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Causeur 13

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Avec le numéro 13, Causeur fête le premier anniversaire de son mensuel. Depuis un an, il n’a cessé de progresser : pagination doublée et encore plus de textes inédits, autour d’un dossier central consacré ce mois-ci à la burqa.
En vous abonnant dès maintenant, vous recevrez le numéro de juillet avant votre départ. Un achat utile en cette saison, puisque le magazine une fois lu est entièrement recyclable, et peut être donné ou servir d’éventail, d’allume-barbecue voire de couvre-chef une fois plié, en cas de pluie. A votre retour de vacances (horresco referens) le numéro d’août vous attendra dans votre boîte à lettres pour vous consoler. Une dépense qui joint l’utile à l’agréable. Si vous préférez l’acheter au numéro, vous pouvez aussi le faire chez nos dépositaires actuels, la libraire Kléber à Strasbourg et Le seuil du jardin à Metz (la progression se fait par l’Est).

Une affaire pourrie

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Dans la polémique née du verdict prononcé à l’encontre des membres du « Gang des Barbares », tout met mal à l’aise : la satisfaction des uns, la consternation des autres – sans oublier les assertions définitives de tous ceux qui ne savent rien des deux mois de débats –, les propos de madame Halimi, aussi excusables soient-ils, ceux de l’avocat général Philippe Bilger – peut-être sortis de leur contexte.

Oublions les jeunes crétins qui se définissent comme « militants juifs » et se sont mis à agresser des Noirs au Palais de Justice, ils sont à vomir. L’intervention des associations juives n’a fait qu’alourdir l’atmosphère: appeler à manifester contre le verdict avant même que celui-ci soit connu, c’était intenter un procès en suspicion à la Justice de la République. Et il faudra m’expliquer ce que vient faire le Fonds social juif unifié dans cette affaire judiciaire[1. Quant à l’excellent Richard Prasquier, président du CRIF, qui a sans doute été soumis à de fortes pressions d’une « base » remontée, au moins a-t-il respecté les formes minimales en affirmant sa confiance dans la Justice.]. Quant au spectacle de « responsables communautaires » sommant le Garde des Sceaux d’ordonner au Parquet de faire appel et de celle-ci s’exécutant – pouvait-elle faire autrement ? –, il ne peut avoir que des effets dévastateurs dans l’opinion et en particulier dans la fraction de celle-ci qu’il s’agit de rééduquer, je parle de nos jeunes antisémites de banlieue[2. Que l’on m’épargne les accusations de stigmatisation, je ne parle ni de tous les jeunes ni de toute la banlieue.]. Ils pensaient que les juifs sont puissants et tirent les ficelles de la politique ? Ils ne sont pas près de réviser leur jugement. Surtout avec les bonnes âmes qui leur fourrent dans le crâne que si Ilan Halimi avait été arabe on n’en aurait pas fait tout ce foin (en omettant bien sûr de préciser que si Ilan Halimi avait été arabe, il n’aurait pas subi son calvaire).

L’empressement avec lequel certains ont contesté le verdict est franchement déplaisant. Il y a toujours quelque chose de déplaisant dans une foule qui réclame un châtiment plus sévère. Quelles sanctions fallait-il que la Cour prononce pour les satisfaire ? À ce que j’en ai compris, les peines prononcées prennent en compte le degré de connaissance que chacun des protagonistes avait de l’entreprise criminelle à laquelle il collaborait. Ceux qui protestent oublient qu’un tribunal juge des individus, pas des concepts. Ce n’était pas la Barbarie qui se trouvait dans le box des accusés mais des hommes et des femmes dont la vénalité, la sottise, la lâcheté, la brutalité et l’indifférence conjuguées ont abouti à la mort d’un jeune homme.

Certains auraient voulu que le procès Fofana fût celui de l’Antisémitisme. Que ce crime ait une forte dimension antisémite est incontestable. La Cour d’Assises l’a retenu comme circonstance aggravante dans deux cas. Ilan Halimi a été choisi parce qu’il était juif. Je ne sais pas s’il a été traité comme il l’a été (comme un objet, une source de profit potentiel) parce qu’il était juif et je ne sais pas si les débats ont permis de faire la lumière sur ce point. Mais quoi qu’il en soit, Fofana et ses comparses ne sont pas condamnés pour avoir torturé et tué « un juif », ils sont condamnés pour ce qu’ils ont fait à un homme. D’accord, me dira-t-on, mais si chez certains, l’idée qu’un juif n’est pas tout-à-fait un homme était en train de refaire surface ? Comment apprécier « la part » d’antisémitisme dans un crime ? Comment éviter de minimiser ? D’exagérer ?

Ne tombons pas dans le panneau, répond Bilger, peut-être entraîné trop loin par son goût pour la transgression. Si on en croit Le Figaro, l’avocat général est soucieux de distinguer « l’antisémitisme banal, ordinaire des cités, de la haine violente qui anime ce groupe ». Factuellement, c’est imparable, ce n’est pas pareil. Mais ce n’est pas une raison pour le dire. Dans la vraie vie, on est bien obligé de tenir compte de ce distingo : on ne va pas condamner tous les « antisémites banals, ordinaires, des cités », à perpète avec 22 ans de sûreté. Faut-il pour autant proclamer haut et fort que contre « l’antisémitisme banal », on ne sait pas quoi faire, ce qui revient à reconnaître qu’on le tolère ? Peut-on admettre en principe ce qu’on est obligé d’accepter dans les faits ? Est-on si sûr que les « antisémites banals » n’applaudissent pas aux sinistres exploits des antisémites meurtriers ? Bilger dit peut-être la vérité, mais il ferait mieux de la taire. Parce que de cette vérité-là, on ne sait pas très bien quoi faire.

Certains avocats de la défense ne s’embarrassent pas de telles subtilités. Pour eux, c’est simple : antisémitisme, connais pas. Dans Le Monde, Gilles Antonowicz et Françoise Cotta, s’en prennent à Me Spizner, conseil de la famille Halimi qui, écrivent-ils, « n’a pas manqué d’appeler les jurés à se montrer d’une sévérité exemplaire de manière à vaincre une prétendue « culture antisémite de la banlieue » ». Comme chacun sait, cette « prétendue » culture est une pure invention. Et le reste est à l’avenant : « À vouloir ainsi instrumentaliser systématiquement et sans le moindre recul tous les fait divers à connotation éventuellement antisémite, réels ou supposés (souvenons-nous de « la fille du RER)[3. D’accord, souvenons-nous en, mais combien de vrais incidents pour ce faux ?], certains prennent le risque de raviver des braises qui ne demanderaient pourtant peut-être qu’à s’éteindre, écrivent encore les deux défenseurs des opprimés de nos cités. Ceux-là prennent le risque de faire se lever des communautés les unes contre les autres alors que, précisément, tous ces jeunes de Bagneux sont apparus soudés, tout au long de ce procès, par leur misère sociale, bien plus que par leurs origines ethniques ou religieuses. » Nous y voilà : s’ils sont criminels et antisémites, c’est parce qu’ils sont pauvres. Après la politique de l’excuse, la justice de l’excuse.

