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Une affaire pourrie


Une affaire pourrie

Dans la polémique née du verdict prononcé à l’encontre des membres du « Gang des Barbares », tout met mal à l’aise : la satisfaction des uns, la consternation des autres – sans oublier les assertions définitives de tous ceux qui ne savent rien des deux mois de débats –, les propos de madame Halimi, aussi excusables soient-ils, ceux de l’avocat général Philippe Bilger – peut-être sortis de leur contexte.

Oublions les jeunes crétins qui se définissent comme « militants juifs » et se sont mis à agresser des Noirs au Palais de Justice, ils sont à vomir. L’intervention des associations juives n’a fait qu’alourdir l’atmosphère: appeler à manifester contre le verdict avant même que celui-ci soit connu, c’était intenter un procès en suspicion à la Justice de la République. Et il faudra m’expliquer ce que vient faire le Fonds social juif unifié dans cette affaire judiciaire[1. Quant à l’excellent Richard Prasquier, président du CRIF, qui a sans doute été soumis à de fortes pressions d’une « base » remontée, au moins a-t-il respecté les formes minimales en affirmant sa confiance dans la Justice.]. Quant au spectacle de « responsables communautaires » sommant le Garde des Sceaux d’ordonner au Parquet de faire appel et de celle-ci s’exécutant – pouvait-elle faire autrement ? –, il ne peut avoir que des effets dévastateurs dans l’opinion et en particulier dans la fraction de celle-ci qu’il s’agit de rééduquer, je parle de nos jeunes antisémites de banlieue[2. Que l’on m’épargne les accusations de stigmatisation, je ne parle ni de tous les jeunes ni de toute la banlieue.]. Ils pensaient que les juifs sont puissants et tirent les ficelles de la politique ? Ils ne sont pas près de réviser leur jugement. Surtout avec les bonnes âmes qui leur fourrent dans le crâne que si Ilan Halimi avait été arabe on n’en aurait pas fait tout ce foin (en omettant bien sûr de préciser que si Ilan Halimi avait été arabe, il n’aurait pas subi son calvaire).

L’empressement avec lequel certains ont contesté le verdict est franchement déplaisant. Il y a toujours quelque chose de déplaisant dans une foule qui réclame un châtiment plus sévère. Quelles sanctions fallait-il que la Cour prononce pour les satisfaire ? À ce que j’en ai compris, les peines prononcées prennent en compte le degré de connaissance que chacun des protagonistes avait de l’entreprise criminelle à laquelle il collaborait. Ceux qui protestent oublient qu’un tribunal juge des individus, pas des concepts. Ce n’était pas la Barbarie qui se trouvait dans le box des accusés mais des hommes et des femmes dont la vénalité, la sottise, la lâcheté, la brutalité et l’indifférence conjuguées ont abouti à la mort d’un jeune homme.

Certains auraient voulu que le procès Fofana fût celui de l’Antisémitisme. Que ce crime ait une forte dimension antisémite est incontestable. La Cour d’Assises l’a retenu comme circonstance aggravante dans deux cas. Ilan Halimi a été choisi parce qu’il était juif. Je ne sais pas s’il a été traité comme il l’a été (comme un objet, une source de profit potentiel) parce qu’il était juif et je ne sais pas si les débats ont permis de faire la lumière sur ce point. Mais quoi qu’il en soit, Fofana et ses comparses ne sont pas condamnés pour avoir torturé et tué « un juif », ils sont condamnés pour ce qu’ils ont fait à un homme. D’accord, me dira-t-on, mais si chez certains, l’idée qu’un juif n’est pas tout-à-fait un homme était en train de refaire surface ? Comment apprécier « la part » d’antisémitisme dans un crime ? Comment éviter de minimiser ? D’exagérer ?

Ne tombons pas dans le panneau, répond Bilger, peut-être entraîné trop loin par son goût pour la transgression. Si on en croit Le Figaro, l’avocat général est soucieux de distinguer « l’antisémitisme banal, ordinaire des cités, de la haine violente qui anime ce groupe ». Factuellement, c’est imparable, ce n’est pas pareil. Mais ce n’est pas une raison pour le dire. Dans la vraie vie, on est bien obligé de tenir compte de ce distingo : on ne va pas condamner tous les « antisémites banals, ordinaires, des cités », à perpète avec 22 ans de sûreté. Faut-il pour autant proclamer haut et fort que contre « l’antisémitisme banal », on ne sait pas quoi faire, ce qui revient à reconnaître qu’on le tolère ? Peut-on admettre en principe ce qu’on est obligé d’accepter dans les faits ? Est-on si sûr que les « antisémites banals » n’applaudissent pas aux sinistres exploits des antisémites meurtriers ? Bilger dit peut-être la vérité, mais il ferait mieux de la taire. Parce que de cette vérité-là, on ne sait pas très bien quoi faire.

Certains avocats de la défense ne s’embarrassent pas de telles subtilités. Pour eux, c’est simple : antisémitisme, connais pas. Dans Le Monde, Gilles Antonowicz et Françoise Cotta, s’en prennent à Me Spizner, conseil de la famille Halimi qui, écrivent-ils, « n’a pas manqué d’appeler les jurés à se montrer d’une sévérité exemplaire de manière à vaincre une prétendue « culture antisémite de la banlieue » ». Comme chacun sait, cette « prétendue » culture est une pure invention. Et le reste est à l’avenant : « À vouloir ainsi instrumentaliser systématiquement et sans le moindre recul tous les fait divers à connotation éventuellement antisémite, réels ou supposés (souvenons-nous de « la fille du RER)[3. D’accord, souvenons-nous en, mais combien de vrais incidents pour ce faux ?], certains prennent le risque de raviver des braises qui ne demanderaient pourtant peut-être qu’à s’éteindre, écrivent encore les deux défenseurs des opprimés de nos cités. Ceux-là prennent le risque de faire se lever des communautés les unes contre les autres alors que, précisément, tous ces jeunes de Bagneux sont apparus soudés, tout au long de ce procès, par leur misère sociale, bien plus que par leurs origines ethniques ou religieuses. » Nous y voilà : s’ils sont criminels et antisémites, c’est parce qu’ils sont pauvres. Après la politique de l’excuse, la justice de l’excuse.

Tout cela fait beaucoup de questions et peu de réponses. C’est que dans cette pénible affaire, tous les arguments sont réversibles, ce qui signifie que tout le monde a raison et tort à la fois. Autant dire qu’il n’y a que des coups à prendre. J’ai néanmoins une certitude, c’est que si Ilan Halimi est sans doute mort parce qu’il était juif, il serait désastreux qu’il devînt le mort des juifs. Et, rappelons-le à ceux Qui semblent l’oublier, les tribunaux de la République jugent au nom du peuple français. De tout le peuple français.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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