Accueil Site Page 2832

J’aurais voulu être de droite

274

Parfois, j’aimerais bien être de droite. La droite, maintenant, c’est très tendance (même Carla est devenue de droite avant d’être bientôt enceinte électoralement) et c’est la bonne conscience en prime. Avant, la bonne conscience, c’était la gauche. La certitude de l’avenir radieux, l’horizon indépassable de la société sans classe, les jours de pain et de roses. Ca rendait sûr de soi, on allait au martyre le sourire aux lèvres, on savait ce que ça coûtait : on parlait pour les fantômes massacrés de la Semaine Sanglante et l’ombre juvénile des fusillés de Chateaubriand.

C’est la droite qui rasait les murs. Elle avait le pouvoir politique, économique mais elle rasait les murs quand même. Voyez comment vivaient les grands bourgeois chez Mauriac, les moins grands chez Nourissier et les petits, voire très petits, chez Maupassant ou Simenon. On se cachait, on avait un peu honte, on se sentait obligé de faire la charité en se rappelant qu’il serait plus difficile pour un riche d’entrer au paradis que pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille. On lisait Léon Bloy comme d’autres revêtent un cilice, pour se faire souffrir. On se souvenait qu’il n’était pas rare de voir jusqu’au XIXème siècle des gens riches, le grand âge arrivant, se débarrasser de toute leur fortune comme d’une tunique de Nessus, la distribuer pour passer leurs dernières années confits en dévotion dans un couvent et espérer un hypothétique salut. Imaginez la même scène avec, disons, Serge Dassault, pour voir…

Et puis les choses ont changé. Les protestants ont commencé à déculpabiliser le riche. La fortune, signe d’élection divine. Cela a fait un tabac aux Etats-Unis, le premier pays de la droite vraiment décomplexée, de la droite sans mauvaise conscience : une Bible dans une main pour maintenir le pauvre dans la terreur de Dieu qui ne l’aime pas puisqu’il est pauvre, et de l’autre un fusil pour les pauvres qui auraient l’insolence de ne pas se laisser faire : Peaux-Rouges, Noirs, Communistes, ou si vous préférez Sitting Bull, Martin Luther King ou Sacco et Vanzetti, tous morts de mort violente au pays de la démocratie. À la fin, on en arrive aux mamans Grizzly des Tea Parties, comme la belle Sarah Palin, dont les discours sont tellement inspirés par le Bien, le Beau et le Vrai, que n’importe quel fou furieux se croit autorisé à tirer dans le tas des adversaires politiques et à faire six morts et douze blessés, ce qui, on en conviendra, est le comble de la bonne conscience déculpabilisée.

Chez nous, on n’en est pas là. Mais tout de même, la parole s’est pas mal libérée, comme on dit, et les dissidents de l’époque des Maitres censeurs d’Elisabeth Levy sont maintenant très écoutés.
J’entendais Michel Godet, il y a peu. Où ça ? Quelle importance : il est partout. Et quelle bonne conscience dans la façon de massacrer du fonctionnaire, de pourfendre l’assistanat, de célébrer les vertus définitives, cardinales, hypostasiées du Privé contre le Public : il sait d’ailleurs de quoi il parle puisqu’il a fait sa carrière exclusivement dans ce dernier. J’adorerais avoir de telles certitudes, être enfin certain que si les pauvres sont pauvres, c’est parce qu’ils ne se bougent pas assez et que la CGT est archaïque, corporatiste et dangereuse. En plus, tout le monde dirait que j’ai raison. Ça me changerait.

Parce qu’on n’ose plus trop bouger à gauche. La droite, son surmoi religieux a sauté tandis que nous, à gauche, on vit avec le ça du communisme : la dérive stalinienne, les expériences très moyennement réussies du socialisme réel à l’Est, la chute du Mur, on a beau dire, depuis, on se sent beaucoup moins à l’aise. Tellement moins à l’aise qu’un candidat comme Jospin modèle 2002 finit par dire que son programme n’est pas socialiste et que l’Etat ne peut pas tout tandis que DSK 2011, en président du FMI, prouve qu’un socialiste peut être un homme de droite comme un autre et saigner à blanc les peuples déficitaires, ce qui lui vaut la considération de tous.

Maintenant, j’en suis même à avoir honte d’être de gauche. On se sent tous toujours un peu coupable, finalement depuis que les nouveaux philosophes et François Furet nous ont expliqué que Saint-Just ou Robespierre, ils étaient pratiquement des gardiens de goulag en avance sur leur temps et que le nazisme puisait ses racines à gauche puisque que l’Etat s’occupait de tout. Que finalement, vouloir maintenir la retraite à soixante ans ou réclamer le respect du Code du travail, c’était ça le conservatisme, voire les prémices du totalitarisme.

Alors on rase les murs idéologiques qui ont des oreilles et qui nous dénoncent à Michel Godet dès qu’on chuchote entre nous, le rouge de la honte aux joues, des choses du genre : « Tu ne crois pas que ce serait normal de limiter de un à vingt l’écart des salaires dans une entreprise, comme le recommande la Confédération Européenne des Syndicats qui pourtant ne sont pas des bolcheviques. » Et alors là, mes amis, c’est le déluge : « Honteux ! Démagogique ! Populiste ! Vous voulez paralysez l’initiative ! La compétition ! Partageux ! » Il y a même des dessinateurs de presses qui montrent notre vraie nature avec esprit en croquant Mélenchon lisant le même discours que Marine Le Pen (qui elle-même est à gauche des identitaires, d’ailleurs)

Non, ce serait quand même mieux d’être de droite. Par exemple, si j’étais de droite, et ministre, je pourrais mentir, décorer des amis que je ne suis pas censé connaitre, faire financer mon parti par la première fortune de France, brader un hippodrome et demander à ce qu’on cesse de me harceler uniquement sur ma bonne mine qui est celle d’un honnête homme. Ou alors, je pourrais prendre des avions avec mon conjoint lui-même ministre et me draper dans ma dignité post-gaullienne si on me faisait remarquer que je ridiculise la diplomatie française.

Je pourrais aussi expliquer aux Français, en le croyant vraiment si ça se trouve, que le premier problème, ce n’est pas le chômage mais l’insécurité et que si ça ne fonctionne pas mieux, c’est parce que les policiers et les juges ne font pas leur travail. Tout en supprimant des milliers de postes et en ne remplaçant qu’un départ à la retraite sur deux. Et personne ne me dirait rien quand je ferais le lien entre délinquance et immigration ou que j’amuserais le tapis avec les Roms, le temps d’un été.

Je pourrais, rêvons un instant, être patron de France Telecom et responsable d’un management meurtrier qui aurait conduit des dizaines d’employés au suicide, me faire remplacer parce que trop c’est trop, mais rester quand même, comme n’importe quel ministre qui s’accroche, avec le titre de conseiller spécial, uniquement le temps de faire valoriser mes stock-options dont le cours est un peu trop bas en ce moment.

Oui, vraiment, quelle malchance d’être de gauche et de ne pas savoir me lever tôt le matin, travailler plus pour gagner plus et surtout de ne pas être le dépositaire de ces valeurs fondatrices de la droite et si visiblement illustrées aujourd’hui : la liberté, le respect, la responsabilité individuelle et la dignité.

Halde Sans Frontières

17

Dans un désopilant exercice de cyber-communication dont la technophilie béate serait en mesure, si l’on était mieux luné, de nous réconcilier avec le relatif classicisme de la communication gouvernementale française, le Premier ministre chinois Wen Jiabao, tout en gomina et sourires mielleux, au détour d’un chat, a cyber-promis aux centaines de millions de cyber-paysans de son pays que lorsqu’ils émigreront en ville, ils auront dorénavant le droit de se faire exploiter aux mêmes conditions que les autres.