Tout cela fait beaucoup de questions et peu de réponses. C’est que dans cette pénible affaire, tous les arguments sont réversibles, ce qui signifie que tout le monde a raison et tort à la fois. Autant dire qu’il n’y a que des coups à prendre. J’ai néanmoins une certitude, c’est que si Ilan Halimi est sans doute mort parce qu’il était juif, il serait désastreux qu’il devînt le mort des juifs. Et, rappelons-le à ceux Qui semblent l’oublier, les tribunaux de la République jugent au nom du peuple français. De tout le peuple français.

Létalité réduite, mon oeil !

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D’après les associations de défense des droits de l’Homme, Joachim Gatti, le jeune homme ayant perdu un œil lors des manifestations de Montreuil lundi dernier serait le septième éborgné depuis 2002, date de l’introduction du flash-ball dans l’arsenal réglementaire de la Police. Nous ouvrons une parenthèse pour signaler à notre ami Karl Laske de Libération qu’on ne perd pas la vue quand on perd un seul œil. Néanmoins, ce flash-ball semble beaucoup plus dangereux qu’il était censé l’être. Il arrivera bien un jour ou sa « létalité atténuée » fera un mort pour de bon. J’en déduis donc qu’il faut supprimer le flash-ball et équiper immédiatement tous les policiers anti-émeutes de Taser. Ou alors j’ai pas tout compris.

Nous voulons une loi anti-oreillette !

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Hier, le Tour de France avait proscrit les fameuses oreillettes qui permettent aux coureurs de communiquer avec les directeurs sportifs. Quatorze de ces derniers, emmenés par Johann Bruyneel, de l’équipe Astana, avaient pourtant déposé une pétition afin que cette expérience, qui doit être renouvelée vendredi, n’ait surtout pas lieu.

Les dirlos veulent continuer à contrôler les faits et gestes de leurs coureurs et ils ne souhaitent pas que les téléspectateurs aient la moindre occasion de s’apercevoir que le sport cycliste a perdu depuis que ces satanés appareils ont fait leur entrée dans les orifices auditifs des participants de la Grande Boucle. Qu’est ce qu’il est devenu chiant, le Tour de France, depuis que les coureurs sont munis de cette laisse, devenant les animaux dociles de leurs manageurs. Non contents de les avoir chargés pendant des années, et de les avoir contraints, de ce fait, à se plier à un système anti-dopage assimilable à du contrôle judiciaire puissance dix[1. Les coureurs cyclistes doivent donner aux autorités sportives tout leur agenda afin d’être contrôlable n’importe où, n’importe quand.], les patrons d’équipe souhaitent continuer d’utiliser l’oreillette afin de se servir de leurs pions comme ils l’entendent.

On me dira : « Il faut vivre avec son temps ! Encore une fois, tu refuses la modernité ! Archaïque ! Nostalgique ! Ringard ! Passéiste ! ». Admettons. Mais alors, pourquoi obliger encore les coureurs cyclistes à grimper des cols hors-catégorie sans le concours du moindre moteur à explosion ? Par souci écologique ? On peut très bien interdire des innovations technologiques si on considère qu’elles apportent plus d’inconvénients que d’avantages. Et c’est le cas en l’espèce. Les sportifs sont bridés. Il n’y a presque plus d’initiatives personnelles. Tout est sous contrôle.

Pourquoi aborder ce thème dans un carnet politique, alors ? Parce que c’est un sujet éminemment politique. Cette société sous contrôle, beurk ! Imagine t-on que ce procédé soit étendu dans l’entreprise ? Et ne remarquons-nous pas que les présentateurs télé[2. Je n’ose appeler journaliste une personne affublée de cet appareillage humiliant.] en sont munis depuis quelque temps déjà ? À quand le tour des personnalités politiques qu’ils interrogent ? Vous imaginez un débat de finalistes à la présidentielle, en 2017 ou même dès 2012, où les principaux protagonistes utiliseraient des oreillettes ? En sommes-nous si loin ?

J’espère donc que la direction du Tour mettra cette pétition à sa juste place, c’est à dire au panier. Mais par dessus tout, j’ai envie que, par la suite, appréciant ces deux jours sans laisse-de-chienchien, les cyclistes fassent avaler les oreillettes, et sans condiment, à Bruyneel et consorts. Mais je rêve, sans doute[3. Effectivement, je rêve. Hier, lors de cette étape, les coureurs des quatorze équipes en question furent d’une docilité exemplaire, tronquant la course et la rendant davantage ennuyeuse que d’habitude. Ils ont ainsi bien relayé le message de leurs maîtres : « Vous voyez bien que c’est sans oreillette que la course est plus emmerdante ».]

La honte et la culpabilité racontées à ma fille

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Ces dernières années, films et livres nous dévoilent l’autre face de la Seconde Guerre mondiale – la face allemande. Que ce soit le bon et courageux Claus von Stauffenberg dans Walkyrie incarnant ceux qui résistaient à Hitler ou Une femme à Berlin qui raconte les exactions de l’Armée Rouge durant les premières semaines qui ont suivi la fin de la guerre, ces histoires – et leur accueil – tendent à élargir le camp des victimes de cette guerre pour y inclure presque tout le monde. Obama n’avait-il pas choisi pour sa première visite en Europe de se rendre sur les plages du Débarquement, à Dachau mais aussi à Dresde ?

Dans Le Liseur, Stephen Daldry, le metteur en scène (Billy Elliot, the Hours), et David Hare le scénariste (The Hours) se livrent à une énième « problématisation » de notre relation à ce lourd passé. Avec beaucoup de talent et une maîtrise parfaite du septième art, ce duo malin arrive à jouer un sacré tour aux spectateurs : les faire craquer pour une ancienne gardienne d’Auschwitz. Le fait que celle-ci est interprétée par Kate Winslet peut effectivement être considéré comme une circonstance atténuante, mais la manipulation reste flagrante.

