle-ci est, entre autres titres de gloire, la source de tous les courants de pensée et mouvements d’extrême gauche dont notre vie politique s’enorgueillit depuis deux cents et plus. Sans 89 point de 93, comme eût dit M. de La Palice, point de Babeuf ni de Hébert, ni même de Robespierre pour réconcilier ces frères ennemis sur la guillotine avant d’y passer à son tour, fermant cette marche funèbre et sanglante.

Point non plus d’Auguste Blanqui qui (admirons l’allitération !) à force d’appeler à l’insurrection sociale, sera entendu… par la justice bourgeoise, qui le collera au trou.

Plus profondément même, sans la suppression des corporations verticales, point de syndicats horizontaux, donc révolutionnaires. Sans la dictature d’une minorité cumulant tous les pouvoirs politiques et économiques, point de révolte de ces « classes laborieuses, classes dangereuses » qui vont servir de carburant à la Révolution industrielle.

Sans la prise de la Bastille, point de Trois Glorieuses en 1830, ni de ces Misérables inspirés par les barricades de 1832 ; point de révolution de 1848, de Commune de Paris ni même, selon toute vraisemblance, de cette Révolution russe qui va remodeler durablement – jusqu’à nos jours ! – l’extrême gauche française.

La jonction est opérée par la figure emblématique de Trotski. Après sa rupture avec Staline dans les années 20, ce serial killer à tête de prof barbichu acquiert très vite une auréole de « dissident » qui le lave de tous ses crimes avant même qu’il n’en soit accusé. Il ne le sera donc jamais.

Au contraire, réfugié en France à partir de 1933, il ne tarde pas à devenir la coqueluche du tout-Paris intello-culturel, de Malraux à Breton. Léon a son rond de serviette – et aujourd’hui sa plaque en cuivre – à la Closerie des Lilas. C’est chez nous que paraît le premier journal trotskiste, Vérité (Pravda) et que la IVe Internationale est fondée. Il aura le temps d’effectuer plusieurs séjours en France, et même d’y laisser une trace indélébile, avant de mourir en martyr en 40 au Mexique, d’un fameux coup de piolet transmis par un émissaire de son ancien camarade de jeu Staline.

Las ! La deuxième Guerre mondiale va diviser la famille trotskiste. A l’issue d’intenses débats tant stratégiques que tactiques, les uns (à l’instar de Charles Maurras) concluent à la neutralité entre le clan des « yes » et le clan des « ya », les autres à l’engagement dans la Résistance. On s’étonne presque qu’aucun de ces intellos fumeux n’ait poussé la logique floue jusqu’à soutenir l’Allemagne nazie… Mais il y a une raison de fond : Staline l’avait fait avant eux !

Tout le fan club français de feu Léon se retrouvera en revanche solidaire des combats anticoloniaux en général et du terrorisme progressiste du FLN algérien en particulier. Là au moins, c’est clair : plus il y aura de nouveaux pays, plus la révolution à venir sera mondiale, comme le souhaitait Trotski !

Dans les années 1960, la IVe Internationale subit la concurrence du maoïsme. Plus fort que la révolution mondiale qui défie l’espace, voici la révolution permanente (a.k.a. « culturelle ») qui défie également le temps !

Hélas ça ne durera pas, et moins encore en France qu’en Chine. Il faut dire que, contrairement à Trotski, Mao Zedong n’a jamais séjourné dans l’Hexagone. Résultat : l’engouement français pour la « révo cul » sera de courte durée, même s’il gagne un temps de grands esprits comme Jean-Paul Sartre ou le proto André Glucksmann, vite reconvertis respectivement dans l’antitotalitarisme « néo-philosophique » et le Grand Sommeil tout court.

Le trotskisme français, lui, persiste dans l’être ; il en sera finalement récompensé après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement subséquent du PCF. Dès 1998, ce sont des militants trotskistes pur jus qui créent le syndicat Sud, toujours aussi hype vingt ans après. Puis vient la reconnaissance électorale, avec les succès d’Arlette Laguiller (5, 30 % à la présidentielle de 1995) et d’Olivier Besancenot ( 4,08 en 2007), ouvrant la voie à la fondation du NPA.

Entretemps, comme une Eglise catholique normale, l’ex-secte des barbichus a fait son aggiornamento, intégrant successivement à son combat les justes luttes des LGBT (ex-« pédés & gouines rouges »), des « sans-papiers » (ex clandestins) et des altermondialistes d’Attac (ex babas du Larzac).

Mais qu’on se rassure : comme pour l’Eglise encore, le projet n’a pas substantiellement changé. Il reste toujours fondé sur le fantasme en collier de nouilles de la grève générale, de l’insurrection spontanée et de la prise du pouvoir par le peuple – c’est-à-dire par son avant-garde conscientisée (le NPA). Même que le facteur joufflu éprouve toujours les plus grandes difficultés à expliquer ce qu’il restera des libertés quand elles auront cessé d’être « formelles », c’est-à-dire au lendemain matin de l’hypothétique Grand Soir.

Par chance, on ne lui pose plus guère la question ! Il faut dire aussi que le trotskisme dominant, aujourd’hui en France, comme dirait Le Parisien, ce n’est pas celui de Besancenot et du Krivine maintenu. Plutôt celui d’une intelligentsia d’origine trotskiste qui regarde avec une tendresse amusée les p’tits gars du NPA jouer à la Révolution. Pourquoi voudriez-vous qu’ils s’en inquiétassent ? Ça leur rappelle leur adolescence, et personne n’a peur de sa propre madeleine…

Halte à la junk-food

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Une nouvelle affaire de bébé congelé vient d’éclater à Metz où une femme de 32 ans a été mise en examen « pour délaissement de mineur ayant entraîné la mort ». Le nouveau-né a été retrouvé par le fils aîné qui était allé chercher une glace. Cet enfant, lui-même placé en foyer, ne voyait sa mère que durant les week-ends. Suivie par les services sociaux, elle semblait vivre dans un grand dénuement et, manifestement, n’observait pas les préceptes diététiques du ministère de la Santé recommandant la consommation de cinq fruits et légumes différents par jour. Bébés, glaces, pizza, hamburgers, on ne dira jamais assez les ravages de la junk food et de la viande de mauvaise qualité dans les classes populaires. Et qu’on n’aille pas chercher l’alibi facile de la crise ou de la baisse du pouvoir d’achat. Il y en a décidément assez de cette culture de l’excuse.

“Al Doura : le monde arabe doit savoir qu’il a été abusé”

Il y a un an exactement, la Cour d’Appel de Paris vous relaxait dans le procès en diffamation que vous a intenté France 2 dans l’affaire Al Doura. Depuis, France 2 s’est pourvue en cassation et la profession s’est mobilisée, mais en faveur de Charles Enderlin. Vous avez peut-être gagné au plan judiciaire (et encore provisoirement), mais, politiquement et médiatiquement, ça ressemble à une défaite, non ?
Je ne partage pas du tout cette analyse. Il est vrai que quand on observe les médias français, on a l’impression d’être en Corée du nord. En revanche, à l’étranger les choses évoluent positivement. Ainsi, le 4 mars dernier, la télévision publique allemande ARD a diffusé un documentaire  qui met gravement en cause le reportage de France 2 sur Mohamed Al Doura. Ce film aurait dû faire bouger les lignes en France ou au moins susciter le doute de ceux qui continuent à soutenir la chaîne publique. Il n’en a rien été. Ce documentaire est en train d’être acheté et sera diffusé par de nombreuses télévisions étrangères. Malheureusement, en France, pour le moment, aucun « grand média » n’a même jugé bon d’évoquer son existence.

Si la Cour de cassation, qui devrait se prononcer à l’automne, casse l’arrêt de la Cour d’appel, vous serez bien obligé de reconnaître votre défaite…
En octobre 2006, quand j’ai perdu mon procès en première instance, France 2 a claironné au 20h que c’était une victoire judiciaire qui prouvait que le reportage de Charles Enderlin et Talal Abu Rahma était authentique. Quand j’ai gagné en appel, France 2 et ses défenseurs – et vous savez qu’ils sont nombreux dans les médias – ont expliqué que ça ne voulait rien dire, que je n’avais rien prouvé et que le reportage était toujours authentique. En Cour de cassation, je me bats et je souhaite gagner, bien sûr. Si l’arrêt de la Cour d’appel est cassé, il y aura peut-être un moment difficile médiatiquement. Mais ce ne sera pas une tragédie car on retournera en appel et on remettra tous les documents sur la table, et dans les médias qui voudront bien s’en faire l’écho. Je n’ai aucun doute que la vérité éclatera, un jour ou l’autre.

Mais ne doutez-vous jamais de vous-même ? Etes-vous si sûr d’avoir raison ?
Je doute tout le temps. De moi-même et je me demande chaque jour si je me trompe ou non. Depuis plus de 7 ans, chaque fois que quelqu’un me présente un élément destiné à contredire notre démonstration, je l’analyse. Jusqu’à présent, je n’ai jamais été convaincu par les arguments de mes contradicteurs. Si cela changeait, je m’inclinerais et je présenterais mes excuses à France 2, et surtout à tous ceux qui me font confiance depuis tant d’années. Ce qui m’intéresse, c’est la vérité. Et je suis certain que c’est aussi ce qui intéresse Patrick de Carolis.
Cela dit, les preuves que ce reportage est un faux abondent et, sur Causeur, vous les avez vous-mêmes exposées. Vous avez d’ailleurs été un des premiers médias non communautaires à remettre en question le film de France 2. De plus, je ne suis pas le seul à avoir enquêté même si c’est moi qui ai été poursuivi par la chaîne publique. Avant moi, Nahum Shahaf et Stéphane Juffa en Israël, Richard Landes aux Etats-Unis, Gérard Huber en France pour ne citer qu’eux, avaient déjà pointé la plupart des invraisemblances auxquelles France 2 n’apporte aucune réponse. Luc Rosenzweig, Daniel Leconte et Denis Jeambar, sans oublier Esther Schapira et Georg Haffner de la TV publique allemande ARD ont également enquêté. En face, la seule chose qu’on nous répète depuis près de neuf ans, c’est que Charles Enderlin est un grand journaliste et qu’il ne peut pas s’être trompé ou avoir été abusé. Vous avouerez que c’est un peu faible comme argumentation…

En quoi le film d’ARD est-il « accablant » ? Présente-t-il des éléments nouveaux ?
Le film allemand dure 52 minutes. Il serait donc difficile de le résumer en quelques phrases.
Voici quand même trois points essentiels confirmés par ce documentaire :
1. Grâce à une analyse biométrique des visages, il démontre que l’enfant filmé par France 2 n’est pas celui qui a été montré à la morgue de Gaza et enterré plus tard.
2. Dans le reportage de France 2, il n’y a pas de sang sur les corps de Mohamed et Jamal al Doura alors qu’ils sont censés avoir reçu 15 balles à eux deux.
3. L’enfant mort et enterré sous le nom de Mohamed al Doura est arrivé à l’hôpital avant 10 heures, alors que la scène montrée par France 2 a été tournée après 15h.