Grâce à ses gigantesques armées de réserve, le capitalisme chinois invente l’exploitation durable et équitable par la réforme du système de passeport intérieur dit du hukou qui limite encore aujourd’hui le droit de circuler librement en Chine. Pékin nous fournit ainsi la preuve que la lutte contre toutes les discriminations est parfaitement compatible avec l’hyper-exploitation capitaliste et l’hypo-démocratie socialiste. Et nous prouve aussi que même si le souffle de 1789 ne va pas jusqu’à Pékin, nous sommes capables d’exporter autre chose que des sacs Vuitton vers la Chine.

L’ex-président de la Halde Louis Schweitzer, qui lorsqu’il était à la tête de Renault n’est jamais parvenu à vendre quoique ce soit aux Chinois, saura sans doute s’en féliciter. Dommage cependant que les droits de propriété intellectuelle sur le business model de la Halde soient vraisemblablement moins élevés que ceux des brevets de Renault sur les véhicules électriques.

L’euro, grand perdant des législatives irlandaises

149

Les élections législatives irlandaises ont paradoxalement très peu attiré l’attention alors que l’avenir de la monnaie unique se joue peut-être ici. Les partis qui vont former le gouvernement ont en effet promis de renégocier le « plan d’aide » européen. Un bras de fer décisif devrait commencer.
Une révolte démocratique

Nous ne sommes pas encore dans la situation de l’Islande, mais l’Irlande devient un nouveau foyer de trouble pour la zone euro. En effet, le Fianna Fail au pouvoir a connu une déroute historique, puisqu’il devrait passer de 73 sièges (sur 166) à seulement 20. La majorité devrait être composée du Fine Gael (36% des voix, 72 sièges) et du Labour (20% des voix, 38 sièges contre seulement 20 auparavant). Ces deux partis ont promis une renégociation des termes du plan négocié à l’automne.

Ceci démontre la révolte du peuple Irlandais contre les conditions de cette aide, très mal acceptées. En effet, la population compare sa situation avec celle de l’Islande, qui a choisi de ne pas sauver ses banques et de ne pas suivre les recommandations de la communauté internationale avec succès, comme le reconnaît Paul Krugman. Les Irlandais ont l’impression qu’ils paient pour sauver les banques continentales qui avaient contribué à la bulle des quinze dernières années.

Une situation très instable

Du coup, on peut anticiper un beau bras de fer entre le nouveau gouvernement Irlandais et l’Union européenne sur la renégociation du plan de soutien. La nouvelle équipe au pouvoir ne pourra pas se contenter de concessions a minima sous peine de perdre immédiatement la confiance des électeurs (ce qui pourrait également provoquer l’explosion de la coalition), mais les instances européennes ne seront guère partantes car cela pourrait pousser la Grèce à faire de même.

En outre, il n’est pas évident que l’Allemagne accepte une restructuration qui serait sans doute très critiquée par des médias aujourd’hui déjà échaudés par la perspective d’avoir un Italien à la tête de la BCE. Pire, la banque centrale irlandaise crée actuellement de la monnaie pour aider ses banques (outre la recapitalisation par le gouvernement) car l’argent fuit le pays (comme en Argentine avant 2002). En résumé, la situation est totalement explosive, tant économiquement que politiquement.

Bref, les plans « d’aide » européens ont seulement permis de gagner du temps et de réduire la pression sur les marchés. Mais rien n’est réglé car les capitaux fuient toujours la Grèce et l’Irlande et les peuples de ces deux pays contestent de plus en plus les plans. Quels seront les prochains ?

Sarkozy vire MAM sans états d’âme

119
On s'appelle ?

Pas un mot, pas le moindre hommage, même hypocrite, à une dame que l’on congédie sans ménagements, c’est assez peu courant dans notre démocratie policée… Faut dire qu’elle l’a bien cherché, et fait tout ce qu’il convenait pour être traitée de la sorte… Si j’étais féministe, je serais aux anges : enfin une femme virée sans que l’on puisse le moins du monde mettre sa chute sur le compte de son sexe et du machisme au sommet.

Tout de même, j’aurais préféré que Nicolas Sarkozy eût pour elle les égards que le moindre homme du monde doit à la maîtresse qu’il congédie : le bouquet de fleurs (chères) avec un petit mot du genre : « Elles faneront, vous jamais ! », tout cela mis en musique rhétorique par l’excellent Henri Guaino, cela aurait eu de la gueule !

Peut-être s’est-elle sacrifiée pour que son compagnon Patrick Ollier reste au gouvernement, ce qui ajouterait du sel à la tragédie qu’un Sophocle moderne ne va pas manquer d’écrire…

Mais, j’en conviens, on n’en est plus là, il y a vraiment le feu au lac et la présidentielle c’est demain. Nicolas l’a bien compris, et s’est conformé à la célèbre formule de Jean Cocteau « Puisque ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs ! ».

Je suis, sur le coup, resté relativement sceptique sur ces paroles présidentielles, jusqu’à ce que Benoît Hamon, porte-parole du PS apparaisse sur les écrans. L’opposition a le droit de tout dire, c’est même son devoir, mais il ne faut pas abuser : affirmer que c’est le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN qui a provoqué l’engagement des troupes française en Afghanistan est une stupidité : nos « boys » y sont depuis 2001… Zont pas de fiches au PS ? C’est grave…

Kadhafi ? Semper Fi !

20

Quand on parle d’une possible intervention militaire en Libye et d’une éventuelle désintégration de cet État, l’hymne des Marines américains sonne plus juste que jamais. Le deuxième vers du premier couplet, qui commence ainsi :
From the hall of Montezuma
To the shores of Tripoli
[1. Le premier vers évoque, lui, le conflit américano-mexicain de 1846-1848 qui entérinera l’annexion du Texas et provoquera celle de la Californie. Sans les Marines Hollywood serait peut-être mondialement connu pour ses plantations de cactus…]
évoque en effet un vieux fait d’armes – peu connu par chez nous – dans ces contrées lointaines. Les États-Unis ont mené au début du XIXe siècle deux guerres dans le Maghreb, connues sous l’appellation opérettienne de « guerres barbaresques » qui furent la première intervention de troupes américaines en sol étranger. Pour une analyse géopolitique poussée de la situation, référez vous – n’est pas Bernard Guetta qui veut – à Wolfgang Amadeus Mozart et son Enlèvement au sérail. À l’époque les États barbaresques (le sultanat du Maroc et les régences d’Alger, Tunis et Tripoli) rackettaient le transport maritime au large de leurs côtes, une pratique qui n’est pas sans rappeler l’actuelle Somalie.

L’indépendance américaine ayant ôté aux treize colonies la protection de la Royal Navy – on ne peut pas avoir le thé et l’argent du thé – la jeune république en avait marre de payer des rançons (1 million dollars or par an, quand même) et décida de régler l’affaire à coups de canon. Quand Napoléon, déjà Empereur, concentrait ses forces au camp de Boulogne, quelques mois avant Trafalgar et Austerlitz, les Américains ont mené leur petite guerre maritime et inauguré une présence navale, ininterrompue depuis, en Méditerranée.

Et la France dans tout ça, me demanderez vous avec raison ? Eh bien, l’air emprunté par les braves Marines pour leur hymne –composé vers 1870 – a été fortement inspiré par L’air des gendarmes de l’opéra bouffe Geneviève de Brabant d’Offenbach.

Avant de crier au vol, rappelons que le grand Jacques s’était lui-même très probablement inspiré d’un air espagnol « populaire » (c’est à dire sans auteur reconnu). Il faut espérer que si jamais Français et Américains se voient obligés de revisiter en uniformes les côtes barbaresques, que cela ne ressemble pas à The Pirates of Penzance ou à La Grande-Duchesse de Gérolstein. Pas gagné, vu la garde-robe de Kadhafi…

United States of Boeing

46

Ce qu’il y a de bien, avec les USA, c’est que la démocratie c’est bon pour eux mais que pour les autres, c’est en option. L’arbre de la vertueuse indignation contre l’Iran n’empêche pas de cacher la forêt des grandes et petites crapuleries que sont, parmi tant d’autres, le soutien inconditionnel à l’Arabie Saoudite ou la bienveillante neutralité contre le gouvernement putschiste du Honduras.