L’idée de Bernhard Schlink, l’auteur du roman éponyme dont est tiré le film, n’est pas tout-à-fait de la première fraîcheur mais elle marche toujours : un secret intime se superpose à une énigme de l’Histoire, la grande, la vraie. Et nous voilà donc emballés par Hanna Schmitz, une jeune et belle Allemande de la classe ouvrière qui a quelque chose de terrible et honteux à cacher. À vrai dire, dans l’Allemagne de 1958, les gens portant un passé inavouable ne manquent pas. Mais chez elle, et c’est là que le mélo arrive, tout a commencé par une histoire en minuscule, celle de la rencontre entre un adolescent de 15 ans, Michael Berg (David Kross), et une femme mure. Amour d’un été, initiation pour lui, vieille blessure chez elle – on connaît. Que cette dame adore qu’on lui fasse la lecture des grands classiques de la littérature mondiale est intéressant voire prometteur – on connaît au moins une liseuse (Miou-Miou dans La Lectrice de Michel Deville). Mais il ne s’agit pas ici de l’érotisme de la littérature mais de l’édification du lecteur à grand coup de pathos historique. Et là, ça coince. Si l’objectif était de porter un regard nouveau sur le rapport entre la « génération née innocente » et celle de ses parents, c’est raté.

Winslet incarne à merveille la femme hantée qui assouvit son besoin d’amour dans une histoire sans avenir avec un adolescent. Elle est moins convaincante dans le rôle de la brute, capable de pleurer quand on lui lit un roman et imperméable à la souffrance humaine concrète. Ouvrière chez Siemens engagée dans la SS, elle laisse de marbre quand elle commet les pires horreurs pour sauver la face. Bref, on n’y croit pas. Et sur ce sujet, le kitsch est insupportable. L’adolescent, ses rapports avec sa famille, sont tout aussi ratés.

Résultat, Le liseur ne parvient à être ni une histoire d’amour non-conventionnelle ni un examen de conscience. La superficialité et le scénario défaillant sont cachés sous d’épaisses couches de sentimentalisme et d’esthétisme. La volonté de faire un blockbuster estampillé « grande œuvre » transpire à chaque plan.

Dans The Hours, le tandem Daldry-Hare nous a déjà servi ce plat : la vie de Virginia Woolf racontée par des Anglais, des vrais. Il semble que les deux larrons cinématographiques qui ont trouvé le sésame de la grotte d’Ali-Baba viennent de récidiver. Avec eux, la vulgarisation tourne au vulgaire, manifeste par exemple dans le fait que certains acteurs parlent la langue de Shakespeare avec l’accent de Goethe ou par le recours à Bruno Ganz pour interpréter le superficiel et pseudo-intellectuel professeur de droit. Il faut dire que la formule semble gagnante. Avec The Hours, Nicole Kidman a décroché l’Oscar pour le meilleur rôle féminin et Le Liseur a rendu le même fier service à Kate Winslet. Ou peut-être pas. Car l’héroïne de Titanic a été celle d’un véritable chef-d’œuvre, Les Noces rebelles (Revolutionary road), de Sam Mendes – malheureusement passé relativement inaperçu.

Au bout du compte, les auteurs de ce film nous poussent à donner l’absolution à une gardienne d’Auschwitz sans nous faire avancer d’un millimètre dans la compréhension de ce trou noir de l’Histoire occidentale. Juste pour les beaux yeux de Ralph Fiennes. Et ça, ça méritait bien un Oscar.

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Merci pour le chocolat

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On savait que l’abus de bonnes choses était réputé dangereux pour la santé, mais on pensait que c’était même pas vrai. Va falloir bouger. Un brave travailleur américain a connu une mort atroce, nous apprend CBS News, en se noyant au fond d’une cuve pleine de chocolat bouillant sur son lieu de travail, dans une usine de Camden, dans le New Jersey. Vincent Smith, 29 ans, remplissait une cuve de chocolat de 2,50 m de profondeur et est accidentellement tombé à l’intérieur. Ses collègues de Cocoa Services n’ont rien pu faire pour lui. A quand un avertissement « Le chocolat tue » sur les tablettes ?

Sans papiers, mais pas sans articles

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Nos comptes ne sont pas forcément à jour, mais c’est au moins le quinzième article que Libération consacre aux sans-papiers de la rue Charlot depuis le 24 juin, date à laquelle la CGT, en accord avec les autres organisations syndicales, les a expulsés de la Bourse du Travail. Vous aurez même droit, en allant sur liberation.fr, à un magnifique diaporama, avec des belles couleurs et du pathos dégoulinant partout. Mais c’est pas ça qui leur trouvera un toit, aux expulsés. Remarquez, moi, j’ai comme une idée de relogement provisoire. La rue Béranger, où sont les bureaux de Libé, c’est à moins de 200 mètres de là. Nul doute qu’on les y accueillera à bras ouverts…

Gouvernement : deuxième démarque

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Jamais on ne m’a refusé un seul article. Sauf une fois. J’avais fait un reportage sur l’industrie agro-alimentaire et ses rapports avec les militants de la cause animale. Comme le lobby agro-alimentaire veille scrupuleusement sur tout et que les amis des bêtes font le reste, mon rédacteur en chef me convoqua.

– Ton papier ne passera pas. Tu ne peux pas écrire noir sur blanc que « le yorkshire entre dans la composition des confiseries industrielles et qu’on y retrouve aussi du hamster ». Ce n’est pas crédible, Trudi.

Il caressa d’une main son tout nouveau chat persan, puis croqua dans une barre chocolatée, avant de conclure : « Et je tiens à souligner qu’il n’y a eu aucune pression. » Je n’en ai pas fait tout un fromage. Pour la bonne raison que je n’avais aucune preuve à l’époque que le beauceron et l’épagneul breton étaient des ingrédients prisés pour le camembert. Et je suis retournée à mon bureau écrire un énième papier sur un sujet dont je sais mes lecteurs allemands friands : « Hitler pétomane. »

La semaine dernière, pour la deuxième fois de ma carrière, je viens de me voir refuser un article. Il portait sur le remaniement du gouvernement français, celui auquel l’Elysée envisage de procéder après le 14 juillet. Je ne faisais que répéter ce que j’avais lu dans la presse française : Nicolas Sarkozy entendrait ajuster le tir en nommant cinq ou six nouveaux ministres et secrétaires d’Etat pour compléter le remaniement du 23 juin. Les noms de Frédéric Lefebvre, Maurice Leroy (qui est le père de Jérôme Leroy, c’est marqué dessus, ça ne peut pas tromper) ou Claude Allègre sont évoqués.