Al Douriste, c’est pas un métier. Si vous ne vivez pas de cette affaire comme le pensent ceux qui vous accusent de vous livrer à un véritable business, de quoi vivez-vous ? Etes-vous financés par des associations juives ?
Vous voulez dire : après le « Shoah business », le « Al Doura business » ? Toujours les mêmes insinuations de ceux qui font de l’antisémitisme sans le savoir. Néanmoins, je comprends le sens de votre question. La première chose à savoir est que je suis totalement indépendant. Personne ne peut venir me dire :  « là mon vieux tu vas trop loin ! » et c’est essentiel pour mener une bataille comme celle-ci.
De plus en plus d’associations et de personnes, juives ou non, me soutiennent, mais elles me soutiennent moralement, jamais financièrement parce qu’elles ont accepté d’analyser le reportage de France 2. C’est le cas du CRIF en France, et j’en profite pour saluer le courage de son président Richard Prasquier qui m’accompagne dans ce combat difficile, comme de ZOA (Zionist organization of America) aux Etats-Unis. Mais si vous prenez par exemple une organisation juive comme l’American Jewish Committee et sa branche française, ils sont devenus mes pires adversaires. Alors, de quoi est-ce que je vis ? D’abord, je ne suis pas né pauvre. Ensuite, je suis un ancien financier. Enfin, je suis régulièrement invité par de grandes universités américaines – Stanford, Harvard, UCLA pour ne citer qu’elles – et des groupes de réflexion américains. Et, conformément aux usages en vigueur aux Etats-Unis, ces conférences sont rémunérées. Heureusement d’ailleurs ! Parce que les frais engagés dans cette bataille sont considérables : avocats, voyages, documentation…

En dehors de ces institutions juives, vous affirmez avoir beaucoup de partisans à l’étranger. Pouvez-vous en dire plus ?
A l’étranger, les gens acceptent de voir les documents que j’ai, avec d’autres, rassemblés. Et lorsqu’ils les ont vus, ils sont toujours impressionnés. Récemment, j’ai été invité à au Festival de journalisme de Perugia, en Italie. Après ma présentation, ils m’ont donné une salle, le lendemain soir, pour faire un second exposé plus détaillé et répondre aux questions du public. Aux Etats-Unis, je vous l’ai dit, je suis invité par de grandes universités et des think tanks. En France, je multiplie les conférences et les gens qui y assistent sortent tous convaincus. Prochainement, je serai à Marseille, à Lyon, à Grenoble, à Nice avant de repartir à l’étranger, en Europe et aux Etats-Unis. De nombreux journalistes français ont aussi été conquis après avoir visionné nos éléments de preuve mais certains préfèrent rester discrets pour ne pas se « griller » dans la profession – ou dans leur rédaction. Vous-même avez été convaincue lorsque nous nous sommes rencontrés au cours de la Journée du Journalisme Junior organisée par Jacqueline Quéhen pour le rectorat de Nice. J’ai également rencontré des journalistes arabes qui ont trouvé ma démonstration « implacable », selon leurs propres mots. D’ailleurs, je suis en contact avec les gens d’Al Jazeera qui sont très intéressés.

On en reparlera quand ils feront écho à vos thèses dans leurs médias. Comment expliquez-vous la résistance de la France ? Pensez-vous qu’elle est idéologique, autrement dit liée à la « réprobation d’Israël » ?
C’est possible mais il n’y a pas que cela. Cette affaire montre la puissance d’une caste d’intouchables – que vous avez vous-mêmes qualifiée de Parti des médias. Dans un registre assez proche du cas Al Doura, avez-vous entendu parler du film « Envoyés très spéciaux » qui montre deux journalistes radio qui bidonnent en faisant croire qu’ils sont en Irak alors qu’ils sont planqués à Barbès et fabriquent leurs reportages avec des sons pris sur Internet ? La presse a quasiment fait l’impasse sur cette comédie malgré la présence de Gérard Jugnot et de Gérard Lanvin au générique. On a connu nos médias moins fines gueules en matière de cinéma. Pourquoi ? Parce que le film montre la face sombre de leur profession.

Ce n’est pas tout-à-fait vrai. Allez sur Causeur et dans bien d’autres endroits. Admettons en tout cas que beaucoup de gens pensent désormais qu’il y a une entourloupe ou pire dans ce reportage. Que voulez-vous de plus ? Quel est votre objectif exactement ?
Je veux que le monde entier sache que le reportage de France 2 était une pure et simple mise en scène. Je veux que le monde arabe lui-même sache qu’il a été abusé par une image et qu’il a été embrasé à partir d’un faux médiatique. Or, cela n’arrivera que lorsque France 2 aura reconnu son erreur et aura présenté ses excuses aux téléspectateurs du monde entier en ouverture d’un « 20 heures ». Cette image a tué. Elle nourrit l’obsession de la culpabilité occidentale vis-à-vis de l’islam, non seulement dans le monde musulman mais aussi chez nos concitoyens musulmans. Mohamed Al Doura est une icône de Karachi à La Courneuve. Si cette icône est, comme je pense l’avoir démontré, née d’un faux, le monde entier doit le savoir. On parle tout le temps du devoir de mémoire, mais on ne peut inscrire aucune mémoire sur le mensonge. Nous avons un devoir de vérité. Pour aujourd’hui, pour demain, et pour les générations futures.

Julien Coupat aurait lu des livres

L’inquiétante idiotie du pouvoir dans l’affaire de Tarnac a pris, ces derniers temps, une dimension nouvelle. On a l’impression d’avoir affaire à l’un de ces enfants têtus qui s’obstinent dans le mensonge, pris la main dans le pot de confiture conspirative, les doigts collants d’arbitraire, niant l’évidence avec un aplomb affolé avant la gifle bien méritée.

À Rouen, trois « proches de Julien Coupat » ont été placés en garde à vue et, dans le cadre des lois d’exception sur le terrorisme, ce « Patriot Act » à la française, ils peuvent y rester 96 heures. Il faut s’interroger sur ce qui fait de vous un « proche » de Julien Coupat. En l’occurrence, ici, de l’aveu même des brillants pandores de la SDAT (Sous direction à l’antiterrorisme), ces policiers qui assaillirent un jour de novembre un village de Corrèze et le firent entrer définitivement dans la célébrité touristico-politique[1. Le Petit futé Corrèze 2009 ose le passage suivant : « C’est ici que le 11 novembre 2008 furent arrêtés dans une opération policière de grande ampleur (150 policiers et gendarmes) un groupe de personnes vivant en communauté, élevant des chèvres, impliquées dans les sabotages des voies de la SNCF. L’épicier, patron de la station-service faisant partie du lot à la grande surprise et déception des villageois. » C’est notre excellent ami Serge Quadruppani qui nous signale cette information sur son blog Les contrées magnifiques.], il suffit pour cela d’avoir séjourné à Thessalonique en septembre 2008, en même temps que lui, mais pas forcément en sa compagnie. À ce compte-là, toute personne ayant passé des vacances en Espagne avant 1975 était proche de Franco et les lecteurs trouvant une rime amusante à SDAT, par exemple « Securitate », gagneront une cagoule et un treillis bleu marine offerts par l’aile « cellule invisible » de Causeur[2. Bruno Maillé et votre serviteur.].

Quand la SDAT ne sévit pas sur les lieux où Flaubert éructait magnifiquement contre la bourgeoisie dans sa Correspondance, elle préfère le soleil de Forcalquier et missionne le SRPJ local pour une surprenante petite rafle matinale : quatre militants du « comité de sabotage de l’antiterrorisme » ont été pareillement mis en garde à vue lundi 18 mai. Le motif est là aussi croquignolet. Ils auraient distribué des tracts invitant à une réunion de soutien sur lesquels figurait une photographie : celle de l’interphone de la résidence secondaire de Bernard Squarcini, chef de la DCRI. Comme la maison poulaga ne recule devant aucun gag dans cette superproduction, une cinquième personne, venue rendre visite aux quatre autres pour voir comment se déroulait l’interpellation n’est pas ressortie du commissariat de Forcalquier et a été placée à son tour en garde à vue.

Si Julien Coupat n’entamait pas son septième mois d’incarcération dans les geôles de notre république bananière assistée par ordinateur, nous ririons de cette superproduction qui fait penser à Un gendarme de Saint-Tropez contre l’ultragauche ou à un film de Blake Edwards nous montrant Monsieur Squarcini dans le rôle d’une Panthère Rose maladroite. Avec en plus, dans le cas de notre Edgar J. Hoover national, une méchanceté hargneuse et tatillonne propre aux chefs des polices politiques dont Balzac, disait justement dans Une ténébreuse affaire, roman qu’il serait intéressant de relire ces temps-ci car lui aussi raconte une étonnante manipulation flicardière sous l’Empire : « On croit la police astucieuse, machiavélique, elle est d’une excessive bénignité ; seulement elle écoute les passions dans leurs paroxysmes, elle reçoit les délations et garde toutes ses notes. Elle n’est épouvantable que d’un côté. Ce qu’elle fait pour la justice, elle le fait aussi pour la politique. Mais en politique, elle est aussi cruelle, partiale que l’Inquisition. »

Elève Alliot-Marie, élève Bauer, élève Squarcini, vous commenterez cette citation dans un développement argumenté. Vous montrerez notamment les analogies entre l’analyse de Balzac qui se situe à l’époque napoléonienne et votre propre tentative d’inventer une « mouvance anarcho-autonome », ce qui est un bel oxymore et prouve votre niaiserie théorique. Les copies seront ramassées le jour de la libération de Julien Coupat quand l’opinion se moquera de vous et de ce qui restera comme la plus grande pantalonnade politico-judiciaire du sarkozysme.

Vous voulez un autre exemple de la méthode délirante que le pouvoir utilise pour tenter de remplir un dossier désespérément vide ? On pourrait l’appeler « le coup de la bibliothèque ». Figurez-vous que la dangereuse communauté invisible qui s’était emparée de Tarnac pour en faire la base arrière de la révolution mondiale et le premier village libéré de l’oppression capitaliste ne se contentait pas de se livrer à d’abominables opérations terroristes comme l’ouverture d’une épicerie, d’un restaurant coopératif et l’organisation de cours du soir. Ils ont été plus loin, ces nihilistes auprès desquels le Stavroguine de Dostoïevski fait figure de gonzesse : ils avaient créé une bibliothèque au premier étage de la fameuse épicerie. Cinq mille livres venant de chaque membre du groupe et mis en commun. Ah, les petits salopards ! Une bibliothèque…Et on s’étonne de l’effondrement des audiences de TF1 et de M6. N’allez pas chercher plus loin, c’est de la faute des « tarnaciens » : plutôt que de rester à regarder des jeux de téléréalité fondés sur l’humiliation volontaire et l’accoutumance à l’idée d’être viré sans ménagement, l’honnête corrézien se retrouvait avec à portée de la main des…livres. On commence par laisser le rural lire Rimbaud et Debord et on se retrouve avec une nation ingouvernable de paysans sodomites et post-situationnistes.

