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Toubibs or not toubibs ?

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Pendant plusieurs jours, en ce début juillet, les auditeurs de France Info, les lecteurs de diverses publications, dont Le Canard Enchaîné, ont été invités à s’indigner à propos du traitement infâme infligé à une équipe chirurgicale française par les soldats israéliens postés au point de passage d’Erez vers la bande de Gaza.

Conduite par le professeur Christophe Oberlin, cette équipe est restée bloquée quatre jours avant de pouvoir pénétrer sur le territoire et se livrer à ses activités humanitaires dans les hôpitaux de Gaza : interventions chirurgicales, notamment sur des enfants victime de l’opération « Plomb durci » de décembre 2008, et formation des praticiens locaux.

On a laissé poireauter les valeureux french doctors pendant presque cent heures sous un soleil de plomb sans leur donner la moindre explication ni le moindre verre d’eau, alors que cette mission était labélisée Quai d’Orsay par l’intermédiaire du Consulat général de France à Jérusalem.

Racontée comme cela, l’histoire peut en effet paraître scandaleuse et provoquer des réactions pour le moins défavorables au comportement des responsables israéliens et à leurs exécutants en uniforme. J’ai moi-même, en plein de mois de juillet été naguère bloqué quelques heures à Erez – par les garde-frontières palestiniens – et je pourrais aisément compatir devant ces blouses blanches forcées de mijoter sous un cagnard implacable et de subir une loi appliquée brutalement par de tout jeunes soldats et soldates.

Personne, parmi les journalistes qui ont rapporté cette histoire, enregistré et diffusé les propos de Christophe Oberlin n’a pris la peine de rappeler les exploits passés de ce professeur de chirurgie dans les territoires palestiniens, et ses activités politiques dans l’Hexagone. Ces rappels auraient pu expliquer, sinon justifier, que les autorités israéliennes montrent une certaine mauvaise humeur à le voir revenir à Gaza, avec une couverture diplomatique cette foi-ci, pratiquer ce qu’il faut bien qualifier d’action propagandiste à visage humanitaire.

Christophe Oberlin a, en 2004, a conduit la liste Europalestine lors des élections européennes, une liste si extrémiste qu’elle fut condamnée par Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine en France, qui lui demanda, sans succès, de se retirer au profit d’autres « amis » de la Palestine moins sulfureux.

Comme on peut le constater sur cette vidéo diffusée sur le site oumma.tv, cet homme à la voix douce, à qui l’on donnerait le bon dieu humanitaire sans confession, pratique, certes, la chirurgie réparatrice lors de ses nombreuses missions à Gaza.

En France, les toubibs qui se consacrent aux malheurs des populations civiles victimes d’exactions militaires jouissent d’un prestige et d’une crédibilité sans égale. Mieux que l’ENA, cela peut conduire à des positions enviables au sommet de la République. Oberlin, lui, se sert de son aura médicale pour faire passer auprès d’un public attendri les messages des islamistes radicaux, dont il manie admirablement la langue de bois.

En effet, une fois qu’il en a terminé de son numéro de chirurgien réparateur des dégâts provoqué par Tsahal, Oberlin se livre à un exercice, ma foi plutôt réussi, de propagande en faveur des thèses du Hamas, dont il est l’un des plus actifs défenseurs en France. On notera avec intérêt que notre chirurgien qualifie de « menace psychologique » les roquettes lancées pendant des années par ses amis sur le sud d’Israël, sous-entendant que le cas des habitants de Sderot relève de la psychiatrie plutôt que de la chirurgie. Il est un grand ami du Dr Mohamed Al-Rantissi, le frère du fondateur du Hamas exécuté par l’aviation israélienne.

Ce cv chargé n’aurait pas, cependant, empêché la vaillante équipe d’Oberlin d’entrer sans encombres à Gaza, pour autant qu’elle eût daigné, avant son départ de Paris, se faire connaître auprès de l’ambassade d’Israël en France, qui aurait alors fait le nécessaire auprès du comité de coordination assurant la liaison entre les organisations humanitaires œuvrant à Gaza et les autorités israéliennes.

En se présentant de manière impromptue au poste de contrôle, sans respecter les procédures habituelles dans ces circonstances, le groupe était assuré de se voir refuser l’entrée du territoire pendant tout le temps nécessaire aux vérifications de leurs accréditations. Il suffit alors d’ameuter les médias pour que la fable des méchants Israéliens empêchant de généreux toubibs de soulager les misères des Gazaouis se répande dans l’Hexagone.

Mission accomplie donc : il ne suffit pas que les Palestiniens soient mieux soignés, encore faut-il que les Israéliens passent pour des barbares.

Martine Billard par la bande

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Chose assez étrange et plus rare qu’une espèce en voie de disparition, il faut bien le reconnaître, Martine Billard, députée de Paris, tout en étant inscrite chez les Verts, était de gauche. Oui, de gauche. Il semblerait qu’elle ait été, pour le moins, très moyennement convaincue par la plate-forme libérale libertaire d’Europe Ecologie dont le chef, un ancien étudiant roux anarchiste devenu évangéliste du marché, a cru bon de déclarer qu’il trouvait que François Fillon – dont certains témoins dignes de foi disent qu’il serait premier ministre du gouvernement de la France –, ferait un bon successeur à Manuel Barroso, président de la Commission Européenne en exercice, persuadé que le périmètre du marché doit s’étendre jusqu’au génome humain et la réglementation jusqu’au vin naturel. Martine Billard a donc décidé de rejoindre le Parti de Gauche de Jean-Luc Melenchon. Madame Billard, par la bande, a donc également rejoint le Front de Gauche.

La copine de Cassidy est revenue

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Dans le monde plutôt encombré du polar en librairie, il nous faut signaler les éditions Moisson Rouge. Dès le choix du nom, on sent le goût des amateurs éclairés et, en l’occurrence de l’amatrice éclairée, Judith Vernant, qui assure depuis dix huit mois bientôt une direction littéraire audacieuse, de cette audace joyeuse des chevau-légers qui savent se faufiler avec grâce et virtuosité entre les régiments de cavalerie lourde des maisons historiques, Rivages, la Série Noire ou Le Masque. Moisson Rouge, donc, a été baptisée ainsi en hommage à celui qui est reconnu, avec ce titre, comme le fondateur du roman noir moderne, autour de 1929, l’année terrible, à savoir le grand Dashiell Hammett[1. Moisson Rouge de Hammett vient de ressortir dans une nouvelle traduction à la Série Noire. Les lecteurs du mensuel Causeur de juin en auront entendu parler par votre serviteur.].

Cette maison, qui nous à fait découvrir Nathan Singer et Carlos Salem, nous propose pour l’été une réédition, Cassidy’s Girl de David Goodis, préfacé par James Sallis[2. C’est une préface inédite. Et James Sallis est non indispensable de la littérature noire et de la littérature tout court aujourd’hui. Il est publié chez Gallimard. On vous conseillera de commencer par La mort aura tes yeux (Gallimard/La Noire).]

David Goodis fait partie de la génération des Jim Thompson, des Charles Williams, des Willima Irish ou encore du trop oublié Mickey Spillane dont l’anticommunisme délirant de son héros, le célèbre privé Mike Hammer, ne l’a pas empêché de donner à la narration noire une manière de violence crue et décomplexée qui n’a pas trompé Budd Boetticher quand celui-ci adapta Kiss me Deadly en 1955, un des chefs-d’œuvre du film noirs, de ceux qui nous faisaient rester à des heures impossibles, (c’était avant le câble), à regarder le Ciné-club de la 3 alors qu’une version latine nous attendait, et dieu sait que nous aimions Salluste dont la Conjuration de Catilina est déjà un vrai roman noir à la Ellroy.

Mais revenons à Goodis.

Goodis, dans l’étrange taxinomie de l’histoire littéraire nationale, appartient à ces écrivains américains qui furent connus et appréciés, en France, et parfois même traduits, avant même que leur pays d’origine s’avise de leur existence. Goodis, mais aussi Chester Himes qui vivait grâce aux subsides de Marcel Duhamel, premier et mythique directeur de la « Série Noire », ou plus tard, Bukowski, et dans le domaine de la littérature d’anticipation, des écrivains comme K.Dick et Spinrad. Comme quoi, nul n’est prophète en son pays, surtout aux Etats-Unis d’Amérique où celui qui ne respecte pas le conseil donné par le père d’Edgar Poe à son fils : « Make money. Make money, my son, honestly if you can, but make money », se retrouve dans la peau d’un dissident infréquentable.

Goodis est un écrivain maudit et pousse cette définition jusqu’à l’archétype. Né en 1917 à Philadelphie, devenu journaliste, il écrit dès 1938 son premier roman Retreat from oblivion, récit d’apprentissages où tous les thèmes de la génération perdue des Fizgerald et des Hemingway se déploient sur fond d’événements internationaux et notamment celui qui fut l’exercice du grand partage dans les années trente du siècle précédent : la Guerre d’Espagne.

Comme la plupart des écrivains d’après-guerre, Goodis bosse comme scénariste et comme la plupart il se met à boire jusqu’à plus soif. Et puis on perd plus ou moins sa trace, à ce romantique du roman noir, et lui-même se perd de vue, finissant dans les cellules de dégrisement de Philly, mettant plusieurs jours à retrouver la mémoire. C’est le Nerval du roman noir, Goodis, obsédé par un monde onirique, celui d’une ville vue avec les yeux d’un enfant. Son Valois peuplé de filles de feu, c’est la Grande Ville et les femmes fatales. Il ne sait plus trop, Goodis, entre Cauchemars, La Nuit Tombe ou Les pieds dans les nuages, si la femme fatale est la brune ou si c’est la blonde au coin de la rue qui sauve, ou le contraire. Et on ne vous parle pas des rousses.

