Il fait chaud, très chaud en ce début de mois d’août. Comme diraient les météorologues pérorant sur fond vert, « l’épisode caniculaire que nous traversons » n’incite guère à la réflexion, plutôt à la rétrospective. S’il y a un fait à retenir de cette année désormais bien entamée, ce n’est pas l’introuvable reprise économique, les naissances ou les abdications royales, le coup d’Etat démocratique égyptien ou les assassinats politiques en Tunisie. Si je prends la plume après deux semaines de goberge moscovite, c’est qu’un mythe se meurt : Fred Perry. Après l’affaire Méric, le grand public sait que les fans de la marque à couronne de lauriers se castagnent lors de ventes privées, lors même que leur anticapitalisme et leur « véganisme » devraient les réunir. Depuis, la marque si prisée par les skins et les antifas clame urbi et orbi qu’elle rejette la violence et exhibe fièrement ses modèles fluos qui font fureur dans le Marais, lequel quartier abrite d’ailleurs le magasin parisien de l’enseigne, sis rue des Rosiers.
Comme un malheur n’arrive jamais seul, l’homme qui a donné son nom aux polos, t-shirts, sacs de sport et autres colifichets so fashion s’est vu dépouiller de ses lauriers par un tennisman à peine sorti de l’œuf. À vingt-cinq ans, déjouant le mistigri qui collait aux basques de son compatriote Tim Henman, Andy Murray a remporté le tournoi simple Messieurs de Wimbledon, enterrant le titre de gloire de son dernier prédécesseur britannique, un certain Fred Perry, vainqueur en 1936.
Cela dit, rien n’est tout à fait perdu : Andy n’est pas seulement sujet de sa Majesté, il est aussi Ecossais. Pour peu que ces producteurs de pétrole et de pur malt scissionnent du royaume, feu Fred Perry retrouvera peu ou prou son titre de dernier authentique Britannique couronné. Mais sera-ce une bonne nouvelle ?
2013 : annus horribilis pour Fred Perry
Communisme : bilan globalement logique
C’est un sujet récurrent : à chaque fois que quelqu’un évoque les « 100 millions de morts du communisme », on assiste à une levée de drapeaux rouges qui ne contestent pas seulement ce chiffrage macabre mais, plus fondamentalement, le fait même que le communisme soit en cause. Le communisme, nous disent des Gérard Filoche ou des Jérôme Leroy, n’a jamais existé : comment pourrait-il être responsable de ce dont on l’accuse ?
Et bien ils ont raison.
Le communisme, au sens marxiste – et donc canonique – du terme, c’est une société où les classes sociales ont été abolies, une société débarrassée de la propriété privée des moyens de production mais aussi une société sans État. Le communisme, c’est une forme d’anarchisme et vous conviendrez avec moi que des régimes comme celui de l’ex-URSS, de la Chine maoïste ou de l’actuelle Corée du nord ne cadrent pas du tout avec cette définition.
Pour bien comprendre, il faut en revenir aux canons de l’historicisme et de la théorie économique marxiste[1. N’en déplaise à Karl, par « marxiste », j’entends ici « selon Marx ».]. Le système de domination capitaliste, qui fait suite à la société antique et au système féodal, est appelé à s’effondrer de lui-même, sous le poids de ses propres contradictions, et à céder le pas à la société communiste.
Pour faire court, le raisonnement de Marx est le suivant : la valeur de toute chose découlant du travail nécessaire à la produire[2. Théorie de la valeur-travail héritée des classiques anglais (Smith, Ricardo…) – c’est la pierre angulaire et le talon d’Achille de l’édifice marxiste.], il suit que, pour réaliser des profits (plus-values), les capitalistes spolient les prolétaires en les obligeant à réaliser un surtravail. D’où l’idée de l’exploitation des masses prolétariennes. Pour maintenir leurs profits, c’est-à-dire prévenir une hausse des salaires, les capitalistes sont contraints d’accroître constamment leur stock de capital constant (i.e. les machines) ce qui, toujours en vertu de la théorie de la valeur-travail, entraîne une baisse la valeur de la production et donc, la fameuse baisse tendancielle du taux de profit et donc, l’effondrement inévitable du système[3. Ce raisonnement étant contredit par les faits, les théoriciens postmarxistes ont expliqué la survie du capitalisme par toute une série de stratégies des capitalistes destinées à pérenniser le système – typiquement l’impérialisme.].
À la fin de l’histoire, tout le capital est concentré dans quelques mains tandis que l’immense majorité ne survit qu’avec le minimum vital : la révolution est donc une conséquence logique et inévitable du capitalisme. Toute la question est alors de savoir comment organiser la transition vers le communisme : abattre l’État bourgeois, c’est une chose ; provoquer l’avènement de l’Homme nouveau, débarrassé des réflexes capitalistes et bourgeois, c’en est une autre. Pour Marx et ses successeurs, il faut donc créer une phase transitoire, une dictature du prolétariat : un système dans lequel un État central fort organise la collectivisation des moyens de production et traque sans relâche les forces réactionnaires. Cette phase transitoire, en un mot, c’est le socialisme.
Le socialisme, dans l’esprit des communistes, c’est donc la phase inférieure du projet, une étape intermédiaire entre la révolution violente proprement dite et l’avènement du communisme ; une étape qui durera juste le temps nécessaire à « l’avant-garde des opprimés » pour « mater les oppresseurs » (Lénine). Au bout de quelques temps, 20 ou 30 ans selon Boukharine, les dernières traces du régime capitaliste auront disparu et cet État prolétarien, devenu obsolète et inutile, disparaîtra de lui-même. Ce sera alors la fin de l’histoire et l’avènement du communisme proprement dit. C’était l’idée.
Seulement voilà, cette dernière phase de dépérissement de l’État prolétarien n’a jamais eu lieu. Toutes les tentatives d’avènement du communisme se sont invariablement soldées par la sanctuarisation d’un État totalitaire où « l’avant-garde des opprimés » s’est muée en avant-garde des oppresseurs. Les Staline, les Mao, les Pol Pot et les autres n’étaient, manifestement, pas particulièrement pressés d’abandonner leurs prérogatives.
C’est en ce sens que nos communistes modernes ont raison : le communisme, à l’exception, peut-être, de quelques tribus isolées au fin fond de l’Amazonie, n’a jamais existé. Quel que soit le chiffrage que nous retenons pour évaluer l’ampleur des horreurs commises par les régimes totalitaires qui s’en sont réclamés, c’est le socialisme qui est coupable et pas le communisme[4. Toutes les tentatives d’instauration du communisme ont pris la forme d’un régime socialiste. En revanche, il est faux de dire que tous les régimes socialistes visaient à l’avènement du communisme.].
« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » écrivait Pascal. Malgré l’accumulation de preuves contraires, malgré les horreurs totalitaires du XXe siècle, nos communistes modernes continuent obstinément à professer leur foi inébranlable en cette vision messianique d’un socialisme vertueux. Après avoir encensé Staline et soutenu Mao sans réserve, les voilà qui dénoncent le stalinisme et le maoïsme comme autant de trahisons contre-révolutionnaires. Les échecs de toutes ces tentatives d’avènement du communisme, nous jurent-ils, sont le fait de quelques sociaux-traîtres : jusqu’ici ils n’ont pas eu de chance mais cette fois-ci, c’est sûr, ce sera la bonne.
Nous ne balaierons pas, chers lecteurs, cet argument d’un revers de main. Si le pouvoir corrompt, nous rappelle Montesquieu, le pouvoir absolu corrompt absolument et il y a sans doute une part de vrai dans la ligne de défense communiste. Sans doute, en effet, Staline a-t-il trahi les idéaux de sa jeunesse et il semble pour le moins raisonnable de penser que les dynasties des Kim nord-coréens n’ont jamais eu d’autre intention que de s’arroger le pouvoir absolu. À l’image d’O’Brien et du Parti Intérieur de George Orwell[5. 1984.], il est tout à fait possible – sinon probable – que les nomenklaturas aient finalement trouvé leurs situations bien confortables et qu’un consensus plus ou moins explicite les ait convaincues que le socialisme avait des avantages que le communisme n’aurait sans doute pas.
Mais ce que nos doux rêveurs évacuent bien vite, c’est l’échec factuel de ces phases de transition. Partout et toujours, la socialisation des moyens de production et la planification ont été des échecs retentissants qui n’ont dû leur longévité qu’à l’existence à leurs portes d’un monde capitaliste. Au-delà de la résistance au régime et des purges et autres déportations qui l’ont accompagné, le fait est qu’en l’absence de marchés, toutes ces tentatives de dépassement du modèle capitaliste ont été profondément dysfonctionnelles, causes de mécontentement et de frustration quand elles ne provoquaient tout simplement pas la mort des sujets de l’expérience.
Le fait est qu’à aucun moment, aucun de ces régimes transitoires n’aurait pu permettre à l’État de dépérir. Même avec la meilleure volonté du monde, il était impossible de se passer de l’appareil coercitif : il était la clé de voûte de tout l’édifice ; sans lui, sans la peur et sans la répression, les usines et les kolkhozes se seraient vidées instantanément. Quand, sept décennies après la révolution de 1917, Mikhaïl Gorbatchev lance sa perestroïka ce n’est pas tant l’absence de libertés politiques que le peuple soviétique reproche au système : c’est sa faillite économique, la faillite de la collectivisation. Soixante-dix ans plus tard, l’homme nouveau n’existait nulle part ailleurs que dans les phantasmes de quelques intellectuels.
