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Egypte : sous les pavés, la crise

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La crise libyenne rajoute une couche à la situation économique, déjà extrêmement dégradée, de l’Égypte. Comme dans beaucoup de pays du Tiers monde, les transferts d’argent de travailleurs émigrés égyptiens pèsent lourd dans l’économie : 12 milliards dollars par an, presque 3% du PIB. Mais cet argent pèse encore plus dans les revenus des familles pauvres car l’Egyptien typique qui travaille à l’étranger est plutôt un maçon ou un journalier qu’Omar Sharif ou Boutros Boutros-Ghali. Pour comprendre ce phénomène il faut savoir qu’à peu près 1,5 millions d’Egyptiens qui travaillaient en Libye envoyaient à leurs familles quelque chose comme 250 millions par an, c’est-à-dire 167 dollars par ouvrier… Ce ne sont pas des médecins ou des ingénieurs de l‘industrie pétrolière.

Pas question donc de toucher au budget de subventions – 5% du PIB – juste au moment où un million et demi de familles supplémentaires sont dans le besoin, sans parler des 20% d’Egyptiens qui vivent déjà en temps « normal » sous le seuil de pauvreté. Ceux-ci sont particulièrement nombreux dans les campagnes et le pouvoir en place compte beaucoup sur les paysans pauvres et conservateurs pour contrecarrer le mouvement démocratique, plutôt urbain.

Pas question non plus de mettre en cause les salaires des 6 millions de fonctionnaires récemment augmentés de 15%. Du côté du bâtiment les nouvelles ne sont pas bonnes non plus : les chantiers sont arrêtés et le chômage dans le secteur dépasse 80%. Quant au tourisme, durement touché, c’est certes une industrie capable de rebondir rapidement, mais à condition toutefois que l’image du pays change radicalement.

Bref, pour cette phase de transition, le gouvernement n’a d’autre solution que d’emprunter. Pas le temps pour des investissements et des projets à long terme : il faut du cash, beaucoup et illico pour tenir plusieurs mois sinon plus. L’Arabie saoudite, les États-Unis mais aussi l’Europe devraient mettre la main à la poche, faute de quoi la Place Tahrir risque de ne plus être seulement envahie par le badauds en quête d’une photo souvenir…

Tarification unisexe : Bruxelles ne manque pas d’assurance

La Cour de justice de l’Union européenne vient de décider que « la prise en compte du sexe de l’assuré en tant que facteur de risques dans les contrats d’assurance constitue une discrimination » et qu’à ce titre, les compagnies d’assurances devront désormais pratiquer des tarifs unisexes à compter du 21 décembre 2012. Cette décision est accueillie partout avec un enthousiasme touchant à l’image de Viviane Reding, notre commissaire européenne à l’égalité, qui déclare « c’est un grand jour pour l’égalité des genres dans l’Union européenne ».

La cour vient donc d’entériner le fait que le sexe de l’assuré n’est pas un facteur déterminant dans l’évaluation des risques et donc, que les assureurs sont non seulement d’effroyables sexistes mais aussi totalement incohérents puisqu’ils discriminent en faveur des hommes en matière de pensions de retraite au motif fallacieux que ces derniers vivraient moins longtemps que les femmes et discriminent en faveur des conductrices au prétexte tout aussi mensonger qu’elles auraient moins d’accident graves que les conducteurs.

Heureusement, l’Union Européenne et ses myriades de petites réglementations sournoises et compliquées (bien qu’ultralibérales à ce qu’on dit…) sont là pour faire disparaître la dérogation inique qui permettait jusqu’alors aux assureurs de tenir compte de leurs tableaux statistiques et donc de ce réel que le législateur bruxellois ne saurait tolérer plus longtemps.

L’observateur attentif pourra donc bientôt mesurer l’augmentation généralisée de nos primes d’assurance et mettre ça sur le dos de la rapacité desdits assureurs. Il sera alors peut être temps de réclamer que cessent enfin les honteuses discriminations dont sont victimes les pauvres en matière de prêts immobiliers comme les Etats-Unis ont su si bien le faire.

Le baron de Googleberg

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Karl-Theodor Maria Nikolaus Johann Jacob Philipp Franz Joseph Sylvester Freiherr von und zu Guttenberg, 39 ans, ministre de la Défense de la République fédérale d’Allemagne vient de présenter sa démission à la chancelière Angela Merkel, qui l’a acceptée. Celui que ses amis appellent familièrement KTG n’est pas victime d’une erreur de destination vacancière, comme MAM, mais d’un scandale qui a alimenté pendant des semaines la presse et la blogosphère germaniques.

Des fouineurs mal intentionnés ont en effet découvert que la thèse de doctorat en droit du ministre, soutenue en 2007 devant l’université de Bayreuth, était en grande partie pompée sur d’autres publications, sous la forme primitive du copier-coller bien connue des étudiants flemmards. Lorsque l’on aura précisé que cette thèse avait pour objet l’étude comparative de l’évolution constitutionnelle des Etats-Unis d’Amérique et de l’Union européenne, on nous pardonnera de ne pas en faire de recension plus approfondie.

Cette affaire fait d’autant plus de bruit chez nos voisins allemands que Karl Theodor zu Guttenberg était considéré comme l’une des étoiles montante de la droite de son pays : député à 30 ans, ministre à 37 ans, il bénéficiait jusqu’au déclenchement de son « affaire » d’une popularité stratosphérique dans l’opinion allemande. Jamais moins de 65% d’opinions favorables dans les sondages, alors que la chancelière et son parti, la CDU, sont à la peine à la veille d’une année électorale à haut risque, où une demi-douzaine de scrutins régionaux s’annoncent difficiles pour la coalition de centre-droit actuellement au pouvoir. On prédisait même qu’en cas de défaite trop lourde, il serait le mieux placé pour remplacer Angela Merkel.

La Bavière, et son parti dominant, la CSU, qui n’ont jamais réussi à placer l’un des leurs à la chancellerie, voyaient dans cet héritier d’une grande famille aristocratique de l’ancien royaume de Louis II celui qui allait, enfin, damer le pion aux Prussiens dans leur capitale historique.
Il faut dire que Karl-Theodor a construit son existence dans cette perspective. Le handicap bavarois qui empêcha jadis Franz-Josef Strauss de monter la dernière marche du podium politique allemand ? KTG l’efface par son mariage avec Stephanie von Bismarck-Schönhausen, arrière-petite-fille du chancelier de fer. Aux nostalgiques du IIIème Reich, il n’aura pas échappé que la mère de Karl-Theodor, Christina Henkell, a épousé en secondes noces le fils de Joachim von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères de Hitler exécuté à Nuremberg, qui se prénomme, comme il se doit, Adolf. Aux antinazis, notre ex-ministre pouvait faire valoir que sa famille était apparentée à celle des Stauffenberg, dont est issu le chef du complot contre Hitler qui échoua d’un rien le 20 juillet 1944…

Il ne manquait plus à son blason qu’un titre de « Herr Doktor » qui vaut outre-Rhin toutes les légions d’honneur et tous les prix Goncourt. Ce titre est tellement important qu’il est intégré dans l’état-civil de celui ou celle qui l’obtient. Ceux qui connaissent un peu le système universitaire allemand savent bien qu’on ne le trouve pas dans une pochette surprise, et que le piston ne fonctionne bien que dans le moteur des grosses berlines dont il est inutile de citer la marque…

Helmut Kohl, politicien hors-pair mais étudiant moyen, n’avait obtenu son doctorat en histoire que grâce au coaching intensif d’un camarade de la CDU, Bernhard Vogel, qui était, par ailleurs, le frère du président du Parti social-démocrate Hans-Jochen Vogel. Mais cela se passait avant l’existence de Google et des touches de clavier permettant de noircir du papier sans trop se fatiguer les méninges.

Il faudra du temps, beaucoup de temps, pour que le baron von und zu Guttenberg fasse oublier le sobriquet dont aujourd’hui l’impitoyable presse allemande l’affublé : monsieur le baron de Googleberg.

