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L’ordre moral, c’est le « pass contraception »

Gene Wilder avec Daisy (Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander)

Sophie Flamand et Cyril Bennasar ont tous deux réagi à mon article sur le « Pass contraception » distribué dans les lycées. La première développe un point de vue différent du mien, mais qui, m’a-t-il semblé, lui fait assez justement objection. Le second, lui, m’assimile courtoisement à un « catho coincé du cul » ; comme il me croit en outre académicien[1. Pour « l’Académicien », je plaide coupable : je ne sais pourquoi quand Cyril Bennasar m’a demandé si François Taillandier était membre de l’Académie française, j’ai répondu par l’affirmative, sans la moindre malice. Sans doute parce que, à mon avis, François mériterait de l’être bien plus que beaucoup d’autres qui le sont. J’ose espérer que François me pardonnera non seulement cette inexactitude mais aussi l’espoir qu’elle sera bientôt rectifiée par son entrée à l’Académie (en supposant qu’il le souhaite). EL], cela prouve qu’il est assez mal renseigné sur moi. Peu importe. Toutefois, j’ai eu l’impression dans les deux cas qu’on répondait non pas à ce que je disais, mais à ce qu’on s’imaginait que j’avais dit. Or ce sont des sujets graves, et, selon un mot célèbre, « entre l’inconvénient de se répéter et celui de n’être pas entendu, il n’y a pas à balancer ».

Puisqu’il faut donc mettre les points sur les « i », je commencerai par dire que je ne suis nullement partisan de proscrire l’usage de la contraception, primo parce que venant de moi ce serait de la tartufferie, secundo parce je suis moi aussi extrêmement attaché aux libertés laïques invoquées par Bennasar. J’ajoute que je ne suis nullement opposé à l’usage de la pilule par de jeunes filles mineures, pour la bonne et simple raison que cela ne me regarde pas. Et de même, tout catholique que je sois (coincé ou pas), je suis favorable au fait que l’IVG soit légale, pour les mêmes raisons que mon contradicteur. Simplement, je me demande si 200.000 avortements annuels dans notre pays, à côté d’environ huit cent mille naissances, ça ne pose pas quand même un petit problème… C’est un autre débat.

Mais j’en reviens à ce que j’ai voulu dire, et je vais tenter d’être plus clair. Cyril Bennasar invoque le spectre d’un « ordre moral », que des phalanges ensoutanées voudraient nous imposer à grands coups de goupillon. Fantasme assez commode, en effet, pour qui ne veut pas ouvrir les yeux sur le nouvel ordre sexuel que la société moderne est en train de mettre en place (qu’on ne voie pas là une thèse complotiste : comme toujours, il n’y a besoin de complot), et que je n’appellerai pas ordre moral, car il est d’une autre nature, qu’il nous faut précisément chercher à nommer.

Ce qui me déplaît dans cette histoire de « pass » (ouvrira-t-on bientôt des hôtels de pass ? Nos adolescents, souvent, ne savent pas où aller…), ce n’est pas que les jeunes filles puissent prendre la pilule, c’est que j’y vois un nouveau symptôme d’un mal à la fois rampant et galopant : l’immixtion de la collectivité dans la vie individuelle, avec toujours un bon prétexte, certes, de prévention en sensibilisation, de législation en réglementation, d’incitation en interdiction. (Au fait, qu’est devenue dans cette affaire l’autorité parentale ? Je croyais que selon la loi elle s’appliquait jusque à 18 ans ?) Or, cette immixtion n’est pas neutre. Elle véhicule une conception des choses, une philosophie ou plutôt une idéologie. En matière de sexualité, à côté d’évolutions tout-à-fait bienvenues (concernant l’homosexualité, par exemple), la vision qui s’impose dans notre société de façon diffuse et multiple (et pas seulement avec le « pass ») ne me semble pas être libératrice au sens où l’entend Cyril Bennasar, mais sinistrement pragmatique, platement utilitaire : le sexe est considéré comme une fonctionnalité parmi d’autres, quand ce n’est pas comme un élément de confort domestique. Nous ne sommes plus censés avoir des désirs, mais des besoins. On n’a plus à rechercher un enthousiasme, juste à obtenir sa ration. La « jolie pomme défendue » se mue en cinq fruits et légumes par jour. Nous relevons de la gestion. Le sanitarisme s’en mêle : un rapport médical nous apprenait récemment qu’à partir de 21 éjaculations mensuelles, le risque de cancer de la prostate diminue et qu’« un bon rapport sexuel » (sic) équivaut sur le plan cardiovasculaire à deux heures de jogging. Voilà du discours triste ; voilà ce qui arrive quand le Conseil régional se mêle des amours, ou quand les autorités de santé s’inquiètent des baisers. Moi je dis : faites l’amour, pas l’espérance de vie ! Aimerdésirer plutôt que mangerbouger !

Jean Paulhan s’arrêta jadis, on le sait, devant cette inscription à la grille d’un square public de Tarbes : « Défense d’entrer dans le jardin avec des fleurs. » Alors, j’ai beau être catho (à ma façon), je veux entrer dans le jardin avec des fleurs, toutes les fleurs, de la pâquerette à la tubéreuse, de la jonquille à l’orchidée. À cet égard, Sophie Flamand a raison de me faire observer que la contraception permet justement d’y entrer sans crainte. Mais je ne crois pas avoir dit le contraire.

Sarkozy aime les Dominique…

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Il n’a échappé à personne que les mésaventures new-yorkaises du champion du PS ont doublement servi l’actuel Président de la République. En le débarrassant, d’abord, d’un candidat que les sondages annonçaient imbattable ; en annihilant, ensuite, l’essentiel de la puissance de feu des socialistes à son encontre (frasques, argent, abaissement de l’image de la France : vraiment ?) – et ce, à l’orée même d’une séquence qui s’annonce très Kennedy pour Sarkozy et son élégante épouse enceinte. Non, vraiment, merci Dominique !

Nicolas Sarkozy pourrait d’ailleurs en remercier un autre, de Dominique : Dominique Besnehard, jadis âme damnée de Ségolène Royal, et qui tient un petit rôle dans La Conquête. Lors d’une scène mémorable, où il est chargé d’imiter la candidate du PS pendant une répétition du débat de second tour, il la campe en dinde hystérique, avec une gourmandise visiblement revancharde. Voilà un coup de poignard qui a dû réjouir l’Elysée… D’autant que ce film, qu’on annonçait assassin – voyez l’affiche ! – pourrait fort bien faire gagner sinon des voix du moins la sympathie du public. Sarkozy y apparaît certes arrogant et agité mais humain, touchant même, et finalement assez sympathique (si ! si ! même les bobos en sortent troublés…) comparés aux autres protagonistes. Et notamment à Villepin, son plus redoutable concurrent à droite, qui est ici croqué en petite crapule ordurière, survolté de haine sous son brushing argenté. S’il y a une conclusion à tirer, pour 2012, du film La Conquête, elle est claire (stream) : exit Dominique !

Ca commence à faire beaucoup, sans être tout à fait suffisant pour qualifier ces coïncidences de « miracle ». Manque encore un petit quelque chose… Que la gauche, par exemple, présente une candidate unique dès le premier tour – disons Dominique Voynet, au hasard.

La Russie courtise-t-elle le Pakistan?

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photo : Pakistan Ministry of Defence

Les relations entre la Russie et le Pakistan étant plutôt glaciales, l’accueil chaleureux fait à Moscou la semaine dernière au Président pakistanais Asif Ali Zardari a de quoi surprendre. Alliée traditionnel de l’Inde pendant la Guerre froide, l’Union soviétique est quasiment devenue un ennemi officiel du Pakistan après l’occupation de l’Afghanistan en 1980. Pour Islamabad, la présence des Soviétiques, principaux fournisseurs d’armes de New Delhi, dans son arrière-cour afghane constituait un insupportable défi stratégique. Le Pakistan avait donc tout intérêt à prêter main-forte aux Américains pour mener la guérilla antirusse en Afghanistan. Les services pakistanais ont recruté les élèves des Medersas – les fameux « talibans » – parmi les réfugiés pachtounes qui fuyaient l’Armée Rouge. Et on sait que l’ISI a aidé un certain Oussama Ben Laden qui leur avait été recommandé par les Saoudiens et s’est avéré un redoutable leader de guerre insurrectionnelle. Le Pakistan a donc apporté une contribution notable à la défaite russe en Afghanistan et accessoirement à la chute de l’Empire soviétique. Un quart de siècle plus tard, tout a changé… sauf la géographie.

Depuis la retraite soviétique d’Afghanistan en 1989, le bloc de l’Est s’est écroulé, la Guerre froide est terminée, mais le plus inquiétant pour les Pakistanais, c’est le rapprochement entre les Etats-Unis et l’Inde. Ancien pilier des « non-alignés », celle-ci table sur son intégration dans la mondialisation pour assurer la croissance économique nécessaire à son développement alors qu’elle disputera bientôt à la Chine le titre du pays le plus peuplé au monde. Or, dans les années 1990/2000, cette ambition passait par le bon vouloir de Washington. Alliés traditionnels du Pakistan, les Américains ont « blanchi » la bombe nucléaire indienne, tandis que les Indiens ont de plus en plus fait leurs emplettes militaires en Amérique.

Pour le Pakistan, c’était la double peine : non seulement il voyait ses alliés faire les yeux doux à son pire ennemi, mais il subissait les séquelles à long terme de la guerre afghane des années 1980. Encouragés et organisés dans le cadre de la guerre antisoviétique, les talibans menacent le précaire équilibre pakistanais et risquent de précipiter le pays dans la terreur et le chaos d’une guerre civile de moins en moins larvée.
Dans ce contexte déjà difficile, la récente élimination d’Oussama Ben Laden en plein cœur du Pakistan a mis au grand jour les tensions et l’amertume qui plombe aujourd’hui les relations entre Washington et Islamabad. Les échanges de tirs mardi entre un hélicoptère de l’OTAN et des soldats pakistanais ne peuvent que contribuer au pourrissement de la situation. Dans ce climat, la visite à Moscou du Président Zardari est un message adressé à Washington et à New Delhi : Islamabad a plus d’une carte dans sa manche.

