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Vacances, j’oublie tout !

Cécile Duflot, © Audrey Aït Kheddache (flickr).
Cécile Duflot, © Audrey Aït Kheddache (flickr).

Oui, on le sait, c’est facile de taper sur Cécile Duflot et ses vacances aux Maldives. Surtout dans Causeur. Mais c’est pas pour autant qu’on va s’en priver. Après tout, vu que la dame en question nous tape sur les nerfs depuis des mois avec son humilité en bandoulière, ses couches-culottes lavables et ses admonestations ad nauseam, nous pouvons nous estimer, façon Inspecteur Harry, en état de légitime défense permanente. Quand faut flinguer, faut flinguer !

Donc avec son escapade conjugale aux Maldives à Noël, Cécile s’en est pris plein les dents. On devrait logiquement la défendre. Au nom du droit à la vie privée, à l’amour ou aux bains de mer. Qui sont des droits de l’homme, certes mineurs, mais hautement recommandables. Sauf que non. Et on vous explique pourquoi.

Tout d’abord parce que les Verts sont par excellence le camp du mélange des genres entre sphère publique et privée. Quand, sous l’œil ému des caméras, on se véhicule ostensiblement en vélo, comme Mamère au Palais-Bourbon ou, comme Duflot, en train à Copenhague (dont elle est revenue en avion faut pas exagérer quand même), on ne fait qu’exposer sans trop de décence ses stigmates d’irréprochabilité. Idem quand on met en avant l’apôtre de la transparence absolue qu’est Eva Joly. On nous prouve par l’image qu’on est non seulement plus purs, plus vrais que les autres politiques, mais aussi que la masse des irresponsables qui constituent le corps électoral de ce pays, à l’exception des vertueux 16 % d’Europe-Ecologie.

Les Verts ne cessent de nous répéter qu’ils sont ontologiquement meilleurs que les autres, c’est donc uniquement de leur faute s’ils ont l’air d’être pires quand ils sont tout banalement pareils à leurs collègues. On n’est d’ailleurs pas à l’abri de surprises bien plus déroutantes que ces vacances malvenues le jour ou un juge mal intentionné ira plonger le nez dans les finances subventionnées de certaines associations qui leur sont proches…

Ensuite, il y a la jurisprudence Hortefeux. Certes, faire une boulette de ce type (Auvergnats, Parlement européen, Maldives) n’aurait été qu’un péché véniel dans le monde d’avant. On sourit ou on boude, et puis on oublie. Mais, à notre grand regret, ce monde d’avant est mort (peut-être pas pour toujours, mais c’est une autre histoire). Et ce n’est pas nous qui l’avons tué. En imposant la fusion irréfragable entre politique et communication, les fossoyeurs de droite et de gauche du débat idéologique old school n’ont vu que ce qu’il y avait à gagner. De Nicolas Sarkozy en T-shirt NYPD à Olivier Besancenot déguisé en postier de calendrier en passant par notre chère Cécile vêtue 100 % commerce équitable, tout le monde s’est gavé de « je looke, donc je suis » comme chacun de dinde aux marrons. Grand bien leur fasse, et jusque là, la combine s’est révélée plutôt payante. Mais, de grâce, chéris, faîtes gaffe aux pas de côté ! Je pose avec un reubeu à Seignosse pour faire genre, bravo, 10 points. Mais j’évite de faire le mariole dès que je crois les caméras éteintes, parce que le monde que j’ai souhaité est un monde où les caméras ne sont jamais éteintes. C’est votre règle du jeu, et on ne gagne pas à tous les coups. Sinon, faut changer de boulot. Qui a vécu par la com’ périra par la com’.

Enfin, Cécile Duflot est indéfendable parce que les arguments qu’elle a déployés pour tenter de s’extraire de ce bourbier sont pitoyables. Il fallait l’entendre plaider sa cause chez Elkabbach. Il est bien évident que la seule réponse digne aurait été de demander à son intervieweur si lui-même passait toutes ses vacances dans le Pas-de-Calais et quelle était la couleur de son slip. Mais non, notre dealeuse de moraline est semble-t-il accro à sa propre marchandise. Ce qui donne lieu à des justifications d’abord grotesques (« On ne peut pas y aller en pédalo »), puis carrément hypocrites (« Le réchauffement climatique est une des raisons pour lesquelles je m’intéresse aux Maldives depuis plus de dix ans ») et enfin délirantes quand elle « revendique d’être une femme normale ». T’as raison, Cécile, toutes les femmes normales partent en vacances d’hiver dans les îles de l’hémisphère sud. En été, elles vont skier à Gstaadt et le reste de l’année, elles posent sur la couv’ de Vanity Fair. Et nous, on croyait que les Verts new look de 2009-2010 s’étaient enfin convertis au social…

En vérité, avec cet aller-retour Paris-Malé, Cécile ne vaut pas plus cher que notre Président sur le yacht de Bolloré. Bravo, elle vient d’inventer l’écologie bling-bling. Rigolo, certes, mais pas sûr que ça paye au scrutin de mars prochain. On espère pour nos amis les Verts que d’ici-là, on n’apprendra pas que leur colistier Augustin Legrand a réveillonné au Fouquet’s…

Fait d’Ibère

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L’Espagne commence bien sa présidence de l’Union européenne : le site officiel de la présidence espagnole de l’UE (qui coûte, pour six mois, la bagatelle de 6 millions d’euros en maintenance et en sécurité) a été détourné lundi par un hacker. Le plaisantin informatique n’a trouvé rien de mieux à faire que de remplacer la photo du Premier ministre, Jose Luis Zapatero, par celle de Rowan Atkinson, alias Mr Bean. Personnellement, je ne vois aucune ressemblance entre Zapatero et Atkinson, mais, comme dirait l’autre : les Espagnols se ressemblent tous. Contacté par nos soins, le secrétariat de Mme Ségolène Royal n’a pas voulu nous dire si la lettre d’excuse à M. Zapatero qu’elle s’est empressée d’écrire au nom d’Internet avait déjà été affranchie ou si elle était encore à la signature.

Délivrez-nous du mâle !

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Image extraite du documentaire La domination masculine
Image extraite du documentaire La domination masculine

Je suis allé voir au cinéma un documentaire titré La domination masculine. Curieux, je me suis assis dans le noir pour découvrir des spécimens de mâles dominants comme on va au musée ou au zoo. Autant vous le dire tout de suite, je suis sorti déçu.

Depuis que je regarde les couples autour de moi, j’ai du mal à distinguer quoique ce soit qui ressemble à une domination du masculin et parfois même à distinguer quelque chose qui ressemble à du masculin et depuis que je regarde les gens dans la rue, j’ai vu plus d’hommes promenant des chihuahuas que de femmes portant sur le dos des fagots de bois. Dans nos sociétés modernes, je croyais l’espèce pratiquement disparue.

En apercevant ces derniers temps quelques silhouettes bâchées, j’en ai déduit qu’il restait quelques individus sous nos latitudes mais la question n’est pas abordée dans le film. On ne fait pas du cinéma engagé pour sombrer dans l’islamophobie archéo-réac comme on dit aux Inrocks.

Dans sa traque du machisme, l’auteur nous emmène en France, en Belgique et au Canada en omettant de faire apparaitre des mâles issus de minorités visibles. Que fait la HALDE ?

Il est difficile et donc plus méritoire de trouver une aiguille dans une meule de foin. Est-ce pour cela que le documentariste a cantonné son exploration aux sociétés occidentales modernes et aux mâles blancs ? Je l’ignore mais à la fin du film, après avoir vu ces hommes plutôt civilisés, on se demande bien ce qu’ils dominent.

La première scène nous entraine dans le cabinet d’un chirurgien où un patient explique que pour se sentir plus fort, plus fier et plus homme, il a besoin qu’on augmente la taille de son pénis. On peut penser ce qu’on veut de cette entreprise pitoyable, l’auteur ne tire qu’une conclusion: notre société patriarcale et phallocrate impose ses standards, vénère le phallus et lui prête des pouvoirs magiques.

Il me semble portant que dans un contexte vraiment machiste, les hommes ne passent pas sur le billard pour qu’on allonge leur sexe quand il leur suffit d’allonger une torgnole pour imposer le respect à celle qui aura ri devant l’apparition d’un trop petit oiseau.

Le cinéaste se penche ensuite pour étayer sa thèse sur les comportements qui distinguent les hommes des femmes. Le commentaire ironise dans un magasin de jouets que les filles préfèrent les poupées et les garçons les armes de guerre, on filme des hommes qui salivent au spectacle d’un strip-tease, on recueille les confidences de femmes qui préfèrent que dans l’intimité de leur couple, le masculin l’emporte.

Ces attitudes qui caractérisent l’espèce depuis que nous sommes des singes n’ont, d’après la voix off qui nous apprend la vie, rien de naturel. On nous le répète, ces constructions purement culturelles sont la preuve d’une domination d’un sexe sur l’autre.

Il faut échapper à ces archaïsmes et dépasser ces stéréotypes. Certains ne s’en privent pas. Des femmes guerrières j’en connais ! Par ailleurs, les enfants de familles homoparentales qui pourront désormais choisir pour Noël entre le fer à repasser comme papa et le tractopelle comme papa pourraient bien montrer l’exemple. Encore faut-il que des deux papas, l’un ne porte pas une casquette en cuir et l’autre des talons hauts car tout serait à recommencer.

Après sa visite du monde à l’abri du réel, le film aborde la douloureuse question du retour de bâton, backlash aux USA, ressac au Canada. On entend les témoignages d’hommes canadiens, peut être pas assez latins pour avoir su se défendre, qui râlent de se réveiller après des décennies de vent féministe, dans un monde ou John Wayne a été remplacé par les papas pampers au panthéon des modèles masculins. De là, on fourre dans un vaste sac les femmes battues par leur maris, le discours d’Eric Zemmour et un fait divers meurtrier. Sur un campus canadien, un déséquilibré ouvrit le feu sur quatorze femmes en les accusant d’être des féministes après avoir éloigné et épargné les hommes avant de retourner son arme contre lui.