On se doute bien que Monsieur DCRI n’allait pas laisser faire ça. Et c’est à deux reprises qu’il a envoyé ses troupes perquisitionner les lieux et emporter des quantités variables de livres afin de préserver l’intégrité morale des villageois mais aussi et surtout de trouver des…preuves. Vous lisez Marx, vous êtes marxiste, c’est bien connu et vous lisez Fitzgerald et hop, vous devenez alcoolique. Mais quand vous lisez un rapport d’Alain Bauer, vous devenez paranoïaque et vous voyez des gauchistes partout : cela, désormais, semble, hélas, bel et bien prouvé.

Mais notre ami Bernard Squarcini peut faire encore mieux et c’est là que nous atteignons au sublime : le recoupement linguistique comme méthode policière. Dans une intéressante synthèse drôlement intitulée Le coup de Tarnac[3. Éditions Florent Massot.], le journaliste Marcel Gay établit un parallèle saisissant entre la façon dont on voudrait faire tomber Coupat, à partir du seul contenu de L’Insurrection qui vient, et ce qui est arrivé en août 2007 à trois universitaires allemands soupçonnés d’appartenir à un groupe autonome très actif. La BKA (la DCRI germanique), organisme manifestement peuplé de grammairiens distingués et de critiques littéraires, avait estimé que la fréquence des mots utilisés par les universitaires était la même que dans les tracts du groupe en question. D’où la culpabilité des trois hommes…

On voit ici toute la rigueur du raisonnement employé actuellement en désespoir de cause par l’antiterrorisme français, dont on ne sait plus s’il faut rire, pleurer ou avoir peur. On pourra aussi, devant ce « délit de lecture » (voire d’écriture) qui semble être la dernière charge pesant sur Julien Coupat aller signer la pétition initiée par la Maison des écrivains et de la littérature qui met exergue ce magnifique extrait de Walter Benjamin : « Nos bibliothèques sont toutes pleines à craquer de livres subversifs. De ceux-là, nous vient l’inspiration. De ceux-là, nous apprenons à penser. De ceux-là, nous apprenons à douter. Mais aussi à croire. De ceux-là, nous apprenons à lire le monde, à le délier aussi. À ceux-là, nous tenons, tant ils nous tiennent en vie. Ces livres que nous lisons, que nous aimons sont tous, par essence, dans le fond comme dans la forme – par le rapport qu’ils entretiennent à la langue, enracinée dans le vivant –, subversifs. »

Le coup de Tarnac

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Armée de l’air pur

C’est l’épatant blog Secret Défense de Jean-Dominique Merchet qui nous l’apprend : l’armée de l’Air vient de recruter cinq lamas ! Affectés à la base d’Avord, dans le Cher, leur ordre de mission consiste à brouter les pelouses, en lieu et place des tondeuses à pétrole, rendues à la vie civile dans le cadre de la « politique de développement durable de l’armée de l’air ». On attend donc incessamment que pour réduire encore plus l’empreinte carbone de ses activités, notre aviation remplace ses chasseurs-bombardiers par des oies, des poules ou des canards. Ecologiques, économiques, il seraient en outre bien plus facile à exporter que les Rafales.

Barack met Bibi au pied du mur

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Certains compliments sont pires que la plus acerbe des critiques. Après avoir reçu pour la première fois Benjamin Netanyahou, Barack Obama a salué la jeunesse et l’intelligence de son invité. Sauf que, mine de rien, le Premier ministre israélien aura soixante ans dans quelques mois. Autant dire que le président américain a fait le service minimum. Les observateurs expérimentés des relations israélo-américaines ont par ailleurs remarqué qu’il n’avait pas employé l’adjectif « courageux » – ce terme étant exclusivement réservé à ceux qui sont d’accord avec Washington. Effectivement, « le jeune et intelligent » et le très jeune et très intelligent se sont engagés dans une partie de poker dans laquelle chacun possède une carte que l’autre aimerait avoir : Obama a besoin d’un geste israélien fort vis-à-vis des Palestiniens, tandis que son interlocuteur veut fixer une deadline au terme de laquelle la phase de négociations avec l’Iran sera terminée.

Pour l’instant, Obama semble être le plus pressé des deux : attendu au Caire début juin, il aimerait sans doute avoir du concret à présenter à son hôte Moubarak ainsi qu’aux autres dirigeants arabes qui soutiennent l’initiative de paix saoudienne.

Mais l’avantage que cela semble conférer à Netanyahou sera éphémère, car l’essentiel pour lui est d’avoir un échéancier clair de l’action diplomatique américaine sur le dossier iranien. À Jérusalem, on sait que les Iraniens sont très avancés dans leur programme nucléaire militaire et qu’en cas d’échec des négociations, il faudra passer aux sanctions tout en respectant à la lettre les règles du jeu international multilatéral, faute de quoi aucune coalition ne sera possible. Ce qui signifie qu’il faudra des mois avant qu’un passage à l’acte – militaire – soit envisageable.

Pour le moment, aucun des deux n’a lâché le morceau. Netanyahou reste avare de monnaie diplomatique, et sa tactique consiste à faire monter le prix de son consentement public à la solution des « deux Etats ». Plus il tergiverse, plus les enchères montent. Avare de mots, il sera sans doute aussi radin en gestes concrets, en particulier en ce qui concerne le gel des implantations. À Washington, il s’est donc contenté de tourner autour du pot avec des « nous ne voulons pas gouverner les Palestiniens » et autres formules permettant de parler du loup sans le nommer.

Obama, quant à lui, n’a pas fait autre chose en refusant de fixer une échéance pour les négociations avec l’Iran, pour ajouter aussitôt que celles-ci ne dureraient pas une éternité. Il s’agit de formules diplomatiques vides de sens – les négociateurs européens, menés en bateau par les Iraniens depuis 2003, pourraient lui expliquer comment on fonctionne à Téhéran. La seule chose qui peut changer la donne, c’est l’intime conviction des dirigeants iraniens qu’effectivement, pour reprendre un mot du président américain Theodore Roosevelt, le type en face d’eux qui parle doucement porte un gros bâton.

Après ce premier round qui vient de s’achever à Washington tout se joue maintenant autour d’un enjeu intermédiaire – le lien entre les dossiers palestinien et iranien. Le linkage, comme on dit là-bas, a donc un avenir glorieux devant lui. Ce vocable a du reste un passé plus que respectable : il y a trente ans, pendant les négociations entre Israël et l’Egypte, le président Sadate avait exigé de son interlocuteur, l’Israélien Begin, que les avancées bilatérales des deux pays soient liées aux progrès accomplis sur le dossier palestinien. Le Caire savait qu’un accord séparé allait être encore plus difficile à vendre à l’opinion publique locale et arabe. Pendant quelques mois, ce fameux linkage avait fait le bonheur des chancelleries et des rédactions. Puis une formule salvatrice qui enterrait l’Etat palestinien au profit de « l’autonomie » avait finalement été concoctée.

Aujourd’hui, nous en sommes au même point ou presque. Pour Netanyahou comme pour Begin en son temps, il est essentiel que les dossiers palestinien et iranien soient traités séparément, tandis que pour Obama et les dirigeants arabes pro-occidentaux (Moubarak, Abdallah de Jordanie et Abdallah d’Arabie Saoudite) tout comme pour Carter et Sadate en 1978, le conflit israélo-palestinien est indissociable des autres problèmes. Si Shimon Peres – qui est intelligent malgré son âge avancé et dont on connaît le goût pour les formules qui noient le poisson – était en charge du dossier, il aurait sans doute parlé d' »unilatéralisme multilatéral », si ce n’est pas l’inverse.

Reste une seule question. Combien de temps Obama accordera-t-il à Netanyahou avant de lui poser des questions auxquelles il faudra répondre par « oui » ou par « non », et rapidement ? Avant de fixer une deadline à l’Iran, il est probable que la Maison-Blanche en imposera une à Israël. Finalement, si cela permet aux négociateurs américains de se mettre en jambes pour le grand jeu avec Téhéran, cette petite partie de poker n’aura pas été une perte de temps.

L’or du rein

Pour ceux qui ne l’auraient pas remarqué, tout est dans Shakespeare. L’amour, la vie, la mort et le reste qui, en comparaison, est toujours futile. « A horse ! a horse ! my kingdom for a horse ! » Le cri que lance Richard III à Catesby dispense à lui seul de lire des bibliothèques entières de philosophie – et d’équitation. Pourtant, la fréquentation assidue de Shakespeare, et même de ses Sonnets dont on ne saura jamais à quelle dame ils étaient destinés, ne nous dispense pas de la lecture quotidienne de la presse : tout n’y est pas, mais on y trouve de tout.

Le 15 mai, le quotidien La Dépêche consacrait un article faussement fait-diversier à Alain Canovaro. Ce Toulousain de quarante-trois ans, enfant de la DDASS – ça ne gâche rien –, cherche un emploi depuis six mois. On comprend que les dernières années n’ont pas été, pour lui, de tout repos : rupture, déprime, départ à l’étranger et retour en France, poches vides, fins de mois difficiles surtout après le 1er du mois.

Lui vient alors sa chienne d’idée : il y a en France 6.000 patients qui attendent une greffe de rein, peut-être l’un d’entre eux sera patron ou en connaîtra un… Notre Toulousain y va. Il n’a pas Internet et demande à une amie de lui poster une annonce sur une dizaine de sites : « Échange rein contre emploi. » Non seulement cet homme est au fond, mais il a des « amis » qui l’enfoncent encore plus, sans le dissuader, l’arrêter et, au final, faire toujours ce qu’un vrai ami fait dans ces cas-là, débiter du Brel par cœur : « Non, Jef, t’es pas tout seul, mais arrête de pleurer, comme ça devant tout le monde parce qu’une demi-vieille, parce qu’une fausse blonde t’a relaissé tomber… » Du côté des Aminches sans frontière, qui ont le mérite d’avoir chez eux une connexion haut débit, y a des coups de pied au cul qui se perdent.

Les coups de tatane ne seraient pas non plus superflus pour certains de nos estimés confrères. À commencer par l’excellentissime journaliste de La Dépêche qui commence son article par un magnifique : « Alain Canovaro, 43 ans, est loin d’être un illuminé. Au contraire. Il a un sens aigu des réalités. » Si je comprends bien, pour avoir le sens des réalités, se faire amputer d’un rein suffit. Et la lucidité, c’est combien ? Il faut donner son cœur ou son cerveau ? De même, l’on passera très vite, par charité chrétienne, sur la notion de « don », de peur de réveiller Marcel Mauss.

Mais la palme – ou plutôt le bistouri d’Or – revient au Post. Le 15 mai, notre chômeur toulousain lance son cri désespéré et, trois jours plus tard, un branquignole d’investigation du Post – filiale numérique du quotidien Le Monde – l’appelle pour rédiger un articulet pas piqué des hannetons :

« Sur Le Post, Alain Canovaro fait le point trois jours après sa proposition :
– Où en êtes-vous ?
– Nulle part. Absolument nulle part. Je suis déçu, très déçu, presque dépité. »

Voilà un homme qui est au bout du bout. Pas de fric, pas de job, la déprime, le sentiment de déréliction, ce truc qui vous casse, vous empêche non seulement de dormir mais aussi de rester éveillé. Alain Canovaro, lui, le RMI, le RSA et le visage rubicond de Martin Hirsch, il n’en veut pas. En crèverait même d’être assisté. Et les ronds-de-cuir de notre presse libre et indépendante qui tournent autour de vous pour poser la question : alors, coco, trois jours après, on fait le point ? Non contents de le justifier dans sa douce folie – car c’est bien une folie désespérée que de proposer un organe contre un job –, ils l’enfoncent dans son désespoir. Messieurs, chers confrères, procurez-lui un flingue. Il n’a pas de fric pour les munitions. Qu’à cela ne tienne : la profession se cotisera pour la balle et n’aura pas l’indécence, malgré les maoïstes qu’elle compte à la pelle, de la facturer à sa famille.