Les Russes, de leur côté, sont ravis de l’opportunité qui leur est offerte de troubler le jeu et de reprendre pied dans cette région stratégique avoisinant les Républiques musulmanes de l’ex-URSS. Islamisme, drogue, gaz et jeu d’échec entre puissances : l’Afghanistan est toujours le terrain d’un « Grand Jeu », au XXIème siècle comme au XIXème.
La Russie craint, et à raison, un retrait rapide des États-Unis, qui pourrait favoriser le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan en même temps qu’une guerre civile larvée aux conséquences fâcheuses pour les voisins. Pour autant, les Russes ne souhaitent pas voir s’installer des bases américaines permanentes si près de leur arrière-cour. L’influence des Etats-Unis dans certaines républiques ex-soviétiques est déjà jugée difficilement supportable par Moscou et une présence américaine prolongée en Afghanistan ne pourrait que la renforcer.

La Russie aimerait donc faire émerger une solution dite « régionale », minimisant le rôle des troupes occidentales. Le problème, c’est que les contours de cette solution restent assez vagues. En attendant qu’elle se précise, l’idée est d’avancer sur le plan diplomatique en intégrant l’Afghanistan dans une organisation régionale qui fonctionne depuis une petite décennie, l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). Longtemps réticents vis-à-vis de ce « machin » concocté par les Chinois, les Russes semblent donc prêts à rechercher un compromis avec Pékin pour enfoncer un coin entre Islamabad et Washington. D’où le ballet diplomatique qui a précédé le voyage du chef d’Etat pakistanais à Moscou : un sommet sino-pakistanais organisé à Islamabad fin avril a été suivi d’une visite du ministre chinois des Affaires étrangères, Yang Jiechi, à Moscou. L’aboutissement de ces manœuvres pourrait être l’admission simultanée de lors du prochain sommet de l’OCS.

On connaît les excellentes raisons que les Etats-Unis ont de se méfier de leur partenaire pakistanais qui brandit sa faiblesse structurelle à tout bout de champ pour justifier tout et son contraire. Mais on évoque moins souvent les griefs, en partie légitimes, d’Islamabad vis-à-vis de son allié historique, peu soucieux de prendre en compte la complexité de la société pakistanaise. En tentant de contraindre Islamabad à renforcer sa lutte contre les radicaux, les Américains pourraient déstabiliser le gouvernement et saper les fondements mêmes d’un Etat, qui possède – grâce à la Chine ! – un arsenal nucléaire militaire.

La solution idéale serait que le Pakistan et l’Afghanistan deviennent de véritables nations capables de se doter d’Etats efficaces et démocratiques. Sauf que cela risque de prendre quelques générations. Or, nous sommes un peu pressés. Pour l’instant, on peut en tout cas observer que les intérêts du Pakistan et ceux des Etats-Unis divergent de plus en plus en ce début du XXIe. Le « Grand Jeu » continue, mais les cartes sont en train d’être rebattues.

Voir Guyancourt et mourir

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Le suicide d’un ingénieur Renault travaillant au technocentre de Guyancourt, qui s’était produit en 2006, vient d’être reconnu en appel comme étant dû à une « faute inexcusable » de la direction de l’entreprise. Le technocentre de Guyancourt se révèle, à force, comme une zone d’insécurité de haute intensité mais sans les patrouilles de la BAC accompagnées par les coups de menton de Claude Guéant. On pourra rappeler, en dehors des suicides à répétition, la récente affaire des ingénieurs mis à pied dans une fausse affaire d’espionnage industriel et réhabilités en catastrophe, une fois l’intox démontrée.

Dans le cas qui nous occupe, on remarquera que c’est la première fois qu’un dossier de ce genre parvient à ce stade de la procédure et continue à donner tort à l’employeur. Mais comme c’est très mal de toujours mettre en cause les patrons humanistes comme Carlos Ghosn, on pourra suggérer d’autres prétextes que le management par la terreur aux prochains suicides. Au choix, le suicide solidaire avec la plainte des petits enfants de Louis Renault, pas du tout indécente, contre la nationalisation sanction de 1945 après faits de collaboration avérés. Ou, pourquoi pas, le suicide faisant part de l’indignation légitime des salariés devant la libération conditionnelle, après un quart de siècle de zonzon, de Rouillan, chef d’Action Directe, le groupe armé qui procéda à l’exécution en 1986 de Georges Besse, PDG de ce qu’on appelait encore, plus pour très longtemps, la Régie Renault.

Le patronat et ses immigrés n’ont pas tous les droits

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Peter Skaarup, porte-parole du Parti du Peuple Danois (photo : MARIA FONFARA)

On dit souvent que le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Ce n’est pas faux : entre deux prolétaires − ces hommes et ces femmes qui ne possèdent que leur force de travail −, celui qui s’active de bonne heure a plus d’emprise sur le réel que celui qui reste au lit. En louant ses bras ou son cerveau, il reçoit un salaire qui lui donne un pouvoir d’achat plus élevé, donc une liberté d’action supérieure à celle que la manne de l’État-providence offre à celui qui se contente de tendre la main. On me dira que celui ou celle qui loue son cul gagne plus en restant couché qu’en se levant aux aurores pour aller au turbin mais, d’abord, ce n’est pas toujours le cas parce que, des prolos du sexe, il y en a, et puis ce n’est pas le sujet.[access capability= »lire_inedits »]

Si le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, il appartient plus encore à ceux qui emploient des ouvriers qui se lèvent tôt. Si le monde que l’on possède se résume aux richesses que l’on produit, il revient à ceux qui assurent la production mais plus encore à ceux qui les font travailler et qui, au final, disposent des fruits de leur travail. Ainsi, la mention des ouvriers n’invalide pas la célèbre formule : elle lui donne une autre réalité.
De la même façon, on peut dire que les immigrés acceptent des emplois que les Français ne veulent pas : c’est un fait. Mais il serait plus précis − et donc plus vrai − de dire que les immigrés prennent des emplois dont les Français ne veulent pas aux salaires qui leur sont proposés. Même le travail le plus ingrat trouverait preneur s’il était correctement payé et une hausse des rémunérations accompagnée d’une baisse des indemnisations pour les chômeurs remettrait sûrement au boulot une bonne partie des Français sans travail.

Seulement, dans le monde du libre-échange, ce remède au chômage serait pire que le mal car les richesses produites par des travailleurs décemment payés en France, mais exposés à la concurrence mondiale, seraient invendables, et la ruine de nos entreprises ne tarderait pas. Voilà pourquoi le choix que nous avons fait, ou que certains ont fait pour nous, d’une économie mondialisée, au lieu d’assurer un travail à tous les nationaux, « nous » conduit à exporter nos usines et à importer des ouvriers. Les dommages sont réels, mais les avantages aussi. Aucun Français ne descend plus dans les mines et, même dans les régions hier industrielles et aujourd’hui sinistrées, les chômeurs possèdent des téléphones portables et des téléviseurs dernier cri. L’emploi le plus dur, le plus épuisant et le plus répétitif, ce travail à la chaîne que j’ai un peu connu et qui m’aurait sûrement jeté dans les bras d’Action directe si je ne l’avais fui pour saisir la chance de l’artisanat, est confié à des étrangers, chez eux ou chez nous.

Les propriétaires qui font rénover leurs appartements par des Polonais payés au lance-pierre et les familles qui font torcher leurs vieux par des Africaines pour trois cacahuètes sont ravis. Mais le système a ses limites. La plus-value réalisée pas ces esclaves modernes ne suffit plus à entretenir tous ceux que cette mondialisation « heureuse » a privés d’emploi, et les comptes sociaux rougissent doucement mais sûrement. De plus, les Européens qui accueillent pour de vrai, dans leurs quartiers, toute cette misère s’inquiètent de voir leurs pays ressembler de plus en plus au tiers-monde et demandent que la tendance soit au moins contrôlée. C’est ce qu’on appelle, au Nouvel Obs, la « droitisation » voire la « fascisation » de l’Europe. À l’exception des trotskistes sans frontières qui risquent, couillons comme ils sont, de faire élire Strauss-Kahn en 2012, les plus fervents partisans du statu quo libéral et libertaire en matière d’immigration sont les représentants du grand patronat, ceux qui ont des ouvriers qui se lèvent tôt. Peu leur importe l’islamisation de nos banlieues ou l’appauvrissement des autochtones : ces réalités n’entrent pas dans leurs bilans comptables et ils peuvent bien défendre le droit des peuples à circuler librement et à déculturer leur environnement, ils s’en fichent, ils ne vivent pas dans le même monde que les « gros cons » qui votent FN, comme dit Sophie Aram.

Un article du Monde signé Olivier Truc nous informe qu’au Danemark, le Premier ministre, soutenu par 59 % de la population et par l’extrême droite, propose une loi qui obligerait les travailleurs étrangers à prendre une assurance privée pour couvrir leurs frais de santé pendant les quatre premières années de leur séjour. Cette discrimination suscite les critiques du conseiller de Dansk Industri, le patronat danois, qui déclare: « Il sera plus dur d’attirer des employés de l’étranger si ces derniers doivent payer les impôts parmi les plus élevés au monde sans avoir droit aux mêmes services que leurs collègues. »

À l’instar du patronat, le Parti conservateur est sceptique. Il craint que ce projet dissuade les étrangers de venir travailler au Danemark et que cela cause du tort aux entreprises danoises qui auront du mal à recruter la main-d’œuvre dont elles ont besoin. Chez nous aussi, ce type de proposition divise. À la suite de Laurence Parisot, la présidente du Medef, qui plaide dans Libération pour que « la France reste un pays ouvert, qui accueille de nouvelles cultures et profite du métissage », Christine Lagarde a pris ses distances avec le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, qui proposait de réduire l’immigration de travail – de 200 000 à 180 000 personnes par an, une révolution. « L’immigration qui est légale, évidemment, il faut qu’elle soit protégée et sécurisée, a affirmé la ministre de l’Économie. Dans le long terme, on aura besoin de main-d’œuvre. »

On peut supposer que ce « on » est plus industriel et patronal que prolétaire et national : en confiant les boulots mal payés à toujours plus d’immigrés, « nous finissons par ne plus nous sentir chez nous », comme dirait Guéant, au diapason de nombreux Français. À quelle France « profite le métissage » dont parle la patronne du Medef ? Accueille-t-elle de « nouvelles cultures » dans son immeuble, dans sa cité, dans son quartier ? « Dans le long terme », quels bénéfices les prolétaires indigènes (ici, c’est nous) peuvent-ils espérer d’une politique migratoire « protégée et sécurisée », c’est-à-dire intouchable ? Une immigration maintenue à ce rythme ne risque-t-elle pas de transformer notre civilisation ou de l’effacer ? Et pour quels profits ? Qui est gagnant quand on mène une politique industrielle qui remplace des travailleurs devenus trop coûteux par d’autres ?

