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Des vœux et des aveux

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Lionel Jospin n’a pas encore retiré définitivement ses Mémoires de la vie littéraire du pays. Il vient de les publier.
Lionel Jospin n’a pas encore retiré définitivement ses Mémoires de la vie littéraire du pays. Il vient de les publier.

Du haut de nos montagnes, nous scrutons la plaine. A l’ouest, il y a toujours du nouveau : c’est par là qu’arrivent les perturbations, les climatiques et les autres, les nouvelles venues de la capitale même quand on n’a rien demandé.

En cette période de vœux − une excellente institution qui nous permet d’exercer cette hypocrisie fort utile à la vie en société – il existe des gens qui prennent le contrepied de cette coutume en adoptant une posture où la sincérité le dispute à la transparence.

Ainsi, Lionel Jospin, qui continue de marquer Jacques Chirac à la culotte, livre ses vérités dans un livre et un film de confidences recueillies par Patrick Rotman et Pierre Favier. Ces deux œuvres vont être présentées au public dans les prochaines semaines.

[access capability= »lire_inedits »]Et déjà, le Journal du dimanche nous informe qu’enfin, et pour la première fois, Lionel Jospin confirme qu’il était bien membre de l’OCI, chapelle trotskiste alors dirigée par feu Pierre Lambert, alias Boussel, lorsqu’il a adhéré au PS au début des années 1960.

Ces aveux sont complétés par des regrets : l’ancien premier ministre n’est pas très fiérot d’avoir nié cet engagement lorsque Le Monde, le 5 juin 2001, l’avait révélé sous la signature anonyme de « Service politique ». C’était en fait un outing orchestré par deux anciens de l’OCI convertis au journalisme de référence, Laurent Mauduit et Sylvain Cypel, et mis en musique par un « ex » de la boutique concurrente, Edwy Plenel, alors directeur de la rédaction. La méthode n’était pas très élégante, mais on doit lui reconnaître une certaine efficacité en matière de mise en ébullition du microcosme. Jospin avait alors prétendu, en bon connaisseur de Jean de la Fontaine, qu’il avait été confondu avec son frère Olivier.

Avec l’âge, donc, c’est le protestant qui revient en force chez Lionel pour mettre ses affaires éthiques en ordre avant de passer devant le tribunal suprême, celui de l’Histoire ou peut-être même plus haut…

Tous comptes faits, à ces aveux carrés et tristounets, on est en droit de préférer la méthode Mitterrand, qui organise subtilement les fuites dans Paris-Match sur Mazarine après avoir persécuté ceux qui, comme Jean-Edern Hallier, avaient tenté de le faire chanter en révélant le pot-aux-roses. C’est retors et romanesque à souhait, comme on aime.

On eût également préféré que ce début d’année 2009 nous offrît la description, par Roland Dumas lui-même, des coups tordus dont il fût un spécialiste éminent dans sa vie politique comme dans ses activités d’avocat.
Mais lui, c’est certain, n’avouera jamais.
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L’assimilation, une chance pour la France !

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Le débat n’aura pas lieu, c’est entendu. Il s’est transformé en festival de postures et d’invectives. Ceux qui voulaient l’interdire ont déjà gagné une bataille : on ne s’entend plus et on n’y comprend plus rien.

Même si on est de bonne foi, cette affaire d’identité est tout sauf simple. Reste qu’elle doit avoir quelque importance pour que l’opportunité d’en parler soit elle-même l’enjeu de tels affrontements.

En attendant, puisqu’on en parle, autant essayer de savoir de quoi on parle. Comment une question apparemment banale –  »Qu’est-ce qu’être français ? » – peut-elle être si atrocement scandaleuse ? Elle appelle forcément, nous dit-on, des réponses ethniques, religieuses voire raciales. En clair, elle serait dirigée contre les musulmans, désignés à la vindicte publique par un gouvernement cynique (et stupide au point de se désintéresser de millions d’électeurs).

[access capability= »lire_inedits »]Et pourtant, il n’est pas question d’origine mais de ce que les philosophes du XVIIIe siècle appelaient les « mœurs ». Dans ce débat sur l’identité nationale, on ne parle pas de race ou de religion mais de culture. Ou plus précisément des modalités de fabrication d’une culture commune. Et le sujet mérite d’autant plus d’être abordé que nous semblons avoir égaré la recette.

Dans le concours d’épithètes insultantes qui a étouffé toute possibilité d’échange d’arguments, on peut vaguement percevoir l’écho de deux positions qui s’affrontent. À l’une des extrémités d’un spectre qui compte de multiples nuances, les partisans du métissage croient à un multiculturalisme égalitaire dans lequel toutes les cultures ont la même place dans la Cité. Conformément à sa démographie, la France devrait devenir gentiment une mosaïque de pratiques et de croyances vivant en bonne intelligence sans se menacer les unes et les autres. À mon humble avis, cela revient à croire que l’anthropologie et l’histoire des sociétés sont aussi plastiques que les frontières et, surtout, cela aboutit, au nom de l’égalité et d’un libéralisme de bon aloi, au différentialisme le plus effréné. Il n’y a qu’en matière d’idées que les amoureux de la diversité prônent l’homogénéité la plus radicale.

À l’autre bout de l’arc idéologique, les assimilationnistes pensent qu’il y a une distinction entre la culture d’accueil et celles qui sont accueillies et que, particulièrement en France, les arrivants successifs sont priés de laisser pas mal de leurs particularités à l’entrée et d’adhérer aux usages communs, bien plus que s’ils étaient allés, par exemple, frapper à la porte des Pays-Bas voisins (avant que la tolérance presque illimitée n’y suscite sa contre-réforme).

Ce ne fut pas toujours rigolo mais, à l’arrivée, faire comme les Romains à Rome s’est toujours révélé payant. Pour tous les Romains, qu’ils soient de souche ancienne ou récente. Oui, l’assimilation est une chance pour la France (que Marc Cohen soit remercié pour sa participation à cette coproduction sémantique). Et pitié, qu’on ne me fasse pas le coup des petits Bretons brimés à coup de langue française, on n’en est plus vraiment là. Du reste, la langue française, c’est tout le mal qu’on souhaite aux petits-enfants d’immigrés.

En réalité, personne ne prétend revenir au républicanisme autoritaire des fondateurs de la IIIe République. Un aimable libéralisme est passé par là, nous rendant tous, et c’est heureux, largement tolérants à la différence, et même, en théorie, à la divergence. Il ne s’agit donc pas de réprimer toute manifestation identitaire mais de savoir où l’on place le curseur.

Pour ma part, je hasarderais une formule : « Oui aux minarets, non à la burqa ! » Oui à l’inscription dans les paysages et dans l’Histoire, non à l’emprise sur les corps et les consciences. S’il faut, in fine, retenir un critère de ce qui n’est pas négociable, je suggère celui de la mixité. La présence des femmes dans l’espace public, c’est ce que nous avons inventé de mieux. C’est un droit de l’Homme.
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Attention, ma saucisse de Francfort va exploser !

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La scène s’est passée à l’aéroport de Stuttgart, au pays de notre bien aimée Trudi. Un quadragénaire a prétendu, lors du passage du portique de sécurité, avoir un explosif dans le calbute. La PAF allemande, peu connue pour son sens de l’humour et de la métaphore, a interrogé le prétentieux qui a insisté de manière convaincante jusqu’à ce qu’on découvre qu’il mentait. Trois hypothèses pour expliquer ce comportement qui va quand même lui valoir au minimum mille euros d’amende sans préjuger du coût de l’intervention policière certainement faite de manipulations complexes. Primo : l’homme qui s’apprêtait à partir s’ennuyer pour des vacances égyptiennes avec femme et enfant a voulu éviter les charmes de l’hôtel club avec bobonne faisant la danse du ventre pendant les animations. Secundo : il n’a pas vu, comme Cyrille B., le film sur La Domination Masculine où sont stigmatisés ce genre de propos machistes. Tertio: c’est malgré tout un geste militant face à la politique intrusive des contrôles d’embarquement, il a eu les boules.

Du neuf avec des vœux

voeux-martine-aubry

À l’occasion de ses vœux de mardi dernier, toute la presse aura noté qu’on nous l’avait changée, la Martine, et pas seulement quant à ses rutilantes boucles d’oreilles. Le punch, la précision du tir et, en plus, le sourire : il y a du neuf dans l’air, et pas uniquement en comparaison avec ses vœux sous Lexomil de 2009. On commence même à parler ça et là « d’effet Merkel » et à faire de celle qu’on n’attendait pas une présidentiable crédible. Tout cela est vrai, mais appelle quelques observations supplémentaires, sur le pourquoi et le comment de cette métamorphose. Comme d’habitude, on vous les livrera en vrac.

Primo, comme le remarque très justement Le Figaro, Martine Aubry « a concentré ses vœux sur la critique du sarkozysme ». Du sarkozysme. Et donc, pas de Sarkozy himself. Ce qui est, à l’échelle du PS, une véritable révolution culturelle. Maintes fois, nous avons dit ici que le ciblage exclusif de la personne du chef de l’Etat envoyait la gauche droit dans le mur, à Rome comme à Paris. Et qu’il ne dissimulait que fort mal l’absence d’une offre politique alternative.

Secundo logique, Martine a commencé à dessiner ce que pourrait être cette alternative politique, et pas seulement en rêve la nuit. Elle ne l’a certes pas fait en déroulant un maximum de propositions, mais en tapant très fort sur tous les sujets qui fâchent, depuis la privatisation de la Poste jusqu’aux délocalisations, en passant par le pouvoir d’achat et l’Afghanistan, sans oublier la sécurité, et pas seulement celle de l’emploi, mais celle que beaucoup de socialistes n’utilisaient jamais que dans l’expression « sentiment d’insécurité » avec la bouche en cul de poule qui va avec.

Tertio, le choix de ces sujets qui fâchent n’est pas innocent, mais alors pas du tout. Certes Martine est revenue sur le « recul des libertés judiciaires, médiatiques et parlementaires », mais la plupart des attaques ont été portées sur les problématiques, souvent bassement matérielles, qui tarabustent les Français d’en bas. Le PS de 2010 ne parle plus seulement à l’intention de ses chouchous d’hier, ceux du piteux Zénith des libertés d’il y a à peine un an, les bac +6, les pétitionnaires ou les journalistes.