Car le plus étrange – et le plus indigne dans cette histoire – est qu’il n’est venu à l’esprit de personne que le vrai scandale ne résidait pas dans l’absence de réponses favorables à la proposition d’Alain Canovaro, mais dans sa proposition-même.

Médiatiquement, je comprends mes confrères : ils vivent, sans en être eux-mêmes affectés, dans une mythologie de la crise lue chez Horace McCoy ou vue chez Stanley Kubrick : rien n’est plus vendeur que de commenter, le petit doigt levé, un remake de On achève bien les chevaux. Or, dans la vraie vie, il n’y pas de Robert et de Gloria, ni de marathons de danse, ni de gens qui crèvent au long des épreuves qui leur sont infligées : il y a de braves types, des Alain Canovaro, qui essaient de surnager, de se débrouiller, de ne pas sombrer dans l’indignité sociale même s’ils doivent payer le prix d’une indignité plus grande encore. Tout le reste n’est que diversion. On les voit, mes chers et bien-aimés confrères, condamner le « mourir pour Dantzig » de Marcel Déat, mais ne rien trouver du tout à redire face au « se dépecer pour un job » d’un type comme vous et moi.

Car mon brillant confrère de La Dépêche, ne trouve rien d’autre à faire, pour conclure son article, qu’agiter la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique : « On ne peut faire don d’un organe, de son vivant, qu’à un membre de sa famille ou à quelqu’un avec qui on vit depuis au moins deux ans. Sa proposition n’a donc aucune chance d’aboutir légalement. » Et la quasi-totalité de la presse nationale reprend l’info : « La loi s’y oppose. »

Bien, camarades. Mais face au désespoir d’un homme, quand on est un homme, ce n’est pas son Code civil que l’on ressort. Les Dalloz rouges n’ont jamais sauvé personne. La question n’est pas celle de la légalité ; elle n’est pas même un cas moral ou éthique, mais une affaire de civilisation, un point de détail, mais le point d’un détail qui s’appelle humanité.

La loi autoriserait-elle à faire commerce des organes ou des restes humains que cela ne changerait rien. D’ailleurs, Jean-Pierre Baud l’a montré dans L’Affaire de la main volée (Seuil, 1993) : le statut juridique des organes humains varie, d’une manière assez étonnante, au gré de l’histoire. La législation sur la bioéthique a beau être sous les projecteurs de l’actualité, puisque le Parlement a entamé sa révision : elle ne nous dispense pas d’avoir une conscience. Depuis quand les journalistes doivent-ils se comporter en petit greffier de tribunal d’instance, agiter de la loi bioéthique à longueur d’articles quand il s’agit en fin de compte, non pas de questions juridiques, mais de sentiments humains ?

Jean-Luc Nancy dans son très beau Corpus (Métaillé, 2000) et Jacques Derrida dans un de ses textes les plus extraordinaires, Le Toucher (Galilée, 2000) ont formulé le problème : notre impensé contemporain est celui de la « prise de corps », ce hoc est enim corpus meum, qui avait régenté la civilisation occidentale jusqu’à ce qu’elle perde trace de tout, jusqu’à la signification de cela. Or, comme le professait non seulement le sensualisme de Locke mais aussi tout l’aristotélisme (nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu), rien n’existe qui ne prenne corps. Rien n’existe qui ne soit corps. C’est une question si cruciale pour notre époque qu’on s’apercevra, d’ici huit ou neuf cents ans, qu’elle était en 1995 le centre de l’encyclique Evangelium Vitae, lorsque l’on aura proclamé docteurs de l’Eglise, Jean-Paul II et Benoît XVI.

On ne peut, en effet, résumer le problème de l’incarnation ni à la foi chrétienne en l’Incarnation, ni à la vulgate mécaniste – celle, par exemple, de Deleuze et Guattari : « Ça respire, ça chauffe, ça mange. Ça chie, ça baise. » Il y a quelque chose d’autre que cette mécanique fonctionnelle. Comment, au moment même où j’écris, ai-je besoin de mes doigts sur le clavier pour vous transmettre ma pensée ? Dans les premiers chapitres de Sein und Zeit, Heidegger pousse le questionnement plus loin : comment le son qui sort de ma bouche, entrechoquant physiquement l’air, peut prendre corps pour devenir un message intelligible ? La dualité cartésienne entre la matière et l’esprit ne valent rien quand l’esprit a besoin de la matière pour se manifester.

Partant de là, et par d’abrupts et d’obscurs raccourcis, de multiples chemins qui ne mènent nulle part, on devrait s’en tenir, en matière bioéthique, à une seule règle : notre corps ne nous appartient pas. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je ne nie pas ici le slogan des féministes des années 1960 et suivantes. Je dis seulement que ce n’est là qu’un slogan, un manifeste politique, et qu’au-delà notre corps ne nous appartient pas. Même si vous ne croyez pas après saint Paul qu’il soit le temple de l’Esprit, il reste le temple de notre esprit. Nous n’existons pas sans notre corps, nous ne pouvons rien dire, voir, penser sans lui. Et pourtant, il n’est pas à nous. Il est, même les pieds sales, le propre de nous.

En étant le propre de nous, il échappe à toute notion de propriété. Il n’est ni négociable, ni soldable. Et notre civilisation s’est construite sur cette idée-là, quand on a considéré que le corps humain n’était pas un morceau de viande débitable en tranches à l’envi dans des pique-niques champêtres et anthropophages. Que tout soit commerce aujourd’hui, un objet d’échange et de troc, soit ! Mais là où nous aurons transformé jusqu’à notre fondement en part du CAC40, nous aurons perdu ce qui nous reste, une idée de l’homme. Et jamais nous ne pourrons désormais être Catesby, réconfortant comme il le peut Richard III sans toutefois le déposséder de son royaume : « Withdraw, my lord. I’ll help you to a horse. »

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Transsexuels, l’Iran montre l’exemple

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France 5 a diffusé hier soir un documentaire étonnant consacré aux transsexuels iraniens. On y apprend que ceux-ci sont quasiment mieux traités là-bas que chez nous, où rappelons-le, jusqu’à la semaine dernière et au geste héroïque de Roselyne Bachelot, les transgenres étaient considérés comme des malades mentaux. Rien de tel en République Islamique, où les trans sont traités avec bienveillance par les autorités depuis que l’imam Khomeyni a promulgué une fatwa en leur faveur. Et si, dans l’indifférence totale des mouvement gays occidentaux, les homos standard restent passibles de la peine de mort du côté de Téhéran ou d’Ispahan, les hommes qui veulent changer de sexe peuvent, eux, le faire en toute légalité. Cela dit, devenir une femme au pays des mollahs, faut vraiment en avoir envie…

Jour de fête à Libération

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Comme mon quotidien du matin a pris l’habitude de ne plus paraître les jours fériés, je me suis, en ce jeudi de l’Ascension, rabattu sur liberation.fr pour savoir ce qui se passait dans le monde. Pas grand chose à se mettre sous la dent, si ce n’est la détestable affaire qui oppose la famille d’Ilan Halimi au mensuel Choc, qui vient de faire sa « une » avec une photo prise par les ravisseurs. Ce cliché montre Ilan Halimi, pistolet sur la tempe, les poignets liés, avec un quotidien du jour posé sur sa poitrine dans la meilleure tradition des preneurs d’otages.

Détestable affaire parce qu’on est sans illusions sur la démarche de Choc, qui se voit contraint de booster ses ventes chancelantes avec des vrais bouts de futur cadavre, son lectorat habituel étant j’imagine peu sensible au classement du salaire des cadres dans l’immobilier ou au régime minceur miracle des francs-maçons.

Les avocats de Choc, nos amis Richard Malka et Claire Chaillou, ont mené de meilleurs combats – et malgré l’amitié, je ne les suivrai pas dans celui-ci. Dur métier, tout de même. Lors de l’audience, mercredi dernier, Me Chaillou a plaidé la vertu pédagogique de cette photo pour le jeune lectorat, estimant que la publication de cette photo avait une utilité. J’ai beau être amateur de chutzpah, notamment judiciaire, je la préfère quand même dans la fameuse blague yiddish où l’avocat commis d’office réclame l’acquittement de son client qui a égorgé père et mère en expliquant au juge : « Vous n’allez tout de même pas condamner un malheureux orphelin ! » Mais bon, tout le monde – Choc comme Fofana compris – a droit à un avocat et ledit avocat ne peut pas s’écrier, comme dans les procès de Moscou : « Mon client est coupable, punissez-le sévèrement ! »

N’empêche, quelle que soit la validité juridique de leur argumentation, on se dit que sur ce coup-là, il leur fallait défendre l’indéfendable. Le Parquet a en tout cas pris une décision exceptionnelle en ordonnant le retrait du mensuel des kiosques à partir de vendredi 14 heures. Une sanction financière très lourde – qui pourrait être plus lourde que celle qui s’abattra sur Fofana, comme l’a noté Richard Malka. Cela dit, malgré tout le mal que je pense de Choc et de sa « une », il est vrai qu’en refusant à celui-ci la possibilité de plaider en appel avant que la sanction soit effective, le tribunal s’est assis sur un principe normalement intangible de notre droit : tout le monde a le droit à un deuxième procès. Même Choc. (L’audience aura finalement lieu lundi après-midi.)

Merci les gars. La « volonté d’informer » du mensuel va de toute évidence créer un précédent juridique. On n’avait pas retiré de la vente un journal depuis des décennies, gageons qu’une fois que les magistrats auront repris ce genre d’habitude, les demandes de saisies en kiosques vont pleuvoir, et pour des cas autrement plus litigieux. Je sens que la liberté de la presse va encore faire un bond en avant.