Ce rapprochement entre ces meurtres et l’auteur de La féminisation insinue qu’un vaste mouvement dont l’un serait la fraction armée et l’autre la branche politique travaille au retour de la domination masculine. Si une réaction masculine pointe son nez, personne ne veut supprimer le droit de vote pour les femmes pour les renvoyer derrière les fourneaux. Les acquis de civilisation qui ont étendu l’égalité et la liberté à tous les sexes font les délices des relations entre hommes et femmes de ce côté-ci de la planète. Ils sont gravés dans le marbre de notre identité nationale, européenne et occidentale et ce ne sont pas les petits mâles blancs « revanchards » qui les remettent en cause.

On peut dénoncer les dérives de la féminisation sans caresser des rêves de domination. Nous ne voulons pas régner sans partage sur nos femelles, nous cherchons simplement à ne pas décevoir les femmes qui préfèrent nous voir jouer les « Jean Gabin » plutôt que les « Jean Cocteau ».

Nous ne progresserons pas en faisant table rase du passé, en vidant nos personnages de toute substance masculine. Ne cessons pas de rouler des mécaniques pour raser les murs ou rouler des fesses, appliquons-nous à jouer les hommes avec toute la subtilité que cela exige pour plaire. Ne renonçons pas aux caractères de notre genre, sublimons-les. Pour être plus aimables, éduquons le macho qui sommeille en nous sans lui retirer ses attributs, donnons-lui de la profondeur, de la distance et de l’humour. Ainsi, nous ne serons pas moins hommes, nous le serons autant que nous le pourrons, c’est ainsi que nous serons aimés et récompensés.

Quand aux féministes mâles qui travaillent à l’avènement d’un monde désolé et désolant, en gommant la plus précieuse des différences tout en gardant sur la burqa un silence prudent et assourdissant, qu’ils fassent des films avec des œillères ou des documentaires de science-fiction, on s’en fout. Pendant qu’ils occupent leurs congés paternels à changer des couches, nous nous occuperons des femmes qui ont du goût pour les hommes.

Happy birthday, Mr President

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obama

Dans moins de deux semaines, ce sera le déferlement dans les médias des bilans concernant la première année de l’administration de Barack Obama. À moins qu’il ne se passe quelque chose de bouleversifiant dans la prochaine quinzaine, il est déjà possible de porter un jugement sur son action internationale, et de spéculer sur l’effet de celle-ci à court est moyen terme.

Comme les historiens aiment à le dire à propos de tous les sujets qui leur tombent entre les pattes, distinguons d’abord les éléments de rupture et les éléments de continuité.

L’obamania galopante et mondialisée qui avait suivi son élection était largement due à l’espoir que ce nouveau président, le premier d’une ère dite post-raciale, allait rompre radicalement avec la philosophie et la pratique de son prédécesseur voué aux gémonies par les élites politiques et journalistiques de la « vieille Europe ».

On allait retrouver, pensait-on, le vrai visage d’une Amérique souriante et aimable à la place du rictus méprisant et guerrier de George W. Bush. L’approche multilatérale des problèmes de la planète allait se substituer à l’impérialisme botté et casqué des Cheney et Rumsfeld, le droit international allait primer sur la force brutale. Bref de hard, la puissance américaine deviendrait smart, sinon soft.

Qu’en est-il en réalité ? Reconnaissons tout d’abord que, sur le plan de l’image des Etats-Unis dans le monde, et particulièrement dans les pays qui avaient manifesté la plus vive hostilité envers son prédécesseur, Barack Obama a opéré un redressement spectaculaire.

La « rue arabe » a reçu avec ravissement le fameux discours du Caire et l’abandon du concept de « guerre totale contre le terrorisme » qui fondait l’action de l’administration Bush.
Les Russes ont apprécié comme il se devait le discours de Prague, dans lequel Obama traçait la perspective d’une importante réduction des armements nucléaires. Il laissait également entendre qu’il allait renoncer au bouclier antimissile promis par George W. Bush aux nouvelles démocraties d’Europe centrale et orientale toujours méfiantes devant une Russie avide de retrouver son statut d’antan. Ce qui fut fait quelques mois plus tard, à la grande satisfaction de Poutine et Medvedev qui craignaient de se voir entraîner dans la même spirale que celle qui avait amené Gorbatchev à jeter l’éponge devant le grand bluff reaganien de la « Guerre des étoiles » dans les années 1980. Que la Pologne, la République tchèque aient modérément apprécié ce tournant est un euphémisme, mais qui se soucie aujourd’hui de leurs états d’âmes ?

Pour les Chinois, pas besoin de discours, mais on pratique un dialogue constant mené avec un souci d’apaisement du géant asiatique : Obama et Hillary Clinton ne vont pas leur chercher des poux dans la tête sur les droits de l’homme, ni sur le peu d’empressement de Pékin à se mettre au diapason des alarmistes du réchauffement climatique.

Dans le conflit israélo-arabe, une tentative pour tordre le bras de Benyamin Netanyahou sur la question des constructions dans les implantations juives de Cisjordanie et de Jérusalem-Est rompait avec les eyes wide shut de l’administration Bush sur ce problème, mais n’eut qu’un effet, disons mitigé pour être charitable. Il est peu probable que le nouveau plan de paix américain que le journal israélien Maariv vient de révéler les grandes lignes[1. Ce plan donnerait un délai de deux ans aux dirigeants d’Israël et de l’Autorité palestinienne pour parvenir à un accord global et définitif. Les négociations se concentreraient tout d’abord sur la fixation des frontières entre Israël et le futur Etat palestinien, dont le tracé ne serait pas simplement le retour à la « ligne verte » d’avant 1967. Ce nouveau tracé se ferait sur la base d’échanges de territoires, et après son adoption les constructions seraient à nouveau autorisées dans les parties destinées à rester sous souveraineté israélienne.] ait plus de succès que ceux qui l’ont précédé : si d’aventure Mahmoud Abbas y souscrivait, le Hamas serait là pour le saboter.

Si l’on ajoute à cela la fermeture toujours annoncée, mais sans cesse retardée du centre de détention de Guantanamo, on aura a peut près fait le tour de la rupture obamienne en matière de politique internationale.

Les humoristes d’Oslo l’ayant affublé d’un prix Nobel de la paix par anticipation, il n’en est que plus à l’aise pour assumer ce qu’il ne peut pas changer dans l’immédiat, l’engagement militaire en Irak et en Afghanistan, plus exactement dans l’ensemble « Afpak », qui englobe un Pakistan soumis à de redoutables tensions internes. En Irak, en dépit de l’annonce du retrait de la quasi-totalité des GI avant la fin 2010, la politique menée est la continuation de celle de la fin de mandat de Bush, le surge (sursaut) théorisé par le général Petraeus et mis en œuvre par Robert Gates, secrétaire d’Etat à la défense de l’administration précédente reconduit dans ses fonctions par Obama.

En Afghanistan l’envoi de 30.000 hommes supplémentaires pour éviter la reprise du pouvoir à Kaboul par les talibans ne peut être considéré comme un tournant majeur de la politique de Washington dans la région…

Enfin, le traitement du dossier nucléaire iranien, en dépit de l’offre de dialogue faite au régime islamo-fasciste d’Ahmadinejad et de Khamenei, se situe dans la continuité de celle de Bush : menaces de sanctions renforcées en cas de poursuite d’activité nucléaires militaires par Téhéran, à la notable différence qu’Obama ne laisse plus d’ambigüité sur d’éventuelles frappes militaires, exclues d’emblée.

La tentative d’encerclement diplomatique de l’Iran par l’enrôlement de la Russie et de la Chine dans le front des opposants à la nucléarisation militaire du régime de Téhéran n’a jusqu’à présent, pas produit l’effet escompté : Pékin et Moscou s’efforcent toujours de réduire la sévérité des sanctions projetées contre le régime d’Ahmadinejad lorsqu’elles sont évoquées dans les couloirs de l’ONU.

Pour le reste, on ressent une impression d’improvisation totale lors d’événements par nature imprévisibles, comme la récente tentative d’attentat dans un avion par un terroriste nigérian au service d’Al Qaïda. De sa villégiature hawaïenne, Obama minimise l’affaire en évoquant un « acte isolé », puis se ravise après qu’il a été établi que le terroriste avait reçu une formation ad hoc au Yémen. Il ne suffit pas d’éliminer l’expression « guerre contre terrorisme » du vocabulaire officiel pour que cessent les attaques de ce genre menées par une organisation dont les objectifs n’ont pas changé malgré le changement de discours à Washington. La discrimination instaurée après cet incident par les modes de fouilles différenciés selon le passeport des voyageurs, si elle avait été mise en place par l’administration Bush, aurait déclenché une avalanche de protestation dans nos contrées, alors qu’elle est accueillie avec un silence plutôt gêné par nos commentateurs habituels.

De plus, les nouveaux amis des Etats-Unis dans la « rue arabe » commencent à s’impatienter de ne pas voir les actes suivre les paroles. En Irak comme en Afghanistan ou dans le conflit israélo-palestinien, le monde arabo-musulman ne voit rien venir qui soit à la mesure de son rêve fou de voir les Etats-Unis se retirer du Dar al Islam. Ils craignaient Bush tout en le haïssant, et leur nouvelle inclination pour Obama n’est pas loin de se transformer en déception, qui devrait être suivie du mépris pour celui qui ne parvient plus à se faire respecter.
John Bolton, ancien ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU du temps de George W. Bush, décrit, dans la dernière livraison de Commentary, l’attitude d’Obama sur la scène mondiale comme celle d’un homme que ces questions n’intéressent pas, et qui cherche à atteindre le plus rapidement possible une situation dans laquelle les Etats-Unis délègueraient à une forme de gouvernance mondiale le soin de régler les affaires du monde. Cela s’appelle, selon Bolton, vivre dans la post-Amérique avant l’heure, en oubliant que la puissance oblige, et qu’il est dans les gènes de la démocratie américaine de se méfier vivement d’un pouvoir central trop puissant à Washington et absolument d’un pouvoir délégué à des instances internationales sur lesquelles le peuple des Etats-Unis ne peut exercer aucun contrôle direct. Comme John Bolton est affublé de l’étiquette infamante de « néo-con », il ne sera pas entendu de ce côté-ci de l’Atlantique. Cela ne signifie pas qu’il ait totalement et définitivement tort.