Lorsque j’étais, il y a quelques lustres, correspondant à Bonn pour un quotidien du soir dans l’Allemagne chère à François Mauriac[1. le cher François avait déclaré, au lendemain de la guerre qu’il aimait tellement l’Allemagne qu’il était ravi qu’il en existe deux…], les hommes politiques du cru me faisaient régulièrement part de leur admiration étonnée pour leurs homologues français qui parvenaient à écrire des best-sellers en dépit des lourdes charges exigées par leurs fonctions. Jamais, patriotisme oblige, je ne vendis la mèche en leur révélant que dans notre vieille nation coloniale, le nègre était encore une valeur sûre…

Les vacances de Monsieur Guaino

On pourrait appeler ça du journalisme d’inquisition. Mais heureusement, c’est une inquisition au petit pied dont le ridicule limite la capacité de nuisance. Il y a quelques années, pour être un grand journaliste, il fallait sortir des « affaires ». C’était souvent pénible et dégoûtant, mais il arrivait que les malheureux cloués au pilori médiatique eussent réellement commis des indélicatesses et confondu pour de bon les caisses de l’Etat avec celles de leur parti, voire avec leurs propres poches. Rivalisant pour épingler les plus puissants à leur tableau de chasse, les investigateurs prenaient des mines de conspirateurs pour aller déjeuner avec des juges ou des flics, mais au détour de leurs croisades pour le Bien, ils ont aussi révélé de vraies affaires d’Etat devenues impossible à camoufler sous le manteau de la raison du même nom.

Le nouveau feuilleton que nous offre le journalisme satirique, subversif et résistant donne la mesure de la décadence du métier. Désormais, pour faire trembler les tyrans qui nous oppriment, plus besoin de se casser la tête à remonter le cours de sombres transactions financières, ni même d’avoir la chance de se trouver à proximité quand ils lâchent une blague de fin de banquet. Non, il suffit de leur poser la question qui tue : « tu vas nous le dire, où t’as passé tes vacances ! ».

D’accord, ne mélangeons pas tout : l’escapade tunisienne de Madame Alliot-Marie était bel et bien une faute politique. Fillon en Egypte, c’était déjà beaucoup de bruit pour rien. Mais avec les vacances de monsieur Guaino, les Inrocks sombrent dans le grotesque, avec, en prime, une pointe de vraie dégueulasserie.

Je précise, pour ceux qui l’ignorent, qu’Henri Guaino est un ami. Enfin, un peu moins depuis que j’ai découvert qu’il a refilé ce scoop à la concurrence. Imaginez : la plume du président a passé ses vacances de Noël à Tripoli où il était reçu par son ami François Gouyette, ambassadeur de France en Lybie ! Il faudra d’ailleurs songer à dresser la liste des diplomates qui ont séjourné dans des pays non-démocratiques. Ennemis des peuples !

Donc, un journaliste frétillant appelle Guaino et, tel un flic qui braquerait sa lampe sur le visage d’un dur à cuire, le somme d’avouer. Au passage, il enregistre la conversation en loucedé : sans doute pense-t-il que ça lui donne le chic-espion. En tout cas, chapeau la déontologie ! Les propos de Guaino sont reproduits in extenso sur le site. Pour ceux qui n’auraient pas compris que les Inrocks jouent dans la cour des grands, le papier est annoncé à grands coups de trompette sous le titre affriolant « Le réveillon lybien d’Henri Guaino ». Du vrai SAS. « Et de trois ! », claironne le chapeau. Après MAM et Fillon, j’en tiens un autre chef ! Guaino chez Gouyette, ça, c’est du lourd !

Connaissant son caractère placide, je trouve surprenant et même un peu désolant que le « Conseiller spécial », tout en ironisant, ait répondu au journaliste au lieu de l’envoyer au diable. Peut-être s’est-il dit, dans un accès de sagesse, qu’il avait mieux à faire que nourrir une polémique idiote. Admettons qu’il a bien fait, même si j’attends avec impatience le jour où un politique osera remettre à sa place un de ces flics habillés en journaliste.

Si j’avais du temps à perdre, j’écrirais un livre sur les vacances des journalistes. Dites-donc, vous, vous n’étiez pas à Cuba, l’été dernier ? Ou au Vietnam ? Et votre week-end à Saint Petersbourg, vous n’avez pas honte, avec toutes les turpitudes de Poutine ? Pas bien propre tout ça. Sinon, pour ramener mes confrères à la raison, j’ai une petite idée : les obliger, chaque fois qu’un ministre ou un élu revient de vacances, à se farcir le récit détaillé avec séance de diapos.

Reste, tout de même, une petite raison de croire dans le journalisme de mon pays : la mayonnaise n’a pas vraiment pris. Certes, cette information de haute importance a donné lieu à deux dépêches avant d’être ânonnée par quelques confrères en mal de sensations. Mais je crois qu’il n’y aura pas d’affaire Guaino. Dommage pour les Inrocks qui voulaient se la jouer « Wahington Post façon Watergate » et n’ont réussi qu’à être le Canard Enchaîné du pauvre.

Et si ce n’était pas un scoop ?

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Hier matin, la une de Libé avait comme un air de déjà vu, ou plutôt de déjà lu.

Je fouille dans ma mémoire, mais rien. Alors, je fouille dans celle de mon Mac. Toujours rien. Alors je googlise « Et si ce n’était pas lui ? » . Et là, bingo, ce titre, c’est sur Causeur que je l’avais lu, et pile poil sur le même sujet, à savoir le possible lâchage de Nicolas Sarkozy par son camp pour 2012.

Aimée et Marc, les auteurs de l’article, que j’ai consulté immédiatement, plaident pour la coïncidence absolue. Ils espèrent néanmoins que Demorand ne leur fera pas un procès pour les avoir, selon la belle expression de l’Oulipo, plagiés par anticipation…

Quant à Nicolas Sarkozy, il n’a pas daigné répondre à mes questions. Fait dire aussi que je ne l’avais pas appelé…

Ça s’en va et ça revient

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Entre l’armée et le peuple, en Egypte, le courant passe de moins en moins. D’abord, il y a le problème d’Ahmad Chafik, le premier ministre nommé par Hosni Moubarak. La « coalition du 25 janvier » (nom donné à la nébuleuse des mouvements issus de la révolution) exige son départ avec les mêmes arguments avancés (avec succès) par les Tunisiens contre Mohamed Ghannouchi : à leurs yeux, cette figure de l’ancien régime n’est pas qualifiée pour diriger la transition. Le Conseil suprême des forces armées égyptiennes, dépositaire du pouvoir exécutif délégué à Chafik et ses collègues, fait la sourde oreille : dans cette partie de poker, les militaires n’ont pas l’intention d’abattre leurs cartes trop tôt.

Dans ce climat de soupçon, les leaders émergents du mouvement démocratique redoutent, non sans raison, être manipulés par le pouvoir et de se voir dépouillés des fruits de la révolution. Les premiers détails du plan de transformation politique concocté par les militaires et les anciens collaborateurs de Moubarak semblent justifier leurs craintes. L’armée entend imposer un rythme accéléré : réforme constitutionnelle dans 30 jours, suivie de deux élections législatives (pour la chambre basse et la chambre haute) et d’une élection présidentielle, rien que ça !

Cette marche forcée vers la démocratie en inquiète plus d’un, car cet échéancier donne clairement l’avantage aux acteurs politiques structurés, autrement dit aux Frères musulmans ainsi qu’à Al-Ḥizb al-Wataniy, l’ancien Parti national-démocrate de Moubarak, qui contrairement à son équivalent tunisien, n’a pas été dissout. Ce planning serré ne permet pas non plus à de nouveaux visages d’émerger et favorise les personnalités déjà connues comme Mohamed El-Baradei ou Amr Moussa, l’actuel président de la Ligue arabe et ancien ministre des Affaires étrangères de Hosni Moubarak. À 75 ans et avec un tel CV, difficile d’imaginer un profil moins adapté pour incarner un mouvement issu d’une triple rupture, générationnelle, politique et culturelle. Le débat se joue donc à front renversé : ceux qui poussaient il y a un mois à des changements rapides voudraient bien aujourd’hui freiner les conservateurs d’hier…

Entretemps, certains essaient de réoccuper la place Al-Tahrir – devenue un haut-lieu du tourisme révolutionnaire – tandis que l’armée tente de les contraindre doucement à décamper. Le général Hassan al-Ruwaini, commandant militaire de Caire, leur a rendu personnellement visite pour les exhorter à rentrer chez eux et faire confiance à l’armée. Pour le moment, frustrations et crispations restent en arrière-plan et tout le monde répète en boucle les slogans louant l’unité entre jaychouna (« notre armée ») et le peuple.

