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2010, Odyssée des résolutions (2)

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Deuxième résolution pour 2010 : devenir montreur d’escargots. Un métier moins dangereux que montreur d’ours et, surtout, un film d’animation réalisé en 2008 par les très talentueux Philippe Desfretier, Nicolas Dufresne, Sylvain Kauffmann, Martin Laugero (Supinfocom, Valenciennes).

Gaffe à Gégauff !

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Paul Gégauff dans les bras de Cécile Vassort, dans <em>Une partie de plaisir,</em> de Claude Chabrol, 1975.
Paul Gégauff dans les bras de Cécile Vassort, dans Une partie de plaisir, de Claude Chabrol, 1975.

Vous avez, chers Causeurs, encore une fois survécu à deux réveillons. C’est que vous n’êtes pas Paul Gégauff. Lui n’a pas vu la nouvelle année 1984. Et pour cause, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1983, alors qu’il réveillonnait avec sa compagne en Norvège, il a dit à celle-ci qui le menaçait d’un couteau cette phrase que tant d’hommes ont eu envie de prononcer : « Tue-moi si tu veux mais arrête de m’emmerder. » Il avait soixante-et-un an, elle en avait vingt-cinq : elle l’a pris au mot et l’a poignardé à trois reprises. Il n’est pas certain que Gégauff, un des plus grands scénaristes français, n’ait pas apprécié cette fin romanesque et sanglante. De toute manière, il n’aurait pas aimé les années 1980. Pas son genre de beauté, à Gégauff, la gauche réformiste, les années fric, la fin du style, la mort du goût.

On réédite aujourd’hui, à l’initiative d’Arnaud Le Guern dans sa collection « Les Inclassables » chez Alphée, Tous mes amis, un des cinq livres de Gégauff, un recueil de nouvelles initialement paru chez Julliard il y a quarante ans. Vous êtes priés d’aller acheter Tous mes amis pour une raison simple : nous aimerions que Le Guern connaisse dans cette heureuse initiative un certain succès et puisse aussi rééditer les précédents. Il s’agit de quatre romans, petits joyaux hussards, parus assez étrangement aux Editions de Minuit dans les années 1950. Au milieu de Nathalie Sarraute, Marguerite Duras et Alain Robbe-Grillet, qui sont quand même à eux trois ce que la littérature française d’après guerre a donné de plus surfait, de plus prétentieux et de plus ennuyeux, Gégauff était là comme un mauvais élève surdoué avec son ironie et sa méfiance de l’adjectif, son goût pour les peaux duveteuses et sa méfiance pour les abstractions qui remplissent les cercueils.

En vous procurant Tous mes amis, vous éviterez ainsi à toute une génération de nouveaux lecteurs de passer leurs après-midi au dessus des caisses des bouquinistes à la recherche fiévreuse de romans aussi mythiques que Les Mauvais plaisants de 1951 ou Une partie de plaisir de 1958 alors qu’ils feraient mieux de rechercher un emploi et de fonder une famille. Ces deux titres d’ailleurs, à eux seuls, résument bien la Gegauff’s touch que vous trouverez dans Tous mes amis. Une façon cynique, drôle, élégante, discrètement désespérée, dégraissée et rapide comme l’Aston-Martin où son ami Roger Nimier s’est tué de parler de l’amour, de la France, de l’argent, des jeunes filles, des voyages. Gégauff avait des passions heureuses et ruineuses : les femmes, les décapotables, l’alcool et la littérature. Au fond, il aurait seulement aimé écrire à la paresseuse mais avec ce genre de vie à vous faire mal voir de votre concierge, il n’y avait qu’une solution pour trouver un peu d’artiche : le cinéma. Alors on fera le scénariste et le dialoguiste pour, excusez du peu, René Clément, Eric Rohmer, Godard et surtout Chabrol. On a oublié à quel point La Nouvelle Vague, derrière ses allures d’avant-garde artistique était en fait réac comme on aime, entre le royco Rohmer et l’anar de droite Chabrol. Cette plasticité amusée devant les idées générales permettra d’ailleurs à Gégauff d’être aussi le scénariste de More, de Barbet Schroeder, le film qui a sans doute le mieux saisi ce que fut l’esprit beatnik, mais aussi d’innommables nanars comme Brigade mondaine.

Il y a chez Gégauff, qui fut avec Audiard et Pascal Jardin l’un des trois scénaristes français les plus prisés, un sens de la formule qui est celui de tout un peuple insolent qui fait jouir la langue avec le même bonheur dans le salon de Madame de Sablé ou les bistrots de Blondin. Un exemple ? Dans Tous mes amis, une des nouvelles, « Des roses à la pelle », raconte comment deux scénaristes en pleine dèche claquent leurs derniers billets dans un somptueux diner chez Lucas Carton. Une jolie jeune fille dîne seule à côté d’eux. Evidemment, ils l’embarquent pour aller en boîte. Et Gégauff de noter alors, sur un rythme très cardinal de Retz : « Ils allèrent, ils dansèrent, ils trouvèrent en Erika une compagne d’un enjouement exquis qui fit dire à Georges :
– Elle est comme elles sont de moins en moins : parfaitement comme il faut. »

Gégauff lui aussi, décidément, est parfaitement comme il faut.

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Quand l’huître sourit

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Le ministère de la pêche a annoncé, au grand soulagement des ostréiculteurs déjà partiellement ruinés, qu’il renonçait au test souris pour déceler la présence de micro-algues toxiques dans nos fines de claires, nos prat-ar-coum et nos Utah beach. Dans le genre scientiste fou, le test ne manquait pas d’une certaine jovialité surréaliste et sadienne. Il s’agissait ni plus ni moins d’injecter de l’huitre à la souris. Petit problème, il devenait évident avec les années que la souris mourait même si l’huitre était saine. On ne dit pas si nos aimables scientifiques avaient, par souci de rigueur, procédé à ce test pour l’homme. Une huitre bien iodée et bien charnue en intraveineuse, cela doit certainement faire un bien fou. Et l’on espère que le test qui consisterait à injecter du chinon dans un chat pour vérifier sa teneur en sulfites va rester, lui, dans les cartons du ministère.

Noël pour tous !

Giotto, Nativité.
Giotto, Nativité.

Vous avez tenu bon. Bravo ! Vous qui lisez ce texte, vous avez survécu à cette franche joie de Noël et du jour de l’An, au sapin, aux guirlandes, à la belle-mère débarquant encore svelte, tout ça pour faire joli, au salon. Les chocolats. Le foie gras, le vin précieux, et la belle-mère donc, débarquant disais-je, fraîchement décorée des palmes académiques. Au téléphone, j’ai failli lui demander si je pourrais les suspendre au Nordmann acheté pour 45 euros au Rom du coin. Je ne sais pas d’où il sortait ça. Sur l’asphalte, il y en avait tout un wagon. S’il avait voulu, il aurait pu s’en construire, une belle cabane, plutôt que de traîner ses guêtres, tout le reste de l’hiver, à la sortie du métro. Mystère et boule de neige. Pourvu qu’il neige, papa ! On verra bien. Serais-je l’entremetteur du Ciel ?

Les cadeaux, les cadeaux bien sûr. On n’est pas des chiens ! Le père Noël ne voit jamais qu’on n’a pas été sages. Comme Gilbert Montagné à l’UMP, il conduit en aveugle son traîneau façon 4×4. Et puis quand même, quand même, le petit Jésus, ajusté dans sa crèche, avec autour de lui l’âne, les bergers, les rois mages.

Vous avez oublié pour un temps vos peines, vos rancœurs et à Saint Aubin d’Aubigné, la grippe A. Vous avez fait comme moi, mis vos petits souliers sous le séquoia. En attendant le lendemain. Papa, papa, tu crois qui va y avoir dl’a neige, hein ? Tu sais, fiston, il se réchauffe, le climat. Contente-toi des cadeaux.

Avouez que vous les attendiez, ces cadeaux, vous, là, derrière l’écran. Avouez même que vous n’attendiez que ça. Et puis de vous empiffrer, de vous goinfrer de truffes, chocolats, dinde ou je ne sais quoi, jusqu’à l’indigestion. D’en reprendre et d’en reprendre du blanc et du rouge et du champagne. Et d’en reprendre encore. Je me souviens d’une collègue, tiens, appelons-la Fabienne, qui disait que les soirs de réveillon, elle mettait un point d’honneur à choper une crise de foie. Véridique. Si le lendemain, elle quittait son lit sans le moindre signe de nausée, elle se sentait mal, si j’ose dire. Et donc elle remettait ça, toute la journée du 25 et du premier de l’An. Ah, elle finirait par l’avoir sa crise ! Elle les vomirait, ses dix litres de champagne ! On est des Français, ou quoi ?

Je l’aimais bien, moi, Fabienne, cette collègue. Un tempérament comme ça, vous imaginez ce qu’on pouvait en faire. Ah, je lui ai fêté, son identité nationale, pour arroser ma naturalisation toute fraîche ! Mon passeport italien, peut-être qu’il traîne encore quelque part, chez elle. Peut-être qu’elle l’a retrouvé, le 26 décembre, lorsqu’elle a fait le ménage, sous son lit, parmi les cadavres de bouteilles.

Je l’aimais bien. C’est le petit Jésus qui nous a séparés.

