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Combien de mâles pour zéro bien?

MeToo a libéré la furie des lyncheurs en ligne et des délateurs à carte de presse. Mais la lourde condamnation de Nicolas Bedos en première instance prouve qu’un féminisme révolutionnaire, assoiffé de morts sociales et de bannissements, a désormais investi les palais de justice.


À la fin du réquisitoire, tous les journalistes sont sortis de la salle d’audience du tribunal de Paris. Il était 22 heures, ce 26 septembre, leur religion était faite, leur sentence, prête. L’avocate de Nicolas Bedos a donc plaidé dans une salle désertée par les médias. Il y a là plus qu’un symbole, une métonymie, un détail qui raconte l’ensemble du tableau. À l’âge MeToo, la parole d’un homme accusé ne vaut rien. Pire, le type qui se défend est un salaud. Ainsi quand Julien Bayou, ex-étoile montante des Verts persécuté par une meute d’ex, furieuses d’avoir été quittées, trompées ou négligées, porte plainte contre une de ses accusatrices, Sandrine Rousseau dénonce « un climat très fort d’intimidation ». Quand une femme porte plainte, elle libère sa parole, quand un homme porte plainte, il intimide. La parole des hommes, on l’a entendue des siècles durant. Alors maintenant fermez-là et demandez pardon.

À charge et à décharge : c’est le principe cardinal d’une justice équitable. On se demande parfois si la défense intéresse vraiment les magistrats, prompts à balayer, dans l’affaire Bedos et d’autres, tout ce qui pourrait bénéficier au prévenu, singulièrement le doute. De toute façon, cette défense est par avance discréditée, méprisée, ignorée par les véritables juges, ceux qui peuvent condamner à la peine de mort sociale et le font à tour de bras, avec une jubilation suspecte. Avec ses imperfections et ses garanties, la vieille justice démocratique préfère (préférait ?) un coupable en liberté à un innocent embastillé. La justice révolutionnaire de MeToo fonctionne selon des principes strictement inverses : présomption de culpabilité, enquêtes à charge, instruction à ciel ouvert. Or, la justice médiatique contamine celle des prétoires. Les juges ne sont pas connus pour leur anticonformisme. Ils épousent volontiers la cause des femmes, pas seulement parce que la plupart des juges sont des femmes, mais aussi parce que cette cause avance drapée dans des considérations compassionnelles qui promettent des témoignages bouleversants, des salles d’audience où on entend voler les mouches, des récits douloureux, des procès pour série Netflix. Le matin du procès pour agressions sexuelles de Gérard Depardieu (finalement renvoyé), entre autres délicatesses, L’Est républicain publiait un édito titré « Le procès d’un monstrueux malade ». Quel tribunal oserait laisser en liberté un « monstrueux malade » ?

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Une petite nébuleuse de journalistes (au féminin pour l’essentiel) qui constituent le commandement invisible et informel de la Révolution néo-féministe se fait un devoir de fouiner, de traquer les petits travers et les grands manquements dans les vies privées d’hommes trop puissants, trop talentueux, trop fanfarons, trop décontractés du gland. Le succès est une insolence, l’errance sexuelle, une insulte aux femmes et un outrage à la morale publique. Elles recourent à la délation, sanctifiée en libération de la parole, de sorte qu’une accusation en suscite dix autres – Moi aussi, je souffre ! Le plaisir évident que ces dames-patronnesses prennent à faire chuter des idoles et détruire des existences, leur absence totale de compassion pour le pécheur à terre, restent un mystère. On pense à ces apparatchiks capables d’envoyer leur voisin ou leur frère au goulag sans sourciller ou aux inquisiteurs convaincus de faire le bien des hérétiques qu’ils torturaient. La souffrance des femmes, réelle, inventée ou exagérée, semble absorber toute leur capacité d’empathie. Tout de même, la sollicitude dégoulinante dont ces meutes justicières accablent les plaignantes, les persuadant qu’elles ont subi un traumatisme irréparable et les condamnant au statut éternel de victime, contraste singulièrement avec leurs babines retroussées devant un homme à terre. Comment pouvez-vous plaindre ces puissants face à de pauvres créatures rescapées du patriarcat, traumatisées par une vie d’humiliation ? Ils ont bonne mine les puissants, à tourner en rond chez eux, désemparés ou terrorisés. D’après un ami qui a assisté à l’audience Bedos, le cinéaste et son entourage paraissaient accablés, pendant que les deux plaignantes et une troisième femme qui témoignait en leur faveur riaient et faisaient les belles, visiblement enchantées d’être le centre de tant d’attentions.

Le 22 octobre, tout ce petit monde, galvanisé par une meute de tricoteuses numériques, ne cache pas sa joie à l’annonce du jugement. Jamais un tribunal n’a eu la main aussi lourde pour des faits aussi dérisoires. Le comédien est condamné à un an de prison, dont six sous bracelet électronique ainsi qu’à une obligation de soin – il a reconnu boire plus que de raison. Preuve qu’on veut vraiment l’humilier, le jugement est exécutoire, ce qui n’arrive jamais pour les primo-délinquants. Quand tous les jours, des petits anges autrement plus dangereux sortent du tribunal libres et vierges de toute condamnation, il y avait urgence à embastiller l’auteur de La Belle Epoque. C’est que c’est grave. Il y a eu un soir de 2023 un baiser non consenti dans le cou à une serveuse et, un autre soir, au cours d’une bousculade dans la même boite de nuit, un attouchement de quelques secondes sur un entrejambe féminin (par-dessus un jean) dont il n’existe pas la moindre preuve. Des incidents qui auraient dû se solder par une paire de baffes et/ou des fleurs et des excuses. Un baiser volé dans une boite de nuit, ça peut être énervant, déplaisant, dégoûtant même. Mais humiliant, terrifiant au point de ne pas en dormir la nuit ? À l’époque, la serveuse avait commencé un mail à Bedos. Elle lui disait que, pour elle, ça allait mais qu’il devait se méfier de ses excès, avec d’autres ça pourrait faire des histoires. Elle voulait qu’il continue à faire du cinéma. Le brouillon de ce mail, qu’elle n’a jamais envoyé, a été lu à l’audience. Aujourd’hui, elle est traumatisée par ce baiser volé. Et tout le monde feint de la croire. On n’a pas fait le procès d’un agresseur sexuel, mais celui d’un « gros con », d’un mufle de compétition, ce qui n’est pas un délit pénal. Ou on finira aussi par créer un délit d’infidélité conjugale. Il boit trop, il parle trop, il touche trop, ça ne fait pas de lui un agresseur sexuel. « Nicolas peut être pathétique mais quand il a bu, si on le touche, il tombe », résume un de ses amis. On attend que le cinéma, l’art et les boites de nuit soient réservés à des premiers prix de vertu, sans fêlure et sans excès. La plupart des êtres humains, heureusement, cachent quelques cadavres dans leurs tiroirs intimes. C’est précisément avec quoi que la Révolution néo-féministe veut en finir. Elle veut nous délivrer du mal et du mâle. Puisque la chair est sale et, pire encore, inégalitaire, finissons-en avec ses tourments. Revenons au paradis perdu, quand les hommes et les femmes n’avaient pas encore découvert qu’ils aimaient faire des cochonneries. D’où la réaction un brin drama queen de certaines femmes, comme si en les touchant, même accidentellement, un homme souillait un temple inviolable.

Pour le chœur des vierges médiatiques, « Femmes, on vous croit ! » signifie « Hommes, vous mentez ! » Certains avocats de la glorieuse libération MeToo, comme Caroline Fourest, dénoncent aujourd’hui ses dérives, et sont pour cela accusés des pires péchés, comme celui d’être de droite (voir l’article de Yannis Ezziadi). Pour ma part, j’attends toujours qu’on me montre les rives riantes que l’on aurait accidentellement quittées. Tout incline plutôt à penser que MeToo est un bloc et que la mutation terroriste actuelle était programmée dès le premier tweet appelant à la délation. Bedos a d’ailleurs écrit en 2017 un texte prémonitoire à ce sujet, sans toutefois en tirer toutes les conséquences puisqu’il a continué à adorer publiquement la grande avancée de la parole libérée[1]. Il raconte dans ce texte qu’une journaliste de sa connaissance lui demande sur Facebook s’il n’aurait pas « en magasin quelques infos croustillantes concernant des agressions sexuelles commises dans le milieu du showbiz ». Il lui répond : « non, des types lourds, il y en a, oui, des producteurs un peu foireux obligés –croient-ils- de faire miroiter des rôles pour draguer les nanas, oui, à la pelle, sans doute, mais des agressions, des tentatives de viols, que je sache, non ». Elle insiste : « Même pas un dérapage? Vous avez plein de copines actrices, y en a bien une qu’un type connu aurait chauffée de façon insistante, un pelotage de nichons, une grosse main au cul, des gestes déplacés, en boîte… ». Il lui faut quelque chose : « Votre nom ne sera pas cité… Réfléchissez, je vous en supplie, un seul nom me suffira. ». Un seul nom suffira. Un nom n’a pas suffi. Les dieux de ce féminisme sinistre et revanchard ont soif. Il leur faut sans cesse du sang neuf. Les charrettes se succèdent, la liste noire s’allonge. Tout épisode de drague peut être remonté en agression sexuelle, tout coup d’un soir, relooké en viol. Toutes les chapelles et toutes les générations du spectacle sont touchées, même les morts. C’est maintenant aux sportifs d’y passer. Deux joueurs de rugby français accusés de viol en Argentine sont immédiatement lâchés par la Fédération et par L’Equipe. On ne connait pas le dossier, il n’y a aucune preuve mais ils sont forcément coupables. Quand il s’avère qu’ils ont été piégés, tout ce beau monde change de pied : tout de même, ce n’est pas bien de se saouler en boite quand on représente la France. Voilà nos gars promus ambassadeurs. Un puritanisme peut en cacher un autre : comme on ne peut sans doute pas inscrire l’interdiction de forniquer dans leur contrat (ce serait contraire à la dignité humaine, non ?), on va leur interdire de picoler. La troisième mi-temps, désormais, ce sera une tisane et au lit.  Remarquez, ils ont de la chance, ils pourront rejouer au rugby.

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Dans l’industrie du rêve, comme dans la politique, ça ne marche pas comme ça. Toute inconduite, réelle ou supposée, peut valoir perpète. Dans le cas Bayou, le comité d’épuration du Parti ayant fait chou-blanc, les Verts ont confié le dossier à un cabinet privé qui n’a pas trouvé de preuve de « violences psychologiques ». «L’enquête n’a manifestement pas été un cadre permettant de faire avancer suffisamment l’enquête», a bredouillé Rousseau. Mais rien n’est perdu, il y a encore des plaintes en justice, des militantes pas contentes. Elle trouvera autre chose mais elle ne lâchera pas avant de piétiner le cadavre. Pour Bayou, la politique, c’est fini. Tant mieux pour lui.

Dans le cinéma, le bannissement est immédiat et automatique. Avant d’embaucher un comédien, on mène des enquêtes sur son passé, pour être sûr que le souvenir d’une soirée de débauche ne viendra pas gâcher la promotion du film, alors une plainte même classée, on ne peut pas prendre le risque. Dans la liste de proscription, certains ont été condamnés, d’autres relaxés, et d’autres encore, comme Edouard Baer n’ont jamais été poursuivis. Il y a peut-être dans le lot, quelques vrais prédateurs, à l’image de ce prisonnier connu dans toute la Kolyma parce qu’il avait vraiment conspiré contre le Parti. Le féminisme révolutionnaire ne s’embarrasse pas de distinction. Qu’ils aient effleuré un sein ou agressé une stagiaire, le tarif est le même : tous leurs projets s’arrêtent du jour au lendemain, les messages gênés affluent sur leur écran. Leur nom devient radioactif. « Si on avait su, on aurait vraiment violé », ironise l’un deux. On parle de bannissement et de mort sociale. Ces mots peinent à dire ce que ressent un homme en pleine possession de ses moyens quand il n’a plus le droit de faire son métier, soit parce qu’il a commis une peccadille soit parce qu’il a été faussement accusé. Ce sont aussi une famille, des proches, des enfants qui se retrouvent piégés dans une prison invisible. Le plus dur, c’est de ne pas savoir si la peine finira un jour, si on sera un jour réintégré dans le monde des vivants. En d’autres temps, on pouvait fuir le scandale, partir refaire sa vie aux colonies ou ailleurs. Aujourd’hui, il n’y a plus d’ailleurs. Internet réalise un rêve policier : un fichage éternel et planétaire.  Cette injustice féroce d’une mise au ban qui peut frapper n’importe qui devrait provoquer une vague de colère et de protestation. Elle prospère sur la lâcheté. Tout le monde savait que le communisme mentait mais il a tenu par la peur. C’est la même chose avec MeToo. La plupart des gens ordinaires savent que la vie n’a rien à voir avec les histoires de petites filles et de vampires qu’affectionnent les vestales militantes. Dans le public et dans le métier, la condamnation de Nicolas Bedos a fait l’effet d’une bombe. Sa compagne Pauline Desmonts et lui ont reçu des centaines de messages de soutien, d’anonymes, de de gens du métier, de politiques. Aucun ou presque n’a osé s’exprimer publiquement. Il est vrai qu’ils ne risquent pas seulement de ne plus être persona grata sur France Inter, mais d’être à leur tour la cible d’accusations, comme l’ont été les signataires de la tribune Depardieu, de froisser les plates-formes (Amazon, Netflix etc) qui financent leurs films ou de voir des comédiens les lâcher. Je suis de ton côté, mais tu comprends, c’est compliqué. Oui, j’ai peur de comprendre. C’est humain. Le totalitarisme aussi, c’est humain.


[1] « Un seul nom me suffira », quand la libération de la parole vire à la guerre des sexes, Huffington Post, 2 novembre 2017.

Libé au grand cœur

Le quotidien de gauche se fait l’écho des inquiétudes de clandestins sous OQTF, mais passe sous silence bien d’autres angoisses hexagonales.


Cela ne se sait sans doute pas assez, mais les journalistes de Libération sont des modèles vivants de compassion. Ils en ont récemment administré une preuve supplémentaire dans un papier-enquête intitulé « La vie sous OQTF », article signé Rachid Laïrech, publié le 10 novembre[1]. La vie évoquée est celle de Sylla, Malien sans papiers en France depuis dix ans « qui charbonne dans la restauration, loue une chambre à son oncle en Seine-et-Marne. » Et qui très certainement ne doit son classement OQTF qu’à la malveillance raciste des autorités. « Sylla a peur », écrit le journaliste. Cela sonne à nos oreilles un peu comme le glaçant « La France a peur » de Roger Gicquel ouvrant par ces mots le vingt-heures de TF1 le 18 février 1976 après l’assassinat du petit Philippe Bertrand. Sylla a peur, donc. « Il pose ses deux mains sur son visage. Un geste qui raconte un tas de sentiments ». (Les sentiments, en tas, rien de plus oppressant, faut-il reconnaître). Il est épuisé. Il doute aussi, le commis de cuisine. Lui revient en mémoire une scène qui « a bousillé son quotidien ». Qu’on en juge. Depuis les exactions de la Gestapo on n’avait jamais connu pareille cruauté, semblable arbitraire. « Un soir de printemps, à Paris, après une longue journée de turbin (Serait-il un brin sur-exploité notre travailleur malien ?) le sans-papiers fume une clope devant la gare du Nord. Trois policiers se tiennent devant lui. Contrôle d’identité. » Trois bousilleurs de quotidien d’OQTF ayant probablement aux lèvres l’écume de la haine la plus féroce. L’horreur, la barbarie d’État dans toute sa fureur. Comment se relever d’un tel traumatisme ? Comment surmonter cette agression sans nom : se faire contrôler son identité, à Paris en plein XXIème siècle ? Depuis, nous conte Libération, le longiligne trentenaire « a la trouille au ventre » chaque fois qu’il croise une patrouille de gestapistes – pardon de policiers français, je me suis laissé emporter. « La peur d’être rattrapé par une politique migratoire forcenée ». Forcenée, autrement dit démente, pathologique, obsessionnelle, névrotique. Lisant ces lignes, la gorge se serre, les larmes ne sont pas loin. D’autant plus qu’il s’agirait d’un « bon gars, toujours à l’heure, efficace et qui met une bonne ambiance dans la cuisine », plaide son employeur qui ne comprend décidément pas pourquoi « on fait chier des types comme lui. » C’est vrai, ça ! Pourquoi aller demander des papiers à ceux qui n’en ont pas ? On ne fait pas pire en matière de persécution.