Pour expliquer à mes lecteurs allemands cette manœuvre un peu inédite où des ministres viennent s’ajouter à d’autres tous les quinze jours, je filai tout au long de mon article la métaphore des soldes : première démarque, deuxième démarque… Puis, emportée dans mon élan, j’en vins à poser la question qui tue : la hauteur du rabais consenti n’emporte-t-elle pas avec elle la qualité des biens soldés ?

Essayez de vous acheter une jupe soldée en deuxième démarque. Certes, le prix sera au rendez-vous et vous aurez encore le choix de la taille : soit 36, soit 72. Mais la coupe, on la croirait réalisée par une petite main parkinsonienne. Quant à la couleur de l’imprimé, même un daltonien ne serait pas assez débile pour en vouloir. Enfin, il faut relativiser. J’ai moi-même acheté en juillet 1982 un chemisier soldé trois fois rien rue de Rivoli : découpé en carrés, je n’ai jamais trouvé mieux pour faire mes vitres.

Dans la fringue comme en politique, je vous déconseille la deuxième démarque. La troisième, je ne vous en parle même pas.

On m’informe justement que Michel Rocard n’a pas rejoint le gouvernement, mais que ce serait tout comme. Il travaillerait – mais l’information mériterait d’être vraiment vérifiée – à un plan de relance… Vu la façon dont il a relancé l’économie française lorsqu’il était Premier ministre, ça devrait être grandiose : on ne peut pas se planter aussi magistralement deux fois.

Mon rédacteur en chef m’a donc refusé l’article. Contemplant d’un œil ému la Rolex qui rutilait neuve à son poignet, il m’a dit : « Non, Trudi, ce n’est pas crédible, cette affaire de remaniements à répétition. Et, crois-moi, je n’ai subi aucune pression. »

Ségolène féodale

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Philippe Muray avait, hier après-midi, l’humeur rigolarde. Il a ri si fort que sa gorge déployée a chassé en un souffle les nuages que la Météorologie nationale avait installés sur Paris. Il fit beau. Avoir raison post mortem mérite bien un petit miracle.

Lorsqu’il publia Le Sourire à visage humain, on s’était dit que Philippe Muray y était allé un peu fort. Le pamphlet a beau avoir sa loi propre, toujours celle de l’hyperbole et de l’exagération, il faut tirer la réalité par les cheveux pour consacrer un livre entier à un objet aussi anodin que le sourire de Ségolène Royal. Elle ne rit pas, nous disait Muray, mais sourit : « C’est un sourire de salut public, comme il y a des gouvernements du même nom. C’est évidemment le contraire d’un rire. Ce sourire-là n’a jamais ri et ne rira jamais, il n’est pas là pour ça. Ce n’est pas le sourire de la joie, c’est celui qui se lève après la fin du deuil de tout. Les thanatopracteurs l’imitent très bien quand ils font la toilette d’un cher disparu. »

Or, lefigaro.fr publie dimanche après-midi un article de Flore Galaud nous apprenant que Ségolène Royal aurait tout fait pour que le rappeur Orelsan soit déprogrammé des Francofolies de La Rochelle. C’est Jean-Louis Foulquier qui a vendu la mèche : « Ségolène Royal s’est positionnée en maître-chanteuse : ou il arrêtait la programmation, ou il n’avait plus de subventions. »

L’affaire se corse quand on apprend que le chanteur Cali, supporter number one de la présidente de Poitou-Charente, poussait quelques jours auparavant des cries d’orfraie et criait à la censure honteuse. Pas de bol, c’est son ex-future présidente de copine qui a fait le coup. Condoléances.

Cali vient de découvrir ce que Philippe Muray avait décelé avant tout le monde : Ségolène Royal ne rit pas. On ne rit pas avec Ségolène Royal. Quand elle veut censurer, elle censure, et adopte des pratiques qui relèvent du pire féodalisme politique : le chantage aux subventions.

En bref, les heures les plus sombres de notre histoire sont revenues. À Orange et Vitrolles, le Front national voulait contrôler la culture et menaçait les structures culturelles de suspendre leurs subsides. On avait vu alors cent mille comités vigilants et citoyens éclore partout en France. Où sont aujourd’hui les Fronts républicains pour défendre la Culture en danger ? Quand est-ce qu’on signe la pétition ?

Ne pas aimer Orelsan est une chose. Le faire déprogrammer d’un festival en agissant en douce en est une autre. En matière culturelle, c’est la doctrine Malraux qui jusqu’alors avait largement prévalu en République : ni les pouvoirs publics ni les élus n’ont à intervenir dans la programmation d’un festival ou d’une institution culturelle. C’est un pacte tacite qui prévalait, des hautes sphères de la rue de Valois jusqu’au plus petit festival d’été du plus reculé village de France.

Dont acte. Ségolène Royal sait ce qui est bon pour le pays – et on le lui concède volontiers, puisque les socialistes l’ont choisie comme candidate en 2007. Elle sait également ce qui est aimable ou méprisable en matière artistique. Elle n’a pas été élue présidente : la voilà disc jockey. On a, de Charybde en Scylla, les compensations qu’on peut.

Du bois dont on fait les pipes

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L’écologie, et encore plus la décroissance, ont toujours eu un petit côté curé puritain assez désagréable et l’idée de devoir vivre selon les préceptes de Thoreau pourrait même assez vite virer au cauchemar. La simplicité volontaire, si elle signifie un monde couvert de villages où l’on fait ses besoins dans des toilettes sèches, où l’on doit porter des pulls qui grattent et ne jamais manger de viande, on s’en passera très bien. Ceci étant dit, une association norvégienne, Fuck for the forest (FFF, à ne pas confondre avec Fédération Française de Foutebaule), pourrait nous faire changer d’avis. Ce site Internet propose en effet un contenu gentiment pornographique (amateurs cabriolant joyeusement dans les bois) mais payant. Les profits engendrés par ce voyeurisme vert sont reversés intégralement à diverses associations s’occupant de reboisement dans des pays comme l’Equateur ou le Costa Rica. Quand la zone protégée se confond avec la zone érogène, on ne peut qu’adhérer au slogan de Fuck for the forest, premier site d’environmental porn : « Sauver la planète est sexy ! »

Causeur 13

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Avec le numéro 13, Causeur fête le premier anniversaire de son mensuel. Depuis un an, il n’a cessé de progresser : pagination doublée et encore plus de textes inédits, autour d’un dossier central consacré ce mois-ci à la burqa.
En vous abonnant dès maintenant, vous recevrez le numéro de juillet avant votre départ. Un achat utile en cette saison, puisque le magazine une fois lu est entièrement recyclable, et peut être donné ou servir d’éventail, d’allume-barbecue voire de couvre-chef une fois plié, en cas de pluie. A votre retour de vacances (horresco referens) le numéro d’août vous attendra dans votre boîte à lettres pour vous consoler. Une dépense qui joint l’utile à l’agréable. Si vous préférez l’acheter au numéro, vous pouvez aussi le faire chez nos dépositaires actuels, la libraire Kléber à Strasbourg et Le seuil du jardin à Metz (la progression se fait par l’Est).