Toutes considérations dont je ne trouvai bien sûr pas trace dans mon Libé numérique de ce jeudi. Ce qu’on y vendait au lecteur comme un article sur l’affaire était, en fait, une dépêche AFP qu’on ne s’était même pas donné la peine de rebricoler, j’imagine qu’en cherchant bien, on doit trouver, au mot près, le même article sur une série de sites. Publier plein d’articles et coller à l’actu, ça fait riche…

Ce qu’en revanche, on ne trouvait que sur libération.fr, c’étaient les commentaires de lecteurs. Des commentaires doublement modérés, puisqu’il faut être inscrit sur le site pour pouvoir donner son avis sur les violences policières qui montent ou le lait qui baisse. Là-dessus intervient un modérateur dont on présume que le métier est de veiller à ce que les propos tenus restent dans le cadre des lois en vigueur. Peut-être ce modérateur était-il de repos en ce jeudi de l’Ascension, sinon il n’aurait pas fallu attendre ce vendredi après-midi pour qu’on se décide à retirer du fil des commentaires comme celui-ci, publié par le courageux internaute Guilec741, jeudi à 20 h 52 : « Trop drôle. Les juifs n’aiment pas l’argent nous dit-on, mais ils réclament 100 000 euros, en quoi cet argent va-t-il les soulager, je suis mort de rire de ses contradictions. »

Mort de rire. Trop drôle en effet de voir les immondices qu’ose publier un quotidien qui donne des leçons de morale à la planète entière, qui s’érige régulièrement en arbitre des élégances médiatiques et notamment webistiques. Trop drôle de constater que Joffrin et son armée mexicaine de sous-chefaillons sont tous partis faire le pont à Cannes sans laisser de consignes minima, genre surveiller les sujets « sensibles » voire, si on n’est pas équipé pour, les fermer tout bêtement aux commentaires, comme cela se fait couramment dans les bonnes maisons.

Trop drôle de voir que le modérateur de Libé (ou selon certains bruits de couloirs, le modérateur sous-traité par Libé), de retour de son repos forcé n’ait pas cru utile de zapper le commentaire de Beya, mis en ligne le 21 mai à 14 h 19 et toujours en place ce vendredi soir, qu’il a donc dû juger conforme aux valeurs du journal. Jugez par vous-même : « Je peux dire liberté d’expression tout simplement l’affaire est publique. Les photos aussi à moins qu’il s’agit de pièces à convictions. Et puis les 100 000 euros c’est pourquoi faire !! tout est louche.. A la fin ce n’est plus un français tué par un barbare mais un musulman « barbare » tue un juif « innocent ». »

Ilan Halimi, un juif « innocent » ? Après les photos, doit-on aussi imposer à sa famille le supplice des guillemets ?

Il est vrai que l’affaire n’a pas encore été jugée…

Ultragauche contre SNCF : l’escalade

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L’antiterrorisme français est sur les dents. Après les rafles rouennaises et forcalquieroises de « proches de Julien Coupat », le pouvoir a subi la riposte de la dangereuse internationale tiqqunienne qui a franchi une étape supplémentaire dans l’horreur. Utilisant ses pouvoirs parapsychiques, elle a provoqué un mercredi noir, veille de l’Ascension, chez les usagers de la SNCF par un attentat terroriste inquiétant : la collision entre deux trains de fret aux environs d’Angoulême en Charente, dans le tunnel du Livernan. Le chargement de tractopelles d’un train d’ECR, filiale de la compagnie ferroviaire allemande Deutsche Bahn, visiblement mal arrimé, s’est déplacé, « engageant le gabarit de la voie contiguë ». Circulant dans le sens Paris-Bordeaux, le convoi a ainsi « frotté », en le croisant, un autre train de fret, cette fois-ci appartenant à la SNCF. Blessé, le conducteur de ce dernier a été hospitalisé. Il souffre d’une fracture du poignet. L’internationale tiqqunienne n’a évidemment pas revendiqué cet attentat psychique se contentant de manipuler mentalement les archéostaliniens de la CGT qui ont déclaré : « La recherche du profit conduit les entreprises à économiser sur les organisations du travail, les conditions sociales, les procédures réglementaires et les formations. » N’importe quoi.

Les racines de l’Olivier

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Le saviez-vous ? L’extrême gauche est au cœur des débats politiques hexagonaux. Le PS lui reproche de faire le jeu de la droite, tandis que celle-ci l’accuse d’orchestrer la contestation sociale sous toutes ses formes, dans les entreprises, le secteur public, les universités et jusque dans nos bras…

Pour comprendre ce phénomène (de foire), il faut remonter non pas les Champs-Elysées mais le fil de notre histoire jusqu’à la Révolution française. Celle-ci est, entre autres titres de gloire, la source de tous les courants de pensée et mouvements d’extrême gauche dont notre vie politique s’enorgueillit depuis deux cents et plus. Sans 89 point de 93, comme eût dit M. de La Palice, point de Babeuf ni de Hébert, ni même de Robespierre pour réconcilier ces frères ennemis sur la guillotine avant d’y passer à son tour, fermant cette marche funèbre et sanglante.

Point non plus d’Auguste Blanqui qui (admirons l’allitération !) à force d’appeler à l’insurrection sociale, sera entendu… par la justice bourgeoise, qui le collera au trou.

Plus profondément même, sans la suppression des corporations verticales, point de syndicats horizontaux, donc révolutionnaires. Sans la dictature d’une minorité cumulant tous les pouvoirs politiques et économiques, point de révolte de ces « classes laborieuses, classes dangereuses » qui vont servir de carburant à la Révolution industrielle.

Sans la prise de la Bastille, point de Trois Glorieuses en 1830, ni de ces Misérables inspirés par les barricades de 1832 ; point de révolution de 1848, de Commune de Paris ni même, selon toute vraisemblance, de cette Révolution russe qui va remodeler durablement – jusqu’à nos jours ! – l’extrême gauche française.

La jonction est opérée par la figure emblématique de Trotski. Après sa rupture avec Staline dans les années 20, ce serial killer à tête de prof barbichu acquiert très vite une auréole de « dissident » qui le lave de tous ses crimes avant même qu’il n’en soit accusé. Il ne le sera donc jamais.

Au contraire, réfugié en France à partir de 1933, il ne tarde pas à devenir la coqueluche du tout-Paris intello-culturel, de Malraux à Breton. Léon a son rond de serviette – et aujourd’hui sa plaque en cuivre – à la Closerie des Lilas. C’est chez nous que paraît le premier journal trotskiste, Vérité (Pravda) et que la IVe Internationale est fondée. Il aura le temps d’effectuer plusieurs séjours en France, et même d’y laisser une trace indélébile, avant de mourir en martyr en 40 au Mexique, d’un fameux coup de piolet transmis par un émissaire de son ancien camarade de jeu Staline.

Las ! La deuxième Guerre mondiale va diviser la famille trotskiste. A l’issue d’intenses débats tant stratégiques que tactiques, les uns (à l’instar de Charles Maurras) concluent à la neutralité entre le clan des « yes » et le clan des « ya », les autres à l’engagement dans la Résistance. On s’étonne presque qu’aucun de ces intellos fumeux n’ait poussé la logique floue jusqu’à soutenir l’Allemagne nazie… Mais il y a une raison de fond : Staline l’avait fait avant eux !

Tout le fan club français de feu Léon se retrouvera en revanche solidaire des combats anticoloniaux en général et du terrorisme progressiste du FLN algérien en particulier. Là au moins, c’est clair : plus il y aura de nouveaux pays, plus la révolution à venir sera mondiale, comme le souhaitait Trotski !

Dans les années 1960, la IVe Internationale subit la concurrence du maoïsme. Plus fort que la révolution mondiale qui défie l’espace, voici la révolution permanente (a.k.a. « culturelle ») qui défie également le temps !

Hélas ça ne durera pas, et moins encore en France qu’en Chine. Il faut dire que, contrairement à Trotski, Mao Zedong n’a jamais séjourné dans l’Hexagone. Résultat : l’engouement français pour la « révo cul » sera de courte durée, même s’il gagne un temps de grands esprits comme Jean-Paul Sartre ou le proto André Glucksmann, vite reconvertis respectivement dans l’antitotalitarisme « néo-philosophique » et le Grand Sommeil tout court.

Le trotskisme français, lui, persiste dans l’être ; il en sera finalement récompensé après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement subséquent du PCF. Dès 1998, ce sont des militants trotskistes pur jus qui créent le syndicat Sud, toujours aussi hype vingt ans après. Puis vient la reconnaissance électorale, avec les succès d’Arlette Laguiller (5, 30 % à la présidentielle de 1995) et d’Olivier Besancenot ( 4,08 en 2007), ouvrant la voie à la fondation du NPA.

Entretemps, comme une Eglise catholique normale, l’ex-secte des barbichus a fait son aggiornamento, intégrant successivement à son combat les justes luttes des LGBT (ex-« pédés & gouines rouges »), des « sans-papiers » (ex clandestins) et des altermondialistes d’Attac (ex babas du Larzac).

Mais qu’on se rassure : comme pour l’Eglise encore, le projet n’a pas substantiellement changé. Il reste toujours fondé sur le fantasme en collier de nouilles de la grève générale, de l’insurrection spontanée et de la prise du pouvoir par le peuple – c’est-à-dire par son avant-garde conscientisée (le NPA). Même que le facteur joufflu éprouve toujours les plus grandes difficultés à expliquer ce qu’il restera des libertés quand elles auront cessé d’être « formelles », c’est-à-dire au lendemain matin de l’hypothétique Grand Soir.

Par chance, on ne lui pose plus guère la question ! Il faut dire aussi que le trotskisme dominant, aujourd’hui en France, comme dirait Le Parisien, ce n’est pas celui de Besancenot et du Krivine maintenu. Plutôt celui d’une intelligentsia d’origine trotskiste qui regarde avec une tendresse amusée les p’tits gars du NPA jouer à la Révolution. Pourquoi voudriez-vous qu’ils s’en inquiétassent ? Ça leur rappelle leur adolescence, et personne n’a peur de sa propre madeleine…

Halte à la junk-food

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Une nouvelle affaire de bébé congelé vient d’éclater à Metz où une femme de 32 ans a été mise en examen « pour délaissement de mineur ayant entraîné la mort ». Le nouveau-né a été retrouvé par le fils aîné qui était allé chercher une glace. Cet enfant, lui-même placé en foyer, ne voyait sa mère que durant les week-ends. Suivie par les services sociaux, elle semblait vivre dans un grand dénuement et, manifestement, n’observait pas les préceptes diététiques du ministère de la Santé recommandant la consommation de cinq fruits et légumes différents par jour. Bébés, glaces, pizza, hamburgers, on ne dira jamais assez les ravages de la junk food et de la viande de mauvaise qualité dans les classes populaires. Et qu’on n’aille pas chercher l’alibi facile de la crise ou de la baisse du pouvoir d’achat. Il y en a décidément assez de cette culture de l’excuse.

“Al Doura : le monde arabe doit savoir qu’il a été abusé”

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Il y a un an exactement, la Cour d’Appel de Paris vous relaxait dans le procès en diffamation que vous a intenté France 2 dans l’affaire Al Doura. Depuis, France 2 s’est pourvue en cassation et la profession s’est mobilisée, mais en faveur de Charles Enderlin. Vous avez peut-être gagné au plan judiciaire (et encore provisoirement), mais, politiquement et médiatiquement, ça ressemble à une défaite, non ?
Je ne partage pas du tout cette analyse. Il est vrai que quand on observe les médias français, on a l’impression d’être en Corée du nord. En revanche, à l’étranger les choses évoluent positivement. Ainsi, le 4 mars dernier, la télévision publique allemande ARD a diffusé un documentaire  qui met gravement en cause le reportage de France 2 sur Mohamed Al Doura. Ce film aurait dû faire bouger les lignes en France ou au moins susciter le doute de ceux qui continuent à soutenir la chaîne publique. Il n’en a rien été. Ce documentaire est en train d’être acheté et sera diffusé par de nombreuses télévisions étrangères. Malheureusement, en France, pour le moment, aucun « grand média » n’a même jugé bon d’évoquer son existence.