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Bouleversé par tant de sollicitude journalistique, je me suis mis à guetter les livraisons suivantes du quotidien. J’attendais une enquête digne de ce nom, une série d’articles sur la peur. Je me disais, demain peut-être, lirai-je un papier lui aussi débordant d’émotion sur la frayeur des étudiantes de l’université Dauphine s’en revenant de leurs cours, tout près du Bois de Boulogne ? Ces jeunes filles, condisciples de Philippine, violée, assassinée par un OQTF récidiviste. Peut-être évoquera-t-on dans un numéro prochain la peur qui étreint désormais le Juif de France se rendant à la synagogue ou vaquant à ses occupations. La peur des parents dont le gamin est de sortie pour une fête, un bal le samedi soir du côté de Crépol ou de Saint-Péray ou partout ailleurs en France. La frayeur de la secrétaire qui quitte son travail à la nuit tombée pour gagner à pied sa station de bus. La peur quotidienne, permanente des désargentés condamnés à affronter des cages d’escalier coupe-gorge pour, tout simplement, rentrer chez soi. La sourde appréhension encore du commerçant qui ne sait pas ce qui va lui tomber dessus quand il ouvre son tiroir-caisse. L’angoisse sourde, elle aussi permanente, des policiers, des gendarmes, de leur famille, de leurs proches, lorsqu’ils bouclent leur ceinturon pour aller assurer – ou tenter d’assurer – notre sécurité.

Ai-je besoin de préciser que je n’ai pas trouvé une ligne, un mot dans Libération sur ces peurs-là, pourtant si largement répandues aujourd’hui chez nous ?! Peurs blanches… Trop blanches, sans doute. 

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[1] https://www.liberation.fr/societe/immigration/la-vie-sous-oqtf-tous-les-jours-je-sors-en-me-disant-que-je-peux-terminer-en-centre-de-retention-20241110_LCEXHMG7UBH4HO5NHD72JAX6NM/

Au pouvoir de l’image

Tout n’est pas clair comme de l’eau de roche chez Leni Riefenstahl, c’est le moins qu’on puisse dire. Un documentaire en salles retrace le singulier parcours de la cinéaste d’Hitler, mais se complait un peu trop à rappeler ses redoutables ambiguïtés – alors que son œuvre artistique mériterait aussi qu’on s’y intéresse.


Qui s’attendrait à un documentaire racontant de façon linéaire la très longue vie de Leni Riefenstahl, ou se risquant à une analyse critique de son esthétique cinématographique sera déçu. Il s’agit ici, globalement, de dresser d’elle le portrait à charge qu’on pouvait attendre, en 2024, d’un documentariste allemand. Portrait délibérément concocté, beaucoup moins sur la base de sa filmographie, qu’ à partir d’une double source : d’une part le fond personnel de l’artiste disparue en 2003 à l’âge de 101 ans, masse de documents considérable, aujourd’hui détenue par la Fondation du patrimoine culturel prussien ; d’autre part la quantité d’archives sonores et audiovisuelles dans lesquelles, dès l’après-guerre et jusque dans son très grand âge, Madame Riefenstahl opiniâtrement se défend contre les journalistes qui l’assaillent toujours des mêmes questions, revenant inlassablement sur ses compromissions avec le régime national-socialiste et ses hiérarques.

Éclairage neuf

Il est vrai que Leni Riefenstahl donne des verges pour se faire battre : coquette, véhémente, furibonde, à ses détracteurs elle renvoie systématiquement le même discours : oui, Hitler l’a fascinée immédiatement, non elle n’a jamais rien su des camps de concentration, non elle n’a jamais été antisémite et encore moins nazie, d’ailleurs elle n’a jamais adhéré au parti, oui la beauté du corps humain, force virile ressaisie par la caméra furent son unique préoccupation, depuis La victoire de la foi, Triomphe de la Volonté et Les Dieux du stade, commandes personnelles de Hitler, jusqu’à ses photos et ses films immortalisant la peuplade « sauvage » des Noubas, déjà  en sursis dans les années 60… Si bien qu’on finit par tomber sous le charme de cette vieillarde alerte, blonde pour l’éternité, le visage outrancièrement fardé, inquiète de ce que l’objectif ne jette trop de clarté sur une ride, et qui prend la pose avant de se livrer à la torture de cette ultime interview filmée. Un dernier maquillage ?

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Il faut reconnaître à ce long métrage documentaire sous-titré, pour sa sortie en France, La lumière et les ombres, qu’il jette un éclairage neuf, non tant sur l’œuvre proprement dite de Leni Riefenstahl (celle-ci n’est nulle part envisagée ici sur le registre de son esthétique) que sur l’aura polémique dont cette figure incontournable du Septième art reste indéfiniment prisonnière. Certes, narcissique, égocentrique, aveugle à la tragédie et aux horreurs de son temps, cultivant la mauvaise foi avec une fausse candeur retorse, l’ex-danseuse, skieuse, gymnaste devenue cinéaste et égérie du IIIème Reich, puis photographe après-guerre, jette un doute légitime sur ses poses de pure créatrice apolitique, immolée à la cause sacrée de l’Art.

Riefenstahl, filming Olympia next to Goebbels and Goering 1936 © Vincent Productions

Et l’artiste ?

Mais Riefenstahl n’a tué personne. Ambitieuse, héroïque, courageusement indépendante de la gent masculine bien avant l’époque du féminisme revanchard, elle mérite sans doute mieux que l’opprobre de principe où la tient, en 2024, une certaine bien-pensance. Tout n’est pas clair comme de l’eau de roche chez cette femme, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais quel exégète prendra le risque, enfin, de la peindre comme ce qu’elle fut avant tout, avec ses redoutables ambiguïtés : une artiste ? Dont on peut déceler les ombres, sans pour autant la priver de toute lumière. Le documentaire sur son œuvre reste à faire.

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Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres. Documentaire d’Andres Veiel. Durée : 1h55

En salles le 27 novembre 2024

Djihad judiciaire: Farida Tahar perd une bataille

L’Observatoire européen des fondamentalismes dirigé par Fadila Maaroufi était poursuivi par la députée belge enturbannée Farida Tahar, à la suite de propos polémiques tenus sur Twitter. L’Observatoire avait notamment accusé la députée d’être une militante islamiste. Ses propos ont été jugés de bonne foi par le tribunal. La justice a en effet considéré que si tous les éléments factuels présentés par la défense ne suffisaient pas à établir que Mme Tahar était bien membre du mouvement islamiste des Frères musulmans, il existait une base factuelle suffisante autorisant à soutenir cette thèse, même de façon peu subtile.


Causeur. Éclairez le public français, s’il vous plaît : qui est Farida Tahar? Quel est son parcours, et en quoi cette figure politique est-elle controversée en Belgique?

Aymeric de Lamotte. Farida Tahar est une femme politique belge de premier plan. Elle a été députée bruxelloise et sénatrice de 2019 à 2024. Elle a même été cheffe du groupe parlementaire du parti politique Écolo au Parlement bruxellois. Elle a été réélue en juin 2024 malgré la débâcle électorale d’Écolo. Elle figurait à une place de confiance, la 7e place. 

Farida Tahar est une personnalité qui pratique un islam politique et prosélyte. Elle est une zélatrice bien connue du port du voile dans l’espace et l’administration publics, ce qui contrevient au principe de neutralité. Elle a manifesté son soutien à l’ex-députée bruxelloise Mahinur Özdemir — la première député européenne à porter le voile islamique — quand celle-ci a été exclue du parti politique cdH (désormais appelé Les Engagés) en 2015 parce que celle-ci avait refusé de reconnaître le génocide arménien. Mahinur Özdemir a toujours été très proche de Recep Tayyip Erdoğan, le président actuel de la Turquie. Ce dernier a assisté au mariage d’Özdemir lorsqu’il était Premier ministre. Özdemir a été nommée ministre de la Famille et des Services sociaux du gouvernement turc le 3 juin 2023.

Mme Tahar a été vice-présidente de l’association Le Collectif Contre l’Islamophobie en Belgique (CCIB), le pendant belge du CCIF dissous parce que le ministre de l’Intérieur français de l’époque a considéré qu’il était « une officine islamiste œuvrant contre la République ». 

Mme Tahar prend actuellement activement part au débat à propos du conflit israélo-palestinien et est pourtant restée totalement silencieuse au lendemain du pogrom du 7-Octobre 2023. 

Mais de là à faire de la députée une islamiste, n’est-ce pas y aller un peu fort ?

De 1999 à 2003, Farida Tahar a suivi une formation religieuse au sein de l’association Académie Islamique de Bruxelles. Comme l’explique l’essayiste Mohamed Louizi dans une enquête parue en 2016, cet établissement « flirte sérieusement avec le salafisme et la mouvance des Frères musulmans »

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Par ailleurs, Farida Tahar est je l’ai dit une zélatrice bien connue du port du voile dans l’espace et l’administration publics. Le voile est un des signes patents et incontestables de l’islam politique et Farida Tahar en porte un. Dans un débat à la RTBF qui la confrontait à Richard Miller, elle disait que ce n’est qu’un signe esthétique comme le port d’une cravate. C’est évidemment une manière de dédramatiser, de normaliser l’accoutrement, mais intellectuellement, ça ne tient pas la route une seule seconde. Comparer le port du voile au port de la cravate est une ineptie culturelle et intellectuelle.

On a pu voir Mustapha Chairi, ancien président du CCIB, faire la « rabia », ce geste de ralliement des Frères musulmans, notamment avec le fréro-salafiste Rachid Haddach. Le lien incontestable entre Farida Tahar et Rachid Haddach est une autre raison très valable pour laquelle ma cliente se permettait de qualifier la députée de « sœur » ou de « militante frériste ».

Que réclamait Farida Tahar à votre cliente devant la justice ?

Seul l’Observatoire européen des fondamentalismes (OEUF) est visé par la plainte, dont Mme Maaroufi est la directrice.

Farida Tahar reproche — on ignore encore à ce jour si le jugement est frappé d’appel ou non — à l’association l’OEUF de relever ponctuellement sur les réseaux sociaux une proximité idéologique entre ses positions et l’islamisme et les Frères musulmans. Elle considère que ces analogies constituent des propos diffamatoires ou calomnieux.

Elle lui réclamait 5000 euros à titre de dommage moral, le retrait des publications visées dans la procédure du compte Twitter de L’Observatoire européen des fondamentalismes et la publication de la décision à intervenir sur ce même compte Twitter.

Quels sont les arguments avancés lors de votre plaidoirie, que le tribunal a estimés recevables ?

Le tribunal applique la loi en rappelant qu’un propos ne peut pas être diffamatoire s’il est émis de bonne foi. Un propos est de bonne foi s’il intervient dans le cadre d’un débat d’intérêt général et si celui qui l’émet dispose d’une base factuelle suffisante. La notoriété de la personne visée est aussi un argument crucial pour trancher si c’est la liberté d’expression qui doit être protégée (article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme) ou le droit à la réputation (article 8 CEDH).

En l’espèce, les opinions de l’OEUF ou de Fadila Maaroufi à titre personnel s’appuient sur suffisamment de faits probants et interviennent dans le contexte d’un débat d’intérêt général, l’islamisme. Les jugements de valeur (les opinions) contrairement aux jugements de fait ne doivent pas être factuellement exacts. La notoriété et son exposition médiatique de Farida Tahar l’obligent à tolérer plus largement les remarques publiques qui la concernent. En outre, le tribunal fait remarquer à juste titre que la réputation de Farida Tahar n’a pas été « sérieusement écornée ». Dès lors, sanctionner l’OEUF porterait une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression.

La juge confirme l’analyse faite dans un premier jugement, rendu par elle-même, début de l’année, le 17 janvier 2024, qui opposaient l’OEUF et Fadila Maaroufi à Ibrahim Ouassari.

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Trêve au Liban: l’Iran a perdu la bataille, Israël n’a pas encore gagné la guerre

Alors qu’un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Liban semble imminent, le Hezbollah reste, malgré de lourdes pertes, la force dominante au Liban. Si les succès militaires israéliens sont indéniables, la mise en œuvre de cet accord et son impact géopolitique soulèvent des questions majeures, notamment sur la capacité à contenir durablement le Hezbollah.


Un accord de cessez-le-feu au Liban semble se profiler, mais il reste difficile de convertir les résultats purement militaires en gains politiques et géostratégiques. Malgré les coups très durs qu’il a subis – tant matériellement que moralement – dans les ruines de l’État libanais, le Hezbollah demeure la force militaire, économique et politique la plus puissante du pays, et surtout la seule à conserver la capacité d’imposer sa volonté par la violence à l’intérieur du pays.

Bien que le projet d’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Liban n’ait pas encore été publié, plusieurs informations disponibles permettent d’en connaître les grandes lignes. Ce projet inclut un mandat élargi permettant à Israël de mener des frappes le long de la frontière et à l’intérieur du territoire libanais afin de neutraliser les menaces émanant du Hezbollah ou d’autres organisations. Selon cet accord, Israël serait autorisé à intervenir militairement dans tous les cas où des menaces, y compris en profondeur au Liban (par exemple dans la vallée de la Bekaa), seraient identifiées, telles que la production, le stockage ou le transport d’armes lourdes, de missiles balistiques ou de missiles à moyenne et longue portée. Toutefois, de telles interventions seraient conditionnées à l’échec du gouvernement libanais ou d’un organe de supervision placé sous l’égide des États-Unis à éliminer ces menaces.

Côté libanais, une zone spécifique de « légitime défense immédiate »

Par ailleurs, le texte autorise Israël à poursuivre ses vols militaires dans l’espace aérien libanais à des fins de renseignement et de surveillance. De plus, Israël ne libérera pas les membres du Hezbollah capturés dans le sud du Liban, d’autant qu’aucun civil ou militaire israélien n’est actuellement retenu par le Hezbollah.

Le document précise que l’armée libanaise sera la seule force armée, à l’exception de la FINUL, autorisée à opérer sur le territoire libanais. Ce point établit un lien, bien que modeste, avec la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée en 2004, considérée comme plus contraignante que la résolution 1701 adoptée en 2006 après la deuxième guerre du Liban. L’armée libanaise sera également responsable d’empêcher l’entrée non autorisée d’armes et de munitions via les points de passage frontaliers, notamment à la frontière avec la Syrie, ainsi que de démanteler les infrastructures de production d’armement établies par diverses organisations sur le territoire libanais. De plus, l’accord délimite une zone spécifique au Liban, le long de la frontière, où les États-Unis reconnaissent à Israël le droit d’« agir en légitime défense immédiate. »

Ce texte, du point de vue israélien, est sans doute préférable à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) et reflète clairement que le rapport de force entre le Hezbollah et Israël s’est nettement amélioré en faveur de ce dernier. Sur le plan militaire, les résultats sont indiscutables. Le Hezbollah a perdu une grande partie de ses dirigeants militaires et politiques, plus de 3 000 de ses combattants ont été tués, et plusieurs milliers ont été blessés, dont beaucoup ne pourront plus retourner au combat. Des centres de commandement, des dépôts de matériel de guerre et une large partie de ses roquettes et missiles (entre un et deux tiers) ont été détruits.

Le 17 septembre 2024, plus de 3000 membres du Hezbollah sont blessés et 42 personnes meurent dans l’explosion de leurs pagers, Beyrouth, Liban © EPN/Newscom/SIPA

Quant aux infrastructures, notamment les tunnels et autres constructions souterraines préparées et déployées le long de la frontière avec Israël pour permettre une attaque surprise comme celle du 7-Octobre, elles ont été largement démantelées. Plusieurs villages frontaliers, transformés depuis 2006 en structures mixtes civiles-militaires au service du Hezbollah, sont aujourd’hui réduits en cendres. Des vergers qui abritaient des bunkers camouflés ont également été systématiquement détruits. La majorité des habitants chiites du sud du Liban ont quitté leurs bourgs et villages, devenant des déplacés souvent sans véritable abri.

Et surtout, tous ces succès israéliens ont été obtenus avec des pertes relativement faibles au front – 70 morts au combat – et des dégâts légers à l’arrière du pays.

Enfin, l’élément le plus marquant est d’ordre psychologique. Après sa victoire de 2006, le Hezbollah et son chef Hassan Nasrallah estimaient avoir instauré un équilibre de dissuasion stratégique avec l’État d’Israël, se percevant en quelque sorte comme ses égaux sur le plan militaire. Victorieux, voire invincibles, ils imposaient leur domination au Liban, au service de la communauté chiite, mais surtout de l’Iran. Ce n’est désormais plus le cas. Infiltré par le renseignement israélien, le Hezbollah n’a pas seulement été militairement affaibli, mais aussi profondément humilié – notamment à travers l’opération des « bippers » et les assassinats ciblés de ses dirigeants, y compris Nasrallah lui-même. Aux yeux de nombreux Libanais, cela a mis en lumière une forme de défaite pour une organisation perçue comme exerçant une occupation de facto sur le pays.