Dans ce crépuscule politique, c’est la question même de la légitimité qui est négociée sur la place publique. Pour le « camp démocrate », la réponse est claire : elle est issue de la rue, c’est-à-dire du peuple, aujourd’hui représenté par les leaders de la « révolution. De leur côté, le gouvernement et l’armée essaient de diluer le mouvement et se targuent d’une autre légitimité, celle que confère l’exercice du pouvoir. Espérant marquer des points faciles dans l’opinion, le pouvoir multiplie les poursuites pour corruption et resserre l’étau autour du raïs déchu et de sa famille. À sa manière, l’Egypte est déjà en campagne électorale.

Vers de nouveaux affrontements place Al-Tahrir ?

Quand on n’a plus la tête au travail…

Un employeur est tout de même en droit d’exiger de ses salariés un minimum de motivation. Services 3D, antenne picarde de Samsic de Rennes et spécialisée dans les traitements antiparasites pour les entreprises, n’a pas eu de mal à repérer un tire-au-flanc dans ses propres rangs. C’est ainsi que le 13 janvier, Cyril Fournier a reçu une lettre en recommandé de son employeur « pour une entretien en vue d’une rupture conventionnelle » de son contrat de travail. Autrement dit, en vue de son licenciement. On lui reproche en effet un sérieux manque de motivation. Cyril Fournier s’est en effet mis en arrêt de travail du 16 au 27 décembre pour assister son petit garçon de dix ans, atteint d’une tumeur au cerveau et hospitalisé dans un état désespéré à l’Institut Curie. Il reprend le travail quelques jours mais s’arrête de nouveau pour assister à l’agonie de Théo qui meurt le 9 janvier.

Convoqué au siège parisien, il lui est reproché une sérieuse baisse de ses performances en novembre et en décembre et son licenciement lui est notifié. L’inspection du travail de Rennes, au vu du dossier, soutient sans réserve le salarié. « Je pensais pouvoir vivre dignement mon deuil, qu’on puisse trouver la paix pour nous reconstruire.» Mais ce monsieur n’a que ce qu’il mérite. On ne mélange pas son travail et ses problèmes personnels. Surtout quand la concurrence fait rage.

Antisémitisme : Galliano porte le chapeau

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John Galliano.

Rebelote : après la première plainte déposée jeudi soir contre John Galliano pour injures racistes, une autre cliente d’un autre bar du Marais vient de se souvenir qu’elle avait été victime d’une agression similaire en octobre dernier et a donc, elle aussi, porté plainte. On imagine que le MRAP, SOS et la Licra sont en embuscade, et j’attends avec impatience que se constitue une association de victimes, avec sa cellule d’aide psychologique contiguë…

Il va de soi que je n’ai aucune opinion sur la véracité des faits. Tout juste puis-je témoigner, comme mille autres clubbers, avoir croisé maintes fois Galliano et son couvre-chef du jour à des heures indues et dans des états avancés d’ébriété (pour lui comme pour moi), sans jamais avoir été témoin de tels agissements, et sans qu’aucune rumeur ne me parvienne attestant son penchant pour l’injure judéophobe ni même gynophobe. Et croyez-moi, c’est un monde où les rumeurs courent encore plus vite que les serveurs. Mais après tout, je suis pas derrière lui[1. Tss-tss, je vous vois venir avec ce « derrière lui » et je vous dis : halte-là, on en a mis en taule pour moins que ça !] 24 heures sur 24, et qui sait, il a peut-être dérapé. En tous les cas, lui, il nie et a porté plainte à son tour pour diffamation. Ce qui n’a pas empêché toutes les radios et télés d’aller tendre leurs micros à son accusatrice. Tout cela appelle plusieurs réflexions.

Tout d’abord, comme l’a rappelé Gil, je n’ai pas l’impression qu’Europe 1 soit sur la brèche à chaque fois qu’un petit juif – ou un petit gaulois ou un petit rebeu – se fait traiter de sale youpin dans son lycée ou sa cité. Or, ce qui définit un délit ou un crime, c’est la gravité des faits, et accessoirement, leur préméditation et leur intention. Si l’antisémitisme est une réelle menace dans notre pays, alors autant aller le débusquer là où il est, et pas là où on voudrait qu’il soit, chez Galliano, Frèche ou Christian Jacob. Ce n’est sûrement pas à cause de la dernière collection croisière de Dior que la kippa est interdite de fait dans maintes communes de banlieue…

Ensuite, il va se soi que confronté à une telle situation, je n’aurais évidemment pas porté plainte. Contrairement à la supposée victime, j’ai mieux à faire que de finir mes soirées au commissariat, même pour la bonne cause. Perso, selon mon humeur et mon degré d’imbibition, j’aurais placé le curseur réactif quelque part entre le changement de table et la gifle, en passant par le retour d’injure, le geste obscène ou l’aspersion du coupable au mojito bien sucré avec ses glaçons. La plaignante, elle, a choisi la voie judiciaire. C’est donc une fille de son temps, une moderne (j’espère qu’elle ne va pas me traîner devant les tribunaux, tant il vrai que, dans ma bouche, cette caractérisation est limite injurieuse).

Encore une fois, je ne sais si cette dame a enduré ou inventé les faits, ou bien si elle les a un peu ou beaucoup exagérés. Tout ce que je sais, c’est que sa vindicte procédurière lui a illico apporté une notoriété qui n’avait pas trop l’air de la déranger. Qu’on aimerait qu’il en aille ainsi pour les victimes d’arracheurs de sacs ou de conducteurs bourrés. Bref, je ne sais si elle a menti, mais je sais qu’elle a bénéficié de son quart d’heure warholien, avant même d’éventuels dommages et intérêts. Ce qui, pour une moderne, pourrait être une bonne raison de mentir ou, au moins, d’améliorer la réalité. Un rien de déontologie aurait donc dû conduire mes estimables confrères à une prudence de sioux sur cette affaire, voire à un silence-radio, disons équivalent, à celui qui entoure le million d’injures injurieuses proférées chaque jour dans ce pays.

Au lieu de quoi, on a jeté Galliano en pâture aux pigistes et aux moralistes. Il a été suspendu de ses fonctions par LVMH en toute illégalité et en toute quiétude. Son nom a été suffisamment accolé à l’adjectif antisémite pour qu’il ne s’en remette jamais.

J’espère qu’il gagnera ses procès et je lui suggère vivement de plaider non pas seulement la diffamation, mais aussi l’atteinte à sa présomption d’innocence. D’ailleurs si un magistrat regarde les JT ou écoute les infos, il a bien dû se rendre compte que cette présomption avait été allègrement violée. Mais je n’ai pas entendu dire que la justice se soit saisie de cette affaire dans l’affaire. Pourtant l’article 9-1 du Code civil est on ne peut plus clair, même moi j’ai tout compris : « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence. Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, ordonner l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence. »

Je veux bien croire que nos juges sous-payés et surchargés ont parfois du mal à attraper les coupables, mais alors qu’au moins, ils protègent un peu, les innocents…

En Libye, on reparle des infirmières bulgares…

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La vérité commence à pointer son nez. Mustafa Abdul-Jalil, ex ministre de la Justice de Kadhafi et aujourd’hui l’un de figures de proue de l’opposition, a officiellement révélé que l’affaire de l’infection HIV dans l’hôpital de Benghazi avait été montée de toutes pièces par le « frère guide ».

L’affaire avait éclaté fin 1998 quand les Libyens ont appris que 400 enfants avaient été contaminés par le virus du SIDA dans le cadre d’une véritable épidémie qui a frappé l’hôpital El-Fatih à Benghazi. Selon tous les témoignages dignes de foi, l’hygiène dans cet établissement était plus que douteuse, on y réutilisait par exemple les seringues sans qu’elles soient stérilisées.