Quarto, ce revirement n’a rien d’anecdotique. C’est bien d’une stratégie pensée de reconquête qu’il s’agit. La plupart des commentateurs ont les yeux braqués sur la guerre froide qui oppose Verts et PS dans la perspective des régionales – et plus si mésentente. C’est une erreur. Non pas que ce bras de fer soit fictif. Mais disons le carrément : nous pensons que Martine Aubry, réaliste au dernier degré, a fait son deuil de la frange la plus sociétaliste de son électorat qui a migré vers Europe-Ecologie aux européennes de 2009, et qui n’a aucune raison valable, comme dirait Dave, de refaire le chemin à l’envers dans deux mois, maintenant que les écolos semblent plus bankable que jamais. Non, le choix de Martine, c’est d’entamer une longue marche, celle qui ramènera le PS vers son électorat naturel et vice-versa. Objectif prioritaire, donc, l’énorme vivier des abstentionnistes populaires, ceux qu’on appelait autrefois « les déçus du socialisme ». Mais nous soupçonnons cette dame de voir un peu plus loin, et d’avoir perçu qu’il y avait une autre volaille à plumer : celle des déçus du sarkozysme. Notamment les working poors et les classes moyennes qui ont cru au « candidat de la feuille de paye » et à la croissance qu’on irait chercher avec les dents. Ceux-là, Martine entend bien les ramener dans son caddie. Pour mars prochain, ça risque d’être un peu juste, mais pour 2012, allez savoir…

Quinto, une des rares propositions concrètes faites lors de ces vœux aura été l’annonce du droit de vote des étrangers aux élections locales. Elle peut sembler contradictoire avec la thèse que nous venons de développer au paragraphe précédent. Quoiqu’on en pense sur le fond, on pourra juger qu’il y avait plus urgent à mettre à avant ici et maintenant. Mais cette proposition présente deux avantages tactiques. Tout d’abord, de donner un peu de grain à moudre à l’aile boboïde de la direction du parti. Ensuite de semer un sympathique bordel dans le camp d’en face, où le président (qui s’y dit favorable sur le fond, mais pour les calendes grecques), Eric Besson (qui s’y dit moins hostile à moyen terme, genre 10-15 ans) et les grognons type Jacques Myard (vent debout contre) se sont lancés dans un concours de dissonances qui ne fait pas vraiment les affaires d’une UMP au creux de la vague. Machiavélique, la Martine ? Et pourquoi pas ! À dose raisonnable, ça n’a jamais tué personne, au contraire… D’ailleurs, le projet de loi en question, qui devait être déposé par le PS dès mercredi, ne l’a pas été. Et d’après nos informations, il ne risque pas de l’être dans les heures qui viennent, vu qu’il n’a pas encore été rédigé…

Cela dit, puisqu’on en est à parler de ce genre de choses, on aurait aimé une parole plus claire, plus forte, et plus conforme aux traditions laïques et républicaines de la gauche française sur la burqa. Il n’y a pas de place pour cette abjection dans ce que le PS appelle « la France qu’on aime ». Là, le rendez-vous a bel et bien été loupé. On ne peut pas tout avoir…

Toujours est-il qu’il s’est passé quelque chose d’assez souterrain, et donc d’assez profond ces derniers mois, dont ces vœux pugnaces ne sont que la première manifestation visible par tous. Le PS s’est trouvé non pas une patronne incontestée, mais une incarnation viable. Entre nous, ça faisait longtemps. Et du coup, contre toute attente, Nicolas Sarkozy a trouvé à qui parler. Et pas un adversaire qu’il s’est choisi lui-même comme DSK, nommé par icelui au FMI, ou Delanoë, qu’il a, de fait, reconduit à la Mairie de Paris en ne lui opposant que Françoise de Panafieu. Ni un battu d’avance, comme Hollande ou Ségo version 2.0.

Certes, il reste dans le discours de Martine Aubry bien des scories, de celles qui ont amené au désastre de 2002 ou à la déroute de 2007, mais on sent qu’on est en train, au moins, de remettre le problème sur ses pieds. Pas totalement, mais on avance. Disons que c’est du trois pas en avant, un pas arrière. Et pour ceux qui souhaitent une gauche de gauche, c’est quand même mieux que le contraire…

Otages français : le temps des soldes

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otage

Il s’est produit, ces dernières semaines, un virage à 180° dans l’approche, par les autorités françaises, du problème des ressortissants français enlevés par des bandes armées sévissant dans les zones de conflits comme l’Irak, l’Afghanistan ou la région sub-saharienne.

Il était de tradition, jusqu’alors, de mobiliser l’opinion publique en la sensibilisant au sort inique réservé à des innocents, dont le seul crime avait été de faire leur travail de journaliste, de diplomate ou d’employé d’ONG.

Certains d’entre eux, et surtout d’entre elles, étaient devenus des icônes parés de toutes les vertus : leur martyre sublime nous renvoyait à la médiocrité morale de nos existences hédonistes.

Comment peut-on décemment se pavaner au Fouquet’s pour les uns, à la Closerie pour les autres alors qu’Ingrid Bétancourt pourrit au fond de la jungle colombienne ou que Florence Aubenas n’a pas vu le jour depuis des mois dans un cul de basse fosse de la banlieue de Bagdad ? En fait, on le peut. A condition de pétitionner comme des malades, de sommer le gouvernement de tout faire – je dis bien tout ! – pour que soit donné satisfaction aux ravisseurs. Les comités Bétancourt ou Aubenas éclosent en masse dans nos villes et nos villages. Surtout ne pas oublier… On rappelle les propos tenus à leur retour de captivité par les Jean-Paul Kaufmann ou Philippe Rochot, otages du Hezbollah libanais, racontant leur joie de prisonniers saisissant au vol le son d’une radio où l’on parlait d’eux…

Une bien étrange théorie se développe dans les cercles dirigeants de la compassion militante : la vie des otages serait protégée par le vacarme médiatique produit dans les pays dont ils sont originaires. « Ils » n’oseront pas affronter un peuple levé en masse pour sauver la vie de deux des siens, tel était le viatique moral justifiant qu’on se mobilise pour cette cause plutôt que pour les retraites ou la sécu.

Et lorsque les héros reviennent en fanfare, enfin libérés grâce aux espèces sonnantes et trébuchantes versées aux bandits par le trésor public et/ou l’indulgence judiciaire pour quelques poseurs de bombes, le peuple français crie Hosannah !

Il semble que l’on ait fini par comprendre que cette méthode avait un petit inconvénient : il n’a pas échappé aux humanistes porteurs de turbans et de mitraillettes à tir rapide (marre de faire de la pub à l’industrie russe de l’armement !) que l’on pouvait tirer quelques avantages financiers et politiques non négligeables en invitant, pour quelque temps, un journaliste ou un humanitaire français à passer quelques semaines, voire quelque mois en leur compagnie. A la différence de ce qui se passe avec les agences de voyage, le règlement du séjour s’effectue à l’issue de ce dernier, et fait l’objet d’âpres négociations commerciales entre les parties.

Il s’est même constitué un marché, avec une cote établissant la valeur marchande d’un otage en fonction de sa nationalité. Un groupe de barbus à cours d’argent peut revendre à un seigneur de la guerre disposant de liquidités un otage qu’il s’était gardé comme une poire pour la soif, et pour lequel les autorités nationales dont il relève se montrent un peu lentes à passer la monnaie. Le Britannique, sur ce marché, ne vaut pas tripette, les Anglais ayant comme principe de ne jamais céder au chantage même si, régulièrement, les égorgeurs saignent un sujet de Sa Majesté pour essayer de les faire craquer. Sans succès, et avec la garantie que les Anglais, dotés d’une bonne mémoire, d’un glaive vengeur et d’un bras séculier leur feront payer le juste prix de leurs forfaits à la première occasion. En revanche, le Français était jusqu’à présent une sorte de jackpot à pattes tant l’émotion provoquée dans son pays par ses malheurs faisait monter son cours à la bourse des voyous de Kandahar.

Le plus dur, si on veut changer de tactique et adopter l’approche londonienne du problème, c’est de commencer. Le taliban, ou le jihadiste d’Al Qaïda, sont loin d’être des imbéciles. Ils ont quelques raisons de penser que ce durcissement n’est peut-être que superficiel, et qu’il ne résistera pas à une vidéo gore diffusée par leurs soins sur la toile, dans le style de celle de l’exécution de Daniel Pearl.

Cela concerne aujourd’hui deux journalistes français de FR3 enlevés fin décembre en Afghanistan, et un bénévole humanitaire français détenu depuis une semaine au Mali par Al Qaïda Maghreb Islamique. Des deux premiers, on n’a pas révélé les noms, et je n’écrirai pas ici celui du troisième, pour être dans la nouvelle ligne. Une ligne dure, peut-être, dont les effets vont peut-être plonger des familles dans le malheur, mais qui a la vertu de nous ramener au réel. Que nous le voulions ou non, nous sommes en guerre. Nous avons choisi de participer au combat planétaire contre un terrorisme pratiqué par des gens qui nous haïssent non pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous sommes. Ils connaissent nos faiblesses, celles résultant précisément des valeurs qu’ils exècrent : le respect de l’individu, celui de la vie, des convictions politiques et religieuses de chacun, l’amour de la liberté et de la démocratie. Nous préférons l’humiliation collective à la mort d’un innocent, et ceux qui envoient des jeunes gens et jeunes filles se faire exploser sur les marchés ont beau appartenir à l’espèce humaine, ils ne sont en rien nos semblables. En rien. Ils tueront peut-être ceux qui se sont aventurés, sans doute imprudemment, près de leurs repaires. Maigre consolation, certes, mais leur crime aura cessé de payer. Et la note les attend, quelque part, un jour…

Les délicatesses de Carlos

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Carlos, terroriste honnête.
Carlos, terroriste honnête.

On a beau être un militant révolutionnaire et un terroriste assumé, on n’en a pas moins sa délicatesse, voire des susceptibilités de chochotte. À en croire son avocate et épouse Me Isabelle Coutant-Peyre, le citoyen vénézuélien Ilich Ramirez Sanchez, plus connu sous son nom de guerre « Carlos », n’est « pas mécontent » d’être le héros d’un long-métrage et d’une série télévisée actuellement en cours de postproduction. Certes, il ne s’agit pas d’un « budget hollywoodien », ce qui visiblement, chagrine Carlos, mais tout de même, une « vraie fiction », si on m’autorise cet oxymore. Un réalisateur renommé (Olivier Assayas, également co-scénariste avec Dan Franck), un producteur honorablement connu dans le métier (Daniel Lecomte), une diffusion prévue sur Canal + pour la série et une sortie mondiale pour le film, le projet a de quoi flatter l’égo du héros qui, de la prison française où il purge une condamnation à perpétuité, adore pérorer et donner des entretiens dans lequel il commente avec gourmandise sa vie et son œuvre[1. Ainsi, il y a quelques mois, ce militant inébranlable apportait par téléphone, son soutien au Parti antisioniste de Dieudonné.]. Bref, Carlos (dont le personnage est, parait-il, incarné par un excellent comédien, vénézuélien et nommé Sanchez, ça ne s’invente pas), se voit déjà en haut de l’affiche et il aime ça. Le champion des peuples se voit en people.