Pour illustrer ce changement, on peut citer Walid Joumblatt, leader druze connu pour ses revirements politiques constants. Celui qui, pas plus tard que l’été dernier, relayait encore la propagande du Hezbollah, critique aujourd’hui ouvertement l’Iran et son allié chiite local, signe d’un basculement significatif dans le paysage politique libanais.

Le Dôme de fer a tenu

En Israël, ces succès étaient inespérés. Pour comprendre l’état d’esprit qui prévalait avant cette guerre, il est essentiel de se pencher sur le « scénario de référence » envisagé par les responsables israéliens. Publiée début février 2024, une étude menée par l’Institut de politique antiterroriste de l’Université Reichman examinait les défis critiques liés à la préparation de Tsahal et de l’arrière à une guerre multi-fronts. Ce travail, conduit sur trois ans par six groupes de réflexion réunissant près de 100 experts en terrorisme, anciens responsables de la sécurité, universitaires et décideurs, avait donné lieu à des conclusions glaçantes.

Selon ce scénario, le conflit devait commencer par des tirs massifs de roquettes du Hezbollah, visant presque l’intégralité du territoire israélien. Ces tirs, estimés à 2 500 à 3 000 projectiles par jour, auraient compris des roquettes non guidées et des missiles précis à longue portée. Les bombardements auraient continué quotidiennement jusqu’à la fin du conflit, prévue environ trois semaines après son déclenchement. Dès les premières phases, des groupes terroristes de toute la région auraient rejoint les hostilités. L’une des principales stratégies du Hezbollah aurait été de saturer les systèmes de défense aérienne israéliens, tels que le Dôme de fer, pour affaiblir la réponse israélienne.

Les réserves de munitions pour le Dôme de fer et la Fronde de David se seraient épuisées en quelques jours, laissant Israël sans défense active contre des milliers de roquettes et de missiles lancés jour et nuit. Parallèlement, le Hezbollah aurait cherché à neutraliser l’armée de l’air israélienne en ciblant ses pistes d’atterrissage et ses hangars, endommageant les avions F-16, F-35 et F-15, qui constituent les piliers de la supériorité aérienne israélienne.

Des missiles précis, équipés de charges explosives lourdes, auraient visé les infrastructures critiques : centrales électriques, installations de dessalement et réseaux de distribution d’eau. Les ports seraient paralysés, bloquant le commerce international.

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Des essaims de drones suicides iraniens tenteraient d’atteindre des cibles stratégiques au cœur d’Israël, comme des usines d’armement, des dépôts militaires et des hôpitaux, déjà surchargés par un afflux massif de blessés. Ces attaques auraient provoqué des destructions considérables en Israël, entraînant des milliers de pertes humaines, tant sur le front qu’à l’arrière.

En parallèle, le Hezbollah aurait envoyé des centaines de combattants de sa force d’élite Radwan pour infiltrer le territoire israélien. Ces forces auraient essayé de prendre le contrôle de localités frontalières et de postes militaires, obligeant Tsahal à se battre sur son propre territoire, ce qui aurait retardé ses opérations en profondeur au Liban.

Après environ trois semaines de violence, les destructions sans précédent en Israël et au Liban, combinées aux pressions internationales, auraient mis fin au conflit dans un sentiment frustrant de « match nul », comme en 2006.

La réalité de cette guerre, bien que grave, s’est avérée moins catastrophique que ce scénario, ce qui souligne d’autant plus la portée des succès israéliens.

Néanmoins, des questions cruciales restent en suspens : le Hezbollah parviendra-t-il à contourner les restrictions qui lui seront imposées ? Comment le mécanisme d’application, complexe et lourd, pourra-t-il réellement fonctionner ?

La résolution 1701, adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU à la fin de la guerre du Liban en 2006, était déjà considérée comme une bonne décision du point de vue israélien. Toutefois, elle n’a jamais été appliquée par les acteurs censés la faire respecter, à commencer par la FINUL. Après quelques tentatives initiales pour remplir leur mission, les forces de la FINUL ont reçu un message clair du Hezbollah. En 2007, six soldats de la FINUL ont été tués dans un attentat à la voiture piégée dans le sud du Liban. Puis, en janvier 2008, un affrontement indirect a éclaté entre la FINUL et des militants du Hezbollah dans une zone contrôlée par l’organisation chiite, près de la frontière israélienne. Cet incident aurait été déclenché par une patrouille de la FINUL tentant d’accéder à une zone suspectée d’abriter des infrastructures militaires non déclarées. Le Hezbollah aurait bloqué l’accès, invoquant la sécurité des habitants locaux. Des rapports décrivent une confrontation tendue, sans affrontements armés directs, mais marquée par des menaces implicites. Les Casques bleus ont rapidement compris : leurs supérieurs onusiens et les gouvernements qui les soutenaient préféraient éviter tout conflit. Ils ont donc adopté une posture passive, feignant que tout allait bien.

Face à cette réalité, les gouvernements israéliens successifs – en particulier ceux dirigés depuis 2009 par Benjamin Netanyahou – ont eux aussi adopté une approche prudente et évité de « faire des vagues », observant sans intervenir l’installation progressive du Hezbollah dans le sud du Liban. Même après le 8 octobre 2023, lorsque la milice chiite a commencé à lancer des roquettes et à provoquer des incidents frontaliers, Israël s’est abstenu de répondre fermement et n’a pas non plus imposé l’application de la célèbre résolution 1701.

Le troisième acteur censé faire respecter le cessez-le-feu et la résolution 1701 était l’armée libanaise. Cependant, même lorsque les forces du Hezbollah ont installé des tours d’observation à quelques mètres de ses positions, elle n’a rien fait. En réalité, le Hezbollah a exercé une pression intimidante sur tous les acteurs locaux. Même lorsque les renseignements israéliens ont transmis des informations détaillées sur l’établissement d’infrastructures militaires du Hezbollah sous couvert d’activités civiles, aucune action concrète n’a été entreprise.

Aujourd’hui, un mécanisme international dirigé par un général américain pourrait-il traiter plus efficacement les violations de l’accord ? Il est difficile de l’imaginer, sachant que ce mécanisme devra d’abord s’appuyer sur le gouvernement libanais, son armée, et la FINUL pour réagir aux plaintes et aux informations fournies par Israël. Israël conserve le droit de répondre immédiatement si le Hezbollah viole sa souveraineté, que ce soit par des tirs de roquettes, des obus ou des infiltrations. Cependant, ce droit découle déjà du principe de légitime défense. Ce qui manque – et ce qu’il est difficile d’envisager à ce stade – c’est la volonté politique de réagir avec force et de ne plus tolérer de telles violations.

Ainsi, les véritables défis émergeront lorsque le Hezbollah recommencera à reconstruire ses infrastructures civiles-militaires dans les villages chiites proches de la frontière ou dans les zones boisées environnantes. Dans ces conditions complexes sur le terrain, face à une population civile potentiellement hostile, peut-on réellement croire que la FINUL et l’armée libanaise parviendront à empêcher un retour progressif au statu quo ante du 7-Octobre ?

Bien que cet accord – s’il est effectivement signé, ce qui reste incertain – reflète une victoire militaire israélienne, sa valeur politique demeure pour l’instant incertaine. Seules des actions militaires directes – avec ou sans l’approbation de la commission internationale – pourraient transformer cet accord en un outil politique efficace dans la guerre qu’Israël et une partie des Libanais mènent contre le Hezbollah. Enfin, cet accord présente également l’avantage de mettre fin au conflit actuel et d’isoler le Hamas à Gaza. Selon certains observateurs en Israël, il pourrait servir de modèle pour un accord similaire à Gaza, incluant cette fois la libération des otages et l’établissement d’un mécanisme international ou arabo-international pour remplacer le Hamas.

Nutriscore: vous aimez tout ce qui est bon? C’est très mauvais!

Alimentation. Il est de plus en plus difficile d’y comprendre quelque chose aux étiquettes quand on va faire ses courses. La Cour des comptes européenne s’est penchée sur la jungle des étiquettes alimentaires. Les consommateurs sont perdus et induits en erreur, déplore l’institution basée au Luxembourg.


Faire ses courses est devenu une science. Un consommateur avisé n’achète pas ce qu’il aime (qui est généralement mauvais pour la santé) mais ce qui est bon pour ses enfants, pour le climat et pour la planète. Les produits alimentaires se vendent désormais avec un manuel d’utilisation (ce qui n’est pas bien rigolo quand on aime lire les paquets de ce qu’on mange au petit-déjeuner). Des labels, des normes, des sigles, des logos et des garanties (produit sans ceci ou sans cela) sont supposés orienter le consommateur…

Un vaste audit

Pour la Cour des comptes européenne, ils ont plutôt tendance à l’égarer. Son audit a été réalisé sur la période 2011-2023[1]. Ils ont dû en voir des étiquettes… Verdict : il n’y a jamais eu autant d’infos sur nos paquets de nourriture. Des centaines de labels, des empilements de normes nationales et européennes, plus d’innombrables allégations sur les vertus nutritionnelles ou sanitaires de tel ou tel composant. Le bidule est bon pour votre mémoire. Le machin excellent pour votre vigueur physique etc. À l’arrivée, le consommateur est perdu, parfois trompé. Par exemple, étonnament, aucune règle ne conditionne l’usage du mot « naturel », propre à déclencher l’impulsion d’achat (qui achèterait une boisson se présentant comme chimique ?).

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Pourquoi y en a-t-il autant ? Dans les coulisses, on imagine des bagarres de lobbies agro-industriels autour de toutes ces normes. Ainsi, il y a une guerre du Nutriscore, adopté par trois pays de l’UE dont la France mais auquel l’Italie est très hostile notamment en raison de ses fromages qui seraient mal notés.

La société de défiance n’est pas un progrès

Mais, il y a une véritable raison qui explique cette guerre souterraine des labels et des lobbys: nous sommes des consommateurs soupçonneux et procéduriers. Nous voulons tout savoir sur ce que contient notre assiette: a-t-on parlé gentiment au poulet, quel est son bilan carbone, n’y a-t-il pas eu deux grammes de trop de pesticide sur les aliments qu’il a mangé ? C’est pareil pour nos voitures et nos téléphones (encore qu’on soit moins regardant sur le bilan carbone réel de ces derniers). Toutes ces étiquettes ne nous empêchent pas d’acheter des cochonneries industrielles et de consommer ce qu’on appelle la junk food, mais au moins on sait que c’est mauvais pour nous. Accessoirement (enfin pas tant que ça), cette inflation normative contribue à l’obésité de la Fonction publique. Il faut des gens pour édicter les normes, les appliquer, vérifier leur application, contrôler la vérification, etc. Des armées de fonctionnaires sont ainsi mobilisées pour veiller à la qualité de tout ce qui se fabrique.

C’est ce qu’on appelle la société de défiance. Moi, consommateur, j’ai des droits sacrés. J’exige de tout savoir. Et je me méfie de tous – producteurs, État, supermarché… Certes, on a besoin d’une information minimale et honnête. Mais aujourd’hui, les processus de productions sont standardisés, les normes d’hygiène et de sécurité doivent heureusement être respectés partout. Il me semble qu’on devrait moins s’inquiéter de ce qu’on met dans l’assiette de nos enfants que de ce qu’on leur fourre dans la tête.

Doc : Cour des comptes européenne.

Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale


[1] https://www.eca.europa.eu/fr/news/NEWS-SR-2024-23

Une conversion presque parfaite

L’histoire merveilleuse des frères Amin et Arash Yousefijam


Comment se refaire une virginité quand on a été condamné aux États-Unis pour intelligence avec l’Iran ? Les frères Amin et Arash Yousefijam nous montrent l’exemple. Nés en Iran, ils ont pu, grâce à un programme d’accueil pour ouvriers qualifiés, émigrer au Canada, Arash en 2013 et Amin en 2016.

Arash, aujourd’hui âgé de 36 ans, a obtenu la citoyenneté canadienne, mais Amin, 37 ans, a gardé le passeport iranien. Restant fidèles à leur pays d’origine, ils ont créé des sociétés-écrans afin d’exporter en Iran du matériel de fabrication en violation des sanctions imposées à Téhéran par Washington. Arash a été arrêté aux États-Unis en 2020 et Amin à Toronto en 2021. Un tribunal du Michigan a condamné les deux frères à des peines de prison. Une fois libérés, ils ont regagné l’Ontario où ils ont demandé à changer officiellement leur nom de famille. Les autorités ont acquiescé sans faire les vérifications réglementaires des casiers judiciaires des demandeurs. Arash est devenu dentiste et membre du Collège royal des chirurgiens-dentistes, et Amin agent de conformité dans une grande entreprise. Ce n’est que récemment que les autorités ont compris leur erreur et ont engagé des poursuites contre Amin pour l’expulser. Selon nos confrères de Global News, une enquête sera diligentée pour découvrir comment une bavure aussi sérieuse a pu être commise, le Canada imposant ses propres sanctions à l’Iran.

Quel était le nouveau nom de famille choisi par ces agents du régime des mollahs pour faire oublier à la fois leur véritable identité et leur allégeance ? Cohen !

Trump, allié de la Russie, vraiment?

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Si Trump obtient une cessation des combats en Ukraine, les Européens pourront le remercier de leur retirer une sacrée épine du pied. D’autant que chacun semble vouloir rendre la situation encore plus tendue avant son arrivée.


En Europe, l’heure est à la consternation. Trump, élu, va brader l’Ukraine et faire un deal en deux coups de cuillère à pot avec Poutine, comme on nous le répète depuis des mois. Seules de rares voix, comme Hubert Védrine, ont rappelé que personne ne savait exactement ce que Trump entendait faire et qu’il était prudent d’attendre. Raphaël Glucksmann, lui, n’a pas attendu. Avec son talent pour dramatiser une pensée courte, il n’a pas hésité à considérer qu’avec l’élection de Trump, « l’Europe [pouvait] se retrouver dans la situation de la Tchécoslovaquie en 1938[1] ». Quelques jours plus tard, Léa Salamé, recevant Jordan Bardella, nous servait la version grand public : « Trump va faire une alliance, il y aura un axe Trump-Poutine avec, en Europe, Victor Orban[2]. » Face au simplisme politico-médiatique, il n’est pas interdit de réfléchir.

Cessez-le-feu. Trump ne parviendra pas à un accord global avec la Russie « en vingt-quatre heures », ni en vingt-quatre jours. S’il obtient une cessation des hostilités en quelques semaines, ce sera déjà un très beau résultat. Les exigences de Moscou sont trop élevées pour obtenir plus à court terme. Vladimir Poutine les a rappelées lors de sa conversation téléphonique avec Olaf Scholz, le 15 novembre : accord territorial basé sur la « réalité du terrain » et « traitement des causes du conflit », ce qui signifie la neutralisation de l’Ukraine, une démilitarisation partielle, l’interdiction d’entrer dans l’OTAN et le remplacement (la « dénazification ») des dirigeants à Kiev. On part donc de très loin et les négociations pourraient durer des mois voire des années.

Une alliance, pour quoi faire ? Quel intérêt aurait donc Donald Trump à faire alliance avec Poutine, un dirigeant qui déteste l’Occident ? Aucun. Trump fait simplement un double constat : 1) le conflit en Ukraine est trop coûteux pour les États-Unis, financièrement et en armement ; 2) l’Ukraine n’a aucune chance de l’emporter sur le terrain. Conclusion, il faut arrêter ce conflit. L’intérêt de Trump pour la Russie s’arrête là à ce stade. Car Trump n’a pas varié depuis huit ans. La menace pour l’hégémonie américaine se situe en Chine et non en Russie.

A lire aussi, Gabriel Robin: Donald Trump 2.0: ce que la nouvelle équipe gouvernementale dit de l’Amérique

Ce qui vaut pour Trump vaut également pour Poutine. Ce dernier veut-il une alliance avec les États-Unis ? Rien n’est moins sûr. Poutine n’a plus confiance dans les États-Unis depuis au moins quinze ans. Il sait que la signature d’un président américain n’a de valeur que durant quatre ans. Un successeur peut s’en affranchir du jour au lendemain. N’est-ce pas ce qu’a fait Trump le 1er juin 2017 en annonçant son retrait de l’accord de Paris sur le climat signé par 195 pays, ou en mai 2018 en déchirant l’accord international sur le nucléaire iranien négocié par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne durant de longues années ?

Poutine se préoccupe du temps long. Les engagements pris par le Chinois Xi Jinping, l’Indien Modi et les autres membres des Brics sont plus solides à ses yeux qu’un accord avec le président des États-Unis, quel qu’il soit.