Cassidy’s Girl, que l’on pourra retrouver ici avec une belle couverture due au grand Romain Slocombe (photographe habituel de la maison de Judith Vernant) est l’un des romans les plus emblématiques de Goodis, et l’un des rares, d’ailleurs qui valut, pour une fois, quelque succès à ce seigneur de la scoumoune, en 1951

Le romantisme désespéré d’un homme, Cassidy, en est le principal moteur narratif. Il fut un pilote de guerre héroïque (vieux rêve goodisien, ses premiers récits pour des pulps sont des histoires d’aviateur), un grand joueur de foutebaule américain et, pour finir chauffeur de car mal marié à une vilaine fille.

Chez Goodis, c’est souvent votre propre femme, la femme fatale. Et la jolie ivrognesse rencontrée au bar Chez Lundy qui pourrait vous rédimer.

Comme quoi, Goodis était un romancier lucide malgré le réalisme fantastique urbain des quartiers excentrés où se déroulent les fatalités inévitables de ce Sophocle du bitume, quand on ne sait plus si le halo du réverbère est dû à une ingestion exagérée de gin ou à la brume qui monte du fleuve.

Et l’espoir, dans tout ça, et la vie ?
– Allez, vas-y, dit Cassidy, chante-moi ta petite sérénade.

Cassidy's Girl

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Lectures

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Eros, statue de Pompéï, musée archéologique de Naples.
Eros, statue de Pompéï, musée archéologique de Naples.

L’écrivain et son turbin

Comment vit un écrivain professionnel quand il n’a pas la chance de voir un de ses romans adaptés pour la télévision ou quand il ne reçoit pas des piges somptuaires de Causeur ? Il lui reste cette invention récente : l’atelier d’écriture.
L’atelier d’écriture consiste à être invité par une collectivité quelconque, en général à vocation sociale ou éducative (écoles, collèges, centres fermés pour mineur, prisons) et à faire écrire un groupe donné sur un sujet donné. Il ne faut surtout pas confondre l’atelier d’écriture avec le cours de français. Il s’agit plutôt d’un moment qui oscille entre la thérapie de groupe, le grand n’importe quoi et, parfois, la poésie pure.

[access capability= »lire_inedits »]Chefdeville, (pseudonyme d’un auteur connu de polar), raconte dans L’Atelier d’écriture, sur un mode ironique et rabelaisien, ses tribulations autobiographiques d’écrivain dans la dèche, auteur d’un unique polar paru à la Scierie noire (!), qui survit en faisant écrire à des apprentis boulangers et autres élèves de chaudronnerie des histoires aussi noires que sa vie et que la leur. L’Atelier d’écriture est pourtant un des livres les plus franchement drôles du moment et, l’air de rien, photographie sous un angle inédit une France des périphéries un brin désorientée.

L'Atelier d'écriture

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L’été sera chaud

André Pieyre de Mandiargues aurait eu cent ans cette année. La collection Quarto, qui est chez Gallimard une manière d’antichambre de La Pléiade, réédite pour l’occasion un bon nombre de textes les plus représentatifs d’une œuvre qui est, avec celle de Gracq dont il était l’exact contemporain, un des plus beaux surgeons du Surréalisme. Quand Gracq explorait le rivage des Syrtes, Mandiargues, lui, préférait se perdre dans une autre géographie, celle des corps dont il rendit compte avec une sensualité hautaine et une écriture lancinante comme le plaisir. Sous le parrainage assumé du théâtre élisabéthain, des romantiques allemands, de Poe et d’un certain sadomasochisme nippon, Mandiargues est peut-être tout entier dans la nouvelle intitulée Le Passage Pommeraye, lieu dont on connaît l’importance pour Breton, Vaché et les surréalistes. C’est une des premières qu’il a publiée, en 1946, dans le recueil Le Musée noir. On y voit les noces entre la monstruosité, le sexe et la mort dans un climat pourtant étrangement attirant.

André Pieyre de Mandiargues avait eu le Goncourt en 1967 pour La Marge, roman d’une errance dans la Barcelone des années franquistes où un homme décidait de se perdre après avoir appris, presque par hasard, la mort de sa femme. Si ce roman ne figure pas dans cette édition, on pourra néanmoins retrouver Le Lis de mer, récit balnéaire et sicilien de l’initiation sexuelle programmée d’une jeune fille ou encore La Marée, une nouvelle du recueil Mascaret, adaptée par Walerian Borowicz dans ses Contes immoraux (1974) et qui raconte comment un jeune homme initie une camarade de jeu à la fellation dans les rochers et attendra, pour se répandre dans sa bouche, que la marée soit complètement haute. Un écrivain, comme on le voit, hautement recommandable.

Récits érotiques et fantastiques

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Bac en AOF : la catastrophe

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Luc Chatel va-t-il devoir présenter sa démission, à peine entré au Ministère de l’éducation nationale ? Il semblerait en effet que les résultats du bac soient catastrophiques au Sénégal. En effet, à l’issue du premier tour d’épreuves, on en serait pour ne citer que les résultats les plus significatifs à moins de 30 % de réussite dans les centres d’examen de Dakar et dans la région de Diourbel, moins de 0,5 % au pour le lycée Djignabo de Ziguinchor, le plus grand centre de la région. On déplorera aussi le chiffre ridicule de cinq admis d’office sur 169 candidats dans le seul centre de la région de Kédougou. Et, horreur, 5,10 % de taux de réussite à Sédhiou (38 admis d’office et 163 admissibles sur 744 candidats). Arrêtons-là ces chiffres démoralisants. Ah, mais on me signale dans l’oreillette que le Sénégal ne fait plus partie de l’AOF depuis 1960 et que toute responsabilité française est dégagée. Ouf ! Ces gens-là ne prennent vraiment pas le baccalauréat au sérieux. Ce n’est pas comme chez nous avec nos 80 % de réussite, grâce aux jurys d’harmonisation et des moyennes de 20,90 chez certains élèves par le jeu des options.

Des juifs indéfendables

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Le comble de l’antisémitisme serait de croire qu’il n’y a pas chez les juifs une proportion raisonnable de brutes écervelées et de jeunes crétins. Ou encore de considérer que les auteurs de violences commises au nom d’une improbable « défense juive » sont excusables parce qu’ils sont pauvres, incultes ou traumatisés par les souvenirs d’une guerre qu’ils n’ont pas vécue.

À Causeur, l’antisémitisme, on n’est pas trop pour. En conséquence nous pensons que quand des juifs sont coupables de délits ou de crimes, ils ont le droit, comme n’importe quels Français, d’être coffrés par la police de leur pays et jugés par la justice de leur pays. Peu me chaut qu’ils invoquent Israël, la Torah, la pensée du président Mao ou leur enfance malheureuse.

On peut donc se féliciter que les auteurs présumés du saccage d’une librairie parisienne vouée à la défense de la cause palestinienne aient été interpelés et placés en garde à vue mercredi. Les idées, ça se combat avec des idées. Autrement dit, quand on n’est pas d’accord, on cause, mieux que l’adversaire, plus fort et plus malin que lui. On lui explose la tête intellectuellement. Mais on n’attaque pas une librairie. Pas chez nous les Français. Pas chez nous les juifs.

Je n’ai jamais mis les pieds dans la librairie « Résistances » sise à Paris XVIIème et je ne pense pas pallier ce manque dans un avenir proche. Ses responsables Olivia Zemor et Nicolas Shahshahani animent ou animèrent le CAPJIPO, dont une partie du sigle signifie « Pour une paix juste au Proche Orient », ce qui pour eux, passe plus ou moins clairement par la disparition d’Israël comme Etat juif – un Etat juif, c’est déjà fasciste, non ? Ces deux braves pacifistes qui furent également fort actifs dans la liste Euro-Palestine en 2004 ont une tendance marquée à « comprendre » (attention, je n’ai pas dit justifier), les « résistants » du Hezbollah et autres organisations également très pacifiques. Le genre à condamner les attentats-suicides, mais.

Pour être honnête, il faut préciser qu’ils semblent s’être arrêtés à la porte du dieudonnisme. Je n’irais ni passer des vacances avec eux ni chercher dans leur librairie de quoi lire pendant les miennes. Mais je suis prête à me battre pour qu’ils puissent continuer à vendre leur propagande anti-israélienne en toute quiétude.

Or, vendredi dernier, apprend-on par les agences de presse, « cinq hommes cagoulés et en jogging sombre sont entrés dans la librairie armés de bâtons et de bouteilles d’huile. Ils ont cassé la caisse et les ordinateurs, jeté les livres par terre et vidé leurs bouteilles d’huile sur le sol ». En prime, ils ont, sinon brutalisé au moins bousculé et effrayé les personnes qui se trouvaient là. Les agresseurs se sont réclamés de la « Ligue de défense juive » – qui nie sur son site « toute participation aux dégradations de la Librairie Résistances ». La police tranchera. Mais si la survie du peuple juif dépend d’aussi sombres abrutis, l’avenir n’est pas tout rose.

Alors, ça me fait tout drôle mais voilà : je suis d’accord avec Pascal Boniface. Dans une tribune publiée sur son blog, il exprime son « indignation à la fois par rapport à l’attaque qu’ils ont subie, et l’absence de réactions qu’elle a suscitée ». Eh bien moi aussi, je suis indignée par l’attaque et indignée par l’absence de réactions. Pour tout dire, j’aurais apprécié un communiqué du CRIF ou de la LICRA. Et puisque c’est mon jour, je ne suis pas loin d’être d’accord avec le MRAP qui demande l’interdiction de la LDJ. S’il y a de quoi, dans la loi, interdire cette association, il faut que force reste à la loi.

