Et maintenant, place aux radars pédagogiques ! Dimanche, le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant nous a gratifiés d’une annonce sensationnelle : les routes françaises vont être équipées dans les mois qui viennent de radars gentils. Qui flasheront les automobilistes en faute, mais se contenteront d’afficher leur vitesse sur des panneaux routiers ad hoc, sans que les dépassements entraînent la moindre punition. Voici donc pour le côté pédagogique. Politiquement, ce gentil radar est supposé gommer l’effet désastreux – électoralement parlant si ça se trouve – du méchant radar. Lequel, non content de relever la vitesse du conducteur et d’automatiser la sanction, celui-ci sera désormais planqué puisque, faut-il le rappeler, les pancartes annonçant les engins de contrôle ont été démontées au nom de la sécurité routière, pour contrer une mortalité automobile repartie à la hausse.
J’entends d’ici les hauts cris : mesure liberticide, contrôle social, rétablissement de l’octroi, délire bureaucratique, bons conducteurs qui roulent vite mais bien injustement sanctionnés et impunité pour les dangereux lambins qui empoisonnent nos routes. J’en passe. Nous connaissons tous les arguments et les employons dès qu’arrive dans la boîte aux lettres l’injonction de payer 90 euros pour un dépassement de 2 km/heure. Mais, en matière de sécurité routière, franchement, rien d’autre ne fonctionne que la répression.
On me dira que ces arguments sont plus faciles à balayer quand on a juste besoin d’un vélo pour travailler, qu’on n’exerce pas la profession de chauffeur-livreur, qu’on n’habite pas en province et que l’on ne doit pas parcourir 50 kilomètres par jour pour aller gagner son SMIC. Certes. Mais je ne connais pas d’autres épouvantails que le gendarme ou le radar pour faire ralentir les automobilistes et faire baisser le nombre de morts et blessés sur les routes. On peut s’en prendre aux constructeurs automobiles, juger qu’ils devraient limiter la puissance des moteurs et j’en passe. Je crains que des voitures ainsi amputées de leur puissance de feu potentielle ne plaisent guère aux acheteurs. La voiture, la vitesse, ont partie liée avec le désir de puissance c’est-à-dire avec quelque chose d’irrationnel. Mais laissons de côté cette question des relations entre virilité et bagnole qui risque de nous entraîner trop loin.
On peut cependant trouver curieux que le ministre de l’Intérieur, qui jouait les gros bras la semaine passée, faisant démonter les panneaux des radars en 24 heures, nous fasse brutalement le coup de la pédagogie. On ne saurait imaginer que ce léger virage à 90° et en cinquième vitesse, pied au plancher, ait un quelconque lien avec la grogne des députés de la majorité, qui mercredi dernier, à l’Assemblée, ont bondi comme un seul homme pour se plaindre de ce tour de vis routier, potentiellement UMPicide. À ce compte-là, autant abandonner toute velléité de faire une politique publique de sécurité routière : de toute façon, donc les électeurs en colère. Qu’on nous laisse donc tuer et nous tuer sur les routes, en roulant bourrés, téléphone à l’oreille tout en franchissant les lignes blanches. Un petit air de Mad Max sur les routes de campagne, ça fait déjà envie.
N’essayez surtout pas de téléphoner à un de vos amis entre 8h45 et 8h55, il y a de fortes chances qu’il soit, comme moi en train d’écouter religieusement la « Revue de Presque » de Nicolas Canteloup sur Europe1. Religieusement, c’est bien sûr là une façon de parler, parce qu’on rigole beaucoup plus qu’à l’église, la mosquée ou la syna.
Si les experts de l’Insee étaient plus affutés, il attribueraient à Canteloup au moins un point de croissance à lui tout seul, en partant du principe qu’un salarié qui arrive de bonne humeur au boulot est bien plus productif qu’un collègue maussade -quitte à lui retirer un demi-point négatif de PIB à cause des centaines de milliers d’auditeurs qui arrivent en retard au boulot et mettent ça sur le dos des embouteillages, des enfants malades ou des grévistes RATP.
Il va de soi que le phénomène d’accoutumance de masse s’est encore aggravé depuis une semaine avec le feuilleton judiciaire de Dominique Strauss-Kahn. Le faux coup de fil quotidien du faux DSK est le climax de la Revue de presque, notamment grâce aux allusions salaces et répétées à John Smith, son pseudo codétenu de Rikers Island, dont Dominique, une fois acquitté et élu président, affirme vouloir faire «la première dame de France».
Tout le reste est à l’avenant, hélas, il y a un hic, qui n’est dû ni à Gérard Schivardi, ni à Jean-Louis Borloo, ni à Laurent Cabrol (le trio récurrent de prétendus pochards de l’émission). Non, ce hic c’est la disparition soudaine de DSK des primaires socialistes et le retour en force concomitant de Martine Aubry. Pourquoi ? Tout bêtement parce Canteloup, s’il imite génialement DSK et Ségolène et très honorablement Hollande, est techniquement incapable d’imiter Martine, comme il le rappelait il y a quelques mois au Nouvel Obs. Et si jamais les primaires étaient défavorables à Hollande (pour Ségo, c’est déjà plié, un peu de sérieux, SVP), on imagine mal, à l’approche de 2012, Canteloup imitant à merveille Sarkozy et butant sur sa chalengeuse socialiste.
Cela dit tous les espoirs sont permis, puisque quand cette interview a été réalisée, en novembre dernier, Canteloup confessait aussi être incapable d’imiter DSK. Depuis, il a su, et pas qu’un peu, trouver sa voix…
Jeudi dernier, Barack Obama a prononcé un discours très attendu sur le Moyen-Orient. Entre révolutions et contestations, démocratie, dictature, jeunesse et espoir, il a consacré quelques minutes au conflit israélo-palestinien. Le président américain voulait contenter tout le monde et, à vrai dire, en l’écoutant, on pouvait avoir l’impression qu’il avait réussi son coup. Chaque mot attendu par les uns était suivi des restrictions et conditions le rendant indolore par les autres… Pour les hauts fonctionnaires du State Department devant lesquels il s’exprimait, ce fut une belle leçon de rhétorique diplomatique.
Or, à ces propositions américaines que Shimon Peres aurait qualifiées de « vaguement concrètes et très concrètement vagues », Benyamin Netanyahou a choisi d’opposer un « non » éclatant. Il aurait pu dire « oui mais » ou, mieux encore, se taire alors que vingt-quatre heures plus tard il avait un rendez-vous à la Maison-Blanche. Pourtant, juste avant de s’envoler vers les Etats-Unis, Bibi a décidé de jouer une scène de ménage.
Pour le Premier ministre israélien, Barack Obama serait un « soixante-septard » exigeant le retour d’Israël dans les frontières de 1967. A priori, rien de bouleversant. Sauf qu’il ne s’agit pas de faire revenir l’Etat hébreu aux frontières du 10 juin, sixième jour de la « Guerre des Six Jours » (entre Israéliens d’un côté, Egyptiens, Syriens, Jordaniens et Irakiens de l’autre), mais à celles du 5 juin 1967, le premier jour.
En réalité, Netanyahou ne veut pas comprendre qu’Israël a de la chance que Barack Obama ne soit pas « quarante-huitard ». En effet, le véritable débat ne porte pas sur 1967 mais sur 1948. Autrement dit, il s’agit de savoir si les négociations israélo-palestiniennes doivent partir des frontières de novembre 1947, c’est-à-dire du plan de partage voté par les Nations unies, où celles du printemps 1949, déterminées par la victoire israélienne à l’issue de la guerre de 1948, et restées en vigueur, donc, jusqu’au 5 juin 1967.
les frontières d'Israël 1947-1996
Pour Israël, il est hors de question de retrouver les dimensions que lui ont assignées les Nations unies le 29 novembre 1947. Pour mémoire, l’ONU souhaitait que deux Etats voient le jour sur le territoire de la Palestine mandataire : l’un à peine juif (60 % de Juifs, 40 % d’Arabes), l’autre exclusivement arabe. Les Juifs acceptèrent ce plan de partage, tandis que les Arabes de Palestine, convaincus qu’ils obtiendraient plus par la force, le rejetaient. Dès le lendemain du vote, le 30 novembre 1947, ils faisaient parler les armes, inaugurant un conflit dont on a du mal à comprendre aujourd’hui qu’il était une guerre civile. Six mois plus tard, une fois le dernier soldat britannique parti, les quatre pays arabes limitrophes, bruyamment soutenus par d’autres, envoyaient leurs armées combattre avec les milices arabes de Palestine.
Contre toute attente, la communauté juive organisée de Palestine remporta la guerre civile qui dura de novembre 1947 à mai 1948 et l’Etat d’Israël qui lui succéda gagna la guerre internationale qui se déroula de mai 1948 à mars 1949. Fort de cette victoire, l’Etat hébreu agrandit son territoire, imposant une modification des frontières proposées par l’ONU. En même temps, conscients que, dans cet environnement hostile, la survie de l’Etat juif passait par une « majorité juive », ses dirigeants refusèrent de laisser rentrer dans leurs foyers les Palestiniens qui avaient quitté le pays pour fuir les combats, souvent contraints et forcés. De leur point de vue, ils étaient des ressortissants d’une nation ennemie qui venait – au mépris de la loi internationale – d’essayer de l’éliminer physiquement. C’est ainsi que sont nés la douloureuse question des réfugiés et, dans la foulée, la revendication du « droit au retour », dossier insoluble si on ne comprend pas qu’il met aux prises, non pas des gentils et des méchants, mais deux légitimités, celle d’êtres humains chassés de leur maison d’une part et, d’autre part, celle d’un Etat menacé de destruction. Ce qui signifie que tout le monde a à la fois raison et tort.
Pour Israël, les Palestiniens avaient joué et perdu, ils devaient assumer les conséquences de leur choix. Cette position a été défendue par tous les acteurs majeurs de la communauté internationale : Européens, Américains, mais aussi, bien qu’avec plus de réticences, Russes et Chinois, ont admis que la guerre de 1948 avait créé une nouvelle donne que les pays arabes et les Palestiniens devaient accepter. Plus personne, même les Palestiniens, ne réclame aujourd’hui le retour au plan de partage de 1947. Mais il faut être lucide : la réalité, c’est que même les frontières de 1949 (restées en vigueur jusqu’en 1967) ne sont plus d’actualité. Comprenant qu’elles délimitaient un territoire presque impossible à défendre, la plupart des pays occidentaux acceptent plus ou moins explicitement qu’elles subissent quelques ajustements. Autrement dit, le discours consistant à exiger d’Israël le retrait des territoires occupés et le retour aux frontières de 1967, conformément à la résolution 242, relève en partie de l’incantation rituelle. Dans les chancelleries, on sait que la demande israélienne de conserver une partie des territoires conquis en 1967 n’est pas absolument déraisonnable. Reste évidemment à définir quelle partie.
La droite israélienne a compris depuis longtemps qu’elle devrait céder sur l’essentiel : le tracé de « frontières sûres et reconnues » sera plus proche de celui du 5 juin que de celui du 10 juin 1967. Autrement dit, le cas de Gaza étant réglé, Israël devra évidemment se retirer de la plus grande partie de la Cisjordanie où Netanyahou lui-même affirme depuis quelque temps ne vouloir conserver seulement les implantations juives les plus peuplées. Cela signifie que la négociation portera sur la vallée du Jourdain (qui pourrait donner lieu à des échanges), certaines implantations et, bien entendu, sur Jérusalem. Au-delà des apparences, ce casse-tête n’est pas aussi insoluble qu’il y paraît – les cartes existent dans toutes les ambassades concernées.