Si la Cour de cassation, qui devrait se prononcer à l’automne, casse l’arrêt de la Cour d’appel, vous serez bien obligé de reconnaître votre défaite…
En octobre 2006, quand j’ai perdu mon procès en première instance, France 2 a claironné au 20h que c’était une victoire judiciaire qui prouvait que le reportage de Charles Enderlin et Talal Abu Rahma était authentique. Quand j’ai gagné en appel, France 2 et ses défenseurs – et vous savez qu’ils sont nombreux dans les médias – ont expliqué que ça ne voulait rien dire, que je n’avais rien prouvé et que le reportage était toujours authentique. En Cour de cassation, je me bats et je souhaite gagner, bien sûr. Si l’arrêt de la Cour d’appel est cassé, il y aura peut-être un moment difficile médiatiquement. Mais ce ne sera pas une tragédie car on retournera en appel et on remettra tous les documents sur la table, et dans les médias qui voudront bien s’en faire l’écho. Je n’ai aucun doute que la vérité éclatera, un jour ou l’autre.

Mais ne doutez-vous jamais de vous-même ? Etes-vous si sûr d’avoir raison ?
Je doute tout le temps. De moi-même et je me demande chaque jour si je me trompe ou non. Depuis plus de 7 ans, chaque fois que quelqu’un me présente un élément destiné à contredire notre démonstration, je l’analyse. Jusqu’à présent, je n’ai jamais été convaincu par les arguments de mes contradicteurs. Si cela changeait, je m’inclinerais et je présenterais mes excuses à France 2, et surtout à tous ceux qui me font confiance depuis tant d’années. Ce qui m’intéresse, c’est la vérité. Et je suis certain que c’est aussi ce qui intéresse Patrick de Carolis.
Cela dit, les preuves que ce reportage est un faux abondent et, sur Causeur, vous les avez vous-mêmes exposées. Vous avez d’ailleurs été un des premiers médias non communautaires à remettre en question le film de France 2. De plus, je ne suis pas le seul à avoir enquêté même si c’est moi qui ai été poursuivi par la chaîne publique. Avant moi, Nahum Shahaf et Stéphane Juffa en Israël, Richard Landes aux Etats-Unis, Gérard Huber en France pour ne citer qu’eux, avaient déjà pointé la plupart des invraisemblances auxquelles France 2 n’apporte aucune réponse. Luc Rosenzweig, Daniel Leconte et Denis Jeambar, sans oublier Esther Schapira et Georg Haffner de la TV publique allemande ARD ont également enquêté. En face, la seule chose qu’on nous répète depuis près de neuf ans, c’est que Charles Enderlin est un grand journaliste et qu’il ne peut pas s’être trompé ou avoir été abusé. Vous avouerez que c’est un peu faible comme argumentation…

En quoi le film d’ARD est-il « accablant » ? Présente-t-il des éléments nouveaux ?
Le film allemand dure 52 minutes. Il serait donc difficile de le résumer en quelques phrases.
Voici quand même trois points essentiels confirmés par ce documentaire :
1. Grâce à une analyse biométrique des visages, il démontre que l’enfant filmé par France 2 n’est pas celui qui a été montré à la morgue de Gaza et enterré plus tard.
2. Dans le reportage de France 2, il n’y a pas de sang sur les corps de Mohamed et Jamal al Doura alors qu’ils sont censés avoir reçu 15 balles à eux deux.
3. L’enfant mort et enterré sous le nom de Mohamed al Doura est arrivé à l’hôpital avant 10 heures, alors que la scène montrée par France 2 a été tournée après 15h.

Al Douriste, c’est pas un métier. Si vous ne vivez pas de cette affaire comme le pensent ceux qui vous accusent de vous livrer à un véritable business, de quoi vivez-vous ? Etes-vous financés par des associations juives ?
Vous voulez dire : après le « Shoah business », le « Al Doura business » ? Toujours les mêmes insinuations de ceux qui font de l’antisémitisme sans le savoir. Néanmoins, je comprends le sens de votre question. La première chose à savoir est que je suis totalement indépendant. Personne ne peut venir me dire :  « là mon vieux tu vas trop loin ! » et c’est essentiel pour mener une bataille comme celle-ci.
De plus en plus d’associations et de personnes, juives ou non, me soutiennent, mais elles me soutiennent moralement, jamais financièrement parce qu’elles ont accepté d’analyser le reportage de France 2. C’est le cas du CRIF en France, et j’en profite pour saluer le courage de son président Richard Prasquier qui m’accompagne dans ce combat difficile, comme de ZOA (Zionist organization of America) aux Etats-Unis. Mais si vous prenez par exemple une organisation juive comme l’American Jewish Committee et sa branche française, ils sont devenus mes pires adversaires. Alors, de quoi est-ce que je vis ? D’abord, je ne suis pas né pauvre. Ensuite, je suis un ancien financier. Enfin, je suis régulièrement invité par de grandes universités américaines – Stanford, Harvard, UCLA pour ne citer qu’elles – et des groupes de réflexion américains. Et, conformément aux usages en vigueur aux Etats-Unis, ces conférences sont rémunérées. Heureusement d’ailleurs ! Parce que les frais engagés dans cette bataille sont considérables : avocats, voyages, documentation…

En dehors de ces institutions juives, vous affirmez avoir beaucoup de partisans à l’étranger. Pouvez-vous en dire plus ?
A l’étranger, les gens acceptent de voir les documents que j’ai, avec d’autres, rassemblés. Et lorsqu’ils les ont vus, ils sont toujours impressionnés. Récemment, j’ai été invité à au Festival de journalisme de Perugia, en Italie. Après ma présentation, ils m’ont donné une salle, le lendemain soir, pour faire un second exposé plus détaillé et répondre aux questions du public. Aux Etats-Unis, je vous l’ai dit, je suis invité par de grandes universités et des think tanks. En France, je multiplie les conférences et les gens qui y assistent sortent tous convaincus. Prochainement, je serai à Marseille, à Lyon, à Grenoble, à Nice avant de repartir à l’étranger, en Europe et aux Etats-Unis. De nombreux journalistes français ont aussi été conquis après avoir visionné nos éléments de preuve mais certains préfèrent rester discrets pour ne pas se « griller » dans la profession – ou dans leur rédaction. Vous-même avez été convaincue lorsque nous nous sommes rencontrés au cours de la Journée du Journalisme Junior organisée par Jacqueline Quéhen pour le rectorat de Nice. J’ai également rencontré des journalistes arabes qui ont trouvé ma démonstration « implacable », selon leurs propres mots. D’ailleurs, je suis en contact avec les gens d’Al Jazeera qui sont très intéressés.

On en reparlera quand ils feront écho à vos thèses dans leurs médias. Comment expliquez-vous la résistance de la France ? Pensez-vous qu’elle est idéologique, autrement dit liée à la « réprobation d’Israël » ?
C’est possible mais il n’y a pas que cela. Cette affaire montre la puissance d’une caste d’intouchables – que vous avez vous-mêmes qualifiée de Parti des médias. Dans un registre assez proche du cas Al Doura, avez-vous entendu parler du film « Envoyés très spéciaux » qui montre deux journalistes radio qui bidonnent en faisant croire qu’ils sont en Irak alors qu’ils sont planqués à Barbès et fabriquent leurs reportages avec des sons pris sur Internet ? La presse a quasiment fait l’impasse sur cette comédie malgré la présence de Gérard Jugnot et de Gérard Lanvin au générique. On a connu nos médias moins fines gueules en matière de cinéma. Pourquoi ? Parce que le film montre la face sombre de leur profession.

Ce n’est pas tout-à-fait vrai. Allez sur Causeur et dans bien d’autres endroits. Admettons en tout cas que beaucoup de gens pensent désormais qu’il y a une entourloupe ou pire dans ce reportage. Que voulez-vous de plus ? Quel est votre objectif exactement ?
Je veux que le monde entier sache que le reportage de France 2 était une pure et simple mise en scène. Je veux que le monde arabe lui-même sache qu’il a été abusé par une image et qu’il a été embrasé à partir d’un faux médiatique. Or, cela n’arrivera que lorsque France 2 aura reconnu son erreur et aura présenté ses excuses aux téléspectateurs du monde entier en ouverture d’un « 20 heures ». Cette image a tué. Elle nourrit l’obsession de la culpabilité occidentale vis-à-vis de l’islam, non seulement dans le monde musulman mais aussi chez nos concitoyens musulmans. Mohamed Al Doura est une icône de Karachi à La Courneuve. Si cette icône est, comme je pense l’avoir démontré, née d’un faux, le monde entier doit le savoir. On parle tout le temps du devoir de mémoire, mais on ne peut inscrire aucune mémoire sur le mensonge. Nous avons un devoir de vérité. Pour aujourd’hui, pour demain, et pour les générations futures.

Julien Coupat aurait lu des livres

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L’inquiétante idiotie du pouvoir dans l’affaire de Tarnac a pris, ces derniers temps, une dimension nouvelle. On a l’impression d’avoir affaire à l’un de ces enfants têtus qui s’obstinent dans le mensonge, pris la main dans le pot de confiture conspirative, les doigts collants d’arbitraire, niant l’évidence avec un aplomb affolé avant la gifle bien méritée.

À Rouen, trois « proches de Julien Coupat » ont été placés en garde à vue et, dans le cadre des lois d’exception sur le terrorisme, ce « Patriot Act » à la française, ils peuvent y rester 96 heures. Il faut s’interroger sur ce qui fait de vous un « proche » de Julien Coupat. En l’occurrence, ici, de l’aveu même des brillants pandores de la SDAT (Sous direction à l’antiterrorisme), ces policiers qui assaillirent un jour de novembre un village de Corrèze et le firent entrer définitivement dans la célébrité touristico-politique[1. Le Petit futé Corrèze 2009 ose le passage suivant : « C’est ici que le 11 novembre 2008 furent arrêtés dans une opération policière de grande ampleur (150 policiers et gendarmes) un groupe de personnes vivant en communauté, élevant des chèvres, impliquées dans les sabotages des voies de la SNCF. L’épicier, patron de la station-service faisant partie du lot à la grande surprise et déception des villageois. » C’est notre excellent ami Serge Quadruppani qui nous signale cette information sur son blog Les contrées magnifiques.], il suffit pour cela d’avoir séjourné à Thessalonique en septembre 2008, en même temps que lui, mais pas forcément en sa compagnie. À ce compte-là, toute personne ayant passé des vacances en Espagne avant 1975 était proche de Franco et les lecteurs trouvant une rime amusante à SDAT, par exemple « Securitate », gagneront une cagoule et un treillis bleu marine offerts par l’aile « cellule invisible » de Causeur[2. Bruno Maillé et votre serviteur.].