Embarrassé, le pouvoir libyen, toujours prompt à se vanter de ses succès sanitaires et sociaux s’est cherché des boucs émissaires et a arrêté des dizaines de médecins et infirmières bulgares. Après deux « procès » et quelques rebondissements, cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien ont été condamné à mort, peine ensuite commuée en long emprisonnement, jusqu’à ce que qui l’on sait les fasse sortir.

Hélas, la joie des cinq Bulgares d’entendre enfin la vérité a été quelque peu gâchée par une déclaration de leur premier ministre. Boyko Borisov s’est surtout publiquement exprimé sur les 130 millions de dollars qu’il a dû payer pour rien. Le dirigeant bulgare devrait être plus attentif à l’esprit du temps. Au Caire, à Tunis, à Sanaa et à Alger on pense que la liberté n’a pas de prix…

J’aurais voulu être de droite

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Parfois, j’aimerais bien être de droite. La droite, maintenant, c’est très tendance (même Carla est devenue de droite avant d’être bientôt enceinte électoralement) et c’est la bonne conscience en prime. Avant, la bonne conscience, c’était la gauche. La certitude de l’avenir radieux, l’horizon indépassable de la société sans classe, les jours de pain et de roses. Ca rendait sûr de soi, on allait au martyre le sourire aux lèvres, on savait ce que ça coûtait : on parlait pour les fantômes massacrés de la Semaine Sanglante et l’ombre juvénile des fusillés de Chateaubriand.

C’est la droite qui rasait les murs. Elle avait le pouvoir politique, économique mais elle rasait les murs quand même. Voyez comment vivaient les grands bourgeois chez Mauriac, les moins grands chez Nourissier et les petits, voire très petits, chez Maupassant ou Simenon. On se cachait, on avait un peu honte, on se sentait obligé de faire la charité en se rappelant qu’il serait plus difficile pour un riche d’entrer au paradis que pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille. On lisait Léon Bloy comme d’autres revêtent un cilice, pour se faire souffrir. On se souvenait qu’il n’était pas rare de voir jusqu’au XIXème siècle des gens riches, le grand âge arrivant, se débarrasser de toute leur fortune comme d’une tunique de Nessus, la distribuer pour passer leurs dernières années confits en dévotion dans un couvent et espérer un hypothétique salut. Imaginez la même scène avec, disons, Serge Dassault, pour voir…

Et puis les choses ont changé. Les protestants ont commencé à déculpabiliser le riche. La fortune, signe d’élection divine. Cela a fait un tabac aux Etats-Unis, le premier pays de la droite vraiment décomplexée, de la droite sans mauvaise conscience : une Bible dans une main pour maintenir le pauvre dans la terreur de Dieu qui ne l’aime pas puisqu’il est pauvre, et de l’autre un fusil pour les pauvres qui auraient l’insolence de ne pas se laisser faire : Peaux-Rouges, Noirs, Communistes, ou si vous préférez Sitting Bull, Martin Luther King ou Sacco et Vanzetti, tous morts de mort violente au pays de la démocratie. À la fin, on en arrive aux mamans Grizzly des Tea Parties, comme la belle Sarah Palin, dont les discours sont tellement inspirés par le Bien, le Beau et le Vrai, que n’importe quel fou furieux se croit autorisé à tirer dans le tas des adversaires politiques et à faire six morts et douze blessés, ce qui, on en conviendra, est le comble de la bonne conscience déculpabilisée.

Chez nous, on n’en est pas là. Mais tout de même, la parole s’est pas mal libérée, comme on dit, et les dissidents de l’époque des Maitres censeurs d’Elisabeth Levy sont maintenant très écoutés.
J’entendais Michel Godet, il y a peu. Où ça ? Quelle importance : il est partout. Et quelle bonne conscience dans la façon de massacrer du fonctionnaire, de pourfendre l’assistanat, de célébrer les vertus définitives, cardinales, hypostasiées du Privé contre le Public : il sait d’ailleurs de quoi il parle puisqu’il a fait sa carrière exclusivement dans ce dernier. J’adorerais avoir de telles certitudes, être enfin certain que si les pauvres sont pauvres, c’est parce qu’ils ne se bougent pas assez et que la CGT est archaïque, corporatiste et dangereuse. En plus, tout le monde dirait que j’ai raison. Ça me changerait.

Parce qu’on n’ose plus trop bouger à gauche. La droite, son surmoi religieux a sauté tandis que nous, à gauche, on vit avec le ça du communisme : la dérive stalinienne, les expériences très moyennement réussies du socialisme réel à l’Est, la chute du Mur, on a beau dire, depuis, on se sent beaucoup moins à l’aise. Tellement moins à l’aise qu’un candidat comme Jospin modèle 2002 finit par dire que son programme n’est pas socialiste et que l’Etat ne peut pas tout tandis que DSK 2011, en président du FMI, prouve qu’un socialiste peut être un homme de droite comme un autre et saigner à blanc les peuples déficitaires, ce qui lui vaut la considération de tous.

Maintenant, j’en suis même à avoir honte d’être de gauche. On se sent tous toujours un peu coupable, finalement depuis que les nouveaux philosophes et François Furet nous ont expliqué que Saint-Just ou Robespierre, ils étaient pratiquement des gardiens de goulag en avance sur leur temps et que le nazisme puisait ses racines à gauche puisque que l’Etat s’occupait de tout. Que finalement, vouloir maintenir la retraite à soixante ans ou réclamer le respect du Code du travail, c’était ça le conservatisme, voire les prémices du totalitarisme.

Alors on rase les murs idéologiques qui ont des oreilles et qui nous dénoncent à Michel Godet dès qu’on chuchote entre nous, le rouge de la honte aux joues, des choses du genre : « Tu ne crois pas que ce serait normal de limiter de un à vingt l’écart des salaires dans une entreprise, comme le recommande la Confédération Européenne des Syndicats qui pourtant ne sont pas des bolcheviques. » Et alors là, mes amis, c’est le déluge : « Honteux ! Démagogique ! Populiste ! Vous voulez paralysez l’initiative ! La compétition ! Partageux ! » Il y a même des dessinateurs de presses qui montrent notre vraie nature avec esprit en croquant Mélenchon lisant le même discours que Marine Le Pen (qui elle-même est à gauche des identitaires, d’ailleurs)

Non, ce serait quand même mieux d’être de droite. Par exemple, si j’étais de droite, et ministre, je pourrais mentir, décorer des amis que je ne suis pas censé connaitre, faire financer mon parti par la première fortune de France, brader un hippodrome et demander à ce qu’on cesse de me harceler uniquement sur ma bonne mine qui est celle d’un honnête homme. Ou alors, je pourrais prendre des avions avec mon conjoint lui-même ministre et me draper dans ma dignité post-gaullienne si on me faisait remarquer que je ridiculise la diplomatie française.

Je pourrais aussi expliquer aux Français, en le croyant vraiment si ça se trouve, que le premier problème, ce n’est pas le chômage mais l’insécurité et que si ça ne fonctionne pas mieux, c’est parce que les policiers et les juges ne font pas leur travail. Tout en supprimant des milliers de postes et en ne remplaçant qu’un départ à la retraite sur deux. Et personne ne me dirait rien quand je ferais le lien entre délinquance et immigration ou que j’amuserais le tapis avec les Roms, le temps d’un été.

Je pourrais, rêvons un instant, être patron de France Telecom et responsable d’un management meurtrier qui aurait conduit des dizaines d’employés au suicide, me faire remplacer parce que trop c’est trop, mais rester quand même, comme n’importe quel ministre qui s’accroche, avec le titre de conseiller spécial, uniquement le temps de faire valoriser mes stock-options dont le cours est un peu trop bas en ce moment.

Oui, vraiment, quelle malchance d’être de gauche et de ne pas savoir me lever tôt le matin, travailler plus pour gagner plus et surtout de ne pas être le dépositaire de ces valeurs fondatrices de la droite et si visiblement illustrées aujourd’hui : la liberté, le respect, la responsabilité individuelle et la dignité.