C’est dans ce contexte sans doute embrouillé pour ceux qui ne pensent pas tous les matins au conflit israélo-arabe, c’est-à-dire, je suppose, la majorité des habitants de cette planète, que le discours d’Obama prend tout son sens. En revanche, la nouvelle guerre des nerfs déclenchée par Netanyahou apparaît presque incompréhensible. Sur le fond, le président américain n’a pas vraiment innové, se contentant de réaffirmer les positions traditionnelles et parfaitement connues de Washington dont on a vu qu’elles n’étaient pas incompatibles avec celles de la droite israélienne. En effet, s’il s’est référé aux frontières en vigueur avant la Guerre des Six Jours, Obama s’est empressé d’ouvrir la porte à des « arrangements mutuellement consentis » permettant de prendre en considération les contraintes sécuritaires, notamment en échelonnant le retrait israélien sur une longue période durant laquelle la situation sera évaluée à chaque étape. On n’a pas besoin d’être un stratège de génie pour comprendre que, dans l’esprit du président américain, les « frontières de 1967 » version 2011 ne coïncideront pas exactement avec leur tracé original.
Obama est allé encore plus loin en précisant que la question de Jérusalem ne pouvait être discutée en fonction de ces seules considérations territoriales. Il propose donc que l’avenir de la ville sainte soit négocié ultérieurement, en même temps que le problème des réfugiés et du droit au retour – ou plutôt des compensations qui seront accordées aux Palestiniens pour renoncer à ce droit. Si on ajoute que le président des Etats-Unis a de nouveau exigé que le Hamas, réintégré dans les institutions palestiniennes, reconnaisse Israël, abandonne la lutte armée et accepte les accords déjà signés, et notamment ceux d’Oslo et que, cerise sur le gâteau, il s’est engagé à mettre tout son poids pour que l’Assemblée générale des Nations unies reconnaisse l’Etat de Palestine en septembre prochain, le coup de sang de Netanyahou est absolument incompréhensible.
Reste à comprendre pourquoi le Premier ministre israélien a choisi de huer l’artiste quand il aurait dû l’applaudir. Même si, comme beaucoup l’en soupçonnent et pas forcément à tort, « Bibi » voulait gagner du temps pour éviter tout progrès vers une solution négociée, ce discours lui laissait une marge de manœuvre considérable. Il lui aurait suffi d’attendre quelques heures pour laisser le Hamas rejeter en bloc les conditions américaines et encore quelques-unes pour que l’Autorité palestinienne signifie à son tour une fin de non-recevoir. Les Palestiniens auraient porté la responsabilité de ce nouvel échec, alors qu’après le coup d’éclat israélien, leur refus est passé presque inaperçu.
Certes, on peut défendre la thèse complotiste en vertu de laquelle Netanyahou cherchait, par ses hurlements, à faire croire aux Palestinien qu’Obama leur faisait un énorme cadeau. Malheureusement, sa stratégie est plus simple et beaucoup plus délirante : grâce au soutien de la droite évangéliste et du Tea Party, il croit être plus fort qu’Obama sur l’échiquier politique américain ! Au cours de sa visite, le Premier ministre israélien s’adressera à l’AIPAC – le lobby pro-israélien – et au Congrès, où les Démocrates sont minoritaires depuis les élections partielles de fin 2010. Au lieu de travailler à un rapprochement entre Israël et la Maison Blanche, « Bibi » prétend apparaître comme un opposant déterminé à Barack Obama. Une telle forfanterie conjuguée à un manque aussi cruel de lucidité géostratégique laissent songeur. Dans l’arène politique israélienne, cette démonstration de force permet à Bibi de renforcer sa coalition et sa mainmise sur l’électorat de droite. Du point de vue de la politique intérieure américaine, il entend sans doute jouer la « dissuasion » pour obtenir une sorte de droit de veto sur la politique proche-orientale des Etats-Unis.
Il n’est pas exclu que le Premier ministre israélien remporte cette manche en exploitant les handicaps d’Obama. Reste qu’on peut se demander si l’intérêt d’Israël est de mettre des bâtons dans les roues de la diplomatie américaine et, ce faisant d’affaiblir sa capacité d’action dans la région. Face à la menace iranienne et aux changements rapides et profonds chez certains de ses voisins, défis sans cesse mis en avant par Netanyahou lui-même, la réponse aurait dû être évidente.
Si vous n’avez pas de télé, il vous reste jusqu’à ce soir pour en trouver une, ou au moins des amis qui en ont une, sinon, vous louperez le match de l’année. Et je ne parle ni de foot, ni de tennis et encore moins de primaires PS : ce soir à 23h10 sur France 3, sur le plateau de Ce soir (ou jamais !), Frédéric Taddei reçoit face à face Henri Guaino et Emmanuel Todd
Si aux temps anciens de la Fondation Marc Bloch, ils étaient d’accord sur l’essentiel, aujourd’hui, beaucoup de choses les séparent. Beaucoup de choses, en fait une personne, mais pas la moindre : le président de la République, dont Henri Guaino est l’un des plus proches collaborateurs et Emmanuel Todd l’un des plus virulents contempteurs.
Mais on parlera aussi d’Europe, de protectionnisme, de situation internationale : entre les deux adversaires déclarés, un (petit) miracle n’est peut-être pas à exclure…
Le carton que fait Marine Le Pen chez les ouvriers, d’après un récent sondage JDD – 36% d’opinions favorables[1. Quelle que soit la validité du chiffre, on peut difficilement nier la réalité de la tendance] −, révèle peut-être que beaucoup ont peur d’y finir, sous un carton. D’après un autre sondage commandé en 2009 par Emmaüs, 56% des Français craignaient de devenir SDF. Je ne sais pas pourquoi, mais il me semble, à moi, que ces deux chiffres ne sont pas sans rapport.
Il y a plusieurs façons de « ne plus sentir chez soi », selon l’expression de Claude Guéant qui semble penser qu’en tenant le langage de Marine Le Pen, il ramènera ses électeurs au bercail. Sans doute le ministre de l’Intérieur ignore-t-il que, pour la présidente du Front national, la séquence consistant à dresser les Français contre les immigrés, les immigrés contre les clandestins tout en roulant des biscoteaux face à des douaniers italiens, appartient déjà au passé.[access capability= »lire_inedits »] « Ne pas se sentir chez soi », pour un Français, cela peut signifier qu’il est, depuis le 1er mars, retombé sous la menace des expulsions locatives, ou bien qu’il héberge chez lui ses trois enfants chômeurs ou précaires avec leurs copines chômeuses ou précaires et qu’il va encore falloir faire des acrobaties budgétaires avec un budget inexistant.
Sarkozy peut s’offrir une tournée des popotes dans les Ardennes, là où il avait lancé, en 2006, un très papal « Je ne vous abandonnerai pas » aux ouvriers. L’ennui, c’est que, cinq ans plus tard, la région est toujours aussi sinistrée. Il peut essayer d’amuser la galerie avec une prime de 1000 euros dont personne ne verra la couleur et feindre de redécouvrir la règle des trois tiers − un pour les actionnaires, un pour l’investissement, un pour les travailleurs. Ça ne prend plus.
Marine Le Pen se trompe, cependant, quand elle affirme que Nicolas Sarkozy « revient sur les lieux du crime ». S’il prétendait inscrire son « parcours Potemkine » dans les traces de sa tournée 2006 placée sous l’enseigne du « Travailler plus pour gagner plus », le président a soigneusement évité la vallée de la Meuse. S’il était allé de Revin à Donchery, en passant par Bogny-sur-Meuse et Nouzonville, il aurait appris, par exemple, que l’équipementier automobile Delfy fermera en 2012, ou encore que le contribuable finance le plan social de l’usine Nexans à Fumay (par l’intermédiaire du Fonds stratégique d’investissement), mais aussi que l’augmentation qu’il avait promise aux ouvriers des Ateliers de Janves − 1200 euros en fin de carrière – n’a jamais atteint leurs fiches de paie. Il aurait aussi pu croiser un des anciens métallos de Lenoir et Mernier, à Bogny, tous licenciés en 2008, qui attendent le procès en correctionnelle de leur patron-fossoyeur.
Curieusement, des esprits aussi brillants que Claude Guéant, Père Joseph promu Mazarin, ou Patrick Buisson, Père Joseph demeuré Père Joseph, ne semblent pas comprendre la défiance d’un peuple qui avait massivement voté pour leur champion en 2007 et qui proclame aujourd’hui sa peur du chômage, voire de la « clochardisation ». C’est que l’ouvrier français sent confusément que ses conditions d’existence ne sont pas menacées par les minarets qui auraient fleuri dans les villes françaises désindustrialisées, ni par les camps sauvages de Roms, ni même par la délinquance, mais bien par la faillite de ce « Travailler plus pour gagner plus ».
Inutile de se raconter des histoires. Si ce sondage du JDD fait mal au sarkozysme, il fait aussi très mal à « l’autre gauche ». Quand les socialistes affichent encore des intentions de vote à deux chiffres chez les ouvriers, Mélenchon et le Front de gauche doivent se contenter de… 2%. Difficile, surtout dans le cas de Mélenchon, d’imputer cet échec à un boycottage médiatique. En revanche, il a sans doute à voir avec la disparition de ce qu’on appelait autrefois la « conscience de classe ». Certes, le terme fait un peu vieux jeu. Reste que, chez les possédants, cette conscience de classe n’a pas disparu. Le milliardaire Warren Buffet affirmait récemment – tout en le déplorant : « Il y a une guerre de classes et c’est la mienne qui est en train de la gagner. » Pour leur part, les sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot expliquent, dans Le Président des riches, les raisons pour lesquelles les « riches » ont une parfaite conscience de leurs intérêts et de la meilleure manière de les défendre. Aussi s’accommodent-ils assez aisément de la « marinisation » des classes populaires.
On m’autorisera à rappeler brièvement le distinguo établi par Marx entre appartenance de classe et conscience de classe. À l’évidence, les 36% d’ouvriers qui se sentiraient représentés par Marine Le Pen ont en commun le sentiment d’appartenir à une tribu en voie de disparition, déchiquetée par la mondialisation, condamnée à vivre plus mal que la génération précédente et, pire encore, mieux que ses enfants. Pour autant, leur défiance à l’égard du Front de gauche révèle, me semble-t-il, l’absence d’une conscience de classe qui les inciterait à s’organiser pour défendre leurs intérêts, autrement dit à jouer le jeu de la lutte des classes, qui est forcément une lutte pour le pouvoir. Ce qu’on appelle, au Front de Gauche, la « révolution par les urnes ».
Soyons réalistes : il faudra aller chercher avec les dents chacune des voix prolo égarées du côté de Marine Le Pen. Je suis convaincu qu’elle oubliera le peuple aussi vite que n’importe quel socialiste fin 1983 ou n’importe quel chiraquien en 1995. Mais comment leur en vouloir, aux ouvriers qui, comme le disait encore le vieux barbu de Trèves, « n’ont rien d’autre à perdre que leurs chaînes », de tenter encore leur chance ? Le travail d’une gauche conséquente est de leur montrer qu’ils risquent d’en retrouver d’autres, des chaînes, et de bien plus lourdes. Ce n’est pas gagné. Mais une étincelle peut mettre le feu à la plaine…[/access]
Pendant que le monde entier avait les yeux rivés sur le 71 Broadway Street à New York, espérant apercevoir DSK et son bracelet électronique, les Espagnols votaient[1. Plus de 8100 conseils municipaux et 13 des 17 assemblées provinciales ont été renouvelés]. La gauche est annoncée grande perdante de ces élections municipales. À la faveur du refoulé social, José Luis Zapatero, qui, depuis son arrivée au pouvoir en 2004, a fait du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol l’orfèvre de l’orthodoxie libérale européenne polarise l’opposition du monde syndical et de la jeunesse, autrement dit de son électorat traditionnel.