Une affaire pourrie

261

Dans la polémique née du verdict prononcé à l’encontre des membres du « Gang des Barbares », tout met mal à l’aise : la satisfaction des uns, la consternation des autres – sans oublier les assertions définitives de tous ceux qui ne savent rien des deux mois de débats –, les propos de madame Halimi, aussi excusables soient-ils, ceux de l’avocat général Philippe Bilger – peut-être sortis de leur contexte.

Oublions les jeunes crétins qui se définissent comme « militants juifs » et se sont mis à agresser des Noirs au Palais de Justice, ils sont à vomir. L’intervention des associations juives n’a fait qu’alourdir l’atmosphère: appeler à manifester contre le verdict avant même que celui-ci soit connu, c’était intenter un procès en suspicion à la Justice de la République. Et il faudra m’expliquer ce que vient faire le Fonds social juif unifié dans cette affaire judiciaire[1. Quant à l’excellent Richard Prasquier, président du CRIF, qui a sans doute été soumis à de fortes pressions d’une « base » remontée, au moins a-t-il respecté les formes minimales en affirmant sa confiance dans la Justice.]. Quant au spectacle de « responsables communautaires » sommant le Garde des Sceaux d’ordonner au Parquet de faire appel et de celle-ci s’exécutant – pouvait-elle faire autrement ? –, il ne peut avoir que des effets dévastateurs dans l’opinion et en particulier dans la fraction de celle-ci qu’il s’agit de rééduquer, je parle de nos jeunes antisémites de banlieue[2. Que l’on m’épargne les accusations de stigmatisation, je ne parle ni de tous les jeunes ni de toute la banlieue.]. Ils pensaient que les juifs sont puissants et tirent les ficelles de la politique ? Ils ne sont pas près de réviser leur jugement. Surtout avec les bonnes âmes qui leur fourrent dans le crâne que si Ilan Halimi avait été arabe on n’en aurait pas fait tout ce foin (en omettant bien sûr de préciser que si Ilan Halimi avait été arabe, il n’aurait pas subi son calvaire).

L’empressement avec lequel certains ont contesté le verdict est franchement déplaisant. Il y a toujours quelque chose de déplaisant dans une foule qui réclame un châtiment plus sévère. Quelles sanctions fallait-il que la Cour prononce pour les satisfaire ? À ce que j’en ai compris, les peines prononcées prennent en compte le degré de connaissance que chacun des protagonistes avait de l’entreprise criminelle à laquelle il collaborait. Ceux qui protestent oublient qu’un tribunal juge des individus, pas des concepts. Ce n’était pas la Barbarie qui se trouvait dans le box des accusés mais des hommes et des femmes dont la vénalité, la sottise, la lâcheté, la brutalité et l’indifférence conjuguées ont abouti à la mort d’un jeune homme.

Certains auraient voulu que le procès Fofana fût celui de l’Antisémitisme. Que ce crime ait une forte dimension antisémite est incontestable. La Cour d’Assises l’a retenu comme circonstance aggravante dans deux cas. Ilan Halimi a été choisi parce qu’il était juif. Je ne sais pas s’il a été traité comme il l’a été (comme un objet, une source de profit potentiel) parce qu’il était juif et je ne sais pas si les débats ont permis de faire la lumière sur ce point. Mais quoi qu’il en soit, Fofana et ses comparses ne sont pas condamnés pour avoir torturé et tué « un juif », ils sont condamnés pour ce qu’ils ont fait à un homme. D’accord, me dira-t-on, mais si chez certains, l’idée qu’un juif n’est pas tout-à-fait un homme était en train de refaire surface ? Comment apprécier « la part » d’antisémitisme dans un crime ? Comment éviter de minimiser ? D’exagérer ?

Ne tombons pas dans le panneau, répond Bilger, peut-être entraîné trop loin par son goût pour la transgression. Si on en croit Le Figaro, l’avocat général est soucieux de distinguer « l’antisémitisme banal, ordinaire des cités, de la haine violente qui anime ce groupe ». Factuellement, c’est imparable, ce n’est pas pareil. Mais ce n’est pas une raison pour le dire. Dans la vraie vie, on est bien obligé de tenir compte de ce distingo : on ne va pas condamner tous les « antisémites banals, ordinaires, des cités », à perpète avec 22 ans de sûreté. Faut-il pour autant proclamer haut et fort que contre « l’antisémitisme banal », on ne sait pas quoi faire, ce qui revient à reconnaître qu’on le tolère ? Peut-on admettre en principe ce qu’on est obligé d’accepter dans les faits ? Est-on si sûr que les « antisémites banals » n’applaudissent pas aux sinistres exploits des antisémites meurtriers ? Bilger dit peut-être la vérité, mais il ferait mieux de la taire. Parce que de cette vérité-là, on ne sait pas très bien quoi faire.

Certains avocats de la défense ne s’embarrassent pas de telles subtilités. Pour eux, c’est simple : antisémitisme, connais pas. Dans Le Monde, Gilles Antonowicz et Françoise Cotta, s’en prennent à Me Spizner, conseil de la famille Halimi qui, écrivent-ils, « n’a pas manqué d’appeler les jurés à se montrer d’une sévérité exemplaire de manière à vaincre une prétendue « culture antisémite de la banlieue » ». Comme chacun sait, cette « prétendue » culture est une pure invention. Et le reste est à l’avenant : « À vouloir ainsi instrumentaliser systématiquement et sans le moindre recul tous les fait divers à connotation éventuellement antisémite, réels ou supposés (souvenons-nous de « la fille du RER)[3. D’accord, souvenons-nous en, mais combien de vrais incidents pour ce faux ?], certains prennent le risque de raviver des braises qui ne demanderaient pourtant peut-être qu’à s’éteindre, écrivent encore les deux défenseurs des opprimés de nos cités. Ceux-là prennent le risque de faire se lever des communautés les unes contre les autres alors que, précisément, tous ces jeunes de Bagneux sont apparus soudés, tout au long de ce procès, par leur misère sociale, bien plus que par leurs origines ethniques ou religieuses. » Nous y voilà : s’ils sont criminels et antisémites, c’est parce qu’ils sont pauvres. Après la politique de l’excuse, la justice de l’excuse.