Egypte : sous les pavés, la crise

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La crise libyenne rajoute une couche à la situation économique, déjà extrêmement dégradée, de l’Égypte. Comme dans beaucoup de pays du Tiers monde, les transferts d’argent de travailleurs émigrés égyptiens pèsent lourd dans l’économie : 12 milliards dollars par an, presque 3% du PIB. Mais cet argent pèse encore plus dans les revenus des familles pauvres car l’Egyptien typique qui travaille à l’étranger est plutôt un maçon ou un journalier qu’Omar Sharif ou Boutros Boutros-Ghali. Pour comprendre ce phénomène il faut savoir qu’à peu près 1,5 millions d’Egyptiens qui travaillaient en Libye envoyaient à leurs familles quelque chose comme 250 millions par an, c’est-à-dire 167 dollars par ouvrier… Ce ne sont pas des médecins ou des ingénieurs de l‘industrie pétrolière.

Pas question donc de toucher au budget de subventions – 5% du PIB – juste au moment où un million et demi de familles supplémentaires sont dans le besoin, sans parler des 20% d’Egyptiens qui vivent déjà en temps « normal » sous le seuil de pauvreté. Ceux-ci sont particulièrement nombreux dans les campagnes et le pouvoir en place compte beaucoup sur les paysans pauvres et conservateurs pour contrecarrer le mouvement démocratique, plutôt urbain.

Pas question non plus de mettre en cause les salaires des 6 millions de fonctionnaires récemment augmentés de 15%. Du côté du bâtiment les nouvelles ne sont pas bonnes non plus : les chantiers sont arrêtés et le chômage dans le secteur dépasse 80%. Quant au tourisme, durement touché, c’est certes une industrie capable de rebondir rapidement, mais à condition toutefois que l’image du pays change radicalement.

Bref, pour cette phase de transition, le gouvernement n’a d’autre solution que d’emprunter. Pas le temps pour des investissements et des projets à long terme : il faut du cash, beaucoup et illico pour tenir plusieurs mois sinon plus. L’Arabie saoudite, les États-Unis mais aussi l’Europe devraient mettre la main à la poche, faute de quoi la Place Tahrir risque de ne plus être seulement envahie par le badauds en quête d’une photo souvenir…

Tarification unisexe : Bruxelles ne manque pas d’assurance

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La Cour de justice de l’Union européenne vient de décider que « la prise en compte du sexe de l’assuré en tant que facteur de risques dans les contrats d’assurance constitue une discrimination » et qu’à ce titre, les compagnies d’assurances devront désormais pratiquer des tarifs unisexes à compter du 21 décembre 2012. Cette décision est accueillie partout avec un enthousiasme touchant à l’image de Viviane Reding, notre commissaire européenne à l’égalité, qui déclare « c’est un grand jour pour l’égalité des genres dans l’Union européenne ».

La cour vient donc d’entériner le fait que le sexe de l’assuré n’est pas un facteur déterminant dans l’évaluation des risques et donc, que les assureurs sont non seulement d’effroyables sexistes mais aussi totalement incohérents puisqu’ils discriminent en faveur des hommes en matière de pensions de retraite au motif fallacieux que ces derniers vivraient moins longtemps que les femmes et discriminent en faveur des conductrices au prétexte tout aussi mensonger qu’elles auraient moins d’accident graves que les conducteurs.

Heureusement, l’Union Européenne et ses myriades de petites réglementations sournoises et compliquées (bien qu’ultralibérales à ce qu’on dit…) sont là pour faire disparaître la dérogation inique qui permettait jusqu’alors aux assureurs de tenir compte de leurs tableaux statistiques et donc de ce réel que le législateur bruxellois ne saurait tolérer plus longtemps.

L’observateur attentif pourra donc bientôt mesurer l’augmentation généralisée de nos primes d’assurance et mettre ça sur le dos de la rapacité desdits assureurs. Il sera alors peut être temps de réclamer que cessent enfin les honteuses discriminations dont sont victimes les pauvres en matière de prêts immobiliers comme les Etats-Unis ont su si bien le faire.

Le baron de Googleberg

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Karl-Theodor Maria Nikolaus Johann Jacob Philipp Franz Joseph Sylvester Freiherr von und zu Guttenberg, 39 ans, ministre de la Défense de la République fédérale d’Allemagne vient de présenter sa démission à la chancelière Angela Merkel, qui l’a acceptée. Celui que ses amis appellent familièrement KTG n’est pas victime d’une erreur de destination vacancière, comme MAM, mais d’un scandale qui a alimenté pendant des semaines la presse et la blogosphère germaniques.

Des fouineurs mal intentionnés ont en effet découvert que la thèse de doctorat en droit du ministre, soutenue en 2007 devant l’université de Bayreuth, était en grande partie pompée sur d’autres publications, sous la forme primitive du copier-coller bien connue des étudiants flemmards. Lorsque l’on aura précisé que cette thèse avait pour objet l’étude comparative de l’évolution constitutionnelle des Etats-Unis d’Amérique et de l’Union européenne, on nous pardonnera de ne pas en faire de recension plus approfondie.

Cette affaire fait d’autant plus de bruit chez nos voisins allemands que Karl Theodor zu Guttenberg était considéré comme l’une des étoiles montante de la droite de son pays : député à 30 ans, ministre à 37 ans, il bénéficiait jusqu’au déclenchement de son « affaire » d’une popularité stratosphérique dans l’opinion allemande. Jamais moins de 65% d’opinions favorables dans les sondages, alors que la chancelière et son parti, la CDU, sont à la peine à la veille d’une année électorale à haut risque, où une demi-douzaine de scrutins régionaux s’annoncent difficiles pour la coalition de centre-droit actuellement au pouvoir. On prédisait même qu’en cas de défaite trop lourde, il serait le mieux placé pour remplacer Angela Merkel.

La Bavière, et son parti dominant, la CSU, qui n’ont jamais réussi à placer l’un des leurs à la chancellerie, voyaient dans cet héritier d’une grande famille aristocratique de l’ancien royaume de Louis II celui qui allait, enfin, damer le pion aux Prussiens dans leur capitale historique.
Il faut dire que Karl-Theodor a construit son existence dans cette perspective. Le handicap bavarois qui empêcha jadis Franz-Josef Strauss de monter la dernière marche du podium politique allemand ? KTG l’efface par son mariage avec Stephanie von Bismarck-Schönhausen, arrière-petite-fille du chancelier de fer. Aux nostalgiques du IIIème Reich, il n’aura pas échappé que la mère de Karl-Theodor, Christina Henkell, a épousé en secondes noces le fils de Joachim von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères de Hitler exécuté à Nuremberg, qui se prénomme, comme il se doit, Adolf. Aux antinazis, notre ex-ministre pouvait faire valoir que sa famille était apparentée à celle des Stauffenberg, dont est issu le chef du complot contre Hitler qui échoua d’un rien le 20 juillet 1944…

Il ne manquait plus à son blason qu’un titre de « Herr Doktor » qui vaut outre-Rhin toutes les légions d’honneur et tous les prix Goncourt. Ce titre est tellement important qu’il est intégré dans l’état-civil de celui ou celle qui l’obtient. Ceux qui connaissent un peu le système universitaire allemand savent bien qu’on ne le trouve pas dans une pochette surprise, et que le piston ne fonctionne bien que dans le moteur des grosses berlines dont il est inutile de citer la marque…

Helmut Kohl, politicien hors-pair mais étudiant moyen, n’avait obtenu son doctorat en histoire que grâce au coaching intensif d’un camarade de la CDU, Bernhard Vogel, qui était, par ailleurs, le frère du président du Parti social-démocrate Hans-Jochen Vogel. Mais cela se passait avant l’existence de Google et des touches de clavier permettant de noircir du papier sans trop se fatiguer les méninges.

Il faudra du temps, beaucoup de temps, pour que le baron von und zu Guttenberg fasse oublier le sobriquet dont aujourd’hui l’impitoyable presse allemande l’affublé : monsieur le baron de Googleberg.