Néo-cons, mais Républicains cette fois. Les premières nominations de Trump II devraient rassurer nos partisans du casque lourd. Marco Rubio au département d’État et Pete Hegseth au ministère de la Défense sont tout sauf des pacifistes. Leur vision du monde et du rôle des États-Unis à la tête du « monde libre » n’est guère éloignée de celle des actuels titulaires Antony Blinken et Lloyd Austin : viscéralement pro-israéliens et prêts à montrer les dents face aux ennemis de l’Amérique. Arrêter cette guerre oui, faire des cadeaux à la Russie, non. Ainsi, hors de question de faciliter le retour du gaz russe sur le marché européen, devenu, au détour de cette guerre, un marché captif des fournisseurs américains. Un objectif que Trump avait cherché à obtenir durant tout son premier mandat.

Tête-à-queue à Bruxelles. Les dirigeants européens qui, il y a peu, bombaient le torse et juraient de soutenir l’Ukraine à la vie et à la mort vont être contraints de réviser leur copie. L’ex-commissaire européen Thierry Breton le reconnaissait platement, sur le plateau de LCI, au lendemain de l’élection : « C’est incroyable, aujourd’hui on est en train de parler des conditions de la fin de la guerre en Ukraine, un sujet sur lequel on ne s’autorisait même pas à réfléchir et sur lequel, à la Commission européenne, on n’avait aucun droit de parole. » Propos qui fait froid dans le dos quand on pense au million de morts et blessés qu’a déjà fait cette guerre de tranchée électronique, mais passons. Une fois Trump installé à la Maison-Blanche, il ne faudra pas longtemps aux dirigeants européens pour caler leur position sur celle de Washington et soutenir la cessation des combats.

Olaf Scholz ne signifie pas autre chose quand il appelle Vladimir Poutine, juste une semaine après l’élection de Donald Trump. Par la même occasion, le chancelier nous rappelle que l’Allemagne n’hésite pas à agir seule quand ses intérêts vitaux sont en jeu. En l’occurrence, la survie de son industrie qui passe nécessairement par une baisse des tensions à l’est de l’Europe et une normalisation à long terme avec la Russie.

La température monte dangereusement avant le départ de Biden. Qu’il s’agisse d’une décision de Joe Biden ou de son entourage, le feu vert donné par Washington, puis Londres et maintenant Paris, de frapper la Russie en profondeur avec des missiles balistiques modifie la nature du conflit. Ces tirs balistiques ne changeront rien à l’issue du conflit, comme Biden l’avait expliqué il y a deux mois pour écarter une demande britannique en ce sens. Mais ils accroissent grandement le risque d’une guerre globale.

Au combat au sol entre Ukrainiens et Russes s’ajoute désormais une bataille de missiles entre puissances nucléaires. La première de l’histoire. Les missiles ATACMS et Storm Shadow sont lancés en Russie de manière conjointe par les Ukrainiens et des militaires américains et britanniques. Les Russes en concluent donc être attaqués par deux puissances occidentales. Il en sera de même de la France si nos soldats frappent la Russie avec des missiles longue portée Scalps depuis l’Ukraine. Le fait que la Russie soit à l’origine de cette guerre n’est plus le sujet. Les Ukrainiens ne sont pas sur la photo. Il s’agit ici d’un tête-à-tête entre puissances nucléaires.

Seule la Russie est touchée sur son sol à ce jour. D’où un déséquilibre de perception considérable et lourd de danger. Les missiles occidentaux tombent-ils inaperçus auprès des Russes et ceux-ci n’attendent-ils pas en toute logique une riposte de leur armée ? En Occident, la menace demeure virtuelle et nous ne savons plus ce qu’est la guerre, à la différence des Russes qui vivent avec. Imagine-t-on la réaction, voire la panique de la population française si un missile russe frappait le site balistique français du plateau d’Albion ?

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Trump élu? Non, les démo-woko bobos battus

Poutine et sa population ne supporteront pas longtemps de recevoir sur leur sol des missiles balistiques tirés par des soldats américains ou britanniques. Il l’a déclaré très clairement la semaine dernière. Poutine s’est contenté, pour l’heure, de lancer en Ukraine le missile Orechnik, capable de porter une charge nucléaire. La prochaine étape pourrait être un tir au-delà de l’Ukraine, en mer Baltique (au hasard) ou sur un site militaire à l’intérieur d’un membre européen de l’OTAN. Cette riposte suffirait à placer toute l’Europe au bord de la guerre. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. En France, il est frappant de constater que bien peu de monde n’alerte sur les dangers de la situation et n’appelle à la désescalade et à la retenue de toutes les parties.  

L’Europe devrait remercier Trump de lui ôter une épine du pied s’il obtient une désescalade rapide. Les Européens ont tout à gagner à une cessation rapide des combats obtenue par l’éléphant Trump. Car, l’alternative est intenable.

Sans accord même a minima, l’Europe se trouverait dans la situation impossible de devoir soutenir des échanges de missiles avec la Russie et soutenir militairement l’armée ukrainienne avec des stocks inexistants puisque nous sommes toujours dépourvus d’une production d’armes suffisante et avons été incapables de nous mettre en économie de guerre depuis deux ans. Sans accord, les déclarations de soutien sans faille des Européens passeront donc pour ce qu’elles sont, un vœu pieux ou, pire, un exercice de com’ sans réel contenu. Au moins, un accord à la Trump aura le grand avantage de leur éviter un désagréable embarras publicque. Bonne chance, Donald !


[1] France Inter, le 8 novembre 2024.

[2] Emission « Quelle époque », France Télévisions, le 9 novembre 2024.

Sansal bâillonné à Alger, ses cafardeurs chouchoutés sur France 5

Un écrivain embastillé ? Des intellectuels de gauche se tiennent aux côtés des bourreaux. Sur le plateau de la télévision publique, dimanche soir, Boualem Sansal a été convaincu d’islamophobie !


A une époque pas si lointaine, lorsqu’on était un humaniste et qu’un écrivain se faisait embastiller pour délit d’opinion par une dictature militaire, se battre pour sa libération était une évidence. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, au contraire, on se joint à ses bourreaux pour lui appuyer sur la tête, on explique qu’il l’a un peu cherché et on est fier de se tenir aux côtés de l’Etat autoritaire qui l’a emprisonné arbitrairement ! On participe même à sa déshumanisation pour laisser entendre que de toute façon, ce ne sera pas une grosse perte.

Les procès de la télévision publique française

C’est en tout cas ce qu’a fait le service public et France 5 dans l’émission C politique du dimanche 24 novembre. Autour de la table, entre autres, Nedjib Sidi Moussa et Benjamin Stora ont été particulièrement méprisables. On a ainsi assisté à une émission tout occupée à faire le procès d’un écrivain qui croupit en prison en se faisant le relais, pour Benjamin Stora, des accusations du régime d’Alger et pour Medjib Sidi Moussa, des éléments de langage islamo-gauchistes. A part la journaliste de Marianne Rachel Binhas, qui a fini par avouer son malaise devant cette instruction à charge, et qui a courageusement tenté de démonter le registre de l’inversion accusatoire dont était victime Boualem Sansal, tous les autres ont participé ou se sont tus face à la dégradation en place publique de l’écrivain par des personnes qui se font quasiment les petits télégraphistes du discours et de la vision du monde des islamistes.

Le biais par lequel ces petits procureurs du nouveau comité de Salut public ont diabolisé Boualem Sansal est un classique du genre : le renvoi à l’extrême-droite, que tout le monde décode comme une assignation au fascisme et qui vous rend indigne de la société de vos compatriotes.

Alors, bien sûr, avant d’instruire en charge contre l’écrivain, tout le monde a ouvert grand son parapluie, indiquant que demander la libération de Boualem Sansal était une question de principe. Résultat : 15 secondes de discours sur les principes à défendre pour s’acheter un totem d’immunité, puis 30 minutes à tirer à vue pour laisser entendre que tout cela n’en vaut peut-être guère la peine, puisque cela revient à se battre pour un fasciste ! Le fait qu’il risque la condamnation à mort pour délit d’opinion n’est visiblement pas un problème pour ces « intellectuels » dits engagés. Tous ces gens, contrairement à ce qu’ils prétendent, n’ont aucun principe et sont prêts à sacrifier Boualem Sansal à leur idéologie et à leur relation avec un régime algérien en perdition. S’ils disent le contraire, c’est pour garder leur rond de serviette sur la télévision publique et leur poste d’universitaire. Mais ce n’est qu’un préalable pour se protéger et en arriver à leur vrai message, délivré clairement par Medjib Sidi Moussa : Boualem Sansal mérite ce qui lui arrive car c’est un salaud d’islamophobe.

Benjamin Stora va faire la même chose mais en plus mielleux et cauteleux. Tout sourire, le représentant non officiel du gouvernement algérien va ainsi expliquer que l’écrivain a blessé le « sentiment national algérien » tout en se moquant de son incompétence historique. Le tout sans omettre de faire son autopromotion et la publicité de son dernier livre. Il va justifier son opprobre pour l’écrivain arbitrairement emprisonné en mettant en avant le « débat intellectuel ». Eh oui, pour ce Monsieur, la vie d’un homme ne compte pas face à l’occasion de se faire mousser. Et l’animateur va laisser faire.

Ce que pense Boualem Sansal du fait religieux

Dimanche soir, nos intellectuels de plateau TV ont ainsi enclenché un procès en déshumanisation de Boualem Sansal qui est le prélude à son abandon entre les mains du pouvoir algérien. Ils ont d’ores et déjà montré qu’il n’y avait pas unanimité dans la défense de Boualem Sansal, que la France pouvait se diviser sur ce point et que l’acte arbitraire de l’Algérie était acceptable dans les faits. Le pire dans cette histoire peu glorieuse, c’est que ces personnes ne risquaient rien en faisant leur simple travail d’être humain ! Et pourtant ils choisissent le camp des bourreaux. Imaginez alors, s’il y avait des risques à prendre ?

Or, Boualem Sansal dénonce inlassablement la violence des islamistes, le refus d’accorder l’égalité aux femmes, l’antisémitisme culturel, l’utilisation du blasphème pour bâillonner la liberté de conscience et d’expression. On lui reproche de faire le lien entre islam et islamisme ? Il dit juste que si le discours des islamistes domine aujourd’hui l’islam, c’est qu’il s’appuie sur des traits religieux et culturels auxquels adhèrent la plupart des musulmans dans le monde: le refus d’accorder la liberté de la pratique religieuse, le refus de l’égalité au nom du sexe ou de l’ethnie, la primauté de la charia, la haine des Juifs consacrée dans la liturgie, le refus de la liberté de conscience au nom du combat contre le blasphème, les discours victimaires destinés à légitimer la violence… Boualem Sansal parle d’une société obscurantiste dont il mesure à quel point elle amoindrit ceux qui y vivent et nous exhorte à ne pas renoncer à notre civilisation, celle qui pense l’égale dignité de l’homme, croit en sa créativité, mise sur l’usage de la Raison et sur les capacités créatrices de l’homme pour écrire l’avenir plutôt que sur la soumission à un dogme. Boualem Sansal note aussi que le manque de créativité des sociétés musulmanes vient sans doute de ce surplomb religieux très castrateur.

Une trahison

Boualem Sansal comme Kamel Daoud sont des humanistes ; ils s’inscrivent dans cette longue histoire à laquelle la gauche a participé avant de la trahir aujourd’hui. Ils croient que tout homme peut accéder à l’émancipation, et que si islam et islamisme sont parents, tous les croyants ne sont pas pour autant voués à la violence et à la radicalité. Alors, depuis quand être d’extrême-droite c’est défendre l’égalité, les libertés fondamentales, la fraternité plutôt que la clôture communautaire ? Depuis quand être d’extrême-droite, c’est se battre pour l’émancipation des hommes ? Et inversement, dans le cas de MM. Stora, Moussa ou Snégaroff, depuis quand être de gauche, c’est être l’homme de main de régimes autoritaires ? Depuis quand avoir une conscience, c’est se tenir à leurs côtés pour jeter des pelletées de terre sur un homme embastillé ? Depuis quand être un humaniste, c’est défendre les pires idéologies de la planète ?

L’ambiance était tellement au lynchage médiatique sur le plateau, que Rachel Binhas semblait presque gênée de devoir intervenir pour rappeler quelques évidences. Comme si elle prenait un risque insensé en faisant son devoir d’être humain. Sans doute parce que l’atmosphère sur le plateau faisait passer sa juste réaction comme quelque chose susceptible de lui valoir aussi un procès en extrême-droitisation, prélude à l’exclusion des médias mainstream. Mais apparemment, à France Télévisions cette séquence n’interpelle guère. Quant à l’Arcom, elle doit avoir aqua-poney, comme à chaque fois que le refus de pluralisme du service public est pointé du doigt. Mais peut-être que ce silence révèle un accord sur le fond ou est le moyen délicat qu’ont trouvé les dirigeants de l’audiovisuel public pour éviter que les questions de principe ne polluent un débat intellectuel, selon la posture de Benjamin Stora… En attendant, l’avocat de Boualem Sansal craint lui que celui-ci ne sorte jamais de prison. Mais de cela nos grandes consciences autoproclamées semblent se moquer.

Umberto Eco, le jeune homme érudit

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André Peyronie livre un « portrait de l’artiste en jeune homme » passionnant et cursif. Une découverte.


Il y a deux catégories de lecteurs (voire de lectrices) destinataires de la somme impeccable qu’André Peyronie, maître de conférences honoraire en Littérature Générale et Comparée à l’université de Nantes, consacre au jeune homme Umberto Eco (de sa naissance 1932 à son éclosion publique au début des années 60).

Ceux qui le détestent, ont leur idée reçue, « petite idée » comme chacun sait, à son propos – ceux-là découvriront un Ogre certes, mais d’une activité, d’une intelligence, d’une fécondité qui laissent pantois.

Et ceux qu’il intéresse, voire qui l’apprécient beaucoup (y compris le romancier parfois un peu « roboratif », voire indigeste) – que Peyronie, avec une intelligence critique et un savoir sans limite, restitue dans chaque étape (surtout les 3 premières) de sa jeune vie : enfance-adolescence (1932-1950) ; études et travail à la RAI (1950-1959) ; « éditeur » chez Bompiani, collaboration à de nombreuses revues  (La NRF et Tel Quel en France), premiers livres, père de famille (1959-1962)).

Le titre – « Portrait d’Umberto Eco en jeune homme » – est bien sûr un clin d’œil à Joyce, cœur du livre (d’Eco) qui le fera définitivement sortir du cénacle universitaire, parfois confiné : cela s’appelait L’Oeuvre ouverte (1962) – Joyce en occupait la place centrale.

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Par ce livre, acte stratégique, Eco devenait « Umberto Eco », le personnage et le phénomène étaient nés – entérinés, à un tout autre niveau (ou dimension), en 1982, par le succès mondial du Nom de la rose. Anecdote : lassé qu’on lui pose la question du titre (« Pourquoi avez-vous choisi Le Nom de la rose ? »), Eco répond : « Parce que Pinocchio était déjà sous copyright. »

Peyronie, qui prend son temps – 500 pages – sans jamais le perdre (aucune ne pèse) – précise sa démarche : « éclairer le passé par le futur, mais aussi le futur par le passé ». Les années qu’il retrace, années de formation d’Eco, sont constamment éclairées par des perspectives « prospectives » : ce que le passé est devenu dans les livres futurs d’Eco. D’où le sous-titre du livre « Essai de biographie prospective » – ou comment la jeunesse d’Umberto fabrique la genèse d’Umberto Eco, illustration du vers rebattu de Wordsworth : « L’enfant est le père de l’homme ».

À la fin de sa vie (2016), Eco, dont le besoin de reconnaissance inextinguible semblait en partie comblé (42 doctorats honoris causa), apprit, par la lettre d’un chercheur au Vatican, l’origine de son nom : les religieux, dans le cas des enfants trouvés (celui du grand-père d’Eco) avaient l’habitude ancienne de donner au nouveau-né un nom, à partir des premières lettres d’une expression latine : « Ex Coelis Oblatus » (Apporté-Offert par le ciel), abrégé en ECO. CQFD.


Portrait d’Umberto Eco en jeune homme – 1932-1962, d’André Peyronie, Presses Universitaires de Rennes, 512 p.

Portrait d'Umberto Eco en jeune homme: 1932-1962

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Et toujours : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil, 2018 – à propos de 600 écrivains, femmes et hommes, de France ou d’ailleurs.

Combien de mâles pour zéro bien?

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Les rugbymen français Oscar Jegou et Hugo Auradou, mis en examen pour « viol avec violence en réunion », à l’aéroport de Buenos Aires, Argentine, 27 août 2024. Libérés de leur résidence surveillée, ils ont été autorisés à quitter le pays © AP Photo/Virginia Chaile

MeToo a libéré la furie des lyncheurs en ligne et des délateurs à carte de presse. Mais la lourde condamnation de Nicolas Bedos en première instance prouve qu’un féminisme révolutionnaire, assoiffé de morts sociales et de bannissements, a désormais investi les palais de justice.