Dans le même ordre d’idée, les USA sont les champions du libre échange et de la mondialisation dans les sommets du G20, mais pour les autres aussi. Chez eux, c’est une autre affaire. On oublie souvent (enfin, on l’oublie beaucoup moins quand on traverse le Borinage ou le Valenciennois) qu’ils sont la dernière nation occidentale à produire encore massivement de l’acier grâce à un protectionnisme douanier qui ferait passer Nicolas Dupont-Aignan pour un néolibéral échevelé.

Dernier exemple en date de cette conception très particulière de la concurrence libre et non faussée, le choix par l’armée américaine, pour ses avions-ravitailleurs, du constructeur national Boeing contre l’Européen EADS dont la version militaire du A 330, le KC-45, a été recalée au profit d’un avion encore prototype dont les spécialistes s’accordent à penser que la fiabilité est, disons, aléatoire…
Vole, Forest, vole…

Céline exclu ? Tant mieux !

4

Je suis très heureux que Louis-Ferdinand Céline soit exclu des Célébrations nationales 2011, et très satisfait qu’Hervé Bazin y figure. Plus que cela même : j’en suis soulagé, voyant ainsi l’ignoble auteur de Mort à crédit et de Féérie pour une autre fois privé d’un florilège de gâteries et laissé à son indignité.[access capability= »lire_inedits »]

Celui-ci, en effet, n’aura pas droit − et c’est bien fait pour lui − à la « Nuit Céline », moment convivial et privilégié où une lecture à la bougie d’extraits du Voyage aurait permis d’apprécier la modernité du Passage Choiseul. Il ne bénéficiera pas du jumelage festif entre Courbevoie et Sigmaringen (stands, orchestre et banderoles), du parcours avec audio-guides dans les rues de Meudon (texte sobre mais poignant lu par Dussolier), du sourire entendu de Pujadas nous invitant à découvrir un reportage exclusif sur les danseuses du Crazy Horse (en hommage à celui « qui a tant écrit sur elles »).

Loin des baisers carnavalesques

Il n’existera pas, voilà tout, de « rue Bardamu », de buste facétieux de l’auteur en simili-cuivre, de son et lumières dans des tranchées reconstituées, d’hôtesses badgées LFC, de reprise par une centaine de choristes d’A nœud coulant. Nous ferons, tant pis, sans les trémolos de Frédéric Mitterrand déclamant dans les allées du cimetière des Longs-Réages que « la plus grande conquête d’un écrivain, c’est son propre style », ou quelque chose dans ce goût-là ; sans les nouvelles magistrales et ferroviaires de dix écrivains offrant à Télérama une mise en abyme sans concessions de Rigodon ; sans les contre-manifestants arborant des tee-shirts citoyens, ornés d’un courageux « Lire ? Plus jamais ça ! » ; sans l’émoi de Joy Sorman trouvant inconvenant qu’on célèbre encore, au XXIe siècle, de vieux mâles blancs hétéro-fachos qui, comme par hasard, s’appellent comme des filles ; sans les larmes d’Alexandre Jardin, lisant la voix étranglée d’admiration scandalisée, des extraits des Beaux draps sous contrôle d’huissier.

Céline, et il n’a qu’à s’en prendre qu’à lui, n’aura pas droit aux panneaux publicitaires, aux bornes interactives, aux quiz de France Culture, aux rires sous cape de Ségolène Royal, aux déclarations de Jamel Debbouze, aux calembours salutaires de Libération, à la ronde des indignés, des contre-indignés, des défenseurs de refusés, des accusateurs de promus …

Je suis très heureux que Louis-Ferdinand Céline soit exclu des Célébrations nationales 2011 ; et très satisfait qu’Henri Troyat y figure. Très heureux que le génial auteur de Mort à crédit et de Féérie pour une autre fois gêne encore aux entournures, révèle toujours aussi bien la confusion d’une époque piteuse et prouve sans effort l’incapacité de celle-ci à comprendre ce qui n’est pas simplifié, nettoyé, digéré. Soulagé qu’il puisse ainsi échapper, de peu il est vrai, aux baisers carnavalesques puant la mort.[/access]

Sarkozy remanie MAM

32
Michèle Alliot-Marie
Virer Michèle Alliot-Marie : le grand chantier du quinquennat de Nicolas Sarkozy.

C’était samedi après-midi, sur les coups de 16 heures. Mon mari Willy était parti faire un sit-in de protestation contre le colonel Kadhafi[1. Quand il ne surveille pas la révolution arabe, Willy s’occupe à la lombriculture au fond du jardin. Je pourrais dire que je préfère encore ça à le voir boire. Mais Willy boit aussi. Rien ne le dérange.]. T’as beau être guide de la Révolution de la Grande Jamahiriyya arabe libyenne populaire et socialiste, t’en mènes pas large quand tu sais qu’à 2 000 kilomètres à vol d’oiseau trente écolos allemands passent leur après-midi à s’asseoir contre toi. Tu ne peux pas t’empêcher de penser à Rommel et à ses boys. Parlant gigolos teutons, une envie subite vint à tromper mon ennui : mater de beaux mecs. Des vrais, pas des chochottes. Des tatoués, des virils, des légionnaires. Ma came virtuelle, c’est le criminel balafré, l’ex-taulard, le repris de justice. Avec un truc si maousse que tu en oublies jusqu’au calendrier des dieux du stade. J’ai donc fait comme n’importe qui : je suis allée sur le site du Figaro, histoire de voir si l’une ou l’autre photos d’Eric Zemmour n’y traînait pas. Rien. A peine quelques poses de Jean d’Ormesson claquant de chastes bises à Ivan Riouffol. C’est pas la peine, Zemmour, d’entrer dans un tribunal et d’en ressortir avec le costard de plus grand délinquant du siècle, faut assurer après.

De dépit, j’étais sur le point de googliser le slip kangourou de Boris Boillon (il a dû avoir sa période chiraquienne, le diplaymate), quand la « une » du site du Figaro m’arrêta. Un titre : « Un remaniement a minima annoncé dimanche soir ». Une photo de MAM légendée : « Le départ de Michèle Alliot-Marie est acté. Reste le plus dur pour le chef de l’Etat : lui annoncer car « elle n’est pas du tout dans cette disposition d’esprit ». » Et le journaliste, Charles Jaigu, de rapporter les propos d’un proche de l’Elysée : « La décision étant prise de congédier Michèle Alliot-Marie, il paraît impossible de la laisser partir pour Genève le lundi, où elle doit retrouver Hillary Clinton. »

Les bras m’en sont tombés. J’ai d’abord pensé à Michèle Alliot-Marie. Elle est congédiée, licenciée, virée et on ose parler de « remaniement a minima ». La giga-catastrophe, plutôt. Vider les armoires, préparer les cartons, faire les valises – de quoi y passer tout un week-end. Les journalistes du Figaro n’ont-ils donc aucun sens des réalités ? Qu’ont-ils alors dans la tête ? Ils pensent que MAM ne lit pas la presse à l’exception des pages consacrées à l’immobilier tunisien ? Ils pensent que son petit cœur ne saigne pas quand elle lit, sous la plume d’un éminent journaliste, qu’elle est un peu mal-comprenante, voire tout à fait con ? Ils croient que ce n’est pas une mesure vexatoire d’être remplacée par ce chauve de Juppé, alors qu’elle a dépensé toute sa carrière en chiraquisme et en produits L’Oréal ? Ne le valait-elle pas ? Et puis, ce voyage à Genève, lundi, pourquoi l’annuler ? Il ne coûte rien à la France, vu que le vol est pris en charge par Tunis Air Line. Non, il n’y a pas de justice. L’autre jour, c’est le prix du « colonialisme » qu’on lui remettait. Aujourd’hui, c’est à la colonie pénitentiaire qu’on veut l’envoyer. Ah ! Ça vous apprendra à vous occuper de vos vieux parents plutôt que de les abandonner, grabataires, à l’hospice.

