André Peyronie livre un « portrait de l’artiste en jeune homme » passionnant et cursif. Une découverte.
Il y a deux catégories de lecteurs (voire de lectrices) destinataires de la somme impeccable qu’André Peyronie, maître de conférences honoraire en Littérature Générale et Comparée à l’université de Nantes, consacre au jeune homme Umberto Eco (de sa naissance 1932 à son éclosion publique au début des années 60).
Ceux qui le détestent, ont leur idée reçue, « petite idée » comme chacun sait, à son propos – ceux-là découvriront un Ogre certes, mais d’une activité, d’une intelligence, d’une fécondité qui laissent pantois.
Et ceux qu’il intéresse, voire qui l’apprécient beaucoup (y compris le romancier parfois un peu « roboratif », voire indigeste) – que Peyronie, avec une intelligence critique et un savoir sans limite, restitue dans chaque étape (surtout les 3 premières) de sa jeune vie : enfance-adolescence (1932-1950) ; études et travail à la RAI (1950-1959) ; « éditeur » chez Bompiani, collaboration à de nombreuses revues (La NRF et Tel Quel en France), premiers livres, père de famille (1959-1962)).
Le titre – « Portrait d’Umberto Eco en jeune homme » – est bien sûr un clin d’œil à Joyce, cœur du livre (d’Eco) qui le fera définitivement sortir du cénacle universitaire, parfois confiné : cela s’appelait L’Oeuvre ouverte (1962) – Joyce en occupait la place centrale.
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Par ce livre, acte stratégique, Eco devenait « Umberto Eco », le personnage et le phénomène étaient nés – entérinés, à un tout autre niveau (ou dimension), en 1982, par le succès mondial du Nom de la rose. Anecdote : lassé qu’on lui pose la question du titre (« Pourquoi avez-vous choisi Le Nom de la rose ? »), Eco répond : « Parce que Pinocchio était déjà sous copyright. »
Peyronie, qui prend son temps – 500 pages – sans jamais le perdre (aucune ne pèse) – précise sa démarche : « éclairer le passé par le futur, mais aussi le futur par le passé ». Les années qu’il retrace, années de formation d’Eco, sont constamment éclairées par des perspectives « prospectives » : ce que le passé est devenu dans les livres futurs d’Eco. D’où le sous-titre du livre « Essai de biographie prospective » – ou comment la jeunesse d’Umberto fabrique la genèse d’Umberto Eco, illustration du vers rebattu de Wordsworth : « L’enfant est le père de l’homme ».
À la fin de sa vie (2016), Eco, dont le besoin de reconnaissance inextinguible semblait en partie comblé (42 doctorats honoris causa), apprit, par la lettre d’un chercheur au Vatican, l’origine de son nom : les religieux, dans le cas des enfants trouvés (celui du grand-père d’Eco) avaient l’habitude ancienne de donner au nouveau-né un nom, à partir des premières lettres d’une expression latine : « Ex Coelis Oblatus » (Apporté-Offert par le ciel), abrégé en ECO. CQFD.
Portrait d’Umberto Eco en jeune homme – 1932-1962, d’André Peyronie, Presses Universitaires de Rennes, 512 p.
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