Ne pas être communiste à vingt ans, dit-on, c’est n’avoir pas de cœur mais l’être encore à quarante ans, c’est n’avoir pas de tête. Ce n’est pas un hasard si quelques-uns des plus grands penseurs du libéralisme – Karl Popper, Jacques Marseille ou Thomas Sowell pour ne citer qu’eux – ont été, durant leur jeunesse, de fervents communistes : ils rêvaient, eux aussi, d’un monde meilleur, d’un monde de justice, de paix et de prospérité mais les années venant et les faits s’accumulant, ils ont compris que ce monde ne pouvait exister qu’avec les hommes ; les hommes tels qu’ils sont.
Alors non, ami communiste – puisque tu as sans doute compris que c’est à toi que ce message s’adresse – tu n’as pas le sang de 100 millions d’âmes sur les mains. Tu as rêvé d’un monde meilleur, tu as cru que le socialisme t’y mènerait et le socialisme, mille fois, t’as trahi. Était-ce prévisible ? Pour nous, libéraux, oui et sans aucun doute. Mais, après tout, peu importe : la question qui se pose à toi, maintenant que des faits aussi intangibles que les conséquences du Grand Bond en Avant, la terreur Khmer et le goulag s’imposent à toi, est de savoir si tu persisteras dans cette voie.
Penses-y à deux fois plutôt qu’une : es-tu vraiment prêt, sur la seule base de quelques théories vieilles de plus d’un siècle et mille fois contredites par les faits, à apporter ton soutien à une nouvelle expérience socialiste ? L’État omnipotent et donc le socialisme – qu’il soit de droite ou de gauche – n’est-il pas ton ennemi tout autant que le nôtre ? Ne vois-tu pas qu’entre ce monde que tu appelles de tes vœux et celui dont nous rêvons, il n’y a, finalement, presque rien ? Peux-tu réellement nier les fantastiques progrès réalisés par notre humanité depuis 300 ans et l’échec – que tu constates tous les jours – des prétentions collectivistes de ceux qui nous gouvernent ?
Penses-y et que ta conscience guide ta main.
*Photo : DR.
In Godwin we trust !
PATIENTS CONTRE MALADES
Mercredi 29 mai / – « Docteur, un chien m’est rentré dans l’œil !
– Est-ce qu’il est ressorti ? »
Christophe, l’inventeur de La Famille Fenouillard, du savant Cosinus et du sapeur Camember, avait visiblement un lourd passif avec les médecins. Il avait même, si j’osais, une dent particulière contre les dentistes, à en croire les aventures du redoutable Dr Max Hilaire, arracheur de dents même pas menteur.
Il faut dire à sa décharge que ce bon docteur sortait raide fou d’un asile où il avait été interné sain d’esprit… La médecine toujours, et psychiatrique en plus ! Plutôt un chien dans l’œil !
NAZIS CONTRE FASCISTES
Mardi 4 juin / Le quizz de Jean-Christophe Buisson :
« Qui a inventé les camps de concentration pour nazis ?
– Le chancelier « austrofasciste » Dollfuss, dès 1933. »
C’est ce qu’on apprend – ou que l’on se remémore, pour les plus cultivés d’entre nous – entre mille autres anecdotes savoureuses ou sanglantes, dans Assassinés, le dernier livre de Jean-Christophe Buisson. L’auteur y raconte la fin tragique de quinze hommes d’État zigouillés dans l’exercice de leurs fonctions, et souvent pour de mauvaises raisons, de César à Ceausescu en passant par Henri III et Nicolas II.
Des quinze, Dollfuss est sans doute le moins célèbre, malgré ou à cause de l’originalité de son histoire. Le combat fachos-nazis n’entre pas vraiment dans les grilles de lecture contemporaines ; il n’en fut pas moins réel, et parfois mortel.
Sitôt le chancelier Hitler arrivé au pouvoir en Allemagne, son alter ego autrichien s’allie à Mussolini pour contrer les projets d’Anschluss du Führer – qui figuraient déjà dans ses « 30 engagements » de novembre 1932.
En politique intérieure, Dollfuss ne se montre guère plus conciliant : dès juin 1933, il dissout le parti nazi local et, pour faire bonne mesure, expédie dans des camps de concentration 5000 de ses membres.
Eh bien apparemment, ça n’est pas encore suffisant ! Un an plus tard, un putsch « austronazi » échoue de justesse et Dollfuss y trouve la mort – dans des circonstances dramatiques dont je ne peux rien révéler. L’ami Buisson vous les contera bien mieux que moi.
HITLER, MAL ÉLEVÉ
Mercredi 5 juin / En relisant mes notes d’hier, je me dis : quand même, cette Seconde Guerre mondiale, on ne l’a pas volée !
Jusqu’en 1936-1937 au moins, nous autres les démocraties avions les moyens de ramener à la raison le Führer, qui n’était pas encore devenu complètement fou.
Comment je le sais ? Mais parce que le 7 mars 1936, quand il a remilitarisé la Rhénanie, il avait donné ordre à ses troupes de se replier aussitôt si l’armée française bougeait le petit doigt.
Mais pensez donc ! Elle avait la tête ailleurs, la France, en plein week-end et à six semaines d’élections historiques qui allaient porter au pouvoir le Front populaire.
Tenir jusque-là était bien légitimement l’unique souci du gouvernement intérimaire Sarrault-Flandin. Dans ces conditions, pas question pour lui de se lancer dans une guerre, ni dans une mobilisation générale, ou même partielle.
L’état d’esprit pacifiste qui prévaut alors dans l’opinion est bien résumé par le Canard, qui s’amuse de ce non-événement dans les deux encadrés rouges de sa « une » – qu’on appelait ses « oreilles » : « Scandale en Rhénanie… » annonce la première ; « … L’Allemagne envahit l’Allemagne ! » rigole l’autre. Goebbels n’aurait pas trouvé mieux.[access capability= »lire_inedits »]
Quant à Hitler, apprenant le succès de l’opération, il bondit de joie : « Nous sommes vraiment des aventuriers ! » De fait, l’ « aventure » ne fait que commencer… Le succès de son bluff gonfle l’hubris d’Adolf, et fragilise d’autant un « Surmoi » déjà faible de constitution.
Du coup, le « Ça » se transforme en loup et, à partir de 1938, ses pulsions carnassières vont franchir les bornes du simple pangermanisme pour s’étendre à un « espace vital » illimité. Anschluss, Sudètes, interlude comique de Munich, Bohême-Moravie : la tournée 1938-1939 est triomphale, à tel point que Hitler envisage une date supplémentaire à Dantzig.
Mais pour avoir son morceau de Pologne saignante, le loup se sent obligé de pactiser avec l’ours. Ultime preuve de lucidité ? Pas vraiment : la peau de l’URSS est déjà en vente pour après…
Sans doute est-ce à ce moment-là que le Führer a définitivement pété les plombs sur l’air de I Am The World, n’écoutant plus que sa Volonté de puissance intérieure. « Les autres ? Des sous-hommes ! Ne se sont-ils pas couchés dix fois devant moi ? Staline, c’est différent : un adversaire de taille, certes, mais à ma mesure, et le seul ! »
La pire folie du Führer, comme dirait Jerry Lewis, c’est d’avoir cru pouvoir « boucler le dossier URSS » entre juin et le déjà fameux hiver russe… En revanche, son incrédulité concernant l’ouverture d’un deuxième front à l’Ouest s’explique.
Face à ses provocations de plus en plus grossières, nos démocraties n’ont jamais réagi que par des discours, motions et autres cours d’aérobic. Soudain, voilà que la France et la Grande-Bretagne décident d’honorer leurs engagements internationaux, et en l’occurrence leur traité d’alliance avec la Pologne. Comment Hitler aurait-il pu prévoir ça ?
Notez bien que je ne le défends pas ! Je suggère juste, comme la plupart des autres historiens sérieux, que nos démocraties ont une lourde part de responsabilité dans la montée de l’hystérie nazie.
Si Hitler, tellement précautionneux au début, a fini par nous compter pour du beurre, c’est qu’il avait mis les doigts dedans sans être réprimandé de 1933 à 1939, quand il n’était encore que petit chancelier. C’est bien connu : « Tout se joue avant six ans » !
ON L’APPELAIT « POULOU »
Vendredi 7 juin / À l’occasion de la Journée spéciale qui lui est consacrée sur France Culture, on en apprend de belles sur l’enfance d’un Sartre ! Avant de se décider à faire penseur, le jeune Jean-Paul avait rêvé d’une tout autre carrière : acteur, chanteur ou comique…
Le mieux, c’est que ça a failli marcher ! Sous le nom de scène de « Poulou », et avec pour agent Paul Nizan s’il vous plaît, il avait commencé à se produire ici et là, et notamment lors de la Revue des élèves de l’ENS – où dans le rôle du directeur, M. Lançon, il fit, paraît-il, un triomphe. « Sartre aurait voulu être Maurice Chevalier ou Chaplin », résume France Culture. De fait, c’eût été préférable pour tout le monde.
ÉCOLE BUISSONNIÈRE
Samedi 15 juin / Après Jean-Christophe Buisson, venons-en par ordre alphabétique à Patrick, qui donnait l’autre week-end une longue et intéressante interview au Monde (daté du 9/10 juin).
Ce qu’il y a de sympa avec l’« école buissonnière », c’est qu’elle tient pour nul et non avenu le magistère moral exercé par le camp du Progrès – qui n’a pas commencé à nous gouverner en 2012.
« La véritable tradition est critique », comme disait Maurras ; et Baudelaire réclamait déjà, en addendum aux Droits de l’homme, « le droit de se contredire et le droit de s’en aller ».
Une telle évasion pourrait bien mener, par des sentiers côtiers peu fréquentés, vers d’étonnants belvédères. Et tant pis pour les autres, s’ils préfèrent continuer d’ânonner en chœur une Vérité qui n’est que mensonge, et de haïr en cadence un Goldstein qui n’est autre qu’eux-mêmes.