Mine de rien, songer aux affres mamesques, ça peut vous prendre toute une journée. Comme je n’étais pas en jambe, c’est vers Nicolas Sarkozy que mon esprit a volé. La crise économique, le G20, la résolution du conflit géorgien : tout ça n’est que peau de balle pour le président français, comparé à l’affaire MAM. Il a bien pensé, je suppose, à lui envoyer un SMS : « Tu te casses, j’annule rien. » Il a pensé également, je présume, à faire écrire par Henri Guaino un petit mot d’excuse. Peste, variole, mort subite du nourrisson. Non, rien n’y fera : il devra affronter MAM. Il devra la recevoir à l’Élysée ou à la Lanterne pour lui expliquer que, décidément, il n’y a plus rien à faire et que tout est fini. Elle ne l’entendra pas. Car, sitôt arrivée où on la convoquera, elle sera déjà en train de faire la vaisselle ou de passer l’aspirateur (faut pas compter sur l’autre, qui ne fait rien que de chanter des chansons quand elle ne s’acharne pas sur le cadavre encore chaud de Charles Trenet). Et le président de la République de lui dire : « Michèle, il faut en finir. » Et elle de lui répondre : « J’ai pas fini de passer l’aspirateur. » Puis, comme un malheur n’arrive jamais seul, Patrick Ollier débarquera dans la pièce, élégamment sapé d’une livrée Louis XVI, une fourchette dans la main gauche, du blanc d’Espagne dans la droite : « Je finis l’argenterie et j’attaque les cuivres. » Non, décidément, être président de la République en France n’est pas un métier de tout repos. Je me demande parfois s’il ne vaut pas mieux être guide de la Révolution de la Grande Jamahiriyya arabe libyenne populaire et socialiste.

Notre pain quotidien (8)

Brèves au comptoir. Les journalistes, autant que les politiques, savent bien que le bistrot est l’un des derniers lieux où il est possible de prendre le pouls de l’époque. L’édition dijonnaise du quotidien régional Le Bien Public nous offre, chaque semaine, une délectable plongée dans les cafés, bars, rades, brasseries, zincs, estaminets, coupe-gorges et gargotes de la ville. Dans cette rubrique fort opportunément nommée « De quoi qu’on cause au zinc ? » le journal nous compile régulièrement des commentaires piquants sur l’actualité nationale et internationale.

Cette semaine Le Bien Public enquête au Monge Tout, rue Monge, à Dijon. « Après avoir revisité les droits et devoirs de la profession de journaliste et pris une nouvelle commande, la discussion reprend aussitôt mais de façon houleuse cette fois, à la simple évocation de MAM. ‘Alors celle-là, je ne la supporte pas’, commente sèchement Henry. Et son collègue de surenchérir  ‘C’est vraiment tous des incapables’ ».

Allez, remets-nous ça patron ! Et vivement le prochain reportage « arrosé » dans les pages du Bien Public, sur un bistrot dijonnais. On aime la presse quand elle sait prendre des risques ! C’est bien la peine d’aller en reportage en Afghanistan ou en Irak, quand le grand frisson est au coin de la rue, et au bout du comptoir.

Césars contre Gérards : un combat inégal

147

À cinq jours d’intervalle, se sont déroulées deux cérémonies récompensant le meilleur et le pire du cinéma français en 2010. Vendredi, robes à paillettes, strass et glamour étaient de mise au théâtre du Châtelet pour une XXVIe soirée des Césars placée sous le signe de « l’éclectisme », selon l’expression consacrée. Au palmarès, la remise du prix du meilleur film au très spirituel Des hommes et des Dieux a conclu la cérémonie par le sermon habituel des artistes aux politiques via une critique acerbe de Brice Hortefeux. Je le concède : comparé à l’assassinat des moines de Tibéhirine, le tir sur ambulance perpétré par le courageux Xavier Beauvois est une broutille. À la barre, l’encore très vert Antoine de Caunes ponctuait ses interventions de jeux de mots cocasses, entre les Nuls et le Théâtre des Deux-Anes, raillant au passage les goûts musicaux douteux de notre cher président. Taper sur Sarkozy, Barbelivien et Mireille Mathieu devant le Tout-Paris, quelle impudence !

Le lundi précédent, le modeste théâtre Michel avait été mis à la disposition des Gérards du cinéma, événement satirique présenté par trois gais lurons (Stéphane Rose, Arnaud Demanche et Frédéric Royer) taillant en flèche l’indigence crasse d’un cinéma français miné par ses perpétuels atermoiements onanistes. La liste des nommés n’épuisait pourtant pas l’imagination des auteurs de films hexagonaux. À l’image du consternant Happy few, le synopsis lambda du film français retrace le parcours croisé de couples à la dérive, de vies sentimentales déchirées entre frustrations sexuelles et inaccomplissement existentiel. Aux existences qui sommeillent dans une atonie pépère, une seule solution : l’échangisme festivo-dépressif qui offre au spectateur de magnifiques plans de coupe charcutant la peau suave d’actrices en mal de reconnaissance charnelle.

Mais je m’égare. Les Gérards du Cinéma méritent mieux qu’une longue lamentation houellebecquienne sur l’impasse de la pornographie cinématographique contemporaine (la vraie, celle qui rend le réel vulgaire et transforme les sentiments en états d’âme post-coïtaux). Les trois pieds nickelés animant la soirée, visiblement influencés par l’esprit caustique du groupe Jalons, remettaient les parpaings d’or à des lauréats généralement trop ingrats pour venir chercher leur trophée bétonné. Et quels prix : le simple énoncé des catégories vaudrait procès en sorcellerie à quiconque les retranscrirait en place publique. Tant pis, je m’y colle, après tout la présence de Rockhaya Diallo dans le public des Gérards entraîne probablement l’immunité judiciaire.

Dans cette jouissive misogynie – du « film qui ose enfin dire la vérité sur les femmes » (Sans queue ni tête !) aux Gérards des « petits » et « gros cul » (élégamment décerné à l’inoffensive Judith Godrèche), qu’elle paraissait loin la parité… Quoique, les comédiens masculins n’étaient pas en reste, Henri Guybet, inoubliable Salomon de Rabbi Jacob, venant chercher en personne son Gérard de « l’acteur qu’on croyait mort depuis 1985 et qui, en fait, tourne encore », non sans lorgner avidement le décolleté de son infirmière ni préparer sa prochaine inhumation. Comme quoi, question mauvais goût, l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Des blagues de potaches et de sales gosses, les gentils organisateurs des Gérards en connaissaient, telle cette fausse lettre de spectatrice nous apprenant que le cinéma suit les six précédents arts que sont la fellation, la sodomie, le cunnilingus et autres obscènes joyeusetés, prétexte à des rires gras qui ne tournent rien personne en dérision, sinon sa propre part de grossièreté. On eut aussi droit au sketch sur l’amour homosexuel contrarié de « jeunes » des banlieues, d’habitude cantonnés au rôle d’éternelles victimes du grand méchant blanc.

Face à pareille débandade assumée, les Césars ont fait pâle figure. À quelques exceptions près (l’acteur vénézuélien de Carlos ou encore Eric El Mosnino inoubliable Gainsbourg plus vrai que nature dans le conte de Joann Sfar), l’heure était à la moraline compatissante de l’indigent Nom des gens ou à la quête consumériste du divertissant Tout ce qui brille (qui n’enlève rien au talent de la césarisée Leila Bekhti). Sans m’appesantir sur ce palmarès « œcuménique » (comme le titre Le Figaro, l’époque étant décidément au retour du religieux…), je m’attarderai simplement sur l’attribution du César de la meilleure actrice à Sara Forestier.

Aussi rafraîchissante soit-elle, l’ex-héroïne de L’Esquive se voit récompensée pour un travail de composition mené tambour battant. Imaginez un film où l’on vous explique 1 h 40 durant que le racisme est l’apanage de la droite, qu’il est en outre moralement condamnable (mazette !) ou encore que Lionel Jospin fut un grand homme de gauche doublé d’un excellent Premier ministre traumatisé par l’injustice du 21 avril.

Quels cons ces Français ! Ce pourrait être la morale des Césars, certainement pas celle des Gérards.