Et puis s’attaquer à des livres devrait être une circonstance aggravante, en particulier quand on appartient à un peuple du Livre.

Arthur Russell, icône de rien

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Arthur Russell
Arthur Russell.

William Socolov repose son verre. Le boss du label Sleeping Bag est, cette nuit de 1979, un homme heureux. Il est 2 heures et tout le Loft est en transe ; le mythique night-club de New York se déchaîne sur la démo qu’il vient de passer au disc-jockey : Go Bang, d’Arthur Russell. Il faut en féliciter l’auteur. Où est-il passé ? Le producteur se fraie un passage parmi les clubbers, se fait claquer une bise par Lola Love, la choriste de James Brown : « So funky, Will, so funky », et peine à mettre la main sur Arthur Russell, dont le public vient de tomber raide dingue sans même le connaître.

Arthur est prostré dans un coin. Elle a une drôle de dégaine, la nouvelle star du disco : à 26 ans, son visage conserve des stigmates prononcés d’acné juvénile et ses chemisettes à carreaux lui donnent des allures de fermier de la Corn Belt. Pour le glitter et le glamour, on repassera.

[access capability= »lire_inedits »]« Arthur ! Tu as vu : les gens adorent !
– La démo est à chier. »

Russell tourne les talons. C’est, chez lui, une seconde nature. Quand vient le succès, ne pas trop y croire, signer ses disques sous pseudo (il en aura beaucoup) et passer très vite à autre chose – on n’est jamais trop prudent.

Le lendemain, Russell assure une performance au Kitchen, une scène avant-gardiste située dans Chelsea. Ce n’est pas une scène, ni un conservatoire, ni une école, mais une boîte de Pétri de la musique expérimentale : ça bouillonne. On y croise des jeunes gens doués comme Lauren Anderson et Brian Eno. Généralement, Arthur y chante, s’accompagnant au violoncelle et bidouillant avec une boîte à effets. C’est toujours étrange de retourner au Kitchen : il en a été directeur musical quelques mois. Il a été beaucoup de choses pendant quelques mois.

Arthur aura à peine le temps de quitter le Kitchen pour passer au home studio qu’il a aménagé dans l’appartement de l’East Village, où il vit avec son compagnon, Tom. Il y passe des heures, accumule les enregistrements et emprunte le ferry vers Staten Island pour réécouter ses morceaux sur son walkman.

La nuit le verra partout où New York vit en underground. Il fréquente les « places to be » et s’y produit : la Danceteria pour la new wave et la pop, la Gallery et le Paradise Garage pour le disco, le Roxy pour le hip-hop, le Lower Manhattan Ocean Club pour la folk. Des opportunités, il en a, bien sûr. Mais, immanquablement, ça coince. On lui propose d’écrire la partition d’une adaptation de Médée, il s’embrouille avec le metteur en scène. Quand il rencontre David Byrne, qui lui propose de rejoindre les Talking Heads, un petit groupe qu’il est en train de monter, ça ne colle pas.

Il n’est pas facile de travailler avec Arthur. Perfectionniste, il revient plusieurs fois sur l’ouvrage, réécrit, révise, réenregistre. La plupart du temps, il laisse ses chansons inachevées. Sa voix diaphane, ses compositions à la croisée de la pop, la new-wave, la folk et le disco, sont à la fois accessibles et déconcertantes. En 1986, son album World of Echo connaît un succès d’estime. Il tombe malade et entreprend un nouvel album, Corn, qu’il n’achèvera pas. Là, ce n’est pas sa faute, mais celle de la mort – bonne excuse. Arthur Russell décède en 1992, laissant plusieurs centaines de bandes d’enregistrement, avec parfois plusieurs dizaines de versions d’une même chanson.

Depuis quelques années, la critique redécouvre Arthur Russell et le transforme en icône pop et gay. À tout prendre, Russell aurait certainement préféré être tenu pour une icône transgenre. Non pas qu’il enfilait en douce les robes de maman, mais, dans ces années 1980 où la loi des genres commençait à segmenter la musique pour mieux la commercialiser, il refusait les étiquettes et les styles imposés par les producteurs et les disquaires. Un doux anarchiste expérimental, qui avait substitué au classique « Ni dieu ni maître » un « Ni pop, ni rock, ni folk, ni disco ». De la musique avant toute chose, et de l’exploration. Peut-être Arthur Russell n’est-il jamais parvenu à une version définitive de quoi que ce soit, mais ses ébauches surpassent bien des œuvres achevées.

Calling Out of Context

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Audika Records réédite certains albums et publie des inédits d’Arthur Russell. Calling Out Of Context (AU-1001-2) et World Of Echo (AU-1002-2). Le réalisateur Matt Wolf lui a consacré un documentaire, Wild Combination, a portrait of Arthur Russell, disponible en DVD distribué par Plexifilm.
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La fin des temps continue

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Clébard

À Paris aussi, les signes de la fin des temps se multiplient.

Ce matin, encore : attablé à la terrasse d’un bistrot, j’assiste, impuissant, à une scène d’apocalypse. Deux hommes accomplissant de conserve l’étrange rituel biopolitique connu sous le nom de « footing » passent dans la rue. Il s’agit, à l’évidence, d’un « couple gay », et non de deux hommes qui s’aiment. L’un des deux est possédé par un corps gigantesque et bodybuildé. Son regard plein d’effroi atteste qu’il ne s’agit nullement du sien. Ses petits yeux semblent être la seule partie réelle de son corps, comme si tout le reste de son corps véritable était enseveli, dissimulé, broyé à l’intérieur de ce performant tas de viande. Au bout du bras du géant sans corps, je vois soudain une main. Cette main tient une laisse.

[access capability= »lire_inedits »]Au bout de cette laisse (allez-y voir vous-même, si vous ne me croyez pas), se trouve un minuscule chien haletant, courant à un rythme effréné. Le géant s’arrête. Le chien défèque sur la chaussée. Et, presque instantanément, notre citoyen en phase terminale tire de sa poche un sac en plastique, à l’intérieur duquel il enveloppe diligemment la merde du petit clébard. Puis, conservant le sac et la crotte à la main, il reprend sa course de néant avec ses deux compères.

Une semaine plus tôt, j’ai découvert dans les poubelles de mon immeuble le manuscrit de L’Esprit du nihilisme, une ontologique de l’Histoire, de Mehdi Belhaj Kacem, dans le grand réceptacle jaune fluo sale destiné aux papiers et cartons.

Julien Coupat écrit dans Le Monde.

Nul ne filme le corps de Julien Coupat. (« Il en manque un ! », hurlent les Spectateurs terrifiés.)

Le premier homme ayant subi une « greffe du visage » est mort, probablement sans avoir eu le temps de lire une seule ligne de Lévinas.

La DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) poursuit la guerre contre l’Ennemi intérieur, mais désormais « uniquement au sein de ses propres services ».

L’actuel Premier ministre de l’espace France, dont le nom m’échappe, se glorifie d’être un geek.

La fin des temps, chacun le sait, est advenue en 1914. Puis le monde a fini encore trois fois. Depuis, nous simulons la vie. La peinture rose de nos sourires s’écaille chaque jour davantage. Pour l’essentiel, nos corps sont inanimés.

Je terminerai par quelques prévisions encourageantes concernant les futurs gestionnaires de l’espace France :
2012 : Ségolène Royal
2017 : Nicolas Sarkozy
2022 : Ségolène Royal
2027 : Jean Sarkozy

Parfois, aussi, nous sommes soulevés par d’immenses joies.[/access]

De l’affliction à la fiction

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Motel
Bruce Bégout théorise sur le Motel à l'américaine.

Lorsque tant de philosophes estiment que la philosophie est un est moyen de passer à la télévision, Bruce Bégout persiste à croire qu’il s’agit d’un eudémonisme. Évidemment, ce n’est pas avec des mots comme ça que vous allez être invité au « 20 heures » et vous indigner avec une belle chemise ouverte ou une coupe au bol, mais c’est sans doute avec des mots comme ça que vous aurez des lecteurs et, chose devenue rare par nos temps spectaculaires, des lecteurs qui trouveront en vous de quoi mieux comprendre le monde immédiat qui les entoure et donc, être heureux. Eudémonisme, ça ne veut pas dire autre chose, ce n’est ni obscène ni trotskyste.

[access capability= »lire_inedits »]Ce qui intéresse Bruce Bégout, la petite quarantaine, c’est notre vie quotidienne, un peu comme le Henri Lefèvre, dans les années 1950, dont les travaux inspirèrent si visiblement Guy Debord. La vie quotidienne, par rapport à l’époque de Lefèvre, sécrète des aliénations d’un type nouveau, notamment dans notre rapport à un espace urbanisé, suburbanisé et rurbanisé où nous devenons des hommes sans liens, des passants tantôt émerveillés comme des enfants, tantôt seuls comme des personnages de romans noirs en cavale, en apesanteur sociale de nomade monade.

Pour illustrer ces deux aspects, Bruce Bégout a déjà écrit deux petits chefs-d’œuvre : Zéropolis, minutieuse promenade à Las Vegas, stade ultime de l’urbanisme hyperfestif, et Lieu commun où il théorise sur le motel à l’américaine, phénomène qui gagne d’ailleurs la France où toutes les périphéries sont désormais quadrillées par des hôtels low-cost faits pour l’adultère ou le repos du technico-commercial.

Le style de Bégout, dans ces deux livres, devrait réconcilier le lecteur avec la philosophie : elle redevient cette chose précise et évidente qui donne soudain un sens plein à l’existence quand, par une nuit d’insomnie, on zappe entre les deux cents chaînes du câble dans une chambre de motel, quelque part dans la banlieue de Gary, sur la route de Memphis ou encore, mondialisation oblige, sur l’autoroute Lille-Amsterdam ou coincé entre un Conforama et un Cuir Center de la zone commerciale de Saint-Amand Montrond.