On ne savait pas, cependant, l’ami Ramirez Sanchez aussi sensible à son image qu’une Miss prise la main (façon de parler) dans le pot de yaourt. Et chatouilleux sur les questions de droit, avec ça. En conséquence, il poursuit Films en Stock et Canal en référé devant le tribunal de Nanterre, exigeant la communication de l’œuvre et la suspension de la diffusion durant trois mois – ce qui lui donnerait le temps d’apporter les corrections nécessaires. Un personnage improbable répondant au patronyme de Vernochet s’est invité aux réjouissances. Co-auteur avec Carlos d’un livre-entretien à la gloire de celui-ci, il aimerait bien être reconnu comme co-auteur du film. Et peut-être associé aux bénéfices ? C’est qu’Ilich Ramirez Sanchez, « citoyen comme les autres », est un type bankable. « Carlos, ça fait vendre », lance Me Coutant-Peyre. En plus, ces salauds vont se faire de l’argent grâce aux exploits d’un pauvre petit tueur innocent, vous trouvez ça moral, vous ?

Donc, Carlos est vexé de ne pas avoir été engagé comme consultant par la production, parce que voyez-vous, il aurait été ravi de collaborer. Non seulement, personne ne lui a rien demandé, mais ce qu’il a lu dans la presse ne lui plait pas. Dan Frank le qualifie de « psychopathe », ce qui n’est pas gentil. « Les informations parues dans la presse nous font penser que Carlos est présenté comme un personnage ignoble, un terroriste sanguinaire baignant dans le sexe et l’alcool, s’émeut son avocate. Mais dans d’autres régions du monde, on voit les choses autrement. » Au terme d’un petit dégagement assez dégoûtant dans lequel elle compare son client à Jean Moulin, on comprend qu’il souhaite être qualifié de résistant. Et la légion d’honneur, en prime ? Il soupçonne quelques manquements à la vérité historique, affirmant par exemple, que la prise d’otages des ministres du Pétrole de l’OPEP, à Vienne (trois morts) n’était pas une commande irakienne mais libyenne. Sans compter qu’il serait question de plusieurs attentats pour lesquels il n’a pas été jugé.

Carlos entend faire respecter ses droits « au nom », « à l’image », « à la vie privée » et à la « présomption d’innocence ». Ce n’est pas une blague. Comme le souligne Richard Malka, avocat de Films en Stock et ami de Causeur, au cours d’une plaidoirie implacable et fort documentée, « on aurait aimé qu’il se préoccupe plus de l’innocence de ses victimes que de sa présomption d’innocence. » Mais il est vrai que l’intéressé a sur la question des vues qui lui sont propres dont il faisait part au Nouvel Observateur en 2004 : « J’ai calculé, nous avons tué lors de nos opérations plus de 1.500 personnes moins de 2.000 en tout cas. On m’a déjà posé la question [du remord] mais même pas 10 % de ces personnes étaient innocentes. Quand vous avez des morts de pauvres gens innocents qui n’ont rien fait à personne et qui se font tuer pour des circonstances qui les dépassent on ne peut pas se féliciter, mais pourquoi condamner ? » C’est vrai, ajoute Malka, on se demande bien pourquoi.

« La loi doit être la même pour tous », a affirmé Me Coutant-Lapeyre, visiblement moins au fait des mœurs politiques françaises que des usages du terrorisme international : « Si Nicolas Sarkozy demandait à visionner un film sur lui, on le lui accorderait », dit-elle. Malka a beau jeu de rappeler qu’il y a quelques mois, Daniel Lecomte a opposé à toutes les tentatives de Rachida Dati pour visionner avant sa diffusion un documentaire qui lui était consacré une fin de non-recevoir. Il serait pour le moins étonnant qu’un meurtrier obtienne ce que la ministre de la Justice n’a pas obtenu.

Reste qu’il fallait oser. Rappelant quelques étapes de la brillante carrière de tueur de Carlos, Malka se déclare d’accord avec sa consœur : « Oui, Carlos est un personnage public et politique et même, un personnage historique, l’inventeur du terrorisme moderne. » À ce titre, il est malvenu à demander qu’on le traite comme un citoyen lambda.

On ne sait jamais, disent les professionnels. La décision sera rendue le 4 février. En vérité, on voit mal un tribunal français accorder à qui que ce soit, fût-il un tueur de grand chemin, le droit d’exercer une censure préalable sur une œuvre qui lui est consacrée. « Et pourquoi ne pas confier à Pol Pot le soin d’écrire sa biographie ? », questionne Malka. Carlos n’a pas réussi à nous priver de nos libertés avec ses bombes, il n’y parviendra pas avec ses procédures. » S’il attaque le film après sa diffusion, cela donnera certainement lieu à d’intéressants débats sur la liberté de création, s’agissant d’une fiction dont la ressemblance avec la réalité n’a rien de fortuit.

Dans le bureau de la magistrate où sont entassées une quinzaine de personnes, les journalistes sont peu nombreux, dix ou quinze fois moins que pour le procès des photos nues de Miss Paris – une affaire autrement importante. L’atmosphère est bizarrement détendue. Me Coutant-Lapeyre minaude vaguement. « Je serais enchantée, dit-elle à son adversaire, de recevoir vos BD dédicacées. » Comme c’est charmant.

Cette étrange procès a pourtant, remarque encore Malka, quelque chose de réjouissant. Il est en effet assez satisfaisant de voir un homme qui, toute sa vie, a conspué la démocratie bourgeoise et ses institutions demander réparation devant nos tribunaux. C’est bien la meilleure preuve de sa défaite.

Google, faut pas les chercher !

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Hier, à Washington, Nancy Pelosi a fait applaudir Google par la Chambre des Représentants qu’elle préside, après que la firme américaine eut menacé la Chine de représailles si elle continuait à lancer ses hackers démocratiques et populaires aux trousses des militants chinois des droits de l’Homme. « L’annonce que Google va complètement réexaminer ses activités en Chine et ne tolèrera plus la censure de son moteur de recherche devrait servir d’exemple aux autres sociétés et aux gouvernements », a notamment déclaré Nancy Pelosi. Frédéric Mitterrand, qui veut taxer Google en France, cherche à joindre Hu Jintao, le président chinois, depuis hier.

L’ère de l’insécurité aérienne

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Après l’attentat manqué de Noël, la sécurité du transport aérien et les problèmes liés au contrôle des passagers sont de nouveau à l’ordre du jour. À la suite du 11 septembre, un premier resserrement des mesures de sécurité avait alourdi et prolongé les procédures d’embarquement. Depuis l’attentat raté de Richard Reid, le « shoe bomber« , nous sommes tous priés d’ôter nos chaussures et grâce aux terroristes qui planifiaient en 2006 de faire sauter un avion à l’aide d’explosifs liquides, nous sommes privés de notre trousse de toilette en cabine. Désormais, après l’échec d’Umar Farouk Abdel Muttalib, le jeune Nigérian qui a essayé de faire sauter le vol Amsterdam-Detroit avec quelques dizaines de grammes d’explosifs, on promet de nous mettre tous à poil – technologiquement bien sûr. On n’ose pas imaginer la solution qui sortira du chapeau des responsables de la sécurité le jour où on apprendra qu’un terroriste avait placé des explosifs dans ses intestins, comme le font déjà les trafiquants de drogue…

Comme disent les Américains, nous sommes de toute évidence en train d’aboyer sous le mauvais arbre : nous cherchons toujours l’arme. Or, on sait désormais que l’arme peut être l’avion – comme ce fut le cas le 11 septembre – voire le terroriste lui-même. Or, par inertie et manque d’audace politique, les responsables de la sécurité continuent obstinément à chercher l’arme qui n’en est plus une. Enfin, il faut intégrer une évidence aussi simple que terrible : un homme résolu, bien entraîné et prêt à mourir peut faire s’écraser un avion – voire dérailler un train ou précipiter un car dans un ravin – les mains nues. Au lieu d’admettre cette triste réalité, en prendre acte et en tirer les conclusions, on nous propose une solution technologique de plus. Et il ne s’agit même pas d’un engin capable de lire les pensées mais d’une machine de plus consacrée à détecter les armes.

L’honnêteté intellectuelle oblige cependant à reconnaître que ces mesures ont porté leurs fruits. Si depuis 66 mois aucun passager n’a perdu la vie à cause d’un attentant, ce n’est pas parce que les organisations terroristes n’ont pas essayé. Il ne faut pas oublier que dans les cas d’Abdel Muttalib et de Richard Reid, le défi des nouvelles mesures de sécurité n’a été que partiellement relevé par les terroristes qui, faute de détonateurs (détectables), n’ont pas réussi à fabriquer un engin fiable. Mais la logique actuelle a atteint ses limites car au Yemen, en Afghanistan ou derrière les écrans d’ordinateurs du monde entier, de gros cerveaux se penchent sur le problème et ils finiront par trouver une solution meurtrière, ce n’est qu’une question de temps.

En fait, pour arrêter Farouk Abdel Muttalib à Schiphol, il n’y avait nul besoin de fouille sophistiquée. Il aurait suffi d’examiner les billets d’avion et l’itinéraire du passager.  Premier indice : Abdel Muttalib avait acheté à Accra (Ghana) des billets pour un périple bien curieux : Accra-Lagos, Lagos-Amsterdam, Amsterdam-Detroit. Pourquoi ? Des vols directs relient régulièrement Accra et New York. Deuxième fait qui aurait dû éveiller les suspicions : Abdel Muttalib avait acheté ses billets tardivement et surtout, selon Yossi Melman du quotidien israélien Haaretz, il les a payés cher (2 800 dollars) et en cash. Ces seuls faits aurait dû suffire à l’isoler du reste des passagers, à l’interroger professionnellement, à le fouiller méthodiquement et à envoyer une photocopie de son passeport à toutes les agences concernées. Payer une place en première classe et un million de miles aux passagers soupçonnés à tort reviendrait moins cher que d’acheter et d’entretenir des centaines de machines, sans parler des files d’attente interminables capable de faire sortir de leurs gonds n’importe qui, même des préfets.

Aussi bizarre que cela puisse paraître, même dans les opérations terroristes les plus sophistiquées – comme le dernier attentant manqué – les planificateurs ne pensent pas à tout, et les billets d’Abdel Muttalib en sont le dernier exemple. Comme les services français (voir l’affaire Rainbow Warrior), israéliens (l’affaire de Lillehammer) ou américains (le dernier attentat en Afghanistan contre la CIA), Al Qaeda n’est pas infaillible, loin de là ! Le terroriste ne ressemble que très rarement à un « voisin de palier », et même lorsque c’est le cas, il s’agit d’une ressemblance superficielle. En revanche, son comportement et son itinéraire s’écartent tellement souvent du normal et du probable qu’ils le trahissent. Ce sont ces petits indices qui devraient intéresser aujourd’hui les responsables de la sécurité aéroportuaire.