Le grand patronat, qui a obtenu le regroupement familial et ne veut pas entendre parler de frontières, milite pour l’introduction et la protection de son nouveau prolétariat comme le chasseur veille sur son gibier et organise la disparition de la faune concurrente, inutile et nuisible. Et tout ça pour quoi ? Si encore les gains de ces exploitations contribuaient à la défense et au rayonnement de l’héritage culturel occidental ! Si seulement ils rendaient en beauté un peu de ce qu’ils prennent ! Même pas. Cette bourgeoisie vulgaire qui amasse des fortunes grâce à son entreprise – consciente ou pas − de « grand remplacement »[1. Merci Renaud Camus] est au-dessous de tout. C’est à croire que trop d’argent tue le bon goût et le sens du devoir, car la classe autrefois cultivée et gardienne de l’esthétique européenne est devenue jet-set, people et bling-bling. Elle se planque dans des villas ou sur des yachts entre ses putes et ses larbins, très loin de la France d’en-bas et des zones occupées par les nouvelles classes populaires. Elle survole en jet privé les nations devenues de « petits villages », comme dirait Alain Minc, ou des « hôtels », comme dirait Jacques Attali, et contemple avec satisfaction l’Europe devenue un marché. Elle finance un art moderne ennemi juré de la beauté qu’elle exhibe jusque dans les galeries du château de Versailles, ne construit plus de cathédrales mais veut nous imposer des mosquées.

Si les Lagarde et les Parisot devaient l’emporter sur les Guéant, si les libéraux « remplacistes » devaient avoir raison des « réactionnaires », pour défendre notre identité, notre culture et notre civilisation, une révolution s’imposera. Populaire, prolétarienne et, comme on dit au Nouvel Obs, « populiste ». Les temps changent et il faut y faire face, ou bien se laisser mourir en tant que peuple. Plutôt crever ![/access]

La photo de DSK en prison : un cliché qui prête à caution ?

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Le quotidien newyorkais Daily News a publié sur son site une photo de Dominique Strauss-Kahn en tenue bleue de prisonnier à Rikers.

On ne vous la montrera pas ici, des fois que les avocats français de DS, souhaiteraient financer via quelques procès juteux en droit à l’image les onéreux frais de surveillance (200 000 euros par mois) de leur client. Cela dit personne ne peut vous interdire de la voir en tapant les mots-clés adéquats sur Google Image

On soulignera que le journal qui a publié ce « scoop », est un tabloïd trash de la plus belle eau, auprès duquel notre France-Soir fait figure d’édition quotidienne du Monde Diplo. Son traitement de l’affaire est plutôt tendancieux , disons presque autant que celui de Laurence Haïm, la correspondante permanente de Canal+ et iTélé aux USA, mais pas vraiment dans le même sens . Alors que Laurence s’étranglait de rage après le premier maintien en détention de DSK ou pleurait presque d’émotion après l’annonce finale de sa libération sous caution, le Daily News lui, multipliait les Unes vengeresses comme celle-ci :

ou encore celle-ci :

On notera que sur ce dernier cliché, les artistes du Daily News s’essayent déjà au photomontage en juxtaposant une photo de leur nouveau chouchou et une toise anthropométrique de police. Il n’est pas exclu , mais alors pas du tout exclu qu’ils aient procédé de même pour ce prétendu portrait de DSK période bleue.

Est-ce cela qui a empêché quotidiens, hebdos ou télés de montrer ladite image ? On les avait connus moins circonspects au moment du fameux cliché bidon made in Pakistan de Ben Laden mort…

Lars von Trier, nazi malgré lui

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Europa, réalisé par Lars von Trier en 1991. image : lemmy_caution

Avant l’affaire, j’aimais bien Lars Von Trier. Certes, je n’ai pas vu la plupart de ses films parce que je sais que les gentils y meurent beaucoup à la fin, et que je préfère les happy end.

J’ai néanmoins vu et adoré le docu-drama punk Les idiots, que je tiens pour un très grand film politique. Ce film, logiquement, aurait dû s’appeler Les débiles, puisque c’est la traduction exacte et que c’est de ça qu’il s’agit : dans un pays nordique socialiste quelconque, très fier de protéger toutes ses minorités, une bande de potes décident de vivre comme des handicapés mentaux, juste pour voir jusqu’où on peut pousser le bouchon trop loin, ou plutôt à partir d’où on ne peut plus. Je ne sais si le mot « buonisme » avait déjà été inventé à l’époque, mais sa mise à mort était déjà impeccablement ficelée par Lars qui, au passage, résumait son film ainsi : « Un film par des idiots, sur des idiots, pour des idiots ».

Je ne vais pas souvent voir ses films, mais je suis d’assez près sa démarche, je lis ou regarde avec plaisir ses interviews, exercice dans lequel il a l’air généralement mal à l’aise, parce que souvent confronté à un critique qui ne comprend que chique à ce qu’il fait. Il n’aime pas les journalistes, qui globalement le lui rendent bien. N’empêche, c’est grâce à des Européens comme lui, ou comme Pialat, Kusturica, Moretti, Almodovar ou Kaurismäki[1. Soyez gentils, ne cherchez pas dans cette liste les abominables frères Dardenne] que le bon cinéma ne se fait pas seulement à Hollywood et que Cannes n’est pas seulement une sous-préfecture pour cafetiers retraités déguisés en yachtmen.

Or, j’apprends ce soir qu’en plus d’être idiot, Lars von Trier est nazi. Et contrairement à son collègue de panzerdivision Galliano, là, on en a la preuve par l’image : il l’a dit face caméras à Cannes lors de la conf’ de presse de Melancholia ! Faites chauffer l’échafaud

Malgré le montage franchement jdanovien des extraits, il n’est pas besoin d’être grand sémioticien pour voir que le cinéaste déconne, ou provoque à la limite du mauvais goût, ou se hasarde quelque part dans la zone floue qui sépare l’humour au second degré de l’humour au troisième degré. Mais il faut croire que tout le monde n’a pas d’yeux pour voir, c’est dommage pour des envoyés spéciaux d’un festival du film. L’an prochain, autant y envoyer Gilbert Montagné.

Mines contrites des présentateurs, tweets rageurs et outrés, pages facebook « dédiées » déclaration pathétique du psychanalyste amateur Claude Lelouch qui parle d’un « véritable suicide cinématographique »[2. Lelouch sait de quoi il parle, il est lui-même cinématographiquement mort depuis quarante ans] et tout le toutim, including des demandes d’excuses faites par la direction du Festival, et obtenues aussitôt : dès le lendemain de sa sortie, Lars se fendait d’un communiqué et d’une interview circonstanciée sur France 3, où notons-le, il a eu le bon goût de ne pas rappeler que sa femme – donc ses enfants – étaient juifs.

L’affaire aurait pu en rester là. Des propos choquants (au sens de propos qui peuvent choquer) suivis d’excuses, e la nave va , vogue le navire, comme disait Fellini. Sincèrement je croyais qu’on allait classer l’affaire comme on avait classé sans suite celle de clients plus sérieux tels Ken Loach, Palme d’Or 2006 qui, il y a deux ans à Bruxelles, avait déclaré, et le plus sérieusement du monde : « Ça ne me surprend pas qu’il y ait une montée (de l’antisémitisme). En fait, c’est parfaitement compréhensible car Israël alimente des sentiments d’antisémitisme. »

Dans un premier temps, on a en effet cru à l’apaisement, manifestement souhaité par ceux des organisateurs qui connaissent le lascar. Mais non, après les excuses, après les explications, le Conseil d’administration du Festival a finalement décidé d’intimer l’ordre à Lars von Trier de quitter Cannes immédiatement, à croire que Gilles Jacob est sénéchal de la cité, avec pouvoir de bannissement.

Pourquoi cette radicalisation ? Sans doute la peur de l’effet Blanc, de l’effet Guerlain ou de l’effet Galliano, donc des représailles médiatiques des supposés gardiens du temple. On est bien obligé de constater que la direction du Festival s’est conformée à la ligne dure prônée par le CRIF, dont le communiqué de presse se concluait ainsi : « Lars von Trier n’a rien à faire dans un festival de Cannes dont une partie des participants auraient été envoyés en camp d’extermination par Hitler, cet homme pour qui il éprouve tant de sympathie. »

Et moi qui croyais qu’on avait plus d’humour que les goys…

DSK , Demorand et Libé : Cocu, oui mais par qui ?

Au demeurant, Demorand à tout bon, son éditorial sanglant de ce matin, titré « Cocu », est bien écrit, bref et pose de sacrées bonnes questions. Voici comment il commence : « Que savaient exactement les dirigeants socialistes de la vie privée de DSK ? De son rapport aux femmes ? Estimaient-ils qu’il y avait là un problème, voire un risque politique ? Ou pensaient-ils que les communicants sauraient trouver les mots, arrondir les angles, peut-être étouffer les scandales ? Comment ont-ils reçu les propos d’une des leurs, députée PS, avouant sa peur de se retrouver seule dans la même pièce que lui ? Et ceux de la fille d’une des leurs, faisant état à la télévision d’une tentative de viol présumée ? »

Sauf qu’on ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu. Et avant d’aller, si j’ose dire, faire le ménage chez les autres, Demorand pourrait nettoyer les placards chez lui, à Libération pour voir s’il n’y traine pas quelques cadavres. En clair, par exemple, vérifier si Tristane Banon n’est pas allé raconter son toute son histoire à Libé juste après les faits et si les gens qui dirigeaient le journal à l’époque ne l’auraient pas jugée indigne d’intérêt. Ce serait aussi l’occasion de vérifier si cette décision d’enterrement prise par Serge July n’a pas été validée par de très nombreux petits chefs, dont la plupart pointent encore rue Béranger.