Que voulez-vous, ça a fini par m’énerver qu’elle vante ses crises de foie de Noël. Car Noël, pour elle, comme pour vous, là, c’était donc la bouffe façon Gargantua, Pantagruel et puis les fameux cadeaux, sous l’séquoia. Le reste, poubelle ! C’est elle qui a prononcé le mot, elle qui a ouvert les hostilités, donc. Poubelle ? Elle jetait le petit Jésus avec l’eau du bain. Jésus, disait-elle, j’ai jamais pu le lire, moi, l’Ancien Testament. Imaginez ma tête. Professeur de lettres, la donzelle, paraît-il, des diplômes quand même, et elle refaisait l’histoire d’une façon bien cruelle. Dans sa soulographie perpétuelle, elle anachronisait les personnages de la crèche. Jésus, la belle, c’est dans le Nouveau Testament, mets-ça dans ta caboche ! Et elle : mais qu’est-ce que ça peut faire ? Tu y crois à tout ça, toi ? Minute. Ça peut faire par exemple, répondais-je, que si tu confonds tout ça, tu leur répondras quoi, à tes élèves, lorsque, en plein commentaire de Baudelaire ou Victor Hugo, ils te poseront des questions au sujet de la Bible, tu auras l’air bien tarte, eh, mirabelle ! Elle n’a pas aimé la crème. Eût-elle eu une Bible, sous sa main mignonne, qu’elle me l’envoyait presto dans la figure. Au lieu de ça, c’est la trousse de la collègue d’histoire qui a volé, façon obus de Verdun, à travers la salle des profs. Fichu tempérament.

Il y a des jours comme ça.

Je n’en suis pas resté là. J’avais l’anathème facile, à l’époque. Je lui ai servi le couplet de tout à l’heure : toutes les fêtes, pour vous, pour nous, sont devenues prétextes à se goinfrer, à se vautrer dans la mauvaise graisse du commerce, des marchandises perpétuelles. Bon Dieu, mais pourquoi fêtez-vous donc encore Noël, si vous vous fichez de Jésus, si vous ne savez même plus ce que signifie cette crèche que vous placez sous le sapin ? Malgré tout le respect que je leur porte, comme il se doit, à mes amis juifs ou musulmans, est-ce que je fête Kippour, moi, ou l’Aïd, encore ?

Ils ont commencé à s’y mettre, tous. Ils m’ont répondu par les couplets habituels : occasion de se retrouver en famille, de simplement faire la fête, de faire plaisir aux petits nenfants, tout ça. Et d’ailleurs, même les Juifs et les musulmans fêtent Noël, pour les mêmes raisons. Tatitata. Et encore, nous ne savions pas, à l’époque que d’aucuns viendraient à demander bientôt que tout le monde fête toutes les fêtes, question de prouver qu’on est bien tous tolérants. Drôle de conception de la laïcité : croire que respecter les religions, c’est s’inviter à toutes les fêtes ; alors qu’il me semblait plutôt, moi, que les respecter, c’était ne pas les galvauder et laisser chacune d’entre elles communier dans l’intimité.

Ils ont commencé à s’y mettre, tous. On approchait de la fin décembre et je les voyais prêts, soudain, à faire d’une pierre deux coups, à fêter Noël et Pâques en hiver, avec votre serviteur en ragout d’agneau ou de mouton, pardon. C’est que je l’avais un peu cherché : je les ai traités soudain de schizophrènes. Je m’incluais dans le lot, mais ça, ils ne l’ont pas vu : schizophrènes, oui, disais-je ; les mêmes qui prêchaient toute l’année contre la société de consommation et qui se goinfraient à Noël ; les mêmes qui militaient pour l’école publique et qui, à la première occasion, mettraient leur progéniture dans une école privée ; les mêmes qui crachaient à longueur de salle des professeurs sur le christianisme, et qui poussaient les hauts cris dès qu’on se permettait de critiquer le bouddhisme ou l’islam. Schizophrènes, oui, j’y tenais.

J’y tiens toujours, d’ailleurs. Schizophrène, tous.

Deux exemples authentiques, tiens : du temps que j’assurais des formations pour mes collègues, m’appliquant à faire qu’ils deviennent un peu moins ignares, en matière de religions, l’un d’eux, devenu pour l’occasion un de mes stagiaires, comme on dit, n’arrêtait pas de plaisanter, de sortir des blagues à deux euros sur les curés, sur l’église, sur Jésus. Quelques-uns riaient, bien entendu. J’ai voulu rire, moi aussi, et me suis donc mis en tête de faire comme si j’allais faire une blague sur l’islam. Pour rigoler. Juste pour voir la tête qu’il ferait. Il s’est aussitôt arrêté, m’a regardé d’un air drôle et m’a dit : non, on n’a pas le droit de critiquer l’islam. Tiens donc… Ai-je besoin de préciser qu’il n’était pas musulman ?

L’autre exemple ? Un autre collègue, professeur de mathématiques : j’étais dans cette fichue salle des profs, à faire des photocopies, pour préparer un stage prochain sur la Bible et l’islam. Et donc moi de photocopier des passages du Coran. Le collègue s’approche, gentiment. Tiens, tu t’intéresses à l’islam, dit-il. Oui oui, je lui explique l’affaire, les stages, tout ça. Moi, répond-il, ça ne m’intéresse pas du tout, j’avoue – il était français, d’origine algérienne ; je ne suis même pas croyant, ajoute-t-il. Je lui réponds à mon tour que je peux comprendre, que chacun tatatitatata… Et puis le sel de l’histoire : mais, dit-il, tu lis le Coran en français? Ben oui, réponds-je, je maîtrise mal l’arabe. Mais..mais..mais.. tu n’as PAS LE DROIT !!!!

Schizophrènes, vous dis-je, tous, musulmans ou chrétiens, bouddhistes ou auvergnats.

Vous vous êtes goinfrés en moquant le petit Jésus, dans sa crèche. Des blagues à deux balles. Et vous les avez eus vos cadeaux, quand même. Pas eu besoin d’aller à la messe de minuit.

Et pour ceux qui auront été bien sages, du 26 décembre au 15 février, c’est galette à volonté – 30 euros l’unité quand même ! Schizophrènes, vous dis-je, et gogos toute l’année !

2010, Odyssée des résolutions (1)

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Le début de l’année est le moment opportun pour prendre de bonnes résolutions. Première résolution pour 2010 : résister à la tentation du marshmallow. Pour y parvenir, faut pas être une guimauve !

L’honneur vu du ciel

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C’est pour se chauffer la main. Juste avant les soldes d’hiver, la France organise une promotion de légions d’honneur. Cette année, la distribution de rubans a dépassé toutes les espérances. Maurice Allais (prix Nobel d’économie, donc beaucoup moins blagueur qu’Alphonse) a hérité d’une grand-croix : on félicite le presque centenaire récipiendaire. Mais la République ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Paco Rabanne et Yann Arthus-Bertrand ont été faits « officiers dans l’ordre national de la Légion d’honneur ». Le premier se voit, enfin, récompensé d’avoir évité la chute de la station Mir sur la France en 1999. Il était grand temps. Quant au second, qui présente le trait singulier de ne jamais faire aucune photo sans son hélicoptère, on formule le vœu que le métal de sa médaille ne provienne pas des hauts-fourneaux qui bousillent notre planète et que son ruban ait été tissé dans du coton bio. Ce serait bien la moindre des choses.

Vigiles donc coupables ?

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Albert Dupontel et Jean Dujardin, dans le film <em>Le Convoyeur.</em>
Albert Dupontel et Jean Dujardin, dans le film Le Convoyeur.

Sauf pour mon permis de conduire, je ne crains pas la police. Les vigiles dans les supermarchés me laissent indifférent et, quand je croise dans les rames de mon RER, les malabars de la police ferroviaire, je me sens rassuré pour moi et pour les miens qui empruntent cette ligne parfois tard dans la nuit. En revanche, la justice de mon pays m’inquiète. Depuis que j’ai vu le juge d’Outreau répondre aux questions qui lui étaient posées comme une vulgaire racaille sur le thème de « c’est pas moi, c’est pas de ma faute », je tremble à l’idée que ma liberté dépende d’un type pareil.

Dans l’affaire de ce jeune homme mort à Carrefour sous la pression des vigiles, les déclarations du Procureur m’inquiètent. Je ne sais rien de plus que vous de cette histoire et je me garderai bien d’accuser ou d’innocenter les inculpés mais une sentence délivrée aux médias me laisse perplexe. La phrase a déjà été ânonnée par les présentateurs des JT qui par manque de temps, semblent avoir sacrifié la réflexion au maquillage : « Il est inadmissible qu’un homme meure pour une canette de bière. » Les médias vont surement s’emparer de la formule qui pourrait bien faire la une de Libé et nous raconter ce drame comme dans un film de Ken Loach.

Dans la réalité, on ne meurt pas pour une canette de bière, pas plus qu’on ne meurt pour le vol d’un scooter ou parce qu’on n’a pas de papiers. Dans la quasi-totalité des cas, le vol dans un magasin vaut l’obligation de payer l’objet et du balai, la prochaine fois, on appelle la police. Pour un scooter, un peu de garde à vue et une amende plus tard, on n’en parle plus et si étant clandestin vous vous asseyez dans l’avion sans faire d’histoires, le retour au pays se passera bien.

Par contre, si vous résistez aux vigiles qui vous arrêtent, vous risquez la maltraitance. Si vous entamez une course-poursuite avec les flics, votre carrière de délinquant pourrait finir contre un arbre ou dans un mur et si vous faites du scandale à l’embarquement, vous serez maitrisé à vos risques et périls, car, comme le disait Pasqua : « force doit rester à la loi ».

La mort d’un homme est toujours regrettable et on peut comprendre l’émotion des proches et leurs déclarations empreintes de colère mais quand le Procureur en charge de l’affaire livre des raccourcis aux médias, je m’interroge sur son sens des responsabilités.

Encore une fois, cet homme n’est pas mort pour avoir volé mais pour avoir résisté à son arrestation. Quand on entame une épreuve de force avec la police ou avec ceux qui veulent vous remettre à la police, risquer la mort fait partie du jeu. Les gardiens de l’ordre public ou privé doivent-ils relâcher les délinquants récalcitrants pour ne pas risquer de leur faire du mal ? Cela pourrait finir par décourager les vocations. Si les forces de l’ordre ne peuvent plus exercer une violence légitime, si la « justice » interdit au gendarme de courir après le voleur parce que la vie de ce dernier pourrait être mise en danger, sous peine de finir en taule à sa place, la police finira par se contenter de contrôler les automobilistes et d’escorter les officiels et nous laissera nous démerder avec les malfrats.