La sécurité des aéroports doit changer de paradigme et se tourner vers la composante humaine de l’équation : l’homme qui voyage et celui qui le contrôle. Mais le plus important est le constat suivant : la terreur est à notre civilisation ce que l’accident de la route est à la voiture. Elle fait désormais partie de notre vie, et le mieux qu’on peut espérer de nos institutions est de la réduire à un minimum tolérable et cela à un prix économique raisonnable.

Pauline n’ira plus à la plage

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Eric Rohmer.
Eric Rohmer.

En art, on oublie trop souvent que seule la tradition est révolutionnaire.

Eric Rohmer, royaliste de cœur et cinéaste de génie, a illustré cet apparent paradoxe par des films tellement français que si notre pays disparaissait, on aimerait que les archéologues du futur tombent plutôt sur un dévédé de Ma nuit chez Maud que sur un roman de Christine Angot. Ce serait tout de même mieux pour comprendre qui nous fûmes réellement, pour comprendre ce qui ne mourait pas en nous, malgré toutes les mondialisations malheureuses et tous les désenchantements programmés d’une planète uniformisée par un progrès suicidaire.

En effet, qui mieux que Rohmer pour donner à voir et à savoir ce qu’a été notre façon nationale de jouer avec l’amour et le hasard et d’oublier qu’il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. Comment nous avions l’art, également, de parler de sentiments et de raison, un pull bleu marine sur les épaules, tout en contemplant la sensualité rêveuse de Marie Renoir dans L’Amie de mon amie ou la désinvolture acidulée d’Amanda Langlet dans Pauline à la plage.

Eric Rohmer, né en 1920, était l’aîné d’une bande d’élégants voyous cinéphiles et cinéphages que l’on a appelé la Nouvelle Vague à la fin des années 1950. Parce que Godard a tourné La Chinoise au moment du maoïsme, que Chabrol a passé sa carrière à stigmatiser le bourgeois sanguinaire, le garagiste beauf ou la Bovary en robe Paco Rabanne et que Rohmer lui-même a fait jouer à Pascal Gregory un édile du PS dans L’arbre, le maire et la médiathèque, on a souvent cru, par une erreur d’optique assez amusante, que ces garçons dans le vent, barricadés dans les Cahiers du Cinéma, étaient des avant-gardistes las du monde ancien.

C’est oublier un peu vite que Godard ne croit qu’au sujet et à l’individu, pariant toujours sur Pierrot Le Fou et Michel Poiccard contre les flics du structuralisme, que Chabrol est un misanthrope gourmand qui fait lire Céline à des chocolatiers suisses, qu’Alain Cavalier tourne des films splendides de noirceur mais est fasciné par l’OAS comme dans Le combat dans l’Ile ou L’Insoumis et, last but not the least, que Truffaut préfère adapter David Goodis et William Irish plutôt que de faire semblant de s’intéresser aux idées générales.

C’est que la Nouvelle Vague, et Rohmer au premier chef, ont eu une intuition géniale, la même que celle du prince Salina dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change. »

Tout changer, cela signifiait rejeter une narration cinématographique usée qui mimait le récit littéraire et à laquelle on ne croyait plus. Tout changer, c’était aussi transformer jusqu’à la nature du son et de l’image avec le Nagra et le 16 mm, c’est à dire savoir dompter sans complexe la technologie. Ce n’est pas un hasard si dans L’Anglaise et le Duc (2001), Rohmer fait appel au dernier cri en matière d’image de synthèse pour parler de la Révolution française et, néanmoins, approuver la lucidité désespérée d’une Grace Elliot royaliste contre la naïveté sympathique et dangereuse de Philippe d’Orléans.

Ne rien changer, en revanche, c’était cajoler cette idée réactionnaire mais incontestable et délicieuse d’un éternel féminin. Ne rien changer, c’était conserver ce goût du français, la langue la plus précise et la plus agréable qui soit pour la conversation, idéale pour disserter du tracé des frontières et de celui des émotions, une langue préservée depuis l’Astrée[1. Sujet du tout dernier film de Rohmer, Les amours d’Astrée et Céladon.] et objet d’une course de relais dans le Temps avec Marivaux, Musset et Morand dans le rôle des passeurs. Cette même langue qui se retrouvait, toujours aussi pure, une nuit enneigée de Noël, à Clermont-Ferrand, dans la bouche délicieuse de Françoise Fabian.

Mais le plus important, pour nous, c’est que nous avons appris les jeunes filles avec Rohmer, le Rohmer des Comédies et Proverbes, ces trésors improbables qui scintillaient dans les sinistres années 1980. Nous avions vingt ans, et sur l’écran nous voyions des garçons qui roulaient en 4L sur des voies rapides mais parlaient comme chez Chardonne. La carte du tendre se superposait magiquement au plan de Cergy-Pontoise. Nous désirions ces femmes qui peignaient des abat-jours dans des boutiques branchées de province. Elles étaient belles comme les amies de nos mères mais avaient la distance amusée des Précieuses et nous disaient, comme Madame Deshouillères : « Un amant sûr d’être aimé / Cesse toujours d’être aimable. »

Quant à nos petites amies, finalement, leur inconstance nous surprenait à peine. Nous étions renseignés depuis longtemps par Pascale Ogier dans Les nuits de la pleine lune : danser sur Elie et Jacno n’empêche pas de badiner avec l’amour, bien au contraire. Et, de toute façon, ce sont toujours elles qui pleurent à la fin.

Comme nous allons, maintenant, pleurer Eric Rohmer.

C’est loin, l’Amérique…

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James Ellroy

Fan absolu de James Ellroy, j’ai bien sûr acheté dès le matin de sa sortie Underworld USA, son dernier roman et ultime volet de la trilogie éponyme, entamée avec les fabuleux  American Tabloïd (1995) et American Death Trip (2001). Cela dit, depuis, il est resté intact sur ma table de nuit. Je ne l’ai même pas sorti de son sac plastique de « L’Ecume des pages « . Je fais durer le plaisir. Et ça risque d’être long : je n’ai toujours pas lu une ligne de La main de Dante, le dernier roman de Nick Tosches, paru il y a sept ans pas plus que de La Princesse du sang le dernier texte, inachevé, de Jean-Patrick Manchette publié il y a une bonne douzaine d’années.

Mais bon, regarder ma dernière acquisition en chien de faïence ne m’empêche pas de d’entretenir mon vice. Et pour rien au monde, je n’aurais loupé l’interview de James Ellroy ce matin sur Inter chez Nicolas Demorand. Pour ne rien vous cacher, je ne connais pas bien ce garçon. Contrairement à Elisabeth, le matin, j’écoute plutôt Europe, son Marc-O, son Elkkabach et son Canteloup. Et pour tout vous dire cet entretien m’a un peu décontenancé. Non pas que l’intervieweur soit mauvais, il est largement au-dessus de la moyenne, il aime et respecte (et connaît !) l’auteur à qui il s’adresse, ses questions sont pertinentes, et souvent inattendues. Mais je l’ai senti totalement distancé par Ellroy, son refus du chichi, sa percussion, ces uppercuts à répétition.

Au tout début de l’interview, avant même que Nicolas ait abordé la question qui fâche, Ellroy s’empresse de déclarer liminairement « Je suis très à droite ! ». J’imagine que Demorand avait choisi de conserver cette question délicate entre toutes, surtout en France, pour la fin de l’entretien. Et j’imagine que James Ellroy le finaud s’en doutait un peu, et qu’il a décidé, dès l’entame, de semer sa zone. Oui, son livre est politique, et oui il veut donc parler de politique, et aller au choc. Ça commence donc très rock n’roll, mais Nicolas, prudent, évite la confrontation d’emblée, et préfère lui parler de littérature et d’histoire contemporaine ( le livre évoque les années Johnson-Nixon) et du subtil rapport entre personnages réels et fictifs. Sauf qu’Ellroy, lui, veut en découdre, il veut expliquer que c’est parce qu’il est de droite qu’il a voulu faire ce livre tel qu’il l’a fait , à savoir « raconter le cauchemar privé de la politique publique « . Ce que Nicolas, visiblement un peu gêné aux entournures d’admirer un écrivain aussi peu progressiste traduit à sa façon en le sollicitant d’avouer qu’il est un « pessimiste radical ». Sauf qu’Ellroy l’envoie aussitôt bouler : « Je suis un optimiste radical ! Je crois que les gens changent Je crois en Dieu, je crois que la vie est superbe, et je crois que c’est un plaisir d’écrire des romans » Et à partir de là, James-la-terreur déroule, personne ne l’empêchera plus de parler politique, et surtout pas son intervieweur complètement déboussolé…

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Lequel est donc bien obligé de venir, assez solennellement sur le terrain miné choisi par son invité: « James Ellroy, ça veut dire quoi être de droite pour un romancier ?  » Réponse hilare de l’intéressé : « Ça veut dire que je veux payer moins d’impôts et garder le plus possible de mon blé. » Relativement indigné, Nicolas réplique aussitôt  » Mais c’est comme pour n’importe quel chef d’entreprise ! » Ce qui oblige Ellroy à mettre les points sur les i, et même un peu les poings : « Moi, j’en ai marre des réflexes anti-patrons. Je vais fonder ma propre entreprise, et racheter France Inter. Vous devrez tous saluer le drapeau américain en entrant. Et ma mascotte sera le pittbull.  » Tout le reste de l’entretien sera à l’avenant : Nicolas a beau s’accrocher, il ne sait plus si c’est du lard ou du cochon, si Ellroy dit vraiment ce qu’il pense, ou s’il multiplie à l’envi les provocations. On sent que Nicolas Demorand cherche désespérément à faire la part des choses, et c’est justement là son erreur : le discours d’Ellroy est consubstantiellement sincère et provocant. Impossible de séparer ce que Dieu a uni.

En résumé, on reconnaîtra volontiers à Demorand son honnêteté, son absence de haine idéologique, sa connaissance rigoureuse de l’auteur et son œuvre, toutes choses pas si courantes ces dernières décennies. On déplorera néanmoins le décalage total qui s’est établi entre l’interviewé et l’intervieweur, qu’on aurait senti manifestement plus à l’aise face à un Rambaud, un d’Ormesson ou une Darrieussecq, bref face à un écrivain français standard, qui respecte les codes en vigueur y compris ceux de la fausse impertinence et de la provoc à deux balles. Là, il a affaire à un vrai déjanté, et en plus américain, réac, chrétien, féministe, et à part ça génial et ravi de l’être. Ça fait beaucoup pour un seul Demorand…

Underworld USA

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Des vœux et des aveux

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Lionel Jospin n’a pas encore retiré définitivement ses Mémoires de la vie littéraire du pays. Il vient de les publier.
Lionel Jospin n’a pas encore retiré définitivement ses Mémoires de la vie littéraire du pays. Il vient de les publier.
Lionel Jospin n’a pas encore retiré définitivement ses Mémoires de la vie littéraire du pays. Il vient de les publier.