Plutôt prendre l’air avec Buisson ! Mais pourquoi faut-il qu’à tous les croisements, à tout prix, il veuille nous ramener vers Sarkozy, le sens unique, « l’ultime recours » ?
Moi je veux bien, mais recours contre quoi, et au nom de quoi ? Et puis, comment dissiper cette tenace impression de déjà-vu ? Si vraiment il s’agit, par un habile détour, de nous ramener en classe pour redoubler le quinquennat précédent, je préfère garder la chambre.
Reste que Buisson n’est pas un vulgaire communicant à Rolex. Entre deux figures imposées, il trouve le temps de citer Mark Twain : « Les gens de gauche inventent des idées nouvelles ; quand elles sont usées, la droite les adopte. »
La différence entre eux, je suppose, c’est que Twain ne bossait pas pour Sarko. Quant à Buisson, j’imagine, c’est par tempérament qu’il a choisi l’influence plutôt que le pouvoir. Mais quelle influence, au juste, si « son » Président ne fait appel à lui qu’au moment des échéances électorales ?
Elles sont nombreuses, vous me direz. Mais entretemps, il s’agit quand même de gouverner ! Et accessoirement, si l’on aspire à être réélu, de faire au moins un peu de ce que l’on a promis, et peut-être même un doigt de ce qu’on a laissé entendre – que ce soit sur la « racaille », la croissance ou la finance.
J’ignore si François Hollande a un Père Joseph. En ce qui concerne le duo Sarkozy-Buisson, s’il ne fonctionne pas, c’est qu’il n’a pas la complémentarité d’un couple à la Mitterrand-Séguéla.
Au-delà des questions de personnes, c’est l’époque qui veut ça. Le politique suppose le vrai pouvoir, c’est-à-dire la souveraineté. Lorsque celle-ci s’effiloche un peu trop visiblement, pas étonnant que la politique prenne le dessus, réduite à son simple appareil de querelles d’égos, d’« éléments de langage » et de rubriques people.
Désormais les « communicants » sont chargés aussi du fond, que d’ailleurs les politiciens confondent avec la forme. On est mal pris.[/access]
* Photo : Engelbert Dollfuss en 1933, Wikimedia commons.
Bernadette Lafont : Il ne faut pas mourir en plein été
C’était une fille superbe, une fille gironde, et malicieuse. Dans ses yeux, brillait l’ironie rehaussée de gourmandise de ces cousines de la campagne, qui rapportent aux petits garçons des villes, avec force détails, ce que le taureau fait à la vache, puis les entraînent derrière la grange pour jouer au docteur… Bernadette Lafont est morte le 25 juillet. On ne demandait pas que le monde s’arrêtât, ni que les socialistes de pouvoir devinssent modestes et compétents, mais on aurait souhaité un hommage de sympathie[1. À France culture, par exemple.] à cette comédienne délicieuse, qui voulut très tôt avoir sa photographie dans Paris Match, afin que son père, qu’elle adorait, et qui vouait un culte aux célébrités, pût l’afficher fièrement dans la pharmacie familiale. Inutile d’énumérer la liste de ses films : son talent, s’il servit parfaitement la « Nouvelle vague », la rendait apte à jouer tous les rôles. Son dernier film, Paulette, où elle est adorablement déraisonnable, avait rencontré un grand succès. Mais, de la grande famille si unie du cinéma, on les compta sur les doigts de la main, les membres qui vinrent la saluer une dernière fois, à Saint-André-de-Valborgne (Gard), où eurent lieu ses obsèques. Jean-Pierre Mocky, qui était présent, s’attrista et s’irrita de cette désertion : « Même si Bernadette était quelqu’un de solitaire et indépendant, le cinéma devait être là […] Or, l’équipe de son dernier succès n’est même pas venue. […] Décidément, il ne faut pas mourir en juillet ! » (propos rapportés par Le Midi Libre).
Ce dernier salut d’un corsaire à la « fiancée du pirate »[2. La fiancée du pirate, de Nelly Kaplan, où Bernadette consomme une vengeance très froide (1969).], sauve l’honneur de la profession.
Vive le Pape François…
Je ne sais pas ce qui m’arrive, moi le communiste, moi qu’André Sénik voit avec des tee-shirts nord-coréens sous mes chemises Brooks et des bustes de Staline près de mes Pléiade de Céline, mais voilà que j’aime de plus en plus les papes. Les deux derniers notamment.
Jean-Paul II, bon, on a vite vu qu’il était missionné par Dieu pour en finir avec le bloc de l’Est et qu’il y a remarquablement réussi. Il a rendu un grand service : grâce à lui, plus ça va aller, plus ce qu’Alain Badiou appelle l’hypothèse communiste retrouvera une nouvelle actualité, un peu partout et notamment dans la jeunesse. Mais, comme disait l’autre, chacun sait que « le communisme est la jeunesse du monde. »
Jean-Paul II, comme en atteste quelques unes de ses encycliques, avait également prévu, sans doute dans un second temps, de se retourner contre la mondialisation qui a mis l’homme au service de l’économie et non l’économie au service de l’homme, mais le temps lui a manqué.
Il n’empêche que dans ce monde paradisiaque du capitalisme financiarisé que me laisse, à moi et aux générations futures, dans son immense bonté, André Sénik comme horizon indépassable, à part les communistes et l’Eglise, il n’ y a plus grand monde pour critiquer. Comme les communistes sont encore pour la génération de monsieur Sénik des genres de négationnistes qui ne valent pas mieux que les nazis et qui bénéficient inexplicablement de la loi Gayssot (en même temps Gayssot était communiste, tout s’explique…), il ne reste plus que l’Eglise catholique et romaine pour demander qu’une certaine dignité de l’homme soit respectée dans le travail et que cela ne signifie pas forcément les prodromes de nouveaux goulags.
Benoit XVI, par exemple, avait été très clair dans son encyclique Caritas in veritate : « Là, les politiques d’équilibre budgétaire, avec des coupes dans les dépenses sociales, souvent recommandées par les Institutions financières internationales, peuvent laisser les citoyens désarmés face aux risques nouveaux et anciens. Une telle impuissance est accentuée par le manque de protection efficace de la part des associations de travailleurs. L’ensemble des changements sociaux et économiques font que les organisations syndicales éprouvent de plus grandes difficultés à remplir leur rôle de représentation des intérêts des travailleurs, encore accentuées par le fait que les gouvernements, pour des raisons d’utilité économique, posent souvent des limites à la liberté syndicale ou à la capacité de négociation des syndicats eux-mêmes. »
Oui, Benoit XVI, pas le dernier discours de Pierre Laurent à la Fête de l’Huma. Heureusement, d’ailleurs, car si c’était un communiste qui avait écrit cela, il se serait évidemment attiré les foudres des anciens staliniens devenus néoconservateurs et wilsoniens bottés, ces Pangloss qui ont décidé de faire payer leurs erreurs en trouvant inattaquable, splendide et adorable notre monde tel qu’il ne va pourtant pas très bien.
Et puis le Pape François, maintenant. Et ces JMJ brésiliennes qui sont un immense succès. Le hasard a fait que le 17 juillet, dans le TGV Lille Roissy, j’ai eu pour voisin un tout jeune homme, très grand et très rond, éminemment sympathique. Il partait au Brésil. Il y avait dans sa voix de la fierté et de l’enthousiasme. Il parlait de fraternité, d’amour, avec une innocence et une sincérité qui m’ont rappelé mes camarades des JC. J’avais du mal à imaginer, si ça se trouve, qu’il avait manifesté contre le mariage pour tous quelques semaines plus tôt. J’avais tout de même l’impression que ses préoccupations étaient ailleurs, qu’il devait trouver plus exaltant l’internationalisme de la Foi sur la plage de Copacabana que le défilé franco-français d’une droite qui n’a rien digéré depuis 89. En tout cas, le garçon en question, il avait un idéal : la preuve il n’avait pas d’Ipad. Seulement la Bible et Lonely Planet qui dans un cas comme dans l’autres sont deux excellents guides.
Et c’est à ce garçon que j’ai pensé quand j’ai entendu parler le pape François, le dernier jour, à lui mais aussi à mes camarades et puis à tous les Indignés de ce monde car il me semble qu’avoir la Foi, comme l’avait ce jeune homme, c’est d’abord une indignation en même temps qu’une profonde espérance. Ce pape jésuite (ah les jésuites du Paraguay et leur Missions indiennes, expérience communiste attaquée par les esclavagistes portugais) a conclu : « Je vous demande d’être révolutionnaires, d’aller à contre-courant ; oui, en cela je vous demande de vous révolter contre cette culture du provisoire, qui, au fond, croit que vous n’êtes pas en mesure d’assumer vos responsabilités, que vous n’êtes pas capables d’aimer vraiment… »
« Je vous demande d’être révolutionnaires »… En ce qui me concerne, Pape François, pas de problème…
*Photo: Catholic church, England
My globish is rich
La dénonciation du « globish » − petit nom du global english, autrefois connu sous le patronyme plus neutre de basic english ou sous celui, moins amène, de broken english − semble être, avec celle des biberons au bisphénol ou du dopage sur le Tour, l’un de nos trop rares objets de consensus franco-français.
L’unanimité est souvent mauvaise conseillère. Je ne défendrai évidemment pas la loi Fioraso et ses perspectives grotesques de facs anglicisées. Mais dans la vie extra-universitaire (si, si, ça existe !), non seulement le globish est utile, mais il devrait être obligatoire. Eh oui, amis puristes, il est utile, le cas échéant, de pouvoir trouver le baggage claim de l’aéroport d’Oulan-Bator sans risquer de se retrouver dans les lavabos des hôtesses – quoique.