2010, Odyssée des résolutions (4)

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Etre plus résolu : il n’y a pas mieux qu’une résolution de résolution, pour commencer la nouvelle année du bon pied.

Carrefour, le pays où la mort est moins chère

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supermarket

Dans son dernier papier, l’ami Cyril Bennasar donne l’impression non pas de justifier mais d’expliquer la logique qui a présidé à ce qu’il faut bien appeler une exécution par cinq vigiles de Carrefour d’un jeune homme coupable d’un vol de canette de bière. Jusqu’à preuve du contraire, dans les dix commandements, « tu ne voleras point » arrive quand même assez loin derrière « tu ne tueras point » et, quelles que soient les circonstances, quel que soit le passé des uns et des autres, et même dans les sociétés primitives, comme les USA par exemple, pratiquant encore la peine de mort, aucun vol même le plus scandaleux n’est passible du châtiment suprême. Sinon, chez nous, il aurait fallu restaurer la guillotine pour mal de monde au moment des affaires du Crédit Lyonnais ou d’ Elf Aquitaine. On s’est contenté pour ces voleurs qui jouaient plutôt dans la catégorie « rétrocommissions sur frégates » que « canette de Bavaria » de les envoyer dans des quartiers VIP de la Santé, ce qui a pu leur permettre à d’écrire de bouleversants témoignages sur la condition pénitentiaire pour des à-valoir bien moelleux.

Et c’est très bien comme ça, d’ailleurs : justice est faite.

Dans l’affaire de ce pauvre garçon asphyxié sous le cul d’un vigile, on peut certes voir un fait divers. Seulement, et là Bennasar a raison, il n’y a pas de faits divers. Ou pour dire les choses autrement, le fait divers n’est jamais gratuit, il renvoie toujours à un état de la société. Longtemps, par exemple, avant l’américanisation du monde, le serial killer fut un phénomène anglo-saxon pour des raisons liées étroitement au puritanisme wasp qui entretient avec la sexualité des rapports complètements angoissés, voire schizophrènes. Stéphane Bourgoin, le spécialiste de la question, explique Cela très bien.

Dans l’affaire qui nous intéresse, il est d’abord utile de se souvenir que cela se passe chez Carrefour, vous savez l’enseigne dont l’ancien PDG a voulu partir avec plusieurs dizaines de millions d’euros d’indemnité alors qu’il avait à moitié planté la boîte et que des employés du côté de Bordeaux, exactement au même moment se battaient pour une augmentation d’1€ en tickets restaurants… Carrefour dont les méthodes de management par la terreur sont connues comme parmi les plus dures de la grande distribution. Une caissière soumise à des impératifs de rentabilité se plante dans le ticket de caisse ou fait une dépression nerveuse. Un vigile, lui, se met à tuer. C’est assez logique, et j’espère que les avocats de ces quatre hommes auront l’intelligence de jouer là-dessus plutôt que de tenter de salir la victime, qui répétons-le, quel que soit son pedigree, n’avait aucune raison de ressortir les pieds devant du pays où la mort est moins chère.

Plus généralement, ce fait divers pose également la question de la manière dont une société de plus en plus libérale assure sa sécurité. En théorie, dans le libéralisme classique, la sécurité fait partie des domaines régaliens de l’Etat, avec la défense, les affaires étrangères, la justice ou la levée des impôts. Il semble que ce soit de moins en moins le cas, ici comme aux USA d’ailleurs. Cela a commencé avec les polices municipales, devenues dans certaines villes comme Levallois de véritables gardes prétoriennes au service du maire. Cela s’est poursuivi avec des corps plus ou moins mixtes comme les agents de la sécurité de la RATP. Ce gouvernement ne cesse de dire qu’il aime la police nationale, celle qui est réellement formée, passe des concours difficiles, mais son impératif idéologique du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux s’applique aussi chez les pandores. La sécurité, c’est un métier, ça s’apprend et pas avec une formation bidon pour le neveu du maire qui va devenir chef de la police municipale de Loing sur Burettes et se prendre pour Rambo quand il surveillera la sortie des bals populaires.

Imaginez un instant que, pour raison de restrictions budgétaires, les polices privées et autres escouades de vigiles soient intervenues, même en partie, lors des révoltes de la banlieue en 2005. Alors que les forces de l’ordre ont fait preuve d’une abnégation et d’un sang-froid remarquables, limitant la casse humaine au maximum, on peut penser que les cohortes de flingueurs mercenaires auraient quant à elles laissé des dizaines de cadavres sur l’asphalte et le béton.

Les sociétés qui veulent survivre ont tout intérêt à confier l’ordre public et leur défense extérieure à des gens qui ne le font pas simplement pour une fiche de paie mais sont animés aussi par un minimum de civisme ou d’amour de la patrie. Sinon, on finit comme Carthage, pays de marchands qui confiaient la guerre à d’autres, vaincue par les légionnaires de Rome qui savaient eux pourquoi ils se battaient.

Nous n’en sommes pas encore là, nous n’avons pas comme l’Amérique en Irak employé les criminels de guerre de Blackwater, cette armée privée qui s’est sinistrement illustrées dans les combats de Fallouja.

Mais l’assassinat d’un jeune homme dans l’arrière-salle d’un hypermarché, n’est qu’un des premiers symptômes de cette privatisation de l’imprivatisable, si glorifiée aujourd’hui.

Le titre, hélas, n’est pas de moi mais de l’excellent recueil de nouvelles de Thierry Marignac, Le Pays où la mort est moins chère (Moisson Rouge éditions).

Pierre Sarkozy et l’Île des cochons

Si on commence à bien connaître Jean Sarkozy, qui briguait il y a encore quelques mois la présidence de l’EPAD, on connaît moins le fils aîné du président de la République, Pierre Sarkozy, producteur de musique pour jeunes. Celui qui se fait appeler « Mosey » ou « Crime Chantilly » dans la galaxie rap fait, pour l’instant, assez peu parler de lui. C’est une brève du tabloïd britannique Daily News qui nous apprend que Pierre Sarkozy a miraculeusement échappé à la coulée de boue qui a tué plusieurs dizaines de personnes sur l’Île des cochons, proche de Rio de Janeiro, alors qu’il fêtait avec opulence la nouvelle année. La fête se tenait dans une maison, épargnée par ce déferlement dantesque de terre et d’eau mêlés, appartenant au chirurgien Ivo Pitanguy, proche de Carla Bruni. Moi ce que j’en dis : une « île des cochons », où l’on fait des orgies de riches décadentes noyées par des coulées de boues, à l’époque pré-babylonienne, un récit comme ça serait devenu un mythe qui aurait fini consigné dans la Bible… Mais il est à craindre que le fils du président n’en tire qu’un rap.

2010, Odyssée des résolutions (3)

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Dans la liste des résolutions nécessaires à prendre pour bien commencer l’année, il en est une qui a toute son utilité sur Internet : ne pas collectionner les points Godwin. Il vaut mieux tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant d’écrire (pour ceux qui ont un clavier lingual) ou se contenter de manger des Luftwaffles en souriant.

Identité nationale : qui hait qui ?

Emmanuel Todd.
Emmanuel Todd.

La haine de l’autre comme unique programme : à en croire l’anthropologue Emmanuel Todd, Nicolas Sarkozy ayant échoué sur le plan économique, « la recherche de boucs émissaires à tout prix » serait devenue « comme une seconde nature ». Il le proclame haut et fort dans un entretien publié par Le Monde du 28-29 décembre : « Le gouvernement, à l’approche d’une échéance électorale, propose, je dirais même impose, une thématique de la nation contre l’islam. » Comme citoyen, Todd est révulsé. C’est son droit et on peut au moins lui reconnaître une certaine constance : depuis 2007, il n’a cessé de pilonner le président de la République, en qui il voit le symptôme et la cause d’une maladie française qui, pourtant, explique-t-il, n’existe pas, puisque Sarkozy et le dernier carré de ses électeurs en sont les ultimes survivances.

Todd détient l’un des plus jolis cerveaux du pays, formé dans les meilleures écoles britanniques. Il peut donc tenir avec brio deux discours parfaitement contradictoires – chanter l’air de « tout va bien », décréter que la France est en train de « réussir son intégration », et décrire le sarkozysme comme une « pathologie sociale » relevant « d’une analyse durkheimienne – en termes d’anomie, de désintégration religieuse – et marxiste ». Comment cette pathologie a-t-elle pris dans une société en bonne santé, voilà ce que Todd, fort de ses séries statistiques et de quelques certitudes ne nous dit pas.

Pas mal de mes amis le détestent – ce qui doit lui faire très plaisir. Pour ma part, je l’avoue, j’aime bien Emmanuel Todd. D’abord, c’est un copain et il peut être d’un commerce passionnant, amusant et même amical, pour peu qu’on évite ses mauvaises périodes et les sujets qui fâchent – ce qui devient, il est vrai, assez compliqué. En prime, très beau garçon, irrésistible quand il s’énerve. C’est en lisant L’Illusion économique que j’ai compris la mécanique perverse du libre-échange. Et son essai sur le déclin de la puissance américaine est bien plus démonstratif que ne le pensent ceux qui sont convaincus de l’avoir lu quand ils se sont contentés de quelques articles.