Du haut de nos montagnes, nous scrutons la plaine. A l’ouest, il y a toujours du nouveau : c’est par là qu’arrivent les perturbations, les climatiques et les autres, les nouvelles venues de la capitale même quand on n’a rien demandé.

En cette période de vœux − une excellente institution qui nous permet d’exercer cette hypocrisie fort utile à la vie en société – il existe des gens qui prennent le contrepied de cette coutume en adoptant une posture où la sincérité le dispute à la transparence.

Ainsi, Lionel Jospin, qui continue de marquer Jacques Chirac à la culotte, livre ses vérités dans un livre et un film de confidences recueillies par Patrick Rotman et Pierre Favier. Ces deux œuvres vont être présentées au public dans les prochaines semaines.

[access capability= »lire_inedits »]Et déjà, le Journal du dimanche nous informe qu’enfin, et pour la première fois, Lionel Jospin confirme qu’il était bien membre de l’OCI, chapelle trotskiste alors dirigée par feu Pierre Lambert, alias Boussel, lorsqu’il a adhéré au PS au début des années 1960.

Ces aveux sont complétés par des regrets : l’ancien premier ministre n’est pas très fiérot d’avoir nié cet engagement lorsque Le Monde, le 5 juin 2001, l’avait révélé sous la signature anonyme de « Service politique ». C’était en fait un outing orchestré par deux anciens de l’OCI convertis au journalisme de référence, Laurent Mauduit et Sylvain Cypel, et mis en musique par un « ex » de la boutique concurrente, Edwy Plenel, alors directeur de la rédaction. La méthode n’était pas très élégante, mais on doit lui reconnaître une certaine efficacité en matière de mise en ébullition du microcosme. Jospin avait alors prétendu, en bon connaisseur de Jean de la Fontaine, qu’il avait été confondu avec son frère Olivier.

Avec l’âge, donc, c’est le protestant qui revient en force chez Lionel pour mettre ses affaires éthiques en ordre avant de passer devant le tribunal suprême, celui de l’Histoire ou peut-être même plus haut…

Tous comptes faits, à ces aveux carrés et tristounets, on est en droit de préférer la méthode Mitterrand, qui organise subtilement les fuites dans Paris-Match sur Mazarine après avoir persécuté ceux qui, comme Jean-Edern Hallier, avaient tenté de le faire chanter en révélant le pot-aux-roses. C’est retors et romanesque à souhait, comme on aime.

On eût également préféré que ce début d’année 2009 nous offrît la description, par Roland Dumas lui-même, des coups tordus dont il fût un spécialiste éminent dans sa vie politique comme dans ses activités d’avocat.
Mais lui, c’est certain, n’avouera jamais.
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L’assimilation, une chance pour la France !

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Le débat n’aura pas lieu, c’est entendu. Il s’est transformé en festival de postures et d’invectives. Ceux qui voulaient l’interdire ont déjà gagné une bataille : on ne s’entend plus et on n’y comprend plus rien.

Même si on est de bonne foi, cette affaire d’identité est tout sauf simple. Reste qu’elle doit avoir quelque importance pour que l’opportunité d’en parler soit elle-même l’enjeu de tels affrontements.

En attendant, puisqu’on en parle, autant essayer de savoir de quoi on parle. Comment une question apparemment banale –  »Qu’est-ce qu’être français ? » – peut-elle être si atrocement scandaleuse ? Elle appelle forcément, nous dit-on, des réponses ethniques, religieuses voire raciales. En clair, elle serait dirigée contre les musulmans, désignés à la vindicte publique par un gouvernement cynique (et stupide au point de se désintéresser de millions d’électeurs).

[access capability= »lire_inedits »]Et pourtant, il n’est pas question d’origine mais de ce que les philosophes du XVIIIe siècle appelaient les « mœurs ». Dans ce débat sur l’identité nationale, on ne parle pas de race ou de religion mais de culture. Ou plus précisément des modalités de fabrication d’une culture commune. Et le sujet mérite d’autant plus d’être abordé que nous semblons avoir égaré la recette.

Dans le concours d’épithètes insultantes qui a étouffé toute possibilité d’échange d’arguments, on peut vaguement percevoir l’écho de deux positions qui s’affrontent. À l’une des extrémités d’un spectre qui compte de multiples nuances, les partisans du métissage croient à un multiculturalisme égalitaire dans lequel toutes les cultures ont la même place dans la Cité. Conformément à sa démographie, la France devrait devenir gentiment une mosaïque de pratiques et de croyances vivant en bonne intelligence sans se menacer les unes et les autres. À mon humble avis, cela revient à croire que l’anthropologie et l’histoire des sociétés sont aussi plastiques que les frontières et, surtout, cela aboutit, au nom de l’égalité et d’un libéralisme de bon aloi, au différentialisme le plus effréné. Il n’y a qu’en matière d’idées que les amoureux de la diversité prônent l’homogénéité la plus radicale.

À l’autre bout de l’arc idéologique, les assimilationnistes pensent qu’il y a une distinction entre la culture d’accueil et celles qui sont accueillies et que, particulièrement en France, les arrivants successifs sont priés de laisser pas mal de leurs particularités à l’entrée et d’adhérer aux usages communs, bien plus que s’ils étaient allés, par exemple, frapper à la porte des Pays-Bas voisins (avant que la tolérance presque illimitée n’y suscite sa contre-réforme).

Ce ne fut pas toujours rigolo mais, à l’arrivée, faire comme les Romains à Rome s’est toujours révélé payant. Pour tous les Romains, qu’ils soient de souche ancienne ou récente. Oui, l’assimilation est une chance pour la France (que Marc Cohen soit remercié pour sa participation à cette coproduction sémantique). Et pitié, qu’on ne me fasse pas le coup des petits Bretons brimés à coup de langue française, on n’en est plus vraiment là. Du reste, la langue française, c’est tout le mal qu’on souhaite aux petits-enfants d’immigrés.

En réalité, personne ne prétend revenir au républicanisme autoritaire des fondateurs de la IIIe République. Un aimable libéralisme est passé par là, nous rendant tous, et c’est heureux, largement tolérants à la différence, et même, en théorie, à la divergence. Il ne s’agit donc pas de réprimer toute manifestation identitaire mais de savoir où l’on place le curseur.

Pour ma part, je hasarderais une formule : « Oui aux minarets, non à la burqa ! » Oui à l’inscription dans les paysages et dans l’Histoire, non à l’emprise sur les corps et les consciences. S’il faut, in fine, retenir un critère de ce qui n’est pas négociable, je suggère celui de la mixité. La présence des femmes dans l’espace public, c’est ce que nous avons inventé de mieux. C’est un droit de l’Homme.
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Attention, ma saucisse de Francfort va exploser !

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La scène s’est passée à l’aéroport de Stuttgart, au pays de notre bien aimée Trudi. Un quadragénaire a prétendu, lors du passage du portique de sécurité, avoir un explosif dans le calbute. La PAF allemande, peu connue pour son sens de l’humour et de la métaphore, a interrogé le prétentieux qui a insisté de manière convaincante jusqu’à ce qu’on découvre qu’il mentait. Trois hypothèses pour expliquer ce comportement qui va quand même lui valoir au minimum mille euros d’amende sans préjuger du coût de l’intervention policière certainement faite de manipulations complexes. Primo : l’homme qui s’apprêtait à partir s’ennuyer pour des vacances égyptiennes avec femme et enfant a voulu éviter les charmes de l’hôtel club avec bobonne faisant la danse du ventre pendant les animations. Secundo : il n’a pas vu, comme Cyrille B., le film sur La Domination Masculine où sont stigmatisés ce genre de propos machistes. Tertio: c’est malgré tout un geste militant face à la politique intrusive des contrôles d’embarquement, il a eu les boules.

Du neuf avec des vœux

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voeux-martine-aubry

À l’occasion de ses vœux de mardi dernier, toute la presse aura noté qu’on nous l’avait changée, la Martine, et pas seulement quant à ses rutilantes boucles d’oreilles. Le punch, la précision du tir et, en plus, le sourire : il y a du neuf dans l’air, et pas uniquement en comparaison avec ses vœux sous Lexomil de 2009. On commence même à parler ça et là « d’effet Merkel » et à faire de celle qu’on n’attendait pas une présidentiable crédible. Tout cela est vrai, mais appelle quelques observations supplémentaires, sur le pourquoi et le comment de cette métamorphose. Comme d’habitude, on vous les livrera en vrac.

Primo, comme le remarque très justement Le Figaro, Martine Aubry « a concentré ses vœux sur la critique du sarkozysme ». Du sarkozysme. Et donc, pas de Sarkozy himself. Ce qui est, à l’échelle du PS, une véritable révolution culturelle. Maintes fois, nous avons dit ici que le ciblage exclusif de la personne du chef de l’Etat envoyait la gauche droit dans le mur, à Rome comme à Paris. Et qu’il ne dissimulait que fort mal l’absence d’une offre politique alternative.

Secundo logique, Martine a commencé à dessiner ce que pourrait être cette alternative politique, et pas seulement en rêve la nuit. Elle ne l’a certes pas fait en déroulant un maximum de propositions, mais en tapant très fort sur tous les sujets qui fâchent, depuis la privatisation de la Poste jusqu’aux délocalisations, en passant par le pouvoir d’achat et l’Afghanistan, sans oublier la sécurité, et pas seulement celle de l’emploi, mais celle que beaucoup de socialistes n’utilisaient jamais que dans l’expression « sentiment d’insécurité » avec la bouche en cul de poule qui va avec.

Tertio, le choix de ces sujets qui fâchent n’est pas innocent, mais alors pas du tout. Certes Martine est revenue sur le « recul des libertés judiciaires, médiatiques et parlementaires », mais la plupart des attaques ont été portées sur les problématiques, souvent bassement matérielles, qui tarabustent les Français d’en bas. Le PS de 2010 ne parle plus seulement à l’intention de ses chouchous d’hier, ceux du piteux Zénith des libertés d’il y a à peine un an, les bac +6, les pétitionnaires ou les journalistes.