L’électeur de gauche, comme le conclut poétiquement Demorand dans son édito, a de quoi se sentir cocu. Le lecteur de gauche aussi, Nicolas…

On l’a échappé belle !

photo : Parti socialiste

Il y a du Stavisky dans cette affaire. Je fais ici allusion au fait divers qui a failli emporter la IIIème République en 1934. À propos de DSK, on a sans doute raison de parler de séisme, mais on sait désormais qu’après le séisme vient le tsunami qui peut être plus dévastateur que le séisme lui-même.
De quoi s’agit-il ? Tout simplement de la faillite des élites.

Ceux qui croient pouvoir exonérer la droite se trompent lourdement. Nicolas Sarkozy confiait en privé à qui voulait l’entendre qu’il ne craignait absolument pas DSK comme challenger car il était certain qu’une affaire de mœurs sérieuse ruinerait son image avant la fin de son mandat au FMI. En plus de témoignages directs, le Président disposait sans doute de fiches des RG étayant sa conviction. Et sachant cela, il a tout fait pour faciliter sa nomination au FMI ? On mesure aujourd’hui toutes les conséquences de cette irresponsabilité: le spectacle atterrant du Directeur général du FMI menotté et encadré par deux policiers est une humiliation ressentie par tous les Français.

Venons-en aux hiérarques de gauche. « Ça ne ressemble absolument pas à DSK », « ce ne correspond absolument pas au Dominique que nous connaissons » . Ces phrases tournent en boucle depuis dimanche dans le logiciel socialiste. Or il semble bien que, justement, « ça ressemble à DSK » ! Ça lui ressemble même tellement que depuis plusieurs années, de nombreuses affaires allant du harcèlement à la tentative de viol pur et simple sont connues de tous. C’est précisément à ces affaires que faisait allusion Sarkozy dans ses conversations privées. Sans savoir exactement, personne ne les ignorait complètement, mais nous étions tous complices, soulagés de nous soumettre à la chape de plomb imposée. Au nom du sacro-saint respect de la vie privée. Mais s’agissait-il de vie privée ou d’affaires délictueuses voire criminelles ?

On ne saurait, enfin, disculper les médias qui n’ont jamais enquêté sérieusement sur ces affaires. Cette discrétion de violette ne s’explique pas seulement par le respect dû à la vie privée, surtout en France, mais aussi par une espèce de gauloiserie qui voit en tout dragueur un champion potentiel sans admettre qu’au-delà de la drague, certains comportements relèvent de soins intensifs en établissement psychiatrique.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Nous ne savons pas ce qui s’est passé dans la chambre 2806 du Sofitel de Manhattan. Mais la probabilité pour que quelque chose de grave ait eu lieu est franchement élevée. Il y a quelques mois, DSK déclarait aux journalistes de Libé qu’il s’attendait à toute provocation de cette nature du fait de sa réputation sulfureuse, ce qui prouve qu’il lui arrivait d’être lucide. Mais d’où venait cette réputation, d’un complot ? Cette fumée était-elle née par génération spontanée en l’absence du moindre feu ? Et puisqu’il se savait attendu au tournant, n’aurait-il pas dû se montrer plus irréprochable que la femme de César elle-même ? En supposant même qu’il soit tombé dans un piège, cela prouve au minimum son incapacité à maîtriser sa propre destinée. Un acte manqué en quelque sorte. Selon l’hypothèse la plus extrême (et probable), DSK aurait cédé à une pulsion incontrôlable et commis l’irréparable. Dans tous les cas on tremble à l’idée que cet homme aurait pu devenir Président le République. Et on se félicite que la pulsion ait contrarié l’ambition à temps.

Le bilan est pour le moins atterrant. Voilà donc des mois que le microcosme médiatico-politique fabrique un champion présidentiel présenté comme le Messie venu nous délivrer du sarkozysme. Les sondages lui promettent une élection à 60 % des voix, on vante son action exemplaire au FMI, on salue sa vision d’une gauche moderne et rénovatrice… Depuis Jacques Delors, on n’avait pas vu un tel engouement. Bref, on était au nirvana et on se retrouve avec un psychopathe présumé complètement irresponsable. Et tous savaient au moins que le « terrain DSK » était complètement miné et que chacune de ces mines pouvait nous péter à la gueule à tout instant. L’explosion a eu lieu samedi et elle détruit tout sur son passage.

Comment ne pas comprendre que cette duperie va provoquer des ravages énormes dans une opinion déjà travaillée par le populisme, et favoriser la montée en puissance de Marine Le Pen ? Elle a été la première à comprendre tout le parti qu’elle pouvait tirer de ce scandale planétaire. Le tsunami travaille aujourd’hui dans les profondeurs de la société. Où s’arrêtera-t-il ?

Christian Claudon, ouvrier en pré-retraite

photo d'écran BFM TV

Il votera sans doute Mélenchon à la présidentielle. Christian Claudon est le prototype du prolo perdu par les socialistes mais pas gagné par le Front national. « Je comprends bien les gens qui ont envie de voter pour Marine Le Pen ; moi, bizarrement, ça ne me dit rien. » Il n’a pas tellement plus d’explications que ça à donner. « Ça ne lui dit rien », l’expression revient souvent.

« Personne ne défend l’ouvrier aujourd’hui, tout le monde s’en fout. » Il évoque une grève pour les salaires et contre le licenciement de certains intérimaires menée dans une grande boîte américaine implantée près d’Épinal, qu’il suit de près dans le journal parce que lui-même y a travaillé. « Le tribunal vient de dire que leur grève est illégale, s’énerve-t-il en buvant son café. « Illégale« , qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’on est juste bon à fermer sa gueule quand on a du travail ? » Il s’estime verni : à 59 ans, il « profite » d’une retraite anticipée de la métallurgie. « J’ai commencé jeune, à 15 ans, c’était normal que je parte plus tôt, non ? » Normal, mais pas si confortable que ça. Comme tout le monde dans ce coin des Vosges, il « bricole » pour arrondir les fins de mois : on échange des œufs contre des légumes avec ceux qui « font du jardin ». On fait du bois l’hiver, des travaux l’été. « Je ne me plains pas, j’en suis sorti, moi. Les gosses, c’est pas pareil. »[access capability= »lire_inedits »]

Ses enfants ont un métier : son fils est maçon ; sa fille, elle, enchaîne les contrats précaires dans une maison de retraite. « Ils ne se plaignent pas, ils ont pu acheter une maison, une voiture, et ne sont pas malheureux. » Tous les jeunes, autour de lui, jonglent de boulot en boulot, en croisant les doigts pour ne pas rester trop longtemps au chômage: « C’est la nouvelle mentalité. Quand je me souviens qu’on avait juste à se baisser pour trouver du travail, j’ai l’impression de parler du Moyen-âge. Parfois, je me demande si ça a vraiment existé : d’ailleurs, aucun politique ne dit que ça pourrait revenir ».

Lui n’a connu le chômage qu’une fois, après la faillite de l’entreprise où il travaillait : « On nous prenait pour des imbéciles : dans la cellule de reconversion, on voulait nous faire faire des stages, écrire des CV. J’ai fait comme les autres, j’ai claqué la porte, j’ai retrouvé du boulot en faisant le tour des boîtes dans la zone industrielle d’Épinal. » C’était en 1989. « Je me doute que ça ne marche plus comme ça, mais on laisse les patrons faire tout ce qu’ils veulent. Ils réclament des sous pour investir, puis ils partent à l’étranger et personne ne dit rien. Tout le monde a la trouille. »

Christian a vaguement acheté des timbres CGT dans les années 1970, a fait toutes les grèves pour les salaires, les conditions de travail, l’emploi. Et puis il a laissé tomber. « J’ai vu que les syndicalistes devenaient des hommes politiques comme les autres et s’inquiétaient plus de leur carrière que de l’usine. C’est pour ça que je ne suis pas allé manifester contre la réforme des retraites : se retrouver à 100 péquins à Épinal devant la préfecture, ça ne fait pas très envie. »

La politique, c’est pareil, ça le décourage : « Je vais voter, c’est le seul truc qui nous reste à nous, les petits. Mais parfois, je me demande à quoi ça sert. » L’abstention ne le surprend pas, le vote FN non plus : « Tant qu’ils continueront, tous, à ne pas s’occuper des problèmes des gens, rien ne changera. L’essence trop chère, le fioul hors de prix, l’euro, la viande, les légumes, les impôts, les riches, rien ne change. C’est pourtant pas compliqué de voir ce qui intéresse les gens non ? Les socialistes ont l’air de s’en foutre et moi, je ne voterai pas pour DSK. Autant élire un patron direct. »

Alors Mélenchon ? « Il gueule, il n’a pas peur des autres, je crois qu’il défendra l’ouvrier et les petits. Moi j’aime ça, les gens pas content. Franchement il n’y a aucune raison d’être content aujourd’hui. » Il met au crédit du candidat du Parti de gauche son changement de pied sur l’Europe : « Lui, au moins, il avoue qu’il s’est planté en votant pour Maastricht. On voit bien que c’est le problème : regardez sur les routes tous ces camions roumains, slovènes ou pire qui roulent jour et nuit et cassent les prix. Comment voulez-vous protéger votre industrie, si les Européens eux-mêmes ne respectent pas les règles ? Voilà à quoi ça sert, l’Europe : tirer tout le monde vers le bas… »

Bizarrement, il trouve que Marine Le Pen ne « gueule » pas assez : « Elle dit des trucs vrais, comme sur l’euro ou sur les « gros » qui se goinfrent. Mais j’ai l’impression qu’elle veut juste le pouvoir pour le pouvoir, et qu’elle ne fera pas tout péter. Au point où on en est, c’est bien ça qu’il faut, non ? » Ses voisins, qui ont voté Sarkozy en 2007, le font rigoler. « Ils se sont bien fait avoir en croyant qu’un ouvrier pouvait voter pour la droite, mais la droite, c’est pas pour nous. J’espère qu’ils ne se feront pas avoir une deuxième fois. » Pourtant, l’élection a beau approcher, Christian et ses proches ne parlent pas trop de politique : « C’est un coup à se fâcher, les gens sont trop énervés, et en même temps on ne voit pas de solution. »[/access]

L’ordre moral, c’est le « pass contraception »

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Gene Wilder avec Daisy (Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander)

Sophie Flamand et Cyril Bennasar ont tous deux réagi à mon article sur le « Pass contraception » distribué dans les lycées. La première développe un point de vue différent du mien, mais qui, m’a-t-il semblé, lui fait assez justement objection. Le second, lui, m’assimile courtoisement à un « catho coincé du cul » ; comme il me croit en outre académicien[1. Pour « l’Académicien », je plaide coupable : je ne sais pourquoi quand Cyril Bennasar m’a demandé si François Taillandier était membre de l’Académie française, j’ai répondu par l’affirmative, sans la moindre malice. Sans doute parce que, à mon avis, François mériterait de l’être bien plus que beaucoup d’autres qui le sont. J’ose espérer que François me pardonnera non seulement cette inexactitude mais aussi l’espoir qu’elle sera bientôt rectifiée par son entrée à l’Académie (en supposant qu’il le souhaite). EL], cela prouve qu’il est assez mal renseigné sur moi. Peu importe. Toutefois, j’ai eu l’impression dans les deux cas qu’on répondait non pas à ce que je disais, mais à ce qu’on s’imaginait que j’avais dit. Or ce sont des sujets graves, et, selon un mot célèbre, « entre l’inconvénient de se répéter et celui de n’être pas entendu, il n’y a pas à balancer ».

