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Césars contre Gérards : un combat inégal


Césars contre Gérards : un combat inégal

À cinq jours d’intervalle, se sont déroulées deux cérémonies récompensant le meilleur et le pire du cinéma français en 2010. Vendredi, robes à paillettes, strass et glamour étaient de mise au théâtre du Châtelet pour une XXVIe soirée des Césars placée sous le signe de « l’éclectisme », selon l’expression consacrée. Au palmarès, la remise du prix du meilleur film au très spirituel Des hommes et des Dieux a conclu la cérémonie par le sermon habituel des artistes aux politiques via une critique acerbe de Brice Hortefeux. Je le concède : comparé à l’assassinat des moines de Tibéhirine, le tir sur ambulance perpétré par le courageux Xavier Beauvois est une broutille. À la barre, l’encore très vert Antoine de Caunes ponctuait ses interventions de jeux de mots cocasses, entre les Nuls et le Théâtre des Deux-Anes, raillant au passage les goûts musicaux douteux de notre cher président. Taper sur Sarkozy, Barbelivien et Mireille Mathieu devant le Tout-Paris, quelle impudence !

Le lundi précédent, le modeste théâtre Michel avait été mis à la disposition des Gérards du cinéma, événement satirique présenté par trois gais lurons (Stéphane Rose, Arnaud Demanche et Frédéric Royer) taillant en flèche l’indigence crasse d’un cinéma français miné par ses perpétuels atermoiements onanistes. La liste des nommés n’épuisait pourtant pas l’imagination des auteurs de films hexagonaux. À l’image du consternant Happy few, le synopsis lambda du film français retrace le parcours croisé de couples à la dérive, de vies sentimentales déchirées entre frustrations sexuelles et inaccomplissement existentiel. Aux existences qui sommeillent dans une atonie pépère, une seule solution : l’échangisme festivo-dépressif qui offre au spectateur de magnifiques plans de coupe charcutant la peau suave d’actrices en mal de reconnaissance charnelle.

Mais je m’égare. Les Gérards du Cinéma méritent mieux qu’une longue lamentation houellebecquienne sur l’impasse de la pornographie cinématographique contemporaine (la vraie, celle qui rend le réel vulgaire et transforme les sentiments en états d’âme post-coïtaux). Les trois pieds nickelés animant la soirée, visiblement influencés par l’esprit caustique du groupe Jalons, remettaient les parpaings d’or à des lauréats généralement trop ingrats pour venir chercher leur trophée bétonné. Et quels prix : le simple énoncé des catégories vaudrait procès en sorcellerie à quiconque les retranscrirait en place publique. Tant pis, je m’y colle, après tout la présence de Rockhaya Diallo dans le public des Gérards entraîne probablement l’immunité judiciaire.

Dans cette jouissive misogynie – du « film qui ose enfin dire la vérité sur les femmes » (Sans queue ni tête !) aux Gérards des « petits » et « gros cul » (élégamment décerné à l’inoffensive Judith Godrèche), qu’elle paraissait loin la parité… Quoique, les comédiens masculins n’étaient pas en reste, Henri Guybet, inoubliable Salomon de Rabbi Jacob, venant chercher en personne son Gérard de « l’acteur qu’on croyait mort depuis 1985 et qui, en fait, tourne encore », non sans lorgner avidement le décolleté de son infirmière ni préparer sa prochaine inhumation. Comme quoi, question mauvais goût, l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Des blagues de potaches et de sales gosses, les gentils organisateurs des Gérards en connaissaient, telle cette fausse lettre de spectatrice nous apprenant que le cinéma suit les six précédents arts que sont la fellation, la sodomie, le cunnilingus et autres obscènes joyeusetés, prétexte à des rires gras qui ne tournent rien personne en dérision, sinon sa propre part de grossièreté. On eut aussi droit au sketch sur l’amour homosexuel contrarié de « jeunes » des banlieues, d’habitude cantonnés au rôle d’éternelles victimes du grand méchant blanc.

Face à pareille débandade assumée, les Césars ont fait pâle figure. À quelques exceptions près (l’acteur vénézuélien de Carlos ou encore Eric El Mosnino inoubliable Gainsbourg plus vrai que nature dans le conte de Joann Sfar), l’heure était à la moraline compatissante de l’indigent Nom des gens ou à la quête consumériste du divertissant Tout ce qui brille (qui n’enlève rien au talent de la césarisée Leila Bekhti). Sans m’appesantir sur ce palmarès « œcuménique » (comme le titre Le Figaro, l’époque étant décidément au retour du religieux…), je m’attarderai simplement sur l’attribution du César de la meilleure actrice à Sara Forestier.

Aussi rafraîchissante soit-elle, l’ex-héroïne de L’Esquive se voit récompensée pour un travail de composition mené tambour battant. Imaginez un film où l’on vous explique 1 h 40 durant que le racisme est l’apanage de la droite, qu’il est en outre moralement condamnable (mazette !) ou encore que Lionel Jospin fut un grand homme de gauche doublé d’un excellent Premier ministre traumatisé par l’injustice du 21 avril.

Quels cons ces Français ! Ce pourrait être la morale des Césars, certainement pas celle des Gérards.



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