Qu’il y ait deux Todd – le savant brillant et l’idéologue énervé – n’est ni surprenant, ni choquant. Idéologue, nous le sommes tous un peu. L’ennui, c’est que c’est souvent le second qui s’exprime avec le langage et surtout avec l’autorité du premier. On interroge l’intellectuel et c’est le spécialiste de l’agit-prop qui répond. Certes, les lunettes à travers lesquelles il voit le monde sont sophistiquées. Elles observent des courbes encourageantes et annoncent le progrès inéluctable de l’humanité. Le problème, c’est que, loin de le rendre clairvoyant, elles l’aveuglent, en lui masquant toute la réalité qui n’entre pas dans ces merveilleuses extrapolations – c’est-à-dire une bonne partie de celle-ci et pas la plus affriolante. Todd sait faire parler un taux de fécondité comme personne, mais on dirait souvent qu’il ne voit pas ce qui se passe autour de lui. Notamment parce que, pour lui, les croyances et les représentations n’ont aucune valeur explicative en tant que telles.

Les propositions qu’il avance dans Le Monde méritent donc d’être examinées, d’abord à cause de l’assurance inébranlable avec laquelle il les formule (le doute méthodique n’est pas trop son truc), ensuite parce que, malgré leur caractère manifestement outrancier, elles passent pour raisonnables.

Première évidence supposée : le gouvernement aurait, à l’approche des régionales, imposé la thématique de la nation contre l’islam. Outre qu’on ne voit pas très bien ce qu’il aurait eu à y gagner (il aurait plutôt intérêt à gagner les voix des musulmans qu’à les perdre), il faut vraiment être naïf ou de mauvaise foi pour affirmer que le gouvernement est en mesure d’imposer un quelconque débat. Au contraire, il semble que tout le monde ait été pris au dépourvu par les passions suscitées par l’initiative de Besson. De fait, le débat sur l’identité nationale s’est transformé, avec un petit coup de pouce des Suisses, en débat sur la place et la nature de l’islam en France. Ça ne plait pas à Emmanuel Todd qu’on se pose de telles questions. D’ailleurs, personne ne se les pose plus : « En 1994, dit-il, la carte du vote FN était statistiquement déterminée par la présence d’immigrés d’origine maghrébine, qui cristallisaient une anxiété spécifique en raison de problèmes anthropologiques réels, liés à des différences de système de mœurs ou de statut de la femme. Depuis, les tensions se sont apaisées. Tous les sondages d’opinion le montrent : les thématiques de l’immigration, de l’islam sont en chute libre et sont passées largement derrière les inquiétudes économiques. » Le récent sondage du Parisien dans lequel il apparaissait qu’une moitié des Français avoue des inquiétudes concernant l’islam a dû échapper à Todd. Il ne voit ni l’augmentation du nombre de femmes en burqa, ni la persistance du caïdat dans les cités, ni le recul de la mixité, ni le fait que des Français de toutes origines peuvent légitimement être troublés quand certains de leurs concitoyens affichent leur détestation de la France. Au nom de l’islam ou de ce qu’ils prennent pour l’islam. Peu importe, Todd en est convaincu : ces troubles et ces inquiétudes sont en chute libre. En réalité, Todd voit ce qu’il croit.

À l’appui de ses convictions, Todd brandit l’exogamie des enfants d’immigrés. « Les populations d’origine musulmane de France, dit-il, sont globalement les plus laïcisées et les plus intégrées d’Europe, grâce à un taux élevé de mariages mixtes. » Le problème est que ce constat date de 1994, date à laquelle il écrivait Le destin des immigrés. Depuis, ce type de statistiques étant de facto interdit aux chercheurs, on ne sait pas dans quel sens s’est déplacé le curseur. Seul un optimisme de principe permet de décréter que cette tendance à l’exogamie s’est poursuivie sur sa lancée. Todd a sans doute raison quand il dit que les Français « n’en ont rien à foutre des questions de couleur et d’origine ethnique ou religieuse ». En déduire qu’ils se fichent tout autant des différences culturelles et des revendications identitaires suppose un saut franchement périlleux.

Je n’ai pas, il est vrai, la moindre statistique à opposer aux certitudes d’Emmanuel Todd, seulement le sentiment qu’en une vingtaine d’années l’intégration des enfants d’immigrés a reculé plutôt qu’elle ne s’est améliorée et que, chez une partie d’entre eux, la proclamation identitaire a pris le pas sur la revendication égalitaire : de la marche des Beurs à la Marseillaise brûlée et à « la burqa, où je veux », Todd trouve que « les tensions se sont apaisées ». Moi pas. Et j’avoue que je ne sais pas comment une même réalité peut donner lieu à deux perceptions si contradictoires.

Mais là où l’ami Todd charrie carrément, c’est quand il explique que ces tensions (apaisées, rappelons-le) sont le produit d’une politique machiavélienne et cynique consistant à attiser la haine des uns contre les autres pour faire passer la pilule de l’échec économique. En somme, aux difficultés existantes, Nicolas Sarkozy aurait délibérément choisi d’ajouter le malaise national – qui bien sûr n’a aucun autre fondement – en dressant les « de souche » contre les « issus de ». La panne de l’ascenseur social que Todd analysait il y a dix ans, c’est lui ! La machine à fabriquer des Français grippée, c’est lui ! Le vote FN des anciens cocos, encore lui ! L’islam salafiste dans nos banlieues, les filles interdites de jupe, la Marseillaise sifflée par des Français : tout ça, ce sont des inventions de Sarkozy pour effrayer le bourgeois et, plus encore, le petit blanc.

On passera rapidement sur le caractère complotiste de l’hypothèse selon laquelle la France – comprenez Sarkozy – aurait « une stratégie de confrontation avec les pays musulmans – comme en Afghanistan ou sur l’Iran » pour des raisons ayant trait au « jeu intérieur ». En somme, notre gouvernement néo-colonial s’en prendrait aux fiers Pachtouns et aux rudes Persans, qui ne font de mal à personne, pour intimider nos pauvres Arabes ?

Certes, on peut croire Emmanuel Todd sur parole : à long terme, les progrès de l’alphabétisation et la baisse de la fécondité auront fait triompher la raison dans les zones les plus reculées de ces deux pays tenues en coupe réglée par des barbus tendance stal et dans pas mal d’autres endroits. Fort bien. Mais tous les ploucs qui n’ont pas la chance de vivre dans l’éternité de la démographie savent qu’à long terme ils seront tous morts. Et, en attendant cet heureux dénouement, ils ne trouvent pas très riant l’islam politique tel qu’il s’affiche au niveau planétaire. Ils ont certainement tort, tous ces lepénistes cryptos, actuels et futurs qui ne comprennent rien au vent de l’histoire, mais ils doivent bien avoir eux aussi leur place dans les courbes et les statistiques dans lesquelles Todd lit l’avenir ?

Ce Sarkozy est vraiment démoniaque. Saviez-vous qu’en 2005, il « a mis le feu aux banlieues » pour récupérer l’électorat frontiste – d’ailleurs, Todd ne nous dit pas ce qu’il conviendrait de faire de cet électorat, le déchoir de son droit de vote, l’encourager à revoter Le Pen pour pouvoir faire la fête ? Croit-il vraiment que des gamins et moins gamins qui ne peuvent prononcer une phrase entière sans dire « nique », « ta race », « chien » et bien d’autres gracieusetés encore et qui annoncent tous les deux paragraphes qu’ils vont « tuer un bâtard » sont si sensibles au beau langage qu’ils n’ont pas supporté « racaille » et « kärcher » et qu’animés par une légitime révolte devant de tels écarts, ils ont brûlé les voitures de leurs parents et l’école maternelle de leurs petits frères ?

On espérait y échapper. Pitié pas Vichy, pas lui. Mais bien sûr, il a fallu que les années 1930 pointent leur nez. Le dialogue entre l’intervieweuse et l’interviewé sur le thème « vous avez dit fascisme ? » est un morceau de choix dans le genre « je dis tout et son contraire » qui est, selon Todd, une caractéristique du sarkozysme. Réponse, en substance : ce n’est pas pareil mais ça y ressemble. Ou l’inverse. Comportements nouveaux qui renvoient au passé, comparaison qui n’est pas confusion mais un peu quand même, Etat au service du capital, l’idée c’est que Sarkozy fait du vieux avec du neuf et du neuf avec du vieux. « Quand on est confronté à un pouvoir qui active les tensions entre les catégories de citoyens français, on est quand même forcé de penser à la recherche de boucs émissaires telle qu’elle a été pratiquée avant-guerre. » On pourrait ajouter que quand on construit un monde fantasmagorique peuplé de bons et de méchants, on aboutit forcément à une conclusion délirante.

Précisons-le clairement : Emmanuel Todd ne dit jamais que le sarkozysme est un fascisme. Seulement, il ne peut pas ne pas y penser. Il ne nous dit pas non plus que les musulmans d’aujourd’hui sont les juifs d’hier et que l’étoile verte est en train de remplacer l’étoile jaune. Mais on ne peut pas ne pas y penser.

Alors moi aussi, je voudrais poser une question, au copain, au citoyen et au savant : quand tu mobilises cet imaginaire-là et ces références-là, es-tu certain, cher Mano, de ne pas être aveuglé par une haine qui ne te sied guère ?

Mars patraque

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Le temps passe. On les a connus bébés, on ne les voit pas grandir et c’est à peine si on les reconnaît quand on les retrouve. Il y a six ans encore, le monde entier parlait du petit Spirit : la Nasa avait expédié ce robot de 180 kilos (un beau bébé !) sur Mars afin d’explorer la planète rouge. Aujourd’hui âgé de six ans, Spirit va mal. Ses six petites roues sont enlisées. Il est incapable de bouger et les panneaux solaires qui l’alimentent sont tout pleins de poussière martienne ! Les scientifiques de la Nasa ne devraient pas tarder à livrer la conclusion qui s’impose : si l’on ne peut exclure définitivement la possibilité d’une vie extraterrestre sur Mars, en revanche la certitude est désormais acquise qu’il n’y a aucune femme de ménage dans l’horizon martien. Va encore falloir tout faire soi-même. Saloperie de planète !

Vacances, j’oublie tout !