Puisqu’il faut donc mettre les points sur les « i », je commencerai par dire que je ne suis nullement partisan de proscrire l’usage de la contraception, primo parce que venant de moi ce serait de la tartufferie, secundo parce je suis moi aussi extrêmement attaché aux libertés laïques invoquées par Bennasar. J’ajoute que je ne suis nullement opposé à l’usage de la pilule par de jeunes filles mineures, pour la bonne et simple raison que cela ne me regarde pas. Et de même, tout catholique que je sois (coincé ou pas), je suis favorable au fait que l’IVG soit légale, pour les mêmes raisons que mon contradicteur. Simplement, je me demande si 200.000 avortements annuels dans notre pays, à côté d’environ huit cent mille naissances, ça ne pose pas quand même un petit problème… C’est un autre débat.

Mais j’en reviens à ce que j’ai voulu dire, et je vais tenter d’être plus clair. Cyril Bennasar invoque le spectre d’un « ordre moral », que des phalanges ensoutanées voudraient nous imposer à grands coups de goupillon. Fantasme assez commode, en effet, pour qui ne veut pas ouvrir les yeux sur le nouvel ordre sexuel que la société moderne est en train de mettre en place (qu’on ne voie pas là une thèse complotiste : comme toujours, il n’y a besoin de complot), et que je n’appellerai pas ordre moral, car il est d’une autre nature, qu’il nous faut précisément chercher à nommer.

Ce qui me déplaît dans cette histoire de « pass » (ouvrira-t-on bientôt des hôtels de pass ? Nos adolescents, souvent, ne savent pas où aller…), ce n’est pas que les jeunes filles puissent prendre la pilule, c’est que j’y vois un nouveau symptôme d’un mal à la fois rampant et galopant : l’immixtion de la collectivité dans la vie individuelle, avec toujours un bon prétexte, certes, de prévention en sensibilisation, de législation en réglementation, d’incitation en interdiction. (Au fait, qu’est devenue dans cette affaire l’autorité parentale ? Je croyais que selon la loi elle s’appliquait jusque à 18 ans ?) Or, cette immixtion n’est pas neutre. Elle véhicule une conception des choses, une philosophie ou plutôt une idéologie. En matière de sexualité, à côté d’évolutions tout-à-fait bienvenues (concernant l’homosexualité, par exemple), la vision qui s’impose dans notre société de façon diffuse et multiple (et pas seulement avec le « pass ») ne me semble pas être libératrice au sens où l’entend Cyril Bennasar, mais sinistrement pragmatique, platement utilitaire : le sexe est considéré comme une fonctionnalité parmi d’autres, quand ce n’est pas comme un élément de confort domestique. Nous ne sommes plus censés avoir des désirs, mais des besoins. On n’a plus à rechercher un enthousiasme, juste à obtenir sa ration. La « jolie pomme défendue » se mue en cinq fruits et légumes par jour. Nous relevons de la gestion. Le sanitarisme s’en mêle : un rapport médical nous apprenait récemment qu’à partir de 21 éjaculations mensuelles, le risque de cancer de la prostate diminue et qu’« un bon rapport sexuel » (sic) équivaut sur le plan cardiovasculaire à deux heures de jogging. Voilà du discours triste ; voilà ce qui arrive quand le Conseil régional se mêle des amours, ou quand les autorités de santé s’inquiètent des baisers. Moi je dis : faites l’amour, pas l’espérance de vie ! Aimerdésirer plutôt que mangerbouger !

Jean Paulhan s’arrêta jadis, on le sait, devant cette inscription à la grille d’un square public de Tarbes : « Défense d’entrer dans le jardin avec des fleurs. » Alors, j’ai beau être catho (à ma façon), je veux entrer dans le jardin avec des fleurs, toutes les fleurs, de la pâquerette à la tubéreuse, de la jonquille à l’orchidée. À cet égard, Sophie Flamand a raison de me faire observer que la contraception permet justement d’y entrer sans crainte. Mais je ne crois pas avoir dit le contraire.

Sarkozy aime les Dominique…

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Il n’a échappé à personne que les mésaventures new-yorkaises du champion du PS ont doublement servi l’actuel Président de la République. En le débarrassant, d’abord, d’un candidat que les sondages annonçaient imbattable ; en annihilant, ensuite, l’essentiel de la puissance de feu des socialistes à son encontre (frasques, argent, abaissement de l’image de la France : vraiment ?) – et ce, à l’orée même d’une séquence qui s’annonce très Kennedy pour Sarkozy et son élégante épouse enceinte. Non, vraiment, merci Dominique !

Nicolas Sarkozy pourrait d’ailleurs en remercier un autre, de Dominique : Dominique Besnehard, jadis âme damnée de Ségolène Royal, et qui tient un petit rôle dans La Conquête. Lors d’une scène mémorable, où il est chargé d’imiter la candidate du PS pendant une répétition du débat de second tour, il la campe en dinde hystérique, avec une gourmandise visiblement revancharde. Voilà un coup de poignard qui a dû réjouir l’Elysée… D’autant que ce film, qu’on annonçait assassin – voyez l’affiche ! – pourrait fort bien faire gagner sinon des voix du moins la sympathie du public. Sarkozy y apparaît certes arrogant et agité mais humain, touchant même, et finalement assez sympathique (si ! si ! même les bobos en sortent troublés…) comparés aux autres protagonistes. Et notamment à Villepin, son plus redoutable concurrent à droite, qui est ici croqué en petite crapule ordurière, survolté de haine sous son brushing argenté. S’il y a une conclusion à tirer, pour 2012, du film La Conquête, elle est claire (stream) : exit Dominique !

Ca commence à faire beaucoup, sans être tout à fait suffisant pour qualifier ces coïncidences de « miracle ». Manque encore un petit quelque chose… Que la gauche, par exemple, présente une candidate unique dès le premier tour – disons Dominique Voynet, au hasard.

La Russie courtise-t-elle le Pakistan?

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photo : Pakistan Ministry of Defence

Les relations entre la Russie et le Pakistan étant plutôt glaciales, l’accueil chaleureux fait à Moscou la semaine dernière au Président pakistanais Asif Ali Zardari a de quoi surprendre. Alliée traditionnel de l’Inde pendant la Guerre froide, l’Union soviétique est quasiment devenue un ennemi officiel du Pakistan après l’occupation de l’Afghanistan en 1980. Pour Islamabad, la présence des Soviétiques, principaux fournisseurs d’armes de New Delhi, dans son arrière-cour afghane constituait un insupportable défi stratégique. Le Pakistan avait donc tout intérêt à prêter main-forte aux Américains pour mener la guérilla antirusse en Afghanistan. Les services pakistanais ont recruté les élèves des Medersas – les fameux « talibans » – parmi les réfugiés pachtounes qui fuyaient l’Armée Rouge. Et on sait que l’ISI a aidé un certain Oussama Ben Laden qui leur avait été recommandé par les Saoudiens et s’est avéré un redoutable leader de guerre insurrectionnelle. Le Pakistan a donc apporté une contribution notable à la défaite russe en Afghanistan et accessoirement à la chute de l’Empire soviétique. Un quart de siècle plus tard, tout a changé… sauf la géographie.

Depuis la retraite soviétique d’Afghanistan en 1989, le bloc de l’Est s’est écroulé, la Guerre froide est terminée, mais le plus inquiétant pour les Pakistanais, c’est le rapprochement entre les Etats-Unis et l’Inde. Ancien pilier des « non-alignés », celle-ci table sur son intégration dans la mondialisation pour assurer la croissance économique nécessaire à son développement alors qu’elle disputera bientôt à la Chine le titre du pays le plus peuplé au monde. Or, dans les années 1990/2000, cette ambition passait par le bon vouloir de Washington. Alliés traditionnels du Pakistan, les Américains ont « blanchi » la bombe nucléaire indienne, tandis que les Indiens ont de plus en plus fait leurs emplettes militaires en Amérique.

Pour le Pakistan, c’était la double peine : non seulement il voyait ses alliés faire les yeux doux à son pire ennemi, mais il subissait les séquelles à long terme de la guerre afghane des années 1980. Encouragés et organisés dans le cadre de la guerre antisoviétique, les talibans menacent le précaire équilibre pakistanais et risquent de précipiter le pays dans la terreur et le chaos d’une guerre civile de moins en moins larvée.
Dans ce contexte déjà difficile, la récente élimination d’Oussama Ben Laden en plein cœur du Pakistan a mis au grand jour les tensions et l’amertume qui plombe aujourd’hui les relations entre Washington et Islamabad. Les échanges de tirs mardi entre un hélicoptère de l’OTAN et des soldats pakistanais ne peuvent que contribuer au pourrissement de la situation. Dans ce climat, la visite à Moscou du Président Zardari est un message adressé à Washington et à New Delhi : Islamabad a plus d’une carte dans sa manche.