À la fin du réquisitoire, tous les journalistes sont sortis de la salle d’audience du tribunal de Paris. Il était 22 heures, ce 26 septembre, leur religion était faite, leur sentence, prête. L’avocate de Nicolas Bedos a donc plaidé dans une salle désertée par les médias. Il y a là plus qu’un symbole, une métonymie, un détail qui raconte l’ensemble du tableau. À l’âge MeToo, la parole d’un homme accusé ne vaut rien. Pire, le type qui se défend est un salaud. Ainsi quand Julien Bayou, ex-étoile montante des Verts persécuté par une meute d’ex, furieuses d’avoir été quittées, trompées ou négligées, porte plainte contre une de ses accusatrices, Sandrine Rousseau dénonce « un climat très fort d’intimidation ». Quand une femme porte plainte, elle libère sa parole, quand un homme porte plainte, il intimide. La parole des hommes, on l’a entendue des siècles durant. Alors maintenant fermez-là et demandez pardon.

À charge et à décharge : c’est le principe cardinal d’une justice équitable. On se demande parfois si la défense intéresse vraiment les magistrats, prompts à balayer, dans l’affaire Bedos et d’autres, tout ce qui pourrait bénéficier au prévenu, singulièrement le doute. De toute façon, cette défense est par avance discréditée, méprisée, ignorée par les véritables juges, ceux qui peuvent condamner à la peine de mort sociale et le font à tour de bras, avec une jubilation suspecte. Avec ses imperfections et ses garanties, la vieille justice démocratique préfère (préférait ?) un coupable en liberté à un innocent embastillé. La justice révolutionnaire de MeToo fonctionne selon des principes strictement inverses : présomption de culpabilité, enquêtes à charge, instruction à ciel ouvert. Or, la justice médiatique contamine celle des prétoires. Les juges ne sont pas connus pour leur anticonformisme. Ils épousent volontiers la cause des femmes, pas seulement parce que la plupart des juges sont des femmes, mais aussi parce que cette cause avance drapée dans des considérations compassionnelles qui promettent des témoignages bouleversants, des salles d’audience où on entend voler les mouches, des récits douloureux, des procès pour série Netflix. Le matin du procès pour agressions sexuelles de Gérard Depardieu (finalement renvoyé), entre autres délicatesses, L’Est républicain publiait un édito titré « Le procès d’un monstrueux malade ». Quel tribunal oserait laisser en liberté un « monstrueux malade » ?

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Une petite nébuleuse de journalistes (au féminin pour l’essentiel) qui constituent le commandement invisible et informel de la Révolution néo-féministe se fait un devoir de fouiner, de traquer les petits travers et les grands manquements dans les vies privées d’hommes trop puissants, trop talentueux, trop fanfarons, trop décontractés du gland. Le succès est une insolence, l’errance sexuelle, une insulte aux femmes et un outrage à la morale publique. Elles recourent à la délation, sanctifiée en libération de la parole, de sorte qu’une accusation en suscite dix autres – Moi aussi, je souffre ! Le plaisir évident que ces dames-patronnesses prennent à faire chuter des idoles et détruire des existences, leur absence totale de compassion pour le pécheur à terre, restent un mystère. On pense à ces apparatchiks capables d’envoyer leur voisin ou leur frère au goulag sans sourciller ou aux inquisiteurs convaincus de faire le bien des hérétiques qu’ils torturaient. La souffrance des femmes, réelle, inventée ou exagérée, semble absorber toute leur capacité d’empathie. Tout de même, la sollicitude dégoulinante dont ces meutes justicières accablent les plaignantes, les persuadant qu’elles ont subi un traumatisme irréparable et les condamnant au statut éternel de victime, contraste singulièrement avec leurs babines retroussées devant un homme à terre. Comment pouvez-vous plaindre ces puissants face à de pauvres créatures rescapées du patriarcat, traumatisées par une vie d’humiliation ? Ils ont bonne mine les puissants, à tourner en rond chez eux, désemparés ou terrorisés. D’après un ami qui a assisté à l’audience Bedos, le cinéaste et son entourage paraissaient accablés, pendant que les deux plaignantes et une troisième femme qui témoignait en leur faveur riaient et faisaient les belles, visiblement enchantées d’être le centre de tant d’attentions.

Le 22 octobre, tout ce petit monde, galvanisé par une meute de tricoteuses numériques, ne cache pas sa joie à l’annonce du jugement. Jamais un tribunal n’a eu la main aussi lourde pour des faits aussi dérisoires. Le comédien est condamné à un an de prison, dont six sous bracelet électronique ainsi qu’à une obligation de soin – il a reconnu boire plus que de raison. Preuve qu’on veut vraiment l’humilier, le jugement est exécutoire, ce qui n’arrive jamais pour les primo-délinquants. Quand tous les jours, des petits anges autrement plus dangereux sortent du tribunal libres et vierges de toute condamnation, il y avait urgence à embastiller l’auteur de La Belle Epoque. C’est que c’est grave. Il y a eu un soir de 2023 un baiser non consenti dans le cou à une serveuse et, un autre soir, au cours d’une bousculade dans la même boite de nuit, un attouchement de quelques secondes sur un entrejambe féminin (par-dessus un jean) dont il n’existe pas la moindre preuve. Des incidents qui auraient dû se solder par une paire de baffes et/ou des fleurs et des excuses. Un baiser volé dans une boite de nuit, ça peut être énervant, déplaisant, dégoûtant même. Mais humiliant, terrifiant au point de ne pas en dormir la nuit ? À l’époque, la serveuse avait commencé un mail à Bedos. Elle lui disait que, pour elle, ça allait mais qu’il devait se méfier de ses excès, avec d’autres ça pourrait faire des histoires. Elle voulait qu’il continue à faire du cinéma. Le brouillon de ce mail, qu’elle n’a jamais envoyé, a été lu à l’audience. Aujourd’hui, elle est traumatisée par ce baiser volé. Et tout le monde feint de la croire. On n’a pas fait le procès d’un agresseur sexuel, mais celui d’un « gros con », d’un mufle de compétition, ce qui n’est pas un délit pénal. Ou on finira aussi par créer un délit d’infidélité conjugale. Il boit trop, il parle trop, il touche trop, ça ne fait pas de lui un agresseur sexuel. « Nicolas peut être pathétique mais quand il a bu, si on le touche, il tombe », résume un de ses amis. On attend que le cinéma, l’art et les boites de nuit soient réservés à des premiers prix de vertu, sans fêlure et sans excès. La plupart des êtres humains, heureusement, cachent quelques cadavres dans leurs tiroirs intimes. C’est précisément avec quoi que la Révolution néo-féministe veut en finir. Elle veut nous délivrer du mal et du mâle. Puisque la chair est sale et, pire encore, inégalitaire, finissons-en avec ses tourments. Revenons au paradis perdu, quand les hommes et les femmes n’avaient pas encore découvert qu’ils aimaient faire des cochonneries. D’où la réaction un brin drama queen de certaines femmes, comme si en les touchant, même accidentellement, un homme souillait un temple inviolable.

Pour le chœur des vierges médiatiques, « Femmes, on vous croit ! » signifie « Hommes, vous mentez ! » Certains avocats de la glorieuse libération MeToo, comme Caroline Fourest, dénoncent aujourd’hui ses dérives, et sont pour cela accusés des pires péchés, comme celui d’être de droite (voir l’article de Yannis Ezziadi). Pour ma part, j’attends toujours qu’on me montre les rives riantes que l’on aurait accidentellement quittées. Tout incline plutôt à penser que MeToo est un bloc et que la mutation terroriste actuelle était programmée dès le premier tweet appelant à la délation. Bedos a d’ailleurs écrit en 2017 un texte prémonitoire à ce sujet, sans toutefois en tirer toutes les conséquences puisqu’il a continué à adorer publiquement la grande avancée de la parole libérée[1]. Il raconte dans ce texte qu’une journaliste de sa connaissance lui demande sur Facebook s’il n’aurait pas « en magasin quelques infos croustillantes concernant des agressions sexuelles commises dans le milieu du showbiz ». Il lui répond : « non, des types lourds, il y en a, oui, des producteurs un peu foireux obligés –croient-ils- de faire miroiter des rôles pour draguer les nanas, oui, à la pelle, sans doute, mais des agressions, des tentatives de viols, que je sache, non ». Elle insiste : « Même pas un dérapage? Vous avez plein de copines actrices, y en a bien une qu’un type connu aurait chauffée de façon insistante, un pelotage de nichons, une grosse main au cul, des gestes déplacés, en boîte… ». Il lui faut quelque chose : « Votre nom ne sera pas cité… Réfléchissez, je vous en supplie, un seul nom me suffira. ». Un seul nom suffira. Un nom n’a pas suffi. Les dieux de ce féminisme sinistre et revanchard ont soif. Il leur faut sans cesse du sang neuf. Les charrettes se succèdent, la liste noire s’allonge. Tout épisode de drague peut être remonté en agression sexuelle, tout coup d’un soir, relooké en viol. Toutes les chapelles et toutes les générations du spectacle sont touchées, même les morts. C’est maintenant aux sportifs d’y passer. Deux joueurs de rugby français accusés de viol en Argentine sont immédiatement lâchés par la Fédération et par L’Equipe. On ne connait pas le dossier, il n’y a aucune preuve mais ils sont forcément coupables. Quand il s’avère qu’ils ont été piégés, tout ce beau monde change de pied : tout de même, ce n’est pas bien de se saouler en boite quand on représente la France. Voilà nos gars promus ambassadeurs. Un puritanisme peut en cacher un autre : comme on ne peut sans doute pas inscrire l’interdiction de forniquer dans leur contrat (ce serait contraire à la dignité humaine, non ?), on va leur interdire de picoler. La troisième mi-temps, désormais, ce sera une tisane et au lit.  Remarquez, ils ont de la chance, ils pourront rejouer au rugby.

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Dans l’industrie du rêve, comme dans la politique, ça ne marche pas comme ça. Toute inconduite, réelle ou supposée, peut valoir perpète. Dans le cas Bayou, le comité d’épuration du Parti ayant fait chou-blanc, les Verts ont confié le dossier à un cabinet privé qui n’a pas trouvé de preuve de « violences psychologiques ». «L’enquête n’a manifestement pas été un cadre permettant de faire avancer suffisamment l’enquête», a bredouillé Rousseau. Mais rien n’est perdu, il y a encore des plaintes en justice, des militantes pas contentes. Elle trouvera autre chose mais elle ne lâchera pas avant de piétiner le cadavre. Pour Bayou, la politique, c’est fini. Tant mieux pour lui.

Dans le cinéma, le bannissement est immédiat et automatique. Avant d’embaucher un comédien, on mène des enquêtes sur son passé, pour être sûr que le souvenir d’une soirée de débauche ne viendra pas gâcher la promotion du film, alors une plainte même classée, on ne peut pas prendre le risque. Dans la liste de proscription, certains ont été condamnés, d’autres relaxés, et d’autres encore, comme Edouard Baer n’ont jamais été poursuivis. Il y a peut-être dans le lot, quelques vrais prédateurs, à l’image de ce prisonnier connu dans toute la Kolyma parce qu’il avait vraiment conspiré contre le Parti. Le féminisme révolutionnaire ne s’embarrasse pas de distinction. Qu’ils aient effleuré un sein ou agressé une stagiaire, le tarif est le même : tous leurs projets s’arrêtent du jour au lendemain, les messages gênés affluent sur leur écran. Leur nom devient radioactif. « Si on avait su, on aurait vraiment violé », ironise l’un deux. On parle de bannissement et de mort sociale. Ces mots peinent à dire ce que ressent un homme en pleine possession de ses moyens quand il n’a plus le droit de faire son métier, soit parce qu’il a commis une peccadille soit parce qu’il a été faussement accusé. Ce sont aussi une famille, des proches, des enfants qui se retrouvent piégés dans une prison invisible. Le plus dur, c’est de ne pas savoir si la peine finira un jour, si on sera un jour réintégré dans le monde des vivants. En d’autres temps, on pouvait fuir le scandale, partir refaire sa vie aux colonies ou ailleurs. Aujourd’hui, il n’y a plus d’ailleurs. Internet réalise un rêve policier : un fichage éternel et planétaire.  Cette injustice féroce d’une mise au ban qui peut frapper n’importe qui devrait provoquer une vague de colère et de protestation. Elle prospère sur la lâcheté. Tout le monde savait que le communisme mentait mais il a tenu par la peur. C’est la même chose avec MeToo. La plupart des gens ordinaires savent que la vie n’a rien à voir avec les histoires de petites filles et de vampires qu’affectionnent les vestales militantes. Dans le public et dans le métier, la condamnation de Nicolas Bedos a fait l’effet d’une bombe. Sa compagne Pauline Desmonts et lui ont reçu des centaines de messages de soutien, d’anonymes, de de gens du métier, de politiques. Aucun ou presque n’a osé s’exprimer publiquement. Il est vrai qu’ils ne risquent pas seulement de ne plus être persona grata sur France Inter, mais d’être à leur tour la cible d’accusations, comme l’ont été les signataires de la tribune Depardieu, de froisser les plates-formes (Amazon, Netflix etc) qui financent leurs films ou de voir des comédiens les lâcher. Je suis de ton côté, mais tu comprends, c’est compliqué. Oui, j’ai peur de comprendre. C’est humain. Le totalitarisme aussi, c’est humain.


[1] « Un seul nom me suffira », quand la libération de la parole vire à la guerre des sexes, Huffington Post, 2 novembre 2017.

Libé au grand cœur

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D.R.

Le quotidien de gauche se fait l’écho des inquiétudes de clandestins sous OQTF, mais passe sous silence bien d’autres angoisses hexagonales.


Cela ne se sait sans doute pas assez, mais les journalistes de Libération sont des modèles vivants de compassion. Ils en ont récemment administré une preuve supplémentaire dans un papier-enquête intitulé « La vie sous OQTF », article signé Rachid Laïrech, publié le 10 novembre[1]. La vie évoquée est celle de Sylla, Malien sans papiers en France depuis dix ans « qui charbonne dans la restauration, loue une chambre à son oncle en Seine-et-Marne. » Et qui très certainement ne doit son classement OQTF qu’à la malveillance raciste des autorités. « Sylla a peur », écrit le journaliste. Cela sonne à nos oreilles un peu comme le glaçant « La France a peur » de Roger Gicquel ouvrant par ces mots le vingt-heures de TF1 le 18 février 1976 après l’assassinat du petit Philippe Bertrand. Sylla a peur, donc. « Il pose ses deux mains sur son visage. Un geste qui raconte un tas de sentiments ». (Les sentiments, en tas, rien de plus oppressant, faut-il reconnaître). Il est épuisé. Il doute aussi, le commis de cuisine. Lui revient en mémoire une scène qui « a bousillé son quotidien ». Qu’on en juge. Depuis les exactions de la Gestapo on n’avait jamais connu pareille cruauté, semblable arbitraire. « Un soir de printemps, à Paris, après une longue journée de turbin (Serait-il un brin sur-exploité notre travailleur malien ?) le sans-papiers fume une clope devant la gare du Nord. Trois policiers se tiennent devant lui. Contrôle d’identité. » Trois bousilleurs de quotidien d’OQTF ayant probablement aux lèvres l’écume de la haine la plus féroce. L’horreur, la barbarie d’État dans toute sa fureur. Comment se relever d’un tel traumatisme ? Comment surmonter cette agression sans nom : se faire contrôler son identité, à Paris en plein XXIème siècle ? Depuis, nous conte Libération, le longiligne trentenaire « a la trouille au ventre » chaque fois qu’il croise une patrouille de gestapistes – pardon de policiers français, je me suis laissé emporter. « La peur d’être rattrapé par une politique migratoire forcenée ». Forcenée, autrement dit démente, pathologique, obsessionnelle, névrotique. Lisant ces lignes, la gorge se serre, les larmes ne sont pas loin. D’autant plus qu’il s’agirait d’un « bon gars, toujours à l’heure, efficace et qui met une bonne ambiance dans la cuisine », plaide son employeur qui ne comprend décidément pas pourquoi « on fait chier des types comme lui. » C’est vrai, ça ! Pourquoi aller demander des papiers à ceux qui n’en ont pas ? On ne fait pas pire en matière de persécution.