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Cécile Duflot, © Audrey Aït Kheddache (flickr).
Cécile Duflot, © Audrey Aït Kheddache (flickr).
Cécile Duflot, © Audrey Aït Kheddache (flickr).

Oui, on le sait, c’est facile de taper sur Cécile Duflot et ses vacances aux Maldives. Surtout dans Causeur. Mais c’est pas pour autant qu’on va s’en priver. Après tout, vu que la dame en question nous tape sur les nerfs depuis des mois avec son humilité en bandoulière, ses couches-culottes lavables et ses admonestations ad nauseam, nous pouvons nous estimer, façon Inspecteur Harry, en état de légitime défense permanente. Quand faut flinguer, faut flinguer !

Donc avec son escapade conjugale aux Maldives à Noël, Cécile s’en est pris plein les dents. On devrait logiquement la défendre. Au nom du droit à la vie privée, à l’amour ou aux bains de mer. Qui sont des droits de l’homme, certes mineurs, mais hautement recommandables. Sauf que non. Et on vous explique pourquoi.

Tout d’abord parce que les Verts sont par excellence le camp du mélange des genres entre sphère publique et privée. Quand, sous l’œil ému des caméras, on se véhicule ostensiblement en vélo, comme Mamère au Palais-Bourbon ou, comme Duflot, en train à Copenhague (dont elle est revenue en avion faut pas exagérer quand même), on ne fait qu’exposer sans trop de décence ses stigmates d’irréprochabilité. Idem quand on met en avant l’apôtre de la transparence absolue qu’est Eva Joly. On nous prouve par l’image qu’on est non seulement plus purs, plus vrais que les autres politiques, mais aussi que la masse des irresponsables qui constituent le corps électoral de ce pays, à l’exception des vertueux 16 % d’Europe-Ecologie.

Les Verts ne cessent de nous répéter qu’ils sont ontologiquement meilleurs que les autres, c’est donc uniquement de leur faute s’ils ont l’air d’être pires quand ils sont tout banalement pareils à leurs collègues. On n’est d’ailleurs pas à l’abri de surprises bien plus déroutantes que ces vacances malvenues le jour ou un juge mal intentionné ira plonger le nez dans les finances subventionnées de certaines associations qui leur sont proches…

Ensuite, il y a la jurisprudence Hortefeux. Certes, faire une boulette de ce type (Auvergnats, Parlement européen, Maldives) n’aurait été qu’un péché véniel dans le monde d’avant. On sourit ou on boude, et puis on oublie. Mais, à notre grand regret, ce monde d’avant est mort (peut-être pas pour toujours, mais c’est une autre histoire). Et ce n’est pas nous qui l’avons tué. En imposant la fusion irréfragable entre politique et communication, les fossoyeurs de droite et de gauche du débat idéologique old school n’ont vu que ce qu’il y avait à gagner. De Nicolas Sarkozy en T-shirt NYPD à Olivier Besancenot déguisé en postier de calendrier en passant par notre chère Cécile vêtue 100 % commerce équitable, tout le monde s’est gavé de « je looke, donc je suis » comme chacun de dinde aux marrons. Grand bien leur fasse, et jusque là, la combine s’est révélée plutôt payante. Mais, de grâce, chéris, faîtes gaffe aux pas de côté ! Je pose avec un reubeu à Seignosse pour faire genre, bravo, 10 points. Mais j’évite de faire le mariole dès que je crois les caméras éteintes, parce que le monde que j’ai souhaité est un monde où les caméras ne sont jamais éteintes. C’est votre règle du jeu, et on ne gagne pas à tous les coups. Sinon, faut changer de boulot. Qui a vécu par la com’ périra par la com’.

Enfin, Cécile Duflot est indéfendable parce que les arguments qu’elle a déployés pour tenter de s’extraire de ce bourbier sont pitoyables. Il fallait l’entendre plaider sa cause chez Elkabbach. Il est bien évident que la seule réponse digne aurait été de demander à son intervieweur si lui-même passait toutes ses vacances dans le Pas-de-Calais et quelle était la couleur de son slip. Mais non, notre dealeuse de moraline est semble-t-il accro à sa propre marchandise. Ce qui donne lieu à des justifications d’abord grotesques (« On ne peut pas y aller en pédalo »), puis carrément hypocrites (« Le réchauffement climatique est une des raisons pour lesquelles je m’intéresse aux Maldives depuis plus de dix ans ») et enfin délirantes quand elle « revendique d’être une femme normale ». T’as raison, Cécile, toutes les femmes normales partent en vacances d’hiver dans les îles de l’hémisphère sud. En été, elles vont skier à Gstaadt et le reste de l’année, elles posent sur la couv’ de Vanity Fair. Et nous, on croyait que les Verts new look de 2009-2010 s’étaient enfin convertis au social…

En vérité, avec cet aller-retour Paris-Malé, Cécile ne vaut pas plus cher que notre Président sur le yacht de Bolloré. Bravo, elle vient d’inventer l’écologie bling-bling. Rigolo, certes, mais pas sûr que ça paye au scrutin de mars prochain. On espère pour nos amis les Verts que d’ici-là, on n’apprendra pas que leur colistier Augustin Legrand a réveillonné au Fouquet’s…

Fait d’Ibère

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L’Espagne commence bien sa présidence de l’Union européenne : le site officiel de la présidence espagnole de l’UE (qui coûte, pour six mois, la bagatelle de 6 millions d’euros en maintenance et en sécurité) a été détourné lundi par un hacker. Le plaisantin informatique n’a trouvé rien de mieux à faire que de remplacer la photo du Premier ministre, Jose Luis Zapatero, par celle de Rowan Atkinson, alias Mr Bean. Personnellement, je ne vois aucune ressemblance entre Zapatero et Atkinson, mais, comme dirait l’autre : les Espagnols se ressemblent tous. Contacté par nos soins, le secrétariat de Mme Ségolène Royal n’a pas voulu nous dire si la lettre d’excuse à M. Zapatero qu’elle s’est empressée d’écrire au nom d’Internet avait déjà été affranchie ou si elle était encore à la signature.

Délivrez-nous du mâle !

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Image extraite du documentaire La domination masculine
Image extraite du documentaire La domination masculine
Image extraite du documentaire La domination masculine

Je suis allé voir au cinéma un documentaire titré La domination masculine. Curieux, je me suis assis dans le noir pour découvrir des spécimens de mâles dominants comme on va au musée ou au zoo. Autant vous le dire tout de suite, je suis sorti déçu.

Depuis que je regarde les couples autour de moi, j’ai du mal à distinguer quoique ce soit qui ressemble à une domination du masculin et parfois même à distinguer quelque chose qui ressemble à du masculin et depuis que je regarde les gens dans la rue, j’ai vu plus d’hommes promenant des chihuahuas que de femmes portant sur le dos des fagots de bois. Dans nos sociétés modernes, je croyais l’espèce pratiquement disparue.

En apercevant ces derniers temps quelques silhouettes bâchées, j’en ai déduit qu’il restait quelques individus sous nos latitudes mais la question n’est pas abordée dans le film. On ne fait pas du cinéma engagé pour sombrer dans l’islamophobie archéo-réac comme on dit aux Inrocks.

Dans sa traque du machisme, l’auteur nous emmène en France, en Belgique et au Canada en omettant de faire apparaitre des mâles issus de minorités visibles. Que fait la HALDE ?

Il est difficile et donc plus méritoire de trouver une aiguille dans une meule de foin. Est-ce pour cela que le documentariste a cantonné son exploration aux sociétés occidentales modernes et aux mâles blancs ? Je l’ignore mais à la fin du film, après avoir vu ces hommes plutôt civilisés, on se demande bien ce qu’ils dominent.

La première scène nous entraine dans le cabinet d’un chirurgien où un patient explique que pour se sentir plus fort, plus fier et plus homme, il a besoin qu’on augmente la taille de son pénis. On peut penser ce qu’on veut de cette entreprise pitoyable, l’auteur ne tire qu’une conclusion: notre société patriarcale et phallocrate impose ses standards, vénère le phallus et lui prête des pouvoirs magiques.

Il me semble portant que dans un contexte vraiment machiste, les hommes ne passent pas sur le billard pour qu’on allonge leur sexe quand il leur suffit d’allonger une torgnole pour imposer le respect à celle qui aura ri devant l’apparition d’un trop petit oiseau.

Le cinéaste se penche ensuite pour étayer sa thèse sur les comportements qui distinguent les hommes des femmes. Le commentaire ironise dans un magasin de jouets que les filles préfèrent les poupées et les garçons les armes de guerre, on filme des hommes qui salivent au spectacle d’un strip-tease, on recueille les confidences de femmes qui préfèrent que dans l’intimité de leur couple, le masculin l’emporte.

Ces attitudes qui caractérisent l’espèce depuis que nous sommes des singes n’ont, d’après la voix off qui nous apprend la vie, rien de naturel. On nous le répète, ces constructions purement culturelles sont la preuve d’une domination d’un sexe sur l’autre.

Il faut échapper à ces archaïsmes et dépasser ces stéréotypes. Certains ne s’en privent pas. Des femmes guerrières j’en connais ! Par ailleurs, les enfants de familles homoparentales qui pourront désormais choisir pour Noël entre le fer à repasser comme papa et le tractopelle comme papa pourraient bien montrer l’exemple. Encore faut-il que des deux papas, l’un ne porte pas une casquette en cuir et l’autre des talons hauts car tout serait à recommencer.

Après sa visite du monde à l’abri du réel, le film aborde la douloureuse question du retour de bâton, backlash aux USA, ressac au Canada. On entend les témoignages d’hommes canadiens, peut être pas assez latins pour avoir su se défendre, qui râlent de se réveiller après des décennies de vent féministe, dans un monde ou John Wayne a été remplacé par les papas pampers au panthéon des modèles masculins. De là, on fourre dans un vaste sac les femmes battues par leur maris, le discours d’Eric Zemmour et un fait divers meurtrier. Sur un campus canadien, un déséquilibré ouvrit le feu sur quatorze femmes en les accusant d’être des féministes après avoir éloigné et épargné les hommes avant de retourner son arme contre lui.