Comme tous les philosophes qui écrivent bien, Bruce Bégout raconte des histoires en produisant du concept.

Alors, parfois, il se lance et tente l’expérience de la pure fiction, pas seulement pour illustrer sa philosophie mais pour la prolonger en élégants travaux pratiques. On avait déjà lu L’Eblouissement des bords de route qui se présentait comme un recueil de nouvelles sur les usagers des motels. On sait qu’à observer de trop près la réalité, elle devient presque fantastique, comme la mouche sous le microscope. C’est ce qu’a merveilleusement compris Bégout dans son tout dernier livre paru, Sphex, où le passage de la philosophie à la fiction pourrait se théoriser comme le choix volontaire d’une mauvaise distance pour observer un sujet d’étude et lui donner ainsi un aspect drôle, morbide où terrifiant. Dans Sphex, un médecin légiste veut faire plaisir à sa petite-fille et la laisse jouer avec les cadavres de l’Institut médico-légal, un milliardaire met toute son énergie à effacer Marx des mémoires, un motard passe des années à photographier sous tous les angles le trajet pourtant banal qui l’emmène de son domicile à son travail pour tenter, sans trop d’espoir, de se réapproprier un décor devenu étranger à force de répétition, et pourtant dont on ne saura jamais capter tous les détails architecturaux, toutes les variations lumineuses.

Tous ces personnages que caractérisent la névrose, la solitude, une certaine perte des repères spatiaux ou moraux sont, bien entendu, de manière implicite, à la recherche d’une possibilité de reconstruire le monde.

Et c’est là que Bruce Bégout est vraiment de la famille, si nous pouvons nous exprimer ainsi, parce que l’un de ses livres récents, La Décence ordinaire est consacré à la common decency de George Orwell, qui n’était pas devenu le banal anticommuniste que l’on a bien voulu dire après La Ferme des animaux et 1984. Non, Orwell désirait construire un socialisme d’un genre nouveau, pré ou post-marxiste comme on voudra, s’appuyant sur cet ensemble de valeurs communes aux classes populaires, de solidarités naturelles, d’attention dans le rapport à l’autre, de souci de soi dans la tenue et le discours. Bruce Bégout cite ainsi Orwell comme meilleur remède possible à nos vies mutilées : « Nous sommes simplement parvenus à un point où il serait possible d’opérer une réelle amélioration de la vie humaine, mais nous n’y arriverons pas sans reconnaître la nécessité des valeurs morales de l’homme ordinaire. Mon principal motif d’espoir pour l’avenir tient au fait que les gens ordinaires sont toujours restés fidèles à leur code moral. » Et Bruce Bégout, dans la recherche de ces valeurs, nous encourage à nous comporter comme Orwell, c’est-à-dire en « anxieux sereins ».

En attendant, si vous avez cette impression, par les temps qui courent, de tourner en rond dans la nuit et de vous brûler à son feu, si certains gestes de votre vie quotidienne vous donnent soudain le vertige, alors oui, les contes cruels de Sphex sont pour vous, petites pilules d’amertume où l’on reconnaît, dans la composition, un peu de Borges, de Mirbeau, de Villiers de l’Isle Adam.

Autant dire, du très haut de gamme.

La Découverte du quotidien, Zeropolis, Lieu commun et La Décence ordinaire sont publiés aux éditions Allia. L’Eblouissement des bords de route chez Verticales et Sphex, à L’Arbre Vengeur.
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Pour vivre heureux, restez à l’ombre

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Vacances
Trudi Kohl vous prodigue ses meilleurs conseils pour passer de bonnes vacances.

Oubliés Home, Yann Arthus-Bertrand, Daniel Cohn-Bendit et Nicolas Hulot : le péquin moyen a déjà installé sa caravane à Palavas-les-Flots et, rigolard, se réjouit du réchauffement climatique. « Il fait chaud, ils l’ont dit à la télé. Et quand il fait chaud, ça donne soif. Suzanne, rapporte des glaçons ! »

Mais Suzanne ne rapporte rien. Elle n’est pas là. Elle est à la plage et entend bénéficier, toute la sainte journée, des bienfaits du soleil : érythèmes bénins, mélanomes malins, carcinomes chagrins. Certes, elle a entendu, il y a quelques semaines à la télévision ou à la radio – c’était un lundi midi, sur Europe 1, juste avant Élisabeth Lévy –, que l’Académie française de médecine déconseillait l’exposition prolongée aux ultraviolets. Sept mille cancers cutanés sont diagnostiqués chaque année en France, trois fois plus qu’il y a vingt ans. Mais elle avait cru que cela ne concernait que les solariums, sans chercher plus loin. Et Suzanne se fait bronzer les bourrelets au soleil de la Côte en toute impunité. Soyons juste : il n’est pas dit que les chouchous qu’elle avale les uns après les autres – quand il fait chaud, faut manger gras – ne la tueront pas avant le cancer cutané qu’elle est en train de se bricoler en douce. Cela s’appelle l’insouciance française, et contre une AOC ni la raison ni l’entendement ne peuvent rien.

[access capability= »lire_inedits »]Nous autres, en Allemagne, ne sommes ni français ni insouciants. Nous pensons aux générations futures, avec tout le poids de la deutsche Vergangenheit. Willy, mon mari, m’a annoncé : « Cette année, on ne part pas en vacances. Pas question de prendre l’avion ou la voiture pour aggraver notre empreinte carbone. Quoi ? Si je ne t’ai pas vu respirer à l’instant !… On prendra le train. On descendra à Fribourg et, de là, nous irons en bus à Bad Krozingen. Cure thermale à volonté ! »

La perspective m’enchante. Quand je suis en vacances, j’adore aller à la plage. Je m’installe généralement à côté de Suzanne. Elle a toujours quelque chose à me raconter : les gosses, le temps qu’il fait, la voisine, la belle-mère, Sarkozy, Carla, les mecs. On a passé l’âge de même espérer flirter avec eux. On le sait. Mais on les regarde passer, prenant plaisir à cancaner sur leur dégaine en général et leur maillot de bain en particulier, regrettant parfois qu’ils ne nous adressent aucun regard. Ça leur ferait du mal, juste un clin d’œil ? Alors, on reprend, au goulot d’une mignonnette, une gorgée de whisky et l’on continue, avec encore plus de verve et d’entrain, à leur décerner notre plus hautain mépris.

Seulement, comme son nom l’indique, Bad Krozingen, ce n’est pas vraiment Palavas-les-Flots. D’abord, il n’y a pas Suzanne, mais de vieilles rombières qui font la moue quand vous leur proposez une rasade de whisky à même la bouteille, croyant certainement que c’est du GHB, la drogue du violeur dont elles ont entendu parler en visionnant un épisode un peu olé-olé de Derrick, ou que la gorgée qu’elles vont prendre hissera leurs gamma GT à un niveau record. « Mon diététicien m’a interdit le porto », confient-elles comme si elles avaient subi la veille la grande opération. Et puis, la plage, à Bad Krozingen, tu peux longtemps la chercher. Les moindres souvenirs que je rassemble l’indiquent : il pleut en permanence là-bas. Je crois que c’est la seule station thermale au monde où l’eau ne t’est pas projetée sur le corps par un jeune infirmier beau comme un dieu, mais tombe sur ta tête sitôt que tu t’aventures dehors. La France a la Bretagne, nous avons Bad Krozingen. Pas de jaloux : micro-climat pour tous.

Voilà qui me ferait regretter de m’être mariée, il y a un peu plus de trente ans, avec Willy. À l’époque, j’étais jeune et fringante, j’aurais pu faire ma vie avec un homme comme Bernard Madoff. Il a tout réussi. L’exemple est peut-être mal choisi, mais il n’empêche qu’avec lui, je ne risquerais ni l’insolation ni la douche d’eau : il en a pris pour cent cinquante ans à l’ombre. Une broutille ! Il est à peine âgé de 71 ans et, avec le jeu compliqué et aléatoire des remises de peine, il se pourrait bien qu’il sorte dans cent trente ans. Il arborera alors ses tout juste 200 ans. Mais deux siècles, c’est quoi dans la vie d’un homme ?

Deux siècles ne sont rien, comparés à sept jours passés à Bad Krozingen. Ce séjour m’effraie. Non seulement j’y serai privée de tout (il faut se lever de bonne heure là-bas pour trouver un bistrot), mais je ne pourrai même pas m’y livrer au sport favori de tout Allemand en farniente : éviter les Allemands. C’est déplorable : à Bad Krozingen, ils sont partout. Il y en a tant qu’on se croirait sur la Costa del Sol. Encore qu’à Malaga ou à Torremolinos, tu peux esquiver en ânonnant un « Yo no hablo alemán… » Mais va essayer de baragouiner espagnol à Bad Krozingen : tu deviendrais l’attraction number one, tous les petits vieux se réuniraient autour de toi en essayant de te convaincre de danser le flamenco. Comme à Torremolinos.

Je me demande si je ne vais pas laisser Willy passer seul ses vacances. Je m’installerai chez mes amis de Causeur : Élisabeth, Gil, Marc, Basile, François, Luc ou Jérôme. Ou chez vous, peut-être. Invitez-moi, je vous en prie ! Je suis propre sur moi, je raconte des blagues, je boirai votre whisky et je vous dépayserai en ne vous parlant qu’allemand. Comme à Bad Krozingen. Ou à Torremolinos.[/access]

Toubibs or not toubibs ?