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Bouleversé par tant de sollicitude journalistique, je me suis mis à guetter les livraisons suivantes du quotidien. J’attendais une enquête digne de ce nom, une série d’articles sur la peur. Je me disais, demain peut-être, lirai-je un papier lui aussi débordant d’émotion sur la frayeur des étudiantes de l’université Dauphine s’en revenant de leurs cours, tout près du Bois de Boulogne ? Ces jeunes filles, condisciples de Philippine, violée, assassinée par un OQTF récidiviste. Peut-être évoquera-t-on dans un numéro prochain la peur qui étreint désormais le Juif de France se rendant à la synagogue ou vaquant à ses occupations. La peur des parents dont le gamin est de sortie pour une fête, un bal le samedi soir du côté de Crépol ou de Saint-Péray ou partout ailleurs en France. La frayeur de la secrétaire qui quitte son travail à la nuit tombée pour gagner à pied sa station de bus. La peur quotidienne, permanente des désargentés condamnés à affronter des cages d’escalier coupe-gorge pour, tout simplement, rentrer chez soi. La sourde appréhension encore du commerçant qui ne sait pas ce qui va lui tomber dessus quand il ouvre son tiroir-caisse. L’angoisse sourde, elle aussi permanente, des policiers, des gendarmes, de leur famille, de leurs proches, lorsqu’ils bouclent leur ceinturon pour aller assurer – ou tenter d’assurer – notre sécurité.

Ai-je besoin de préciser que je n’ai pas trouvé une ligne, un mot dans Libération sur ces peurs-là, pourtant si largement répandues aujourd’hui chez nous ?! Peurs blanches… Trop blanches, sans doute. 

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[1] https://www.liberation.fr/societe/immigration/la-vie-sous-oqtf-tous-les-jours-je-sors-en-me-disant-que-je-peux-terminer-en-centre-de-retention-20241110_LCEXHMG7UBH4HO5NHD72JAX6NM/

Au pouvoir de l’image

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© ARP Sélection

Tout n’est pas clair comme de l’eau de roche chez Leni Riefenstahl, c’est le moins qu’on puisse dire. Un documentaire en salles retrace le singulier parcours de la cinéaste d’Hitler, mais se complait un peu trop à rappeler ses redoutables ambiguïtés – alors que son œuvre artistique mériterait aussi qu’on s’y intéresse.


Qui s’attendrait à un documentaire racontant de façon linéaire la très longue vie de Leni Riefenstahl, ou se risquant à une analyse critique de son esthétique cinématographique sera déçu. Il s’agit ici, globalement, de dresser d’elle le portrait à charge qu’on pouvait attendre, en 2024, d’un documentariste allemand. Portrait délibérément concocté, beaucoup moins sur la base de sa filmographie, qu’ à partir d’une double source : d’une part le fond personnel de l’artiste disparue en 2003 à l’âge de 101 ans, masse de documents considérable, aujourd’hui détenue par la Fondation du patrimoine culturel prussien ; d’autre part la quantité d’archives sonores et audiovisuelles dans lesquelles, dès l’après-guerre et jusque dans son très grand âge, Madame Riefenstahl opiniâtrement se défend contre les journalistes qui l’assaillent toujours des mêmes questions, revenant inlassablement sur ses compromissions avec le régime national-socialiste et ses hiérarques.

Éclairage neuf

Il est vrai que Leni Riefenstahl donne des verges pour se faire battre : coquette, véhémente, furibonde, à ses détracteurs elle renvoie systématiquement le même discours : oui, Hitler l’a fascinée immédiatement, non elle n’a jamais rien su des camps de concentration, non elle n’a jamais été antisémite et encore moins nazie, d’ailleurs elle n’a jamais adhéré au parti, oui la beauté du corps humain, force virile ressaisie par la caméra furent son unique préoccupation, depuis La victoire de la foi, Triomphe de la Volonté et Les Dieux du stade, commandes personnelles de Hitler, jusqu’à ses photos et ses films immortalisant la peuplade « sauvage » des Noubas, déjà  en sursis dans les années 60… Si bien qu’on finit par tomber sous le charme de cette vieillarde alerte, blonde pour l’éternité, le visage outrancièrement fardé, inquiète de ce que l’objectif ne jette trop de clarté sur une ride, et qui prend la pose avant de se livrer à la torture de cette ultime interview filmée. Un dernier maquillage ?

À voir aussi: En fanfare, d’Emmanuel Courcol

Il faut reconnaître à ce long métrage documentaire sous-titré, pour sa sortie en France, La lumière et les ombres, qu’il jette un éclairage neuf, non tant sur l’œuvre proprement dite de Leni Riefenstahl (celle-ci n’est nulle part envisagée ici sur le registre de son esthétique) que sur l’aura polémique dont cette figure incontournable du Septième art reste indéfiniment prisonnière. Certes, narcissique, égocentrique, aveugle à la tragédie et aux horreurs de son temps, cultivant la mauvaise foi avec une fausse candeur retorse, l’ex-danseuse, skieuse, gymnaste devenue cinéaste et égérie du IIIème Reich, puis photographe après-guerre, jette un doute légitime sur ses poses de pure créatrice apolitique, immolée à la cause sacrée de l’Art.

Riefenstahl, filming Olympia next to Goebbels and Goering 1936 © Vincent Productions

Et l’artiste ?

Mais Riefenstahl n’a tué personne. Ambitieuse, héroïque, courageusement indépendante de la gent masculine bien avant l’époque du féminisme revanchard, elle mérite sans doute mieux que l’opprobre de principe où la tient, en 2024, une certaine bien-pensance. Tout n’est pas clair comme de l’eau de roche chez cette femme, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais quel exégète prendra le risque, enfin, de la peindre comme ce qu’elle fut avant tout, avec ses redoutables ambiguïtés : une artiste ? Dont on peut déceler les ombres, sans pour autant la priver de toute lumière. Le documentaire sur son œuvre reste à faire.

Leni Riefenstahl: La cinéaste d'Hitler

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Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres. Documentaire d’Andres Veiel. Durée : 1h55

En salles le 27 novembre 2024

Djihad judiciaire: Farida Tahar perd une bataille

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L'avocat Aymeric de Lamotte et sa cliente Fadila Maaroufi au tribunal, 7 novembre 2024. DR.

L’Observatoire européen des fondamentalismes dirigé par Fadila Maaroufi était poursuivi par la députée belge enturbannée Farida Tahar, à la suite de propos polémiques tenus sur Twitter. L’Observatoire avait notamment accusé la députée d’être une militante islamiste. Ses propos ont été jugés de bonne foi par le tribunal. La justice a en effet considéré que si tous les éléments factuels présentés par la défense ne suffisaient pas à établir que Mme Tahar était bien membre du mouvement islamiste des Frères musulmans, il existait une base factuelle suffisante autorisant à soutenir cette thèse, même de façon peu subtile.


Causeur. Éclairez le public français, s’il vous plaît : qui est Farida Tahar? Quel est son parcours, et en quoi cette figure politique est-elle controversée en Belgique?

Aymeric de Lamotte. Farida Tahar est une femme politique belge de premier plan. Elle a été députée bruxelloise et sénatrice de 2019 à 2024. Elle a même été cheffe du groupe parlementaire du parti politique Écolo au Parlement bruxellois. Elle a été réélue en juin 2024 malgré la débâcle électorale d’Écolo. Elle figurait à une place de confiance, la 7e place. 

Farida Tahar est une personnalité qui pratique un islam politique et prosélyte. Elle est une zélatrice bien connue du port du voile dans l’espace et l’administration publics, ce qui contrevient au principe de neutralité. Elle a manifesté son soutien à l’ex-députée bruxelloise Mahinur Özdemir — la première député européenne à porter le voile islamique — quand celle-ci a été exclue du parti politique cdH (désormais appelé Les Engagés) en 2015 parce que celle-ci avait refusé de reconnaître le génocide arménien. Mahinur Özdemir a toujours été très proche de Recep Tayyip Erdoğan, le président actuel de la Turquie. Ce dernier a assisté au mariage d’Özdemir lorsqu’il était Premier ministre. Özdemir a été nommée ministre de la Famille et des Services sociaux du gouvernement turc le 3 juin 2023.

Mme Tahar a été vice-présidente de l’association Le Collectif Contre l’Islamophobie en Belgique (CCIB), le pendant belge du CCIF dissous parce que le ministre de l’Intérieur français de l’époque a considéré qu’il était « une officine islamiste œuvrant contre la République ». 

Mme Tahar prend actuellement activement part au débat à propos du conflit israélo-palestinien et est pourtant restée totalement silencieuse au lendemain du pogrom du 7-Octobre 2023. 

Mais de là à faire de la députée une islamiste, n’est-ce pas y aller un peu fort ?

De 1999 à 2003, Farida Tahar a suivi une formation religieuse au sein de l’association Académie Islamique de Bruxelles. Comme l’explique l’essayiste Mohamed Louizi dans une enquête parue en 2016, cet établissement « flirte sérieusement avec le salafisme et la mouvance des Frères musulmans »

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Par ailleurs, Farida Tahar est je l’ai dit une zélatrice bien connue du port du voile dans l’espace et l’administration publics. Le voile est un des signes patents et incontestables de l’islam politique et Farida Tahar en porte un. Dans un débat à la RTBF qui la confrontait à Richard Miller, elle disait que ce n’est qu’un signe esthétique comme le port d’une cravate. C’est évidemment une manière de dédramatiser, de normaliser l’accoutrement, mais intellectuellement, ça ne tient pas la route une seule seconde. Comparer le port du voile au port de la cravate est une ineptie culturelle et intellectuelle.

On a pu voir Mustapha Chairi, ancien président du CCIB, faire la « rabia », ce geste de ralliement des Frères musulmans, notamment avec le fréro-salafiste Rachid Haddach. Le lien incontestable entre Farida Tahar et Rachid Haddach est une autre raison très valable pour laquelle ma cliente se permettait de qualifier la députée de « sœur » ou de « militante frériste ».

Que réclamait Farida Tahar à votre cliente devant la justice ?

Seul l’Observatoire européen des fondamentalismes (OEUF) est visé par la plainte, dont Mme Maaroufi est la directrice.

Farida Tahar reproche — on ignore encore à ce jour si le jugement est frappé d’appel ou non — à l’association l’OEUF de relever ponctuellement sur les réseaux sociaux une proximité idéologique entre ses positions et l’islamisme et les Frères musulmans. Elle considère que ces analogies constituent des propos diffamatoires ou calomnieux.

Elle lui réclamait 5000 euros à titre de dommage moral, le retrait des publications visées dans la procédure du compte Twitter de L’Observatoire européen des fondamentalismes et la publication de la décision à intervenir sur ce même compte Twitter.

Quels sont les arguments avancés lors de votre plaidoirie, que le tribunal a estimés recevables ?

Le tribunal applique la loi en rappelant qu’un propos ne peut pas être diffamatoire s’il est émis de bonne foi. Un propos est de bonne foi s’il intervient dans le cadre d’un débat d’intérêt général et si celui qui l’émet dispose d’une base factuelle suffisante. La notoriété de la personne visée est aussi un argument crucial pour trancher si c’est la liberté d’expression qui doit être protégée (article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme) ou le droit à la réputation (article 8 CEDH).

En l’espèce, les opinions de l’OEUF ou de Fadila Maaroufi à titre personnel s’appuient sur suffisamment de faits probants et interviennent dans le contexte d’un débat d’intérêt général, l’islamisme. Les jugements de valeur (les opinions) contrairement aux jugements de fait ne doivent pas être factuellement exacts. La notoriété et son exposition médiatique de Farida Tahar l’obligent à tolérer plus largement les remarques publiques qui la concernent. En outre, le tribunal fait remarquer à juste titre que la réputation de Farida Tahar n’a pas été « sérieusement écornée ». Dès lors, sanctionner l’OEUF porterait une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression.

La juge confirme l’analyse faite dans un premier jugement, rendu par elle-même, début de l’année, le 17 janvier 2024, qui opposaient l’OEUF et Fadila Maaroufi à Ibrahim Ouassari.

Le Frérisme et ses réseaux: l'enquête

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Trêve au Liban: l’Iran a perdu la bataille, Israël n’a pas encore gagné la guerre

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Tyre, Liban, 26 novembre 2024 © Hussein Malla/AP/SIPA

Alors qu’un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Liban semble imminent, le Hezbollah reste, malgré de lourdes pertes, la force dominante au Liban. Si les succès militaires israéliens sont indéniables, la mise en œuvre de cet accord et son impact géopolitique soulèvent des questions majeures, notamment sur la capacité à contenir durablement le Hezbollah.


Un accord de cessez-le-feu au Liban semble se profiler, mais il reste difficile de convertir les résultats purement militaires en gains politiques et géostratégiques. Malgré les coups très durs qu’il a subis – tant matériellement que moralement – dans les ruines de l’État libanais, le Hezbollah demeure la force militaire, économique et politique la plus puissante du pays, et surtout la seule à conserver la capacité d’imposer sa volonté par la violence à l’intérieur du pays.

Bien que le projet d’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Liban n’ait pas encore été publié, plusieurs informations disponibles permettent d’en connaître les grandes lignes. Ce projet inclut un mandat élargi permettant à Israël de mener des frappes le long de la frontière et à l’intérieur du territoire libanais afin de neutraliser les menaces émanant du Hezbollah ou d’autres organisations. Selon cet accord, Israël serait autorisé à intervenir militairement dans tous les cas où des menaces, y compris en profondeur au Liban (par exemple dans la vallée de la Bekaa), seraient identifiées, telles que la production, le stockage ou le transport d’armes lourdes, de missiles balistiques ou de missiles à moyenne et longue portée. Toutefois, de telles interventions seraient conditionnées à l’échec du gouvernement libanais ou d’un organe de supervision placé sous l’égide des États-Unis à éliminer ces menaces.

Côté libanais, une zone spécifique de « légitime défense immédiate »

Par ailleurs, le texte autorise Israël à poursuivre ses vols militaires dans l’espace aérien libanais à des fins de renseignement et de surveillance. De plus, Israël ne libérera pas les membres du Hezbollah capturés dans le sud du Liban, d’autant qu’aucun civil ou militaire israélien n’est actuellement retenu par le Hezbollah.

Le document précise que l’armée libanaise sera la seule force armée, à l’exception de la FINUL, autorisée à opérer sur le territoire libanais. Ce point établit un lien, bien que modeste, avec la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée en 2004, considérée comme plus contraignante que la résolution 1701 adoptée en 2006 après la deuxième guerre du Liban. L’armée libanaise sera également responsable d’empêcher l’entrée non autorisée d’armes et de munitions via les points de passage frontaliers, notamment à la frontière avec la Syrie, ainsi que de démanteler les infrastructures de production d’armement établies par diverses organisations sur le territoire libanais. De plus, l’accord délimite une zone spécifique au Liban, le long de la frontière, où les États-Unis reconnaissent à Israël le droit d’« agir en légitime défense immédiate. »

Ce texte, du point de vue israélien, est sans doute préférable à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) et reflète clairement que le rapport de force entre le Hezbollah et Israël s’est nettement amélioré en faveur de ce dernier. Sur le plan militaire, les résultats sont indiscutables. Le Hezbollah a perdu une grande partie de ses dirigeants militaires et politiques, plus de 3 000 de ses combattants ont été tués, et plusieurs milliers ont été blessés, dont beaucoup ne pourront plus retourner au combat. Des centres de commandement, des dépôts de matériel de guerre et une large partie de ses roquettes et missiles (entre un et deux tiers) ont été détruits.

Le 17 septembre 2024, plus de 3000 membres du Hezbollah sont blessés et 42 personnes meurent dans l’explosion de leurs pagers, Beyrouth, Liban © EPN/Newscom/SIPA

Quant aux infrastructures, notamment les tunnels et autres constructions souterraines préparées et déployées le long de la frontière avec Israël pour permettre une attaque surprise comme celle du 7-Octobre, elles ont été largement démantelées. Plusieurs villages frontaliers, transformés depuis 2006 en structures mixtes civiles-militaires au service du Hezbollah, sont aujourd’hui réduits en cendres. Des vergers qui abritaient des bunkers camouflés ont également été systématiquement détruits. La majorité des habitants chiites du sud du Liban ont quitté leurs bourgs et villages, devenant des déplacés souvent sans véritable abri.

Et surtout, tous ces succès israéliens ont été obtenus avec des pertes relativement faibles au front – 70 morts au combat – et des dégâts légers à l’arrière du pays.

Enfin, l’élément le plus marquant est d’ordre psychologique. Après sa victoire de 2006, le Hezbollah et son chef Hassan Nasrallah estimaient avoir instauré un équilibre de dissuasion stratégique avec l’État d’Israël, se percevant en quelque sorte comme ses égaux sur le plan militaire. Victorieux, voire invincibles, ils imposaient leur domination au Liban, au service de la communauté chiite, mais surtout de l’Iran. Ce n’est désormais plus le cas. Infiltré par le renseignement israélien, le Hezbollah n’a pas seulement été militairement affaibli, mais aussi profondément humilié – notamment à travers l’opération des « bippers » et les assassinats ciblés de ses dirigeants, y compris Nasrallah lui-même. Aux yeux de nombreux Libanais, cela a mis en lumière une forme de défaite pour une organisation perçue comme exerçant une occupation de facto sur le pays.