Zapatero contre le prolo
Ce qui est en cause, c’est le zèle inouï du Premier ministre à appliquer les bons conseils prodigués par le FMI (qui n’est plus à un scandale près…) et la Commission Européenne pour rétablir l’équilibre des finances publiques espagnoles. Une première sonnette d’alarme avait été tirée le 29 septembre 2010 lorsque Zapatero réalisa le vieux rêve syndicaliste-révolutionnaire de l’unité des travailleurs… contre lui ! À l’époque, les syndicats réagissaient à la réforme du droit du travail. Appliquant le modèle nordique de la flexi-sécurité, la loi détricotait en fait les vieilles barrières contre la précarité de l’emploi pour mieux « fluidifier » le marché du travail, selon l’expression prisée par un certain Dominique Strauss-Kahn. Or, les syndicats espagnols estiment, à raison à mon sens, que le chemin du progrès social ne passe pas par la multiplication du travail à temps partiel et la facilitation des licenciements – par ailleurs de moins en moins indemnisés.
Il faut reconnaître, à la décharge de Zapatero, que le contexte économique ne joue pas franchement en faveur d’une politique de dépenses débridées. Avec la crise de l’euro qui pointe son nez sur la péninsule ibérique et la faillite d’un modèle centré sur la dette immobilière, les difficultés s’amoncellent sur le bureau du Premier ministre.
Du temps de la gauche old school, on considérait toutefois les obstacles à la mobilité géographique et à la flexibilité horaires comme des digues sociales permettant d’élever le niveau des conditions de travail. Par une étrange dialectique progressiste, les sociaux-libéraux de 2011 diabolisent le conservatisme mal placé des ronds-de-cuirs syndicaux. Pourquoi s’interdire de maltraiter les conventions collectives pour éviter « l’inflation salariale » ? Serait-il interdit d’exiger la même mobilité géographique des ouvriers que des cols blancs qui les dirigent ? N’en jetez plus : si ces questions rhétoriques vous choquent, vous comprenez parfaitement le sentiment de révolte qui gagne la société espagnole, en particulier les jeunes.
Depuis le 15 mai, la place Puerta del Sol de Madrid fait office de catalyseur symbolique pour une jeunesse gagnée par la contestation. Drôle de scénario dans une démocratie relativement jeune mais installée qui n’a pas grand-chose à voir avec la Tunisie et l’Egypte, où l’avenue Habib Bourguiba et la place al-Tahrir ont eu raison des autocrates en place. À prémisses différentes, conséquences voisines ? Malgré la grande confusion qui avait entouré son élection – en pleine controverse sur les attentats du 11 mars 2004, imprudemment attribués à ETA par Aznar – Zapatero ne souffre d’aucun déficit démocratique. Confortablement réélu en 2008, le très flegmatique chef du gouvernement pêcherait plutôt par manque de consistance idéologique. Pas étonnant qu’il soit porté aux nues par les moins imaginatifs des socialistes français. De Ségolène Royal à François Hollande, ils sont nombreux à s’engouffrer dans les brèches sociétales ouvertes par Zapatero : mariage homo, salles de shoot, etc. De quoi privatiser un peu plus des relations sociales jusqu’ici peu ou prou préservées de la logique de marché par le maintien des institutions traditionnelles qu’étaient l’Eglise, la famille, le Roi.
En sept ans, ce libéral-libertaire dans l’âme aura mis l’imagination morale au pouvoir. Son bilan conjuguant austérité budgétaire, coupes dans les dépenses sociales et détricotage des « archaïsmes » moraux en ferait presque un Alain Madelin ibérique.
Avec des perspectives de croissance nulles confortées par l’absence de politique de relance, les jeunes Espagnols ne risquent pas de se faire abuser par le vernis social de leur Premier ministre. La majorité de gauche sortante, qui a toutes les chances de subir une sérieuse déculottée en 2012, pourrait même prendre des leçons de social au pays de Nicolas Sarkozy, où l’UMP n’oserait pas rogner aussi frénétiquement les droits sociaux!
Une contestation sans débouché politique
Place Puerta del Sol, le sit-in madrilène exprime le ras-le-bol d’une jeunesse affamée par tant de promesses bafouées[2. Bien qu’illégale, l’occupation de la Puerta del Sol se poursuit, rythmée par des cortèges de protestation quotidiens organisés via Facebook]. Exit la plus-value sociale du PSOE. De la baisse du traitement des fonctionnaires à la privatisation prochaine de l’assurance-chômage, les nouvelles funestes ne vont pas arranger le moral d’un pays où le taux de chômage des jeunes est de 40 %. Lancé le 15 mai, le mouvement hésite entre la grogne sociale, type « novembre-décembre 1995 » et la mobilisation de fond comparable à celle qui fit tomber le gouvernement islandais en 2009. Baptisée 15-M, cette vague sociale secoue les équilibres politiques traditionnels. À très court terme, les manifestants scandant « nolesvotes » (« ne votez pas pour eux ») pour sanctionner les sociaux-traîtres font paradoxalement le jeu d’un Parti Populaire favorable à un libéralisme économique encore plus échevelé. Autant dire qu’on ne voit pas quel débouché politique aura cette contestation, malgré son ampleur grandissante. De surcroît, le consensus économique des grands partis favorise la réémergence de courants marginaux qui sont les reliquats du nationalisme-révolutionnaire de la Phalange espagnole. Quelques groupes isolés pratiquent ainsi une agit prop’ violente, croyant que les mânes de José Antonio sortiront l’Espagne de l’ornière.
Et l’euro dans tout ça ?
Si l’Espagne s’obstine à jouer les meilleurs élèves de l’orthodoxie bruxelloise, le pire est à craindre. Zapatero aura beau répéter « l’Europe, l’Europe, l’Europe », même sans sauter comme un cabri, le vice de conception de l’euro risque d’entraîner une déflagration sans précédent. Jacques Sapir envisage très sérieusement l’hypothèse d’un décrochage de l’Espagne à la rentrée 2011. Ne pouvant plus endurer la surévaluation de l’euro ni espérer l’aide du Fonds Européen de Stabilité[3. Principalement constitué de dotations des Etats et du FMI. En cas de choc, le montant estimé des aides nécessaires à l’Espagne ferait exploser la caisse du Fonds, le rendant caduc et hors d’usage], Madrid pourrait alors faire exploser la monnaie unique pour dévaluer sa monnaie et, à terme, tenter de relancer la croissance[4. Soit pour créer une zone périphérique des pays du « club Med », dont la compétitivité minée par l’euro fort, soit pour revenir à sa monnaie nationale sur la base de la parité euro/peseta. Evidemment, la première piste serait préférable à la seconde, puisqu’en coordonnant les politiques de changes, elle permettrait d’endiguer les risques d’inflation. Pour plus de détails : ici].
D’ici là, on peut juste espérer que la colère de la Puerta del sol rappellera au gouvernement espagnol l’existence d’un peuple dont les attentes et les intérêts ne coïncident pas avec les marchés financiers. Zapatero, qui affectionne les références historiques, serait bien inspiré d’opposer aux bureaucrates de Bruxelles un salvateur « No pasaran » !
Chacun le sait, Anne Sinclair a momentanément suspendu son blog « Deux ou trois choses vues d’Amérique », pour des raisons indépendantes de sa volonté. On n’aura donc plus le bonheur de partager les points de vue éclairés d’Anne sur les révolutions arabes, ni de réfléchir aux conseils de bonne gouvernance qu’elle n’a cessé de prodiguer à Barack Obama. Quant aux fuites calculées sur les états d’âme de son époux vis-à-vis de l’élection présidentielle de 2012, elles ne sont, semble-t-il, plus vraiment d’actualité.
Les accros du blog en seront réduits à lire et relire le dernier post signé par la grande conscience aux yeux lavande, mis en ligne le 12 mai, 5 jours avant l’Affaire. A priori, on pourrait penser qu’Anne a eu comme une prémonition puisque le billet s’intitule : « Immigration, décidément, là bas comme ailleurs ». Avait-elle pressenti que là-bas aussi les allogènes ne pensaient qu’à créer des soucis aux braves gens ? Bien sur que non, jamais ce genre de pensées lepenoïdes ne viendrait à son esprit. D’ailleurs elle le prouve dans le corps du billet où elle explique que la droite américaine fait des travailleurs immigrés les boucs émissaires de tous les malheurs de l’Américain moyen. Heureusement, explique-t-elle, Barack veille au grain : « Obama ne s’est pas arrêté aux manœuvres d’obstruction multipliées par les élus républicains depuis un an, il a aussi dénoncé les argumentaires aux relents de racisme utilisés par l’opposition qui profite du contexte économique difficile pour sordidement mêler la peur du chômage et de l’étranger ».
Nous voilà donc rassurés, les très nombreux détectives embauchés par le couple humaniste pour enquêter sur Nafissatou Diallo n’aideront pas les avocats de DSK à constituer des « argumentaires aux relents de racisme ». Et il n’est donc plus à craindre que lesdits avocats essayent de discréditer aux yeux des jurés du procès la jeune plaignante guinéenne en jouant sordidement sur la peur de l’étranger…
Dans L’Antisémitisme partout (La Fabrique, 2011), le philosophe Alain Badiou et l’éditeur Éric Hazan nous exhortent à résister au chantage à l’antisémitisme émanant de nouveaux « inquisiteurs ». C’est une saine initiative : il est urgent de dénoncer l’instrumentalisation politique de l’antisémitisme, qui ne peut que donner lieu à une banalisation de la Shoah et à une perversion de la mémoire et de l’histoire de la judéophobie en Europe et au-delà. Hélas, les auteurs de ce pamphlet, dont nous devons louer l’intention, se laissent prendre à leur propre piège. En effet, si l’on veut avertir contre le chantage à l’antisémitisme, il est préférable de n’y pas recourir soi-même. Il est regrettable que cet opuscule tombe dans le travers qu’il dénonce. Examinons comment procèdent nos contre-inquisiteurs.[access capability= »lire_inedits »]
Ils se posent tout d’abord la question de savoir à qui profite cette campagne contre un antisémitisme dont ils nient l’existence et dont ils imputent la dénonciation à une manipulation idéologique de droite, disons « occidentaliste » et nationaliste. Leur réponse est que cette campagne est censée museler la pulsion révolutionnaire des masses populaires. Accuser ces masses populaires (notamment les jeunes des banlieues issus de l’immigration musulmane, arabe et africaine) d’antisémitisme reviendrait à discréditer la violence de ces jeunes en mal de repères, dont l’énergie devrait être mise au service de la lutte des classes et d’une nouvelle révolution prolétarienne. Selon Badiou et Hazan, ceux qui dénoncent le « nouvel » antisémitisme (Alain Finkielkraut, Pierre-André Taguieff, Éric Marty, Nicolas Weill, Jean-Claude Milner, etc.) seraient en fait les héritiers d’un antisémitisme bien réel (celui des années 1930, du pétainisme et du maurrassisme).
C’est ici que le raisonnement de Badiou et Hazan s’affole et s’effondre dans la perversion théorique et politique. Exposons les différents points de ce raisonnement : dénoncer l’antisémitisme des jeunes de banlieue serait une arme idéologique visant à distraire l’attention de l’opinion des « crimes » d’Israël. Or, juifs et non-juifs qui défendent Israël aujourd’hui seraient la réincarnation de la petite bourgeoisie des années 1930 qui défendait les valeurs de l’Occident contre les « métèques », les juifs, etc. Les intellectuels pro-Israël, « inventeurs » d’un antisémitisme imaginaire, seraient donc des antisémites réels, qui collaborent avec l’Amérique (équivalent du fascisme) et Israël (la France de la guerre d’Algérie).