J’aurais voulu être de droite

274

Parfois, j’aimerais bien être de droite. La droite, maintenant, c’est très tendance (même Carla est devenue de droite avant d’être bientôt enceinte électoralement) et c’est la bonne conscience en prime. Avant, la bonne conscience, c’était la gauche. La certitude de l’avenir radieux, l’horizon indépassable de la société sans classe, les jours de pain et de roses. Ca rendait sûr de soi, on allait au martyre le sourire aux lèvres, on savait ce que ça coûtait : on parlait pour les fantômes massacrés de la Semaine Sanglante et l’ombre juvénile des fusillés de Chateaubriand.

C’est la droite qui rasait les murs. Elle avait le pouvoir politique, économique mais elle rasait les murs quand même. Voyez comment vivaient les grands bourgeois chez Mauriac, les moins grands chez Nourissier et les petits, voire très petits, chez Maupassant ou Simenon. On se cachait, on avait un peu honte, on se sentait obligé de faire la charité en se rappelant qu’il serait plus difficile pour un riche d’entrer au paradis que pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille. On lisait Léon Bloy comme d’autres revêtent un cilice, pour se faire souffrir. On se souvenait qu’il n’était pas rare de voir jusqu’au XIXème siècle des gens riches, le grand âge arrivant, se débarrasser de toute leur fortune comme d’une tunique de Nessus, la distribuer pour passer leurs dernières années confits en dévotion dans un couvent et espérer un hypothétique salut. Imaginez la même scène avec, disons, Serge Dassault, pour voir…

Et puis les choses ont changé. Les protestants ont commencé à déculpabiliser le riche. La fortune, signe d’élection divine. Cela a fait un tabac aux Etats-Unis, le premier pays de la droite vraiment décomplexée, de la droite sans mauvaise conscience : une Bible dans une main pour maintenir le pauvre dans la terreur de Dieu qui ne l’aime pas puisqu’il est pauvre, et de l’autre un fusil pour les pauvres qui auraient l’insolence de ne pas se laisser faire : Peaux-Rouges, Noirs, Communistes, ou si vous préférez Sitting Bull, Martin Luther King ou Sacco et Vanzetti, tous morts de mort violente au pays de la démocratie. À la fin, on en arrive aux mamans Grizzly des Tea Parties, comme la belle Sarah Palin, dont les discours sont tellement inspirés par le Bien, le Beau et le Vrai, que n’importe quel fou furieux se croit autorisé à tirer dans le tas des adversaires politiques et à faire six morts et douze blessés, ce qui, on en conviendra, est le comble de la bonne conscience déculpabilisée.

Chez nous, on n’en est pas là. Mais tout de même, la parole s’est pas mal libérée, comme on dit, et les dissidents de l’époque des Maitres censeurs d’Elisabeth Levy sont maintenant très écoutés.
J’entendais Michel Godet, il y a peu. Où ça ? Quelle importance : il est partout. Et quelle bonne conscience dans la façon de massacrer du fonctionnaire, de pourfendre l’assistanat, de célébrer les vertus définitives, cardinales, hypostasiées du Privé contre le Public : il sait d’ailleurs de quoi il parle puisqu’il a fait sa carrière exclusivement dans ce dernier. J’adorerais avoir de telles certitudes, être enfin certain que si les pauvres sont pauvres, c’est parce qu’ils ne se bougent pas assez et que la CGT est archaïque, corporatiste et dangereuse. En plus, tout le monde dirait que j’ai raison. Ça me changerait.

Parce qu’on n’ose plus trop bouger à gauche. La droite, son surmoi religieux a sauté tandis que nous, à gauche, on vit avec le ça du communisme : la dérive stalinienne, les expériences très moyennement réussies du socialisme réel à l’Est, la chute du Mur, on a beau dire, depuis, on se sent beaucoup moins à l’aise. Tellement moins à l’aise qu’un candidat comme Jospin modèle 2002 finit par dire que son programme n’est pas socialiste et que l’Etat ne peut pas tout tandis que DSK 2011, en président du FMI, prouve qu’un socialiste peut être un homme de droite comme un autre et saigner à blanc les peuples déficitaires, ce qui lui vaut la considération de tous.

Maintenant, j’en suis même à avoir honte d’être de gauche. On se sent tous toujours un peu coupable, finalement depuis que les nouveaux philosophes et François Furet nous ont expliqué que Saint-Just ou Robespierre, ils étaient pratiquement des gardiens de goulag en avance sur leur temps et que le nazisme puisait ses racines à gauche puisque que l’Etat s’occupait de tout. Que finalement, vouloir maintenir la retraite à soixante ans ou réclamer le respect du Code du travail, c’était ça le conservatisme, voire les prémices du totalitarisme.

Alors on rase les murs idéologiques qui ont des oreilles et qui nous dénoncent à Michel Godet dès qu’on chuchote entre nous, le rouge de la honte aux joues, des choses du genre : « Tu ne crois pas que ce serait normal de limiter de un à vingt l’écart des salaires dans une entreprise, comme le recommande la Confédération Européenne des Syndicats qui pourtant ne sont pas des bolcheviques. » Et alors là, mes amis, c’est le déluge : « Honteux ! Démagogique ! Populiste ! Vous voulez paralysez l’initiative ! La compétition ! Partageux ! » Il y a même des dessinateurs de presses qui montrent notre vraie nature avec esprit en croquant Mélenchon lisant le même discours que Marine Le Pen (qui elle-même est à gauche des identitaires, d’ailleurs)

Non, ce serait quand même mieux d’être de droite. Par exemple, si j’étais de droite, et ministre, je pourrais mentir, décorer des amis que je ne suis pas censé connaitre, faire financer mon parti par la première fortune de France, brader un hippodrome et demander à ce qu’on cesse de me harceler uniquement sur ma bonne mine qui est celle d’un honnête homme. Ou alors, je pourrais prendre des avions avec mon conjoint lui-même ministre et me draper dans ma dignité post-gaullienne si on me faisait remarquer que je ridiculise la diplomatie française.

Je pourrais aussi expliquer aux Français, en le croyant vraiment si ça se trouve, que le premier problème, ce n’est pas le chômage mais l’insécurité et que si ça ne fonctionne pas mieux, c’est parce que les policiers et les juges ne font pas leur travail. Tout en supprimant des milliers de postes et en ne remplaçant qu’un départ à la retraite sur deux. Et personne ne me dirait rien quand je ferais le lien entre délinquance et immigration ou que j’amuserais le tapis avec les Roms, le temps d’un été.

Je pourrais, rêvons un instant, être patron de France Telecom et responsable d’un management meurtrier qui aurait conduit des dizaines d’employés au suicide, me faire remplacer parce que trop c’est trop, mais rester quand même, comme n’importe quel ministre qui s’accroche, avec le titre de conseiller spécial, uniquement le temps de faire valoriser mes stock-options dont le cours est un peu trop bas en ce moment.

Oui, vraiment, quelle malchance d’être de gauche et de ne pas savoir me lever tôt le matin, travailler plus pour gagner plus et surtout de ne pas être le dépositaire de ces valeurs fondatrices de la droite et si visiblement illustrées aujourd’hui : la liberté, le respect, la responsabilité individuelle et la dignité.

Halde Sans Frontières

17

Dans un désopilant exercice de cyber-communication dont la technophilie béate serait en mesure, si l’on était mieux luné, de nous réconcilier avec le relatif classicisme de la communication gouvernementale française, le Premier ministre chinois Wen Jiabao, tout en gomina et sourires mielleux, au détour d’un chat, a cyber-promis aux centaines de millions de cyber-paysans de son pays que lorsqu’ils émigreront en ville, ils auront dorénavant le droit de se faire exploiter aux mêmes conditions que les autres.

Grâce à ses gigantesques armées de réserve, le capitalisme chinois invente l’exploitation durable et équitable par la réforme du système de passeport intérieur dit du hukou qui limite encore aujourd’hui le droit de circuler librement en Chine. Pékin nous fournit ainsi la preuve que la lutte contre toutes les discriminations est parfaitement compatible avec l’hyper-exploitation capitaliste et l’hypo-démocratie socialiste. Et nous prouve aussi que même si le souffle de 1789 ne va pas jusqu’à Pékin, nous sommes capables d’exporter autre chose que des sacs Vuitton vers la Chine.