Nous n’aurons plus alors qu’à nous armer pour défendre nous même nos biens et nos personnes et comme au Far West, les délinquants risqueront vraiment à mourir pour une bière.

Pie XII, pape bavard

Le pape Pie XII en 1945.
Le pape Pie XII en 1945.

Notre époque porte sur l’histoire un regard insensible. Elle considère le passé non pas tel qu’il a été, mais tel qu’elle voudrait qu’il fût. Elle sermonne les morts, leur dicte une conduite, ne rechigne pas à l’anachronisme pour les juger au nom de principes qu’elle ne s’applique jamais à elle-même, mais qu’elle leur demande rétroactivement de respecter. Notre époque n’est pas historienne : elle est vindicative. Tenter de comprendre les hommes et leurs raisons, dans le temps, le système de représentations et les circonstances qui furent les leurs, penser la complexité sans la réduire à une rationalité binaire : là n’est ni son fort ni son objet. Ce qu’elle veut, ce sont des coupables.

Des coupables, oui. Mais pas n’importe lesquels. Il lui en faut trouver d’exemplaires, par qui elle puisse se livrer tout entière à ce qui caractérise aujourd’hui l’Occident chrétien : la haine de soi. Notre époque hait ce qu’elle est, et voue à la détestation tout ce qui la fonde. Et comme elle tire son existence entière de Rome et de l’Eglise (jusqu’à l’athéisme, posture philosophique impossible en dehors du christianisme), c’est l’Eglise romaine que l’on charge de la culpabilité maximale.

Regardons « l’affaire Pie XII ». On critique avec aplomb son prétendu « silence » pendant la Shoah, on le soupçonne de collusion avec le régime nazi, on imagine les postures héroïques qu’il aurait pu adopter pour mettre fin à la persécution. On en vient à oublier l’essentiel : le « silence » de Pie XII n’est pas une réalité historique, mais une fable.

En 1963, la pièce Der Stellvertreter, est montée à Berlin. Elle entend dénoncer « les hésitations et le silence » de la papauté face au nazisme et aux persécutions dont les juifs ont été victimes pendant la guerre. Pie XII nous y présenté comme un couard, plus inquiet de la protection des biens matériels de l’Eglise que du salut des juifs.

La pièce vient à point nommé, nous apprend Ian Pacepa[1. Ian Mihai Pacepa, Red Horizons : Chronicles of a Communist Spy Chief, Regnery, 1987.], ancien lieutenant général des services secrets roumains passé à l’Ouest à la fin des années 1970. Conseillé par Alexander Shelepin, patron du KGB, Nikita Kroutchev a entrepris, depuis le début des années 1960, de livrer à l’Eglise catholique, dont il mesure les capacités de résistance et de nuisance, une lutte sans merci à l’intérieur du bloc soviétique. En Hongrie, les services secrets venaient d’avoir la peau du cardinal Mindszenty, un prélat aussi intransigeant avec les communistes qu’il l’avait été, dès le milieu des années 1930, avec Szálasi et les nazis des Croix fléchées. Même si Mindszenty avait pu se réfugier in extremis à l’ambassade américaine de Budapest (il y restera cloîtré quinze ans !), une victoire avait été remportée. Maintenant, il fallait jouer plus fort encore. C’est ce que fit le général Ivan Agayants, chef de la désinformation du KGB, en commandant à Rolf Hochhuth[2. Si Rolf Hochhuth dénonce les silences de Pie XII, il garde bien, quant à lui, le silence sur son propre embrigadement dans les Hitlerjugend. Cette période peu glorieuse de sa jeunesse lui reviendra plus tard en tête, quand il se mettra à s’afficher avec des négationnistes tels que Daniel Irving ou à publier des articles dans des revues d’extrême droite. Allez savoir pourquoi.] une pièce jetant le discrédit sur l’action du Vatican pendant la guerre. Pie XII était mort, il ne s’en plaindrait pas. Ainsi sont nés Le Vicaire et la légende du « silence coupable » de Pie XII.

D’ailleurs, qu’est-ce qu’un dramaturge allemand comme Rolf Hochhuth pouvait en avoir bien à faire de l’attitude du pape pendant la guerre ? En Allemagne, le catholicisme est une religion minoritaire et, si le scandale existe, c’est celui du protestantisme. Le gros de l’électorat nazi est protestant – et le ralliement tardif du Zentrum catholique et de Franz Von Papen reste un phénomène marginal[3. Pie XII retire à Franz Von Papen le titre de chambellan pontifical que Pie XI lui avait octroyé avant guerre et refuse qu’il soit nommé ambassadeur du Reich auprès du Saint-Siège. Il devra attendre que Jean XXIII lui restitue son titre honorifique.]. Malgré des héros comme Dietrich Bonhöffer ou Martin Niemöller, l’Eglise luthérienne ne se contenta pas de garder le silence face à l’irrésistible ascension d’Adolf Hitler. Elle en épousa la cause et les convictions, se rallia corps et âme au parti nazi et trouva dans son antisémitisme une heureuse réalisation de l’antijudaïsme de Martin Luther. Qu’on se souvienne du Juif Süss, commandé en 1940 par Goebbels (il supervisa le tournage) à Veit Harlan : la référence de la « révolution allemande », de cet « antisémitisme qui sauvera le Reich », c’est Luther. Qui trahit le peuple allemand et protestant du Wurtemberg dans ce film de propagande ? Ce sont les catholiques et leurs alliés juifs.

Avant la publication de la pièce de Rolf Hochhuth, on célébrait unanimement l’action de Pie XII en faveur des juifs pendant la guerre. Certes, comme le rappelait récemment dans Le Monde l’excellent Patrick Kéchichian, Paul Claudel se plaignait fin 1945 auprès de Maritain du caractère « inaudible » de la condamnation du nazisme par Pie XII. Mais Pie XII fut à Claudel aussi inaudible que de Gaulle pendant la guerre. C’est qu’on ne peut pas être partout : écrire Paroles au Maréchal et écouter radio Vatican[4. « France, écoute ce vieil homme sur toi qui se penche et qui te parle comme un père. Fille de Saint-Louis, écoute-le ! Et dis, en as-tu assez maintenant de la politique ? » Paul Claudel, Paroles au maréchal, 10 mai 1941.]. Pendant ce temps, Golda Meir rendait hommage à Pie XII. Les rescapés des camps venaient à Rome le remercier pour ce qu’il avait fait. La vérité, crue et scandaleuse aujourd’hui, est qu’il n’y eut certainement pas, dans l’histoire de la chrétienté, de pape plus proche des juifs que Pie XII. Voilà où réside l’héroïcité de ses vertus.

Sûr, à l’époque, Pie XII n’encombra pas les plateaux télés pour se plaindre. Il ne participa ni à « On n’est pas couché », ni au « Grand Journal » de Canal+. On ne le vit pas se répandre en larmes chez Pascale Clark. Il se contenta de participer, avant de devenir pape, à la rédaction en 1937 de l’encyclique de son prédécesseur Pie XI : Mit brennender Sorge, condamnation explicite du nazisme. Il se contenta, une fois élu au siège de Pierre, de consacrer sa première encyclique, Summi pontificatus, à dénoncer le racisme et le culte de l’Etat. Elle fut aussitôt larguée par les avions britanniques sur l’Allemagne à plus de 100 000 exemplaires. Il demanda aux universités catholiques de délivrer un enseignement contre l’antisémitisme, fidèle à la lettre de Summi pontificatus et à ce que le Souverain Pontife professait déjà en 1938 : « Nous, chrétiens, sommes spirituellement des sémites. » Il alerta les Alliés, américains et anglais, sur les persécutions dont les juifs étaient victimes. Mais la libération des camps de la mort n’était pas, pour eux, une priorité de la guerre ni un objectif militaire – un « point de détail », sans doute. Pie XII se contenta aussi, dans son message de Noël 1942, d’évoquer « »les centaines de milliers de personnes, qui sans aucune faute de leur part, parfois seulement en raison de leur nationalité ou de leur lignage, sont destinées à la mort ou à un dépérissement progressif », avant de faire diffuser ce message, en juin 1943, sur les ondes de Radio Vatican : « Quiconque établit une distinction entre les Juifs et les autres hommes est un infidèle et se trouve en contradiction avec les commandements de Dieu. » Il n’y a pas, pour un chrétien, d’excommunication plus directe.

Pie XII parla. C’était un pape bavard. Il parla beaucoup. Mais il agit aussi, levant la discipline de certaines institutions religieuses (afin que des hommes juifs pussent notamment rentrer dans les carmels et y trouver protection), finançant des réseaux et des filières, aidant là où il le pouvait. Les historiens avancent un chiffre de plusieurs dizaines de milliers de juifs, qui auraient bénéficié de la sollicitude du Pontife.

Ce qu’il y a de miraculeux, dans cette affaire, ce fut que Pie XII ne garda pas le silence et ne se refugia pas dans l’inaction. Il aurait pu. Tout l’y incitait. Lorsqu’il avait prêté sa main en 1937 à Pie XI pour écrire l’encyclique Mit brennender Sorge, il en avait éprouvé les lourdes conséquences. Aussitôt l’encyclique parue, les nazis arrêtèrent dans les Länder catholiques du sud de l’Allemagne près de 1 100 religieux et prêtres. Ils dévastèrent les évêchés de Munich, de Fribourg et de Rottenburg, avant de dissoudre les organisations catholiques et de proscrire l’enseignement catholique dans le Reich.

Les plus de 300 prêtres et religieux qui moururent en déportation à Dachau furent la plus grande douleur de Pie XII. S’ils étaient morts, c’était sa faute. Lui, et pas un autre – il en était convaincu – les avait précipités au martyr. Jamais il n’en ferait le deuil. Par une simple parole, il avait livré plus de 300 femmes et hommes à leurs bourreaux. Y a-t-il une chose plus exécrable quand on a voué sa vie à la Vie ?