Lorsque j’étais, il y a quelques lustres, correspondant à Bonn pour un quotidien du soir dans l’Allemagne chère à François Mauriac[1. le cher François avait déclaré, au lendemain de la guerre qu’il aimait tellement l’Allemagne qu’il était ravi qu’il en existe deux…], les hommes politiques du cru me faisaient régulièrement part de leur admiration étonnée pour leurs homologues français qui parvenaient à écrire des best-sellers en dépit des lourdes charges exigées par leurs fonctions. Jamais, patriotisme oblige, je ne vendis la mèche en leur révélant que dans notre vieille nation coloniale, le nègre était encore une valeur sûre…

Les vacances de Monsieur Guaino

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On pourrait appeler ça du journalisme d’inquisition. Mais heureusement, c’est une inquisition au petit pied dont le ridicule limite la capacité de nuisance. Il y a quelques années, pour être un grand journaliste, il fallait sortir des « affaires ». C’était souvent pénible et dégoûtant, mais il arrivait que les malheureux cloués au pilori médiatique eussent réellement commis des indélicatesses et confondu pour de bon les caisses de l’Etat avec celles de leur parti, voire avec leurs propres poches. Rivalisant pour épingler les plus puissants à leur tableau de chasse, les investigateurs prenaient des mines de conspirateurs pour aller déjeuner avec des juges ou des flics, mais au détour de leurs croisades pour le Bien, ils ont aussi révélé de vraies affaires d’Etat devenues impossible à camoufler sous le manteau de la raison du même nom.

Le nouveau feuilleton que nous offre le journalisme satirique, subversif et résistant donne la mesure de la décadence du métier. Désormais, pour faire trembler les tyrans qui nous oppriment, plus besoin de se casser la tête à remonter le cours de sombres transactions financières, ni même d’avoir la chance de se trouver à proximité quand ils lâchent une blague de fin de banquet. Non, il suffit de leur poser la question qui tue : « tu vas nous le dire, où t’as passé tes vacances ! ».

D’accord, ne mélangeons pas tout : l’escapade tunisienne de Madame Alliot-Marie était bel et bien une faute politique. Fillon en Egypte, c’était déjà beaucoup de bruit pour rien. Mais avec les vacances de monsieur Guaino, les Inrocks sombrent dans le grotesque, avec, en prime, une pointe de vraie dégueulasserie.

Je précise, pour ceux qui l’ignorent, qu’Henri Guaino est un ami. Enfin, un peu moins depuis que j’ai découvert qu’il a refilé ce scoop à la concurrence. Imaginez : la plume du président a passé ses vacances de Noël à Tripoli où il était reçu par son ami François Gouyette, ambassadeur de France en Lybie ! Il faudra d’ailleurs songer à dresser la liste des diplomates qui ont séjourné dans des pays non-démocratiques. Ennemis des peuples !

Donc, un journaliste frétillant appelle Guaino et, tel un flic qui braquerait sa lampe sur le visage d’un dur à cuire, le somme d’avouer. Au passage, il enregistre la conversation en loucedé : sans doute pense-t-il que ça lui donne le chic-espion. En tout cas, chapeau la déontologie ! Les propos de Guaino sont reproduits in extenso sur le site. Pour ceux qui n’auraient pas compris que les Inrocks jouent dans la cour des grands, le papier est annoncé à grands coups de trompette sous le titre affriolant « Le réveillon lybien d’Henri Guaino ». Du vrai SAS. « Et de trois ! », claironne le chapeau. Après MAM et Fillon, j’en tiens un autre chef ! Guaino chez Gouyette, ça, c’est du lourd !

Connaissant son caractère placide, je trouve surprenant et même un peu désolant que le « Conseiller spécial », tout en ironisant, ait répondu au journaliste au lieu de l’envoyer au diable. Peut-être s’est-il dit, dans un accès de sagesse, qu’il avait mieux à faire que nourrir une polémique idiote. Admettons qu’il a bien fait, même si j’attends avec impatience le jour où un politique osera remettre à sa place un de ces flics habillés en journaliste.

Si j’avais du temps à perdre, j’écrirais un livre sur les vacances des journalistes. Dites-donc, vous, vous n’étiez pas à Cuba, l’été dernier ? Ou au Vietnam ? Et votre week-end à Saint Petersbourg, vous n’avez pas honte, avec toutes les turpitudes de Poutine ? Pas bien propre tout ça. Sinon, pour ramener mes confrères à la raison, j’ai une petite idée : les obliger, chaque fois qu’un ministre ou un élu revient de vacances, à se farcir le récit détaillé avec séance de diapos.

Reste, tout de même, une petite raison de croire dans le journalisme de mon pays : la mayonnaise n’a pas vraiment pris. Certes, cette information de haute importance a donné lieu à deux dépêches avant d’être ânonnée par quelques confrères en mal de sensations. Mais je crois qu’il n’y aura pas d’affaire Guaino. Dommage pour les Inrocks qui voulaient se la jouer « Wahington Post façon Watergate » et n’ont réussi qu’à être le Canard Enchaîné du pauvre.

Et si ce n’était pas un scoop ?

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Hier matin, la une de Libé avait comme un air de déjà vu, ou plutôt de déjà lu.

Je fouille dans ma mémoire, mais rien. Alors, je fouille dans celle de mon Mac. Toujours rien. Alors je googlise « Et si ce n’était pas lui ? » . Et là, bingo, ce titre, c’est sur Causeur que je l’avais lu, et pile poil sur le même sujet, à savoir le possible lâchage de Nicolas Sarkozy par son camp pour 2012.

Aimée et Marc, les auteurs de l’article, que j’ai consulté immédiatement, plaident pour la coïncidence absolue. Ils espèrent néanmoins que Demorand ne leur fera pas un procès pour les avoir, selon la belle expression de l’Oulipo, plagiés par anticipation…

Quant à Nicolas Sarkozy, il n’a pas daigné répondre à mes questions. Fait dire aussi que je ne l’avais pas appelé…

Ça s’en va et ça revient

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Entre l’armée et le peuple, en Egypte, le courant passe de moins en moins. D’abord, il y a le problème d’Ahmad Chafik, le premier ministre nommé par Hosni Moubarak. La « coalition du 25 janvier » (nom donné à la nébuleuse des mouvements issus de la révolution) exige son départ avec les mêmes arguments avancés (avec succès) par les Tunisiens contre Mohamed Ghannouchi : à leurs yeux, cette figure de l’ancien régime n’est pas qualifiée pour diriger la transition. Le Conseil suprême des forces armées égyptiennes, dépositaire du pouvoir exécutif délégué à Chafik et ses collègues, fait la sourde oreille : dans cette partie de poker, les militaires n’ont pas l’intention d’abattre leurs cartes trop tôt.

Dans ce climat de soupçon, les leaders émergents du mouvement démocratique redoutent, non sans raison, être manipulés par le pouvoir et de se voir dépouillés des fruits de la révolution. Les premiers détails du plan de transformation politique concocté par les militaires et les anciens collaborateurs de Moubarak semblent justifier leurs craintes. L’armée entend imposer un rythme accéléré : réforme constitutionnelle dans 30 jours, suivie de deux élections législatives (pour la chambre basse et la chambre haute) et d’une élection présidentielle, rien que ça !

Cette marche forcée vers la démocratie en inquiète plus d’un, car cet échéancier donne clairement l’avantage aux acteurs politiques structurés, autrement dit aux Frères musulmans ainsi qu’à Al-Ḥizb al-Wataniy, l’ancien Parti national-démocrate de Moubarak, qui contrairement à son équivalent tunisien, n’a pas été dissout. Ce planning serré ne permet pas non plus à de nouveaux visages d’émerger et favorise les personnalités déjà connues comme Mohamed El-Baradei ou Amr Moussa, l’actuel président de la Ligue arabe et ancien ministre des Affaires étrangères de Hosni Moubarak. À 75 ans et avec un tel CV, difficile d’imaginer un profil moins adapté pour incarner un mouvement issu d’une triple rupture, générationnelle, politique et culturelle. Le débat se joue donc à front renversé : ceux qui poussaient il y a un mois à des changements rapides voudraient bien aujourd’hui freiner les conservateurs d’hier…

Entretemps, certains essaient de réoccuper la place Al-Tahrir – devenue un haut-lieu du tourisme révolutionnaire – tandis que l’armée tente de les contraindre doucement à décamper. Le général Hassan al-Ruwaini, commandant militaire de Caire, leur a rendu personnellement visite pour les exhorter à rentrer chez eux et faire confiance à l’armée. Pour le moment, frustrations et crispations restent en arrière-plan et tout le monde répète en boucle les slogans louant l’unité entre jaychouna (« notre armée ») et le peuple.