L’ex-président de la Halde Louis Schweitzer, qui lorsqu’il était à la tête de Renault n’est jamais parvenu à vendre quoique ce soit aux Chinois, saura sans doute s’en féliciter. Dommage cependant que les droits de propriété intellectuelle sur le business model de la Halde soient vraisemblablement moins élevés que ceux des brevets de Renault sur les véhicules électriques.

L’euro, grand perdant des législatives irlandaises

149

Les élections législatives irlandaises ont paradoxalement très peu attiré l’attention alors que l’avenir de la monnaie unique se joue peut-être ici. Les partis qui vont former le gouvernement ont en effet promis de renégocier le « plan d’aide » européen. Un bras de fer décisif devrait commencer.
Une révolte démocratique

Nous ne sommes pas encore dans la situation de l’Islande, mais l’Irlande devient un nouveau foyer de trouble pour la zone euro. En effet, le Fianna Fail au pouvoir a connu une déroute historique, puisqu’il devrait passer de 73 sièges (sur 166) à seulement 20. La majorité devrait être composée du Fine Gael (36% des voix, 72 sièges) et du Labour (20% des voix, 38 sièges contre seulement 20 auparavant). Ces deux partis ont promis une renégociation des termes du plan négocié à l’automne.

Ceci démontre la révolte du peuple Irlandais contre les conditions de cette aide, très mal acceptées. En effet, la population compare sa situation avec celle de l’Islande, qui a choisi de ne pas sauver ses banques et de ne pas suivre les recommandations de la communauté internationale avec succès, comme le reconnaît Paul Krugman. Les Irlandais ont l’impression qu’ils paient pour sauver les banques continentales qui avaient contribué à la bulle des quinze dernières années.

Une situation très instable

Du coup, on peut anticiper un beau bras de fer entre le nouveau gouvernement Irlandais et l’Union européenne sur la renégociation du plan de soutien. La nouvelle équipe au pouvoir ne pourra pas se contenter de concessions a minima sous peine de perdre immédiatement la confiance des électeurs (ce qui pourrait également provoquer l’explosion de la coalition), mais les instances européennes ne seront guère partantes car cela pourrait pousser la Grèce à faire de même.

En outre, il n’est pas évident que l’Allemagne accepte une restructuration qui serait sans doute très critiquée par des médias aujourd’hui déjà échaudés par la perspective d’avoir un Italien à la tête de la BCE. Pire, la banque centrale irlandaise crée actuellement de la monnaie pour aider ses banques (outre la recapitalisation par le gouvernement) car l’argent fuit le pays (comme en Argentine avant 2002). En résumé, la situation est totalement explosive, tant économiquement que politiquement.

Bref, les plans « d’aide » européens ont seulement permis de gagner du temps et de réduire la pression sur les marchés. Mais rien n’est réglé car les capitaux fuient toujours la Grèce et l’Irlande et les peuples de ces deux pays contestent de plus en plus les plans. Quels seront les prochains ?

Sarkozy vire MAM sans états d’âme

119
On s'appelle ?
On s'appelle ?

Pas un mot, pas le moindre hommage, même hypocrite, à une dame que l’on congédie sans ménagements, c’est assez peu courant dans notre démocratie policée… Faut dire qu’elle l’a bien cherché, et fait tout ce qu’il convenait pour être traitée de la sorte… Si j’étais féministe, je serais aux anges : enfin une femme virée sans que l’on puisse le moins du monde mettre sa chute sur le compte de son sexe et du machisme au sommet.

Tout de même, j’aurais préféré que Nicolas Sarkozy eût pour elle les égards que le moindre homme du monde doit à la maîtresse qu’il congédie : le bouquet de fleurs (chères) avec un petit mot du genre : « Elles faneront, vous jamais ! », tout cela mis en musique rhétorique par l’excellent Henri Guaino, cela aurait eu de la gueule !

Peut-être s’est-elle sacrifiée pour que son compagnon Patrick Ollier reste au gouvernement, ce qui ajouterait du sel à la tragédie qu’un Sophocle moderne ne va pas manquer d’écrire…

Mais, j’en conviens, on n’en est plus là, il y a vraiment le feu au lac et la présidentielle c’est demain. Nicolas l’a bien compris, et s’est conformé à la célèbre formule de Jean Cocteau « Puisque ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs ! ».

Je suis, sur le coup, resté relativement sceptique sur ces paroles présidentielles, jusqu’à ce que Benoît Hamon, porte-parole du PS apparaisse sur les écrans. L’opposition a le droit de tout dire, c’est même son devoir, mais il ne faut pas abuser : affirmer que c’est le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN qui a provoqué l’engagement des troupes française en Afghanistan est une stupidité : nos « boys » y sont depuis 2001… Zont pas de fiches au PS ? C’est grave…

Kadhafi ? Semper Fi !

20

Quand on parle d’une possible intervention militaire en Libye et d’une éventuelle désintégration de cet État, l’hymne des Marines américains sonne plus juste que jamais. Le deuxième vers du premier couplet, qui commence ainsi :
From the hall of Montezuma
To the shores of Tripoli
[1. Le premier vers évoque, lui, le conflit américano-mexicain de 1846-1848 qui entérinera l’annexion du Texas et provoquera celle de la Californie. Sans les Marines Hollywood serait peut-être mondialement connu pour ses plantations de cactus…]
évoque en effet un vieux fait d’armes – peu connu par chez nous – dans ces contrées lointaines. Les États-Unis ont mené au début du XIXe siècle deux guerres dans le Maghreb, connues sous l’appellation opérettienne de « guerres barbaresques » qui furent la première intervention de troupes américaines en sol étranger. Pour une analyse géopolitique poussée de la situation, référez vous – n’est pas Bernard Guetta qui veut – à Wolfgang Amadeus Mozart et son Enlèvement au sérail. À l’époque les États barbaresques (le sultanat du Maroc et les régences d’Alger, Tunis et Tripoli) rackettaient le transport maritime au large de leurs côtes, une pratique qui n’est pas sans rappeler l’actuelle Somalie.

L’indépendance américaine ayant ôté aux treize colonies la protection de la Royal Navy – on ne peut pas avoir le thé et l’argent du thé – la jeune république en avait marre de payer des rançons (1 million dollars or par an, quand même) et décida de régler l’affaire à coups de canon. Quand Napoléon, déjà Empereur, concentrait ses forces au camp de Boulogne, quelques mois avant Trafalgar et Austerlitz, les Américains ont mené leur petite guerre maritime et inauguré une présence navale, ininterrompue depuis, en Méditerranée.

Et la France dans tout ça, me demanderez vous avec raison ? Eh bien, l’air emprunté par les braves Marines pour leur hymne –composé vers 1870 – a été fortement inspiré par L’air des gendarmes de l’opéra bouffe Geneviève de Brabant d’Offenbach.

Avant de crier au vol, rappelons que le grand Jacques s’était lui-même très probablement inspiré d’un air espagnol « populaire » (c’est à dire sans auteur reconnu). Il faut espérer que si jamais Français et Américains se voient obligés de revisiter en uniformes les côtes barbaresques, que cela ne ressemble pas à The Pirates of Penzance ou à La Grande-Duchesse de Gérolstein. Pas gagné, vu la garde-robe de Kadhafi…

United States of Boeing

46

Ce qu’il y a de bien, avec les USA, c’est que la démocratie c’est bon pour eux mais que pour les autres, c’est en option. L’arbre de la vertueuse indignation contre l’Iran n’empêche pas de cacher la forêt des grandes et petites crapuleries que sont, parmi tant d’autres, le soutien inconditionnel à l’Arabie Saoudite ou la bienveillante neutralité contre le gouvernement putschiste du Honduras.