Un tel raisonnement suppose qu’on tienne pour recevables des équivalences à tout le moins problématiques : entre démocratie libérale et fascisme ; entre Israël (« avant-poste de l’Occident ») et empire colonial et raciste français ; entre les jeunes issus des banlieues et les juifs des années 1930 ; entre les juifs et les non-juifs pro-Israël d’aujourd’hui et les pétainistes ou les nazis d’hier. (Notons par parenthèse que Badiou et Hazan n’ont pas lu ou n’ont pas compris Milner, qui n’est guère moins sévère qu’eux avec la démocratie libérale européenne et ses « penchants criminels », certes pour de tout autres raisons). On ne peut accepter le raisonnement analogique de Badiou et Hazan qu’à accréditer ces prémisses farfelues que les auteurs partagent avec le négationnisme issu de La Vieille taupe. Il s’agit non plus ici d’assassiner la mémoire de la Shoah (il faut louer nos auteurs de condamner sans ambiguïté toute forme de négationnisme), mais de nier la réalité de la judéophobie contemporaine.
S’il est irresponsable d’enfermer les jeunes des banlieues dans une essence antisémite, il n’est pas moins indigne de nier la réalité d’un antisémitisme influencé par le ressentiment socio-économique et la propagande islamiste. Badiou et Hazan, en en niant l’importance alors qu’il est avéré par toutes les études scientifiques, légitiment ce nouvel avatar de l’antisémitisme au nom de leur combat « antisioniste » et anticapitaliste. En le réduisant à l’anecdote ou à la paranoïa plutôt qu’à un phénomène européen massif, ils s’en font les complices. Ainsi, prétendre prouver l’inexistence de cet antisémitisme en recourant à l’invention de deux mythomanes relève du même type de syllogisme dont nos auteurs dénoncent par ailleurs l’usage en invoquant la logique d’Aristote. De fait, que deux psychopathes se soient inventé une agression antisémite venant de jeunes issus de l’immigration (2004 : affaire Marie L., illustrée dans le film élégant de Téchiné, et incendie par un pyromane du centre social juif de la rue Popincourt) ne saurait prouver que toutes les agressions antisémites de cette origine soient imaginaires. Tout au contraire : que la France se soit émue d’une seule voix de ces fausses agressions témoigne qu’elles étaient, hélas, par trop crédibles. Badiou et Hazan succombent à un déni de réalité qui, sans la moindre intention de blesser, se révèle une insulte aux victimes de cet antisémitisme ou à leur famille, lorsqu’il arrive (cas rares heureusement) que ces victimes y aient succombé.
Aussi progressistes qu’ils se proclament, nos auteurs semblent courir, à bout de souffle, derrière l’Histoire, et avoir plusieurs guerres de retard. Notre présent se réduit pour eux à la Seconde Guerre mondiale et à la guerre d’Algérie. Si l’Ange de l’Histoire, dans la lecture du célèbre tableau de Paul Klee par Walter Benjamin, regarde les ruines du passé pour lamenter les catastrophes du progrès, Badiou et Hazan scrutent le rétroviseur de l’Histoire pour hâter le progrès et la révolution. Excellente recette pour une catastrophe à venir.[/access]
Malheur à la ville dont les princes sont des adolescents. Bennasar, lié à DSK dans une conjuration de hasard (cette providence des imbéciles), nous en administre une preuve. Quel meilleur moment, en effet, pour publier ses Catholiquaires, que celui où le roi des libertins tombe sous le coup de ses pulsions qu’aucune éducation ne lui a appris à réfréner ou que l’usage du pouvoir a définitivement délivrées de toute entrave morale ? Quel sens de l’à-propos que celui de Bennasar et comme les Iraniens jouiraient, s’ils en avaient connaissance, de l’ajout de cette pièce au dossier déjà chargé de la condamnation de l’Occident judéo-croisé dégénéré. Que DSK ait gardé de sa trique d’adolescent sinon la vigueur, au moins le souvenir puissant, voilà qui devait réconforter les identitaires lubriques façon Cyril-le-menuisier. Jusqu’à aujourd’hui. Car nul ne doute que Bennasar condamne aussi vigoureusement qu’il chevauche ses dulcinées le viol de l’employée du Sofitel. Le problème est qu’il ne voit pas de de relation de cause à effet entre sa diatribe soixante-huitée et le comportement présumé coupable de l’ancien maître du monde.
Revenons un peu en arrière, c’est-à-dire vers l’an 0 de notre ère. Bennasar, pour peu qu’il eût réussi à s’introduire parmi les dominants, y eut été assurément heureux. L’homme en tant que mâle n’était alors pas trop éloigné du singe – quoiqu’il ait déjà une bite largement plus volumineuse. Il mariait qui il voulait et il répudiait quand il le souhaitait. Dans certaines civilisations qui s’imposèrent à nous, il n’avait même pas besoin de recourir bêtement à l’IVG, il lui suffisait de refuser l’ennuyeux rejeton que lui présentait la femme qu’il avait tronçonnée neuf mois plus tôt pour qu’on l’en débarrassât incontinent. Dans certaines autres, il pouvait user à son gré de la prostituée de service et la lapider lui-même une fois qu’elle était hors d’usage. La liberté de mœurs qui n’a pas été inventée par Cohn-Bendit – désolé de te décevoir, Cyril – était telle qu’on pouvait pédéraster sans se croire obligé de se marier. La liberté de jouir si intense qu’on fabriquait sans vergogne des eunuques qui surveillaient mieux ta femme en ton absence que ton meilleur pote que son gros paquet parfois aussi démange. L’amour, cet emmerdant phantasme de magazines féminins, n’existait pas – ou si peu. À la donzelle dont la mère ou le chaperon avaient conservé autant que possible la virginité pour satisfaire le plaisir de domination du mâle qui la prendrait avec la dot, nul ne demandait si elle était amoureuse. Pour tromper son ennui de sensitive préromantique, elle se pouvait se raconter les Mille et Une nuits sa vie durant. Enfin la jouissance était sacrée, elle faisait office de religion et procurait des transes que le moderne va maintenant chercher ailleurs.
Ah ! comme les églises seraient pleines si, comme en ces temps bénis dans les temples, on y organisait force orgies, lupercales et autres bacchanales. Bennasar serait au premier rang, prêt à oublier, pour un cul baalique ou astartéen, les paroles de YHWH que sa maman lui aurait pourtant apprises entre six et sept ans. Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi.
Ah, quelle belle époque que celle-là où trousser une domestique était un acte d’hygiène. Qu’on y était gaillard, gaulois, vaillant, conquérant. Pas comme sous ce régime de chrétienté qui a fait de nous des peine-à-jouir, des châtrés, des demi-hommes. Bennasar retrouve d’ailleurs dans cette analyse aussi bien Zemmour que Soral, Nabe que Dantec, ces Adonis au braquemart toujours levé à qui suffit un battement de cil pour séduire la gonzesse de passage. Quatre expressions de la puissance occidentale accomplie, en quelque sorte.
Et voilà la réalité : Bennasar, qui réclame de l’Occident chrétien le bouclier, ne comprend pas le christianisme dont le dernier mot est la protection des faibles – de tous les faibles. Le reproche qu’il fait aux cathos de gauche soucieux du destin des immigrés est dans ce sens le même que celui qu’il fait aux cathos de droite lorsqu’ils songent à l’enfant à naître.
C’est sans doute ça, « l’ordre moral ». Mais nous, nous n’oublions pas qu’il y a un ordre plus violent que l’ordre moral, qui est là depuis le commencement de l’humanité : c’est l’ordre du mal, celui de ces sociétés préchrétiennes et postchrétiennes que Bennasar chérit tant. Et le mot de cet ordre, c’est toujours la domination.
Voilà pourquoi, quand il crache sur les chrétiens, l’ami Cyril oublie étrangement de leur reprocher d’avoir donné un statut aux femmes. Il devrait se demander pourquoi nous autres ne couvrons pas nos femmes, pourquoi nous ne les marions pas contre leur gré, pourquoi ne les répudions pas ni ne les lapidons, pourquoi elles jouissent de leurs pleins droits d’adultes (fors durant l’infâme période qui va de Bonaparte aux années 70), pourquoi elles ne sont pas des objets à prendre quand bon nous semble, enfin.
Pourquoi nous les aimons tant que nous ne nous résolvons pas à les battre ni à les tromper. C’est ainsi que comme disait mon ami Robert qui est plus anarchiste que Bennasar parce que plus chrétien : « Chaque jour ma femme m’affame, et sa chatte m’enchante ».
Ah, Radio Canut mon amour. Joyeux bordel d’amateurs ultragauchistes lyonnais, où le hip-hop lesbiano-transgenre côtoie les talks à la gloire de la revolución mexicana, entre une playliste sortie des cartons de mai 68 et un concerto minimaliste pour larsen et tronçonneuse. Ils ont beau fédérer autour d’eux tous les clichés de la canaille anarcho-libertaire, ils ont pour eux ce grand mérite de pratiquer un éclectisme musical presque sans limite. Presque.
J’ai longtemps cru que l’ultragauche était anticléricale. Mais, parmi d’autres sources, Radio Canut m’apprit qu’en réalité l’ultragauche ne détestait en rien le reggae, par exemple, bien qu’il y soit question en permanence de références bibliques du type « Jerusalem/Babylon/Zion/Israel ». Elle ne déteste pas non plus un certain rap qui fait sans équivoque l’apologie de l’islam. Les musiques sacrées, de façon générale, trouvent volontiers leur place dans la programmation musicale de nos anarchoponques à sarouels, pourvu qu’elles viennent d’Inde, de la jungle amazonienne, du Japon, ou de Turquie. L’ultragauche n’a rien contre Dieu, en soi ! En revanche, vous n’entendrez jamais le moindre chant grégorien, le moindre Alleluiah baroque, le moindre petit bout de Requiem quelconque sur les ondes du 102.2 à Lyon. À la rigueur un peu de gospel, mais uniquement parce que ça entre dans la catégorie « musiques noires ».
Un petit miracle s’est accompli aujourd’hui : Radio Canut nous a offert l’écoute d’une pièce sacrée tout à fait singulière que je ne connaissais pas : l’hymne d’Oxyrhynque, datant du IIIème siècle, et rendant un pieux hommage à la Trinité. Ce n’était pas un bien grand miracle, hélas. En réalité, l’animateur avait ironiquement fait de ce chant l’ouverture de son émission du jour, consacrée à… « la colonisation chrétienne« .
La nature de l’ultragauche n’est aucunement anticléricale : c’est juste qu’elle ne veut pas entendre parler du Christ. Elle s’accommode sans aucun problème du halal et des mosquées, s’abandonne dans la contemplation des spiritualités exotiques, respecte profondément les croyances animistes, sympathise de bon cœur avec le culte rastafari. Mais le christianisme, lui, rencontre une hostilité sans limite. J’ai cru, de bonne foi, que « Ni dieu ni maître » était réellement le credo de l’ultragauche. La vérité, c’est que n’importe quel Dieu fait l’affaire, pourvu qu’il ne s’agisse pas de Jésus et de ses copains. L’anticléricalisme n’est que la vitrine politique du véritable combat anti-pape, anti-Église, et in fine anti-Christ. Qu’on ne se raconte pas d’histoires ; tenez, pour preuve supplémentaire, je suis allé rendre visite à un petit meeting anarchiste il y a quelques jours. Au menu du plat unique destiné à financer l’association, le chili con carne arborait en grosses lettres la mention « halal ».
Ni dieu ni maître ? Vraiment ? Vraiment-vraiment ?