Tout cela fait beaucoup de questions et peu de réponses. C’est que dans cette pénible affaire, tous les arguments sont réversibles, ce qui signifie que tout le monde a raison et tort à la fois. Autant dire qu’il n’y a que des coups à prendre. J’ai néanmoins une certitude, c’est que si Ilan Halimi est sans doute mort parce qu’il était juif, il serait désastreux qu’il devînt le mort des juifs. Et, rappelons-le à ceux Qui semblent l’oublier, les tribunaux de la République jugent au nom du peuple français. De tout le peuple français.

Létalité réduite, mon oeil !

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D’après les associations de défense des droits de l’Homme, Joachim Gatti, le jeune homme ayant perdu un œil lors des manifestations de Montreuil lundi dernier serait le septième éborgné depuis 2002, date de l’introduction du flash-ball dans l’arsenal réglementaire de la Police. Nous ouvrons une parenthèse pour signaler à notre ami Karl Laske de Libération qu’on ne perd pas la vue quand on perd un seul œil. Néanmoins, ce flash-ball semble beaucoup plus dangereux qu’il était censé l’être. Il arrivera bien un jour ou sa « létalité atténuée » fera un mort pour de bon. J’en déduis donc qu’il faut supprimer le flash-ball et équiper immédiatement tous les policiers anti-émeutes de Taser. Ou alors j’ai pas tout compris.

Nous voulons une loi anti-oreillette !

33

Hier, le Tour de France avait proscrit les fameuses oreillettes qui permettent aux coureurs de communiquer avec les directeurs sportifs. Quatorze de ces derniers, emmenés par Johann Bruyneel, de l’équipe Astana, avaient pourtant déposé une pétition afin que cette expérience, qui doit être renouvelée vendredi, n’ait surtout pas lieu.

Les dirlos veulent continuer à contrôler les faits et gestes de leurs coureurs et ils ne souhaitent pas que les téléspectateurs aient la moindre occasion de s’apercevoir que le sport cycliste a perdu depuis que ces satanés appareils ont fait leur entrée dans les orifices auditifs des participants de la Grande Boucle. Qu’est ce qu’il est devenu chiant, le Tour de France, depuis que les coureurs sont munis de cette laisse, devenant les animaux dociles de leurs manageurs. Non contents de les avoir chargés pendant des années, et de les avoir contraints, de ce fait, à se plier à un système anti-dopage assimilable à du contrôle judiciaire puissance dix[1. Les coureurs cyclistes doivent donner aux autorités sportives tout leur agenda afin d’être contrôlable n’importe où, n’importe quand.], les patrons d’équipe souhaitent continuer d’utiliser l’oreillette afin de se servir de leurs pions comme ils l’entendent.

On me dira : « Il faut vivre avec son temps ! Encore une fois, tu refuses la modernité ! Archaïque ! Nostalgique ! Ringard ! Passéiste ! ». Admettons. Mais alors, pourquoi obliger encore les coureurs cyclistes à grimper des cols hors-catégorie sans le concours du moindre moteur à explosion ? Par souci écologique ? On peut très bien interdire des innovations technologiques si on considère qu’elles apportent plus d’inconvénients que d’avantages. Et c’est le cas en l’espèce. Les sportifs sont bridés. Il n’y a presque plus d’initiatives personnelles. Tout est sous contrôle.

Pourquoi aborder ce thème dans un carnet politique, alors ? Parce que c’est un sujet éminemment politique. Cette société sous contrôle, beurk ! Imagine t-on que ce procédé soit étendu dans l’entreprise ? Et ne remarquons-nous pas que les présentateurs télé[2. Je n’ose appeler journaliste une personne affublée de cet appareillage humiliant.] en sont munis depuis quelque temps déjà ? À quand le tour des personnalités politiques qu’ils interrogent ? Vous imaginez un débat de finalistes à la présidentielle, en 2017 ou même dès 2012, où les principaux protagonistes utiliseraient des oreillettes ? En sommes-nous si loin ?

J’espère donc que la direction du Tour mettra cette pétition à sa juste place, c’est à dire au panier. Mais par dessus tout, j’ai envie que, par la suite, appréciant ces deux jours sans laisse-de-chienchien, les cyclistes fassent avaler les oreillettes, et sans condiment, à Bruyneel et consorts. Mais je rêve, sans doute[3. Effectivement, je rêve. Hier, lors de cette étape, les coureurs des quatorze équipes en question furent d’une docilité exemplaire, tronquant la course et la rendant davantage ennuyeuse que d’habitude. Ils ont ainsi bien relayé le message de leurs maîtres : « Vous voyez bien que c’est sans oreillette que la course est plus emmerdante ».]

La honte et la culpabilité racontées à ma fille

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Ces dernières années, films et livres nous dévoilent l’autre face de la Seconde Guerre mondiale – la face allemande. Que ce soit le bon et courageux Claus von Stauffenberg dans Walkyrie incarnant ceux qui résistaient à Hitler ou Une femme à Berlin qui raconte les exactions de l’Armée Rouge durant les premières semaines qui ont suivi la fin de la guerre, ces histoires – et leur accueil – tendent à élargir le camp des victimes de cette guerre pour y inclure presque tout le monde. Obama n’avait-il pas choisi pour sa première visite en Europe de se rendre sur les plages du Débarquement, à Dachau mais aussi à Dresde ?

Dans Le Liseur, Stephen Daldry, le metteur en scène (Billy Elliot, the Hours), et David Hare le scénariste (The Hours) se livrent à une énième « problématisation » de notre relation à ce lourd passé. Avec beaucoup de talent et une maîtrise parfaite du septième art, ce duo malin arrive à jouer un sacré tour aux spectateurs : les faire craquer pour une ancienne gardienne d’Auschwitz. Le fait que celle-ci est interprétée par Kate Winslet peut effectivement être considéré comme une circonstance atténuante, mais la manipulation reste flagrante.