Pour illustrer ce changement, on peut citer Walid Joumblatt, leader druze connu pour ses revirements politiques constants. Celui qui, pas plus tard que l’été dernier, relayait encore la propagande du Hezbollah, critique aujourd’hui ouvertement l’Iran et son allié chiite local, signe d’un basculement significatif dans le paysage politique libanais.

Le Dôme de fer a tenu

En Israël, ces succès étaient inespérés. Pour comprendre l’état d’esprit qui prévalait avant cette guerre, il est essentiel de se pencher sur le « scénario de référence » envisagé par les responsables israéliens. Publiée début février 2024, une étude menée par l’Institut de politique antiterroriste de l’Université Reichman examinait les défis critiques liés à la préparation de Tsahal et de l’arrière à une guerre multi-fronts. Ce travail, conduit sur trois ans par six groupes de réflexion réunissant près de 100 experts en terrorisme, anciens responsables de la sécurité, universitaires et décideurs, avait donné lieu à des conclusions glaçantes.

Selon ce scénario, le conflit devait commencer par des tirs massifs de roquettes du Hezbollah, visant presque l’intégralité du territoire israélien. Ces tirs, estimés à 2 500 à 3 000 projectiles par jour, auraient compris des roquettes non guidées et des missiles précis à longue portée. Les bombardements auraient continué quotidiennement jusqu’à la fin du conflit, prévue environ trois semaines après son déclenchement. Dès les premières phases, des groupes terroristes de toute la région auraient rejoint les hostilités. L’une des principales stratégies du Hezbollah aurait été de saturer les systèmes de défense aérienne israéliens, tels que le Dôme de fer, pour affaiblir la réponse israélienne.

Les réserves de munitions pour le Dôme de fer et la Fronde de David se seraient épuisées en quelques jours, laissant Israël sans défense active contre des milliers de roquettes et de missiles lancés jour et nuit. Parallèlement, le Hezbollah aurait cherché à neutraliser l’armée de l’air israélienne en ciblant ses pistes d’atterrissage et ses hangars, endommageant les avions F-16, F-35 et F-15, qui constituent les piliers de la supériorité aérienne israélienne.

Des missiles précis, équipés de charges explosives lourdes, auraient visé les infrastructures critiques : centrales électriques, installations de dessalement et réseaux de distribution d’eau. Les ports seraient paralysés, bloquant le commerce international.

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Des essaims de drones suicides iraniens tenteraient d’atteindre des cibles stratégiques au cœur d’Israël, comme des usines d’armement, des dépôts militaires et des hôpitaux, déjà surchargés par un afflux massif de blessés. Ces attaques auraient provoqué des destructions considérables en Israël, entraînant des milliers de pertes humaines, tant sur le front qu’à l’arrière.

En parallèle, le Hezbollah aurait envoyé des centaines de combattants de sa force d’élite Radwan pour infiltrer le territoire israélien. Ces forces auraient essayé de prendre le contrôle de localités frontalières et de postes militaires, obligeant Tsahal à se battre sur son propre territoire, ce qui aurait retardé ses opérations en profondeur au Liban.

Après environ trois semaines de violence, les destructions sans précédent en Israël et au Liban, combinées aux pressions internationales, auraient mis fin au conflit dans un sentiment frustrant de « match nul », comme en 2006.

La réalité de cette guerre, bien que grave, s’est avérée moins catastrophique que ce scénario, ce qui souligne d’autant plus la portée des succès israéliens.

Néanmoins, des questions cruciales restent en suspens : le Hezbollah parviendra-t-il à contourner les restrictions qui lui seront imposées ? Comment le mécanisme d’application, complexe et lourd, pourra-t-il réellement fonctionner ?

La résolution 1701, adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU à la fin de la guerre du Liban en 2006, était déjà considérée comme une bonne décision du point de vue israélien. Toutefois, elle n’a jamais été appliquée par les acteurs censés la faire respecter, à commencer par la FINUL. Après quelques tentatives initiales pour remplir leur mission, les forces de la FINUL ont reçu un message clair du Hezbollah. En 2007, six soldats de la FINUL ont été tués dans un attentat à la voiture piégée dans le sud du Liban. Puis, en janvier 2008, un affrontement indirect a éclaté entre la FINUL et des militants du Hezbollah dans une zone contrôlée par l’organisation chiite, près de la frontière israélienne. Cet incident aurait été déclenché par une patrouille de la FINUL tentant d’accéder à une zone suspectée d’abriter des infrastructures militaires non déclarées. Le Hezbollah aurait bloqué l’accès, invoquant la sécurité des habitants locaux. Des rapports décrivent une confrontation tendue, sans affrontements armés directs, mais marquée par des menaces implicites. Les Casques bleus ont rapidement compris : leurs supérieurs onusiens et les gouvernements qui les soutenaient préféraient éviter tout conflit. Ils ont donc adopté une posture passive, feignant que tout allait bien.

Face à cette réalité, les gouvernements israéliens successifs – en particulier ceux dirigés depuis 2009 par Benjamin Netanyahou – ont eux aussi adopté une approche prudente et évité de « faire des vagues », observant sans intervenir l’installation progressive du Hezbollah dans le sud du Liban. Même après le 8 octobre 2023, lorsque la milice chiite a commencé à lancer des roquettes et à provoquer des incidents frontaliers, Israël s’est abstenu de répondre fermement et n’a pas non plus imposé l’application de la célèbre résolution 1701.

Le troisième acteur censé faire respecter le cessez-le-feu et la résolution 1701 était l’armée libanaise. Cependant, même lorsque les forces du Hezbollah ont installé des tours d’observation à quelques mètres de ses positions, elle n’a rien fait. En réalité, le Hezbollah a exercé une pression intimidante sur tous les acteurs locaux. Même lorsque les renseignements israéliens ont transmis des informations détaillées sur l’établissement d’infrastructures militaires du Hezbollah sous couvert d’activités civiles, aucune action concrète n’a été entreprise.

Aujourd’hui, un mécanisme international dirigé par un général américain pourrait-il traiter plus efficacement les violations de l’accord ? Il est difficile de l’imaginer, sachant que ce mécanisme devra d’abord s’appuyer sur le gouvernement libanais, son armée, et la FINUL pour réagir aux plaintes et aux informations fournies par Israël. Israël conserve le droit de répondre immédiatement si le Hezbollah viole sa souveraineté, que ce soit par des tirs de roquettes, des obus ou des infiltrations. Cependant, ce droit découle déjà du principe de légitime défense. Ce qui manque – et ce qu’il est difficile d’envisager à ce stade – c’est la volonté politique de réagir avec force et de ne plus tolérer de telles violations.

Ainsi, les véritables défis émergeront lorsque le Hezbollah recommencera à reconstruire ses infrastructures civiles-militaires dans les villages chiites proches de la frontière ou dans les zones boisées environnantes. Dans ces conditions complexes sur le terrain, face à une population civile potentiellement hostile, peut-on réellement croire que la FINUL et l’armée libanaise parviendront à empêcher un retour progressif au statu quo ante du 7-Octobre ?

Bien que cet accord – s’il est effectivement signé, ce qui reste incertain – reflète une victoire militaire israélienne, sa valeur politique demeure pour l’instant incertaine. Seules des actions militaires directes – avec ou sans l’approbation de la commission internationale – pourraient transformer cet accord en un outil politique efficace dans la guerre qu’Israël et une partie des Libanais mènent contre le Hezbollah. Enfin, cet accord présente également l’avantage de mettre fin au conflit actuel et d’isoler le Hamas à Gaza. Selon certains observateurs en Israël, il pourrait servir de modèle pour un accord similaire à Gaza, incluant cette fois la libération des otages et l’établissement d’un mécanisme international ou arabo-international pour remplacer le Hamas.

Nutriscore: vous aimez tout ce qui est bon? C’est très mauvais!

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© Christoph Hardt / Future /SIPA

Alimentation. Il est de plus en plus difficile d’y comprendre quelque chose aux étiquettes quand on va faire ses courses. La Cour des comptes européenne s’est penchée sur la jungle des étiquettes alimentaires. Les consommateurs sont perdus et induits en erreur, déplore l’institution basée au Luxembourg.


Faire ses courses est devenu une science. Un consommateur avisé n’achète pas ce qu’il aime (qui est généralement mauvais pour la santé) mais ce qui est bon pour ses enfants, pour le climat et pour la planète. Les produits alimentaires se vendent désormais avec un manuel d’utilisation (ce qui n’est pas bien rigolo quand on aime lire les paquets de ce qu’on mange au petit-déjeuner). Des labels, des normes, des sigles, des logos et des garanties (produit sans ceci ou sans cela) sont supposés orienter le consommateur…

Un vaste audit

Pour la Cour des comptes européenne, ils ont plutôt tendance à l’égarer. Son audit a été réalisé sur la période 2011-2023[1]. Ils ont dû en voir des étiquettes… Verdict : il n’y a jamais eu autant d’infos sur nos paquets de nourriture. Des centaines de labels, des empilements de normes nationales et européennes, plus d’innombrables allégations sur les vertus nutritionnelles ou sanitaires de tel ou tel composant. Le bidule est bon pour votre mémoire. Le machin excellent pour votre vigueur physique etc. À l’arrivée, le consommateur est perdu, parfois trompé. Par exemple, étonnament, aucune règle ne conditionne l’usage du mot « naturel », propre à déclencher l’impulsion d’achat (qui achèterait une boisson se présentant comme chimique ?).

À lire ensuite: Hécatombe chez les corvidés royaux, boussoles de la monarchie

Pourquoi y en a-t-il autant ? Dans les coulisses, on imagine des bagarres de lobbies agro-industriels autour de toutes ces normes. Ainsi, il y a une guerre du Nutriscore, adopté par trois pays de l’UE dont la France mais auquel l’Italie est très hostile notamment en raison de ses fromages qui seraient mal notés.

La société de défiance n’est pas un progrès

Mais, il y a une véritable raison qui explique cette guerre souterraine des labels et des lobbys: nous sommes des consommateurs soupçonneux et procéduriers. Nous voulons tout savoir sur ce que contient notre assiette: a-t-on parlé gentiment au poulet, quel est son bilan carbone, n’y a-t-il pas eu deux grammes de trop de pesticide sur les aliments qu’il a mangé ? C’est pareil pour nos voitures et nos téléphones (encore qu’on soit moins regardant sur le bilan carbone réel de ces derniers). Toutes ces étiquettes ne nous empêchent pas d’acheter des cochonneries industrielles et de consommer ce qu’on appelle la junk food, mais au moins on sait que c’est mauvais pour nous. Accessoirement (enfin pas tant que ça), cette inflation normative contribue à l’obésité de la Fonction publique. Il faut des gens pour édicter les normes, les appliquer, vérifier leur application, contrôler la vérification, etc. Des armées de fonctionnaires sont ainsi mobilisées pour veiller à la qualité de tout ce qui se fabrique.

C’est ce qu’on appelle la société de défiance. Moi, consommateur, j’ai des droits sacrés. J’exige de tout savoir. Et je me méfie de tous – producteurs, État, supermarché… Certes, on a besoin d’une information minimale et honnête. Mais aujourd’hui, les processus de productions sont standardisés, les normes d’hygiène et de sécurité doivent heureusement être respectés partout. Il me semble qu’on devrait moins s’inquiéter de ce qu’on met dans l’assiette de nos enfants que de ce qu’on leur fourre dans la tête.

Doc : Cour des comptes européenne.

Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale


[1] https://www.eca.europa.eu/fr/news/NEWS-SR-2024-23

Une conversion presque parfaite

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DR.

L’histoire merveilleuse des frères Amin et Arash Yousefijam


Comment se refaire une virginité quand on a été condamné aux États-Unis pour intelligence avec l’Iran ? Les frères Amin et Arash Yousefijam nous montrent l’exemple. Nés en Iran, ils ont pu, grâce à un programme d’accueil pour ouvriers qualifiés, émigrer au Canada, Arash en 2013 et Amin en 2016.

Arash, aujourd’hui âgé de 36 ans, a obtenu la citoyenneté canadienne, mais Amin, 37 ans, a gardé le passeport iranien. Restant fidèles à leur pays d’origine, ils ont créé des sociétés-écrans afin d’exporter en Iran du matériel de fabrication en violation des sanctions imposées à Téhéran par Washington. Arash a été arrêté aux États-Unis en 2020 et Amin à Toronto en 2021. Un tribunal du Michigan a condamné les deux frères à des peines de prison. Une fois libérés, ils ont regagné l’Ontario où ils ont demandé à changer officiellement leur nom de famille. Les autorités ont acquiescé sans faire les vérifications réglementaires des casiers judiciaires des demandeurs. Arash est devenu dentiste et membre du Collège royal des chirurgiens-dentistes, et Amin agent de conformité dans une grande entreprise. Ce n’est que récemment que les autorités ont compris leur erreur et ont engagé des poursuites contre Amin pour l’expulser. Selon nos confrères de Global News, une enquête sera diligentée pour découvrir comment une bavure aussi sérieuse a pu être commise, le Canada imposant ses propres sanctions à l’Iran.

Quel était le nouveau nom de famille choisi par ces agents du régime des mollahs pour faire oublier à la fois leur véritable identité et leur allégeance ? Cohen !

Trump, allié de la Russie, vraiment?

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Hambourg, 7 juillet 2017 © Evan Vucci/AP/SIPA

Si Trump obtient une cessation des combats en Ukraine, les Européens pourront le remercier de leur retirer une sacrée épine du pied. D’autant que chacun semble vouloir rendre la situation encore plus tendue avant son arrivée.


En Europe, l’heure est à la consternation. Trump, élu, va brader l’Ukraine et faire un deal en deux coups de cuillère à pot avec Poutine, comme on nous le répète depuis des mois. Seules de rares voix, comme Hubert Védrine, ont rappelé que personne ne savait exactement ce que Trump entendait faire et qu’il était prudent d’attendre. Raphaël Glucksmann, lui, n’a pas attendu. Avec son talent pour dramatiser une pensée courte, il n’a pas hésité à considérer qu’avec l’élection de Trump, « l’Europe [pouvait] se retrouver dans la situation de la Tchécoslovaquie en 1938[1] ». Quelques jours plus tard, Léa Salamé, recevant Jordan Bardella, nous servait la version grand public : « Trump va faire une alliance, il y aura un axe Trump-Poutine avec, en Europe, Victor Orban[2]. » Face au simplisme politico-médiatique, il n’est pas interdit de réfléchir.

Cessez-le-feu. Trump ne parviendra pas à un accord global avec la Russie « en vingt-quatre heures », ni en vingt-quatre jours. S’il obtient une cessation des hostilités en quelques semaines, ce sera déjà un très beau résultat. Les exigences de Moscou sont trop élevées pour obtenir plus à court terme. Vladimir Poutine les a rappelées lors de sa conversation téléphonique avec Olaf Scholz, le 15 novembre : accord territorial basé sur la « réalité du terrain » et « traitement des causes du conflit », ce qui signifie la neutralisation de l’Ukraine, une démilitarisation partielle, l’interdiction d’entrer dans l’OTAN et le remplacement (la « dénazification ») des dirigeants à Kiev. On part donc de très loin et les négociations pourraient durer des mois voire des années.

Une alliance, pour quoi faire ? Quel intérêt aurait donc Donald Trump à faire alliance avec Poutine, un dirigeant qui déteste l’Occident ? Aucun. Trump fait simplement un double constat : 1) le conflit en Ukraine est trop coûteux pour les États-Unis, financièrement et en armement ; 2) l’Ukraine n’a aucune chance de l’emporter sur le terrain. Conclusion, il faut arrêter ce conflit. L’intérêt de Trump pour la Russie s’arrête là à ce stade. Car Trump n’a pas varié depuis huit ans. La menace pour l’hégémonie américaine se situe en Chine et non en Russie.

A lire aussi, Gabriel Robin: Donald Trump 2.0: ce que la nouvelle équipe gouvernementale dit de l’Amérique

Ce qui vaut pour Trump vaut également pour Poutine. Ce dernier veut-il une alliance avec les États-Unis ? Rien n’est moins sûr. Poutine n’a plus confiance dans les États-Unis depuis au moins quinze ans. Il sait que la signature d’un président américain n’a de valeur que durant quatre ans. Un successeur peut s’en affranchir du jour au lendemain. N’est-ce pas ce qu’a fait Trump le 1er juin 2017 en annonçant son retrait de l’accord de Paris sur le climat signé par 195 pays, ou en mai 2018 en déchirant l’accord international sur le nucléaire iranien négocié par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne durant de longues années ?