Et maintenant, place aux radars pédagogiques ! Dimanche, le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant nous a gratifiés d’une annonce sensationnelle : les routes françaises vont être équipées dans les mois qui viennent de radars gentils. Qui flasheront les automobilistes en faute, mais se contenteront d’afficher leur vitesse sur des panneaux routiers ad hoc, sans que les dépassements entraînent la moindre punition. Voici donc pour le côté pédagogique. Politiquement, ce gentil radar est supposé gommer l’effet désastreux – électoralement parlant si ça se trouve – du méchant radar. Lequel, non content de relever la vitesse du conducteur et d’automatiser la sanction, celui-ci sera désormais planqué puisque, faut-il le rappeler, les pancartes annonçant les engins de contrôle ont été démontées au nom de la sécurité routière, pour contrer une mortalité automobile repartie à la hausse.
J’entends d’ici les hauts cris : mesure liberticide, contrôle social, rétablissement de l’octroi, délire bureaucratique, bons conducteurs qui roulent vite mais bien injustement sanctionnés et impunité pour les dangereux lambins qui empoisonnent nos routes. J’en passe. Nous connaissons tous les arguments et les employons dès qu’arrive dans la boîte aux lettres l’injonction de payer 90 euros pour un dépassement de 2 km/heure. Mais, en matière de sécurité routière, franchement, rien d’autre ne fonctionne que la répression.
On me dira que ces arguments sont plus faciles à balayer quand on a juste besoin d’un vélo pour travailler, qu’on n’exerce pas la profession de chauffeur-livreur, qu’on n’habite pas en province et que l’on ne doit pas parcourir 50 kilomètres par jour pour aller gagner son SMIC. Certes. Mais je ne connais pas d’autres épouvantails que le gendarme ou le radar pour faire ralentir les automobilistes et faire baisser le nombre de morts et blessés sur les routes. On peut s’en prendre aux constructeurs automobiles, juger qu’ils devraient limiter la puissance des moteurs et j’en passe. Je crains que des voitures ainsi amputées de leur puissance de feu potentielle ne plaisent guère aux acheteurs. La voiture, la vitesse, ont partie liée avec le désir de puissance c’est-à-dire avec quelque chose d’irrationnel. Mais laissons de côté cette question des relations entre virilité et bagnole qui risque de nous entraîner trop loin.
On peut cependant trouver curieux que le ministre de l’Intérieur, qui jouait les gros bras la semaine passée, faisant démonter les panneaux des radars en 24 heures, nous fasse brutalement le coup de la pédagogie. On ne saurait imaginer que ce léger virage à 90° et en cinquième vitesse, pied au plancher, ait un quelconque lien avec la grogne des députés de la majorité, qui mercredi dernier, à l’Assemblée, ont bondi comme un seul homme pour se plaindre de ce tour de vis routier, potentiellement UMPicide. À ce compte-là, autant abandonner toute velléité de faire une politique publique de sécurité routière : de toute façon, donc les électeurs en colère. Qu’on nous laisse donc tuer et nous tuer sur les routes, en roulant bourrés, téléphone à l’oreille tout en franchissant les lignes blanches. Un petit air de Mad Max sur les routes de campagne, ça fait déjà envie.
N’essayez surtout pas de téléphoner à un de vos amis entre 8h45 et 8h55, il y a de fortes chances qu’il soit, comme moi en train d’écouter religieusement la « Revue de Presque » de Nicolas Canteloup sur Europe1. Religieusement, c’est bien sûr là une façon de parler, parce qu’on rigole beaucoup plus qu’à l’église, la mosquée ou la syna.
Si les experts de l’Insee étaient plus affutés, il attribueraient à Canteloup au moins un point de croissance à lui tout seul, en partant du principe qu’un salarié qui arrive de bonne humeur au boulot est bien plus productif qu’un collègue maussade -quitte à lui retirer un demi-point négatif de PIB à cause des centaines de milliers d’auditeurs qui arrivent en retard au boulot et mettent ça sur le dos des embouteillages, des enfants malades ou des grévistes RATP.
Il va de soi que le phénomène d’accoutumance de masse s’est encore aggravé depuis une semaine avec le feuilleton judiciaire de Dominique Strauss-Kahn. Le faux coup de fil quotidien du faux DSK est le climax de la Revue de presque, notamment grâce aux allusions salaces et répétées à John Smith, son pseudo codétenu de Rikers Island, dont Dominique, une fois acquitté et élu président, affirme vouloir faire «la première dame de France».
Tout le reste est à l’avenant, hélas, il y a un hic, qui n’est dû ni à Gérard Schivardi, ni à Jean-Louis Borloo, ni à Laurent Cabrol (le trio récurrent de prétendus pochards de l’émission). Non, ce hic c’est la disparition soudaine de DSK des primaires socialistes et le retour en force concomitant de Martine Aubry. Pourquoi ? Tout bêtement parce Canteloup, s’il imite génialement DSK et Ségolène et très honorablement Hollande, est techniquement incapable d’imiter Martine, comme il le rappelait il y a quelques mois au Nouvel Obs. Et si jamais les primaires étaient défavorables à Hollande (pour Ségo, c’est déjà plié, un peu de sérieux, SVP), on imagine mal, à l’approche de 2012, Canteloup imitant à merveille Sarkozy et butant sur sa chalengeuse socialiste.
Cela dit tous les espoirs sont permis, puisque quand cette interview a été réalisée, en novembre dernier, Canteloup confessait aussi être incapable d’imiter DSK. Depuis, il a su, et pas qu’un peu, trouver sa voix…
Jeudi dernier, Barack Obama a prononcé un discours très attendu sur le Moyen-Orient. Entre révolutions et contestations, démocratie, dictature, jeunesse et espoir, il a consacré quelques minutes au conflit israélo-palestinien. Le président américain voulait contenter tout le monde et, à vrai dire, en l’écoutant, on pouvait avoir l’impression qu’il avait réussi son coup. Chaque mot attendu par les uns était suivi des restrictions et conditions le rendant indolore par les autres… Pour les hauts fonctionnaires du State Department devant lesquels il s’exprimait, ce fut une belle leçon de rhétorique diplomatique.
Or, à ces propositions américaines que Shimon Peres aurait qualifiées de « vaguement concrètes et très concrètement vagues », Benyamin Netanyahou a choisi d’opposer un « non » éclatant. Il aurait pu dire « oui mais » ou, mieux encore, se taire alors que vingt-quatre heures plus tard il avait un rendez-vous à la Maison-Blanche. Pourtant, juste avant de s’envoler vers les Etats-Unis, Bibi a décidé de jouer une scène de ménage.
Pour le Premier ministre israélien, Barack Obama serait un « soixante-septard » exigeant le retour d’Israël dans les frontières de 1967. A priori, rien de bouleversant. Sauf qu’il ne s’agit pas de faire revenir l’Etat hébreu aux frontières du 10 juin, sixième jour de la « Guerre des Six Jours » (entre Israéliens d’un côté, Egyptiens, Syriens, Jordaniens et Irakiens de l’autre), mais à celles du 5 juin 1967, le premier jour.
En réalité, Netanyahou ne veut pas comprendre qu’Israël a de la chance que Barack Obama ne soit pas « quarante-huitard ». En effet, le véritable débat ne porte pas sur 1967 mais sur 1948. Autrement dit, il s’agit de savoir si les négociations israélo-palestiniennes doivent partir des frontières de novembre 1947, c’est-à-dire du plan de partage voté par les Nations unies, où celles du printemps 1949, déterminées par la victoire israélienne à l’issue de la guerre de 1948, et restées en vigueur, donc, jusqu’au 5 juin 1967.
les frontières d'Israël 1947-1996
Pour Israël, il est hors de question de retrouver les dimensions que lui ont assignées les Nations unies le 29 novembre 1947. Pour mémoire, l’ONU souhaitait que deux Etats voient le jour sur le territoire de la Palestine mandataire : l’un à peine juif (60 % de Juifs, 40 % d’Arabes), l’autre exclusivement arabe. Les Juifs acceptèrent ce plan de partage, tandis que les Arabes de Palestine, convaincus qu’ils obtiendraient plus par la force, le rejetaient. Dès le lendemain du vote, le 30 novembre 1947, ils faisaient parler les armes, inaugurant un conflit dont on a du mal à comprendre aujourd’hui qu’il était une guerre civile. Six mois plus tard, une fois le dernier soldat britannique parti, les quatre pays arabes limitrophes, bruyamment soutenus par d’autres, envoyaient leurs armées combattre avec les milices arabes de Palestine.
Contre toute attente, la communauté juive organisée de Palestine remporta la guerre civile qui dura de novembre 1947 à mai 1948 et l’Etat d’Israël qui lui succéda gagna la guerre internationale qui se déroula de mai 1948 à mars 1949. Fort de cette victoire, l’Etat hébreu agrandit son territoire, imposant une modification des frontières proposées par l’ONU. En même temps, conscients que, dans cet environnement hostile, la survie de l’Etat juif passait par une « majorité juive », ses dirigeants refusèrent de laisser rentrer dans leurs foyers les Palestiniens qui avaient quitté le pays pour fuir les combats, souvent contraints et forcés. De leur point de vue, ils étaient des ressortissants d’une nation ennemie qui venait – au mépris de la loi internationale – d’essayer de l’éliminer physiquement. C’est ainsi que sont nés la douloureuse question des réfugiés et, dans la foulée, la revendication du « droit au retour », dossier insoluble si on ne comprend pas qu’il met aux prises, non pas des gentils et des méchants, mais deux légitimités, celle d’êtres humains chassés de leur maison d’une part et, d’autre part, celle d’un Etat menacé de destruction. Ce qui signifie que tout le monde a à la fois raison et tort.
Pour Israël, les Palestiniens avaient joué et perdu, ils devaient assumer les conséquences de leur choix. Cette position a été défendue par tous les acteurs majeurs de la communauté internationale : Européens, Américains, mais aussi, bien qu’avec plus de réticences, Russes et Chinois, ont admis que la guerre de 1948 avait créé une nouvelle donne que les pays arabes et les Palestiniens devaient accepter. Plus personne, même les Palestiniens, ne réclame aujourd’hui le retour au plan de partage de 1947. Mais il faut être lucide : la réalité, c’est que même les frontières de 1949 (restées en vigueur jusqu’en 1967) ne sont plus d’actualité. Comprenant qu’elles délimitaient un territoire presque impossible à défendre, la plupart des pays occidentaux acceptent plus ou moins explicitement qu’elles subissent quelques ajustements. Autrement dit, le discours consistant à exiger d’Israël le retrait des territoires occupés et le retour aux frontières de 1967, conformément à la résolution 242, relève en partie de l’incantation rituelle. Dans les chancelleries, on sait que la demande israélienne de conserver une partie des territoires conquis en 1967 n’est pas absolument déraisonnable. Reste évidemment à définir quelle partie.
La droite israélienne a compris depuis longtemps qu’elle devrait céder sur l’essentiel : le tracé de « frontières sûres et reconnues » sera plus proche de celui du 5 juin que de celui du 10 juin 1967. Autrement dit, le cas de Gaza étant réglé, Israël devra évidemment se retirer de la plus grande partie de la Cisjordanie où Netanyahou lui-même affirme depuis quelque temps ne vouloir conserver seulement les implantations juives les plus peuplées. Cela signifie que la négociation portera sur la vallée du Jourdain (qui pourrait donner lieu à des échanges), certaines implantations et, bien entendu, sur Jérusalem. Au-delà des apparences, ce casse-tête n’est pas aussi insoluble qu’il y paraît – les cartes existent dans toutes les ambassades concernées.