L’idée de Bernhard Schlink, l’auteur du roman éponyme dont est tiré le film, n’est pas tout-à-fait de la première fraîcheur mais elle marche toujours : un secret intime se superpose à une énigme de l’Histoire, la grande, la vraie. Et nous voilà donc emballés par Hanna Schmitz, une jeune et belle Allemande de la classe ouvrière qui a quelque chose de terrible et honteux à cacher. À vrai dire, dans l’Allemagne de 1958, les gens portant un passé inavouable ne manquent pas. Mais chez elle, et c’est là que le mélo arrive, tout a commencé par une histoire en minuscule, celle de la rencontre entre un adolescent de 15 ans, Michael Berg (David Kross), et une femme mure. Amour d’un été, initiation pour lui, vieille blessure chez elle – on connaît. Que cette dame adore qu’on lui fasse la lecture des grands classiques de la littérature mondiale est intéressant voire prometteur – on connaît au moins une liseuse (Miou-Miou dans La Lectrice de Michel Deville). Mais il ne s’agit pas ici de l’érotisme de la littérature mais de l’édification du lecteur à grand coup de pathos historique. Et là, ça coince. Si l’objectif était de porter un regard nouveau sur le rapport entre la « génération née innocente » et celle de ses parents, c’est raté.

Winslet incarne à merveille la femme hantée qui assouvit son besoin d’amour dans une histoire sans avenir avec un adolescent. Elle est moins convaincante dans le rôle de la brute, capable de pleurer quand on lui lit un roman et imperméable à la souffrance humaine concrète. Ouvrière chez Siemens engagée dans la SS, elle laisse de marbre quand elle commet les pires horreurs pour sauver la face. Bref, on n’y croit pas. Et sur ce sujet, le kitsch est insupportable. L’adolescent, ses rapports avec sa famille, sont tout aussi ratés.

Résultat, Le liseur ne parvient à être ni une histoire d’amour non-conventionnelle ni un examen de conscience. La superficialité et le scénario défaillant sont cachés sous d’épaisses couches de sentimentalisme et d’esthétisme. La volonté de faire un blockbuster estampillé « grande œuvre » transpire à chaque plan.

Dans The Hours, le tandem Daldry-Hare nous a déjà servi ce plat : la vie de Virginia Woolf racontée par des Anglais, des vrais. Il semble que les deux larrons cinématographiques qui ont trouvé le sésame de la grotte d’Ali-Baba viennent de récidiver. Avec eux, la vulgarisation tourne au vulgaire, manifeste par exemple dans le fait que certains acteurs parlent la langue de Shakespeare avec l’accent de Goethe ou par le recours à Bruno Ganz pour interpréter le superficiel et pseudo-intellectuel professeur de droit. Il faut dire que la formule semble gagnante. Avec The Hours, Nicole Kidman a décroché l’Oscar pour le meilleur rôle féminin et Le Liseur a rendu le même fier service à Kate Winslet. Ou peut-être pas. Car l’héroïne de Titanic a été celle d’un véritable chef-d’œuvre, Les Noces rebelles (Revolutionary road), de Sam Mendes – malheureusement passé relativement inaperçu.

Au bout du compte, les auteurs de ce film nous poussent à donner l’absolution à une gardienne d’Auschwitz sans nous faire avancer d’un millimètre dans la compréhension de ce trou noir de l’Histoire occidentale. Juste pour les beaux yeux de Ralph Fiennes. Et ça, ça méritait bien un Oscar.

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Merci pour le chocolat

24

On savait que l’abus de bonnes choses était réputé dangereux pour la santé, mais on pensait que c’était même pas vrai. Va falloir bouger. Un brave travailleur américain a connu une mort atroce, nous apprend CBS News, en se noyant au fond d’une cuve pleine de chocolat bouillant sur son lieu de travail, dans une usine de Camden, dans le New Jersey. Vincent Smith, 29 ans, remplissait une cuve de chocolat de 2,50 m de profondeur et est accidentellement tombé à l’intérieur. Ses collègues de Cocoa Services n’ont rien pu faire pour lui. A quand un avertissement « Le chocolat tue » sur les tablettes ?

Sans papiers, mais pas sans articles

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Nos comptes ne sont pas forcément à jour, mais c’est au moins le quinzième article que Libération consacre aux sans-papiers de la rue Charlot depuis le 24 juin, date à laquelle la CGT, en accord avec les autres organisations syndicales, les a expulsés de la Bourse du Travail. Vous aurez même droit, en allant sur liberation.fr, à un magnifique diaporama, avec des belles couleurs et du pathos dégoulinant partout. Mais c’est pas ça qui leur trouvera un toit, aux expulsés. Remarquez, moi, j’ai comme une idée de relogement provisoire. La rue Béranger, où sont les bureaux de Libé, c’est à moins de 200 mètres de là. Nul doute qu’on les y accueillera à bras ouverts…

Gouvernement : deuxième démarque

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Jamais on ne m’a refusé un seul article. Sauf une fois. J’avais fait un reportage sur l’industrie agro-alimentaire et ses rapports avec les militants de la cause animale. Comme le lobby agro-alimentaire veille scrupuleusement sur tout et que les amis des bêtes font le reste, mon rédacteur en chef me convoqua.

– Ton papier ne passera pas. Tu ne peux pas écrire noir sur blanc que « le yorkshire entre dans la composition des confiseries industrielles et qu’on y retrouve aussi du hamster ». Ce n’est pas crédible, Trudi.

Il caressa d’une main son tout nouveau chat persan, puis croqua dans une barre chocolatée, avant de conclure : « Et je tiens à souligner qu’il n’y a eu aucune pression. » Je n’en ai pas fait tout un fromage. Pour la bonne raison que je n’avais aucune preuve à l’époque que le beauceron et l’épagneul breton étaient des ingrédients prisés pour le camembert. Et je suis retournée à mon bureau écrire un énième papier sur un sujet dont je sais mes lecteurs allemands friands : « Hitler pétomane. »

La semaine dernière, pour la deuxième fois de ma carrière, je viens de me voir refuser un article. Il portait sur le remaniement du gouvernement français, celui auquel l’Elysée envisage de procéder après le 14 juillet. Je ne faisais que répéter ce que j’avais lu dans la presse française : Nicolas Sarkozy entendrait ajuster le tir en nommant cinq ou six nouveaux ministres et secrétaires d’Etat pour compléter le remaniement du 23 juin. Les noms de Frédéric Lefebvre, Maurice Leroy (qui est le père de Jérôme Leroy, c’est marqué dessus, ça ne peut pas tromper) ou Claude Allègre sont évoqués.