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Pendant plusieurs jours, en ce début juillet, les auditeurs de France Info, les lecteurs de diverses publications, dont Le Canard Enchaîné, ont été invités à s’indigner à propos du traitement infâme infligé à une équipe chirurgicale française par les soldats israéliens postés au point de passage d’Erez vers la bande de Gaza.

Conduite par le professeur Christophe Oberlin, cette équipe est restée bloquée quatre jours avant de pouvoir pénétrer sur le territoire et se livrer à ses activités humanitaires dans les hôpitaux de Gaza : interventions chirurgicales, notamment sur des enfants victime de l’opération « Plomb durci » de décembre 2008, et formation des praticiens locaux.

On a laissé poireauter les valeureux french doctors pendant presque cent heures sous un soleil de plomb sans leur donner la moindre explication ni le moindre verre d’eau, alors que cette mission était labélisée Quai d’Orsay par l’intermédiaire du Consulat général de France à Jérusalem.

Racontée comme cela, l’histoire peut en effet paraître scandaleuse et provoquer des réactions pour le moins défavorables au comportement des responsables israéliens et à leurs exécutants en uniforme. J’ai moi-même, en plein de mois de juillet été naguère bloqué quelques heures à Erez – par les garde-frontières palestiniens – et je pourrais aisément compatir devant ces blouses blanches forcées de mijoter sous un cagnard implacable et de subir une loi appliquée brutalement par de tout jeunes soldats et soldates.

Personne, parmi les journalistes qui ont rapporté cette histoire, enregistré et diffusé les propos de Christophe Oberlin n’a pris la peine de rappeler les exploits passés de ce professeur de chirurgie dans les territoires palestiniens, et ses activités politiques dans l’Hexagone. Ces rappels auraient pu expliquer, sinon justifier, que les autorités israéliennes montrent une certaine mauvaise humeur à le voir revenir à Gaza, avec une couverture diplomatique cette foi-ci, pratiquer ce qu’il faut bien qualifier d’action propagandiste à visage humanitaire.

Christophe Oberlin a, en 2004, a conduit la liste Europalestine lors des élections européennes, une liste si extrémiste qu’elle fut condamnée par Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine en France, qui lui demanda, sans succès, de se retirer au profit d’autres « amis » de la Palestine moins sulfureux.

Comme on peut le constater sur cette vidéo diffusée sur le site oumma.tv, cet homme à la voix douce, à qui l’on donnerait le bon dieu humanitaire sans confession, pratique, certes, la chirurgie réparatrice lors de ses nombreuses missions à Gaza.

En France, les toubibs qui se consacrent aux malheurs des populations civiles victimes d’exactions militaires jouissent d’un prestige et d’une crédibilité sans égale. Mieux que l’ENA, cela peut conduire à des positions enviables au sommet de la République. Oberlin, lui, se sert de son aura médicale pour faire passer auprès d’un public attendri les messages des islamistes radicaux, dont il manie admirablement la langue de bois.

En effet, une fois qu’il en a terminé de son numéro de chirurgien réparateur des dégâts provoqué par Tsahal, Oberlin se livre à un exercice, ma foi plutôt réussi, de propagande en faveur des thèses du Hamas, dont il est l’un des plus actifs défenseurs en France. On notera avec intérêt que notre chirurgien qualifie de « menace psychologique » les roquettes lancées pendant des années par ses amis sur le sud d’Israël, sous-entendant que le cas des habitants de Sderot relève de la psychiatrie plutôt que de la chirurgie. Il est un grand ami du Dr Mohamed Al-Rantissi, le frère du fondateur du Hamas exécuté par l’aviation israélienne.

Ce cv chargé n’aurait pas, cependant, empêché la vaillante équipe d’Oberlin d’entrer sans encombres à Gaza, pour autant qu’elle eût daigné, avant son départ de Paris, se faire connaître auprès de l’ambassade d’Israël en France, qui aurait alors fait le nécessaire auprès du comité de coordination assurant la liaison entre les organisations humanitaires œuvrant à Gaza et les autorités israéliennes.

En se présentant de manière impromptue au poste de contrôle, sans respecter les procédures habituelles dans ces circonstances, le groupe était assuré de se voir refuser l’entrée du territoire pendant tout le temps nécessaire aux vérifications de leurs accréditations. Il suffit alors d’ameuter les médias pour que la fable des méchants Israéliens empêchant de généreux toubibs de soulager les misères des Gazaouis se répande dans l’Hexagone.

Mission accomplie donc : il ne suffit pas que les Palestiniens soient mieux soignés, encore faut-il que les Israéliens passent pour des barbares.

Martine Billard par la bande

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Chose assez étrange et plus rare qu’une espèce en voie de disparition, il faut bien le reconnaître, Martine Billard, députée de Paris, tout en étant inscrite chez les Verts, était de gauche. Oui, de gauche. Il semblerait qu’elle ait été, pour le moins, très moyennement convaincue par la plate-forme libérale libertaire d’Europe Ecologie dont le chef, un ancien étudiant roux anarchiste devenu évangéliste du marché, a cru bon de déclarer qu’il trouvait que François Fillon – dont certains témoins dignes de foi disent qu’il serait premier ministre du gouvernement de la France –, ferait un bon successeur à Manuel Barroso, président de la Commission Européenne en exercice, persuadé que le périmètre du marché doit s’étendre jusqu’au génome humain et la réglementation jusqu’au vin naturel. Martine Billard a donc décidé de rejoindre le Parti de Gauche de Jean-Luc Melenchon. Madame Billard, par la bande, a donc également rejoint le Front de Gauche.

La copine de Cassidy est revenue

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Dans le monde plutôt encombré du polar en librairie, il nous faut signaler les éditions Moisson Rouge. Dès le choix du nom, on sent le goût des amateurs éclairés et, en l’occurrence de l’amatrice éclairée, Judith Vernant, qui assure depuis dix huit mois bientôt une direction littéraire audacieuse, de cette audace joyeuse des chevau-légers qui savent se faufiler avec grâce et virtuosité entre les régiments de cavalerie lourde des maisons historiques, Rivages, la Série Noire ou Le Masque. Moisson Rouge, donc, a été baptisée ainsi en hommage à celui qui est reconnu, avec ce titre, comme le fondateur du roman noir moderne, autour de 1929, l’année terrible, à savoir le grand Dashiell Hammett[1. Moisson Rouge de Hammett vient de ressortir dans une nouvelle traduction à la Série Noire. Les lecteurs du mensuel Causeur de juin en auront entendu parler par votre serviteur.].

Cette maison, qui nous à fait découvrir Nathan Singer et Carlos Salem, nous propose pour l’été une réédition, Cassidy’s Girl de David Goodis, préfacé par James Sallis[2. C’est une préface inédite. Et James Sallis est non indispensable de la littérature noire et de la littérature tout court aujourd’hui. Il est publié chez Gallimard. On vous conseillera de commencer par La mort aura tes yeux (Gallimard/La Noire).]

David Goodis fait partie de la génération des Jim Thompson, des Charles Williams, des Willima Irish ou encore du trop oublié Mickey Spillane dont l’anticommunisme délirant de son héros, le célèbre privé Mike Hammer, ne l’a pas empêché de donner à la narration noire une manière de violence crue et décomplexée qui n’a pas trompé Budd Boetticher quand celui-ci adapta Kiss me Deadly en 1955, un des chefs-d’œuvre du film noirs, de ceux qui nous faisaient rester à des heures impossibles, (c’était avant le câble), à regarder le Ciné-club de la 3 alors qu’une version latine nous attendait, et dieu sait que nous aimions Salluste dont la Conjuration de Catilina est déjà un vrai roman noir à la Ellroy.

Mais revenons à Goodis.

Goodis, dans l’étrange taxinomie de l’histoire littéraire nationale, appartient à ces écrivains américains qui furent connus et appréciés, en France, et parfois même traduits, avant même que leur pays d’origine s’avise de leur existence. Goodis, mais aussi Chester Himes qui vivait grâce aux subsides de Marcel Duhamel, premier et mythique directeur de la « Série Noire », ou plus tard, Bukowski, et dans le domaine de la littérature d’anticipation, des écrivains comme K.Dick et Spinrad. Comme quoi, nul n’est prophète en son pays, surtout aux Etats-Unis d’Amérique où celui qui ne respecte pas le conseil donné par le père d’Edgar Poe à son fils : « Make money. Make money, my son, honestly if you can, but make money », se retrouve dans la peau d’un dissident infréquentable.

Goodis est un écrivain maudit et pousse cette définition jusqu’à l’archétype. Né en 1917 à Philadelphie, devenu journaliste, il écrit dès 1938 son premier roman Retreat from oblivion, récit d’apprentissages où tous les thèmes de la génération perdue des Fizgerald et des Hemingway se déploient sur fond d’événements internationaux et notamment celui qui fut l’exercice du grand partage dans les années trente du siècle précédent : la Guerre d’Espagne.

Comme la plupart des écrivains d’après-guerre, Goodis bosse comme scénariste et comme la plupart il se met à boire jusqu’à plus soif. Et puis on perd plus ou moins sa trace, à ce romantique du roman noir, et lui-même se perd de vue, finissant dans les cellules de dégrisement de Philly, mettant plusieurs jours à retrouver la mémoire. C’est le Nerval du roman noir, Goodis, obsédé par un monde onirique, celui d’une ville vue avec les yeux d’un enfant. Son Valois peuplé de filles de feu, c’est la Grande Ville et les femmes fatales. Il ne sait plus trop, Goodis, entre Cauchemars, La Nuit Tombe ou Les pieds dans les nuages, si la femme fatale est la brune ou si c’est la blonde au coin de la rue qui sauve, ou le contraire. Et on ne vous parle pas des rousses.