Quand la SDAT ne sévit pas sur les lieux où Flaubert éructait magnifiquement contre la bourgeoisie dans sa Correspondance, elle préfère le soleil de Forcalquier et missionne le SRPJ local pour une surprenante petite rafle matinale : quatre militants du « comité de sabotage de l’antiterrorisme » ont été pareillement mis en garde à vue lundi 18 mai. Le motif est là aussi croquignolet. Ils auraient distribué des tracts invitant à une réunion de soutien sur lesquels figurait une photographie : celle de l’interphone de la résidence secondaire de Bernard Squarcini, chef de la DCRI. Comme la maison poulaga ne recule devant aucun gag dans cette superproduction, une cinquième personne, venue rendre visite aux quatre autres pour voir comment se déroulait l’interpellation n’est pas ressortie du commissariat de Forcalquier et a été placée à son tour en garde à vue.

Si Julien Coupat n’entamait pas son septième mois d’incarcération dans les geôles de notre république bananière assistée par ordinateur, nous ririons de cette superproduction qui fait penser à Un gendarme de Saint-Tropez contre l’ultragauche ou à un film de Blake Edwards nous montrant Monsieur Squarcini dans le rôle d’une Panthère Rose maladroite. Avec en plus, dans le cas de notre Edgar J. Hoover national, une méchanceté hargneuse et tatillonne propre aux chefs des polices politiques dont Balzac, disait justement dans Une ténébreuse affaire, roman qu’il serait intéressant de relire ces temps-ci car lui aussi raconte une étonnante manipulation flicardière sous l’Empire : « On croit la police astucieuse, machiavélique, elle est d’une excessive bénignité ; seulement elle écoute les passions dans leurs paroxysmes, elle reçoit les délations et garde toutes ses notes. Elle n’est épouvantable que d’un côté. Ce qu’elle fait pour la justice, elle le fait aussi pour la politique. Mais en politique, elle est aussi cruelle, partiale que l’Inquisition. »

Elève Alliot-Marie, élève Bauer, élève Squarcini, vous commenterez cette citation dans un développement argumenté. Vous montrerez notamment les analogies entre l’analyse de Balzac qui se situe à l’époque napoléonienne et votre propre tentative d’inventer une « mouvance anarcho-autonome », ce qui est un bel oxymore et prouve votre niaiserie théorique. Les copies seront ramassées le jour de la libération de Julien Coupat quand l’opinion se moquera de vous et de ce qui restera comme la plus grande pantalonnade politico-judiciaire du sarkozysme.

Vous voulez un autre exemple de la méthode délirante que le pouvoir utilise pour tenter de remplir un dossier désespérément vide ? On pourrait l’appeler « le coup de la bibliothèque ». Figurez-vous que la dangereuse communauté invisible qui s’était emparée de Tarnac pour en faire la base arrière de la révolution mondiale et le premier village libéré de l’oppression capitaliste ne se contentait pas de se livrer à d’abominables opérations terroristes comme l’ouverture d’une épicerie, d’un restaurant coopératif et l’organisation de cours du soir. Ils ont été plus loin, ces nihilistes auprès desquels le Stavroguine de Dostoïevski fait figure de gonzesse : ils avaient créé une bibliothèque au premier étage de la fameuse épicerie. Cinq mille livres venant de chaque membre du groupe et mis en commun. Ah, les petits salopards ! Une bibliothèque…Et on s’étonne de l’effondrement des audiences de TF1 et de M6. N’allez pas chercher plus loin, c’est de la faute des « tarnaciens » : plutôt que de rester à regarder des jeux de téléréalité fondés sur l’humiliation volontaire et l’accoutumance à l’idée d’être viré sans ménagement, l’honnête corrézien se retrouvait avec à portée de la main des…livres. On commence par laisser le rural lire Rimbaud et Debord et on se retrouve avec une nation ingouvernable de paysans sodomites et post-situationnistes.

On se doute bien que Monsieur DCRI n’allait pas laisser faire ça. Et c’est à deux reprises qu’il a envoyé ses troupes perquisitionner les lieux et emporter des quantités variables de livres afin de préserver l’intégrité morale des villageois mais aussi et surtout de trouver des…preuves. Vous lisez Marx, vous êtes marxiste, c’est bien connu et vous lisez Fitzgerald et hop, vous devenez alcoolique. Mais quand vous lisez un rapport d’Alain Bauer, vous devenez paranoïaque et vous voyez des gauchistes partout : cela, désormais, semble, hélas, bel et bien prouvé.

Mais notre ami Bernard Squarcini peut faire encore mieux et c’est là que nous atteignons au sublime : le recoupement linguistique comme méthode policière. Dans une intéressante synthèse drôlement intitulée Le coup de Tarnac[3. Éditions Florent Massot.], le journaliste Marcel Gay établit un parallèle saisissant entre la façon dont on voudrait faire tomber Coupat, à partir du seul contenu de L’Insurrection qui vient, et ce qui est arrivé en août 2007 à trois universitaires allemands soupçonnés d’appartenir à un groupe autonome très actif. La BKA (la DCRI germanique), organisme manifestement peuplé de grammairiens distingués et de critiques littéraires, avait estimé que la fréquence des mots utilisés par les universitaires était la même que dans les tracts du groupe en question. D’où la culpabilité des trois hommes…

On voit ici toute la rigueur du raisonnement employé actuellement en désespoir de cause par l’antiterrorisme français, dont on ne sait plus s’il faut rire, pleurer ou avoir peur. On pourra aussi, devant ce « délit de lecture » (voire d’écriture) qui semble être la dernière charge pesant sur Julien Coupat aller signer la pétition initiée par la Maison des écrivains et de la littérature qui met exergue ce magnifique extrait de Walter Benjamin : « Nos bibliothèques sont toutes pleines à craquer de livres subversifs. De ceux-là, nous vient l’inspiration. De ceux-là, nous apprenons à penser. De ceux-là, nous apprenons à douter. Mais aussi à croire. De ceux-là, nous apprenons à lire le monde, à le délier aussi. À ceux-là, nous tenons, tant ils nous tiennent en vie. Ces livres que nous lisons, que nous aimons sont tous, par essence, dans le fond comme dans la forme – par le rapport qu’ils entretiennent à la langue, enracinée dans le vivant –, subversifs. »

Le coup de Tarnac

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Armée de l’air pur

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C’est l’épatant blog Secret Défense de Jean-Dominique Merchet qui nous l’apprend : l’armée de l’Air vient de recruter cinq lamas ! Affectés à la base d’Avord, dans le Cher, leur ordre de mission consiste à brouter les pelouses, en lieu et place des tondeuses à pétrole, rendues à la vie civile dans le cadre de la « politique de développement durable de l’armée de l’air ». On attend donc incessamment que pour réduire encore plus l’empreinte carbone de ses activités, notre aviation remplace ses chasseurs-bombardiers par des oies, des poules ou des canards. Ecologiques, économiques, il seraient en outre bien plus facile à exporter que les Rafales.

Barack met Bibi au pied du mur

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Certains compliments sont pires que la plus acerbe des critiques. Après avoir reçu pour la première fois Benjamin Netanyahou, Barack Obama a salué la jeunesse et l’intelligence de son invité. Sauf que, mine de rien, le Premier ministre israélien aura soixante ans dans quelques mois. Autant dire que le président américain a fait le service minimum. Les observateurs expérimentés des relations israélo-américaines ont par ailleurs remarqué qu’il n’avait pas employé l’adjectif « courageux » – ce terme étant exclusivement réservé à ceux qui sont d’accord avec Washington. Effectivement, « le jeune et intelligent » et le très jeune et très intelligent se sont engagés dans une partie de poker dans laquelle chacun possède une carte que l’autre aimerait avoir : Obama a besoin d’un geste israélien fort vis-à-vis des Palestiniens, tandis que son interlocuteur veut fixer une deadline au terme de laquelle la phase de négociations avec l’Iran sera terminée.

Pour l’instant, Obama semble être le plus pressé des deux : attendu au Caire début juin, il aimerait sans doute avoir du concret à présenter à son hôte Moubarak ainsi qu’aux autres dirigeants arabes qui soutiennent l’initiative de paix saoudienne.

Mais l’avantage que cela semble conférer à Netanyahou sera éphémère, car l’essentiel pour lui est d’avoir un échéancier clair de l’action diplomatique américaine sur le dossier iranien. À Jérusalem, on sait que les Iraniens sont très avancés dans leur programme nucléaire militaire et qu’en cas d’échec des négociations, il faudra passer aux sanctions tout en respectant à la lettre les règles du jeu international multilatéral, faute de quoi aucune coalition ne sera possible. Ce qui signifie qu’il faudra des mois avant qu’un passage à l’acte – militaire – soit envisageable.

Pour le moment, aucun des deux n’a lâché le morceau. Netanyahou reste avare de monnaie diplomatique, et sa tactique consiste à faire monter le prix de son consentement public à la solution des « deux Etats ». Plus il tergiverse, plus les enchères montent. Avare de mots, il sera sans doute aussi radin en gestes concrets, en particulier en ce qui concerne le gel des implantations. À Washington, il s’est donc contenté de tourner autour du pot avec des « nous ne voulons pas gouverner les Palestiniens » et autres formules permettant de parler du loup sans le nommer.

Obama, quant à lui, n’a pas fait autre chose en refusant de fixer une échéance pour les négociations avec l’Iran, pour ajouter aussitôt que celles-ci ne dureraient pas une éternité. Il s’agit de formules diplomatiques vides de sens – les négociateurs européens, menés en bateau par les Iraniens depuis 2003, pourraient lui expliquer comment on fonctionne à Téhéran. La seule chose qui peut changer la donne, c’est l’intime conviction des dirigeants iraniens qu’effectivement, pour reprendre un mot du président américain Theodore Roosevelt, le type en face d’eux qui parle doucement porte un gros bâton.

Après ce premier round qui vient de s’achever à Washington tout se joue maintenant autour d’un enjeu intermédiaire – le lien entre les dossiers palestinien et iranien. Le linkage, comme on dit là-bas, a donc un avenir glorieux devant lui. Ce vocable a du reste un passé plus que respectable : il y a trente ans, pendant les négociations entre Israël et l’Egypte, le président Sadate avait exigé de son interlocuteur, l’Israélien Begin, que les avancées bilatérales des deux pays soient liées aux progrès accomplis sur le dossier palestinien. Le Caire savait qu’un accord séparé allait être encore plus difficile à vendre à l’opinion publique locale et arabe. Pendant quelques mois, ce fameux linkage avait fait le bonheur des chancelleries et des rédactions. Puis une formule salvatrice qui enterrait l’Etat palestinien au profit de « l’autonomie » avait finalement été concoctée.

Aujourd’hui, nous en sommes au même point ou presque. Pour Netanyahou comme pour Begin en son temps, il est essentiel que les dossiers palestinien et iranien soient traités séparément, tandis que pour Obama et les dirigeants arabes pro-occidentaux (Moubarak, Abdallah de Jordanie et Abdallah d’Arabie Saoudite) tout comme pour Carter et Sadate en 1978, le conflit israélo-palestinien est indissociable des autres problèmes. Si Shimon Peres – qui est intelligent malgré son âge avancé et dont on connaît le goût pour les formules qui noient le poisson – était en charge du dossier, il aurait sans doute parlé d' »unilatéralisme multilatéral », si ce n’est pas l’inverse.