Les Russes, de leur côté, sont ravis de l’opportunité qui leur est offerte de troubler le jeu et de reprendre pied dans cette région stratégique avoisinant les Républiques musulmanes de l’ex-URSS. Islamisme, drogue, gaz et jeu d’échec entre puissances : l’Afghanistan est toujours le terrain d’un « Grand Jeu », au XXIème siècle comme au XIXème.
La Russie craint, et à raison, un retrait rapide des États-Unis, qui pourrait favoriser le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan en même temps qu’une guerre civile larvée aux conséquences fâcheuses pour les voisins. Pour autant, les Russes ne souhaitent pas voir s’installer des bases américaines permanentes si près de leur arrière-cour. L’influence des Etats-Unis dans certaines républiques ex-soviétiques est déjà jugée difficilement supportable par Moscou et une présence américaine prolongée en Afghanistan ne pourrait que la renforcer.

La Russie aimerait donc faire émerger une solution dite « régionale », minimisant le rôle des troupes occidentales. Le problème, c’est que les contours de cette solution restent assez vagues. En attendant qu’elle se précise, l’idée est d’avancer sur le plan diplomatique en intégrant l’Afghanistan dans une organisation régionale qui fonctionne depuis une petite décennie, l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). Longtemps réticents vis-à-vis de ce « machin » concocté par les Chinois, les Russes semblent donc prêts à rechercher un compromis avec Pékin pour enfoncer un coin entre Islamabad et Washington. D’où le ballet diplomatique qui a précédé le voyage du chef d’Etat pakistanais à Moscou : un sommet sino-pakistanais organisé à Islamabad fin avril a été suivi d’une visite du ministre chinois des Affaires étrangères, Yang Jiechi, à Moscou. L’aboutissement de ces manœuvres pourrait être l’admission simultanée de lors du prochain sommet de l’OCS.

On connaît les excellentes raisons que les Etats-Unis ont de se méfier de leur partenaire pakistanais qui brandit sa faiblesse structurelle à tout bout de champ pour justifier tout et son contraire. Mais on évoque moins souvent les griefs, en partie légitimes, d’Islamabad vis-à-vis de son allié historique, peu soucieux de prendre en compte la complexité de la société pakistanaise. En tentant de contraindre Islamabad à renforcer sa lutte contre les radicaux, les Américains pourraient déstabiliser le gouvernement et saper les fondements mêmes d’un Etat, qui possède – grâce à la Chine ! – un arsenal nucléaire militaire.

La solution idéale serait que le Pakistan et l’Afghanistan deviennent de véritables nations capables de se doter d’Etats efficaces et démocratiques. Sauf que cela risque de prendre quelques générations. Or, nous sommes un peu pressés. Pour l’instant, on peut en tout cas observer que les intérêts du Pakistan et ceux des Etats-Unis divergent de plus en plus en ce début du XXIe. Le « Grand Jeu » continue, mais les cartes sont en train d’être rebattues.

Voir Guyancourt et mourir

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Le suicide d’un ingénieur Renault travaillant au technocentre de Guyancourt, qui s’était produit en 2006, vient d’être reconnu en appel comme étant dû à une « faute inexcusable » de la direction de l’entreprise. Le technocentre de Guyancourt se révèle, à force, comme une zone d’insécurité de haute intensité mais sans les patrouilles de la BAC accompagnées par les coups de menton de Claude Guéant. On pourra rappeler, en dehors des suicides à répétition, la récente affaire des ingénieurs mis à pied dans une fausse affaire d’espionnage industriel et réhabilités en catastrophe, une fois l’intox démontrée.

Dans le cas qui nous occupe, on remarquera que c’est la première fois qu’un dossier de ce genre parvient à ce stade de la procédure et continue à donner tort à l’employeur. Mais comme c’est très mal de toujours mettre en cause les patrons humanistes comme Carlos Ghosn, on pourra suggérer d’autres prétextes que le management par la terreur aux prochains suicides. Au choix, le suicide solidaire avec la plainte des petits enfants de Louis Renault, pas du tout indécente, contre la nationalisation sanction de 1945 après faits de collaboration avérés. Ou, pourquoi pas, le suicide faisant part de l’indignation légitime des salariés devant la libération conditionnelle, après un quart de siècle de zonzon, de Rouillan, chef d’Action Directe, le groupe armé qui procéda à l’exécution en 1986 de Georges Besse, PDG de ce qu’on appelait encore, plus pour très longtemps, la Régie Renault.

Le patronat et ses immigrés n’ont pas tous les droits

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Peter Skaarup, porte-parole du Parti du Peuple Danois (photo : MARIA FONFARA)

On dit souvent que le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Ce n’est pas faux : entre deux prolétaires − ces hommes et ces femmes qui ne possèdent que leur force de travail −, celui qui s’active de bonne heure a plus d’emprise sur le réel que celui qui reste au lit. En louant ses bras ou son cerveau, il reçoit un salaire qui lui donne un pouvoir d’achat plus élevé, donc une liberté d’action supérieure à celle que la manne de l’État-providence offre à celui qui se contente de tendre la main. On me dira que celui ou celle qui loue son cul gagne plus en restant couché qu’en se levant aux aurores pour aller au turbin mais, d’abord, ce n’est pas toujours le cas parce que, des prolos du sexe, il y en a, et puis ce n’est pas le sujet.[access capability= »lire_inedits »]

Si le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, il appartient plus encore à ceux qui emploient des ouvriers qui se lèvent tôt. Si le monde que l’on possède se résume aux richesses que l’on produit, il revient à ceux qui assurent la production mais plus encore à ceux qui les font travailler et qui, au final, disposent des fruits de leur travail. Ainsi, la mention des ouvriers n’invalide pas la célèbre formule : elle lui donne une autre réalité.
De la même façon, on peut dire que les immigrés acceptent des emplois que les Français ne veulent pas : c’est un fait. Mais il serait plus précis − et donc plus vrai − de dire que les immigrés prennent des emplois dont les Français ne veulent pas aux salaires qui leur sont proposés. Même le travail le plus ingrat trouverait preneur s’il était correctement payé et une hausse des rémunérations accompagnée d’une baisse des indemnisations pour les chômeurs remettrait sûrement au boulot une bonne partie des Français sans travail.

Seulement, dans le monde du libre-échange, ce remède au chômage serait pire que le mal car les richesses produites par des travailleurs décemment payés en France, mais exposés à la concurrence mondiale, seraient invendables, et la ruine de nos entreprises ne tarderait pas. Voilà pourquoi le choix que nous avons fait, ou que certains ont fait pour nous, d’une économie mondialisée, au lieu d’assurer un travail à tous les nationaux, « nous » conduit à exporter nos usines et à importer des ouvriers. Les dommages sont réels, mais les avantages aussi. Aucun Français ne descend plus dans les mines et, même dans les régions hier industrielles et aujourd’hui sinistrées, les chômeurs possèdent des téléphones portables et des téléviseurs dernier cri. L’emploi le plus dur, le plus épuisant et le plus répétitif, ce travail à la chaîne que j’ai un peu connu et qui m’aurait sûrement jeté dans les bras d’Action directe si je ne l’avais fui pour saisir la chance de l’artisanat, est confié à des étrangers, chez eux ou chez nous.

Les propriétaires qui font rénover leurs appartements par des Polonais payés au lance-pierre et les familles qui font torcher leurs vieux par des Africaines pour trois cacahuètes sont ravis. Mais le système a ses limites. La plus-value réalisée pas ces esclaves modernes ne suffit plus à entretenir tous ceux que cette mondialisation « heureuse » a privés d’emploi, et les comptes sociaux rougissent doucement mais sûrement. De plus, les Européens qui accueillent pour de vrai, dans leurs quartiers, toute cette misère s’inquiètent de voir leurs pays ressembler de plus en plus au tiers-monde et demandent que la tendance soit au moins contrôlée. C’est ce qu’on appelle, au Nouvel Obs, la « droitisation » voire la « fascisation » de l’Europe. À l’exception des trotskistes sans frontières qui risquent, couillons comme ils sont, de faire élire Strauss-Kahn en 2012, les plus fervents partisans du statu quo libéral et libertaire en matière d’immigration sont les représentants du grand patronat, ceux qui ont des ouvriers qui se lèvent tôt. Peu leur importe l’islamisation de nos banlieues ou l’appauvrissement des autochtones : ces réalités n’entrent pas dans leurs bilans comptables et ils peuvent bien défendre le droit des peuples à circuler librement et à déculturer leur environnement, ils s’en fichent, ils ne vivent pas dans le même monde que les « gros cons » qui votent FN, comme dit Sophie Aram.

Un article du Monde signé Olivier Truc nous informe qu’au Danemark, le Premier ministre, soutenu par 59 % de la population et par l’extrême droite, propose une loi qui obligerait les travailleurs étrangers à prendre une assurance privée pour couvrir leurs frais de santé pendant les quatre premières années de leur séjour. Cette discrimination suscite les critiques du conseiller de Dansk Industri, le patronat danois, qui déclare: « Il sera plus dur d’attirer des employés de l’étranger si ces derniers doivent payer les impôts parmi les plus élevés au monde sans avoir droit aux mêmes services que leurs collègues. »

À l’instar du patronat, le Parti conservateur est sceptique. Il craint que ce projet dissuade les étrangers de venir travailler au Danemark et que cela cause du tort aux entreprises danoises qui auront du mal à recruter la main-d’œuvre dont elles ont besoin. Chez nous aussi, ce type de proposition divise. À la suite de Laurence Parisot, la présidente du Medef, qui plaide dans Libération pour que « la France reste un pays ouvert, qui accueille de nouvelles cultures et profite du métissage », Christine Lagarde a pris ses distances avec le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, qui proposait de réduire l’immigration de travail – de 200 000 à 180 000 personnes par an, une révolution. « L’immigration qui est légale, évidemment, il faut qu’elle soit protégée et sécurisée, a affirmé la ministre de l’Économie. Dans le long terme, on aura besoin de main-d’œuvre. »

On peut supposer que ce « on » est plus industriel et patronal que prolétaire et national : en confiant les boulots mal payés à toujours plus d’immigrés, « nous finissons par ne plus nous sentir chez nous », comme dirait Guéant, au diapason de nombreux Français. À quelle France « profite le métissage » dont parle la patronne du Medef ? Accueille-t-elle de « nouvelles cultures » dans son immeuble, dans sa cité, dans son quartier ? « Dans le long terme », quels bénéfices les prolétaires indigènes (ici, c’est nous) peuvent-ils espérer d’une politique migratoire « protégée et sécurisée », c’est-à-dire intouchable ? Une immigration maintenue à ce rythme ne risque-t-elle pas de transformer notre civilisation ou de l’effacer ? Et pour quels profits ? Qui est gagnant quand on mène une politique industrielle qui remplace des travailleurs devenus trop coûteux par d’autres ?