Cassidy’s Girl, que l’on pourra retrouver ici avec une belle couverture due au grand Romain Slocombe (photographe habituel de la maison de Judith Vernant) est l’un des romans les plus emblématiques de Goodis, et l’un des rares, d’ailleurs qui valut, pour une fois, quelque succès à ce seigneur de la scoumoune, en 1951

Le romantisme désespéré d’un homme, Cassidy, en est le principal moteur narratif. Il fut un pilote de guerre héroïque (vieux rêve goodisien, ses premiers récits pour des pulps sont des histoires d’aviateur), un grand joueur de foutebaule américain et, pour finir chauffeur de car mal marié à une vilaine fille.

Chez Goodis, c’est souvent votre propre femme, la femme fatale. Et la jolie ivrognesse rencontrée au bar Chez Lundy qui pourrait vous rédimer.

Comme quoi, Goodis était un romancier lucide malgré le réalisme fantastique urbain des quartiers excentrés où se déroulent les fatalités inévitables de ce Sophocle du bitume, quand on ne sait plus si le halo du réverbère est dû à une ingestion exagérée de gin ou à la brume qui monte du fleuve.

Et l’espoir, dans tout ça, et la vie ?
– Allez, vas-y, dit Cassidy, chante-moi ta petite sérénade.

Cassidy's Girl

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Lectures

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Eros, statue de Pompéï, musée archéologique de Naples.
Eros, statue de Pompéï, musée archéologique de Naples.
Eros, statue de Pompéï, musée archéologique de Naples.
Eros, statue de Pompéï, musée archéologique de Naples.

L’écrivain et son turbin

Comment vit un écrivain professionnel quand il n’a pas la chance de voir un de ses romans adaptés pour la télévision ou quand il ne reçoit pas des piges somptuaires de Causeur ? Il lui reste cette invention récente : l’atelier d’écriture.
L’atelier d’écriture consiste à être invité par une collectivité quelconque, en général à vocation sociale ou éducative (écoles, collèges, centres fermés pour mineur, prisons) et à faire écrire un groupe donné sur un sujet donné. Il ne faut surtout pas confondre l’atelier d’écriture avec le cours de français. Il s’agit plutôt d’un moment qui oscille entre la thérapie de groupe, le grand n’importe quoi et, parfois, la poésie pure.

[access capability= »lire_inedits »]Chefdeville, (pseudonyme d’un auteur connu de polar), raconte dans L’Atelier d’écriture, sur un mode ironique et rabelaisien, ses tribulations autobiographiques d’écrivain dans la dèche, auteur d’un unique polar paru à la Scierie noire (!), qui survit en faisant écrire à des apprentis boulangers et autres élèves de chaudronnerie des histoires aussi noires que sa vie et que la leur. L’Atelier d’écriture est pourtant un des livres les plus franchement drôles du moment et, l’air de rien, photographie sous un angle inédit une France des périphéries un brin désorientée.

L'Atelier d'écriture

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L’été sera chaud

André Pieyre de Mandiargues aurait eu cent ans cette année. La collection Quarto, qui est chez Gallimard une manière d’antichambre de La Pléiade, réédite pour l’occasion un bon nombre de textes les plus représentatifs d’une œuvre qui est, avec celle de Gracq dont il était l’exact contemporain, un des plus beaux surgeons du Surréalisme. Quand Gracq explorait le rivage des Syrtes, Mandiargues, lui, préférait se perdre dans une autre géographie, celle des corps dont il rendit compte avec une sensualité hautaine et une écriture lancinante comme le plaisir. Sous le parrainage assumé du théâtre élisabéthain, des romantiques allemands, de Poe et d’un certain sadomasochisme nippon, Mandiargues est peut-être tout entier dans la nouvelle intitulée Le Passage Pommeraye, lieu dont on connaît l’importance pour Breton, Vaché et les surréalistes. C’est une des premières qu’il a publiée, en 1946, dans le recueil Le Musée noir. On y voit les noces entre la monstruosité, le sexe et la mort dans un climat pourtant étrangement attirant.

André Pieyre de Mandiargues avait eu le Goncourt en 1967 pour La Marge, roman d’une errance dans la Barcelone des années franquistes où un homme décidait de se perdre après avoir appris, presque par hasard, la mort de sa femme. Si ce roman ne figure pas dans cette édition, on pourra néanmoins retrouver Le Lis de mer, récit balnéaire et sicilien de l’initiation sexuelle programmée d’une jeune fille ou encore La Marée, une nouvelle du recueil Mascaret, adaptée par Walerian Borowicz dans ses Contes immoraux (1974) et qui raconte comment un jeune homme initie une camarade de jeu à la fellation dans les rochers et attendra, pour se répandre dans sa bouche, que la marée soit complètement haute. Un écrivain, comme on le voit, hautement recommandable.

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Bac en AOF : la catastrophe

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Luc Chatel va-t-il devoir présenter sa démission, à peine entré au Ministère de l’éducation nationale ? Il semblerait en effet que les résultats du bac soient catastrophiques au Sénégal. En effet, à l’issue du premier tour d’épreuves, on en serait pour ne citer que les résultats les plus significatifs à moins de 30 % de réussite dans les centres d’examen de Dakar et dans la région de Diourbel, moins de 0,5 % au pour le lycée Djignabo de Ziguinchor, le plus grand centre de la région. On déplorera aussi le chiffre ridicule de cinq admis d’office sur 169 candidats dans le seul centre de la région de Kédougou. Et, horreur, 5,10 % de taux de réussite à Sédhiou (38 admis d’office et 163 admissibles sur 744 candidats). Arrêtons-là ces chiffres démoralisants. Ah, mais on me signale dans l’oreillette que le Sénégal ne fait plus partie de l’AOF depuis 1960 et que toute responsabilité française est dégagée. Ouf ! Ces gens-là ne prennent vraiment pas le baccalauréat au sérieux. Ce n’est pas comme chez nous avec nos 80 % de réussite, grâce aux jurys d’harmonisation et des moyennes de 20,90 chez certains élèves par le jeu des options.

Des juifs indéfendables

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Le comble de l’antisémitisme serait de croire qu’il n’y a pas chez les juifs une proportion raisonnable de brutes écervelées et de jeunes crétins. Ou encore de considérer que les auteurs de violences commises au nom d’une improbable « défense juive » sont excusables parce qu’ils sont pauvres, incultes ou traumatisés par les souvenirs d’une guerre qu’ils n’ont pas vécue.

À Causeur, l’antisémitisme, on n’est pas trop pour. En conséquence nous pensons que quand des juifs sont coupables de délits ou de crimes, ils ont le droit, comme n’importe quels Français, d’être coffrés par la police de leur pays et jugés par la justice de leur pays. Peu me chaut qu’ils invoquent Israël, la Torah, la pensée du président Mao ou leur enfance malheureuse.

On peut donc se féliciter que les auteurs présumés du saccage d’une librairie parisienne vouée à la défense de la cause palestinienne aient été interpelés et placés en garde à vue mercredi. Les idées, ça se combat avec des idées. Autrement dit, quand on n’est pas d’accord, on cause, mieux que l’adversaire, plus fort et plus malin que lui. On lui explose la tête intellectuellement. Mais on n’attaque pas une librairie. Pas chez nous les Français. Pas chez nous les juifs.

Je n’ai jamais mis les pieds dans la librairie « Résistances » sise à Paris XVIIème et je ne pense pas pallier ce manque dans un avenir proche. Ses responsables Olivia Zemor et Nicolas Shahshahani animent ou animèrent le CAPJIPO, dont une partie du sigle signifie « Pour une paix juste au Proche Orient », ce qui pour eux, passe plus ou moins clairement par la disparition d’Israël comme Etat juif – un Etat juif, c’est déjà fasciste, non ? Ces deux braves pacifistes qui furent également fort actifs dans la liste Euro-Palestine en 2004 ont une tendance marquée à « comprendre » (attention, je n’ai pas dit justifier), les « résistants » du Hezbollah et autres organisations également très pacifiques. Le genre à condamner les attentats-suicides, mais.

Pour être honnête, il faut préciser qu’ils semblent s’être arrêtés à la porte du dieudonnisme. Je n’irais ni passer des vacances avec eux ni chercher dans leur librairie de quoi lire pendant les miennes. Mais je suis prête à me battre pour qu’ils puissent continuer à vendre leur propagande anti-israélienne en toute quiétude.

Or, vendredi dernier, apprend-on par les agences de presse, « cinq hommes cagoulés et en jogging sombre sont entrés dans la librairie armés de bâtons et de bouteilles d’huile. Ils ont cassé la caisse et les ordinateurs, jeté les livres par terre et vidé leurs bouteilles d’huile sur le sol ». En prime, ils ont, sinon brutalisé au moins bousculé et effrayé les personnes qui se trouvaient là. Les agresseurs se sont réclamés de la « Ligue de défense juive » – qui nie sur son site « toute participation aux dégradations de la Librairie Résistances ». La police tranchera. Mais si la survie du peuple juif dépend d’aussi sombres abrutis, l’avenir n’est pas tout rose.

Alors, ça me fait tout drôle mais voilà : je suis d’accord avec Pascal Boniface. Dans une tribune publiée sur son blog, il exprime son « indignation à la fois par rapport à l’attaque qu’ils ont subie, et l’absence de réactions qu’elle a suscitée ». Eh bien moi aussi, je suis indignée par l’attaque et indignée par l’absence de réactions. Pour tout dire, j’aurais apprécié un communiqué du CRIF ou de la LICRA. Et puisque c’est mon jour, je ne suis pas loin d’être d’accord avec le MRAP qui demande l’interdiction de la LDJ. S’il y a de quoi, dans la loi, interdire cette association, il faut que force reste à la loi.

Et puis s’attaquer à des livres devrait être une circonstance aggravante, en particulier quand on appartient à un peuple du Livre.