Dans le même ordre d’idée, les USA sont les champions du libre échange et de la mondialisation dans les sommets du G20, mais pour les autres aussi. Chez eux, c’est une autre affaire. On oublie souvent (enfin, on l’oublie beaucoup moins quand on traverse le Borinage ou le Valenciennois) qu’ils sont la dernière nation occidentale à produire encore massivement de l’acier grâce à un protectionnisme douanier qui ferait passer Nicolas Dupont-Aignan pour un néolibéral échevelé.

Dernier exemple en date de cette conception très particulière de la concurrence libre et non faussée, le choix par l’armée américaine, pour ses avions-ravitailleurs, du constructeur national Boeing contre l’Européen EADS dont la version militaire du A 330, le KC-45, a été recalée au profit d’un avion encore prototype dont les spécialistes s’accordent à penser que la fiabilité est, disons, aléatoire…
Vole, Forest, vole…

Céline exclu ? Tant mieux !

4

Je suis très heureux que Louis-Ferdinand Céline soit exclu des Célébrations nationales 2011, et très satisfait qu’Hervé Bazin y figure. Plus que cela même : j’en suis soulagé, voyant ainsi l’ignoble auteur de Mort à crédit et de Féérie pour une autre fois privé d’un florilège de gâteries et laissé à son indignité.[access capability= »lire_inedits »]

Celui-ci, en effet, n’aura pas droit − et c’est bien fait pour lui − à la « Nuit Céline », moment convivial et privilégié où une lecture à la bougie d’extraits du Voyage aurait permis d’apprécier la modernité du Passage Choiseul. Il ne bénéficiera pas du jumelage festif entre Courbevoie et Sigmaringen (stands, orchestre et banderoles), du parcours avec audio-guides dans les rues de Meudon (texte sobre mais poignant lu par Dussolier), du sourire entendu de Pujadas nous invitant à découvrir un reportage exclusif sur les danseuses du Crazy Horse (en hommage à celui « qui a tant écrit sur elles »).

Loin des baisers carnavalesques

Il n’existera pas, voilà tout, de « rue Bardamu », de buste facétieux de l’auteur en simili-cuivre, de son et lumières dans des tranchées reconstituées, d’hôtesses badgées LFC, de reprise par une centaine de choristes d’A nœud coulant. Nous ferons, tant pis, sans les trémolos de Frédéric Mitterrand déclamant dans les allées du cimetière des Longs-Réages que « la plus grande conquête d’un écrivain, c’est son propre style », ou quelque chose dans ce goût-là ; sans les nouvelles magistrales et ferroviaires de dix écrivains offrant à Télérama une mise en abyme sans concessions de Rigodon ; sans les contre-manifestants arborant des tee-shirts citoyens, ornés d’un courageux « Lire ? Plus jamais ça ! » ; sans l’émoi de Joy Sorman trouvant inconvenant qu’on célèbre encore, au XXIe siècle, de vieux mâles blancs hétéro-fachos qui, comme par hasard, s’appellent comme des filles ; sans les larmes d’Alexandre Jardin, lisant la voix étranglée d’admiration scandalisée, des extraits des Beaux draps sous contrôle d’huissier.

Céline, et il n’a qu’à s’en prendre qu’à lui, n’aura pas droit aux panneaux publicitaires, aux bornes interactives, aux quiz de France Culture, aux rires sous cape de Ségolène Royal, aux déclarations de Jamel Debbouze, aux calembours salutaires de Libération, à la ronde des indignés, des contre-indignés, des défenseurs de refusés, des accusateurs de promus …

Je suis très heureux que Louis-Ferdinand Céline soit exclu des Célébrations nationales 2011 ; et très satisfait qu’Henri Troyat y figure. Très heureux que le génial auteur de Mort à crédit et de Féérie pour une autre fois gêne encore aux entournures, révèle toujours aussi bien la confusion d’une époque piteuse et prouve sans effort l’incapacité de celle-ci à comprendre ce qui n’est pas simplifié, nettoyé, digéré. Soulagé qu’il puisse ainsi échapper, de peu il est vrai, aux baisers carnavalesques puant la mort.[/access]

Sarkozy remanie MAM

32
Michèle Alliot-Marie
Virer Michèle Alliot-Marie : le grand chantier du quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Michèle Alliot-Marie
Virer Michèle Alliot-Marie : le grand chantier du quinquennat de Nicolas Sarkozy.

C’était samedi après-midi, sur les coups de 16 heures. Mon mari Willy était parti faire un sit-in de protestation contre le colonel Kadhafi[1. Quand il ne surveille pas la révolution arabe, Willy s’occupe à la lombriculture au fond du jardin. Je pourrais dire que je préfère encore ça à le voir boire. Mais Willy boit aussi. Rien ne le dérange.]. T’as beau être guide de la Révolution de la Grande Jamahiriyya arabe libyenne populaire et socialiste, t’en mènes pas large quand tu sais qu’à 2 000 kilomètres à vol d’oiseau trente écolos allemands passent leur après-midi à s’asseoir contre toi. Tu ne peux pas t’empêcher de penser à Rommel et à ses boys. Parlant gigolos teutons, une envie subite vint à tromper mon ennui : mater de beaux mecs. Des vrais, pas des chochottes. Des tatoués, des virils, des légionnaires. Ma came virtuelle, c’est le criminel balafré, l’ex-taulard, le repris de justice. Avec un truc si maousse que tu en oublies jusqu’au calendrier des dieux du stade. J’ai donc fait comme n’importe qui : je suis allée sur le site du Figaro, histoire de voir si l’une ou l’autre photos d’Eric Zemmour n’y traînait pas. Rien. A peine quelques poses de Jean d’Ormesson claquant de chastes bises à Ivan Riouffol. C’est pas la peine, Zemmour, d’entrer dans un tribunal et d’en ressortir avec le costard de plus grand délinquant du siècle, faut assurer après.

De dépit, j’étais sur le point de googliser le slip kangourou de Boris Boillon (il a dû avoir sa période chiraquienne, le diplaymate), quand la « une » du site du Figaro m’arrêta. Un titre : « Un remaniement a minima annoncé dimanche soir ». Une photo de MAM légendée : « Le départ de Michèle Alliot-Marie est acté. Reste le plus dur pour le chef de l’Etat : lui annoncer car « elle n’est pas du tout dans cette disposition d’esprit ». » Et le journaliste, Charles Jaigu, de rapporter les propos d’un proche de l’Elysée : « La décision étant prise de congédier Michèle Alliot-Marie, il paraît impossible de la laisser partir pour Genève le lundi, où elle doit retrouver Hillary Clinton. »

Les bras m’en sont tombés. J’ai d’abord pensé à Michèle Alliot-Marie. Elle est congédiée, licenciée, virée et on ose parler de « remaniement a minima ». La giga-catastrophe, plutôt. Vider les armoires, préparer les cartons, faire les valises – de quoi y passer tout un week-end. Les journalistes du Figaro n’ont-ils donc aucun sens des réalités ? Qu’ont-ils alors dans la tête ? Ils pensent que MAM ne lit pas la presse à l’exception des pages consacrées à l’immobilier tunisien ? Ils pensent que son petit cœur ne saigne pas quand elle lit, sous la plume d’un éminent journaliste, qu’elle est un peu mal-comprenante, voire tout à fait con ? Ils croient que ce n’est pas une mesure vexatoire d’être remplacée par ce chauve de Juppé, alors qu’elle a dépensé toute sa carrière en chiraquisme et en produits L’Oréal ? Ne le valait-elle pas ? Et puis, ce voyage à Genève, lundi, pourquoi l’annuler ? Il ne coûte rien à la France, vu que le vol est pris en charge par Tunis Air Line. Non, il n’y a pas de justice. L’autre jour, c’est le prix du « colonialisme » qu’on lui remettait. Aujourd’hui, c’est à la colonie pénitentiaire qu’on veut l’envoyer. Ah ! Ça vous apprendra à vous occuper de vos vieux parents plutôt que de les abandonner, grabataires, à l’hospice.