Dans ce crépuscule politique, c’est la question même de la légitimité qui est négociée sur la place publique. Pour le « camp démocrate », la réponse est claire : elle est issue de la rue, c’est-à-dire du peuple, aujourd’hui représenté par les leaders de la « révolution. De leur côté, le gouvernement et l’armée essaient de diluer le mouvement et se targuent d’une autre légitimité, celle que confère l’exercice du pouvoir. Espérant marquer des points faciles dans l’opinion, le pouvoir multiplie les poursuites pour corruption et resserre l’étau autour du raïs déchu et de sa famille. À sa manière, l’Egypte est déjà en campagne électorale.

Vers de nouveaux affrontements place Al-Tahrir ?

Quand on n’a plus la tête au travail…

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Un employeur est tout de même en droit d’exiger de ses salariés un minimum de motivation. Services 3D, antenne picarde de Samsic de Rennes et spécialisée dans les traitements antiparasites pour les entreprises, n’a pas eu de mal à repérer un tire-au-flanc dans ses propres rangs. C’est ainsi que le 13 janvier, Cyril Fournier a reçu une lettre en recommandé de son employeur « pour une entretien en vue d’une rupture conventionnelle » de son contrat de travail. Autrement dit, en vue de son licenciement. On lui reproche en effet un sérieux manque de motivation. Cyril Fournier s’est en effet mis en arrêt de travail du 16 au 27 décembre pour assister son petit garçon de dix ans, atteint d’une tumeur au cerveau et hospitalisé dans un état désespéré à l’Institut Curie. Il reprend le travail quelques jours mais s’arrête de nouveau pour assister à l’agonie de Théo qui meurt le 9 janvier.

Convoqué au siège parisien, il lui est reproché une sérieuse baisse de ses performances en novembre et en décembre et son licenciement lui est notifié. L’inspection du travail de Rennes, au vu du dossier, soutient sans réserve le salarié. « Je pensais pouvoir vivre dignement mon deuil, qu’on puisse trouver la paix pour nous reconstruire.» Mais ce monsieur n’a que ce qu’il mérite. On ne mélange pas son travail et ses problèmes personnels. Surtout quand la concurrence fait rage.

Antisémitisme : Galliano porte le chapeau

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John Galliano.
John Galliano.

Rebelote : après la première plainte déposée jeudi soir contre John Galliano pour injures racistes, une autre cliente d’un autre bar du Marais vient de se souvenir qu’elle avait été victime d’une agression similaire en octobre dernier et a donc, elle aussi, porté plainte. On imagine que le MRAP, SOS et la Licra sont en embuscade, et j’attends avec impatience que se constitue une association de victimes, avec sa cellule d’aide psychologique contiguë…

Il va de soi que je n’ai aucune opinion sur la véracité des faits. Tout juste puis-je témoigner, comme mille autres clubbers, avoir croisé maintes fois Galliano et son couvre-chef du jour à des heures indues et dans des états avancés d’ébriété (pour lui comme pour moi), sans jamais avoir été témoin de tels agissements, et sans qu’aucune rumeur ne me parvienne attestant son penchant pour l’injure judéophobe ni même gynophobe. Et croyez-moi, c’est un monde où les rumeurs courent encore plus vite que les serveurs. Mais après tout, je suis pas derrière lui[1. Tss-tss, je vous vois venir avec ce « derrière lui » et je vous dis : halte-là, on en a mis en taule pour moins que ça !] 24 heures sur 24, et qui sait, il a peut-être dérapé. En tous les cas, lui, il nie et a porté plainte à son tour pour diffamation. Ce qui n’a pas empêché toutes les radios et télés d’aller tendre leurs micros à son accusatrice. Tout cela appelle plusieurs réflexions.

Tout d’abord, comme l’a rappelé Gil, je n’ai pas l’impression qu’Europe 1 soit sur la brèche à chaque fois qu’un petit juif – ou un petit gaulois ou un petit rebeu – se fait traiter de sale youpin dans son lycée ou sa cité. Or, ce qui définit un délit ou un crime, c’est la gravité des faits, et accessoirement, leur préméditation et leur intention. Si l’antisémitisme est une réelle menace dans notre pays, alors autant aller le débusquer là où il est, et pas là où on voudrait qu’il soit, chez Galliano, Frèche ou Christian Jacob. Ce n’est sûrement pas à cause de la dernière collection croisière de Dior que la kippa est interdite de fait dans maintes communes de banlieue…

Ensuite, il va se soi que confronté à une telle situation, je n’aurais évidemment pas porté plainte. Contrairement à la supposée victime, j’ai mieux à faire que de finir mes soirées au commissariat, même pour la bonne cause. Perso, selon mon humeur et mon degré d’imbibition, j’aurais placé le curseur réactif quelque part entre le changement de table et la gifle, en passant par le retour d’injure, le geste obscène ou l’aspersion du coupable au mojito bien sucré avec ses glaçons. La plaignante, elle, a choisi la voie judiciaire. C’est donc une fille de son temps, une moderne (j’espère qu’elle ne va pas me traîner devant les tribunaux, tant il vrai que, dans ma bouche, cette caractérisation est limite injurieuse).

Encore une fois, je ne sais si cette dame a enduré ou inventé les faits, ou bien si elle les a un peu ou beaucoup exagérés. Tout ce que je sais, c’est que sa vindicte procédurière lui a illico apporté une notoriété qui n’avait pas trop l’air de la déranger. Qu’on aimerait qu’il en aille ainsi pour les victimes d’arracheurs de sacs ou de conducteurs bourrés. Bref, je ne sais si elle a menti, mais je sais qu’elle a bénéficié de son quart d’heure warholien, avant même d’éventuels dommages et intérêts. Ce qui, pour une moderne, pourrait être une bonne raison de mentir ou, au moins, d’améliorer la réalité. Un rien de déontologie aurait donc dû conduire mes estimables confrères à une prudence de sioux sur cette affaire, voire à un silence-radio, disons équivalent, à celui qui entoure le million d’injures injurieuses proférées chaque jour dans ce pays.

Au lieu de quoi, on a jeté Galliano en pâture aux pigistes et aux moralistes. Il a été suspendu de ses fonctions par LVMH en toute illégalité et en toute quiétude. Son nom a été suffisamment accolé à l’adjectif antisémite pour qu’il ne s’en remette jamais.

J’espère qu’il gagnera ses procès et je lui suggère vivement de plaider non pas seulement la diffamation, mais aussi l’atteinte à sa présomption d’innocence. D’ailleurs si un magistrat regarde les JT ou écoute les infos, il a bien dû se rendre compte que cette présomption avait été allègrement violée. Mais je n’ai pas entendu dire que la justice se soit saisie de cette affaire dans l’affaire. Pourtant l’article 9-1 du Code civil est on ne peut plus clair, même moi j’ai tout compris : « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence. Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, ordonner l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence. »

Je veux bien croire que nos juges sous-payés et surchargés ont parfois du mal à attraper les coupables, mais alors qu’au moins, ils protègent un peu, les innocents…

En Libye, on reparle des infirmières bulgares…

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La vérité commence à pointer son nez. Mustafa Abdul-Jalil, ex ministre de la Justice de Kadhafi et aujourd’hui l’un de figures de proue de l’opposition, a officiellement révélé que l’affaire de l’infection HIV dans l’hôpital de Benghazi avait été montée de toutes pièces par le « frère guide ».

L’affaire avait éclaté fin 1998 quand les Libyens ont appris que 400 enfants avaient été contaminés par le virus du SIDA dans le cadre d’une véritable épidémie qui a frappé l’hôpital El-Fatih à Benghazi. Selon tous les témoignages dignes de foi, l’hygiène dans cet établissement était plus que douteuse, on y réutilisait par exemple les seringues sans qu’elles soient stérilisées.