Arthur Russell, icône de rien

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Arthur Russell
Arthur Russell.
Arthur Russell
Arthur Russell.

William Socolov repose son verre. Le boss du label Sleeping Bag est, cette nuit de 1979, un homme heureux. Il est 2 heures et tout le Loft est en transe ; le mythique night-club de New York se déchaîne sur la démo qu’il vient de passer au disc-jockey : Go Bang, d’Arthur Russell. Il faut en féliciter l’auteur. Où est-il passé ? Le producteur se fraie un passage parmi les clubbers, se fait claquer une bise par Lola Love, la choriste de James Brown : « So funky, Will, so funky », et peine à mettre la main sur Arthur Russell, dont le public vient de tomber raide dingue sans même le connaître.

Arthur est prostré dans un coin. Elle a une drôle de dégaine, la nouvelle star du disco : à 26 ans, son visage conserve des stigmates prononcés d’acné juvénile et ses chemisettes à carreaux lui donnent des allures de fermier de la Corn Belt. Pour le glitter et le glamour, on repassera.

[access capability= »lire_inedits »]« Arthur ! Tu as vu : les gens adorent !
– La démo est à chier. »

Russell tourne les talons. C’est, chez lui, une seconde nature. Quand vient le succès, ne pas trop y croire, signer ses disques sous pseudo (il en aura beaucoup) et passer très vite à autre chose – on n’est jamais trop prudent.

Le lendemain, Russell assure une performance au Kitchen, une scène avant-gardiste située dans Chelsea. Ce n’est pas une scène, ni un conservatoire, ni une école, mais une boîte de Pétri de la musique expérimentale : ça bouillonne. On y croise des jeunes gens doués comme Lauren Anderson et Brian Eno. Généralement, Arthur y chante, s’accompagnant au violoncelle et bidouillant avec une boîte à effets. C’est toujours étrange de retourner au Kitchen : il en a été directeur musical quelques mois. Il a été beaucoup de choses pendant quelques mois.

Arthur aura à peine le temps de quitter le Kitchen pour passer au home studio qu’il a aménagé dans l’appartement de l’East Village, où il vit avec son compagnon, Tom. Il y passe des heures, accumule les enregistrements et emprunte le ferry vers Staten Island pour réécouter ses morceaux sur son walkman.

La nuit le verra partout où New York vit en underground. Il fréquente les « places to be » et s’y produit : la Danceteria pour la new wave et la pop, la Gallery et le Paradise Garage pour le disco, le Roxy pour le hip-hop, le Lower Manhattan Ocean Club pour la folk. Des opportunités, il en a, bien sûr. Mais, immanquablement, ça coince. On lui propose d’écrire la partition d’une adaptation de Médée, il s’embrouille avec le metteur en scène. Quand il rencontre David Byrne, qui lui propose de rejoindre les Talking Heads, un petit groupe qu’il est en train de monter, ça ne colle pas.

Il n’est pas facile de travailler avec Arthur. Perfectionniste, il revient plusieurs fois sur l’ouvrage, réécrit, révise, réenregistre. La plupart du temps, il laisse ses chansons inachevées. Sa voix diaphane, ses compositions à la croisée de la pop, la new-wave, la folk et le disco, sont à la fois accessibles et déconcertantes. En 1986, son album World of Echo connaît un succès d’estime. Il tombe malade et entreprend un nouvel album, Corn, qu’il n’achèvera pas. Là, ce n’est pas sa faute, mais celle de la mort – bonne excuse. Arthur Russell décède en 1992, laissant plusieurs centaines de bandes d’enregistrement, avec parfois plusieurs dizaines de versions d’une même chanson.

Depuis quelques années, la critique redécouvre Arthur Russell et le transforme en icône pop et gay. À tout prendre, Russell aurait certainement préféré être tenu pour une icône transgenre. Non pas qu’il enfilait en douce les robes de maman, mais, dans ces années 1980 où la loi des genres commençait à segmenter la musique pour mieux la commercialiser, il refusait les étiquettes et les styles imposés par les producteurs et les disquaires. Un doux anarchiste expérimental, qui avait substitué au classique « Ni dieu ni maître » un « Ni pop, ni rock, ni folk, ni disco ». De la musique avant toute chose, et de l’exploration. Peut-être Arthur Russell n’est-il jamais parvenu à une version définitive de quoi que ce soit, mais ses ébauches surpassent bien des œuvres achevées.

Calling Out of Context

Price: 29,61 €

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Audika Records réédite certains albums et publie des inédits d’Arthur Russell. Calling Out Of Context (AU-1001-2) et World Of Echo (AU-1002-2). Le réalisateur Matt Wolf lui a consacré un documentaire, Wild Combination, a portrait of Arthur Russell, disponible en DVD distribué par Plexifilm.
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La fin des temps continue

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Chien

Clébard

À Paris aussi, les signes de la fin des temps se multiplient.

Ce matin, encore : attablé à la terrasse d’un bistrot, j’assiste, impuissant, à une scène d’apocalypse. Deux hommes accomplissant de conserve l’étrange rituel biopolitique connu sous le nom de « footing » passent dans la rue. Il s’agit, à l’évidence, d’un « couple gay », et non de deux hommes qui s’aiment. L’un des deux est possédé par un corps gigantesque et bodybuildé. Son regard plein d’effroi atteste qu’il ne s’agit nullement du sien. Ses petits yeux semblent être la seule partie réelle de son corps, comme si tout le reste de son corps véritable était enseveli, dissimulé, broyé à l’intérieur de ce performant tas de viande. Au bout du bras du géant sans corps, je vois soudain une main. Cette main tient une laisse.

[access capability= »lire_inedits »]Au bout de cette laisse (allez-y voir vous-même, si vous ne me croyez pas), se trouve un minuscule chien haletant, courant à un rythme effréné. Le géant s’arrête. Le chien défèque sur la chaussée. Et, presque instantanément, notre citoyen en phase terminale tire de sa poche un sac en plastique, à l’intérieur duquel il enveloppe diligemment la merde du petit clébard. Puis, conservant le sac et la crotte à la main, il reprend sa course de néant avec ses deux compères.

Une semaine plus tôt, j’ai découvert dans les poubelles de mon immeuble le manuscrit de L’Esprit du nihilisme, une ontologique de l’Histoire, de Mehdi Belhaj Kacem, dans le grand réceptacle jaune fluo sale destiné aux papiers et cartons.

Julien Coupat écrit dans Le Monde.

Nul ne filme le corps de Julien Coupat. (« Il en manque un ! », hurlent les Spectateurs terrifiés.)

Le premier homme ayant subi une « greffe du visage » est mort, probablement sans avoir eu le temps de lire une seule ligne de Lévinas.

La DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) poursuit la guerre contre l’Ennemi intérieur, mais désormais « uniquement au sein de ses propres services ».

L’actuel Premier ministre de l’espace France, dont le nom m’échappe, se glorifie d’être un geek.

La fin des temps, chacun le sait, est advenue en 1914. Puis le monde a fini encore trois fois. Depuis, nous simulons la vie. La peinture rose de nos sourires s’écaille chaque jour davantage. Pour l’essentiel, nos corps sont inanimés.

Je terminerai par quelques prévisions encourageantes concernant les futurs gestionnaires de l’espace France :
2012 : Ségolène Royal
2017 : Nicolas Sarkozy
2022 : Ségolène Royal
2027 : Jean Sarkozy

Parfois, aussi, nous sommes soulevés par d’immenses joies.[/access]

De l’affliction à la fiction

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Motel
Bruce Bégout théorise sur le Motel à l'américaine.
Motel
Bruce Bégout théorise sur le Motel à l'américaine.

Lorsque tant de philosophes estiment que la philosophie est un est moyen de passer à la télévision, Bruce Bégout persiste à croire qu’il s’agit d’un eudémonisme. Évidemment, ce n’est pas avec des mots comme ça que vous allez être invité au « 20 heures » et vous indigner avec une belle chemise ouverte ou une coupe au bol, mais c’est sans doute avec des mots comme ça que vous aurez des lecteurs et, chose devenue rare par nos temps spectaculaires, des lecteurs qui trouveront en vous de quoi mieux comprendre le monde immédiat qui les entoure et donc, être heureux. Eudémonisme, ça ne veut pas dire autre chose, ce n’est ni obscène ni trotskyste.

[access capability= »lire_inedits »]Ce qui intéresse Bruce Bégout, la petite quarantaine, c’est notre vie quotidienne, un peu comme le Henri Lefèvre, dans les années 1950, dont les travaux inspirèrent si visiblement Guy Debord. La vie quotidienne, par rapport à l’époque de Lefèvre, sécrète des aliénations d’un type nouveau, notamment dans notre rapport à un espace urbanisé, suburbanisé et rurbanisé où nous devenons des hommes sans liens, des passants tantôt émerveillés comme des enfants, tantôt seuls comme des personnages de romans noirs en cavale, en apesanteur sociale de nomade monade.

Pour illustrer ces deux aspects, Bruce Bégout a déjà écrit deux petits chefs-d’œuvre : Zéropolis, minutieuse promenade à Las Vegas, stade ultime de l’urbanisme hyperfestif, et Lieu commun où il théorise sur le motel à l’américaine, phénomène qui gagne d’ailleurs la France où toutes les périphéries sont désormais quadrillées par des hôtels low-cost faits pour l’adultère ou le repos du technico-commercial.

Le style de Bégout, dans ces deux livres, devrait réconcilier le lecteur avec la philosophie : elle redevient cette chose précise et évidente qui donne soudain un sens plein à l’existence quand, par une nuit d’insomnie, on zappe entre les deux cents chaînes du câble dans une chambre de motel, quelque part dans la banlieue de Gary, sur la route de Memphis ou encore, mondialisation oblige, sur l’autoroute Lille-Amsterdam ou coincé entre un Conforama et un Cuir Center de la zone commerciale de Saint-Amand Montrond.