J’aggraverai mon cas en suggérant, au nom de la courtoisie française, que l’enseignement de l’anglais minimaliste devrait être obligatoire pour tous nos concitoyens, ne serait-ce que pour être à même de renseigner un étranger égaré – lesquels, il faut s’y résoudre, ne sont pas titulaires de l’agrégation de lettres classiques.
Comme je ne suis pas payé au mot, je ne vous déroulerai pas ici la liste des occurrences où ce baragouin rudimentaire peut rendre de vrais services. D’autant que j’entends déjà le chœur des puceaux effarouchés me reprocher d’échanger la France éternelle contre un plat de lentilles, ou plutôt un bol de chili con carne : en choisissant de privilégier un avatar de la langue de l’« Empire », je consolide de fait la domination de celui-ci.[access capability= »lire_inedits »]
Ainsi, pour Bernard Cassen, fondateur d’Attac, cité par Wikipedia dans son excellent article sur « l’impérialisme linguistique », la messe est dite : « La puissance impériale américaine ne repose pas seulement sur des facteurs matériels (capacités militaires et scientifiques, production de biens et de services, contrôle des flux énergétiques et monétaires, etc.) : elle incorpore aussi et surtout la maîtrise des esprits, donc des référents et signes culturels, et tout particulièrement des signes linguistiques. »
C’est écrit au fer à repasser, mais ce n’est pas tout à fait faux : qui niera que les Américains se félicitent de cette prévalence de l’anglais ? Sauf que nos alterlinguistes surconscientisés ne nous suggèrent jamais de solution pratique pour partir en voyage ailleurs que chez soi. On fait comment, dans la vraie vie, doc ? Hélas, le bon sens étant le cache-sexe du totalitarisme, ce rappel au réel n’empêchera pas Cassen ou ses clones de droite de nous mettre en garde contre toute concession à l’impérialisme culturel US.
Sache-le, ami dragueur de terrasse, quand tu susurres à l’oreille d’une accorte Lettonne: « Do you want to drink a beer with me ? », c’est Che Guevara que tu rassassines.[/access]
*Photo : Les gendarmes à New-York
Mick Farren : mort d’un déviant
Il y a quelques jours on parlait beaucoup, jusqu’au Figaro, du décès du guitariste J. J. Cale, qui fut à la guitare rock ce que le tranxène est aux amphétamines. Vu le malentendu, on ne risque donc pas trop de vous rebattre les oreilles avec le décès du journaliste, auteur et chanteur britannique Mick Farren, survenu le 27 juillet. Moi j’ai appris la nouvelle par la liste de discussion «leftists trainspotters», aimable espace de diffusion d’informations sur les milieux obscurs de l’ultra-gauche internationale.
Figure centrale de ce qu’on appelait jadis la «contre-culture» Mick Farren s’est en effet trouvé à l’intersection de ses dimensions les plus radicales sur les plans musicaux, littéraires mais aussi politiques.
Même au moment du «Summer Of Love» il n’y avait pas de «flower power» pour Mick Farren. Personne n’aurait pu être aussi éloigné du stéréotype du hippie indolent. Farren représentait l’aile militante du mouvement, une tornade d’activité, un chaudron bouillonnant d’idées. Dont certaines fonctionnèrent même, comme le lancement du magazine underground bimensuel International Times (IT) auquel il participa avant d’en devenir plus tard le rédacteur en chef.
Mick Farren fonda le groupe psychédélique The Deviants, aussi déjanté et éloigné du succès commercial qu’appelé à devenir une référence pour toute la vague punk. Comme il se doit, les Deviants furent découverts par le disc-jockey John Peel, alors une des vedettes de Radio London, une station pirate offshore. Composé de Farren (piano et chant), Sid Bishop (guitare et sitar) et Russ Hunter (batterie) le groupe enregistra trois albums entre 1967 et 1969, dont l’incomparable «Ptoof» aux sonorités avant-gardistes et à la pochette pop-art.
Farren poursuivit ensuite en solo avec un album sorti en 1970 : Mona – the Carnivorous Circus. Ce disque synthétise dans un joyeux bordel toute l’approche culturelle de Mick Farren : reprises de Bo Diddley et Eddie Cochran, collages sonores, interview de Hell’s Angels, déclarations politiques enflammées. Avec son complice Steve Peregrin Took (ex-Tyranausaurus Rex) il participa ensuite à la fondation des Pink Faries.
Farren arrêta ensuite de placer la musique au centre de son activité pour se concentrer sur l’écriture et l’agitation tous azimuts : organisation de concerts, de manifestations gauchistes (en général quand il n’était pas sur scène il se débrouillait pour y monter quand même pour se livrer à des appels à la révolution). En 1971 il co-édita le journal de bande dessinée Nasty Tales qui fut poursuivi par la justice pour «obscénité».
À la même période il tenta de lancer une branche britannique des White Panthers, mouvement fondé à l’instigation des Black Panthers pour organiser la jeunesse radicale blanche. Le (futur) trotskyste Andrew Coates raconte comment, se rendant au bureau du parti à Covent Garden pour adhérer, il n’obtint de cette joyeuse bande qu’une poignée de badges.
Personnage haut en couleurs, plein d’humour, Mick Farren avait un look de «dandy biker» et en particulier une coupe de cheveu «afro» et d’éternelles lunettes noires. Un style ressemblant à celui de Rob Tyner, chanteur du MC5 et qui a visiblement été l’inspiration de l’humoriste Strutter.
Avec l’effondrement de la presse underground, il devint évident qu’il se devait de poursuivre son action sous des formes nouvelles. Ce fut en rejoignant l’équipe de l’hebdo New Musical Express avec ses amis Charles Shaar Murray et Nick Kent.
À la fin des années 1970 Mick Farren revint à la musique avec la réalisation de deux 45 tours et de l’album Vampires Stole My Lunch. On note parmi les musiciens Marky Bell (futur Ramones), Chrissie Hynde (alors journaliste au New Musical Express, future Pretenders) et Wilko Johnson (Dr Feelgood).
Farren écrivit régulièrement des paroles de chansons pour la «Lemmy connection» : Hawkwind, Pink Fairies, Larry Wallis et même Motörhead.
Puis vint un long exil américain, de Manhattan à Los Angeles, ponctué de brefs séjours londoniens. Ses nombreux problèmes de santé le contraignirent à revenir définitivement en Grande Bretagne, le système de santé américain ne lui permettant pas d’accéder aux traitements dont il avait besoin.
Il finit par remonter les Deviants, il y a deux ans. Comme les plus grands artistes, Mick Farren est mort sur scène, lors d’un concert des Deviants. La salle s’appelle le Borderline. What else ?
Brésil : « Passer d’une démocratie formelle à une démocratie réelle »
Propos recueillis à Rio de Janeiro par David di Nota, Juin 2013.
Gouverner, disait Freud, est impossible. Mais l’impossible est une modalité de la créativité politique.
La contestation contre la classe politique possède, au Brésil, une longue histoire. En quoi ces manifestations sont-elles spécifiques ?
L’enjeu des manifestations des années 60 était tourné vers le rétablissement du régime démocratique. Celui des années 80, à travers le mouvement « Direitas jà », vers la consolidation immédiate et effective de ses droits. Nous avons traversé ensuite vingt années de léthargie. Devant ce silence assourdissant, une idée s’est progressivement installée : la jeunesse est complètement dépolitisée, elle ne veut rien savoir de ceux qui la représentent.
C’est ce cliché que les manifestants sont venus rompre de manière éclatante ?
Oui. La première caractéristique de ce mouvement est son caractère multiracial, trans-générationnel, a-partisan. C’est une manifestation placée sous le signe de la multitude, pour parler comme Negri. Mais l’absence de mot d’ordre ou de leader est une force, non une faiblesse. Toutes les manifestations convergent vers un objectif clair.
C’est-à-dire ?
La pointe est dirigée vers une critique de la représentation politique. Cette critique s’effectue sur deux axes : l’aliénation partisane des gouvernants, enferrés dans des négociations qui sont à mille lieux de la vie des gens. Et une critique non moins radicale de la corruption.
Parlons des fameux vingt centimes – cette augmentation tarifaire du transport en commun qui a déclenché les évènements. Si ces vingt centimes valent beaucoup plus, s’ils possèdent possède une portée symbolique, c’est parce qu’ils renvoient au système de cette corruption elle-même.
Les compagnies de bus sont, au Brésil, fondées sur un système de concession : des compagnies privées exploitent pendant x temps un service au sein de la ville. On ne comprendra pas à la valeur symbolique de ces fameux vingt centimes si l’on ne voit pas que ces compagnies privées financent les campagnes politiques. Non seulement ce service est d’une qualité déplorable, mais il touche au financement des campagnes. Voilà pourquoi l’augmentation du prix du billet est perçue comme intolérable.
Certains commentateurs sont frappés par l’étrange unité des manifestants, une unité sans représentants. Il s’agit moins de constituer la société civile que de reconstituer la classe politique ?
Effectivement. C’est contre la société politique, au sens organisationnel du terme, que le désir, si je puis dire, est tourné. L’enjeu n’est plus de passer d’un régime à un autre, mais de passer d’une démocratie formelle à une démocratie réelle.
Quelle réaction cette protestation massive et complètement imprévue a-t-elle suscité chez les gouvernants ?
La classe politique a opposé deux réactions, à mon avis inadéquates, à cette insurrection de niveau national. Pour moi qui ai participé aux manifestations des années 60, une évidence s’impose : le démontage de l’appareil répressif ne s’est toujours pas effectué. Il y a une sophistication des moyens dans la neutralisation des manifestants, sophistication d’autant plus éclatante et injustifiée que le mouvement est très majoritairement pacifique. Les manifestants se sont eux-mêmes chargés de chasser les casseurs des manifestations. Alors pourquoi les réprimer ? A cela s’ajoute une résistance juridique.