C’est dans ce contexte sans doute embrouillé pour ceux qui ne pensent pas tous les matins au conflit israélo-arabe, c’est-à-dire, je suppose, la majorité des habitants de cette planète, que le discours d’Obama prend tout son sens. En revanche, la nouvelle guerre des nerfs déclenchée par Netanyahou apparaît presque incompréhensible. Sur le fond, le président américain n’a pas vraiment innové, se contentant de réaffirmer les positions traditionnelles et parfaitement connues de Washington dont on a vu qu’elles n’étaient pas incompatibles avec celles de la droite israélienne. En effet, s’il s’est référé aux frontières en vigueur avant la Guerre des Six Jours, Obama s’est empressé d’ouvrir la porte à des « arrangements mutuellement consentis » permettant de prendre en considération les contraintes sécuritaires, notamment en échelonnant le retrait israélien sur une longue période durant laquelle la situation sera évaluée à chaque étape. On n’a pas besoin d’être un stratège de génie pour comprendre que, dans l’esprit du président américain, les « frontières de 1967 » version 2011 ne coïncideront pas exactement avec leur tracé original.
Obama est allé encore plus loin en précisant que la question de Jérusalem ne pouvait être discutée en fonction de ces seules considérations territoriales. Il propose donc que l’avenir de la ville sainte soit négocié ultérieurement, en même temps que le problème des réfugiés et du droit au retour – ou plutôt des compensations qui seront accordées aux Palestiniens pour renoncer à ce droit. Si on ajoute que le président des Etats-Unis a de nouveau exigé que le Hamas, réintégré dans les institutions palestiniennes, reconnaisse Israël, abandonne la lutte armée et accepte les accords déjà signés, et notamment ceux d’Oslo et que, cerise sur le gâteau, il s’est engagé à mettre tout son poids pour que l’Assemblée générale des Nations unies reconnaisse l’Etat de Palestine en septembre prochain, le coup de sang de Netanyahou est absolument incompréhensible.
Reste à comprendre pourquoi le Premier ministre israélien a choisi de huer l’artiste quand il aurait dû l’applaudir. Même si, comme beaucoup l’en soupçonnent et pas forcément à tort, « Bibi » voulait gagner du temps pour éviter tout progrès vers une solution négociée, ce discours lui laissait une marge de manœuvre considérable. Il lui aurait suffi d’attendre quelques heures pour laisser le Hamas rejeter en bloc les conditions américaines et encore quelques-unes pour que l’Autorité palestinienne signifie à son tour une fin de non-recevoir. Les Palestiniens auraient porté la responsabilité de ce nouvel échec, alors qu’après le coup d’éclat israélien, leur refus est passé presque inaperçu.
Certes, on peut défendre la thèse complotiste en vertu de laquelle Netanyahou cherchait, par ses hurlements, à faire croire aux Palestinien qu’Obama leur faisait un énorme cadeau. Malheureusement, sa stratégie est plus simple et beaucoup plus délirante : grâce au soutien de la droite évangéliste et du Tea Party, il croit être plus fort qu’Obama sur l’échiquier politique américain ! Au cours de sa visite, le Premier ministre israélien s’adressera à l’AIPAC – le lobby pro-israélien – et au Congrès, où les Démocrates sont minoritaires depuis les élections partielles de fin 2010. Au lieu de travailler à un rapprochement entre Israël et la Maison Blanche, « Bibi » prétend apparaître comme un opposant déterminé à Barack Obama. Une telle forfanterie conjuguée à un manque aussi cruel de lucidité géostratégique laissent songeur. Dans l’arène politique israélienne, cette démonstration de force permet à Bibi de renforcer sa coalition et sa mainmise sur l’électorat de droite. Du point de vue de la politique intérieure américaine, il entend sans doute jouer la « dissuasion » pour obtenir une sorte de droit de veto sur la politique proche-orientale des Etats-Unis.
Il n’est pas exclu que le Premier ministre israélien remporte cette manche en exploitant les handicaps d’Obama. Reste qu’on peut se demander si l’intérêt d’Israël est de mettre des bâtons dans les roues de la diplomatie américaine et, ce faisant d’affaiblir sa capacité d’action dans la région. Face à la menace iranienne et aux changements rapides et profonds chez certains de ses voisins, défis sans cesse mis en avant par Netanyahou lui-même, la réponse aurait dû être évidente.
Si vous n’avez pas de télé, il vous reste jusqu’à ce soir pour en trouver une, ou au moins des amis qui en ont une, sinon, vous louperez le match de l’année. Et je ne parle ni de foot, ni de tennis et encore moins de primaires PS : ce soir à 23h10 sur France 3, sur le plateau de Ce soir (ou jamais !), Frédéric Taddei reçoit face à face Henri Guaino et Emmanuel Todd
Si aux temps anciens de la Fondation Marc Bloch, ils étaient d’accord sur l’essentiel, aujourd’hui, beaucoup de choses les séparent. Beaucoup de choses, en fait une personne, mais pas la moindre : le président de la République, dont Henri Guaino est l’un des plus proches collaborateurs et Emmanuel Todd l’un des plus virulents contempteurs.
Mais on parlera aussi d’Europe, de protectionnisme, de situation internationale : entre les deux adversaires déclarés, un (petit) miracle n’est peut-être pas à exclure…
Le carton que fait Marine Le Pen chez les ouvriers, d’après un récent sondage JDD – 36% d’opinions favorables[1. Quelle que soit la validité du chiffre, on peut difficilement nier la réalité de la tendance] −, révèle peut-être que beaucoup ont peur d’y finir, sous un carton. D’après un autre sondage commandé en 2009 par Emmaüs, 56% des Français craignaient de devenir SDF. Je ne sais pas pourquoi, mais il me semble, à moi, que ces deux chiffres ne sont pas sans rapport.
Il y a plusieurs façons de « ne plus sentir chez soi », selon l’expression de Claude Guéant qui semble penser qu’en tenant le langage de Marine Le Pen, il ramènera ses électeurs au bercail. Sans doute le ministre de l’Intérieur ignore-t-il que, pour la présidente du Front national, la séquence consistant à dresser les Français contre les immigrés, les immigrés contre les clandestins tout en roulant des biscoteaux face à des douaniers italiens, appartient déjà au passé.[access capability= »lire_inedits »] « Ne pas se sentir chez soi », pour un Français, cela peut signifier qu’il est, depuis le 1er mars, retombé sous la menace des expulsions locatives, ou bien qu’il héberge chez lui ses trois enfants chômeurs ou précaires avec leurs copines chômeuses ou précaires et qu’il va encore falloir faire des acrobaties budgétaires avec un budget inexistant.
Sarkozy peut s’offrir une tournée des popotes dans les Ardennes, là où il avait lancé, en 2006, un très papal « Je ne vous abandonnerai pas » aux ouvriers. L’ennui, c’est que, cinq ans plus tard, la région est toujours aussi sinistrée. Il peut essayer d’amuser la galerie avec une prime de 1000 euros dont personne ne verra la couleur et feindre de redécouvrir la règle des trois tiers − un pour les actionnaires, un pour l’investissement, un pour les travailleurs. Ça ne prend plus.
Marine Le Pen se trompe, cependant, quand elle affirme que Nicolas Sarkozy « revient sur les lieux du crime ». S’il prétendait inscrire son « parcours Potemkine » dans les traces de sa tournée 2006 placée sous l’enseigne du « Travailler plus pour gagner plus », le président a soigneusement évité la vallée de la Meuse. S’il était allé de Revin à Donchery, en passant par Bogny-sur-Meuse et Nouzonville, il aurait appris, par exemple, que l’équipementier automobile Delfy fermera en 2012, ou encore que le contribuable finance le plan social de l’usine Nexans à Fumay (par l’intermédiaire du Fonds stratégique d’investissement), mais aussi que l’augmentation qu’il avait promise aux ouvriers des Ateliers de Janves − 1200 euros en fin de carrière – n’a jamais atteint leurs fiches de paie. Il aurait aussi pu croiser un des anciens métallos de Lenoir et Mernier, à Bogny, tous licenciés en 2008, qui attendent le procès en correctionnelle de leur patron-fossoyeur.
Curieusement, des esprits aussi brillants que Claude Guéant, Père Joseph promu Mazarin, ou Patrick Buisson, Père Joseph demeuré Père Joseph, ne semblent pas comprendre la défiance d’un peuple qui avait massivement voté pour leur champion en 2007 et qui proclame aujourd’hui sa peur du chômage, voire de la « clochardisation ». C’est que l’ouvrier français sent confusément que ses conditions d’existence ne sont pas menacées par les minarets qui auraient fleuri dans les villes françaises désindustrialisées, ni par les camps sauvages de Roms, ni même par la délinquance, mais bien par la faillite de ce « Travailler plus pour gagner plus ».
Inutile de se raconter des histoires. Si ce sondage du JDD fait mal au sarkozysme, il fait aussi très mal à « l’autre gauche ». Quand les socialistes affichent encore des intentions de vote à deux chiffres chez les ouvriers, Mélenchon et le Front de gauche doivent se contenter de… 2%. Difficile, surtout dans le cas de Mélenchon, d’imputer cet échec à un boycottage médiatique. En revanche, il a sans doute à voir avec la disparition de ce qu’on appelait autrefois la « conscience de classe ». Certes, le terme fait un peu vieux jeu. Reste que, chez les possédants, cette conscience de classe n’a pas disparu. Le milliardaire Warren Buffet affirmait récemment – tout en le déplorant : « Il y a une guerre de classes et c’est la mienne qui est en train de la gagner. » Pour leur part, les sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot expliquent, dans Le Président des riches, les raisons pour lesquelles les « riches » ont une parfaite conscience de leurs intérêts et de la meilleure manière de les défendre. Aussi s’accommodent-ils assez aisément de la « marinisation » des classes populaires.
On m’autorisera à rappeler brièvement le distinguo établi par Marx entre appartenance de classe et conscience de classe. À l’évidence, les 36% d’ouvriers qui se sentiraient représentés par Marine Le Pen ont en commun le sentiment d’appartenir à une tribu en voie de disparition, déchiquetée par la mondialisation, condamnée à vivre plus mal que la génération précédente et, pire encore, mieux que ses enfants. Pour autant, leur défiance à l’égard du Front de gauche révèle, me semble-t-il, l’absence d’une conscience de classe qui les inciterait à s’organiser pour défendre leurs intérêts, autrement dit à jouer le jeu de la lutte des classes, qui est forcément une lutte pour le pouvoir. Ce qu’on appelle, au Front de Gauche, la « révolution par les urnes ».
Soyons réalistes : il faudra aller chercher avec les dents chacune des voix prolo égarées du côté de Marine Le Pen. Je suis convaincu qu’elle oubliera le peuple aussi vite que n’importe quel socialiste fin 1983 ou n’importe quel chiraquien en 1995. Mais comment leur en vouloir, aux ouvriers qui, comme le disait encore le vieux barbu de Trèves, « n’ont rien d’autre à perdre que leurs chaînes », de tenter encore leur chance ? Le travail d’une gauche conséquente est de leur montrer qu’ils risquent d’en retrouver d’autres, des chaînes, et de bien plus lourdes. Ce n’est pas gagné. Mais une étincelle peut mettre le feu à la plaine…[/access]
Pendant que le monde entier avait les yeux rivés sur le 71 Broadway Street à New York, espérant apercevoir DSK et son bracelet électronique, les Espagnols votaient[1. Plus de 8100 conseils municipaux et 13 des 17 assemblées provinciales ont été renouvelés]. La gauche est annoncée grande perdante de ces élections municipales. À la faveur du refoulé social, José Luis Zapatero, qui, depuis son arrivée au pouvoir en 2004, a fait du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol l’orfèvre de l’orthodoxie libérale européenne polarise l’opposition du monde syndical et de la jeunesse, autrement dit de son électorat traditionnel.
