L’Observatoire européen des fondamentalismes dirigé par Fadila Maaroufi était poursuivi par la députée belge enturbannée Farida Tahar, à la suite de propos polémiques tenus sur Twitter. L’Observatoire avait notamment accusé la députée d’être une militante islamiste. Ses propos ont été jugés de bonne foi par le tribunal. La justice a en effet considéré que si tous les éléments factuels présentés par la défense ne suffisaient pas à établir que Mme Tahar était bien membre du mouvement islamiste des Frères musulmans, il existait une base factuelle suffisante autorisant à soutenir cette thèse, même de façon peu subtile.
Causeur. Éclairez le public français, s’il vous plaît : qui est Farida Tahar? Quel est son parcours, et en quoi cette figure politique est-elle controversée en Belgique?
Aymeric de Lamotte. Farida Tahar est une femme politique belge de premier plan. Elle a été députée bruxelloise et sénatrice de 2019 à 2024. Elle a même été cheffe du groupe parlementaire du parti politique Écolo au Parlement bruxellois. Elle a été réélue en juin 2024 malgré la débâcle électorale d’Écolo. Elle figurait à une place de confiance, la 7e place.
Farida Tahar est une personnalité qui pratique un islam politique et prosélyte. Elle est une zélatrice bien connue du port du voile dans l’espace et l’administration publics, ce qui contrevient au principe de neutralité. Elle a manifesté son soutien à l’ex-députée bruxelloise Mahinur Özdemir — la première député européenne à porter le voile islamique — quand celle-ci a été exclue du parti politique cdH (désormais appelé Les Engagés) en 2015 parce que celle-ci avait refusé de reconnaître le génocide arménien. Mahinur Özdemir a toujours été très proche de Recep Tayyip Erdoğan, le président actuel de la Turquie. Ce dernier a assisté au mariage d’Özdemir lorsqu’il était Premier ministre. Özdemir a été nommée ministre de la Famille et des Services sociaux du gouvernement turc le 3 juin 2023.
Mme Tahar a été vice-présidente de l’association Le Collectif Contre l’Islamophobie en Belgique (CCIB), le pendant belge du CCIF dissous parce que le ministre de l’Intérieur français de l’époque a considéré qu’il était « une officine islamiste œuvrant contre la République ».
Mme Tahar prend actuellement activement part au débat à propos du conflit israélo-palestinien et est pourtant restée totalement silencieuse au lendemain du pogrom du 7-Octobre 2023.
Mais de là à faire de la députée une islamiste, n’est-ce pas y aller un peu fort ?
De 1999 à 2003, Farida Tahar a suivi une formation religieuse au sein de l’association Académie Islamique de Bruxelles. Comme l’explique l’essayiste Mohamed Louizi dans une enquête parue en 2016, cet établissement « flirte sérieusement avec le salafisme et la mouvance des Frères musulmans ».
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Par ailleurs, Farida Tahar est je l’ai dit une zélatrice bien connue du port du voile dans l’espace et l’administration publics. Le voile est un des signes patents et incontestables de l’islam politique et Farida Tahar en porte un. Dans un débat à la RTBF qui la confrontait à Richard Miller, elle disait que ce n’est qu’un signe esthétique comme le port d’une cravate. C’est évidemment une manière de dédramatiser, de normaliser l’accoutrement, mais intellectuellement, ça ne tient pas la route une seule seconde. Comparer le port du voile au port de la cravate est une ineptie culturelle et intellectuelle.
On a pu voir Mustapha Chairi, ancien président du CCIB, faire la « rabia », ce geste de ralliement des Frères musulmans, notamment avec le fréro-salafiste Rachid Haddach. Le lien incontestable entre Farida Tahar et Rachid Haddach est une autre raison très valable pour laquelle ma cliente se permettait de qualifier la députée de « sœur » ou de « militante frériste ».
Que réclamait Farida Tahar à votre cliente devant la justice ?
Seul l’Observatoire européen des fondamentalismes (OEUF) est visé par la plainte, dont Mme Maaroufi est la directrice.
Farida Tahar reproche — on ignore encore à ce jour si le jugement est frappé d’appel ou non — à l’association l’OEUF de relever ponctuellement sur les réseaux sociaux une proximité idéologique entre ses positions et l’islamisme et les Frères musulmans. Elle considère que ces analogies constituent des propos diffamatoires ou calomnieux.
Elle lui réclamait 5000 euros à titre de dommage moral, le retrait des publications visées dans la procédure du compte Twitter de L’Observatoire européen des fondamentalismes et la publication de la décision à intervenir sur ce même compte Twitter.
Quels sont les arguments avancés lors de votre plaidoirie, que le tribunal a estimés recevables ?
Le tribunal applique la loi en rappelant qu’un propos ne peut pas être diffamatoire s’il est émis de bonne foi. Un propos est de bonne foi s’il intervient dans le cadre d’un débat d’intérêt général et si celui qui l’émet dispose d’une base factuelle suffisante. La notoriété de la personne visée est aussi un argument crucial pour trancher si c’est la liberté d’expression qui doit être protégée (article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme) ou le droit à la réputation (article 8 CEDH).
En l’espèce, les opinions de l’OEUF ou de Fadila Maaroufi à titre personnel s’appuient sur suffisamment de faits probants et interviennent dans le contexte d’un débat d’intérêt général, l’islamisme. Les jugements de valeur (les opinions) contrairement aux jugements de fait ne doivent pas être factuellement exacts. La notoriété et son exposition médiatique de Farida Tahar l’obligent à tolérer plus largement les remarques publiques qui la concernent. En outre, le tribunal fait remarquer à juste titre que la réputation de Farida Tahar n’a pas été « sérieusement écornée ». Dès lors, sanctionner l’OEUF porterait une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression.
La juge confirme l’analyse faite dans un premier jugement, rendu par elle-même, début de l’année, le 17 janvier 2024, qui opposaient l’OEUF et Fadila Maaroufi à Ibrahim Ouassari.
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