Reste une seule question. Combien de temps Obama accordera-t-il à Netanyahou avant de lui poser des questions auxquelles il faudra répondre par « oui » ou par « non », et rapidement ? Avant de fixer une deadline à l’Iran, il est probable que la Maison-Blanche en imposera une à Israël. Finalement, si cela permet aux négociateurs américains de se mettre en jambes pour le grand jeu avec Téhéran, cette petite partie de poker n’aura pas été une perte de temps.

L’or du rein

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Pour ceux qui ne l’auraient pas remarqué, tout est dans Shakespeare. L’amour, la vie, la mort et le reste qui, en comparaison, est toujours futile. « A horse ! a horse ! my kingdom for a horse ! » Le cri que lance Richard III à Catesby dispense à lui seul de lire des bibliothèques entières de philosophie – et d’équitation. Pourtant, la fréquentation assidue de Shakespeare, et même de ses Sonnets dont on ne saura jamais à quelle dame ils étaient destinés, ne nous dispense pas de la lecture quotidienne de la presse : tout n’y est pas, mais on y trouve de tout.

Le 15 mai, le quotidien La Dépêche consacrait un article faussement fait-diversier à Alain Canovaro. Ce Toulousain de quarante-trois ans, enfant de la DDASS – ça ne gâche rien –, cherche un emploi depuis six mois. On comprend que les dernières années n’ont pas été, pour lui, de tout repos : rupture, déprime, départ à l’étranger et retour en France, poches vides, fins de mois difficiles surtout après le 1er du mois.

Lui vient alors sa chienne d’idée : il y a en France 6.000 patients qui attendent une greffe de rein, peut-être l’un d’entre eux sera patron ou en connaîtra un… Notre Toulousain y va. Il n’a pas Internet et demande à une amie de lui poster une annonce sur une dizaine de sites : « Échange rein contre emploi. » Non seulement cet homme est au fond, mais il a des « amis » qui l’enfoncent encore plus, sans le dissuader, l’arrêter et, au final, faire toujours ce qu’un vrai ami fait dans ces cas-là, débiter du Brel par cœur : « Non, Jef, t’es pas tout seul, mais arrête de pleurer, comme ça devant tout le monde parce qu’une demi-vieille, parce qu’une fausse blonde t’a relaissé tomber… » Du côté des Aminches sans frontière, qui ont le mérite d’avoir chez eux une connexion haut débit, y a des coups de pied au cul qui se perdent.

Les coups de tatane ne seraient pas non plus superflus pour certains de nos estimés confrères. À commencer par l’excellentissime journaliste de La Dépêche qui commence son article par un magnifique : « Alain Canovaro, 43 ans, est loin d’être un illuminé. Au contraire. Il a un sens aigu des réalités. » Si je comprends bien, pour avoir le sens des réalités, se faire amputer d’un rein suffit. Et la lucidité, c’est combien ? Il faut donner son cœur ou son cerveau ? De même, l’on passera très vite, par charité chrétienne, sur la notion de « don », de peur de réveiller Marcel Mauss.

Mais la palme – ou plutôt le bistouri d’Or – revient au Post. Le 15 mai, notre chômeur toulousain lance son cri désespéré et, trois jours plus tard, un branquignole d’investigation du Post – filiale numérique du quotidien Le Monde – l’appelle pour rédiger un articulet pas piqué des hannetons :

« Sur Le Post, Alain Canovaro fait le point trois jours après sa proposition :
– Où en êtes-vous ?
– Nulle part. Absolument nulle part. Je suis déçu, très déçu, presque dépité. »

Voilà un homme qui est au bout du bout. Pas de fric, pas de job, la déprime, le sentiment de déréliction, ce truc qui vous casse, vous empêche non seulement de dormir mais aussi de rester éveillé. Alain Canovaro, lui, le RMI, le RSA et le visage rubicond de Martin Hirsch, il n’en veut pas. En crèverait même d’être assisté. Et les ronds-de-cuir de notre presse libre et indépendante qui tournent autour de vous pour poser la question : alors, coco, trois jours après, on fait le point ? Non contents de le justifier dans sa douce folie – car c’est bien une folie désespérée que de proposer un organe contre un job –, ils l’enfoncent dans son désespoir. Messieurs, chers confrères, procurez-lui un flingue. Il n’a pas de fric pour les munitions. Qu’à cela ne tienne : la profession se cotisera pour la balle et n’aura pas l’indécence, malgré les maoïstes qu’elle compte à la pelle, de la facturer à sa famille.

Car le plus étrange – et le plus indigne dans cette histoire – est qu’il n’est venu à l’esprit de personne que le vrai scandale ne résidait pas dans l’absence de réponses favorables à la proposition d’Alain Canovaro, mais dans sa proposition-même.

Médiatiquement, je comprends mes confrères : ils vivent, sans en être eux-mêmes affectés, dans une mythologie de la crise lue chez Horace McCoy ou vue chez Stanley Kubrick : rien n’est plus vendeur que de commenter, le petit doigt levé, un remake de On achève bien les chevaux. Or, dans la vraie vie, il n’y pas de Robert et de Gloria, ni de marathons de danse, ni de gens qui crèvent au long des épreuves qui leur sont infligées : il y a de braves types, des Alain Canovaro, qui essaient de surnager, de se débrouiller, de ne pas sombrer dans l’indignité sociale même s’ils doivent payer le prix d’une indignité plus grande encore. Tout le reste n’est que diversion. On les voit, mes chers et bien-aimés confrères, condamner le « mourir pour Dantzig » de Marcel Déat, mais ne rien trouver du tout à redire face au « se dépecer pour un job » d’un type comme vous et moi.

Car mon brillant confrère de La Dépêche, ne trouve rien d’autre à faire, pour conclure son article, qu’agiter la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique : « On ne peut faire don d’un organe, de son vivant, qu’à un membre de sa famille ou à quelqu’un avec qui on vit depuis au moins deux ans. Sa proposition n’a donc aucune chance d’aboutir légalement. » Et la quasi-totalité de la presse nationale reprend l’info : « La loi s’y oppose. »

Bien, camarades. Mais face au désespoir d’un homme, quand on est un homme, ce n’est pas son Code civil que l’on ressort. Les Dalloz rouges n’ont jamais sauvé personne. La question n’est pas celle de la légalité ; elle n’est pas même un cas moral ou éthique, mais une affaire de civilisation, un point de détail, mais le point d’un détail qui s’appelle humanité.

La loi autoriserait-elle à faire commerce des organes ou des restes humains que cela ne changerait rien. D’ailleurs, Jean-Pierre Baud l’a montré dans L’Affaire de la main volée (Seuil, 1993) : le statut juridique des organes humains varie, d’une manière assez étonnante, au gré de l’histoire. La législation sur la bioéthique a beau être sous les projecteurs de l’actualité, puisque le Parlement a entamé sa révision : elle ne nous dispense pas d’avoir une conscience. Depuis quand les journalistes doivent-ils se comporter en petit greffier de tribunal d’instance, agiter de la loi bioéthique à longueur d’articles quand il s’agit en fin de compte, non pas de questions juridiques, mais de sentiments humains ?

Jean-Luc Nancy dans son très beau Corpus (Métaillé, 2000) et Jacques Derrida dans un de ses textes les plus extraordinaires, Le Toucher (Galilée, 2000) ont formulé le problème : notre impensé contemporain est celui de la « prise de corps », ce hoc est enim corpus meum, qui avait régenté la civilisation occidentale jusqu’à ce qu’elle perde trace de tout, jusqu’à la signification de cela. Or, comme le professait non seulement le sensualisme de Locke mais aussi tout l’aristotélisme (nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu), rien n’existe qui ne prenne corps. Rien n’existe qui ne soit corps. C’est une question si cruciale pour notre époque qu’on s’apercevra, d’ici huit ou neuf cents ans, qu’elle était en 1995 le centre de l’encyclique Evangelium Vitae, lorsque l’on aura proclamé docteurs de l’Eglise, Jean-Paul II et Benoît XVI.

On ne peut, en effet, résumer le problème de l’incarnation ni à la foi chrétienne en l’Incarnation, ni à la vulgate mécaniste – celle, par exemple, de Deleuze et Guattari : « Ça respire, ça chauffe, ça mange. Ça chie, ça baise. » Il y a quelque chose d’autre que cette mécanique fonctionnelle. Comment, au moment même où j’écris, ai-je besoin de mes doigts sur le clavier pour vous transmettre ma pensée ? Dans les premiers chapitres de Sein und Zeit, Heidegger pousse le questionnement plus loin : comment le son qui sort de ma bouche, entrechoquant physiquement l’air, peut prendre corps pour devenir un message intelligible ? La dualité cartésienne entre la matière et l’esprit ne valent rien quand l’esprit a besoin de la matière pour se manifester.

Partant de là, et par d’abrupts et d’obscurs raccourcis, de multiples chemins qui ne mènent nulle part, on devrait s’en tenir, en matière bioéthique, à une seule règle : notre corps ne nous appartient pas. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je ne nie pas ici le slogan des féministes des années 1960 et suivantes. Je dis seulement que ce n’est là qu’un slogan, un manifeste politique, et qu’au-delà notre corps ne nous appartient pas. Même si vous ne croyez pas après saint Paul qu’il soit le temple de l’Esprit, il reste le temple de notre esprit. Nous n’existons pas sans notre corps, nous ne pouvons rien dire, voir, penser sans lui. Et pourtant, il n’est pas à nous. Il est, même les pieds sales, le propre de nous.

En étant le propre de nous, il échappe à toute notion de propriété. Il n’est ni négociable, ni soldable. Et notre civilisation s’est construite sur cette idée-là, quand on a considéré que le corps humain n’était pas un morceau de viande débitable en tranches à l’envi dans des pique-niques champêtres et anthropophages. Que tout soit commerce aujourd’hui, un objet d’échange et de troc, soit ! Mais là où nous aurons transformé jusqu’à notre fondement en part du CAC40, nous aurons perdu ce qui nous reste, une idée de l’homme. Et jamais nous ne pourrons désormais être Catesby, réconfortant comme il le peut Richard III sans toutefois le déposséder de son royaume : « Withdraw, my lord. I’ll help you to a horse. »

Corpus

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Transsexuels, l’Iran montre l’exemple

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France 5 a diffusé hier soir un documentaire étonnant consacré aux transsexuels iraniens. On y apprend que ceux-ci sont quasiment mieux traités là-bas que chez nous, où rappelons-le, jusqu’à la semaine dernière et au geste héroïque de Roselyne Bachelot, les transgenres étaient considérés comme des malades mentaux. Rien de tel en République Islamique, où les trans sont traités avec bienveillance par les autorités depuis que l’imam Khomeyni a promulgué une fatwa en leur faveur. Et si, dans l’indifférence totale des mouvement gays occidentaux, les homos standard restent passibles de la peine de mort du côté de Téhéran ou d’Ispahan, les hommes qui veulent changer de sexe peuvent, eux, le faire en toute légalité. Cela dit, devenir une femme au pays des mollahs, faut vraiment en avoir envie…