Sur quel point porte cette résistance ?
Tout l’enjeu consiste à savoir si nous devons organiser un plébiscite, ou un référendum. Un plébiscite repose sur une consultation populaire : des questions fondamentales, touchant aussi bien le financement des campagnes que des modalités de la représentation, sont adressées au peuple. Le peuple vote. Le référendum laisse au Congrès tout à la fois l’initiative des propositions, et le vote final. Le plébiscite n’intéresse pas les parlementaires. Le référendum n’intéresse pas les manifestants. Cette neutralisation de l’intérieur, ce « coup » du Congrès, voilà ce qu’il s’agit d’éviter. De même que le mouvement entend couper la boucle qui mène des vingt centimes au financement des politiciens, il s’agit de remettre en question cette représentation cousue de fil blanc.
Mais aussi d’inventer un espace hors représentation ?
En un sens, oui. Les deux mouvements (critique de la représentation, création d’un espace sans représentants) se renforcent l’un l’autre, et c’est pourquoi l’absence de leader est une bonne chose et ne m’effraie pas. La créativité, le plus beau nom que l’on puisse donner au désir démocratique, est à ce prix.
Droit de réponse du SNJ
Dans un article de Causeur, paru en juin 2013 dans l’édition papier (p. 39), et sur le site internet, intitulé « Le droit des plus forts », Elisabeth Lévy écrit que le journaliste Marc Mennessier (Le Figaro), poursuivi en 2001 pour « diffusion de fausse nouvelle de nature à troubler la paix civile » à la suite d’une enquête sur l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, qui « explora[it] la piste d’un éventuel attentat », « demanda au SNJ, dont il était adhérent, de l’assister dans la procédure, ce qui lui fut refusé »
C’est totalement faux : le SNJ a soutenu et assisté Marc Mennessier, au nom de la liberté de la presse. Le SNJ tient à disposition (snj@snj.fr) la double page qu’il a alors publiée dans son organe national, Le Journaliste, n°265 (2° trim. 2002). On y trouve :
– Une défense de la présomption d’innocence
– Un éclairage juridique, estimant la procédure contre M. Mennessier « juridiquement contestable »
– Un texte d’une page de Maitre Christian Etelin, avocat de M. Mennessier, intitulé « hors vérité officielle, pas de journalisme ? »
– Des propos d’un animateur d’un collectif local, « Plus jamais ça », insistant sur la déontologie et la rigueur professionnelle des journalistes, dénonçant des « enquêtes » journalistiques qui se « contredisent » et/ou se « contentent de rapprochements hasardeux » : « Aucune personne physique ou morale ne peut être livrée en pâture à la vindicte populaire sans preuve ».
Le SNJ a aussi assisté concrètement son adhérent dans la procédure judiciaire, jusqu’à sa condamnation pour diffamation par le tribunal correctionnel de Toulouse le 27 juin 2002.
Rebelles avec une cause
Le hasard a voulu que la première manifestation d’hommage à Clément Méric, organisée le jour même de sa mort par les groupes « antifas », passe sous mes fenêtres. Une mort qui, malgré l’emphase des commentaires, apparaissait tellement stupide, tellement inutile. Tout cela était triste, et pis encore – dérisoire. La suite fut à l’avenant. On a tenté de faire passer une bagarre de rue qui avait mal tourné pour la défense de Madrid en 1936, comme si la réactivation des vieux réflexes et des mythologies d’antan allait suffire à rassembler une gauche politiquement à la dérive. Ces polémiques décourageantes ne m’ont pas franchement remonté le moral.Histoire de me remettre les idées en place, j’ai relu cette page des Mémoires de guerre où de Gaulle décrit son arrivée à Londres : « Je m’apparaissais à moi-même, seul et démuni de tout, comme un homme au bord d’un océan qu’il prétendrait franchir à la nage. »
Pour faire bonne mesure, je me suis aussi repassé la série documentaire Les Derniers Compagnons, réalisée en 2004 par Antoine Casubolo, et régulièrement rediffusée sur Toute l’Histoire. On y voit les ultimes survivants de ces 1038 « Compagnons de la Libération », tous nommés personnellement par de Gaulle. Au-delà de l’émotion et de l’admiration qu’on éprouve à entendre ces héros, une question revient, lancinante : comment ces garçons de 20 ans, de toutes origines sociales et politiques, ont-ils décidé de partir, sans consignes, sans armes, sans bagages et sans même savoir où aller, pour continuer le combat alors que tout était perdu et que les élites légitimes leur ordonnaient la soumission ?
Chacun d’eux donne son explication, très simplement. Tous évoquent la France, le caractère inacceptable de la défaite. La nature singulière de l’ennemi. Ils racontent le combat, la victoire, le difficile retour à la vie civile.
Je ne veux pas avoir l’air de prêcher pour ma paroisse, mais c’est un fait avéré : dans la sociologie particulière de cette étrange cohorte, les aristocrates étaient surreprésentés. En général, des cadets de famille. Ils eurent le taux de pertes le plus élevé. Normal. Maurice Halna du Fretay a été tué aux commandes de son avion lors du raid canadien sur Dieppe, en août 1942. Il avait rejoint la France Libre en novembre 1940, après avoir remonté pièce par pièce un vieux coucou qu’il avait réussi à faire à atterrir en terre anglaise. Interrogé sur son exploit, il fit cette réponse : « Je suis pauvre comme Job, je suis libre comme l’air. Je ne suis plus vaincu. »[access capability= »lire_inedits »]
À Londres, il y avait aussi beaucoup de Bretons, de ces marins têtus qui payèrent un si lourd tribut à la bataille de l’Atlantique. Des intellectuels, des enseignants, des étudiants. Peu de paysans et d’ouvriers, catégories assommées par la défaite et la destruction du Parti communiste. Ils se rattraperont.
Il y avait des juifs, aussi, comme Lazare Pytkowicz, « Petit Louis », entré en résistance à l’âge de 12 ans, lors de la manifestation du 11 novembre 1940. Il s’enfuit du Vel’ d’Hiv’ en juillet 1942, devint agent de liaison. Arrêté trois fois par la Gestapo, évadé trois fois. Il eut affaire à Klaus Barbie. Dans le film, on lui demande s’il a parlé sous la torture. « Non, jamais ! », répond-il en souriant. Avant de se reprendre, désarmant d’humilité : « Mais je n’ai pas subi le supplice de la baignoire. Seulement les coups. » Sa Croix de la Libération lui sera remise après la guerre, dans le bureau du proviseur où il est convoqué pendant la classe… Il a 16 ans.
Il y avait encore des ecclésiastiques, comme le truculent abbé de Naurois, antinazi farouche, Compagnon de la Libération et Juste parmi les nations, qui débarqua le 6 juin 1944 avec le commando Kieffer, armé de son seul missel. Et puis, bien sûr, l’extraordinaire Daniel Cordier, dont la voix se brise lorsqu’il raconte son arrivée, en juillet 1940, à l’Olympia Hall, où étaient dirigés la poignée de Français « qui ne s’étaient pas couchés devant l’ennemi ». Il fait nuit, toutes les lumières sont éteintes. Les fenêtres s’éclairent, les unes après les autres, et des voix se répondent, qui parlent du pays d’où on vient : Brest ! Concarneau ! Bayonne ! Rouen ! Paris ! Et la Marseillaise monte de toutes les poitrines. « La plus belle que j’ai jamais entendue. » On veut bien vous croire, Monsieur.
Il y avait, enfin, pas mal de militaires. Égaux à eux-mêmes. Leclerc, Koenig, Amilakvari, le prince géorgien, tant d’autres. J’ai une prédilection particulière pour Edgar de Larminat, que de Gaulle gratifiait d’une amitié « circonspecte » et dont je recommande la lecture des Chroniques irrévérencieuses particulièrement savoureuses.
Tous antifascistes. Tous. Sans oublier ceux pour qui le cri « No pasaran ! » parlait la langue maternelle, ces Espagnols de la « Retirada » ralliés à la France libre. Ils formèrent une compagnie glorieuse, la « Nueve », qui, en août 1944, entra la première dans Paris – comme si l’Histoire avait voulu racheter le sale tour qu’elle leur avait joué. Antifascistes eux aussi, des vrais, des rudes. À leur grand désespoir, après neuf ans de combat, ils ne purent pas rentrer dans leur patrie.
Il y a probablement plusieurs façons d’être antifasciste. Mais c’est une chose sérieuse. Ceux que l’on a salués ici l’ont été quand on en payait le prix dans sa chair. Pour eux, pour leur mémoire, nous n’avons pas le droit de galvauder les mots, de singer leur sacrifice, de manier les symboles avec désinvolture. Le « ventre » serait « encore fécond »…? N’oublions pas que nous sommes libres, y compris de proférer les pires âneries. Ecoutons bien, enfin, ce que nous enseigne leur combat : pour être antifasciste, il faut d’abord être patriote.[/access]
2013 : annus horribilis pour Fred Perry
Il fait chaud, très chaud en ce début de mois d’août. Comme diraient les météorologues pérorant sur fond vert, « l’épisode caniculaire que nous traversons » n’incite guère à la réflexion, plutôt à la rétrospective. S’il y a un fait à retenir de cette année désormais bien entamée, ce n’est pas l’introuvable reprise économique, les naissances ou les abdications royales, le coup d’Etat démocratique égyptien ou les assassinats politiques en Tunisie. Si je prends la plume après deux semaines de goberge moscovite, c’est qu’un mythe se meurt : Fred Perry. Après l’affaire Méric, le grand public sait que les fans de la marque à couronne de lauriers se castagnent lors de ventes privées, lors même que leur anticapitalisme et leur « véganisme » devraient les réunir. Depuis, la marque si prisée par les skins et les antifas clame urbi et orbi qu’elle rejette la violence et exhibe fièrement ses modèles fluos qui font fureur dans le Marais, lequel quartier abrite d’ailleurs le magasin parisien de l’enseigne, sis rue des Rosiers.