Zapatero contre le prolo
Ce qui est en cause, c’est le zèle inouï du Premier ministre à appliquer les bons conseils prodigués par le FMI (qui n’est plus à un scandale près…) et la Commission Européenne pour rétablir l’équilibre des finances publiques espagnoles. Une première sonnette d’alarme avait été tirée le 29 septembre 2010 lorsque Zapatero réalisa le vieux rêve syndicaliste-révolutionnaire de l’unité des travailleurs… contre lui ! À l’époque, les syndicats réagissaient à la réforme du droit du travail. Appliquant le modèle nordique de la flexi-sécurité, la loi détricotait en fait les vieilles barrières contre la précarité de l’emploi pour mieux « fluidifier » le marché du travail, selon l’expression prisée par un certain Dominique Strauss-Kahn. Or, les syndicats espagnols estiment, à raison à mon sens, que le chemin du progrès social ne passe pas par la multiplication du travail à temps partiel et la facilitation des licenciements – par ailleurs de moins en moins indemnisés.
Il faut reconnaître, à la décharge de Zapatero, que le contexte économique ne joue pas franchement en faveur d’une politique de dépenses débridées. Avec la crise de l’euro qui pointe son nez sur la péninsule ibérique et la faillite d’un modèle centré sur la dette immobilière, les difficultés s’amoncellent sur le bureau du Premier ministre.
Du temps de la gauche old school, on considérait toutefois les obstacles à la mobilité géographique et à la flexibilité horaires comme des digues sociales permettant d’élever le niveau des conditions de travail. Par une étrange dialectique progressiste, les sociaux-libéraux de 2011 diabolisent le conservatisme mal placé des ronds-de-cuirs syndicaux. Pourquoi s’interdire de maltraiter les conventions collectives pour éviter « l’inflation salariale » ? Serait-il interdit d’exiger la même mobilité géographique des ouvriers que des cols blancs qui les dirigent ? N’en jetez plus : si ces questions rhétoriques vous choquent, vous comprenez parfaitement le sentiment de révolte qui gagne la société espagnole, en particulier les jeunes.
Depuis le 15 mai, la place Puerta del Sol de Madrid fait office de catalyseur symbolique pour une jeunesse gagnée par la contestation. Drôle de scénario dans une démocratie relativement jeune mais installée qui n’a pas grand-chose à voir avec la Tunisie et l’Egypte, où l’avenue Habib Bourguiba et la place al-Tahrir ont eu raison des autocrates en place. À prémisses différentes, conséquences voisines ? Malgré la grande confusion qui avait entouré son élection – en pleine controverse sur les attentats du 11 mars 2004, imprudemment attribués à ETA par Aznar – Zapatero ne souffre d’aucun déficit démocratique. Confortablement réélu en 2008, le très flegmatique chef du gouvernement pêcherait plutôt par manque de consistance idéologique. Pas étonnant qu’il soit porté aux nues par les moins imaginatifs des socialistes français. De Ségolène Royal à François Hollande, ils sont nombreux à s’engouffrer dans les brèches sociétales ouvertes par Zapatero : mariage homo, salles de shoot, etc. De quoi privatiser un peu plus des relations sociales jusqu’ici peu ou prou préservées de la logique de marché par le maintien des institutions traditionnelles qu’étaient l’Eglise, la famille, le Roi.
En sept ans, ce libéral-libertaire dans l’âme aura mis l’imagination morale au pouvoir. Son bilan conjuguant austérité budgétaire, coupes dans les dépenses sociales et détricotage des « archaïsmes » moraux en ferait presque un Alain Madelin ibérique.
Avec des perspectives de croissance nulles confortées par l’absence de politique de relance, les jeunes Espagnols ne risquent pas de se faire abuser par le vernis social de leur Premier ministre. La majorité de gauche sortante, qui a toutes les chances de subir une sérieuse déculottée en 2012, pourrait même prendre des leçons de social au pays de Nicolas Sarkozy, où l’UMP n’oserait pas rogner aussi frénétiquement les droits sociaux!
Une contestation sans débouché politique
Place Puerta del Sol, le sit-in madrilène exprime le ras-le-bol d’une jeunesse affamée par tant de promesses bafouées[2. Bien qu’illégale, l’occupation de la Puerta del Sol se poursuit, rythmée par des cortèges de protestation quotidiens organisés via Facebook]. Exit la plus-value sociale du PSOE. De la baisse du traitement des fonctionnaires à la privatisation prochaine de l’assurance-chômage, les nouvelles funestes ne vont pas arranger le moral d’un pays où le taux de chômage des jeunes est de 40 %. Lancé le 15 mai, le mouvement hésite entre la grogne sociale, type « novembre-décembre 1995 » et la mobilisation de fond comparable à celle qui fit tomber le gouvernement islandais en 2009. Baptisée 15-M, cette vague sociale secoue les équilibres politiques traditionnels. À très court terme, les manifestants scandant « nolesvotes » (« ne votez pas pour eux ») pour sanctionner les sociaux-traîtres font paradoxalement le jeu d’un Parti Populaire favorable à un libéralisme économique encore plus échevelé. Autant dire qu’on ne voit pas quel débouché politique aura cette contestation, malgré son ampleur grandissante. De surcroît, le consensus économique des grands partis favorise la réémergence de courants marginaux qui sont les reliquats du nationalisme-révolutionnaire de la Phalange espagnole. Quelques groupes isolés pratiquent ainsi une agit prop’ violente, croyant que les mânes de José Antonio sortiront l’Espagne de l’ornière.
Et l’euro dans tout ça ?
Si l’Espagne s’obstine à jouer les meilleurs élèves de l’orthodoxie bruxelloise, le pire est à craindre. Zapatero aura beau répéter « l’Europe, l’Europe, l’Europe », même sans sauter comme un cabri, le vice de conception de l’euro risque d’entraîner une déflagration sans précédent. Jacques Sapir envisage très sérieusement l’hypothèse d’un décrochage de l’Espagne à la rentrée 2011. Ne pouvant plus endurer la surévaluation de l’euro ni espérer l’aide du Fonds Européen de Stabilité[3. Principalement constitué de dotations des Etats et du FMI. En cas de choc, le montant estimé des aides nécessaires à l’Espagne ferait exploser la caisse du Fonds, le rendant caduc et hors d’usage], Madrid pourrait alors faire exploser la monnaie unique pour dévaluer sa monnaie et, à terme, tenter de relancer la croissance[4. Soit pour créer une zone périphérique des pays du « club Med », dont la compétitivité minée par l’euro fort, soit pour revenir à sa monnaie nationale sur la base de la parité euro/peseta. Evidemment, la première piste serait préférable à la seconde, puisqu’en coordonnant les politiques de changes, elle permettrait d’endiguer les risques d’inflation. Pour plus de détails : ici].
D’ici là, on peut juste espérer que la colère de la Puerta del sol rappellera au gouvernement espagnol l’existence d’un peuple dont les attentes et les intérêts ne coïncident pas avec les marchés financiers. Zapatero, qui affectionne les références historiques, serait bien inspiré d’opposer aux bureaucrates de Bruxelles un salvateur « No pasaran » !
Chacun le sait, Anne Sinclair a momentanément suspendu son blog « Deux ou trois choses vues d’Amérique », pour des raisons indépendantes de sa volonté. On n’aura donc plus le bonheur de partager les points de vue éclairés d’Anne sur les révolutions arabes, ni de réfléchir aux conseils de bonne gouvernance qu’elle n’a cessé de prodiguer à Barack Obama. Quant aux fuites calculées sur les états d’âme de son époux vis-à-vis de l’élection présidentielle de 2012, elles ne sont, semble-t-il, plus vraiment d’actualité.
Les accros du blog en seront réduits à lire et relire le dernier post signé par la grande conscience aux yeux lavande, mis en ligne le 12 mai, 5 jours avant l’Affaire. A priori, on pourrait penser qu’Anne a eu comme une prémonition puisque le billet s’intitule : « Immigration, décidément, là bas comme ailleurs ». Avait-elle pressenti que là-bas aussi les allogènes ne pensaient qu’à créer des soucis aux braves gens ? Bien sur que non, jamais ce genre de pensées lepenoïdes ne viendrait à son esprit. D’ailleurs elle le prouve dans le corps du billet où elle explique que la droite américaine fait des travailleurs immigrés les boucs émissaires de tous les malheurs de l’Américain moyen. Heureusement, explique-t-elle, Barack veille au grain : « Obama ne s’est pas arrêté aux manœuvres d’obstruction multipliées par les élus républicains depuis un an, il a aussi dénoncé les argumentaires aux relents de racisme utilisés par l’opposition qui profite du contexte économique difficile pour sordidement mêler la peur du chômage et de l’étranger ».
Nous voilà donc rassurés, les très nombreux détectives embauchés par le couple humaniste pour enquêter sur Nafissatou Diallo n’aideront pas les avocats de DSK à constituer des « argumentaires aux relents de racisme ». Et il n’est donc plus à craindre que lesdits avocats essayent de discréditer aux yeux des jurés du procès la jeune plaignante guinéenne en jouant sordidement sur la peur de l’étranger…
Dans L’Antisémitisme partout (La Fabrique, 2011), le philosophe Alain Badiou et l’éditeur Éric Hazan nous exhortent à résister au chantage à l’antisémitisme émanant de nouveaux « inquisiteurs ». C’est une saine initiative : il est urgent de dénoncer l’instrumentalisation politique de l’antisémitisme, qui ne peut que donner lieu à une banalisation de la Shoah et à une perversion de la mémoire et de l’histoire de la judéophobie en Europe et au-delà. Hélas, les auteurs de ce pamphlet, dont nous devons louer l’intention, se laissent prendre à leur propre piège. En effet, si l’on veut avertir contre le chantage à l’antisémitisme, il est préférable de n’y pas recourir soi-même. Il est regrettable que cet opuscule tombe dans le travers qu’il dénonce. Examinons comment procèdent nos contre-inquisiteurs.[access capability= »lire_inedits »]
Ils se posent tout d’abord la question de savoir à qui profite cette campagne contre un antisémitisme dont ils nient l’existence et dont ils imputent la dénonciation à une manipulation idéologique de droite, disons « occidentaliste » et nationaliste. Leur réponse est que cette campagne est censée museler la pulsion révolutionnaire des masses populaires. Accuser ces masses populaires (notamment les jeunes des banlieues issus de l’immigration musulmane, arabe et africaine) d’antisémitisme reviendrait à discréditer la violence de ces jeunes en mal de repères, dont l’énergie devrait être mise au service de la lutte des classes et d’une nouvelle révolution prolétarienne. Selon Badiou et Hazan, ceux qui dénoncent le « nouvel » antisémitisme (Alain Finkielkraut, Pierre-André Taguieff, Éric Marty, Nicolas Weill, Jean-Claude Milner, etc.) seraient en fait les héritiers d’un antisémitisme bien réel (celui des années 1930, du pétainisme et du maurrassisme).
C’est ici que le raisonnement de Badiou et Hazan s’affole et s’effondre dans la perversion théorique et politique. Exposons les différents points de ce raisonnement : dénoncer l’antisémitisme des jeunes de banlieue serait une arme idéologique visant à distraire l’attention de l’opinion des « crimes » d’Israël. Or, juifs et non-juifs qui défendent Israël aujourd’hui seraient la réincarnation de la petite bourgeoisie des années 1930 qui défendait les valeurs de l’Occident contre les « métèques », les juifs, etc. Les intellectuels pro-Israël, « inventeurs » d’un antisémitisme imaginaire, seraient donc des antisémites réels, qui collaborent avec l’Amérique (équivalent du fascisme) et Israël (la France de la guerre d’Algérie).