Il se souvint aussi de la protestation publique, en août 1942, de ses évêques hollandais contre les persécutions. Les nazis répliquèrent par des persécutions plus atroces encore, arrêtant et déportant, en une seule nuit, 40 000 juifs hollandais, dont de nombreux juifs convertis au catholicisme tels Edith Stein. La Hollande détint, dès lors, le plus triste record de la persécution : 85 % de ses juifs disparurent dans les camps de la mort. Toute parole de l’Eglise condamnait plus qu’elle ne protégeait : voilà la vérité[5. Le lendemain de l’annonce des représailles nazies contre la déclaration des évêques hollandais, sœur Pascalina Lehnert, gouvernante du pape, raconte que Pie XII vint la trouver dans sa cuisine pour brûler dans le poêle deux grandes feuilles « couvertes d’une écriture serrée » : « Je voudrais brûler ces feuilles : c’est ma protestation contre l’affreuse persécution des juifs. Elle devait paraître ce soir dans l’Osservatore Romano. Mais si la lettre des évêques hollandais a coûté 40 000 vies humaines, ma protestation en coûterait peut-être 200 000. Je ne dois ni ne veux prendre cette responsabilité. » S. Pascalina Lehnert, Pie XII, mon privilège fut de le servir, Tequi, 2000.].

La « prudence toute diplomatique » dont on accuse Pie XII aujourd’hui n’est pas de la prudence, encore moins de la couardise. C’est la simple prise en compte du réel : en Allemagne et dans une Europe livrées à l’un des pires systèmes totalitaires, il ne suffit pas de signer une pétition depuis son confortable appartement pour faire changer les choses. On essaie uniquement de mener la politique des petits gestes, de sauver ceux que l’on peut sans attenter à la vie d’un plus grand nombre. Car, face au déferlement de la totalité sur soi, c’est elle seule, cette politique des petits mouvements, qui peut sauver non seulement des hommes, mais aussi la part humaine qui est en nous. Peter Sloterdijk oppose à la grandiloquente politique idéaliste, héritée du romantisme dix-neuviémiste et d’un héroïsme très Sturm und Drang, la politique des « petits gestes ». Dans un système totalitaire, on ne joue pas héroïsme contre héroïsme. On joue comme on peut. Et finalement on ne joue pas. Car ce n’est pas un jeu.

Voilà Pie XII. Désolé, ce n’est pas un super-héros. Vous ne trouverez en lui rien de Flash Gordon ni de Catwoman. Il n’a pas retroussé ses manches pour dévoiler ses biscoteaux antiracistes, comme n’importe lequel d’entre nous qui n’a pas vécu en son temps l’aurait, bien entendu, fait. Il a essayé simplement d’agir en homme parmi les hommes. Et c’est cela, précisément, que l’on appelle la sainteté.

Chaque catholique y est appelé. Parfois, l’Eglise en prend l’un ou l’autre et décide de l’élever à la dignité de ses autels. Pie XII, ne le mérite-t-il pas ? Allez savoir. C’est à Benoît XVI d’en décider. Dieu seul en sera juge.

C’est que les chemins de la sainteté ne correspondent pas en tout point à ceux de la Star Academy. Baiser dans la piscine, montrer ses nichons à la caméra, plaire aux médias : tout cela ne suffit pas pour être un saint. Les votes du public n’ont pas cours auprès du Dieu des catholiques. Les vaines déclarations, non plus.

Un saint est, avant tout, un témoin. Non pas celui qui témoigne à charge et qui enfonce l’accusé, mais qui essaie, par ses moyens humains, toujours modestes face aux implacables machineries des Etats et des idéologies, de le sauver. Ce témoin, Pie XII l’a été pour d’innombrables juifs. Il l’a été aussi pour l’Eglise universelle. Sa théologie inspira Vatican II : c’est dans son encyclique Mystici Corporis que la Constitution Lumen Gentium va puiser ses définitions et son sens. Avec Mediator Dei, il amorce, dès 1947, la réforme liturgique que Vatican II n’aura qu’à valider.

Le principal problème de Pie XII demeure : il a été pape. Voilà la difficulté. Elle ne lui sera jamais pardonnée par ces gens qui se considèrent être nés de la cuisse d’Œdipe et de Jupiter réunis, plutôt que de la jambe de saint Paul. Les pauvres, pardonnez-leur, ils ne savent pas d’où ils viennent.

En attendant, les catholiques ont de bonnes raisons de vénérer Pie XII. Pour son action, ses paroles et son silence qui appelle chaque être à l’éthique de responsabilité.

Le bug de 2010

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Le 31 décembre 2009, sur les coups de minuit, pendant que le monde entier célébrait gaiement le passage à la nouvelle année, la France s’apprêtait, elle, à entrer dans la pire année de son histoire. En 2010, le 1er mai, le 8 mai, le 25 décembre et le Nouvel An auront lieu un samedi. Et le 15 août, un dimanche ! Seul le 11 novembre, qui tombera un jeudi, semble avoir été épargné. Au total, en 2010, les Français seront privés de cinq bons gros jours fériés en semaine ! Pour l’heure, l’opposition a gardé le silence sur cette attaque délibérée contre les droits sociaux des travailleurs. En attendant qu’elle réagisse, je me fais l’interprète de toute la rédaction de Causeur pour vous souhaiter une excellente année 2010 !

Victimes peut-être, héroïnes non

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Sarah Zaknoun et Céline Faye.
Sarah Zaknoun et Céline Faye.

Sarah Zaknoun et Céline Faye, les deux jeunes Françaises emprisonnées en République dominicaine viennent de retrouver la liberté. Condamnées pour un trafic de drogue – six kilos de cocaïne ont été découverts dans leurs bagages – qu’elles n’ont jamais cessé de nier, les deux jeunes filles de Besançon ont bénéficié d’une grâce accordée la veille de Noël par le président dominicain. On peut partager leur joie et trouver parfaitement délirante la façon dont leur libération est célébrée – et de cela, elles sont sans l’ombre d’un doute complètement innocentes. Même si les deux amies ont été victimes d’un complot, rien dans leur affaire ne justifie le carnaval organisé pour leur retour en France.

Qu’on ne se méprenne pas : protéger les ressortissants français et leur porter secours est l’un des devoirs de l’Etat vis-à-vis de ses citoyens. Le ministère des Affaires étrangères et l’Elysée doivent donc œuvrer pour améliorer le sort des Français emprisonnés dans des pays étrangers, aider leurs familles à garder le contact avec eux et faire les démarches nécessaires dans des langues et cultures étrangères. Il est aussi tout à fait normal de se féliciter chaque fois que la diplomatie française arrive, au bout de négociations longues et difficiles, à remplir cette mission importante. Mais ce succès qui aurait dû valoir à quelques fonctionnaires les félicitations de leurs supérieurs et faire l’objet d’une couverture médiatique minimale, a été transformée en triomphe et les deux jeunes Bisontines en héroïnes.

À leur libération, elles ont été prises en charge, non pas par un mais par deux représentants de l’Etat : Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie et l’ambassadeur de France. À leur arrivée à Paris, elles ont eu droit à une réception au pavillon d’honneur de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, privilège normalement réservé aux otages libérés. Les retrouvailles de Sarah et Céline avec leurs parents – couronnées par un discours d’Alain Joyandet – ont été transmises en direct et en boucle toute la matinée par toutes les chaînes d’information. Le secrétaire d’Etat leur a même promis un « avenir » : la création d’un comité « Sarah et Céline » bombardées « ambassadrices de la lutte contre la drogue ». Tant qu’on y est, pourquoi pas secrétaires d’Etat à la Coopération ?

La démesure bat son plein et l’exagération atteint de tels sommets qu’on a envie de jouer les trouble-fête. Il y a quelque chose d’embrassant dans ce spectacle, comme toujours quand l’émotion – compréhensible s’agissant des intéressées – interdit toute réflexion et même toute distinction. Il n’y a plus de différence entre Clotilde Reiss et Céline et Sarah, entre un chantage politique et un cas individuel, entre une doctorante arrêtée arbitrairement en Iran parce qu’elle est française et transformée en monnaie d’échange et deux jeunes filles condamnées (peut-être par erreur) pour trafic de drogue.

Ce festival de très mauvais goût semble ne pas déplaire au chef de l’Etat qui vient de rater une belle occasion de faire profil bas. Que la première dame de France intervienne dans ce genre de situation, admettons. Que le président lui-même passe quelques coups de fils pour accélérer les choses, pourquoi pas. Si le geste dominicain a un prix, celui-ci doit être raisonnable. On peut aussi comprendre qu’Alain Joyandet, candidat aux régionales dans le Doubs, département d’origines des deux héroïnes, ait accordé à cette affaire toute l’attention qu’elle méritait. Nos deux voyageuses sont en quelque sorte les Betancourt (Ingrid pas Liliane) du pauvre. Bien sûr, on aurait trouvé plus élégant qu’il fasse ce charmant cadeau aux familles et à ses électeurs sans l’accompagner d’un feu d’artifice de communication qui a transformé une histoire qui finit bien en campagne de RP bas de gamme. Rien ne nous a été épargné, y compris les admonestations aux pécheresses repenties et les petits couplets sur tout le mal que fait la drogue. La tentation d’en tirer le maximum de larmes a été la plus forte. Et les efforts déployés pour transformer un succès diplomatique sans grande importance en victoire majeure sont ridicules et contre-productifs. Bref, voilà exactement le genre de spectacle que l’on produit pour cacher un grand vide. Bonne année à tous.