Quarto, ce revirement n’a rien d’anecdotique. C’est bien d’une stratégie pensée de reconquête qu’il s’agit. La plupart des commentateurs ont les yeux braqués sur la guerre froide qui oppose Verts et PS dans la perspective des régionales – et plus si mésentente. C’est une erreur. Non pas que ce bras de fer soit fictif. Mais disons le carrément : nous pensons que Martine Aubry, réaliste au dernier degré, a fait son deuil de la frange la plus sociétaliste de son électorat qui a migré vers Europe-Ecologie aux européennes de 2009, et qui n’a aucune raison valable, comme dirait Dave, de refaire le chemin à l’envers dans deux mois, maintenant que les écolos semblent plus bankable que jamais. Non, le choix de Martine, c’est d’entamer une longue marche, celle qui ramènera le PS vers son électorat naturel et vice-versa. Objectif prioritaire, donc, l’énorme vivier des abstentionnistes populaires, ceux qu’on appelait autrefois « les déçus du socialisme ». Mais nous soupçonnons cette dame de voir un peu plus loin, et d’avoir perçu qu’il y avait une autre volaille à plumer : celle des déçus du sarkozysme. Notamment les working poors et les classes moyennes qui ont cru au « candidat de la feuille de paye » et à la croissance qu’on irait chercher avec les dents. Ceux-là, Martine entend bien les ramener dans son caddie. Pour mars prochain, ça risque d’être un peu juste, mais pour 2012, allez savoir…

Quinto, une des rares propositions concrètes faites lors de ces vœux aura été l’annonce du droit de vote des étrangers aux élections locales. Elle peut sembler contradictoire avec la thèse que nous venons de développer au paragraphe précédent. Quoiqu’on en pense sur le fond, on pourra juger qu’il y avait plus urgent à mettre à avant ici et maintenant. Mais cette proposition présente deux avantages tactiques. Tout d’abord, de donner un peu de grain à moudre à l’aile boboïde de la direction du parti. Ensuite de semer un sympathique bordel dans le camp d’en face, où le président (qui s’y dit favorable sur le fond, mais pour les calendes grecques), Eric Besson (qui s’y dit moins hostile à moyen terme, genre 10-15 ans) et les grognons type Jacques Myard (vent debout contre) se sont lancés dans un concours de dissonances qui ne fait pas vraiment les affaires d’une UMP au creux de la vague. Machiavélique, la Martine ? Et pourquoi pas ! À dose raisonnable, ça n’a jamais tué personne, au contraire… D’ailleurs, le projet de loi en question, qui devait être déposé par le PS dès mercredi, ne l’a pas été. Et d’après nos informations, il ne risque pas de l’être dans les heures qui viennent, vu qu’il n’a pas encore été rédigé…

Cela dit, puisqu’on en est à parler de ce genre de choses, on aurait aimé une parole plus claire, plus forte, et plus conforme aux traditions laïques et républicaines de la gauche française sur la burqa. Il n’y a pas de place pour cette abjection dans ce que le PS appelle « la France qu’on aime ». Là, le rendez-vous a bel et bien été loupé. On ne peut pas tout avoir…

Toujours est-il qu’il s’est passé quelque chose d’assez souterrain, et donc d’assez profond ces derniers mois, dont ces vœux pugnaces ne sont que la première manifestation visible par tous. Le PS s’est trouvé non pas une patronne incontestée, mais une incarnation viable. Entre nous, ça faisait longtemps. Et du coup, contre toute attente, Nicolas Sarkozy a trouvé à qui parler. Et pas un adversaire qu’il s’est choisi lui-même comme DSK, nommé par icelui au FMI, ou Delanoë, qu’il a, de fait, reconduit à la Mairie de Paris en ne lui opposant que Françoise de Panafieu. Ni un battu d’avance, comme Hollande ou Ségo version 2.0.

Certes, il reste dans le discours de Martine Aubry bien des scories, de celles qui ont amené au désastre de 2002 ou à la déroute de 2007, mais on sent qu’on est en train, au moins, de remettre le problème sur ses pieds. Pas totalement, mais on avance. Disons que c’est du trois pas en avant, un pas arrière. Et pour ceux qui souhaitent une gauche de gauche, c’est quand même mieux que le contraire…

Otages français : le temps des soldes

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otage

Il s’est produit, ces dernières semaines, un virage à 180° dans l’approche, par les autorités françaises, du problème des ressortissants français enlevés par des bandes armées sévissant dans les zones de conflits comme l’Irak, l’Afghanistan ou la région sub-saharienne.

Il était de tradition, jusqu’alors, de mobiliser l’opinion publique en la sensibilisant au sort inique réservé à des innocents, dont le seul crime avait été de faire leur travail de journaliste, de diplomate ou d’employé d’ONG.

Certains d’entre eux, et surtout d’entre elles, étaient devenus des icônes parés de toutes les vertus : leur martyre sublime nous renvoyait à la médiocrité morale de nos existences hédonistes.

Comment peut-on décemment se pavaner au Fouquet’s pour les uns, à la Closerie pour les autres alors qu’Ingrid Bétancourt pourrit au fond de la jungle colombienne ou que Florence Aubenas n’a pas vu le jour depuis des mois dans un cul de basse fosse de la banlieue de Bagdad ? En fait, on le peut. A condition de pétitionner comme des malades, de sommer le gouvernement de tout faire – je dis bien tout ! – pour que soit donné satisfaction aux ravisseurs. Les comités Bétancourt ou Aubenas éclosent en masse dans nos villes et nos villages. Surtout ne pas oublier… On rappelle les propos tenus à leur retour de captivité par les Jean-Paul Kaufmann ou Philippe Rochot, otages du Hezbollah libanais, racontant leur joie de prisonniers saisissant au vol le son d’une radio où l’on parlait d’eux…

Une bien étrange théorie se développe dans les cercles dirigeants de la compassion militante : la vie des otages serait protégée par le vacarme médiatique produit dans les pays dont ils sont originaires. « Ils » n’oseront pas affronter un peuple levé en masse pour sauver la vie de deux des siens, tel était le viatique moral justifiant qu’on se mobilise pour cette cause plutôt que pour les retraites ou la sécu.

Et lorsque les héros reviennent en fanfare, enfin libérés grâce aux espèces sonnantes et trébuchantes versées aux bandits par le trésor public et/ou l’indulgence judiciaire pour quelques poseurs de bombes, le peuple français crie Hosannah !

Il semble que l’on ait fini par comprendre que cette méthode avait un petit inconvénient : il n’a pas échappé aux humanistes porteurs de turbans et de mitraillettes à tir rapide (marre de faire de la pub à l’industrie russe de l’armement !) que l’on pouvait tirer quelques avantages financiers et politiques non négligeables en invitant, pour quelque temps, un journaliste ou un humanitaire français à passer quelques semaines, voire quelque mois en leur compagnie. A la différence de ce qui se passe avec les agences de voyage, le règlement du séjour s’effectue à l’issue de ce dernier, et fait l’objet d’âpres négociations commerciales entre les parties.

Il s’est même constitué un marché, avec une cote établissant la valeur marchande d’un otage en fonction de sa nationalité. Un groupe de barbus à cours d’argent peut revendre à un seigneur de la guerre disposant de liquidités un otage qu’il s’était gardé comme une poire pour la soif, et pour lequel les autorités nationales dont il relève se montrent un peu lentes à passer la monnaie. Le Britannique, sur ce marché, ne vaut pas tripette, les Anglais ayant comme principe de ne jamais céder au chantage même si, régulièrement, les égorgeurs saignent un sujet de Sa Majesté pour essayer de les faire craquer. Sans succès, et avec la garantie que les Anglais, dotés d’une bonne mémoire, d’un glaive vengeur et d’un bras séculier leur feront payer le juste prix de leurs forfaits à la première occasion. En revanche, le Français était jusqu’à présent une sorte de jackpot à pattes tant l’émotion provoquée dans son pays par ses malheurs faisait monter son cours à la bourse des voyous de Kandahar.

Le plus dur, si on veut changer de tactique et adopter l’approche londonienne du problème, c’est de commencer. Le taliban, ou le jihadiste d’Al Qaïda, sont loin d’être des imbéciles. Ils ont quelques raisons de penser que ce durcissement n’est peut-être que superficiel, et qu’il ne résistera pas à une vidéo gore diffusée par leurs soins sur la toile, dans le style de celle de l’exécution de Daniel Pearl.

Cela concerne aujourd’hui deux journalistes français de FR3 enlevés fin décembre en Afghanistan, et un bénévole humanitaire français détenu depuis une semaine au Mali par Al Qaïda Maghreb Islamique. Des deux premiers, on n’a pas révélé les noms, et je n’écrirai pas ici celui du troisième, pour être dans la nouvelle ligne. Une ligne dure, peut-être, dont les effets vont peut-être plonger des familles dans le malheur, mais qui a la vertu de nous ramener au réel. Que nous le voulions ou non, nous sommes en guerre. Nous avons choisi de participer au combat planétaire contre un terrorisme pratiqué par des gens qui nous haïssent non pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous sommes. Ils connaissent nos faiblesses, celles résultant précisément des valeurs qu’ils exècrent : le respect de l’individu, celui de la vie, des convictions politiques et religieuses de chacun, l’amour de la liberté et de la démocratie. Nous préférons l’humiliation collective à la mort d’un innocent, et ceux qui envoient des jeunes gens et jeunes filles se faire exploser sur les marchés ont beau appartenir à l’espèce humaine, ils ne sont en rien nos semblables. En rien. Ils tueront peut-être ceux qui se sont aventurés, sans doute imprudemment, près de leurs repaires. Maigre consolation, certes, mais leur crime aura cessé de payer. Et la note les attend, quelque part, un jour…

Les délicatesses de Carlos

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Carlos, terroriste honnête.
Carlos, terroriste honnête.

On a beau être un militant révolutionnaire et un terroriste assumé, on n’en a pas moins sa délicatesse, voire des susceptibilités de chochotte. À en croire son avocate et épouse Me Isabelle Coutant-Peyre, le citoyen vénézuélien Ilich Ramirez Sanchez, plus connu sous son nom de guerre « Carlos », n’est « pas mécontent » d’être le héros d’un long-métrage et d’une série télévisée actuellement en cours de postproduction. Certes, il ne s’agit pas d’un « budget hollywoodien », ce qui visiblement, chagrine Carlos, mais tout de même, une « vraie fiction », si on m’autorise cet oxymore. Un réalisateur renommé (Olivier Assayas, également co-scénariste avec Dan Franck), un producteur honorablement connu dans le métier (Daniel Lecomte), une diffusion prévue sur Canal + pour la série et une sortie mondiale pour le film, le projet a de quoi flatter l’égo du héros qui, de la prison française où il purge une condamnation à perpétuité, adore pérorer et donner des entretiens dans lequel il commente avec gourmandise sa vie et son œuvre[1. Ainsi, il y a quelques mois, ce militant inébranlable apportait par téléphone, son soutien au Parti antisioniste de Dieudonné.]. Bref, Carlos (dont le personnage est, parait-il, incarné par un excellent comédien, vénézuélien et nommé Sanchez, ça ne s’invente pas), se voit déjà en haut de l’affiche et il aime ça. Le champion des peuples se voit en people.