Comme un malheur n’arrive jamais seul, l’homme qui a donné son nom aux polos, t-shirts, sacs de sport et autres colifichets so fashion s’est vu dépouiller de ses lauriers par un tennisman à peine sorti de l’œuf. À vingt-cinq ans, déjouant le mistigri qui collait aux basques de son compatriote Tim Henman, Andy Murray a remporté le tournoi simple Messieurs de Wimbledon, enterrant le titre de gloire de son dernier prédécesseur britannique, un certain Fred Perry, vainqueur en 1936.
Cela dit, rien n’est tout à fait perdu : Andy n’est pas seulement sujet de sa Majesté, il est aussi Ecossais. Pour peu que ces producteurs de pétrole et de pur malt scissionnent du royaume, feu Fred Perry retrouvera peu ou prou son titre de dernier authentique Britannique couronné. Mais sera-ce une bonne nouvelle ?
Communisme : bilan globalement logique
C’est un sujet récurrent : à chaque fois que quelqu’un évoque les « 100 millions de morts du communisme », on assiste à une levée de drapeaux rouges qui ne contestent pas seulement ce chiffrage macabre mais, plus fondamentalement, le fait même que le communisme soit en cause. Le communisme, nous disent des Gérard Filoche ou des Jérôme Leroy, n’a jamais existé : comment pourrait-il être responsable de ce dont on l’accuse ?
Et bien ils ont raison.
Le communisme, au sens marxiste – et donc canonique – du terme, c’est une société où les classes sociales ont été abolies, une société débarrassée de la propriété privée des moyens de production mais aussi une société sans État. Le communisme, c’est une forme d’anarchisme et vous conviendrez avec moi que des régimes comme celui de l’ex-URSS, de la Chine maoïste ou de l’actuelle Corée du nord ne cadrent pas du tout avec cette définition.
Pour bien comprendre, il faut en revenir aux canons de l’historicisme et de la théorie économique marxiste[1. N’en déplaise à Karl, par « marxiste », j’entends ici « selon Marx ».]. Le système de domination capitaliste, qui fait suite à la société antique et au système féodal, est appelé à s’effondrer de lui-même, sous le poids de ses propres contradictions, et à céder le pas à la société communiste.
Pour faire court, le raisonnement de Marx est le suivant : la valeur de toute chose découlant du travail nécessaire à la produire[2. Théorie de la valeur-travail héritée des classiques anglais (Smith, Ricardo…) – c’est la pierre angulaire et le talon d’Achille de l’édifice marxiste.], il suit que, pour réaliser des profits (plus-values), les capitalistes spolient les prolétaires en les obligeant à réaliser un surtravail. D’où l’idée de l’exploitation des masses prolétariennes. Pour maintenir leurs profits, c’est-à-dire prévenir une hausse des salaires, les capitalistes sont contraints d’accroître constamment leur stock de capital constant (i.e. les machines) ce qui, toujours en vertu de la théorie de la valeur-travail, entraîne une baisse la valeur de la production et donc, la fameuse baisse tendancielle du taux de profit et donc, l’effondrement inévitable du système[3. Ce raisonnement étant contredit par les faits, les théoriciens postmarxistes ont expliqué la survie du capitalisme par toute une série de stratégies des capitalistes destinées à pérenniser le système – typiquement l’impérialisme.].
À la fin de l’histoire, tout le capital est concentré dans quelques mains tandis que l’immense majorité ne survit qu’avec le minimum vital : la révolution est donc une conséquence logique et inévitable du capitalisme. Toute la question est alors de savoir comment organiser la transition vers le communisme : abattre l’État bourgeois, c’est une chose ; provoquer l’avènement de l’Homme nouveau, débarrassé des réflexes capitalistes et bourgeois, c’en est une autre. Pour Marx et ses successeurs, il faut donc créer une phase transitoire, une dictature du prolétariat : un système dans lequel un État central fort organise la collectivisation des moyens de production et traque sans relâche les forces réactionnaires. Cette phase transitoire, en un mot, c’est le socialisme.
Le socialisme, dans l’esprit des communistes, c’est donc la phase inférieure du projet, une étape intermédiaire entre la révolution violente proprement dite et l’avènement du communisme ; une étape qui durera juste le temps nécessaire à « l’avant-garde des opprimés » pour « mater les oppresseurs » (Lénine). Au bout de quelques temps, 20 ou 30 ans selon Boukharine, les dernières traces du régime capitaliste auront disparu et cet État prolétarien, devenu obsolète et inutile, disparaîtra de lui-même. Ce sera alors la fin de l’histoire et l’avènement du communisme proprement dit. C’était l’idée.
Seulement voilà, cette dernière phase de dépérissement de l’État prolétarien n’a jamais eu lieu. Toutes les tentatives d’avènement du communisme se sont invariablement soldées par la sanctuarisation d’un État totalitaire où « l’avant-garde des opprimés » s’est muée en avant-garde des oppresseurs. Les Staline, les Mao, les Pol Pot et les autres n’étaient, manifestement, pas particulièrement pressés d’abandonner leurs prérogatives.
C’est en ce sens que nos communistes modernes ont raison : le communisme, à l’exception, peut-être, de quelques tribus isolées au fin fond de l’Amazonie, n’a jamais existé. Quel que soit le chiffrage que nous retenons pour évaluer l’ampleur des horreurs commises par les régimes totalitaires qui s’en sont réclamés, c’est le socialisme qui est coupable et pas le communisme[4. Toutes les tentatives d’instauration du communisme ont pris la forme d’un régime socialiste. En revanche, il est faux de dire que tous les régimes socialistes visaient à l’avènement du communisme.].
« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » écrivait Pascal. Malgré l’accumulation de preuves contraires, malgré les horreurs totalitaires du XXe siècle, nos communistes modernes continuent obstinément à professer leur foi inébranlable en cette vision messianique d’un socialisme vertueux. Après avoir encensé Staline et soutenu Mao sans réserve, les voilà qui dénoncent le stalinisme et le maoïsme comme autant de trahisons contre-révolutionnaires. Les échecs de toutes ces tentatives d’avènement du communisme, nous jurent-ils, sont le fait de quelques sociaux-traîtres : jusqu’ici ils n’ont pas eu de chance mais cette fois-ci, c’est sûr, ce sera la bonne.
Nous ne balaierons pas, chers lecteurs, cet argument d’un revers de main. Si le pouvoir corrompt, nous rappelle Montesquieu, le pouvoir absolu corrompt absolument et il y a sans doute une part de vrai dans la ligne de défense communiste. Sans doute, en effet, Staline a-t-il trahi les idéaux de sa jeunesse et il semble pour le moins raisonnable de penser que les dynasties des Kim nord-coréens n’ont jamais eu d’autre intention que de s’arroger le pouvoir absolu. À l’image d’O’Brien et du Parti Intérieur de George Orwell[5. 1984.], il est tout à fait possible – sinon probable – que les nomenklaturas aient finalement trouvé leurs situations bien confortables et qu’un consensus plus ou moins explicite les ait convaincues que le socialisme avait des avantages que le communisme n’aurait sans doute pas.
Mais ce que nos doux rêveurs évacuent bien vite, c’est l’échec factuel de ces phases de transition. Partout et toujours, la socialisation des moyens de production et la planification ont été des échecs retentissants qui n’ont dû leur longévité qu’à l’existence à leurs portes d’un monde capitaliste. Au-delà de la résistance au régime et des purges et autres déportations qui l’ont accompagné, le fait est qu’en l’absence de marchés, toutes ces tentatives de dépassement du modèle capitaliste ont été profondément dysfonctionnelles, causes de mécontentement et de frustration quand elles ne provoquaient tout simplement pas la mort des sujets de l’expérience.
Le fait est qu’à aucun moment, aucun de ces régimes transitoires n’aurait pu permettre à l’État de dépérir. Même avec la meilleure volonté du monde, il était impossible de se passer de l’appareil coercitif : il était la clé de voûte de tout l’édifice ; sans lui, sans la peur et sans la répression, les usines et les kolkhozes se seraient vidées instantanément. Quand, sept décennies après la révolution de 1917, Mikhaïl Gorbatchev lance sa perestroïka ce n’est pas tant l’absence de libertés politiques que le peuple soviétique reproche au système : c’est sa faillite économique, la faillite de la collectivisation. Soixante-dix ans plus tard, l’homme nouveau n’existait nulle part ailleurs que dans les phantasmes de quelques intellectuels.
Ne pas être communiste à vingt ans, dit-on, c’est n’avoir pas de cœur mais l’être encore à quarante ans, c’est n’avoir pas de tête. Ce n’est pas un hasard si quelques-uns des plus grands penseurs du libéralisme – Karl Popper, Jacques Marseille ou Thomas Sowell pour ne citer qu’eux – ont été, durant leur jeunesse, de fervents communistes : ils rêvaient, eux aussi, d’un monde meilleur, d’un monde de justice, de paix et de prospérité mais les années venant et les faits s’accumulant, ils ont compris que ce monde ne pouvait exister qu’avec les hommes ; les hommes tels qu’ils sont.