Ce rapprochement entre ces meurtres et l’auteur de La féminisation insinue qu’un vaste mouvement dont l’un serait la fraction armée et l’autre la branche politique travaille au retour de la domination masculine. Si une réaction masculine pointe son nez, personne ne veut supprimer le droit de vote pour les femmes pour les renvoyer derrière les fourneaux. Les acquis de civilisation qui ont étendu l’égalité et la liberté à tous les sexes font les délices des relations entre hommes et femmes de ce côté-ci de la planète. Ils sont gravés dans le marbre de notre identité nationale, européenne et occidentale et ce ne sont pas les petits mâles blancs « revanchards » qui les remettent en cause.

On peut dénoncer les dérives de la féminisation sans caresser des rêves de domination. Nous ne voulons pas régner sans partage sur nos femelles, nous cherchons simplement à ne pas décevoir les femmes qui préfèrent nous voir jouer les « Jean Gabin » plutôt que les « Jean Cocteau ».

Nous ne progresserons pas en faisant table rase du passé, en vidant nos personnages de toute substance masculine. Ne cessons pas de rouler des mécaniques pour raser les murs ou rouler des fesses, appliquons-nous à jouer les hommes avec toute la subtilité que cela exige pour plaire. Ne renonçons pas aux caractères de notre genre, sublimons-les. Pour être plus aimables, éduquons le macho qui sommeille en nous sans lui retirer ses attributs, donnons-lui de la profondeur, de la distance et de l’humour. Ainsi, nous ne serons pas moins hommes, nous le serons autant que nous le pourrons, c’est ainsi que nous serons aimés et récompensés.

Quand aux féministes mâles qui travaillent à l’avènement d’un monde désolé et désolant, en gommant la plus précieuse des différences tout en gardant sur la burqa un silence prudent et assourdissant, qu’ils fassent des films avec des œillères ou des documentaires de science-fiction, on s’en fout. Pendant qu’ils occupent leurs congés paternels à changer des couches, nous nous occuperons des femmes qui ont du goût pour les hommes.

Happy birthday, Mr President

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obama

Dans moins de deux semaines, ce sera le déferlement dans les médias des bilans concernant la première année de l’administration de Barack Obama. À moins qu’il ne se passe quelque chose de bouleversifiant dans la prochaine quinzaine, il est déjà possible de porter un jugement sur son action internationale, et de spéculer sur l’effet de celle-ci à court est moyen terme.

Comme les historiens aiment à le dire à propos de tous les sujets qui leur tombent entre les pattes, distinguons d’abord les éléments de rupture et les éléments de continuité.

L’obamania galopante et mondialisée qui avait suivi son élection était largement due à l’espoir que ce nouveau président, le premier d’une ère dite post-raciale, allait rompre radicalement avec la philosophie et la pratique de son prédécesseur voué aux gémonies par les élites politiques et journalistiques de la « vieille Europe ».

On allait retrouver, pensait-on, le vrai visage d’une Amérique souriante et aimable à la place du rictus méprisant et guerrier de George W. Bush. L’approche multilatérale des problèmes de la planète allait se substituer à l’impérialisme botté et casqué des Cheney et Rumsfeld, le droit international allait primer sur la force brutale. Bref de hard, la puissance américaine deviendrait smart, sinon soft.

Qu’en est-il en réalité ? Reconnaissons tout d’abord que, sur le plan de l’image des Etats-Unis dans le monde, et particulièrement dans les pays qui avaient manifesté la plus vive hostilité envers son prédécesseur, Barack Obama a opéré un redressement spectaculaire.

La « rue arabe » a reçu avec ravissement le fameux discours du Caire et l’abandon du concept de « guerre totale contre le terrorisme » qui fondait l’action de l’administration Bush.
Les Russes ont apprécié comme il se devait le discours de Prague, dans lequel Obama traçait la perspective d’une importante réduction des armements nucléaires. Il laissait également entendre qu’il allait renoncer au bouclier antimissile promis par George W. Bush aux nouvelles démocraties d’Europe centrale et orientale toujours méfiantes devant une Russie avide de retrouver son statut d’antan. Ce qui fut fait quelques mois plus tard, à la grande satisfaction de Poutine et Medvedev qui craignaient de se voir entraîner dans la même spirale que celle qui avait amené Gorbatchev à jeter l’éponge devant le grand bluff reaganien de la « Guerre des étoiles » dans les années 1980. Que la Pologne, la République tchèque aient modérément apprécié ce tournant est un euphémisme, mais qui se soucie aujourd’hui de leurs états d’âmes ?

Pour les Chinois, pas besoin de discours, mais on pratique un dialogue constant mené avec un souci d’apaisement du géant asiatique : Obama et Hillary Clinton ne vont pas leur chercher des poux dans la tête sur les droits de l’homme, ni sur le peu d’empressement de Pékin à se mettre au diapason des alarmistes du réchauffement climatique.

Dans le conflit israélo-arabe, une tentative pour tordre le bras de Benyamin Netanyahou sur la question des constructions dans les implantations juives de Cisjordanie et de Jérusalem-Est rompait avec les eyes wide shut de l’administration Bush sur ce problème, mais n’eut qu’un effet, disons mitigé pour être charitable. Il est peu probable que le nouveau plan de paix américain que le journal israélien Maariv vient de révéler les grandes lignes[1. Ce plan donnerait un délai de deux ans aux dirigeants d’Israël et de l’Autorité palestinienne pour parvenir à un accord global et définitif. Les négociations se concentreraient tout d’abord sur la fixation des frontières entre Israël et le futur Etat palestinien, dont le tracé ne serait pas simplement le retour à la « ligne verte » d’avant 1967. Ce nouveau tracé se ferait sur la base d’échanges de territoires, et après son adoption les constructions seraient à nouveau autorisées dans les parties destinées à rester sous souveraineté israélienne.] ait plus de succès que ceux qui l’ont précédé : si d’aventure Mahmoud Abbas y souscrivait, le Hamas serait là pour le saboter.

Si l’on ajoute à cela la fermeture toujours annoncée, mais sans cesse retardée du centre de détention de Guantanamo, on aura a peut près fait le tour de la rupture obamienne en matière de politique internationale.

Les humoristes d’Oslo l’ayant affublé d’un prix Nobel de la paix par anticipation, il n’en est que plus à l’aise pour assumer ce qu’il ne peut pas changer dans l’immédiat, l’engagement militaire en Irak et en Afghanistan, plus exactement dans l’ensemble « Afpak », qui englobe un Pakistan soumis à de redoutables tensions internes. En Irak, en dépit de l’annonce du retrait de la quasi-totalité des GI avant la fin 2010, la politique menée est la continuation de celle de la fin de mandat de Bush, le surge (sursaut) théorisé par le général Petraeus et mis en œuvre par Robert Gates, secrétaire d’Etat à la défense de l’administration précédente reconduit dans ses fonctions par Obama.

En Afghanistan l’envoi de 30.000 hommes supplémentaires pour éviter la reprise du pouvoir à Kaboul par les talibans ne peut être considéré comme un tournant majeur de la politique de Washington dans la région…

Enfin, le traitement du dossier nucléaire iranien, en dépit de l’offre de dialogue faite au régime islamo-fasciste d’Ahmadinejad et de Khamenei, se situe dans la continuité de celle de Bush : menaces de sanctions renforcées en cas de poursuite d’activité nucléaires militaires par Téhéran, à la notable différence qu’Obama ne laisse plus d’ambigüité sur d’éventuelles frappes militaires, exclues d’emblée.

La tentative d’encerclement diplomatique de l’Iran par l’enrôlement de la Russie et de la Chine dans le front des opposants à la nucléarisation militaire du régime de Téhéran n’a jusqu’à présent, pas produit l’effet escompté : Pékin et Moscou s’efforcent toujours de réduire la sévérité des sanctions projetées contre le régime d’Ahmadinejad lorsqu’elles sont évoquées dans les couloirs de l’ONU.

Pour le reste, on ressent une impression d’improvisation totale lors d’événements par nature imprévisibles, comme la récente tentative d’attentat dans un avion par un terroriste nigérian au service d’Al Qaïda. De sa villégiature hawaïenne, Obama minimise l’affaire en évoquant un « acte isolé », puis se ravise après qu’il a été établi que le terroriste avait reçu une formation ad hoc au Yémen. Il ne suffit pas d’éliminer l’expression « guerre contre terrorisme » du vocabulaire officiel pour que cessent les attaques de ce genre menées par une organisation dont les objectifs n’ont pas changé malgré le changement de discours à Washington. La discrimination instaurée après cet incident par les modes de fouilles différenciés selon le passeport des voyageurs, si elle avait été mise en place par l’administration Bush, aurait déclenché une avalanche de protestation dans nos contrées, alors qu’elle est accueillie avec un silence plutôt gêné par nos commentateurs habituels.

De plus, les nouveaux amis des Etats-Unis dans la « rue arabe » commencent à s’impatienter de ne pas voir les actes suivre les paroles. En Irak comme en Afghanistan ou dans le conflit israélo-palestinien, le monde arabo-musulman ne voit rien venir qui soit à la mesure de son rêve fou de voir les Etats-Unis se retirer du Dar al Islam. Ils craignaient Bush tout en le haïssant, et leur nouvelle inclination pour Obama n’est pas loin de se transformer en déception, qui devrait être suivie du mépris pour celui qui ne parvient plus à se faire respecter.
John Bolton, ancien ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU du temps de George W. Bush, décrit, dans la dernière livraison de Commentary, l’attitude d’Obama sur la scène mondiale comme celle d’un homme que ces questions n’intéressent pas, et qui cherche à atteindre le plus rapidement possible une situation dans laquelle les Etats-Unis délègueraient à une forme de gouvernance mondiale le soin de régler les affaires du monde. Cela s’appelle, selon Bolton, vivre dans la post-Amérique avant l’heure, en oubliant que la puissance oblige, et qu’il est dans les gènes de la démocratie américaine de se méfier vivement d’un pouvoir central trop puissant à Washington et absolument d’un pouvoir délégué à des instances internationales sur lesquelles le peuple des Etats-Unis ne peut exercer aucun contrôle direct. Comme John Bolton est affublé de l’étiquette infamante de « néo-con », il ne sera pas entendu de ce côté-ci de l’Atlantique. Cela ne signifie pas qu’il ait totalement et définitivement tort.