Pour expliquer à mes lecteurs allemands cette manœuvre un peu inédite où des ministres viennent s’ajouter à d’autres tous les quinze jours, je filai tout au long de mon article la métaphore des soldes : première démarque, deuxième démarque… Puis, emportée dans mon élan, j’en vins à poser la question qui tue : la hauteur du rabais consenti n’emporte-t-elle pas avec elle la qualité des biens soldés ?

Essayez de vous acheter une jupe soldée en deuxième démarque. Certes, le prix sera au rendez-vous et vous aurez encore le choix de la taille : soit 36, soit 72. Mais la coupe, on la croirait réalisée par une petite main parkinsonienne. Quant à la couleur de l’imprimé, même un daltonien ne serait pas assez débile pour en vouloir. Enfin, il faut relativiser. J’ai moi-même acheté en juillet 1982 un chemisier soldé trois fois rien rue de Rivoli : découpé en carrés, je n’ai jamais trouvé mieux pour faire mes vitres.

Dans la fringue comme en politique, je vous déconseille la deuxième démarque. La troisième, je ne vous en parle même pas.

On m’informe justement que Michel Rocard n’a pas rejoint le gouvernement, mais que ce serait tout comme. Il travaillerait – mais l’information mériterait d’être vraiment vérifiée – à un plan de relance… Vu la façon dont il a relancé l’économie française lorsqu’il était Premier ministre, ça devrait être grandiose : on ne peut pas se planter aussi magistralement deux fois.

Mon rédacteur en chef m’a donc refusé l’article. Contemplant d’un œil ému la Rolex qui rutilait neuve à son poignet, il m’a dit : « Non, Trudi, ce n’est pas crédible, cette affaire de remaniements à répétition. Et, crois-moi, je n’ai subi aucune pression. »

Ségolène féodale

384

Philippe Muray avait, hier après-midi, l’humeur rigolarde. Il a ri si fort que sa gorge déployée a chassé en un souffle les nuages que la Météorologie nationale avait installés sur Paris. Il fit beau. Avoir raison post mortem mérite bien un petit miracle.

Lorsqu’il publia Le Sourire à visage humain, on s’était dit que Philippe Muray y était allé un peu fort. Le pamphlet a beau avoir sa loi propre, toujours celle de l’hyperbole et de l’exagération, il faut tirer la réalité par les cheveux pour consacrer un livre entier à un objet aussi anodin que le sourire de Ségolène Royal. Elle ne rit pas, nous disait Muray, mais sourit : « C’est un sourire de salut public, comme il y a des gouvernements du même nom. C’est évidemment le contraire d’un rire. Ce sourire-là n’a jamais ri et ne rira jamais, il n’est pas là pour ça. Ce n’est pas le sourire de la joie, c’est celui qui se lève après la fin du deuil de tout. Les thanatopracteurs l’imitent très bien quand ils font la toilette d’un cher disparu. »

Or, lefigaro.fr publie dimanche après-midi un article de Flore Galaud nous apprenant que Ségolène Royal aurait tout fait pour que le rappeur Orelsan soit déprogrammé des Francofolies de La Rochelle. C’est Jean-Louis Foulquier qui a vendu la mèche : « Ségolène Royal s’est positionnée en maître-chanteuse : ou il arrêtait la programmation, ou il n’avait plus de subventions. »

L’affaire se corse quand on apprend que le chanteur Cali, supporter number one de la présidente de Poitou-Charente, poussait quelques jours auparavant des cries d’orfraie et criait à la censure honteuse. Pas de bol, c’est son ex-future présidente de copine qui a fait le coup. Condoléances.

Cali vient de découvrir ce que Philippe Muray avait décelé avant tout le monde : Ségolène Royal ne rit pas. On ne rit pas avec Ségolène Royal. Quand elle veut censurer, elle censure, et adopte des pratiques qui relèvent du pire féodalisme politique : le chantage aux subventions.

En bref, les heures les plus sombres de notre histoire sont revenues. À Orange et Vitrolles, le Front national voulait contrôler la culture et menaçait les structures culturelles de suspendre leurs subsides. On avait vu alors cent mille comités vigilants et citoyens éclore partout en France. Où sont aujourd’hui les Fronts républicains pour défendre la Culture en danger ? Quand est-ce qu’on signe la pétition ?

Ne pas aimer Orelsan est une chose. Le faire déprogrammer d’un festival en agissant en douce en est une autre. En matière culturelle, c’est la doctrine Malraux qui jusqu’alors avait largement prévalu en République : ni les pouvoirs publics ni les élus n’ont à intervenir dans la programmation d’un festival ou d’une institution culturelle. C’est un pacte tacite qui prévalait, des hautes sphères de la rue de Valois jusqu’au plus petit festival d’été du plus reculé village de France.

Dont acte. Ségolène Royal sait ce qui est bon pour le pays – et on le lui concède volontiers, puisque les socialistes l’ont choisie comme candidate en 2007. Elle sait également ce qui est aimable ou méprisable en matière artistique. Elle n’a pas été élue présidente : la voilà disc jockey. On a, de Charybde en Scylla, les compensations qu’on peut.

Du bois dont on fait les pipes

21

L’écologie, et encore plus la décroissance, ont toujours eu un petit côté curé puritain assez désagréable et l’idée de devoir vivre selon les préceptes de Thoreau pourrait même assez vite virer au cauchemar. La simplicité volontaire, si elle signifie un monde couvert de villages où l’on fait ses besoins dans des toilettes sèches, où l’on doit porter des pulls qui grattent et ne jamais manger de viande, on s’en passera très bien. Ceci étant dit, une association norvégienne, Fuck for the forest (FFF, à ne pas confondre avec Fédération Française de Foutebaule), pourrait nous faire changer d’avis. Ce site Internet propose en effet un contenu gentiment pornographique (amateurs cabriolant joyeusement dans les bois) mais payant. Les profits engendrés par ce voyeurisme vert sont reversés intégralement à diverses associations s’occupant de reboisement dans des pays comme l’Equateur ou le Costa Rica. Quand la zone protégée se confond avec la zone érogène, on ne peut qu’adhérer au slogan de Fuck for the forest, premier site d’environmental porn : « Sauver la planète est sexy ! »