Alors non, ami communiste – puisque tu as sans doute compris que c’est à toi que ce message s’adresse – tu n’as pas le sang de 100 millions d’âmes sur les mains. Tu as rêvé d’un monde meilleur, tu as cru que le socialisme t’y mènerait et le socialisme, mille fois, t’as trahi. Était-ce prévisible ? Pour nous, libéraux, oui et sans aucun doute. Mais, après tout, peu importe : la question qui se pose à toi, maintenant que des faits aussi intangibles que les conséquences du Grand Bond en Avant, la terreur Khmer et le goulag s’imposent à toi, est de savoir si tu persisteras dans cette voie.
Penses-y à deux fois plutôt qu’une : es-tu vraiment prêt, sur la seule base de quelques théories vieilles de plus d’un siècle et mille fois contredites par les faits, à apporter ton soutien à une nouvelle expérience socialiste ? L’État omnipotent et donc le socialisme – qu’il soit de droite ou de gauche – n’est-il pas ton ennemi tout autant que le nôtre ? Ne vois-tu pas qu’entre ce monde que tu appelles de tes vœux et celui dont nous rêvons, il n’y a, finalement, presque rien ? Peux-tu réellement nier les fantastiques progrès réalisés par notre humanité depuis 300 ans et l’échec – que tu constates tous les jours – des prétentions collectivistes de ceux qui nous gouvernent ?
Penses-y et que ta conscience guide ta main.
*Photo : DR.
In Godwin we trust !
PATIENTS CONTRE MALADES
Mercredi 29 mai / – « Docteur, un chien m’est rentré dans l’œil !
– Est-ce qu’il est ressorti ? »
Christophe, l’inventeur de La Famille Fenouillard, du savant Cosinus et du sapeur Camember, avait visiblement un lourd passif avec les médecins. Il avait même, si j’osais, une dent particulière contre les dentistes, à en croire les aventures du redoutable Dr Max Hilaire, arracheur de dents même pas menteur.
Il faut dire à sa décharge que ce bon docteur sortait raide fou d’un asile où il avait été interné sain d’esprit… La médecine toujours, et psychiatrique en plus ! Plutôt un chien dans l’œil !
NAZIS CONTRE FASCISTES
Mardi 4 juin / Le quizz de Jean-Christophe Buisson :
« Qui a inventé les camps de concentration pour nazis ?
– Le chancelier « austrofasciste » Dollfuss, dès 1933. »
C’est ce qu’on apprend – ou que l’on se remémore, pour les plus cultivés d’entre nous – entre mille autres anecdotes savoureuses ou sanglantes, dans Assassinés, le dernier livre de Jean-Christophe Buisson. L’auteur y raconte la fin tragique de quinze hommes d’État zigouillés dans l’exercice de leurs fonctions, et souvent pour de mauvaises raisons, de César à Ceausescu en passant par Henri III et Nicolas II.
Des quinze, Dollfuss est sans doute le moins célèbre, malgré ou à cause de l’originalité de son histoire. Le combat fachos-nazis n’entre pas vraiment dans les grilles de lecture contemporaines ; il n’en fut pas moins réel, et parfois mortel.
Sitôt le chancelier Hitler arrivé au pouvoir en Allemagne, son alter ego autrichien s’allie à Mussolini pour contrer les projets d’Anschluss du Führer – qui figuraient déjà dans ses « 30 engagements » de novembre 1932.
En politique intérieure, Dollfuss ne se montre guère plus conciliant : dès juin 1933, il dissout le parti nazi local et, pour faire bonne mesure, expédie dans des camps de concentration 5000 de ses membres.
Eh bien apparemment, ça n’est pas encore suffisant ! Un an plus tard, un putsch « austronazi » échoue de justesse et Dollfuss y trouve la mort – dans des circonstances dramatiques dont je ne peux rien révéler. L’ami Buisson vous les contera bien mieux que moi.
HITLER, MAL ÉLEVÉ
Mercredi 5 juin / En relisant mes notes d’hier, je me dis : quand même, cette Seconde Guerre mondiale, on ne l’a pas volée !
Jusqu’en 1936-1937 au moins, nous autres les démocraties avions les moyens de ramener à la raison le Führer, qui n’était pas encore devenu complètement fou.
Comment je le sais ? Mais parce que le 7 mars 1936, quand il a remilitarisé la Rhénanie, il avait donné ordre à ses troupes de se replier aussitôt si l’armée française bougeait le petit doigt.
Mais pensez donc ! Elle avait la tête ailleurs, la France, en plein week-end et à six semaines d’élections historiques qui allaient porter au pouvoir le Front populaire.
Tenir jusque-là était bien légitimement l’unique souci du gouvernement intérimaire Sarrault-Flandin. Dans ces conditions, pas question pour lui de se lancer dans une guerre, ni dans une mobilisation générale, ou même partielle.
L’état d’esprit pacifiste qui prévaut alors dans l’opinion est bien résumé par le Canard, qui s’amuse de ce non-événement dans les deux encadrés rouges de sa « une » – qu’on appelait ses « oreilles » : « Scandale en Rhénanie… » annonce la première ; « … L’Allemagne envahit l’Allemagne ! » rigole l’autre. Goebbels n’aurait pas trouvé mieux.[access capability= »lire_inedits »]
Quant à Hitler, apprenant le succès de l’opération, il bondit de joie : « Nous sommes vraiment des aventuriers ! » De fait, l’ « aventure » ne fait que commencer… Le succès de son bluff gonfle l’hubris d’Adolf, et fragilise d’autant un « Surmoi » déjà faible de constitution.
Du coup, le « Ça » se transforme en loup et, à partir de 1938, ses pulsions carnassières vont franchir les bornes du simple pangermanisme pour s’étendre à un « espace vital » illimité. Anschluss, Sudètes, interlude comique de Munich, Bohême-Moravie : la tournée 1938-1939 est triomphale, à tel point que Hitler envisage une date supplémentaire à Dantzig.
Mais pour avoir son morceau de Pologne saignante, le loup se sent obligé de pactiser avec l’ours. Ultime preuve de lucidité ? Pas vraiment : la peau de l’URSS est déjà en vente pour après…
Sans doute est-ce à ce moment-là que le Führer a définitivement pété les plombs sur l’air de I Am The World, n’écoutant plus que sa Volonté de puissance intérieure. « Les autres ? Des sous-hommes ! Ne se sont-ils pas couchés dix fois devant moi ? Staline, c’est différent : un adversaire de taille, certes, mais à ma mesure, et le seul ! »
La pire folie du Führer, comme dirait Jerry Lewis, c’est d’avoir cru pouvoir « boucler le dossier URSS » entre juin et le déjà fameux hiver russe… En revanche, son incrédulité concernant l’ouverture d’un deuxième front à l’Ouest s’explique.
Face à ses provocations de plus en plus grossières, nos démocraties n’ont jamais réagi que par des discours, motions et autres cours d’aérobic. Soudain, voilà que la France et la Grande-Bretagne décident d’honorer leurs engagements internationaux, et en l’occurrence leur traité d’alliance avec la Pologne. Comment Hitler aurait-il pu prévoir ça ?
Notez bien que je ne le défends pas ! Je suggère juste, comme la plupart des autres historiens sérieux, que nos démocraties ont une lourde part de responsabilité dans la montée de l’hystérie nazie.
Si Hitler, tellement précautionneux au début, a fini par nous compter pour du beurre, c’est qu’il avait mis les doigts dedans sans être réprimandé de 1933 à 1939, quand il n’était encore que petit chancelier. C’est bien connu : « Tout se joue avant six ans » !
ON L’APPELAIT « POULOU »
Vendredi 7 juin / À l’occasion de la Journée spéciale qui lui est consacrée sur France Culture, on en apprend de belles sur l’enfance d’un Sartre ! Avant de se décider à faire penseur, le jeune Jean-Paul avait rêvé d’une tout autre carrière : acteur, chanteur ou comique…
Le mieux, c’est que ça a failli marcher ! Sous le nom de scène de « Poulou », et avec pour agent Paul Nizan s’il vous plaît, il avait commencé à se produire ici et là, et notamment lors de la Revue des élèves de l’ENS – où dans le rôle du directeur, M. Lançon, il fit, paraît-il, un triomphe. « Sartre aurait voulu être Maurice Chevalier ou Chaplin », résume France Culture. De fait, c’eût été préférable pour tout le monde.
ÉCOLE BUISSONNIÈRE
Samedi 15 juin / Après Jean-Christophe Buisson, venons-en par ordre alphabétique à Patrick, qui donnait l’autre week-end une longue et intéressante interview au Monde (daté du 9/10 juin).
Ce qu’il y a de sympa avec l’« école buissonnière », c’est qu’elle tient pour nul et non avenu le magistère moral exercé par le camp du Progrès – qui n’a pas commencé à nous gouverner en 2012.
« La véritable tradition est critique », comme disait Maurras ; et Baudelaire réclamait déjà, en addendum aux Droits de l’homme, « le droit de se contredire et le droit de s’en aller ».
Une telle évasion pourrait bien mener, par des sentiers côtiers peu fréquentés, vers d’étonnants belvédères. Et tant pis pour les autres, s’ils préfèrent continuer d’ânonner en chœur une Vérité qui n’est que mensonge, et de haïr en cadence un Goldstein qui n’est autre qu’eux-mêmes.
Plutôt prendre l’air avec Buisson ! Mais pourquoi faut-il qu’à tous les croisements, à tout prix, il veuille nous ramener vers Sarkozy, le sens unique, « l’ultime recours » ?
Moi je veux bien, mais recours contre quoi, et au nom de quoi ? Et puis, comment dissiper cette tenace impression de déjà-vu ? Si vraiment il s’agit, par un habile détour, de nous ramener en classe pour redoubler le quinquennat précédent, je préfère garder la chambre.