Un tel raisonnement suppose qu’on tienne pour recevables des équivalences à tout le moins problématiques : entre démocratie libérale et fascisme ; entre Israël (« avant-poste de l’Occident ») et empire colonial et raciste français ; entre les jeunes issus des banlieues et les juifs des années 1930 ; entre les juifs et les non-juifs pro-Israël d’aujourd’hui et les pétainistes ou les nazis d’hier. (Notons par parenthèse que Badiou et Hazan n’ont pas lu ou n’ont pas compris Milner, qui n’est guère moins sévère qu’eux avec la démocratie libérale européenne et ses « penchants criminels », certes pour de tout autres raisons). On ne peut accepter le raisonnement analogique de Badiou et Hazan qu’à accréditer ces prémisses farfelues que les auteurs partagent avec le négationnisme issu de La Vieille taupe. Il s’agit non plus ici d’assassiner la mémoire de la Shoah (il faut louer nos auteurs de condamner sans ambiguïté toute forme de négationnisme), mais de nier la réalité de la judéophobie contemporaine.
S’il est irresponsable d’enfermer les jeunes des banlieues dans une essence antisémite, il n’est pas moins indigne de nier la réalité d’un antisémitisme influencé par le ressentiment socio-économique et la propagande islamiste. Badiou et Hazan, en en niant l’importance alors qu’il est avéré par toutes les études scientifiques, légitiment ce nouvel avatar de l’antisémitisme au nom de leur combat « antisioniste » et anticapitaliste. En le réduisant à l’anecdote ou à la paranoïa plutôt qu’à un phénomène européen massif, ils s’en font les complices. Ainsi, prétendre prouver l’inexistence de cet antisémitisme en recourant à l’invention de deux mythomanes relève du même type de syllogisme dont nos auteurs dénoncent par ailleurs l’usage en invoquant la logique d’Aristote. De fait, que deux psychopathes se soient inventé une agression antisémite venant de jeunes issus de l’immigration (2004 : affaire Marie L., illustrée dans le film élégant de Téchiné, et incendie par un pyromane du centre social juif de la rue Popincourt) ne saurait prouver que toutes les agressions antisémites de cette origine soient imaginaires. Tout au contraire : que la France se soit émue d’une seule voix de ces fausses agressions témoigne qu’elles étaient, hélas, par trop crédibles. Badiou et Hazan succombent à un déni de réalité qui, sans la moindre intention de blesser, se révèle une insulte aux victimes de cet antisémitisme ou à leur famille, lorsqu’il arrive (cas rares heureusement) que ces victimes y aient succombé.
Aussi progressistes qu’ils se proclament, nos auteurs semblent courir, à bout de souffle, derrière l’Histoire, et avoir plusieurs guerres de retard. Notre présent se réduit pour eux à la Seconde Guerre mondiale et à la guerre d’Algérie. Si l’Ange de l’Histoire, dans la lecture du célèbre tableau de Paul Klee par Walter Benjamin, regarde les ruines du passé pour lamenter les catastrophes du progrès, Badiou et Hazan scrutent le rétroviseur de l’Histoire pour hâter le progrès et la révolution. Excellente recette pour une catastrophe à venir.[/access]
Malheur à la ville dont les princes sont des adolescents. Bennasar, lié à DSK dans une conjuration de hasard (cette providence des imbéciles), nous en administre une preuve. Quel meilleur moment, en effet, pour publier ses Catholiquaires, que celui où le roi des libertins tombe sous le coup de ses pulsions qu’aucune éducation ne lui a appris à réfréner ou que l’usage du pouvoir a définitivement délivrées de toute entrave morale ? Quel sens de l’à-propos que celui de Bennasar et comme les Iraniens jouiraient, s’ils en avaient connaissance, de l’ajout de cette pièce au dossier déjà chargé de la condamnation de l’Occident judéo-croisé dégénéré. Que DSK ait gardé de sa trique d’adolescent sinon la vigueur, au moins le souvenir puissant, voilà qui devait réconforter les identitaires lubriques façon Cyril-le-menuisier. Jusqu’à aujourd’hui. Car nul ne doute que Bennasar condamne aussi vigoureusement qu’il chevauche ses dulcinées le viol de l’employée du Sofitel. Le problème est qu’il ne voit pas de de relation de cause à effet entre sa diatribe soixante-huitée et le comportement présumé coupable de l’ancien maître du monde.
Revenons un peu en arrière, c’est-à-dire vers l’an 0 de notre ère. Bennasar, pour peu qu’il eût réussi à s’introduire parmi les dominants, y eut été assurément heureux. L’homme en tant que mâle n’était alors pas trop éloigné du singe – quoiqu’il ait déjà une bite largement plus volumineuse. Il mariait qui il voulait et il répudiait quand il le souhaitait. Dans certaines civilisations qui s’imposèrent à nous, il n’avait même pas besoin de recourir bêtement à l’IVG, il lui suffisait de refuser l’ennuyeux rejeton que lui présentait la femme qu’il avait tronçonnée neuf mois plus tôt pour qu’on l’en débarrassât incontinent. Dans certaines autres, il pouvait user à son gré de la prostituée de service et la lapider lui-même une fois qu’elle était hors d’usage. La liberté de mœurs qui n’a pas été inventée par Cohn-Bendit – désolé de te décevoir, Cyril – était telle qu’on pouvait pédéraster sans se croire obligé de se marier. La liberté de jouir si intense qu’on fabriquait sans vergogne des eunuques qui surveillaient mieux ta femme en ton absence que ton meilleur pote que son gros paquet parfois aussi démange. L’amour, cet emmerdant phantasme de magazines féminins, n’existait pas – ou si peu. À la donzelle dont la mère ou le chaperon avaient conservé autant que possible la virginité pour satisfaire le plaisir de domination du mâle qui la prendrait avec la dot, nul ne demandait si elle était amoureuse. Pour tromper son ennui de sensitive préromantique, elle se pouvait se raconter les Mille et Une nuits sa vie durant. Enfin la jouissance était sacrée, elle faisait office de religion et procurait des transes que le moderne va maintenant chercher ailleurs.
Ah ! comme les églises seraient pleines si, comme en ces temps bénis dans les temples, on y organisait force orgies, lupercales et autres bacchanales. Bennasar serait au premier rang, prêt à oublier, pour un cul baalique ou astartéen, les paroles de YHWH que sa maman lui aurait pourtant apprises entre six et sept ans. Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi.
Ah, quelle belle époque que celle-là où trousser une domestique était un acte d’hygiène. Qu’on y était gaillard, gaulois, vaillant, conquérant. Pas comme sous ce régime de chrétienté qui a fait de nous des peine-à-jouir, des châtrés, des demi-hommes. Bennasar retrouve d’ailleurs dans cette analyse aussi bien Zemmour que Soral, Nabe que Dantec, ces Adonis au braquemart toujours levé à qui suffit un battement de cil pour séduire la gonzesse de passage. Quatre expressions de la puissance occidentale accomplie, en quelque sorte.
Et voilà la réalité : Bennasar, qui réclame de l’Occident chrétien le bouclier, ne comprend pas le christianisme dont le dernier mot est la protection des faibles – de tous les faibles. Le reproche qu’il fait aux cathos de gauche soucieux du destin des immigrés est dans ce sens le même que celui qu’il fait aux cathos de droite lorsqu’ils songent à l’enfant à naître.
C’est sans doute ça, « l’ordre moral ». Mais nous, nous n’oublions pas qu’il y a un ordre plus violent que l’ordre moral, qui est là depuis le commencement de l’humanité : c’est l’ordre du mal, celui de ces sociétés préchrétiennes et postchrétiennes que Bennasar chérit tant. Et le mot de cet ordre, c’est toujours la domination.
Voilà pourquoi, quand il crache sur les chrétiens, l’ami Cyril oublie étrangement de leur reprocher d’avoir donné un statut aux femmes. Il devrait se demander pourquoi nous autres ne couvrons pas nos femmes, pourquoi nous ne les marions pas contre leur gré, pourquoi ne les répudions pas ni ne les lapidons, pourquoi elles jouissent de leurs pleins droits d’adultes (fors durant l’infâme période qui va de Bonaparte aux années 70), pourquoi elles ne sont pas des objets à prendre quand bon nous semble, enfin.
Pourquoi nous les aimons tant que nous ne nous résolvons pas à les battre ni à les tromper. C’est ainsi que comme disait mon ami Robert qui est plus anarchiste que Bennasar parce que plus chrétien : « Chaque jour ma femme m’affame, et sa chatte m’enchante ».
Ah, Radio Canut mon amour. Joyeux bordel d’amateurs ultragauchistes lyonnais, où le hip-hop lesbiano-transgenre côtoie les talks à la gloire de la revolución mexicana, entre une playliste sortie des cartons de mai 68 et un concerto minimaliste pour larsen et tronçonneuse. Ils ont beau fédérer autour d’eux tous les clichés de la canaille anarcho-libertaire, ils ont pour eux ce grand mérite de pratiquer un éclectisme musical presque sans limite. Presque.
J’ai longtemps cru que l’ultragauche était anticléricale. Mais, parmi d’autres sources, Radio Canut m’apprit qu’en réalité l’ultragauche ne détestait en rien le reggae, par exemple, bien qu’il y soit question en permanence de références bibliques du type « Jerusalem/Babylon/Zion/Israel ». Elle ne déteste pas non plus un certain rap qui fait sans équivoque l’apologie de l’islam. Les musiques sacrées, de façon générale, trouvent volontiers leur place dans la programmation musicale de nos anarchoponques à sarouels, pourvu qu’elles viennent d’Inde, de la jungle amazonienne, du Japon, ou de Turquie. L’ultragauche n’a rien contre Dieu, en soi ! En revanche, vous n’entendrez jamais le moindre chant grégorien, le moindre Alleluiah baroque, le moindre petit bout de Requiem quelconque sur les ondes du 102.2 à Lyon. À la rigueur un peu de gospel, mais uniquement parce que ça entre dans la catégorie « musiques noires ».
Un petit miracle s’est accompli aujourd’hui : Radio Canut nous a offert l’écoute d’une pièce sacrée tout à fait singulière que je ne connaissais pas : l’hymne d’Oxyrhynque, datant du IIIème siècle, et rendant un pieux hommage à la Trinité. Ce n’était pas un bien grand miracle, hélas. En réalité, l’animateur avait ironiquement fait de ce chant l’ouverture de son émission du jour, consacrée à… « la colonisation chrétienne« .
La nature de l’ultragauche n’est aucunement anticléricale : c’est juste qu’elle ne veut pas entendre parler du Christ. Elle s’accommode sans aucun problème du halal et des mosquées, s’abandonne dans la contemplation des spiritualités exotiques, respecte profondément les croyances animistes, sympathise de bon cœur avec le culte rastafari. Mais le christianisme, lui, rencontre une hostilité sans limite. J’ai cru, de bonne foi, que « Ni dieu ni maître » était réellement le credo de l’ultragauche. La vérité, c’est que n’importe quel Dieu fait l’affaire, pourvu qu’il ne s’agisse pas de Jésus et de ses copains. L’anticléricalisme n’est que la vitrine politique du véritable combat anti-pape, anti-Église, et in fine anti-Christ. Qu’on ne se raconte pas d’histoires ; tenez, pour preuve supplémentaire, je suis allé rendre visite à un petit meeting anarchiste il y a quelques jours. Au menu du plat unique destiné à financer l’association, le chili con carne arborait en grosses lettres la mention « halal ».
Ni dieu ni maître ? Vraiment ? Vraiment-vraiment ?