Le grand patronat, qui a obtenu le regroupement familial et ne veut pas entendre parler de frontières, milite pour l’introduction et la protection de son nouveau prolétariat comme le chasseur veille sur son gibier et organise la disparition de la faune concurrente, inutile et nuisible. Et tout ça pour quoi ? Si encore les gains de ces exploitations contribuaient à la défense et au rayonnement de l’héritage culturel occidental ! Si seulement ils rendaient en beauté un peu de ce qu’ils prennent ! Même pas. Cette bourgeoisie vulgaire qui amasse des fortunes grâce à son entreprise – consciente ou pas − de « grand remplacement »[1. Merci Renaud Camus] est au-dessous de tout. C’est à croire que trop d’argent tue le bon goût et le sens du devoir, car la classe autrefois cultivée et gardienne de l’esthétique européenne est devenue jet-set, people et bling-bling. Elle se planque dans des villas ou sur des yachts entre ses putes et ses larbins, très loin de la France d’en-bas et des zones occupées par les nouvelles classes populaires. Elle survole en jet privé les nations devenues de « petits villages », comme dirait Alain Minc, ou des « hôtels », comme dirait Jacques Attali, et contemple avec satisfaction l’Europe devenue un marché. Elle finance un art moderne ennemi juré de la beauté qu’elle exhibe jusque dans les galeries du château de Versailles, ne construit plus de cathédrales mais veut nous imposer des mosquées.

Si les Lagarde et les Parisot devaient l’emporter sur les Guéant, si les libéraux « remplacistes » devaient avoir raison des « réactionnaires », pour défendre notre identité, notre culture et notre civilisation, une révolution s’imposera. Populaire, prolétarienne et, comme on dit au Nouvel Obs, « populiste ». Les temps changent et il faut y faire face, ou bien se laisser mourir en tant que peuple. Plutôt crever ![/access]

La photo de DSK en prison : un cliché qui prête à caution ?

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Le quotidien newyorkais Daily News a publié sur son site une photo de Dominique Strauss-Kahn en tenue bleue de prisonnier à Rikers.

On ne vous la montrera pas ici, des fois que les avocats français de DS, souhaiteraient financer via quelques procès juteux en droit à l’image les onéreux frais de surveillance (200 000 euros par mois) de leur client. Cela dit personne ne peut vous interdire de la voir en tapant les mots-clés adéquats sur Google Image

On soulignera que le journal qui a publié ce « scoop », est un tabloïd trash de la plus belle eau, auprès duquel notre France-Soir fait figure d’édition quotidienne du Monde Diplo. Son traitement de l’affaire est plutôt tendancieux , disons presque autant que celui de Laurence Haïm, la correspondante permanente de Canal+ et iTélé aux USA, mais pas vraiment dans le même sens . Alors que Laurence s’étranglait de rage après le premier maintien en détention de DSK ou pleurait presque d’émotion après l’annonce finale de sa libération sous caution, le Daily News lui, multipliait les Unes vengeresses comme celle-ci :

ou encore celle-ci :

On notera que sur ce dernier cliché, les artistes du Daily News s’essayent déjà au photomontage en juxtaposant une photo de leur nouveau chouchou et une toise anthropométrique de police. Il n’est pas exclu , mais alors pas du tout exclu qu’ils aient procédé de même pour ce prétendu portrait de DSK période bleue.

Est-ce cela qui a empêché quotidiens, hebdos ou télés de montrer ladite image ? On les avait connus moins circonspects au moment du fameux cliché bidon made in Pakistan de Ben Laden mort…

Lars von Trier, nazi malgré lui

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Europa, réalisé par Lars von Trier en 1991. image : lemmy_caution

Avant l’affaire, j’aimais bien Lars Von Trier. Certes, je n’ai pas vu la plupart de ses films parce que je sais que les gentils y meurent beaucoup à la fin, et que je préfère les happy end.

J’ai néanmoins vu et adoré le docu-drama punk Les idiots, que je tiens pour un très grand film politique. Ce film, logiquement, aurait dû s’appeler Les débiles, puisque c’est la traduction exacte et que c’est de ça qu’il s’agit : dans un pays nordique socialiste quelconque, très fier de protéger toutes ses minorités, une bande de potes décident de vivre comme des handicapés mentaux, juste pour voir jusqu’où on peut pousser le bouchon trop loin, ou plutôt à partir d’où on ne peut plus. Je ne sais si le mot « buonisme » avait déjà été inventé à l’époque, mais sa mise à mort était déjà impeccablement ficelée par Lars qui, au passage, résumait son film ainsi : « Un film par des idiots, sur des idiots, pour des idiots ».

Je ne vais pas souvent voir ses films, mais je suis d’assez près sa démarche, je lis ou regarde avec plaisir ses interviews, exercice dans lequel il a l’air généralement mal à l’aise, parce que souvent confronté à un critique qui ne comprend que chique à ce qu’il fait. Il n’aime pas les journalistes, qui globalement le lui rendent bien. N’empêche, c’est grâce à des Européens comme lui, ou comme Pialat, Kusturica, Moretti, Almodovar ou Kaurismäki[1. Soyez gentils, ne cherchez pas dans cette liste les abominables frères Dardenne] que le bon cinéma ne se fait pas seulement à Hollywood et que Cannes n’est pas seulement une sous-préfecture pour cafetiers retraités déguisés en yachtmen.

Or, j’apprends ce soir qu’en plus d’être idiot, Lars von Trier est nazi. Et contrairement à son collègue de panzerdivision Galliano, là, on en a la preuve par l’image : il l’a dit face caméras à Cannes lors de la conf’ de presse de Melancholia ! Faites chauffer l’échafaud

Malgré le montage franchement jdanovien des extraits, il n’est pas besoin d’être grand sémioticien pour voir que le cinéaste déconne, ou provoque à la limite du mauvais goût, ou se hasarde quelque part dans la zone floue qui sépare l’humour au second degré de l’humour au troisième degré. Mais il faut croire que tout le monde n’a pas d’yeux pour voir, c’est dommage pour des envoyés spéciaux d’un festival du film. L’an prochain, autant y envoyer Gilbert Montagné.

Mines contrites des présentateurs, tweets rageurs et outrés, pages facebook « dédiées » déclaration pathétique du psychanalyste amateur Claude Lelouch qui parle d’un « véritable suicide cinématographique »[2. Lelouch sait de quoi il parle, il est lui-même cinématographiquement mort depuis quarante ans] et tout le toutim, including des demandes d’excuses faites par la direction du Festival, et obtenues aussitôt : dès le lendemain de sa sortie, Lars se fendait d’un communiqué et d’une interview circonstanciée sur France 3, où notons-le, il a eu le bon goût de ne pas rappeler que sa femme – donc ses enfants – étaient juifs.

L’affaire aurait pu en rester là. Des propos choquants (au sens de propos qui peuvent choquer) suivis d’excuses, e la nave va , vogue le navire, comme disait Fellini. Sincèrement je croyais qu’on allait classer l’affaire comme on avait classé sans suite celle de clients plus sérieux tels Ken Loach, Palme d’Or 2006 qui, il y a deux ans à Bruxelles, avait déclaré, et le plus sérieusement du monde : « Ça ne me surprend pas qu’il y ait une montée (de l’antisémitisme). En fait, c’est parfaitement compréhensible car Israël alimente des sentiments d’antisémitisme. »

Dans un premier temps, on a en effet cru à l’apaisement, manifestement souhaité par ceux des organisateurs qui connaissent le lascar. Mais non, après les excuses, après les explications, le Conseil d’administration du Festival a finalement décidé d’intimer l’ordre à Lars von Trier de quitter Cannes immédiatement, à croire que Gilles Jacob est sénéchal de la cité, avec pouvoir de bannissement.

Pourquoi cette radicalisation ? Sans doute la peur de l’effet Blanc, de l’effet Guerlain ou de l’effet Galliano, donc des représailles médiatiques des supposés gardiens du temple. On est bien obligé de constater que la direction du Festival s’est conformée à la ligne dure prônée par le CRIF, dont le communiqué de presse se concluait ainsi : « Lars von Trier n’a rien à faire dans un festival de Cannes dont une partie des participants auraient été envoyés en camp d’extermination par Hitler, cet homme pour qui il éprouve tant de sympathie. »

Et moi qui croyais qu’on avait plus d’humour que les goys…

DSK , Demorand et Libé : Cocu, oui mais par qui ?

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Au demeurant, Demorand à tout bon, son éditorial sanglant de ce matin, titré « Cocu », est bien écrit, bref et pose de sacrées bonnes questions. Voici comment il commence : « Que savaient exactement les dirigeants socialistes de la vie privée de DSK ? De son rapport aux femmes ? Estimaient-ils qu’il y avait là un problème, voire un risque politique ? Ou pensaient-ils que les communicants sauraient trouver les mots, arrondir les angles, peut-être étouffer les scandales ? Comment ont-ils reçu les propos d’une des leurs, députée PS, avouant sa peur de se retrouver seule dans la même pièce que lui ? Et ceux de la fille d’une des leurs, faisant état à la télévision d’une tentative de viol présumée ? »

Sauf qu’on ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu. Et avant d’aller, si j’ose dire, faire le ménage chez les autres, Demorand pourrait nettoyer les placards chez lui, à Libération pour voir s’il n’y traine pas quelques cadavres. En clair, par exemple, vérifier si Tristane Banon n’est pas allé raconter son toute son histoire à Libé juste après les faits et si les gens qui dirigeaient le journal à l’époque ne l’auraient pas jugée indigne d’intérêt. Ce serait aussi l’occasion de vérifier si cette décision d’enterrement prise par Serge July n’a pas été validée par de très nombreux petits chefs, dont la plupart pointent encore rue Béranger.