Mine de rien, songer aux affres mamesques, ça peut vous prendre toute une journée. Comme je n’étais pas en jambe, c’est vers Nicolas Sarkozy que mon esprit a volé. La crise économique, le G20, la résolution du conflit géorgien : tout ça n’est que peau de balle pour le président français, comparé à l’affaire MAM. Il a bien pensé, je suppose, à lui envoyer un SMS : « Tu te casses, j’annule rien. » Il a pensé également, je présume, à faire écrire par Henri Guaino un petit mot d’excuse. Peste, variole, mort subite du nourrisson. Non, rien n’y fera : il devra affronter MAM. Il devra la recevoir à l’Élysée ou à la Lanterne pour lui expliquer que, décidément, il n’y a plus rien à faire et que tout est fini. Elle ne l’entendra pas. Car, sitôt arrivée où on la convoquera, elle sera déjà en train de faire la vaisselle ou de passer l’aspirateur (faut pas compter sur l’autre, qui ne fait rien que de chanter des chansons quand elle ne s’acharne pas sur le cadavre encore chaud de Charles Trenet). Et le président de la République de lui dire : « Michèle, il faut en finir. » Et elle de lui répondre : « J’ai pas fini de passer l’aspirateur. » Puis, comme un malheur n’arrive jamais seul, Patrick Ollier débarquera dans la pièce, élégamment sapé d’une livrée Louis XVI, une fourchette dans la main gauche, du blanc d’Espagne dans la droite : « Je finis l’argenterie et j’attaque les cuivres. » Non, décidément, être président de la République en France n’est pas un métier de tout repos. Je me demande parfois s’il ne vaut pas mieux être guide de la Révolution de la Grande Jamahiriyya arabe libyenne populaire et socialiste.

Notre pain quotidien (8)

2

Brèves au comptoir. Les journalistes, autant que les politiques, savent bien que le bistrot est l’un des derniers lieux où il est possible de prendre le pouls de l’époque. L’édition dijonnaise du quotidien régional Le Bien Public nous offre, chaque semaine, une délectable plongée dans les cafés, bars, rades, brasseries, zincs, estaminets, coupe-gorges et gargotes de la ville. Dans cette rubrique fort opportunément nommée « De quoi qu’on cause au zinc ? » le journal nous compile régulièrement des commentaires piquants sur l’actualité nationale et internationale.

Cette semaine Le Bien Public enquête au Monge Tout, rue Monge, à Dijon. « Après avoir revisité les droits et devoirs de la profession de journaliste et pris une nouvelle commande, la discussion reprend aussitôt mais de façon houleuse cette fois, à la simple évocation de MAM. ‘Alors celle-là, je ne la supporte pas’, commente sèchement Henry. Et son collègue de surenchérir  ‘C’est vraiment tous des incapables’ ».

Allez, remets-nous ça patron ! Et vivement le prochain reportage « arrosé » dans les pages du Bien Public, sur un bistrot dijonnais. On aime la presse quand elle sait prendre des risques ! C’est bien la peine d’aller en reportage en Afghanistan ou en Irak, quand le grand frisson est au coin de la rue, et au bout du comptoir.

Césars contre Gérards : un combat inégal

147

À cinq jours d’intervalle, se sont déroulées deux cérémonies récompensant le meilleur et le pire du cinéma français en 2010. Vendredi, robes à paillettes, strass et glamour étaient de mise au théâtre du Châtelet pour une XXVIe soirée des Césars placée sous le signe de « l’éclectisme », selon l’expression consacrée. Au palmarès, la remise du prix du meilleur film au très spirituel Des hommes et des Dieux a conclu la cérémonie par le sermon habituel des artistes aux politiques via une critique acerbe de Brice Hortefeux. Je le concède : comparé à l’assassinat des moines de Tibéhirine, le tir sur ambulance perpétré par le courageux Xavier Beauvois est une broutille. À la barre, l’encore très vert Antoine de Caunes ponctuait ses interventions de jeux de mots cocasses, entre les Nuls et le Théâtre des Deux-Anes, raillant au passage les goûts musicaux douteux de notre cher président. Taper sur Sarkozy, Barbelivien et Mireille Mathieu devant le Tout-Paris, quelle impudence !

Le lundi précédent, le modeste théâtre Michel avait été mis à la disposition des Gérards du cinéma, événement satirique présenté par trois gais lurons (Stéphane Rose, Arnaud Demanche et Frédéric Royer) taillant en flèche l’indigence crasse d’un cinéma français miné par ses perpétuels atermoiements onanistes. La liste des nommés n’épuisait pourtant pas l’imagination des auteurs de films hexagonaux. À l’image du consternant Happy few, le synopsis lambda du film français retrace le parcours croisé de couples à la dérive, de vies sentimentales déchirées entre frustrations sexuelles et inaccomplissement existentiel. Aux existences qui sommeillent dans une atonie pépère, une seule solution : l’échangisme festivo-dépressif qui offre au spectateur de magnifiques plans de coupe charcutant la peau suave d’actrices en mal de reconnaissance charnelle.

Mais je m’égare. Les Gérards du Cinéma méritent mieux qu’une longue lamentation houellebecquienne sur l’impasse de la pornographie cinématographique contemporaine (la vraie, celle qui rend le réel vulgaire et transforme les sentiments en états d’âme post-coïtaux). Les trois pieds nickelés animant la soirée, visiblement influencés par l’esprit caustique du groupe Jalons, remettaient les parpaings d’or à des lauréats généralement trop ingrats pour venir chercher leur trophée bétonné. Et quels prix : le simple énoncé des catégories vaudrait procès en sorcellerie à quiconque les retranscrirait en place publique. Tant pis, je m’y colle, après tout la présence de Rockhaya Diallo dans le public des Gérards entraîne probablement l’immunité judiciaire.

Dans cette jouissive misogynie – du « film qui ose enfin dire la vérité sur les femmes » (Sans queue ni tête !) aux Gérards des « petits » et « gros cul » (élégamment décerné à l’inoffensive Judith Godrèche), qu’elle paraissait loin la parité… Quoique, les comédiens masculins n’étaient pas en reste, Henri Guybet, inoubliable Salomon de Rabbi Jacob, venant chercher en personne son Gérard de « l’acteur qu’on croyait mort depuis 1985 et qui, en fait, tourne encore », non sans lorgner avidement le décolleté de son infirmière ni préparer sa prochaine inhumation. Comme quoi, question mauvais goût, l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Des blagues de potaches et de sales gosses, les gentils organisateurs des Gérards en connaissaient, telle cette fausse lettre de spectatrice nous apprenant que le cinéma suit les six précédents arts que sont la fellation, la sodomie, le cunnilingus et autres obscènes joyeusetés, prétexte à des rires gras qui ne tournent rien personne en dérision, sinon sa propre part de grossièreté. On eut aussi droit au sketch sur l’amour homosexuel contrarié de « jeunes » des banlieues, d’habitude cantonnés au rôle d’éternelles victimes du grand méchant blanc.

Face à pareille débandade assumée, les Césars ont fait pâle figure. À quelques exceptions près (l’acteur vénézuélien de Carlos ou encore Eric El Mosnino inoubliable Gainsbourg plus vrai que nature dans le conte de Joann Sfar), l’heure était à la moraline compatissante de l’indigent Nom des gens ou à la quête consumériste du divertissant Tout ce qui brille (qui n’enlève rien au talent de la césarisée Leila Bekhti). Sans m’appesantir sur ce palmarès « œcuménique » (comme le titre Le Figaro, l’époque étant décidément au retour du religieux…), je m’attarderai simplement sur l’attribution du César de la meilleure actrice à Sara Forestier.

Aussi rafraîchissante soit-elle, l’ex-héroïne de L’Esquive se voit récompensée pour un travail de composition mené tambour battant. Imaginez un film où l’on vous explique 1 h 40 durant que le racisme est l’apanage de la droite, qu’il est en outre moralement condamnable (mazette !) ou encore que Lionel Jospin fut un grand homme de gauche doublé d’un excellent Premier ministre traumatisé par l’injustice du 21 avril.

Quels cons ces Français ! Ce pourrait être la morale des Césars, certainement pas celle des Gérards.