2010, Odyssée des résolutions (2)

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Deuxième résolution pour 2010 : devenir montreur d’escargots. Un métier moins dangereux que montreur d’ours et, surtout, un film d’animation réalisé en 2008 par les très talentueux Philippe Desfretier, Nicolas Dufresne, Sylvain Kauffmann, Martin Laugero (Supinfocom, Valenciennes).

Gaffe à Gégauff !

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Paul Gégauff dans les bras de Cécile Vassort, dans Une partie de plaisir, de Claude Chabrol, 1975.
Paul Gégauff dans les bras de Cécile Vassort, dans <em>Une partie de plaisir,</em> de Claude Chabrol, 1975.
Paul Gégauff dans les bras de Cécile Vassort, dans Une partie de plaisir, de Claude Chabrol, 1975.

Vous avez, chers Causeurs, encore une fois survécu à deux réveillons. C’est que vous n’êtes pas Paul Gégauff. Lui n’a pas vu la nouvelle année 1984. Et pour cause, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1983, alors qu’il réveillonnait avec sa compagne en Norvège, il a dit à celle-ci qui le menaçait d’un couteau cette phrase que tant d’hommes ont eu envie de prononcer : « Tue-moi si tu veux mais arrête de m’emmerder. » Il avait soixante-et-un an, elle en avait vingt-cinq : elle l’a pris au mot et l’a poignardé à trois reprises. Il n’est pas certain que Gégauff, un des plus grands scénaristes français, n’ait pas apprécié cette fin romanesque et sanglante. De toute manière, il n’aurait pas aimé les années 1980. Pas son genre de beauté, à Gégauff, la gauche réformiste, les années fric, la fin du style, la mort du goût.

On réédite aujourd’hui, à l’initiative d’Arnaud Le Guern dans sa collection « Les Inclassables » chez Alphée, Tous mes amis, un des cinq livres de Gégauff, un recueil de nouvelles initialement paru chez Julliard il y a quarante ans. Vous êtes priés d’aller acheter Tous mes amis pour une raison simple : nous aimerions que Le Guern connaisse dans cette heureuse initiative un certain succès et puisse aussi rééditer les précédents. Il s’agit de quatre romans, petits joyaux hussards, parus assez étrangement aux Editions de Minuit dans les années 1950. Au milieu de Nathalie Sarraute, Marguerite Duras et Alain Robbe-Grillet, qui sont quand même à eux trois ce que la littérature française d’après guerre a donné de plus surfait, de plus prétentieux et de plus ennuyeux, Gégauff était là comme un mauvais élève surdoué avec son ironie et sa méfiance de l’adjectif, son goût pour les peaux duveteuses et sa méfiance pour les abstractions qui remplissent les cercueils.

En vous procurant Tous mes amis, vous éviterez ainsi à toute une génération de nouveaux lecteurs de passer leurs après-midi au dessus des caisses des bouquinistes à la recherche fiévreuse de romans aussi mythiques que Les Mauvais plaisants de 1951 ou Une partie de plaisir de 1958 alors qu’ils feraient mieux de rechercher un emploi et de fonder une famille. Ces deux titres d’ailleurs, à eux seuls, résument bien la Gegauff’s touch que vous trouverez dans Tous mes amis. Une façon cynique, drôle, élégante, discrètement désespérée, dégraissée et rapide comme l’Aston-Martin où son ami Roger Nimier s’est tué de parler de l’amour, de la France, de l’argent, des jeunes filles, des voyages. Gégauff avait des passions heureuses et ruineuses : les femmes, les décapotables, l’alcool et la littérature. Au fond, il aurait seulement aimé écrire à la paresseuse mais avec ce genre de vie à vous faire mal voir de votre concierge, il n’y avait qu’une solution pour trouver un peu d’artiche : le cinéma. Alors on fera le scénariste et le dialoguiste pour, excusez du peu, René Clément, Eric Rohmer, Godard et surtout Chabrol. On a oublié à quel point La Nouvelle Vague, derrière ses allures d’avant-garde artistique était en fait réac comme on aime, entre le royco Rohmer et l’anar de droite Chabrol. Cette plasticité amusée devant les idées générales permettra d’ailleurs à Gégauff d’être aussi le scénariste de More, de Barbet Schroeder, le film qui a sans doute le mieux saisi ce que fut l’esprit beatnik, mais aussi d’innommables nanars comme Brigade mondaine.

Il y a chez Gégauff, qui fut avec Audiard et Pascal Jardin l’un des trois scénaristes français les plus prisés, un sens de la formule qui est celui de tout un peuple insolent qui fait jouir la langue avec le même bonheur dans le salon de Madame de Sablé ou les bistrots de Blondin. Un exemple ? Dans Tous mes amis, une des nouvelles, « Des roses à la pelle », raconte comment deux scénaristes en pleine dèche claquent leurs derniers billets dans un somptueux diner chez Lucas Carton. Une jolie jeune fille dîne seule à côté d’eux. Evidemment, ils l’embarquent pour aller en boîte. Et Gégauff de noter alors, sur un rythme très cardinal de Retz : « Ils allèrent, ils dansèrent, ils trouvèrent en Erika une compagne d’un enjouement exquis qui fit dire à Georges :
– Elle est comme elles sont de moins en moins : parfaitement comme il faut. »

Gégauff lui aussi, décidément, est parfaitement comme il faut.

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Quand l’huître sourit

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Le ministère de la pêche a annoncé, au grand soulagement des ostréiculteurs déjà partiellement ruinés, qu’il renonçait au test souris pour déceler la présence de micro-algues toxiques dans nos fines de claires, nos prat-ar-coum et nos Utah beach. Dans le genre scientiste fou, le test ne manquait pas d’une certaine jovialité surréaliste et sadienne. Il s’agissait ni plus ni moins d’injecter de l’huitre à la souris. Petit problème, il devenait évident avec les années que la souris mourait même si l’huitre était saine. On ne dit pas si nos aimables scientifiques avaient, par souci de rigueur, procédé à ce test pour l’homme. Une huitre bien iodée et bien charnue en intraveineuse, cela doit certainement faire un bien fou. Et l’on espère que le test qui consisterait à injecter du chinon dans un chat pour vérifier sa teneur en sulfites va rester, lui, dans les cartons du ministère.

Noël pour tous !

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Giotto, Nativité.
Giotto, Nativité.
Giotto, Nativité.

Vous avez tenu bon. Bravo ! Vous qui lisez ce texte, vous avez survécu à cette franche joie de Noël et du jour de l’An, au sapin, aux guirlandes, à la belle-mère débarquant encore svelte, tout ça pour faire joli, au salon. Les chocolats. Le foie gras, le vin précieux, et la belle-mère donc, débarquant disais-je, fraîchement décorée des palmes académiques. Au téléphone, j’ai failli lui demander si je pourrais les suspendre au Nordmann acheté pour 45 euros au Rom du coin. Je ne sais pas d’où il sortait ça. Sur l’asphalte, il y en avait tout un wagon. S’il avait voulu, il aurait pu s’en construire, une belle cabane, plutôt que de traîner ses guêtres, tout le reste de l’hiver, à la sortie du métro. Mystère et boule de neige. Pourvu qu’il neige, papa ! On verra bien. Serais-je l’entremetteur du Ciel ?

Les cadeaux, les cadeaux bien sûr. On n’est pas des chiens ! Le père Noël ne voit jamais qu’on n’a pas été sages. Comme Gilbert Montagné à l’UMP, il conduit en aveugle son traîneau façon 4×4. Et puis quand même, quand même, le petit Jésus, ajusté dans sa crèche, avec autour de lui l’âne, les bergers, les rois mages.

Vous avez oublié pour un temps vos peines, vos rancœurs et à Saint Aubin d’Aubigné, la grippe A. Vous avez fait comme moi, mis vos petits souliers sous le séquoia. En attendant le lendemain. Papa, papa, tu crois qui va y avoir dl’a neige, hein ? Tu sais, fiston, il se réchauffe, le climat. Contente-toi des cadeaux.

Avouez que vous les attendiez, ces cadeaux, vous, là, derrière l’écran. Avouez même que vous n’attendiez que ça. Et puis de vous empiffrer, de vous goinfrer de truffes, chocolats, dinde ou je ne sais quoi, jusqu’à l’indigestion. D’en reprendre et d’en reprendre du blanc et du rouge et du champagne. Et d’en reprendre encore. Je me souviens d’une collègue, tiens, appelons-la Fabienne, qui disait que les soirs de réveillon, elle mettait un point d’honneur à choper une crise de foie. Véridique. Si le lendemain, elle quittait son lit sans le moindre signe de nausée, elle se sentait mal, si j’ose dire. Et donc elle remettait ça, toute la journée du 25 et du premier de l’An. Ah, elle finirait par l’avoir sa crise ! Elle les vomirait, ses dix litres de champagne ! On est des Français, ou quoi ?

Je l’aimais bien, moi, Fabienne, cette collègue. Un tempérament comme ça, vous imaginez ce qu’on pouvait en faire. Ah, je lui ai fêté, son identité nationale, pour arroser ma naturalisation toute fraîche ! Mon passeport italien, peut-être qu’il traîne encore quelque part, chez elle. Peut-être qu’elle l’a retrouvé, le 26 décembre, lorsqu’elle a fait le ménage, sous son lit, parmi les cadavres de bouteilles.

Je l’aimais bien. C’est le petit Jésus qui nous a séparés.