2010, Odyssée des résolutions (4)

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Etre plus résolu : il n’y a pas mieux qu’une résolution de résolution, pour commencer la nouvelle année du bon pied.

Carrefour, le pays où la mort est moins chère

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supermarket

Dans son dernier papier, l’ami Cyril Bennasar donne l’impression non pas de justifier mais d’expliquer la logique qui a présidé à ce qu’il faut bien appeler une exécution par cinq vigiles de Carrefour d’un jeune homme coupable d’un vol de canette de bière. Jusqu’à preuve du contraire, dans les dix commandements, « tu ne voleras point » arrive quand même assez loin derrière « tu ne tueras point » et, quelles que soient les circonstances, quel que soit le passé des uns et des autres, et même dans les sociétés primitives, comme les USA par exemple, pratiquant encore la peine de mort, aucun vol même le plus scandaleux n’est passible du châtiment suprême. Sinon, chez nous, il aurait fallu restaurer la guillotine pour mal de monde au moment des affaires du Crédit Lyonnais ou d’ Elf Aquitaine. On s’est contenté pour ces voleurs qui jouaient plutôt dans la catégorie « rétrocommissions sur frégates » que « canette de Bavaria » de les envoyer dans des quartiers VIP de la Santé, ce qui a pu leur permettre à d’écrire de bouleversants témoignages sur la condition pénitentiaire pour des à-valoir bien moelleux.

Et c’est très bien comme ça, d’ailleurs : justice est faite.

Dans l’affaire de ce pauvre garçon asphyxié sous le cul d’un vigile, on peut certes voir un fait divers. Seulement, et là Bennasar a raison, il n’y a pas de faits divers. Ou pour dire les choses autrement, le fait divers n’est jamais gratuit, il renvoie toujours à un état de la société. Longtemps, par exemple, avant l’américanisation du monde, le serial killer fut un phénomène anglo-saxon pour des raisons liées étroitement au puritanisme wasp qui entretient avec la sexualité des rapports complètements angoissés, voire schizophrènes. Stéphane Bourgoin, le spécialiste de la question, explique Cela très bien.

Dans l’affaire qui nous intéresse, il est d’abord utile de se souvenir que cela se passe chez Carrefour, vous savez l’enseigne dont l’ancien PDG a voulu partir avec plusieurs dizaines de millions d’euros d’indemnité alors qu’il avait à moitié planté la boîte et que des employés du côté de Bordeaux, exactement au même moment se battaient pour une augmentation d’1€ en tickets restaurants… Carrefour dont les méthodes de management par la terreur sont connues comme parmi les plus dures de la grande distribution. Une caissière soumise à des impératifs de rentabilité se plante dans le ticket de caisse ou fait une dépression nerveuse. Un vigile, lui, se met à tuer. C’est assez logique, et j’espère que les avocats de ces quatre hommes auront l’intelligence de jouer là-dessus plutôt que de tenter de salir la victime, qui répétons-le, quel que soit son pedigree, n’avait aucune raison de ressortir les pieds devant du pays où la mort est moins chère.

Plus généralement, ce fait divers pose également la question de la manière dont une société de plus en plus libérale assure sa sécurité. En théorie, dans le libéralisme classique, la sécurité fait partie des domaines régaliens de l’Etat, avec la défense, les affaires étrangères, la justice ou la levée des impôts. Il semble que ce soit de moins en moins le cas, ici comme aux USA d’ailleurs. Cela a commencé avec les polices municipales, devenues dans certaines villes comme Levallois de véritables gardes prétoriennes au service du maire. Cela s’est poursuivi avec des corps plus ou moins mixtes comme les agents de la sécurité de la RATP. Ce gouvernement ne cesse de dire qu’il aime la police nationale, celle qui est réellement formée, passe des concours difficiles, mais son impératif idéologique du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux s’applique aussi chez les pandores. La sécurité, c’est un métier, ça s’apprend et pas avec une formation bidon pour le neveu du maire qui va devenir chef de la police municipale de Loing sur Burettes et se prendre pour Rambo quand il surveillera la sortie des bals populaires.

Imaginez un instant que, pour raison de restrictions budgétaires, les polices privées et autres escouades de vigiles soient intervenues, même en partie, lors des révoltes de la banlieue en 2005. Alors que les forces de l’ordre ont fait preuve d’une abnégation et d’un sang-froid remarquables, limitant la casse humaine au maximum, on peut penser que les cohortes de flingueurs mercenaires auraient quant à elles laissé des dizaines de cadavres sur l’asphalte et le béton.

Les sociétés qui veulent survivre ont tout intérêt à confier l’ordre public et leur défense extérieure à des gens qui ne le font pas simplement pour une fiche de paie mais sont animés aussi par un minimum de civisme ou d’amour de la patrie. Sinon, on finit comme Carthage, pays de marchands qui confiaient la guerre à d’autres, vaincue par les légionnaires de Rome qui savaient eux pourquoi ils se battaient.

Nous n’en sommes pas encore là, nous n’avons pas comme l’Amérique en Irak employé les criminels de guerre de Blackwater, cette armée privée qui s’est sinistrement illustrées dans les combats de Fallouja.

Mais l’assassinat d’un jeune homme dans l’arrière-salle d’un hypermarché, n’est qu’un des premiers symptômes de cette privatisation de l’imprivatisable, si glorifiée aujourd’hui.

Le titre, hélas, n’est pas de moi mais de l’excellent recueil de nouvelles de Thierry Marignac, Le Pays où la mort est moins chère (Moisson Rouge éditions).

Pierre Sarkozy et l’Île des cochons

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Si on commence à bien connaître Jean Sarkozy, qui briguait il y a encore quelques mois la présidence de l’EPAD, on connaît moins le fils aîné du président de la République, Pierre Sarkozy, producteur de musique pour jeunes. Celui qui se fait appeler « Mosey » ou « Crime Chantilly » dans la galaxie rap fait, pour l’instant, assez peu parler de lui. C’est une brève du tabloïd britannique Daily News qui nous apprend que Pierre Sarkozy a miraculeusement échappé à la coulée de boue qui a tué plusieurs dizaines de personnes sur l’Île des cochons, proche de Rio de Janeiro, alors qu’il fêtait avec opulence la nouvelle année. La fête se tenait dans une maison, épargnée par ce déferlement dantesque de terre et d’eau mêlés, appartenant au chirurgien Ivo Pitanguy, proche de Carla Bruni. Moi ce que j’en dis : une « île des cochons », où l’on fait des orgies de riches décadentes noyées par des coulées de boues, à l’époque pré-babylonienne, un récit comme ça serait devenu un mythe qui aurait fini consigné dans la Bible… Mais il est à craindre que le fils du président n’en tire qu’un rap.

2010, Odyssée des résolutions (3)

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Dans la liste des résolutions nécessaires à prendre pour bien commencer l’année, il en est une qui a toute son utilité sur Internet : ne pas collectionner les points Godwin. Il vaut mieux tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant d’écrire (pour ceux qui ont un clavier lingual) ou se contenter de manger des Luftwaffles en souriant.

Identité nationale : qui hait qui ?

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Emmanuel Todd.
Emmanuel Todd.
Emmanuel Todd.

La haine de l’autre comme unique programme : à en croire l’anthropologue Emmanuel Todd, Nicolas Sarkozy ayant échoué sur le plan économique, « la recherche de boucs émissaires à tout prix » serait devenue « comme une seconde nature ». Il le proclame haut et fort dans un entretien publié par Le Monde du 28-29 décembre : « Le gouvernement, à l’approche d’une échéance électorale, propose, je dirais même impose, une thématique de la nation contre l’islam. » Comme citoyen, Todd est révulsé. C’est son droit et on peut au moins lui reconnaître une certaine constance : depuis 2007, il n’a cessé de pilonner le président de la République, en qui il voit le symptôme et la cause d’une maladie française qui, pourtant, explique-t-il, n’existe pas, puisque Sarkozy et le dernier carré de ses électeurs en sont les ultimes survivances.

Todd détient l’un des plus jolis cerveaux du pays, formé dans les meilleures écoles britanniques. Il peut donc tenir avec brio deux discours parfaitement contradictoires – chanter l’air de « tout va bien », décréter que la France est en train de « réussir son intégration », et décrire le sarkozysme comme une « pathologie sociale » relevant « d’une analyse durkheimienne – en termes d’anomie, de désintégration religieuse – et marxiste ». Comment cette pathologie a-t-elle pris dans une société en bonne santé, voilà ce que Todd, fort de ses séries statistiques et de quelques certitudes ne nous dit pas.

Pas mal de mes amis le détestent – ce qui doit lui faire très plaisir. Pour ma part, je l’avoue, j’aime bien Emmanuel Todd. D’abord, c’est un copain et il peut être d’un commerce passionnant, amusant et même amical, pour peu qu’on évite ses mauvaises périodes et les sujets qui fâchent – ce qui devient, il est vrai, assez compliqué. En prime, très beau garçon, irrésistible quand il s’énerve. C’est en lisant L’Illusion économique que j’ai compris la mécanique perverse du libre-échange. Et son essai sur le déclin de la puissance américaine est bien plus démonstratif que ne le pensent ceux qui sont convaincus de l’avoir lu quand ils se sont contentés de quelques articles.

