Accueil Politique Christian Claudon, ouvrier en pré-retraite

Christian Claudon, ouvrier en pré-retraite


photo d'écran BFM TV

Il votera sans doute Mélenchon à la présidentielle. Christian Claudon est le prototype du prolo perdu par les socialistes mais pas gagné par le Front national. « Je comprends bien les gens qui ont envie de voter pour Marine Le Pen ; moi, bizarrement, ça ne me dit rien. » Il n’a pas tellement plus d’explications que ça à donner. « Ça ne lui dit rien », l’expression revient souvent.

« Personne ne défend l’ouvrier aujourd’hui, tout le monde s’en fout. » Il évoque une grève pour les salaires et contre le licenciement de certains intérimaires menée dans une grande boîte américaine implantée près d’Épinal, qu’il suit de près dans le journal parce que lui-même y a travaillé. « Le tribunal vient de dire que leur grève est illégale, s’énerve-t-il en buvant son café. « Illégale« , qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’on est juste bon à fermer sa gueule quand on a du travail ? » Il s’estime verni : à 59 ans, il « profite » d’une retraite anticipée de la métallurgie. « J’ai commencé jeune, à 15 ans, c’était normal que je parte plus tôt, non ? » Normal, mais pas si confortable que ça. Comme tout le monde dans ce coin des Vosges, il « bricole » pour arrondir les fins de mois : on échange des œufs contre des légumes avec ceux qui « font du jardin ». On fait du bois l’hiver, des travaux l’été. « Je ne me plains pas, j’en suis sorti, moi. Les gosses, c’est pas pareil. »[access capability= »lire_inedits »]

Ses enfants ont un métier : son fils est maçon ; sa fille, elle, enchaîne les contrats précaires dans une maison de retraite. « Ils ne se plaignent pas, ils ont pu acheter une maison, une voiture, et ne sont pas malheureux. » Tous les jeunes, autour de lui, jonglent de boulot en boulot, en croisant les doigts pour ne pas rester trop longtemps au chômage: « C’est la nouvelle mentalité. Quand je me souviens qu’on avait juste à se baisser pour trouver du travail, j’ai l’impression de parler du Moyen-âge. Parfois, je me demande si ça a vraiment existé : d’ailleurs, aucun politique ne dit que ça pourrait revenir ».

Lui n’a connu le chômage qu’une fois, après la faillite de l’entreprise où il travaillait : « On nous prenait pour des imbéciles : dans la cellule de reconversion, on voulait nous faire faire des stages, écrire des CV. J’ai fait comme les autres, j’ai claqué la porte, j’ai retrouvé du boulot en faisant le tour des boîtes dans la zone industrielle d’Épinal. » C’était en 1989. « Je me doute que ça ne marche plus comme ça, mais on laisse les patrons faire tout ce qu’ils veulent. Ils réclament des sous pour investir, puis ils partent à l’étranger et personne ne dit rien. Tout le monde a la trouille. »

Christian a vaguement acheté des timbres CGT dans les années 1970, a fait toutes les grèves pour les salaires, les conditions de travail, l’emploi. Et puis il a laissé tomber. « J’ai vu que les syndicalistes devenaient des hommes politiques comme les autres et s’inquiétaient plus de leur carrière que de l’usine. C’est pour ça que je ne suis pas allé manifester contre la réforme des retraites : se retrouver à 100 péquins à Épinal devant la préfecture, ça ne fait pas très envie. »

La politique, c’est pareil, ça le décourage : « Je vais voter, c’est le seul truc qui nous reste à nous, les petits. Mais parfois, je me demande à quoi ça sert. » L’abstention ne le surprend pas, le vote FN non plus : « Tant qu’ils continueront, tous, à ne pas s’occuper des problèmes des gens, rien ne changera. L’essence trop chère, le fioul hors de prix, l’euro, la viande, les légumes, les impôts, les riches, rien ne change. C’est pourtant pas compliqué de voir ce qui intéresse les gens non ? Les socialistes ont l’air de s’en foutre et moi, je ne voterai pas pour DSK. Autant élire un patron direct. »

Alors Mélenchon ? « Il gueule, il n’a pas peur des autres, je crois qu’il défendra l’ouvrier et les petits. Moi j’aime ça, les gens pas content. Franchement il n’y a aucune raison d’être content aujourd’hui. » Il met au crédit du candidat du Parti de gauche son changement de pied sur l’Europe : « Lui, au moins, il avoue qu’il s’est planté en votant pour Maastricht. On voit bien que c’est le problème : regardez sur les routes tous ces camions roumains, slovènes ou pire qui roulent jour et nuit et cassent les prix. Comment voulez-vous protéger votre industrie, si les Européens eux-mêmes ne respectent pas les règles ? Voilà à quoi ça sert, l’Europe : tirer tout le monde vers le bas… »

Bizarrement, il trouve que Marine Le Pen ne « gueule » pas assez : « Elle dit des trucs vrais, comme sur l’euro ou sur les « gros » qui se goinfrent. Mais j’ai l’impression qu’elle veut juste le pouvoir pour le pouvoir, et qu’elle ne fera pas tout péter. Au point où on en est, c’est bien ça qu’il faut, non ? » Ses voisins, qui ont voté Sarkozy en 2007, le font rigoler. « Ils se sont bien fait avoir en croyant qu’un ouvrier pouvait voter pour la droite, mais la droite, c’est pas pour nous. J’espère qu’ils ne se feront pas avoir une deuxième fois. » Pourtant, l’élection a beau approcher, Christian et ses proches ne parlent pas trop de politique : « C’est un coup à se fâcher, les gens sont trop énervés, et en même temps on ne voit pas de solution. »[/access]

Mai 2011 · N°35

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste

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