Que voulez-vous, ça a fini par m’énerver qu’elle vante ses crises de foie de Noël. Car Noël, pour elle, comme pour vous, là, c’était donc la bouffe façon Gargantua, Pantagruel et puis les fameux cadeaux, sous l’séquoia. Le reste, poubelle ! C’est elle qui a prononcé le mot, elle qui a ouvert les hostilités, donc. Poubelle ? Elle jetait le petit Jésus avec l’eau du bain. Jésus, disait-elle, j’ai jamais pu le lire, moi, l’Ancien Testament. Imaginez ma tête. Professeur de lettres, la donzelle, paraît-il, des diplômes quand même, et elle refaisait l’histoire d’une façon bien cruelle. Dans sa soulographie perpétuelle, elle anachronisait les personnages de la crèche. Jésus, la belle, c’est dans le Nouveau Testament, mets-ça dans ta caboche ! Et elle : mais qu’est-ce que ça peut faire ? Tu y crois à tout ça, toi ? Minute. Ça peut faire par exemple, répondais-je, que si tu confonds tout ça, tu leur répondras quoi, à tes élèves, lorsque, en plein commentaire de Baudelaire ou Victor Hugo, ils te poseront des questions au sujet de la Bible, tu auras l’air bien tarte, eh, mirabelle ! Elle n’a pas aimé la crème. Eût-elle eu une Bible, sous sa main mignonne, qu’elle me l’envoyait presto dans la figure. Au lieu de ça, c’est la trousse de la collègue d’histoire qui a volé, façon obus de Verdun, à travers la salle des profs. Fichu tempérament.

Il y a des jours comme ça.

Je n’en suis pas resté là. J’avais l’anathème facile, à l’époque. Je lui ai servi le couplet de tout à l’heure : toutes les fêtes, pour vous, pour nous, sont devenues prétextes à se goinfrer, à se vautrer dans la mauvaise graisse du commerce, des marchandises perpétuelles. Bon Dieu, mais pourquoi fêtez-vous donc encore Noël, si vous vous fichez de Jésus, si vous ne savez même plus ce que signifie cette crèche que vous placez sous le sapin ? Malgré tout le respect que je leur porte, comme il se doit, à mes amis juifs ou musulmans, est-ce que je fête Kippour, moi, ou l’Aïd, encore ?

Ils ont commencé à s’y mettre, tous. Ils m’ont répondu par les couplets habituels : occasion de se retrouver en famille, de simplement faire la fête, de faire plaisir aux petits nenfants, tout ça. Et d’ailleurs, même les Juifs et les musulmans fêtent Noël, pour les mêmes raisons. Tatitata. Et encore, nous ne savions pas, à l’époque que d’aucuns viendraient à demander bientôt que tout le monde fête toutes les fêtes, question de prouver qu’on est bien tous tolérants. Drôle de conception de la laïcité : croire que respecter les religions, c’est s’inviter à toutes les fêtes ; alors qu’il me semblait plutôt, moi, que les respecter, c’était ne pas les galvauder et laisser chacune d’entre elles communier dans l’intimité.

Ils ont commencé à s’y mettre, tous. On approchait de la fin décembre et je les voyais prêts, soudain, à faire d’une pierre deux coups, à fêter Noël et Pâques en hiver, avec votre serviteur en ragout d’agneau ou de mouton, pardon. C’est que je l’avais un peu cherché : je les ai traités soudain de schizophrènes. Je m’incluais dans le lot, mais ça, ils ne l’ont pas vu : schizophrènes, oui, disais-je ; les mêmes qui prêchaient toute l’année contre la société de consommation et qui se goinfraient à Noël ; les mêmes qui militaient pour l’école publique et qui, à la première occasion, mettraient leur progéniture dans une école privée ; les mêmes qui crachaient à longueur de salle des professeurs sur le christianisme, et qui poussaient les hauts cris dès qu’on se permettait de critiquer le bouddhisme ou l’islam. Schizophrènes, oui, j’y tenais.

J’y tiens toujours, d’ailleurs. Schizophrène, tous.

Deux exemples authentiques, tiens : du temps que j’assurais des formations pour mes collègues, m’appliquant à faire qu’ils deviennent un peu moins ignares, en matière de religions, l’un d’eux, devenu pour l’occasion un de mes stagiaires, comme on dit, n’arrêtait pas de plaisanter, de sortir des blagues à deux euros sur les curés, sur l’église, sur Jésus. Quelques-uns riaient, bien entendu. J’ai voulu rire, moi aussi, et me suis donc mis en tête de faire comme si j’allais faire une blague sur l’islam. Pour rigoler. Juste pour voir la tête qu’il ferait. Il s’est aussitôt arrêté, m’a regardé d’un air drôle et m’a dit : non, on n’a pas le droit de critiquer l’islam. Tiens donc… Ai-je besoin de préciser qu’il n’était pas musulman ?

L’autre exemple ? Un autre collègue, professeur de mathématiques : j’étais dans cette fichue salle des profs, à faire des photocopies, pour préparer un stage prochain sur la Bible et l’islam. Et donc moi de photocopier des passages du Coran. Le collègue s’approche, gentiment. Tiens, tu t’intéresses à l’islam, dit-il. Oui oui, je lui explique l’affaire, les stages, tout ça. Moi, répond-il, ça ne m’intéresse pas du tout, j’avoue – il était français, d’origine algérienne ; je ne suis même pas croyant, ajoute-t-il. Je lui réponds à mon tour que je peux comprendre, que chacun tatatitatata… Et puis le sel de l’histoire : mais, dit-il, tu lis le Coran en français? Ben oui, réponds-je, je maîtrise mal l’arabe. Mais..mais..mais.. tu n’as PAS LE DROIT !!!!

Schizophrènes, vous dis-je, tous, musulmans ou chrétiens, bouddhistes ou auvergnats.

Vous vous êtes goinfrés en moquant le petit Jésus, dans sa crèche. Des blagues à deux balles. Et vous les avez eus vos cadeaux, quand même. Pas eu besoin d’aller à la messe de minuit.

Et pour ceux qui auront été bien sages, du 26 décembre au 15 février, c’est galette à volonté – 30 euros l’unité quand même ! Schizophrènes, vous dis-je, et gogos toute l’année !

2010, Odyssée des résolutions (1)

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Le début de l’année est le moment opportun pour prendre de bonnes résolutions. Première résolution pour 2010 : résister à la tentation du marshmallow. Pour y parvenir, faut pas être une guimauve !

L’honneur vu du ciel

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C’est pour se chauffer la main. Juste avant les soldes d’hiver, la France organise une promotion de légions d’honneur. Cette année, la distribution de rubans a dépassé toutes les espérances. Maurice Allais (prix Nobel d’économie, donc beaucoup moins blagueur qu’Alphonse) a hérité d’une grand-croix : on félicite le presque centenaire récipiendaire. Mais la République ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Paco Rabanne et Yann Arthus-Bertrand ont été faits « officiers dans l’ordre national de la Légion d’honneur ». Le premier se voit, enfin, récompensé d’avoir évité la chute de la station Mir sur la France en 1999. Il était grand temps. Quant au second, qui présente le trait singulier de ne jamais faire aucune photo sans son hélicoptère, on formule le vœu que le métal de sa médaille ne provienne pas des hauts-fourneaux qui bousillent notre planète et que son ruban ait été tissé dans du coton bio. Ce serait bien la moindre des choses.

Vigiles donc coupables ?

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Jean Dupontel et Jean Dujardin, dans le film Le Convoyeur.
Albert Dupontel et Jean Dujardin, dans le film <em>Le Convoyeur.</em>
Albert Dupontel et Jean Dujardin, dans le film Le Convoyeur.

Sauf pour mon permis de conduire, je ne crains pas la police. Les vigiles dans les supermarchés me laissent indifférent et, quand je croise dans les rames de mon RER, les malabars de la police ferroviaire, je me sens rassuré pour moi et pour les miens qui empruntent cette ligne parfois tard dans la nuit. En revanche, la justice de mon pays m’inquiète. Depuis que j’ai vu le juge d’Outreau répondre aux questions qui lui étaient posées comme une vulgaire racaille sur le thème de « c’est pas moi, c’est pas de ma faute », je tremble à l’idée que ma liberté dépende d’un type pareil.

Dans l’affaire de ce jeune homme mort à Carrefour sous la pression des vigiles, les déclarations du Procureur m’inquiètent. Je ne sais rien de plus que vous de cette histoire et je me garderai bien d’accuser ou d’innocenter les inculpés mais une sentence délivrée aux médias me laisse perplexe. La phrase a déjà été ânonnée par les présentateurs des JT qui par manque de temps, semblent avoir sacrifié la réflexion au maquillage : « Il est inadmissible qu’un homme meure pour une canette de bière. » Les médias vont surement s’emparer de la formule qui pourrait bien faire la une de Libé et nous raconter ce drame comme dans un film de Ken Loach.

Dans la réalité, on ne meurt pas pour une canette de bière, pas plus qu’on ne meurt pour le vol d’un scooter ou parce qu’on n’a pas de papiers. Dans la quasi-totalité des cas, le vol dans un magasin vaut l’obligation de payer l’objet et du balai, la prochaine fois, on appelle la police. Pour un scooter, un peu de garde à vue et une amende plus tard, on n’en parle plus et si étant clandestin vous vous asseyez dans l’avion sans faire d’histoires, le retour au pays se passera bien.

Par contre, si vous résistez aux vigiles qui vous arrêtent, vous risquez la maltraitance. Si vous entamez une course-poursuite avec les flics, votre carrière de délinquant pourrait finir contre un arbre ou dans un mur et si vous faites du scandale à l’embarquement, vous serez maitrisé à vos risques et périls, car, comme le disait Pasqua : « force doit rester à la loi ».

La mort d’un homme est toujours regrettable et on peut comprendre l’émotion des proches et leurs déclarations empreintes de colère mais quand le Procureur en charge de l’affaire livre des raccourcis aux médias, je m’interroge sur son sens des responsabilités.

Encore une fois, cet homme n’est pas mort pour avoir volé mais pour avoir résisté à son arrestation. Quand on entame une épreuve de force avec la police ou avec ceux qui veulent vous remettre à la police, risquer la mort fait partie du jeu. Les gardiens de l’ordre public ou privé doivent-ils relâcher les délinquants récalcitrants pour ne pas risquer de leur faire du mal ? Cela pourrait finir par décourager les vocations. Si les forces de l’ordre ne peuvent plus exercer une violence légitime, si la « justice » interdit au gendarme de courir après le voleur parce que la vie de ce dernier pourrait être mise en danger, sous peine de finir en taule à sa place, la police finira par se contenter de contrôler les automobilistes et d’escorter les officiels et nous laissera nous démerder avec les malfrats.