On ne savait pas, cependant, l’ami Ramirez Sanchez aussi sensible à son image qu’une Miss prise la main (façon de parler) dans le pot de yaourt. Et chatouilleux sur les questions de droit, avec ça. En conséquence, il poursuit Films en Stock et Canal en référé devant le tribunal de Nanterre, exigeant la communication de l’œuvre et la suspension de la diffusion durant trois mois – ce qui lui donnerait le temps d’apporter les corrections nécessaires. Un personnage improbable répondant au patronyme de Vernochet s’est invité aux réjouissances. Co-auteur avec Carlos d’un livre-entretien à la gloire de celui-ci, il aimerait bien être reconnu comme co-auteur du film. Et peut-être associé aux bénéfices ? C’est qu’Ilich Ramirez Sanchez, « citoyen comme les autres », est un type bankable. « Carlos, ça fait vendre », lance Me Coutant-Peyre. En plus, ces salauds vont se faire de l’argent grâce aux exploits d’un pauvre petit tueur innocent, vous trouvez ça moral, vous ?

Donc, Carlos est vexé de ne pas avoir été engagé comme consultant par la production, parce que voyez-vous, il aurait été ravi de collaborer. Non seulement, personne ne lui a rien demandé, mais ce qu’il a lu dans la presse ne lui plait pas. Dan Frank le qualifie de « psychopathe », ce qui n’est pas gentil. « Les informations parues dans la presse nous font penser que Carlos est présenté comme un personnage ignoble, un terroriste sanguinaire baignant dans le sexe et l’alcool, s’émeut son avocate. Mais dans d’autres régions du monde, on voit les choses autrement. » Au terme d’un petit dégagement assez dégoûtant dans lequel elle compare son client à Jean Moulin, on comprend qu’il souhaite être qualifié de résistant. Et la légion d’honneur, en prime ? Il soupçonne quelques manquements à la vérité historique, affirmant par exemple, que la prise d’otages des ministres du Pétrole de l’OPEP, à Vienne (trois morts) n’était pas une commande irakienne mais libyenne. Sans compter qu’il serait question de plusieurs attentats pour lesquels il n’a pas été jugé.

Carlos entend faire respecter ses droits « au nom », « à l’image », « à la vie privée » et à la « présomption d’innocence ». Ce n’est pas une blague. Comme le souligne Richard Malka, avocat de Films en Stock et ami de Causeur, au cours d’une plaidoirie implacable et fort documentée, « on aurait aimé qu’il se préoccupe plus de l’innocence de ses victimes que de sa présomption d’innocence. » Mais il est vrai que l’intéressé a sur la question des vues qui lui sont propres dont il faisait part au Nouvel Observateur en 2004 : « J’ai calculé, nous avons tué lors de nos opérations plus de 1.500 personnes moins de 2.000 en tout cas. On m’a déjà posé la question [du remord] mais même pas 10 % de ces personnes étaient innocentes. Quand vous avez des morts de pauvres gens innocents qui n’ont rien fait à personne et qui se font tuer pour des circonstances qui les dépassent on ne peut pas se féliciter, mais pourquoi condamner ? » C’est vrai, ajoute Malka, on se demande bien pourquoi.

« La loi doit être la même pour tous », a affirmé Me Coutant-Lapeyre, visiblement moins au fait des mœurs politiques françaises que des usages du terrorisme international : « Si Nicolas Sarkozy demandait à visionner un film sur lui, on le lui accorderait », dit-elle. Malka a beau jeu de rappeler qu’il y a quelques mois, Daniel Lecomte a opposé à toutes les tentatives de Rachida Dati pour visionner avant sa diffusion un documentaire qui lui était consacré une fin de non-recevoir. Il serait pour le moins étonnant qu’un meurtrier obtienne ce que la ministre de la Justice n’a pas obtenu.

Reste qu’il fallait oser. Rappelant quelques étapes de la brillante carrière de tueur de Carlos, Malka se déclare d’accord avec sa consœur : « Oui, Carlos est un personnage public et politique et même, un personnage historique, l’inventeur du terrorisme moderne. » À ce titre, il est malvenu à demander qu’on le traite comme un citoyen lambda.

On ne sait jamais, disent les professionnels. La décision sera rendue le 4 février. En vérité, on voit mal un tribunal français accorder à qui que ce soit, fût-il un tueur de grand chemin, le droit d’exercer une censure préalable sur une œuvre qui lui est consacrée. « Et pourquoi ne pas confier à Pol Pot le soin d’écrire sa biographie ? », questionne Malka. Carlos n’a pas réussi à nous priver de nos libertés avec ses bombes, il n’y parviendra pas avec ses procédures. » S’il attaque le film après sa diffusion, cela donnera certainement lieu à d’intéressants débats sur la liberté de création, s’agissant d’une fiction dont la ressemblance avec la réalité n’a rien de fortuit.

Dans le bureau de la magistrate où sont entassées une quinzaine de personnes, les journalistes sont peu nombreux, dix ou quinze fois moins que pour le procès des photos nues de Miss Paris – une affaire autrement importante. L’atmosphère est bizarrement détendue. Me Coutant-Lapeyre minaude vaguement. « Je serais enchantée, dit-elle à son adversaire, de recevoir vos BD dédicacées. » Comme c’est charmant.

Cette étrange procès a pourtant, remarque encore Malka, quelque chose de réjouissant. Il est en effet assez satisfaisant de voir un homme qui, toute sa vie, a conspué la démocratie bourgeoise et ses institutions demander réparation devant nos tribunaux. C’est bien la meilleure preuve de sa défaite.

Google, faut pas les chercher !

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Hier, à Washington, Nancy Pelosi a fait applaudir Google par la Chambre des Représentants qu’elle préside, après que la firme américaine eut menacé la Chine de représailles si elle continuait à lancer ses hackers démocratiques et populaires aux trousses des militants chinois des droits de l’Homme. « L’annonce que Google va complètement réexaminer ses activités en Chine et ne tolèrera plus la censure de son moteur de recherche devrait servir d’exemple aux autres sociétés et aux gouvernements », a notamment déclaré Nancy Pelosi. Frédéric Mitterrand, qui veut taxer Google en France, cherche à joindre Hu Jintao, le président chinois, depuis hier.

L’ère de l’insécurité aérienne

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aeroport

Après l’attentat manqué de Noël, la sécurité du transport aérien et les problèmes liés au contrôle des passagers sont de nouveau à l’ordre du jour. À la suite du 11 septembre, un premier resserrement des mesures de sécurité avait alourdi et prolongé les procédures d’embarquement. Depuis l’attentat raté de Richard Reid, le « shoe bomber« , nous sommes tous priés d’ôter nos chaussures et grâce aux terroristes qui planifiaient en 2006 de faire sauter un avion à l’aide d’explosifs liquides, nous sommes privés de notre trousse de toilette en cabine. Désormais, après l’échec d’Umar Farouk Abdel Muttalib, le jeune Nigérian qui a essayé de faire sauter le vol Amsterdam-Detroit avec quelques dizaines de grammes d’explosifs, on promet de nous mettre tous à poil – technologiquement bien sûr. On n’ose pas imaginer la solution qui sortira du chapeau des responsables de la sécurité le jour où on apprendra qu’un terroriste avait placé des explosifs dans ses intestins, comme le font déjà les trafiquants de drogue…

Comme disent les Américains, nous sommes de toute évidence en train d’aboyer sous le mauvais arbre : nous cherchons toujours l’arme. Or, on sait désormais que l’arme peut être l’avion – comme ce fut le cas le 11 septembre – voire le terroriste lui-même. Or, par inertie et manque d’audace politique, les responsables de la sécurité continuent obstinément à chercher l’arme qui n’en est plus une. Enfin, il faut intégrer une évidence aussi simple que terrible : un homme résolu, bien entraîné et prêt à mourir peut faire s’écraser un avion – voire dérailler un train ou précipiter un car dans un ravin – les mains nues. Au lieu d’admettre cette triste réalité, en prendre acte et en tirer les conclusions, on nous propose une solution technologique de plus. Et il ne s’agit même pas d’un engin capable de lire les pensées mais d’une machine de plus consacrée à détecter les armes.

L’honnêteté intellectuelle oblige cependant à reconnaître que ces mesures ont porté leurs fruits. Si depuis 66 mois aucun passager n’a perdu la vie à cause d’un attentant, ce n’est pas parce que les organisations terroristes n’ont pas essayé. Il ne faut pas oublier que dans les cas d’Abdel Muttalib et de Richard Reid, le défi des nouvelles mesures de sécurité n’a été que partiellement relevé par les terroristes qui, faute de détonateurs (détectables), n’ont pas réussi à fabriquer un engin fiable. Mais la logique actuelle a atteint ses limites car au Yemen, en Afghanistan ou derrière les écrans d’ordinateurs du monde entier, de gros cerveaux se penchent sur le problème et ils finiront par trouver une solution meurtrière, ce n’est qu’une question de temps.

En fait, pour arrêter Farouk Abdel Muttalib à Schiphol, il n’y avait nul besoin de fouille sophistiquée. Il aurait suffi d’examiner les billets d’avion et l’itinéraire du passager.  Premier indice : Abdel Muttalib avait acheté à Accra (Ghana) des billets pour un périple bien curieux : Accra-Lagos, Lagos-Amsterdam, Amsterdam-Detroit. Pourquoi ? Des vols directs relient régulièrement Accra et New York. Deuxième fait qui aurait dû éveiller les suspicions : Abdel Muttalib avait acheté ses billets tardivement et surtout, selon Yossi Melman du quotidien israélien Haaretz, il les a payés cher (2 800 dollars) et en cash. Ces seuls faits aurait dû suffire à l’isoler du reste des passagers, à l’interroger professionnellement, à le fouiller méthodiquement et à envoyer une photocopie de son passeport à toutes les agences concernées. Payer une place en première classe et un million de miles aux passagers soupçonnés à tort reviendrait moins cher que d’acheter et d’entretenir des centaines de machines, sans parler des files d’attente interminables capable de faire sortir de leurs gonds n’importe qui, même des préfets.

Aussi bizarre que cela puisse paraître, même dans les opérations terroristes les plus sophistiquées – comme le dernier attentant manqué – les planificateurs ne pensent pas à tout, et les billets d’Abdel Muttalib en sont le dernier exemple. Comme les services français (voir l’affaire Rainbow Warrior), israéliens (l’affaire de Lillehammer) ou américains (le dernier attentat en Afghanistan contre la CIA), Al Qaeda n’est pas infaillible, loin de là ! Le terroriste ne ressemble que très rarement à un « voisin de palier », et même lorsque c’est le cas, il s’agit d’une ressemblance superficielle. En revanche, son comportement et son itinéraire s’écartent tellement souvent du normal et du probable qu’ils le trahissent. Ce sont ces petits indices qui devraient intéresser aujourd’hui les responsables de la sécurité aéroportuaire.