L’électeur de gauche, comme le conclut poétiquement Demorand dans son édito, a de quoi se sentir cocu. Le lecteur de gauche aussi, Nicolas…

On l’a échappé belle !

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photo : Parti socialiste

Il y a du Stavisky dans cette affaire. Je fais ici allusion au fait divers qui a failli emporter la IIIème République en 1934. À propos de DSK, on a sans doute raison de parler de séisme, mais on sait désormais qu’après le séisme vient le tsunami qui peut être plus dévastateur que le séisme lui-même.
De quoi s’agit-il ? Tout simplement de la faillite des élites.

Ceux qui croient pouvoir exonérer la droite se trompent lourdement. Nicolas Sarkozy confiait en privé à qui voulait l’entendre qu’il ne craignait absolument pas DSK comme challenger car il était certain qu’une affaire de mœurs sérieuse ruinerait son image avant la fin de son mandat au FMI. En plus de témoignages directs, le Président disposait sans doute de fiches des RG étayant sa conviction. Et sachant cela, il a tout fait pour faciliter sa nomination au FMI ? On mesure aujourd’hui toutes les conséquences de cette irresponsabilité: le spectacle atterrant du Directeur général du FMI menotté et encadré par deux policiers est une humiliation ressentie par tous les Français.

Venons-en aux hiérarques de gauche. « Ça ne ressemble absolument pas à DSK », « ce ne correspond absolument pas au Dominique que nous connaissons » . Ces phrases tournent en boucle depuis dimanche dans le logiciel socialiste. Or il semble bien que, justement, « ça ressemble à DSK » ! Ça lui ressemble même tellement que depuis plusieurs années, de nombreuses affaires allant du harcèlement à la tentative de viol pur et simple sont connues de tous. C’est précisément à ces affaires que faisait allusion Sarkozy dans ses conversations privées. Sans savoir exactement, personne ne les ignorait complètement, mais nous étions tous complices, soulagés de nous soumettre à la chape de plomb imposée. Au nom du sacro-saint respect de la vie privée. Mais s’agissait-il de vie privée ou d’affaires délictueuses voire criminelles ?

On ne saurait, enfin, disculper les médias qui n’ont jamais enquêté sérieusement sur ces affaires. Cette discrétion de violette ne s’explique pas seulement par le respect dû à la vie privée, surtout en France, mais aussi par une espèce de gauloiserie qui voit en tout dragueur un champion potentiel sans admettre qu’au-delà de la drague, certains comportements relèvent de soins intensifs en établissement psychiatrique.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Nous ne savons pas ce qui s’est passé dans la chambre 2806 du Sofitel de Manhattan. Mais la probabilité pour que quelque chose de grave ait eu lieu est franchement élevée. Il y a quelques mois, DSK déclarait aux journalistes de Libé qu’il s’attendait à toute provocation de cette nature du fait de sa réputation sulfureuse, ce qui prouve qu’il lui arrivait d’être lucide. Mais d’où venait cette réputation, d’un complot ? Cette fumée était-elle née par génération spontanée en l’absence du moindre feu ? Et puisqu’il se savait attendu au tournant, n’aurait-il pas dû se montrer plus irréprochable que la femme de César elle-même ? En supposant même qu’il soit tombé dans un piège, cela prouve au minimum son incapacité à maîtriser sa propre destinée. Un acte manqué en quelque sorte. Selon l’hypothèse la plus extrême (et probable), DSK aurait cédé à une pulsion incontrôlable et commis l’irréparable. Dans tous les cas on tremble à l’idée que cet homme aurait pu devenir Président le République. Et on se félicite que la pulsion ait contrarié l’ambition à temps.

Le bilan est pour le moins atterrant. Voilà donc des mois que le microcosme médiatico-politique fabrique un champion présidentiel présenté comme le Messie venu nous délivrer du sarkozysme. Les sondages lui promettent une élection à 60 % des voix, on vante son action exemplaire au FMI, on salue sa vision d’une gauche moderne et rénovatrice… Depuis Jacques Delors, on n’avait pas vu un tel engouement. Bref, on était au nirvana et on se retrouve avec un psychopathe présumé complètement irresponsable. Et tous savaient au moins que le « terrain DSK » était complètement miné et que chacune de ces mines pouvait nous péter à la gueule à tout instant. L’explosion a eu lieu samedi et elle détruit tout sur son passage.

Comment ne pas comprendre que cette duperie va provoquer des ravages énormes dans une opinion déjà travaillée par le populisme, et favoriser la montée en puissance de Marine Le Pen ? Elle a été la première à comprendre tout le parti qu’elle pouvait tirer de ce scandale planétaire. Le tsunami travaille aujourd’hui dans les profondeurs de la société. Où s’arrêtera-t-il ?

Christian Claudon, ouvrier en pré-retraite

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photo d'écran BFM TV

Il votera sans doute Mélenchon à la présidentielle. Christian Claudon est le prototype du prolo perdu par les socialistes mais pas gagné par le Front national. « Je comprends bien les gens qui ont envie de voter pour Marine Le Pen ; moi, bizarrement, ça ne me dit rien. » Il n’a pas tellement plus d’explications que ça à donner. « Ça ne lui dit rien », l’expression revient souvent.

« Personne ne défend l’ouvrier aujourd’hui, tout le monde s’en fout. » Il évoque une grève pour les salaires et contre le licenciement de certains intérimaires menée dans une grande boîte américaine implantée près d’Épinal, qu’il suit de près dans le journal parce que lui-même y a travaillé. « Le tribunal vient de dire que leur grève est illégale, s’énerve-t-il en buvant son café. « Illégale« , qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’on est juste bon à fermer sa gueule quand on a du travail ? » Il s’estime verni : à 59 ans, il « profite » d’une retraite anticipée de la métallurgie. « J’ai commencé jeune, à 15 ans, c’était normal que je parte plus tôt, non ? » Normal, mais pas si confortable que ça. Comme tout le monde dans ce coin des Vosges, il « bricole » pour arrondir les fins de mois : on échange des œufs contre des légumes avec ceux qui « font du jardin ». On fait du bois l’hiver, des travaux l’été. « Je ne me plains pas, j’en suis sorti, moi. Les gosses, c’est pas pareil. »[access capability= »lire_inedits »]

Ses enfants ont un métier : son fils est maçon ; sa fille, elle, enchaîne les contrats précaires dans une maison de retraite. « Ils ne se plaignent pas, ils ont pu acheter une maison, une voiture, et ne sont pas malheureux. » Tous les jeunes, autour de lui, jonglent de boulot en boulot, en croisant les doigts pour ne pas rester trop longtemps au chômage: « C’est la nouvelle mentalité. Quand je me souviens qu’on avait juste à se baisser pour trouver du travail, j’ai l’impression de parler du Moyen-âge. Parfois, je me demande si ça a vraiment existé : d’ailleurs, aucun politique ne dit que ça pourrait revenir ».

Lui n’a connu le chômage qu’une fois, après la faillite de l’entreprise où il travaillait : « On nous prenait pour des imbéciles : dans la cellule de reconversion, on voulait nous faire faire des stages, écrire des CV. J’ai fait comme les autres, j’ai claqué la porte, j’ai retrouvé du boulot en faisant le tour des boîtes dans la zone industrielle d’Épinal. » C’était en 1989. « Je me doute que ça ne marche plus comme ça, mais on laisse les patrons faire tout ce qu’ils veulent. Ils réclament des sous pour investir, puis ils partent à l’étranger et personne ne dit rien. Tout le monde a la trouille. »

Christian a vaguement acheté des timbres CGT dans les années 1970, a fait toutes les grèves pour les salaires, les conditions de travail, l’emploi. Et puis il a laissé tomber. « J’ai vu que les syndicalistes devenaient des hommes politiques comme les autres et s’inquiétaient plus de leur carrière que de l’usine. C’est pour ça que je ne suis pas allé manifester contre la réforme des retraites : se retrouver à 100 péquins à Épinal devant la préfecture, ça ne fait pas très envie. »

La politique, c’est pareil, ça le décourage : « Je vais voter, c’est le seul truc qui nous reste à nous, les petits. Mais parfois, je me demande à quoi ça sert. » L’abstention ne le surprend pas, le vote FN non plus : « Tant qu’ils continueront, tous, à ne pas s’occuper des problèmes des gens, rien ne changera. L’essence trop chère, le fioul hors de prix, l’euro, la viande, les légumes, les impôts, les riches, rien ne change. C’est pourtant pas compliqué de voir ce qui intéresse les gens non ? Les socialistes ont l’air de s’en foutre et moi, je ne voterai pas pour DSK. Autant élire un patron direct. »

Alors Mélenchon ? « Il gueule, il n’a pas peur des autres, je crois qu’il défendra l’ouvrier et les petits. Moi j’aime ça, les gens pas content. Franchement il n’y a aucune raison d’être content aujourd’hui. » Il met au crédit du candidat du Parti de gauche son changement de pied sur l’Europe : « Lui, au moins, il avoue qu’il s’est planté en votant pour Maastricht. On voit bien que c’est le problème : regardez sur les routes tous ces camions roumains, slovènes ou pire qui roulent jour et nuit et cassent les prix. Comment voulez-vous protéger votre industrie, si les Européens eux-mêmes ne respectent pas les règles ? Voilà à quoi ça sert, l’Europe : tirer tout le monde vers le bas… »

Bizarrement, il trouve que Marine Le Pen ne « gueule » pas assez : « Elle dit des trucs vrais, comme sur l’euro ou sur les « gros » qui se goinfrent. Mais j’ai l’impression qu’elle veut juste le pouvoir pour le pouvoir, et qu’elle ne fera pas tout péter. Au point où on en est, c’est bien ça qu’il faut, non ? » Ses voisins, qui ont voté Sarkozy en 2007, le font rigoler. « Ils se sont bien fait avoir en croyant qu’un ouvrier pouvait voter pour la droite, mais la droite, c’est pas pour nous. J’espère qu’ils ne se feront pas avoir une deuxième fois. » Pourtant, l’élection a beau approcher, Christian et ses proches ne parlent pas trop de politique : « C’est un coup à se fâcher, les gens sont trop énervés, et en même temps on ne voit pas de solution. »[/access]