Comme tous les philosophes qui écrivent bien, Bruce Bégout raconte des histoires en produisant du concept.

Alors, parfois, il se lance et tente l’expérience de la pure fiction, pas seulement pour illustrer sa philosophie mais pour la prolonger en élégants travaux pratiques. On avait déjà lu L’Eblouissement des bords de route qui se présentait comme un recueil de nouvelles sur les usagers des motels. On sait qu’à observer de trop près la réalité, elle devient presque fantastique, comme la mouche sous le microscope. C’est ce qu’a merveilleusement compris Bégout dans son tout dernier livre paru, Sphex, où le passage de la philosophie à la fiction pourrait se théoriser comme le choix volontaire d’une mauvaise distance pour observer un sujet d’étude et lui donner ainsi un aspect drôle, morbide où terrifiant. Dans Sphex, un médecin légiste veut faire plaisir à sa petite-fille et la laisse jouer avec les cadavres de l’Institut médico-légal, un milliardaire met toute son énergie à effacer Marx des mémoires, un motard passe des années à photographier sous tous les angles le trajet pourtant banal qui l’emmène de son domicile à son travail pour tenter, sans trop d’espoir, de se réapproprier un décor devenu étranger à force de répétition, et pourtant dont on ne saura jamais capter tous les détails architecturaux, toutes les variations lumineuses.

Tous ces personnages que caractérisent la névrose, la solitude, une certaine perte des repères spatiaux ou moraux sont, bien entendu, de manière implicite, à la recherche d’une possibilité de reconstruire le monde.

Et c’est là que Bruce Bégout est vraiment de la famille, si nous pouvons nous exprimer ainsi, parce que l’un de ses livres récents, La Décence ordinaire est consacré à la common decency de George Orwell, qui n’était pas devenu le banal anticommuniste que l’on a bien voulu dire après La Ferme des animaux et 1984. Non, Orwell désirait construire un socialisme d’un genre nouveau, pré ou post-marxiste comme on voudra, s’appuyant sur cet ensemble de valeurs communes aux classes populaires, de solidarités naturelles, d’attention dans le rapport à l’autre, de souci de soi dans la tenue et le discours. Bruce Bégout cite ainsi Orwell comme meilleur remède possible à nos vies mutilées : « Nous sommes simplement parvenus à un point où il serait possible d’opérer une réelle amélioration de la vie humaine, mais nous n’y arriverons pas sans reconnaître la nécessité des valeurs morales de l’homme ordinaire. Mon principal motif d’espoir pour l’avenir tient au fait que les gens ordinaires sont toujours restés fidèles à leur code moral. » Et Bruce Bégout, dans la recherche de ces valeurs, nous encourage à nous comporter comme Orwell, c’est-à-dire en « anxieux sereins ».

En attendant, si vous avez cette impression, par les temps qui courent, de tourner en rond dans la nuit et de vous brûler à son feu, si certains gestes de votre vie quotidienne vous donnent soudain le vertige, alors oui, les contes cruels de Sphex sont pour vous, petites pilules d’amertume où l’on reconnaît, dans la composition, un peu de Borges, de Mirbeau, de Villiers de l’Isle Adam.

Autant dire, du très haut de gamme.

La Découverte du quotidien, Zeropolis, Lieu commun et La Décence ordinaire sont publiés aux éditions Allia. L’Eblouissement des bords de route chez Verticales et Sphex, à L’Arbre Vengeur.
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Pour vivre heureux, restez à l’ombre

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Vacances
Trudi Kohl vous prodigue ses meilleurs conseils pour passer de bonnes vacances.
Vacances
Trudi Kohl vous prodigue ses meilleurs conseils pour passer de bonnes vacances.

Oubliés Home, Yann Arthus-Bertrand, Daniel Cohn-Bendit et Nicolas Hulot : le péquin moyen a déjà installé sa caravane à Palavas-les-Flots et, rigolard, se réjouit du réchauffement climatique. « Il fait chaud, ils l’ont dit à la télé. Et quand il fait chaud, ça donne soif. Suzanne, rapporte des glaçons ! »

Mais Suzanne ne rapporte rien. Elle n’est pas là. Elle est à la plage et entend bénéficier, toute la sainte journée, des bienfaits du soleil : érythèmes bénins, mélanomes malins, carcinomes chagrins. Certes, elle a entendu, il y a quelques semaines à la télévision ou à la radio – c’était un lundi midi, sur Europe 1, juste avant Élisabeth Lévy –, que l’Académie française de médecine déconseillait l’exposition prolongée aux ultraviolets. Sept mille cancers cutanés sont diagnostiqués chaque année en France, trois fois plus qu’il y a vingt ans. Mais elle avait cru que cela ne concernait que les solariums, sans chercher plus loin. Et Suzanne se fait bronzer les bourrelets au soleil de la Côte en toute impunité. Soyons juste : il n’est pas dit que les chouchous qu’elle avale les uns après les autres – quand il fait chaud, faut manger gras – ne la tueront pas avant le cancer cutané qu’elle est en train de se bricoler en douce. Cela s’appelle l’insouciance française, et contre une AOC ni la raison ni l’entendement ne peuvent rien.

[access capability= »lire_inedits »]Nous autres, en Allemagne, ne sommes ni français ni insouciants. Nous pensons aux générations futures, avec tout le poids de la deutsche Vergangenheit. Willy, mon mari, m’a annoncé : « Cette année, on ne part pas en vacances. Pas question de prendre l’avion ou la voiture pour aggraver notre empreinte carbone. Quoi ? Si je ne t’ai pas vu respirer à l’instant !… On prendra le train. On descendra à Fribourg et, de là, nous irons en bus à Bad Krozingen. Cure thermale à volonté ! »

La perspective m’enchante. Quand je suis en vacances, j’adore aller à la plage. Je m’installe généralement à côté de Suzanne. Elle a toujours quelque chose à me raconter : les gosses, le temps qu’il fait, la voisine, la belle-mère, Sarkozy, Carla, les mecs. On a passé l’âge de même espérer flirter avec eux. On le sait. Mais on les regarde passer, prenant plaisir à cancaner sur leur dégaine en général et leur maillot de bain en particulier, regrettant parfois qu’ils ne nous adressent aucun regard. Ça leur ferait du mal, juste un clin d’œil ? Alors, on reprend, au goulot d’une mignonnette, une gorgée de whisky et l’on continue, avec encore plus de verve et d’entrain, à leur décerner notre plus hautain mépris.

Seulement, comme son nom l’indique, Bad Krozingen, ce n’est pas vraiment Palavas-les-Flots. D’abord, il n’y a pas Suzanne, mais de vieilles rombières qui font la moue quand vous leur proposez une rasade de whisky à même la bouteille, croyant certainement que c’est du GHB, la drogue du violeur dont elles ont entendu parler en visionnant un épisode un peu olé-olé de Derrick, ou que la gorgée qu’elles vont prendre hissera leurs gamma GT à un niveau record. « Mon diététicien m’a interdit le porto », confient-elles comme si elles avaient subi la veille la grande opération. Et puis, la plage, à Bad Krozingen, tu peux longtemps la chercher. Les moindres souvenirs que je rassemble l’indiquent : il pleut en permanence là-bas. Je crois que c’est la seule station thermale au monde où l’eau ne t’est pas projetée sur le corps par un jeune infirmier beau comme un dieu, mais tombe sur ta tête sitôt que tu t’aventures dehors. La France a la Bretagne, nous avons Bad Krozingen. Pas de jaloux : micro-climat pour tous.

Voilà qui me ferait regretter de m’être mariée, il y a un peu plus de trente ans, avec Willy. À l’époque, j’étais jeune et fringante, j’aurais pu faire ma vie avec un homme comme Bernard Madoff. Il a tout réussi. L’exemple est peut-être mal choisi, mais il n’empêche qu’avec lui, je ne risquerais ni l’insolation ni la douche d’eau : il en a pris pour cent cinquante ans à l’ombre. Une broutille ! Il est à peine âgé de 71 ans et, avec le jeu compliqué et aléatoire des remises de peine, il se pourrait bien qu’il sorte dans cent trente ans. Il arborera alors ses tout juste 200 ans. Mais deux siècles, c’est quoi dans la vie d’un homme ?

Deux siècles ne sont rien, comparés à sept jours passés à Bad Krozingen. Ce séjour m’effraie. Non seulement j’y serai privée de tout (il faut se lever de bonne heure là-bas pour trouver un bistrot), mais je ne pourrai même pas m’y livrer au sport favori de tout Allemand en farniente : éviter les Allemands. C’est déplorable : à Bad Krozingen, ils sont partout. Il y en a tant qu’on se croirait sur la Costa del Sol. Encore qu’à Malaga ou à Torremolinos, tu peux esquiver en ânonnant un « Yo no hablo alemán… » Mais va essayer de baragouiner espagnol à Bad Krozingen : tu deviendrais l’attraction number one, tous les petits vieux se réuniraient autour de toi en essayant de te convaincre de danser le flamenco. Comme à Torremolinos.

Je me demande si je ne vais pas laisser Willy passer seul ses vacances. Je m’installerai chez mes amis de Causeur : Élisabeth, Gil, Marc, Basile, François, Luc ou Jérôme. Ou chez vous, peut-être. Invitez-moi, je vous en prie ! Je suis propre sur moi, je raconte des blagues, je boirai votre whisky et je vous dépayserai en ne vous parlant qu’allemand. Comme à Bad Krozingen. Ou à Torremolinos.[/access]