La sécurité des aéroports doit changer de paradigme et se tourner vers la composante humaine de l’équation : l’homme qui voyage et celui qui le contrôle. Mais le plus important est le constat suivant : la terreur est à notre civilisation ce que l’accident de la route est à la voiture. Elle fait désormais partie de notre vie, et le mieux qu’on peut espérer de nos institutions est de la réduire à un minimum tolérable et cela à un prix économique raisonnable.

Pauline n’ira plus à la plage

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Eric Rohmer.
Eric Rohmer.
Eric Rohmer.

En art, on oublie trop souvent que seule la tradition est révolutionnaire.

Eric Rohmer, royaliste de cœur et cinéaste de génie, a illustré cet apparent paradoxe par des films tellement français que si notre pays disparaissait, on aimerait que les archéologues du futur tombent plutôt sur un dévédé de Ma nuit chez Maud que sur un roman de Christine Angot. Ce serait tout de même mieux pour comprendre qui nous fûmes réellement, pour comprendre ce qui ne mourait pas en nous, malgré toutes les mondialisations malheureuses et tous les désenchantements programmés d’une planète uniformisée par un progrès suicidaire.

En effet, qui mieux que Rohmer pour donner à voir et à savoir ce qu’a été notre façon nationale de jouer avec l’amour et le hasard et d’oublier qu’il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. Comment nous avions l’art, également, de parler de sentiments et de raison, un pull bleu marine sur les épaules, tout en contemplant la sensualité rêveuse de Marie Renoir dans L’Amie de mon amie ou la désinvolture acidulée d’Amanda Langlet dans Pauline à la plage.

Eric Rohmer, né en 1920, était l’aîné d’une bande d’élégants voyous cinéphiles et cinéphages que l’on a appelé la Nouvelle Vague à la fin des années 1950. Parce que Godard a tourné La Chinoise au moment du maoïsme, que Chabrol a passé sa carrière à stigmatiser le bourgeois sanguinaire, le garagiste beauf ou la Bovary en robe Paco Rabanne et que Rohmer lui-même a fait jouer à Pascal Gregory un édile du PS dans L’arbre, le maire et la médiathèque, on a souvent cru, par une erreur d’optique assez amusante, que ces garçons dans le vent, barricadés dans les Cahiers du Cinéma, étaient des avant-gardistes las du monde ancien.

C’est oublier un peu vite que Godard ne croit qu’au sujet et à l’individu, pariant toujours sur Pierrot Le Fou et Michel Poiccard contre les flics du structuralisme, que Chabrol est un misanthrope gourmand qui fait lire Céline à des chocolatiers suisses, qu’Alain Cavalier tourne des films splendides de noirceur mais est fasciné par l’OAS comme dans Le combat dans l’Ile ou L’Insoumis et, last but not the least, que Truffaut préfère adapter David Goodis et William Irish plutôt que de faire semblant de s’intéresser aux idées générales.

C’est que la Nouvelle Vague, et Rohmer au premier chef, ont eu une intuition géniale, la même que celle du prince Salina dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change. »

Tout changer, cela signifiait rejeter une narration cinématographique usée qui mimait le récit littéraire et à laquelle on ne croyait plus. Tout changer, c’était aussi transformer jusqu’à la nature du son et de l’image avec le Nagra et le 16 mm, c’est à dire savoir dompter sans complexe la technologie. Ce n’est pas un hasard si dans L’Anglaise et le Duc (2001), Rohmer fait appel au dernier cri en matière d’image de synthèse pour parler de la Révolution française et, néanmoins, approuver la lucidité désespérée d’une Grace Elliot royaliste contre la naïveté sympathique et dangereuse de Philippe d’Orléans.

Ne rien changer, en revanche, c’était cajoler cette idée réactionnaire mais incontestable et délicieuse d’un éternel féminin. Ne rien changer, c’était conserver ce goût du français, la langue la plus précise et la plus agréable qui soit pour la conversation, idéale pour disserter du tracé des frontières et de celui des émotions, une langue préservée depuis l’Astrée[1. Sujet du tout dernier film de Rohmer, Les amours d’Astrée et Céladon.] et objet d’une course de relais dans le Temps avec Marivaux, Musset et Morand dans le rôle des passeurs. Cette même langue qui se retrouvait, toujours aussi pure, une nuit enneigée de Noël, à Clermont-Ferrand, dans la bouche délicieuse de Françoise Fabian.

Mais le plus important, pour nous, c’est que nous avons appris les jeunes filles avec Rohmer, le Rohmer des Comédies et Proverbes, ces trésors improbables qui scintillaient dans les sinistres années 1980. Nous avions vingt ans, et sur l’écran nous voyions des garçons qui roulaient en 4L sur des voies rapides mais parlaient comme chez Chardonne. La carte du tendre se superposait magiquement au plan de Cergy-Pontoise. Nous désirions ces femmes qui peignaient des abat-jours dans des boutiques branchées de province. Elles étaient belles comme les amies de nos mères mais avaient la distance amusée des Précieuses et nous disaient, comme Madame Deshouillères : « Un amant sûr d’être aimé / Cesse toujours d’être aimable. »

Quant à nos petites amies, finalement, leur inconstance nous surprenait à peine. Nous étions renseignés depuis longtemps par Pascale Ogier dans Les nuits de la pleine lune : danser sur Elie et Jacno n’empêche pas de badiner avec l’amour, bien au contraire. Et, de toute façon, ce sont toujours elles qui pleurent à la fin.

Comme nous allons, maintenant, pleurer Eric Rohmer.

C’est loin, l’Amérique…

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James Ellroy

James Ellroy

Fan absolu de James Ellroy, j’ai bien sûr acheté dès le matin de sa sortie Underworld USA, son dernier roman et ultime volet de la trilogie éponyme, entamée avec les fabuleux  American Tabloïd (1995) et American Death Trip (2001). Cela dit, depuis, il est resté intact sur ma table de nuit. Je ne l’ai même pas sorti de son sac plastique de « L’Ecume des pages « . Je fais durer le plaisir. Et ça risque d’être long : je n’ai toujours pas lu une ligne de La main de Dante, le dernier roman de Nick Tosches, paru il y a sept ans pas plus que de La Princesse du sang le dernier texte, inachevé, de Jean-Patrick Manchette publié il y a une bonne douzaine d’années.

Mais bon, regarder ma dernière acquisition en chien de faïence ne m’empêche pas de d’entretenir mon vice. Et pour rien au monde, je n’aurais loupé l’interview de James Ellroy ce matin sur Inter chez Nicolas Demorand. Pour ne rien vous cacher, je ne connais pas bien ce garçon. Contrairement à Elisabeth, le matin, j’écoute plutôt Europe, son Marc-O, son Elkkabach et son Canteloup. Et pour tout vous dire cet entretien m’a un peu décontenancé. Non pas que l’intervieweur soit mauvais, il est largement au-dessus de la moyenne, il aime et respecte (et connaît !) l’auteur à qui il s’adresse, ses questions sont pertinentes, et souvent inattendues. Mais je l’ai senti totalement distancé par Ellroy, son refus du chichi, sa percussion, ces uppercuts à répétition.

Au tout début de l’interview, avant même que Nicolas ait abordé la question qui fâche, Ellroy s’empresse de déclarer liminairement « Je suis très à droite ! ». J’imagine que Demorand avait choisi de conserver cette question délicate entre toutes, surtout en France, pour la fin de l’entretien. Et j’imagine que James Ellroy le finaud s’en doutait un peu, et qu’il a décidé, dès l’entame, de semer sa zone. Oui, son livre est politique, et oui il veut donc parler de politique, et aller au choc. Ça commence donc très rock n’roll, mais Nicolas, prudent, évite la confrontation d’emblée, et préfère lui parler de littérature et d’histoire contemporaine ( le livre évoque les années Johnson-Nixon) et du subtil rapport entre personnages réels et fictifs. Sauf qu’Ellroy, lui, veut en découdre, il veut expliquer que c’est parce qu’il est de droite qu’il a voulu faire ce livre tel qu’il l’a fait , à savoir « raconter le cauchemar privé de la politique publique « . Ce que Nicolas, visiblement un peu gêné aux entournures d’admirer un écrivain aussi peu progressiste traduit à sa façon en le sollicitant d’avouer qu’il est un « pessimiste radical ». Sauf qu’Ellroy l’envoie aussitôt bouler : « Je suis un optimiste radical ! Je crois que les gens changent Je crois en Dieu, je crois que la vie est superbe, et je crois que c’est un plaisir d’écrire des romans » Et à partir de là, James-la-terreur déroule, personne ne l’empêchera plus de parler politique, et surtout pas son intervieweur complètement déboussolé…

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Lequel est donc bien obligé de venir, assez solennellement sur le terrain miné choisi par son invité: « James Ellroy, ça veut dire quoi être de droite pour un romancier ?  » Réponse hilare de l’intéressé : « Ça veut dire que je veux payer moins d’impôts et garder le plus possible de mon blé. » Relativement indigné, Nicolas réplique aussitôt  » Mais c’est comme pour n’importe quel chef d’entreprise ! » Ce qui oblige Ellroy à mettre les points sur les i, et même un peu les poings : « Moi, j’en ai marre des réflexes anti-patrons. Je vais fonder ma propre entreprise, et racheter France Inter. Vous devrez tous saluer le drapeau américain en entrant. Et ma mascotte sera le pittbull.  » Tout le reste de l’entretien sera à l’avenant : Nicolas a beau s’accrocher, il ne sait plus si c’est du lard ou du cochon, si Ellroy dit vraiment ce qu’il pense, ou s’il multiplie à l’envi les provocations. On sent que Nicolas Demorand cherche désespérément à faire la part des choses, et c’est justement là son erreur : le discours d’Ellroy est consubstantiellement sincère et provocant. Impossible de séparer ce que Dieu a uni.

En résumé, on reconnaîtra volontiers à Demorand son honnêteté, son absence de haine idéologique, sa connaissance rigoureuse de l’auteur et son œuvre, toutes choses pas si courantes ces dernières décennies. On déplorera néanmoins le décalage total qui s’est établi entre l’interviewé et l’intervieweur, qu’on aurait senti manifestement plus à l’aise face à un Rambaud, un d’Ormesson ou une Darrieussecq, bref face à un écrivain français standard, qui respecte les codes en vigueur y compris ceux de la fausse impertinence et de la provoc à deux balles. Là, il a affaire à un vrai déjanté, et en plus américain, réac, chrétien, féministe, et à part ça génial et ravi de l’être. Ça fait beaucoup pour un seul Demorand…

Underworld USA

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