Embarrassé, le pouvoir libyen, toujours prompt à se vanter de ses succès sanitaires et sociaux s’est cherché des boucs émissaires et a arrêté des dizaines de médecins et infirmières bulgares. Après deux « procès » et quelques rebondissements, cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien ont été condamné à mort, peine ensuite commuée en long emprisonnement, jusqu’à ce que qui l’on sait les fasse sortir.

Hélas, la joie des cinq Bulgares d’entendre enfin la vérité a été quelque peu gâchée par une déclaration de leur premier ministre. Boyko Borisov s’est surtout publiquement exprimé sur les 130 millions de dollars qu’il a dû payer pour rien. Le dirigeant bulgare devrait être plus attentif à l’esprit du temps. Au Caire, à Tunis, à Sanaa et à Alger on pense que la liberté n’a pas de prix…

J’aurais voulu être de droite

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Parfois, j’aimerais bien être de droite. La droite, maintenant, c’est très tendance (même Carla est devenue de droite avant d’être bientôt enceinte électoralement) et c’est la bonne conscience en prime. Avant, la bonne conscience, c’était la gauche. La certitude de l’avenir radieux, l’horizon indépassable de la société sans classe, les jours de pain et de roses. Ca rendait sûr de soi, on allait au martyre le sourire aux lèvres, on savait ce que ça coûtait : on parlait pour les fantômes massacrés de la Semaine Sanglante et l’ombre juvénile des fusillés de Chateaubriand.

C’est la droite qui rasait les murs. Elle avait le pouvoir politique, économique mais elle rasait les murs quand même. Voyez comment vivaient les grands bourgeois chez Mauriac, les moins grands chez Nourissier et les petits, voire très petits, chez Maupassant ou Simenon. On se cachait, on avait un peu honte, on se sentait obligé de faire la charité en se rappelant qu’il serait plus difficile pour un riche d’entrer au paradis que pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille. On lisait Léon Bloy comme d’autres revêtent un cilice, pour se faire souffrir. On se souvenait qu’il n’était pas rare de voir jusqu’au XIXème siècle des gens riches, le grand âge arrivant, se débarrasser de toute leur fortune comme d’une tunique de Nessus, la distribuer pour passer leurs dernières années confits en dévotion dans un couvent et espérer un hypothétique salut. Imaginez la même scène avec, disons, Serge Dassault, pour voir…

Et puis les choses ont changé. Les protestants ont commencé à déculpabiliser le riche. La fortune, signe d’élection divine. Cela a fait un tabac aux Etats-Unis, le premier pays de la droite vraiment décomplexée, de la droite sans mauvaise conscience : une Bible dans une main pour maintenir le pauvre dans la terreur de Dieu qui ne l’aime pas puisqu’il est pauvre, et de l’autre un fusil pour les pauvres qui auraient l’insolence de ne pas se laisser faire : Peaux-Rouges, Noirs, Communistes, ou si vous préférez Sitting Bull, Martin Luther King ou Sacco et Vanzetti, tous morts de mort violente au pays de la démocratie. À la fin, on en arrive aux mamans Grizzly des Tea Parties, comme la belle Sarah Palin, dont les discours sont tellement inspirés par le Bien, le Beau et le Vrai, que n’importe quel fou furieux se croit autorisé à tirer dans le tas des adversaires politiques et à faire six morts et douze blessés, ce qui, on en conviendra, est le comble de la bonne conscience déculpabilisée.

Chez nous, on n’en est pas là. Mais tout de même, la parole s’est pas mal libérée, comme on dit, et les dissidents de l’époque des Maitres censeurs d’Elisabeth Levy sont maintenant très écoutés.
J’entendais Michel Godet, il y a peu. Où ça ? Quelle importance : il est partout. Et quelle bonne conscience dans la façon de massacrer du fonctionnaire, de pourfendre l’assistanat, de célébrer les vertus définitives, cardinales, hypostasiées du Privé contre le Public : il sait d’ailleurs de quoi il parle puisqu’il a fait sa carrière exclusivement dans ce dernier. J’adorerais avoir de telles certitudes, être enfin certain que si les pauvres sont pauvres, c’est parce qu’ils ne se bougent pas assez et que la CGT est archaïque, corporatiste et dangereuse. En plus, tout le monde dirait que j’ai raison. Ça me changerait.

Parce qu’on n’ose plus trop bouger à gauche. La droite, son surmoi religieux a sauté tandis que nous, à gauche, on vit avec le ça du communisme : la dérive stalinienne, les expériences très moyennement réussies du socialisme réel à l’Est, la chute du Mur, on a beau dire, depuis, on se sent beaucoup moins à l’aise. Tellement moins à l’aise qu’un candidat comme Jospin modèle 2002 finit par dire que son programme n’est pas socialiste et que l’Etat ne peut pas tout tandis que DSK 2011, en président du FMI, prouve qu’un socialiste peut être un homme de droite comme un autre et saigner à blanc les peuples déficitaires, ce qui lui vaut la considération de tous.

Maintenant, j’en suis même à avoir honte d’être de gauche. On se sent tous toujours un peu coupable, finalement depuis que les nouveaux philosophes et François Furet nous ont expliqué que Saint-Just ou Robespierre, ils étaient pratiquement des gardiens de goulag en avance sur leur temps et que le nazisme puisait ses racines à gauche puisque que l’Etat s’occupait de tout. Que finalement, vouloir maintenir la retraite à soixante ans ou réclamer le respect du Code du travail, c’était ça le conservatisme, voire les prémices du totalitarisme.

Alors on rase les murs idéologiques qui ont des oreilles et qui nous dénoncent à Michel Godet dès qu’on chuchote entre nous, le rouge de la honte aux joues, des choses du genre : « Tu ne crois pas que ce serait normal de limiter de un à vingt l’écart des salaires dans une entreprise, comme le recommande la Confédération Européenne des Syndicats qui pourtant ne sont pas des bolcheviques. » Et alors là, mes amis, c’est le déluge : « Honteux ! Démagogique ! Populiste ! Vous voulez paralysez l’initiative ! La compétition ! Partageux ! » Il y a même des dessinateurs de presses qui montrent notre vraie nature avec esprit en croquant Mélenchon lisant le même discours que Marine Le Pen (qui elle-même est à gauche des identitaires, d’ailleurs)

Non, ce serait quand même mieux d’être de droite. Par exemple, si j’étais de droite, et ministre, je pourrais mentir, décorer des amis que je ne suis pas censé connaitre, faire financer mon parti par la première fortune de France, brader un hippodrome et demander à ce qu’on cesse de me harceler uniquement sur ma bonne mine qui est celle d’un honnête homme. Ou alors, je pourrais prendre des avions avec mon conjoint lui-même ministre et me draper dans ma dignité post-gaullienne si on me faisait remarquer que je ridiculise la diplomatie française.

Je pourrais aussi expliquer aux Français, en le croyant vraiment si ça se trouve, que le premier problème, ce n’est pas le chômage mais l’insécurité et que si ça ne fonctionne pas mieux, c’est parce que les policiers et les juges ne font pas leur travail. Tout en supprimant des milliers de postes et en ne remplaçant qu’un départ à la retraite sur deux. Et personne ne me dirait rien quand je ferais le lien entre délinquance et immigration ou que j’amuserais le tapis avec les Roms, le temps d’un été.

Je pourrais, rêvons un instant, être patron de France Telecom et responsable d’un management meurtrier qui aurait conduit des dizaines d’employés au suicide, me faire remplacer parce que trop c’est trop, mais rester quand même, comme n’importe quel ministre qui s’accroche, avec le titre de conseiller spécial, uniquement le temps de faire valoriser mes stock-options dont le cours est un peu trop bas en ce moment.

Oui, vraiment, quelle malchance d’être de gauche et de ne pas savoir me lever tôt le matin, travailler plus pour gagner plus et surtout de ne pas être le dépositaire de ces valeurs fondatrices de la droite et si visiblement illustrées aujourd’hui : la liberté, le respect, la responsabilité individuelle et la dignité.