Poutine se préoccupe du temps long. Les engagements pris par le Chinois Xi Jinping, l’Indien Modi et les autres membres des Brics sont plus solides à ses yeux qu’un accord avec le président des États-Unis, quel qu’il soit.

Néo-cons, mais Républicains cette fois. Les premières nominations de Trump II devraient rassurer nos partisans du casque lourd. Marco Rubio au département d’État et Pete Hegseth au ministère de la Défense sont tout sauf des pacifistes. Leur vision du monde et du rôle des États-Unis à la tête du « monde libre » n’est guère éloignée de celle des actuels titulaires Antony Blinken et Lloyd Austin : viscéralement pro-israéliens et prêts à montrer les dents face aux ennemis de l’Amérique. Arrêter cette guerre oui, faire des cadeaux à la Russie, non. Ainsi, hors de question de faciliter le retour du gaz russe sur le marché européen, devenu, au détour de cette guerre, un marché captif des fournisseurs américains. Un objectif que Trump avait cherché à obtenir durant tout son premier mandat.

Tête-à-queue à Bruxelles. Les dirigeants européens qui, il y a peu, bombaient le torse et juraient de soutenir l’Ukraine à la vie et à la mort vont être contraints de réviser leur copie. L’ex-commissaire européen Thierry Breton le reconnaissait platement, sur le plateau de LCI, au lendemain de l’élection : « C’est incroyable, aujourd’hui on est en train de parler des conditions de la fin de la guerre en Ukraine, un sujet sur lequel on ne s’autorisait même pas à réfléchir et sur lequel, à la Commission européenne, on n’avait aucun droit de parole. » Propos qui fait froid dans le dos quand on pense au million de morts et blessés qu’a déjà fait cette guerre de tranchée électronique, mais passons. Une fois Trump installé à la Maison-Blanche, il ne faudra pas longtemps aux dirigeants européens pour caler leur position sur celle de Washington et soutenir la cessation des combats.

Olaf Scholz ne signifie pas autre chose quand il appelle Vladimir Poutine, juste une semaine après l’élection de Donald Trump. Par la même occasion, le chancelier nous rappelle que l’Allemagne n’hésite pas à agir seule quand ses intérêts vitaux sont en jeu. En l’occurrence, la survie de son industrie qui passe nécessairement par une baisse des tensions à l’est de l’Europe et une normalisation à long terme avec la Russie.

La température monte dangereusement avant le départ de Biden. Qu’il s’agisse d’une décision de Joe Biden ou de son entourage, le feu vert donné par Washington, puis Londres et maintenant Paris, de frapper la Russie en profondeur avec des missiles balistiques modifie la nature du conflit. Ces tirs balistiques ne changeront rien à l’issue du conflit, comme Biden l’avait expliqué il y a deux mois pour écarter une demande britannique en ce sens. Mais ils accroissent grandement le risque d’une guerre globale.

Au combat au sol entre Ukrainiens et Russes s’ajoute désormais une bataille de missiles entre puissances nucléaires. La première de l’histoire. Les missiles ATACMS et Storm Shadow sont lancés en Russie de manière conjointe par les Ukrainiens et des militaires américains et britanniques. Les Russes en concluent donc être attaqués par deux puissances occidentales. Il en sera de même de la France si nos soldats frappent la Russie avec des missiles longue portée Scalps depuis l’Ukraine. Le fait que la Russie soit à l’origine de cette guerre n’est plus le sujet. Les Ukrainiens ne sont pas sur la photo. Il s’agit ici d’un tête-à-tête entre puissances nucléaires.

Seule la Russie est touchée sur son sol à ce jour. D’où un déséquilibre de perception considérable et lourd de danger. Les missiles occidentaux tombent-ils inaperçus auprès des Russes et ceux-ci n’attendent-ils pas en toute logique une riposte de leur armée ? En Occident, la menace demeure virtuelle et nous ne savons plus ce qu’est la guerre, à la différence des Russes qui vivent avec. Imagine-t-on la réaction, voire la panique de la population française si un missile russe frappait le site balistique français du plateau d’Albion ?

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Trump élu? Non, les démo-woko bobos battus

Poutine et sa population ne supporteront pas longtemps de recevoir sur leur sol des missiles balistiques tirés par des soldats américains ou britanniques. Il l’a déclaré très clairement la semaine dernière. Poutine s’est contenté, pour l’heure, de lancer en Ukraine le missile Orechnik, capable de porter une charge nucléaire. La prochaine étape pourrait être un tir au-delà de l’Ukraine, en mer Baltique (au hasard) ou sur un site militaire à l’intérieur d’un membre européen de l’OTAN. Cette riposte suffirait à placer toute l’Europe au bord de la guerre. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. En France, il est frappant de constater que bien peu de monde n’alerte sur les dangers de la situation et n’appelle à la désescalade et à la retenue de toutes les parties.  

L’Europe devrait remercier Trump de lui ôter une épine du pied s’il obtient une désescalade rapide. Les Européens ont tout à gagner à une cessation rapide des combats obtenue par l’éléphant Trump. Car, l’alternative est intenable.

Sans accord même a minima, l’Europe se trouverait dans la situation impossible de devoir soutenir des échanges de missiles avec la Russie et soutenir militairement l’armée ukrainienne avec des stocks inexistants puisque nous sommes toujours dépourvus d’une production d’armes suffisante et avons été incapables de nous mettre en économie de guerre depuis deux ans. Sans accord, les déclarations de soutien sans faille des Européens passeront donc pour ce qu’elles sont, un vœu pieux ou, pire, un exercice de com’ sans réel contenu. Au moins, un accord à la Trump aura le grand avantage de leur éviter un désagréable embarras publicque. Bonne chance, Donald !


[1] France Inter, le 8 novembre 2024.

[2] Emission « Quelle époque », France Télévisions, le 9 novembre 2024.

Sansal bâillonné à Alger, ses cafardeurs chouchoutés sur France 5

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L'historien Benjamin Stora a reproché à l'écrivain Boualem Sansal de blesser le sentiment national algérien, sur France 5. Capture d'écran.

Un écrivain embastillé ? Des intellectuels de gauche se tiennent aux côtés des bourreaux. Sur le plateau de la télévision publique, dimanche soir, Boualem Sansal a été convaincu d’islamophobie !


A une époque pas si lointaine, lorsqu’on était un humaniste et qu’un écrivain se faisait embastiller pour délit d’opinion par une dictature militaire, se battre pour sa libération était une évidence. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, au contraire, on se joint à ses bourreaux pour lui appuyer sur la tête, on explique qu’il l’a un peu cherché et on est fier de se tenir aux côtés de l’Etat autoritaire qui l’a emprisonné arbitrairement ! On participe même à sa déshumanisation pour laisser entendre que de toute façon, ce ne sera pas une grosse perte.

Les procès de la télévision publique française

C’est en tout cas ce qu’a fait le service public et France 5 dans l’émission C politique du dimanche 24 novembre. Autour de la table, entre autres, Nedjib Sidi Moussa et Benjamin Stora ont été particulièrement méprisables. On a ainsi assisté à une émission tout occupée à faire le procès d’un écrivain qui croupit en prison en se faisant le relais, pour Benjamin Stora, des accusations du régime d’Alger et pour Medjib Sidi Moussa, des éléments de langage islamo-gauchistes. A part la journaliste de Marianne Rachel Binhas, qui a fini par avouer son malaise devant cette instruction à charge, et qui a courageusement tenté de démonter le registre de l’inversion accusatoire dont était victime Boualem Sansal, tous les autres ont participé ou se sont tus face à la dégradation en place publique de l’écrivain par des personnes qui se font quasiment les petits télégraphistes du discours et de la vision du monde des islamistes.

Le biais par lequel ces petits procureurs du nouveau comité de Salut public ont diabolisé Boualem Sansal est un classique du genre : le renvoi à l’extrême-droite, que tout le monde décode comme une assignation au fascisme et qui vous rend indigne de la société de vos compatriotes.

Alors, bien sûr, avant d’instruire en charge contre l’écrivain, tout le monde a ouvert grand son parapluie, indiquant que demander la libération de Boualem Sansal était une question de principe. Résultat : 15 secondes de discours sur les principes à défendre pour s’acheter un totem d’immunité, puis 30 minutes à tirer à vue pour laisser entendre que tout cela n’en vaut peut-être guère la peine, puisque cela revient à se battre pour un fasciste ! Le fait qu’il risque la condamnation à mort pour délit d’opinion n’est visiblement pas un problème pour ces « intellectuels » dits engagés. Tous ces gens, contrairement à ce qu’ils prétendent, n’ont aucun principe et sont prêts à sacrifier Boualem Sansal à leur idéologie et à leur relation avec un régime algérien en perdition. S’ils disent le contraire, c’est pour garder leur rond de serviette sur la télévision publique et leur poste d’universitaire. Mais ce n’est qu’un préalable pour se protéger et en arriver à leur vrai message, délivré clairement par Medjib Sidi Moussa : Boualem Sansal mérite ce qui lui arrive car c’est un salaud d’islamophobe.

Benjamin Stora va faire la même chose mais en plus mielleux et cauteleux. Tout sourire, le représentant non officiel du gouvernement algérien va ainsi expliquer que l’écrivain a blessé le « sentiment national algérien » tout en se moquant de son incompétence historique. Le tout sans omettre de faire son autopromotion et la publicité de son dernier livre. Il va justifier son opprobre pour l’écrivain arbitrairement emprisonné en mettant en avant le « débat intellectuel ». Eh oui, pour ce Monsieur, la vie d’un homme ne compte pas face à l’occasion de se faire mousser. Et l’animateur va laisser faire.

Ce que pense Boualem Sansal du fait religieux

Dimanche soir, nos intellectuels de plateau TV ont ainsi enclenché un procès en déshumanisation de Boualem Sansal qui est le prélude à son abandon entre les mains du pouvoir algérien. Ils ont d’ores et déjà montré qu’il n’y avait pas unanimité dans la défense de Boualem Sansal, que la France pouvait se diviser sur ce point et que l’acte arbitraire de l’Algérie était acceptable dans les faits. Le pire dans cette histoire peu glorieuse, c’est que ces personnes ne risquaient rien en faisant leur simple travail d’être humain ! Et pourtant ils choisissent le camp des bourreaux. Imaginez alors, s’il y avait des risques à prendre ?

Or, Boualem Sansal dénonce inlassablement la violence des islamistes, le refus d’accorder l’égalité aux femmes, l’antisémitisme culturel, l’utilisation du blasphème pour bâillonner la liberté de conscience et d’expression. On lui reproche de faire le lien entre islam et islamisme ? Il dit juste que si le discours des islamistes domine aujourd’hui l’islam, c’est qu’il s’appuie sur des traits religieux et culturels auxquels adhèrent la plupart des musulmans dans le monde: le refus d’accorder la liberté de la pratique religieuse, le refus de l’égalité au nom du sexe ou de l’ethnie, la primauté de la charia, la haine des Juifs consacrée dans la liturgie, le refus de la liberté de conscience au nom du combat contre le blasphème, les discours victimaires destinés à légitimer la violence… Boualem Sansal parle d’une société obscurantiste dont il mesure à quel point elle amoindrit ceux qui y vivent et nous exhorte à ne pas renoncer à notre civilisation, celle qui pense l’égale dignité de l’homme, croit en sa créativité, mise sur l’usage de la Raison et sur les capacités créatrices de l’homme pour écrire l’avenir plutôt que sur la soumission à un dogme. Boualem Sansal note aussi que le manque de créativité des sociétés musulmanes vient sans doute de ce surplomb religieux très castrateur.

Une trahison

Boualem Sansal comme Kamel Daoud sont des humanistes ; ils s’inscrivent dans cette longue histoire à laquelle la gauche a participé avant de la trahir aujourd’hui. Ils croient que tout homme peut accéder à l’émancipation, et que si islam et islamisme sont parents, tous les croyants ne sont pas pour autant voués à la violence et à la radicalité. Alors, depuis quand être d’extrême-droite c’est défendre l’égalité, les libertés fondamentales, la fraternité plutôt que la clôture communautaire ? Depuis quand être d’extrême-droite, c’est se battre pour l’émancipation des hommes ? Et inversement, dans le cas de MM. Stora, Moussa ou Snégaroff, depuis quand être de gauche, c’est être l’homme de main de régimes autoritaires ? Depuis quand avoir une conscience, c’est se tenir à leurs côtés pour jeter des pelletées de terre sur un homme embastillé ? Depuis quand être un humaniste, c’est défendre les pires idéologies de la planète ?

L’ambiance était tellement au lynchage médiatique sur le plateau, que Rachel Binhas semblait presque gênée de devoir intervenir pour rappeler quelques évidences. Comme si elle prenait un risque insensé en faisant son devoir d’être humain. Sans doute parce que l’atmosphère sur le plateau faisait passer sa juste réaction comme quelque chose susceptible de lui valoir aussi un procès en extrême-droitisation, prélude à l’exclusion des médias mainstream. Mais apparemment, à France Télévisions cette séquence n’interpelle guère. Quant à l’Arcom, elle doit avoir aqua-poney, comme à chaque fois que le refus de pluralisme du service public est pointé du doigt. Mais peut-être que ce silence révèle un accord sur le fond ou est le moyen délicat qu’ont trouvé les dirigeants de l’audiovisuel public pour éviter que les questions de principe ne polluent un débat intellectuel, selon la posture de Benjamin Stora… En attendant, l’avocat de Boualem Sansal craint lui que celui-ci ne sorte jamais de prison. Mais de cela nos grandes consciences autoproclamées semblent se moquer.

Umberto Eco, le jeune homme érudit

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© Presses Universitaires de Rennes, détail de la couverture.

André Peyronie livre un « portrait de l’artiste en jeune homme » passionnant et cursif. Une découverte.


Il y a deux catégories de lecteurs (voire de lectrices) destinataires de la somme impeccable qu’André Peyronie, maître de conférences honoraire en Littérature Générale et Comparée à l’université de Nantes, consacre au jeune homme Umberto Eco (de sa naissance 1932 à son éclosion publique au début des années 60).

Ceux qui le détestent, ont leur idée reçue, « petite idée » comme chacun sait, à son propos – ceux-là découvriront un Ogre certes, mais d’une activité, d’une intelligence, d’une fécondité qui laissent pantois.

Et ceux qu’il intéresse, voire qui l’apprécient beaucoup (y compris le romancier parfois un peu « roboratif », voire indigeste) – que Peyronie, avec une intelligence critique et un savoir sans limite, restitue dans chaque étape (surtout les 3 premières) de sa jeune vie : enfance-adolescence (1932-1950) ; études et travail à la RAI (1950-1959) ; « éditeur » chez Bompiani, collaboration à de nombreuses revues  (La NRF et Tel Quel en France), premiers livres, père de famille (1959-1962)).

Le titre – « Portrait d’Umberto Eco en jeune homme » – est bien sûr un clin d’œil à Joyce, cœur du livre (d’Eco) qui le fera définitivement sortir du cénacle universitaire, parfois confiné : cela s’appelait L’Oeuvre ouverte (1962) – Joyce en occupait la place centrale.

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Par ce livre, acte stratégique, Eco devenait « Umberto Eco », le personnage et le phénomène étaient nés – entérinés, à un tout autre niveau (ou dimension), en 1982, par le succès mondial du Nom de la rose. Anecdote : lassé qu’on lui pose la question du titre (« Pourquoi avez-vous choisi Le Nom de la rose ? »), Eco répond : « Parce que Pinocchio était déjà sous copyright. »

Peyronie, qui prend son temps – 500 pages – sans jamais le perdre (aucune ne pèse) – précise sa démarche : « éclairer le passé par le futur, mais aussi le futur par le passé ». Les années qu’il retrace, années de formation d’Eco, sont constamment éclairées par des perspectives « prospectives » : ce que le passé est devenu dans les livres futurs d’Eco. D’où le sous-titre du livre « Essai de biographie prospective » – ou comment la jeunesse d’Umberto fabrique la genèse d’Umberto Eco, illustration du vers rebattu de Wordsworth : « L’enfant est le père de l’homme ».

À la fin de sa vie (2016), Eco, dont le besoin de reconnaissance inextinguible semblait en partie comblé (42 doctorats honoris causa), apprit, par la lettre d’un chercheur au Vatican, l’origine de son nom : les religieux, dans le cas des enfants trouvés (celui du grand-père d’Eco) avaient l’habitude ancienne de donner au nouveau-né un nom, à partir des premières lettres d’une expression latine : « Ex Coelis Oblatus » (Apporté-Offert par le ciel), abrégé en ECO. CQFD.


Portrait d’Umberto Eco en jeune homme – 1932-1962, d’André Peyronie, Presses Universitaires de Rennes, 512 p.

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Et toujours : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil, 2018 – à propos de 600 écrivains, femmes et hommes, de France ou d’ailleurs.