Nous n’aurons plus alors qu’à nous armer pour défendre nous même nos biens et nos personnes et comme au Far West, les délinquants risqueront vraiment à mourir pour une bière.

Pie XII, pape bavard

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Le pape Pie XII en 1945.
Le pape Pie XII en 1945.
Le pape Pie XII en 1945.

Notre époque porte sur l’histoire un regard insensible. Elle considère le passé non pas tel qu’il a été, mais tel qu’elle voudrait qu’il fût. Elle sermonne les morts, leur dicte une conduite, ne rechigne pas à l’anachronisme pour les juger au nom de principes qu’elle ne s’applique jamais à elle-même, mais qu’elle leur demande rétroactivement de respecter. Notre époque n’est pas historienne : elle est vindicative. Tenter de comprendre les hommes et leurs raisons, dans le temps, le système de représentations et les circonstances qui furent les leurs, penser la complexité sans la réduire à une rationalité binaire : là n’est ni son fort ni son objet. Ce qu’elle veut, ce sont des coupables.

Des coupables, oui. Mais pas n’importe lesquels. Il lui en faut trouver d’exemplaires, par qui elle puisse se livrer tout entière à ce qui caractérise aujourd’hui l’Occident chrétien : la haine de soi. Notre époque hait ce qu’elle est, et voue à la détestation tout ce qui la fonde. Et comme elle tire son existence entière de Rome et de l’Eglise (jusqu’à l’athéisme, posture philosophique impossible en dehors du christianisme), c’est l’Eglise romaine que l’on charge de la culpabilité maximale.

Regardons « l’affaire Pie XII ». On critique avec aplomb son prétendu « silence » pendant la Shoah, on le soupçonne de collusion avec le régime nazi, on imagine les postures héroïques qu’il aurait pu adopter pour mettre fin à la persécution. On en vient à oublier l’essentiel : le « silence » de Pie XII n’est pas une réalité historique, mais une fable.

En 1963, la pièce Der Stellvertreter, est montée à Berlin. Elle entend dénoncer « les hésitations et le silence » de la papauté face au nazisme et aux persécutions dont les juifs ont été victimes pendant la guerre. Pie XII nous y présenté comme un couard, plus inquiet de la protection des biens matériels de l’Eglise que du salut des juifs.

La pièce vient à point nommé, nous apprend Ian Pacepa[1. Ian Mihai Pacepa, Red Horizons : Chronicles of a Communist Spy Chief, Regnery, 1987.], ancien lieutenant général des services secrets roumains passé à l’Ouest à la fin des années 1970. Conseillé par Alexander Shelepin, patron du KGB, Nikita Kroutchev a entrepris, depuis le début des années 1960, de livrer à l’Eglise catholique, dont il mesure les capacités de résistance et de nuisance, une lutte sans merci à l’intérieur du bloc soviétique. En Hongrie, les services secrets venaient d’avoir la peau du cardinal Mindszenty, un prélat aussi intransigeant avec les communistes qu’il l’avait été, dès le milieu des années 1930, avec Szálasi et les nazis des Croix fléchées. Même si Mindszenty avait pu se réfugier in extremis à l’ambassade américaine de Budapest (il y restera cloîtré quinze ans !), une victoire avait été remportée. Maintenant, il fallait jouer plus fort encore. C’est ce que fit le général Ivan Agayants, chef de la désinformation du KGB, en commandant à Rolf Hochhuth[2. Si Rolf Hochhuth dénonce les silences de Pie XII, il garde bien, quant à lui, le silence sur son propre embrigadement dans les Hitlerjugend. Cette période peu glorieuse de sa jeunesse lui reviendra plus tard en tête, quand il se mettra à s’afficher avec des négationnistes tels que Daniel Irving ou à publier des articles dans des revues d’extrême droite. Allez savoir pourquoi.] une pièce jetant le discrédit sur l’action du Vatican pendant la guerre. Pie XII était mort, il ne s’en plaindrait pas. Ainsi sont nés Le Vicaire et la légende du « silence coupable » de Pie XII.

D’ailleurs, qu’est-ce qu’un dramaturge allemand comme Rolf Hochhuth pouvait en avoir bien à faire de l’attitude du pape pendant la guerre ? En Allemagne, le catholicisme est une religion minoritaire et, si le scandale existe, c’est celui du protestantisme. Le gros de l’électorat nazi est protestant – et le ralliement tardif du Zentrum catholique et de Franz Von Papen reste un phénomène marginal[3. Pie XII retire à Franz Von Papen le titre de chambellan pontifical que Pie XI lui avait octroyé avant guerre et refuse qu’il soit nommé ambassadeur du Reich auprès du Saint-Siège. Il devra attendre que Jean XXIII lui restitue son titre honorifique.]. Malgré des héros comme Dietrich Bonhöffer ou Martin Niemöller, l’Eglise luthérienne ne se contenta pas de garder le silence face à l’irrésistible ascension d’Adolf Hitler. Elle en épousa la cause et les convictions, se rallia corps et âme au parti nazi et trouva dans son antisémitisme une heureuse réalisation de l’antijudaïsme de Martin Luther. Qu’on se souvienne du Juif Süss, commandé en 1940 par Goebbels (il supervisa le tournage) à Veit Harlan : la référence de la « révolution allemande », de cet « antisémitisme qui sauvera le Reich », c’est Luther. Qui trahit le peuple allemand et protestant du Wurtemberg dans ce film de propagande ? Ce sont les catholiques et leurs alliés juifs.

Avant la publication de la pièce de Rolf Hochhuth, on célébrait unanimement l’action de Pie XII en faveur des juifs pendant la guerre. Certes, comme le rappelait récemment dans Le Monde l’excellent Patrick Kéchichian, Paul Claudel se plaignait fin 1945 auprès de Maritain du caractère « inaudible » de la condamnation du nazisme par Pie XII. Mais Pie XII fut à Claudel aussi inaudible que de Gaulle pendant la guerre. C’est qu’on ne peut pas être partout : écrire Paroles au Maréchal et écouter radio Vatican[4. « France, écoute ce vieil homme sur toi qui se penche et qui te parle comme un père. Fille de Saint-Louis, écoute-le ! Et dis, en as-tu assez maintenant de la politique ? » Paul Claudel, Paroles au maréchal, 10 mai 1941.]. Pendant ce temps, Golda Meir rendait hommage à Pie XII. Les rescapés des camps venaient à Rome le remercier pour ce qu’il avait fait. La vérité, crue et scandaleuse aujourd’hui, est qu’il n’y eut certainement pas, dans l’histoire de la chrétienté, de pape plus proche des juifs que Pie XII. Voilà où réside l’héroïcité de ses vertus.

Sûr, à l’époque, Pie XII n’encombra pas les plateaux télés pour se plaindre. Il ne participa ni à « On n’est pas couché », ni au « Grand Journal » de Canal+. On ne le vit pas se répandre en larmes chez Pascale Clark. Il se contenta de participer, avant de devenir pape, à la rédaction en 1937 de l’encyclique de son prédécesseur Pie XI : Mit brennender Sorge, condamnation explicite du nazisme. Il se contenta, une fois élu au siège de Pierre, de consacrer sa première encyclique, Summi pontificatus, à dénoncer le racisme et le culte de l’Etat. Elle fut aussitôt larguée par les avions britanniques sur l’Allemagne à plus de 100 000 exemplaires. Il demanda aux universités catholiques de délivrer un enseignement contre l’antisémitisme, fidèle à la lettre de Summi pontificatus et à ce que le Souverain Pontife professait déjà en 1938 : « Nous, chrétiens, sommes spirituellement des sémites. » Il alerta les Alliés, américains et anglais, sur les persécutions dont les juifs étaient victimes. Mais la libération des camps de la mort n’était pas, pour eux, une priorité de la guerre ni un objectif militaire – un « point de détail », sans doute. Pie XII se contenta aussi, dans son message de Noël 1942, d’évoquer « »les centaines de milliers de personnes, qui sans aucune faute de leur part, parfois seulement en raison de leur nationalité ou de leur lignage, sont destinées à la mort ou à un dépérissement progressif », avant de faire diffuser ce message, en juin 1943, sur les ondes de Radio Vatican : « Quiconque établit une distinction entre les Juifs et les autres hommes est un infidèle et se trouve en contradiction avec les commandements de Dieu. » Il n’y a pas, pour un chrétien, d’excommunication plus directe.

Pie XII parla. C’était un pape bavard. Il parla beaucoup. Mais il agit aussi, levant la discipline de certaines institutions religieuses (afin que des hommes juifs pussent notamment rentrer dans les carmels et y trouver protection), finançant des réseaux et des filières, aidant là où il le pouvait. Les historiens avancent un chiffre de plusieurs dizaines de milliers de juifs, qui auraient bénéficié de la sollicitude du Pontife.

Ce qu’il y a de miraculeux, dans cette affaire, ce fut que Pie XII ne garda pas le silence et ne se refugia pas dans l’inaction. Il aurait pu. Tout l’y incitait. Lorsqu’il avait prêté sa main en 1937 à Pie XI pour écrire l’encyclique Mit brennender Sorge, il en avait éprouvé les lourdes conséquences. Aussitôt l’encyclique parue, les nazis arrêtèrent dans les Länder catholiques du sud de l’Allemagne près de 1 100 religieux et prêtres. Ils dévastèrent les évêchés de Munich, de Fribourg et de Rottenburg, avant de dissoudre les organisations catholiques et de proscrire l’enseignement catholique dans le Reich.