Qu’il y ait deux Todd – le savant brillant et l’idéologue énervé – n’est ni surprenant, ni choquant. Idéologue, nous le sommes tous un peu. L’ennui, c’est que c’est souvent le second qui s’exprime avec le langage et surtout avec l’autorité du premier. On interroge l’intellectuel et c’est le spécialiste de l’agit-prop qui répond. Certes, les lunettes à travers lesquelles il voit le monde sont sophistiquées. Elles observent des courbes encourageantes et annoncent le progrès inéluctable de l’humanité. Le problème, c’est que, loin de le rendre clairvoyant, elles l’aveuglent, en lui masquant toute la réalité qui n’entre pas dans ces merveilleuses extrapolations – c’est-à-dire une bonne partie de celle-ci et pas la plus affriolante. Todd sait faire parler un taux de fécondité comme personne, mais on dirait souvent qu’il ne voit pas ce qui se passe autour de lui. Notamment parce que, pour lui, les croyances et les représentations n’ont aucune valeur explicative en tant que telles.

Les propositions qu’il avance dans Le Monde méritent donc d’être examinées, d’abord à cause de l’assurance inébranlable avec laquelle il les formule (le doute méthodique n’est pas trop son truc), ensuite parce que, malgré leur caractère manifestement outrancier, elles passent pour raisonnables.

Première évidence supposée : le gouvernement aurait, à l’approche des régionales, imposé la thématique de la nation contre l’islam. Outre qu’on ne voit pas très bien ce qu’il aurait eu à y gagner (il aurait plutôt intérêt à gagner les voix des musulmans qu’à les perdre), il faut vraiment être naïf ou de mauvaise foi pour affirmer que le gouvernement est en mesure d’imposer un quelconque débat. Au contraire, il semble que tout le monde ait été pris au dépourvu par les passions suscitées par l’initiative de Besson. De fait, le débat sur l’identité nationale s’est transformé, avec un petit coup de pouce des Suisses, en débat sur la place et la nature de l’islam en France. Ça ne plait pas à Emmanuel Todd qu’on se pose de telles questions. D’ailleurs, personne ne se les pose plus : « En 1994, dit-il, la carte du vote FN était statistiquement déterminée par la présence d’immigrés d’origine maghrébine, qui cristallisaient une anxiété spécifique en raison de problèmes anthropologiques réels, liés à des différences de système de mœurs ou de statut de la femme. Depuis, les tensions se sont apaisées. Tous les sondages d’opinion le montrent : les thématiques de l’immigration, de l’islam sont en chute libre et sont passées largement derrière les inquiétudes économiques. » Le récent sondage du Parisien dans lequel il apparaissait qu’une moitié des Français avoue des inquiétudes concernant l’islam a dû échapper à Todd. Il ne voit ni l’augmentation du nombre de femmes en burqa, ni la persistance du caïdat dans les cités, ni le recul de la mixité, ni le fait que des Français de toutes origines peuvent légitimement être troublés quand certains de leurs concitoyens affichent leur détestation de la France. Au nom de l’islam ou de ce qu’ils prennent pour l’islam. Peu importe, Todd en est convaincu : ces troubles et ces inquiétudes sont en chute libre. En réalité, Todd voit ce qu’il croit.

À l’appui de ses convictions, Todd brandit l’exogamie des enfants d’immigrés. « Les populations d’origine musulmane de France, dit-il, sont globalement les plus laïcisées et les plus intégrées d’Europe, grâce à un taux élevé de mariages mixtes. » Le problème est que ce constat date de 1994, date à laquelle il écrivait Le destin des immigrés. Depuis, ce type de statistiques étant de facto interdit aux chercheurs, on ne sait pas dans quel sens s’est déplacé le curseur. Seul un optimisme de principe permet de décréter que cette tendance à l’exogamie s’est poursuivie sur sa lancée. Todd a sans doute raison quand il dit que les Français « n’en ont rien à foutre des questions de couleur et d’origine ethnique ou religieuse ». En déduire qu’ils se fichent tout autant des différences culturelles et des revendications identitaires suppose un saut franchement périlleux.

Je n’ai pas, il est vrai, la moindre statistique à opposer aux certitudes d’Emmanuel Todd, seulement le sentiment qu’en une vingtaine d’années l’intégration des enfants d’immigrés a reculé plutôt qu’elle ne s’est améliorée et que, chez une partie d’entre eux, la proclamation identitaire a pris le pas sur la revendication égalitaire : de la marche des Beurs à la Marseillaise brûlée et à « la burqa, où je veux », Todd trouve que « les tensions se sont apaisées ». Moi pas. Et j’avoue que je ne sais pas comment une même réalité peut donner lieu à deux perceptions si contradictoires.

Mais là où l’ami Todd charrie carrément, c’est quand il explique que ces tensions (apaisées, rappelons-le) sont le produit d’une politique machiavélienne et cynique consistant à attiser la haine des uns contre les autres pour faire passer la pilule de l’échec économique. En somme, aux difficultés existantes, Nicolas Sarkozy aurait délibérément choisi d’ajouter le malaise national – qui bien sûr n’a aucun autre fondement – en dressant les « de souche » contre les « issus de ». La panne de l’ascenseur social que Todd analysait il y a dix ans, c’est lui ! La machine à fabriquer des Français grippée, c’est lui ! Le vote FN des anciens cocos, encore lui ! L’islam salafiste dans nos banlieues, les filles interdites de jupe, la Marseillaise sifflée par des Français : tout ça, ce sont des inventions de Sarkozy pour effrayer le bourgeois et, plus encore, le petit blanc.

On passera rapidement sur le caractère complotiste de l’hypothèse selon laquelle la France – comprenez Sarkozy – aurait « une stratégie de confrontation avec les pays musulmans – comme en Afghanistan ou sur l’Iran » pour des raisons ayant trait au « jeu intérieur ». En somme, notre gouvernement néo-colonial s’en prendrait aux fiers Pachtouns et aux rudes Persans, qui ne font de mal à personne, pour intimider nos pauvres Arabes ?

Certes, on peut croire Emmanuel Todd sur parole : à long terme, les progrès de l’alphabétisation et la baisse de la fécondité auront fait triompher la raison dans les zones les plus reculées de ces deux pays tenues en coupe réglée par des barbus tendance stal et dans pas mal d’autres endroits. Fort bien. Mais tous les ploucs qui n’ont pas la chance de vivre dans l’éternité de la démographie savent qu’à long terme ils seront tous morts. Et, en attendant cet heureux dénouement, ils ne trouvent pas très riant l’islam politique tel qu’il s’affiche au niveau planétaire. Ils ont certainement tort, tous ces lepénistes cryptos, actuels et futurs qui ne comprennent rien au vent de l’histoire, mais ils doivent bien avoir eux aussi leur place dans les courbes et les statistiques dans lesquelles Todd lit l’avenir ?

Ce Sarkozy est vraiment démoniaque. Saviez-vous qu’en 2005, il « a mis le feu aux banlieues » pour récupérer l’électorat frontiste – d’ailleurs, Todd ne nous dit pas ce qu’il conviendrait de faire de cet électorat, le déchoir de son droit de vote, l’encourager à revoter Le Pen pour pouvoir faire la fête ? Croit-il vraiment que des gamins et moins gamins qui ne peuvent prononcer une phrase entière sans dire « nique », « ta race », « chien » et bien d’autres gracieusetés encore et qui annoncent tous les deux paragraphes qu’ils vont « tuer un bâtard » sont si sensibles au beau langage qu’ils n’ont pas supporté « racaille » et « kärcher » et qu’animés par une légitime révolte devant de tels écarts, ils ont brûlé les voitures de leurs parents et l’école maternelle de leurs petits frères ?

On espérait y échapper. Pitié pas Vichy, pas lui. Mais bien sûr, il a fallu que les années 1930 pointent leur nez. Le dialogue entre l’intervieweuse et l’interviewé sur le thème « vous avez dit fascisme ? » est un morceau de choix dans le genre « je dis tout et son contraire » qui est, selon Todd, une caractéristique du sarkozysme. Réponse, en substance : ce n’est pas pareil mais ça y ressemble. Ou l’inverse. Comportements nouveaux qui renvoient au passé, comparaison qui n’est pas confusion mais un peu quand même, Etat au service du capital, l’idée c’est que Sarkozy fait du vieux avec du neuf et du neuf avec du vieux. « Quand on est confronté à un pouvoir qui active les tensions entre les catégories de citoyens français, on est quand même forcé de penser à la recherche de boucs émissaires telle qu’elle a été pratiquée avant-guerre. » On pourrait ajouter que quand on construit un monde fantasmagorique peuplé de bons et de méchants, on aboutit forcément à une conclusion délirante.

Précisons-le clairement : Emmanuel Todd ne dit jamais que le sarkozysme est un fascisme. Seulement, il ne peut pas ne pas y penser. Il ne nous dit pas non plus que les musulmans d’aujourd’hui sont les juifs d’hier et que l’étoile verte est en train de remplacer l’étoile jaune. Mais on ne peut pas ne pas y penser.

Alors moi aussi, je voudrais poser une question, au copain, au citoyen et au savant : quand tu mobilises cet imaginaire-là et ces références-là, es-tu certain, cher Mano, de ne pas être aveuglé par une haine qui ne te sied guère ?

Mars patraque

14

Le temps passe. On les a connus bébés, on ne les voit pas grandir et c’est à peine si on les reconnaît quand on les retrouve. Il y a six ans encore, le monde entier parlait du petit Spirit : la Nasa avait expédié ce robot de 180 kilos (un beau bébé !) sur Mars afin d’explorer la planète rouge. Aujourd’hui âgé de six ans, Spirit va mal. Ses six petites roues sont enlisées. Il est incapable de bouger et les panneaux solaires qui l’alimentent sont tout pleins de poussière martienne ! Les scientifiques de la Nasa ne devraient pas tarder à livrer la conclusion qui s’impose : si l’on ne peut exclure définitivement la possibilité d’une vie extraterrestre sur Mars, en revanche la certitude est désormais acquise qu’il n’y a aucune femme de ménage dans l’horizon martien. Va encore falloir tout faire soi-même. Saloperie de planète !