Les plus de 300 prêtres et religieux qui moururent en déportation à Dachau furent la plus grande douleur de Pie XII. S’ils étaient morts, c’était sa faute. Lui, et pas un autre – il en était convaincu – les avait précipités au martyr. Jamais il n’en ferait le deuil. Par une simple parole, il avait livré plus de 300 femmes et hommes à leurs bourreaux. Y a-t-il une chose plus exécrable quand on a voué sa vie à la Vie ?

Il se souvint aussi de la protestation publique, en août 1942, de ses évêques hollandais contre les persécutions. Les nazis répliquèrent par des persécutions plus atroces encore, arrêtant et déportant, en une seule nuit, 40 000 juifs hollandais, dont de nombreux juifs convertis au catholicisme tels Edith Stein. La Hollande détint, dès lors, le plus triste record de la persécution : 85 % de ses juifs disparurent dans les camps de la mort. Toute parole de l’Eglise condamnait plus qu’elle ne protégeait : voilà la vérité[5. Le lendemain de l’annonce des représailles nazies contre la déclaration des évêques hollandais, sœur Pascalina Lehnert, gouvernante du pape, raconte que Pie XII vint la trouver dans sa cuisine pour brûler dans le poêle deux grandes feuilles « couvertes d’une écriture serrée » : « Je voudrais brûler ces feuilles : c’est ma protestation contre l’affreuse persécution des juifs. Elle devait paraître ce soir dans l’Osservatore Romano. Mais si la lettre des évêques hollandais a coûté 40 000 vies humaines, ma protestation en coûterait peut-être 200 000. Je ne dois ni ne veux prendre cette responsabilité. » S. Pascalina Lehnert, Pie XII, mon privilège fut de le servir, Tequi, 2000.].

La « prudence toute diplomatique » dont on accuse Pie XII aujourd’hui n’est pas de la prudence, encore moins de la couardise. C’est la simple prise en compte du réel : en Allemagne et dans une Europe livrées à l’un des pires systèmes totalitaires, il ne suffit pas de signer une pétition depuis son confortable appartement pour faire changer les choses. On essaie uniquement de mener la politique des petits gestes, de sauver ceux que l’on peut sans attenter à la vie d’un plus grand nombre. Car, face au déferlement de la totalité sur soi, c’est elle seule, cette politique des petits mouvements, qui peut sauver non seulement des hommes, mais aussi la part humaine qui est en nous. Peter Sloterdijk oppose à la grandiloquente politique idéaliste, héritée du romantisme dix-neuviémiste et d’un héroïsme très Sturm und Drang, la politique des « petits gestes ». Dans un système totalitaire, on ne joue pas héroïsme contre héroïsme. On joue comme on peut. Et finalement on ne joue pas. Car ce n’est pas un jeu.

Voilà Pie XII. Désolé, ce n’est pas un super-héros. Vous ne trouverez en lui rien de Flash Gordon ni de Catwoman. Il n’a pas retroussé ses manches pour dévoiler ses biscoteaux antiracistes, comme n’importe lequel d’entre nous qui n’a pas vécu en son temps l’aurait, bien entendu, fait. Il a essayé simplement d’agir en homme parmi les hommes. Et c’est cela, précisément, que l’on appelle la sainteté.

Chaque catholique y est appelé. Parfois, l’Eglise en prend l’un ou l’autre et décide de l’élever à la dignité de ses autels. Pie XII, ne le mérite-t-il pas ? Allez savoir. C’est à Benoît XVI d’en décider. Dieu seul en sera juge.

C’est que les chemins de la sainteté ne correspondent pas en tout point à ceux de la Star Academy. Baiser dans la piscine, montrer ses nichons à la caméra, plaire aux médias : tout cela ne suffit pas pour être un saint. Les votes du public n’ont pas cours auprès du Dieu des catholiques. Les vaines déclarations, non plus.

Un saint est, avant tout, un témoin. Non pas celui qui témoigne à charge et qui enfonce l’accusé, mais qui essaie, par ses moyens humains, toujours modestes face aux implacables machineries des Etats et des idéologies, de le sauver. Ce témoin, Pie XII l’a été pour d’innombrables juifs. Il l’a été aussi pour l’Eglise universelle. Sa théologie inspira Vatican II : c’est dans son encyclique Mystici Corporis que la Constitution Lumen Gentium va puiser ses définitions et son sens. Avec Mediator Dei, il amorce, dès 1947, la réforme liturgique que Vatican II n’aura qu’à valider.

Le principal problème de Pie XII demeure : il a été pape. Voilà la difficulté. Elle ne lui sera jamais pardonnée par ces gens qui se considèrent être nés de la cuisse d’Œdipe et de Jupiter réunis, plutôt que de la jambe de saint Paul. Les pauvres, pardonnez-leur, ils ne savent pas d’où ils viennent.

En attendant, les catholiques ont de bonnes raisons de vénérer Pie XII. Pour son action, ses paroles et son silence qui appelle chaque être à l’éthique de responsabilité.

Le bug de 2010

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Le 31 décembre 2009, sur les coups de minuit, pendant que le monde entier célébrait gaiement le passage à la nouvelle année, la France s’apprêtait, elle, à entrer dans la pire année de son histoire. En 2010, le 1er mai, le 8 mai, le 25 décembre et le Nouvel An auront lieu un samedi. Et le 15 août, un dimanche ! Seul le 11 novembre, qui tombera un jeudi, semble avoir été épargné. Au total, en 2010, les Français seront privés de cinq bons gros jours fériés en semaine ! Pour l’heure, l’opposition a gardé le silence sur cette attaque délibérée contre les droits sociaux des travailleurs. En attendant qu’elle réagisse, je me fais l’interprète de toute la rédaction de Causeur pour vous souhaiter une excellente année 2010 !

Victimes peut-être, héroïnes non

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Sarah Zaknoun et Céline Faye.
Sarah Zaknoun et Céline Faye.
Sarah Zaknoun et Céline Faye.

Sarah Zaknoun et Céline Faye, les deux jeunes Françaises emprisonnées en République dominicaine viennent de retrouver la liberté. Condamnées pour un trafic de drogue – six kilos de cocaïne ont été découverts dans leurs bagages – qu’elles n’ont jamais cessé de nier, les deux jeunes filles de Besançon ont bénéficié d’une grâce accordée la veille de Noël par le président dominicain. On peut partager leur joie et trouver parfaitement délirante la façon dont leur libération est célébrée – et de cela, elles sont sans l’ombre d’un doute complètement innocentes. Même si les deux amies ont été victimes d’un complot, rien dans leur affaire ne justifie le carnaval organisé pour leur retour en France.

Qu’on ne se méprenne pas : protéger les ressortissants français et leur porter secours est l’un des devoirs de l’Etat vis-à-vis de ses citoyens. Le ministère des Affaires étrangères et l’Elysée doivent donc œuvrer pour améliorer le sort des Français emprisonnés dans des pays étrangers, aider leurs familles à garder le contact avec eux et faire les démarches nécessaires dans des langues et cultures étrangères. Il est aussi tout à fait normal de se féliciter chaque fois que la diplomatie française arrive, au bout de négociations longues et difficiles, à remplir cette mission importante. Mais ce succès qui aurait dû valoir à quelques fonctionnaires les félicitations de leurs supérieurs et faire l’objet d’une couverture médiatique minimale, a été transformée en triomphe et les deux jeunes Bisontines en héroïnes.

À leur libération, elles ont été prises en charge, non pas par un mais par deux représentants de l’Etat : Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie et l’ambassadeur de France. À leur arrivée à Paris, elles ont eu droit à une réception au pavillon d’honneur de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, privilège normalement réservé aux otages libérés. Les retrouvailles de Sarah et Céline avec leurs parents – couronnées par un discours d’Alain Joyandet – ont été transmises en direct et en boucle toute la matinée par toutes les chaînes d’information. Le secrétaire d’Etat leur a même promis un « avenir » : la création d’un comité « Sarah et Céline » bombardées « ambassadrices de la lutte contre la drogue ». Tant qu’on y est, pourquoi pas secrétaires d’Etat à la Coopération ?

La démesure bat son plein et l’exagération atteint de tels sommets qu’on a envie de jouer les trouble-fête. Il y a quelque chose d’embrassant dans ce spectacle, comme toujours quand l’émotion – compréhensible s’agissant des intéressées – interdit toute réflexion et même toute distinction. Il n’y a plus de différence entre Clotilde Reiss et Céline et Sarah, entre un chantage politique et un cas individuel, entre une doctorante arrêtée arbitrairement en Iran parce qu’elle est française et transformée en monnaie d’échange et deux jeunes filles condamnées (peut-être par erreur) pour trafic de drogue.

Ce festival de très mauvais goût semble ne pas déplaire au chef de l’Etat qui vient de rater une belle occasion de faire profil bas. Que la première dame de France intervienne dans ce genre de situation, admettons. Que le président lui-même passe quelques coups de fils pour accélérer les choses, pourquoi pas. Si le geste dominicain a un prix, celui-ci doit être raisonnable. On peut aussi comprendre qu’Alain Joyandet, candidat aux régionales dans le Doubs, département d’origines des deux héroïnes, ait accordé à cette affaire toute l’attention qu’elle méritait. Nos deux voyageuses sont en quelque sorte les Betancourt (Ingrid pas Liliane) du pauvre. Bien sûr, on aurait trouvé plus élégant qu’il fasse ce charmant cadeau aux familles et à ses électeurs sans l’accompagner d’un feu d’artifice de communication qui a transformé une histoire qui finit bien en campagne de RP bas de gamme. Rien ne nous a été épargné, y compris les admonestations aux pécheresses repenties et les petits couplets sur tout le mal que fait la drogue. La tentation d’en tirer le maximum de larmes a été la plus forte. Et les efforts déployés pour transformer un succès diplomatique sans grande importance en victoire majeure sont ridicules et contre-productifs. Bref, voilà exactement le genre de spectacle que l’on produit pour cacher un grand vide. Bonne année à tous.