Reste que Buisson n’est pas un vulgaire communicant à Rolex. Entre deux figures imposées, il trouve le temps de citer Mark Twain : « Les gens de gauche inventent des idées nouvelles ; quand elles sont usées, la droite les adopte. »
La différence entre eux, je suppose, c’est que Twain ne bossait pas pour Sarko. Quant à Buisson, j’imagine, c’est par tempérament qu’il a choisi l’influence plutôt que le pouvoir. Mais quelle influence, au juste, si « son » Président ne fait appel à lui qu’au moment des échéances électorales ?
Elles sont nombreuses, vous me direz. Mais entretemps, il s’agit quand même de gouverner ! Et accessoirement, si l’on aspire à être réélu, de faire au moins un peu de ce que l’on a promis, et peut-être même un doigt de ce qu’on a laissé entendre – que ce soit sur la « racaille », la croissance ou la finance.
J’ignore si François Hollande a un Père Joseph. En ce qui concerne le duo Sarkozy-Buisson, s’il ne fonctionne pas, c’est qu’il n’a pas la complémentarité d’un couple à la Mitterrand-Séguéla.
Au-delà des questions de personnes, c’est l’époque qui veut ça. Le politique suppose le vrai pouvoir, c’est-à-dire la souveraineté. Lorsque celle-ci s’effiloche un peu trop visiblement, pas étonnant que la politique prenne le dessus, réduite à son simple appareil de querelles d’égos, d’« éléments de langage » et de rubriques people.
Désormais les « communicants » sont chargés aussi du fond, que d’ailleurs les politiciens confondent avec la forme. On est mal pris.[/access]
* Photo : Engelbert Dollfuss en 1933, Wikimedia commons.
Bernadette Lafont : Il ne faut pas mourir en plein été
C’était une fille superbe, une fille gironde, et malicieuse. Dans ses yeux, brillait l’ironie rehaussée de gourmandise de ces cousines de la campagne, qui rapportent aux petits garçons des villes, avec force détails, ce que le taureau fait à la vache, puis les entraînent derrière la grange pour jouer au docteur… Bernadette Lafont est morte le 25 juillet. On ne demandait pas que le monde s’arrêtât, ni que les socialistes de pouvoir devinssent modestes et compétents, mais on aurait souhaité un hommage de sympathie[1. À France culture, par exemple.] à cette comédienne délicieuse, qui voulut très tôt avoir sa photographie dans Paris Match, afin que son père, qu’elle adorait, et qui vouait un culte aux célébrités, pût l’afficher fièrement dans la pharmacie familiale. Inutile d’énumérer la liste de ses films : son talent, s’il servit parfaitement la « Nouvelle vague », la rendait apte à jouer tous les rôles. Son dernier film, Paulette, où elle est adorablement déraisonnable, avait rencontré un grand succès. Mais, de la grande famille si unie du cinéma, on les compta sur les doigts de la main, les membres qui vinrent la saluer une dernière fois, à Saint-André-de-Valborgne (Gard), où eurent lieu ses obsèques. Jean-Pierre Mocky, qui était présent, s’attrista et s’irrita de cette désertion : « Même si Bernadette était quelqu’un de solitaire et indépendant, le cinéma devait être là […] Or, l’équipe de son dernier succès n’est même pas venue. […] Décidément, il ne faut pas mourir en juillet ! » (propos rapportés par Le Midi Libre).
Ce dernier salut d’un corsaire à la « fiancée du pirate »[2. La fiancée du pirate, de Nelly Kaplan, où Bernadette consomme une vengeance très froide (1969).], sauve l’honneur de la profession.
Vive le Pape François…
Je ne sais pas ce qui m’arrive, moi le communiste, moi qu’André Sénik voit avec des tee-shirts nord-coréens sous mes chemises Brooks et des bustes de Staline près de mes Pléiade de Céline, mais voilà que j’aime de plus en plus les papes. Les deux derniers notamment.
Jean-Paul II, bon, on a vite vu qu’il était missionné par Dieu pour en finir avec le bloc de l’Est et qu’il y a remarquablement réussi. Il a rendu un grand service : grâce à lui, plus ça va aller, plus ce qu’Alain Badiou appelle l’hypothèse communiste retrouvera une nouvelle actualité, un peu partout et notamment dans la jeunesse. Mais, comme disait l’autre, chacun sait que « le communisme est la jeunesse du monde. »
Jean-Paul II, comme en atteste quelques unes de ses encycliques, avait également prévu, sans doute dans un second temps, de se retourner contre la mondialisation qui a mis l’homme au service de l’économie et non l’économie au service de l’homme, mais le temps lui a manqué.
Il n’empêche que dans ce monde paradisiaque du capitalisme financiarisé que me laisse, à moi et aux générations futures, dans son immense bonté, André Sénik comme horizon indépassable, à part les communistes et l’Eglise, il n’ y a plus grand monde pour critiquer. Comme les communistes sont encore pour la génération de monsieur Sénik des genres de négationnistes qui ne valent pas mieux que les nazis et qui bénéficient inexplicablement de la loi Gayssot (en même temps Gayssot était communiste, tout s’explique…), il ne reste plus que l’Eglise catholique et romaine pour demander qu’une certaine dignité de l’homme soit respectée dans le travail et que cela ne signifie pas forcément les prodromes de nouveaux goulags.
Benoit XVI, par exemple, avait été très clair dans son encyclique Caritas in veritate : « Là, les politiques d’équilibre budgétaire, avec des coupes dans les dépenses sociales, souvent recommandées par les Institutions financières internationales, peuvent laisser les citoyens désarmés face aux risques nouveaux et anciens. Une telle impuissance est accentuée par le manque de protection efficace de la part des associations de travailleurs. L’ensemble des changements sociaux et économiques font que les organisations syndicales éprouvent de plus grandes difficultés à remplir leur rôle de représentation des intérêts des travailleurs, encore accentuées par le fait que les gouvernements, pour des raisons d’utilité économique, posent souvent des limites à la liberté syndicale ou à la capacité de négociation des syndicats eux-mêmes. »
Oui, Benoit XVI, pas le dernier discours de Pierre Laurent à la Fête de l’Huma. Heureusement, d’ailleurs, car si c’était un communiste qui avait écrit cela, il se serait évidemment attiré les foudres des anciens staliniens devenus néoconservateurs et wilsoniens bottés, ces Pangloss qui ont décidé de faire payer leurs erreurs en trouvant inattaquable, splendide et adorable notre monde tel qu’il ne va pourtant pas très bien.
Et puis le Pape François, maintenant. Et ces JMJ brésiliennes qui sont un immense succès. Le hasard a fait que le 17 juillet, dans le TGV Lille Roissy, j’ai eu pour voisin un tout jeune homme, très grand et très rond, éminemment sympathique. Il partait au Brésil. Il y avait dans sa voix de la fierté et de l’enthousiasme. Il parlait de fraternité, d’amour, avec une innocence et une sincérité qui m’ont rappelé mes camarades des JC. J’avais du mal à imaginer, si ça se trouve, qu’il avait manifesté contre le mariage pour tous quelques semaines plus tôt. J’avais tout de même l’impression que ses préoccupations étaient ailleurs, qu’il devait trouver plus exaltant l’internationalisme de la Foi sur la plage de Copacabana que le défilé franco-français d’une droite qui n’a rien digéré depuis 89. En tout cas, le garçon en question, il avait un idéal : la preuve il n’avait pas d’Ipad. Seulement la Bible et Lonely Planet qui dans un cas comme dans l’autres sont deux excellents guides.
Et c’est à ce garçon que j’ai pensé quand j’ai entendu parler le pape François, le dernier jour, à lui mais aussi à mes camarades et puis à tous les Indignés de ce monde car il me semble qu’avoir la Foi, comme l’avait ce jeune homme, c’est d’abord une indignation en même temps qu’une profonde espérance. Ce pape jésuite (ah les jésuites du Paraguay et leur Missions indiennes, expérience communiste attaquée par les esclavagistes portugais) a conclu : « Je vous demande d’être révolutionnaires, d’aller à contre-courant ; oui, en cela je vous demande de vous révolter contre cette culture du provisoire, qui, au fond, croit que vous n’êtes pas en mesure d’assumer vos responsabilités, que vous n’êtes pas capables d’aimer vraiment… »
« Je vous demande d’être révolutionnaires »… En ce qui me concerne, Pape François, pas de problème…
*Photo: Catholic church, England
My globish is rich
La dénonciation du « globish » − petit nom du global english, autrefois connu sous le patronyme plus neutre de basic english ou sous celui, moins amène, de broken english − semble être, avec celle des biberons au bisphénol ou du dopage sur le Tour, l’un de nos trop rares objets de consensus franco-français.
L’unanimité est souvent mauvaise conseillère. Je ne défendrai évidemment pas la loi Fioraso et ses perspectives grotesques de facs anglicisées. Mais dans la vie extra-universitaire (si, si, ça existe !), non seulement le globish est utile, mais il devrait être obligatoire. Eh oui, amis puristes, il est utile, le cas échéant, de pouvoir trouver le baggage claim de l’aéroport d’Oulan-Bator sans risquer de se retrouver dans les lavabos des hôtesses – quoique.
J’aggraverai mon cas en suggérant, au nom de la courtoisie française, que l’enseignement de l’anglais minimaliste devrait être obligatoire pour tous nos concitoyens, ne serait-ce que pour être à même de renseigner un étranger égaré – lesquels, il faut s’y résoudre, ne sont pas titulaires de l’agrégation de lettres classiques.
Comme je ne suis pas payé au mot, je ne vous déroulerai pas ici la liste des occurrences où ce baragouin rudimentaire peut rendre de vrais services. D’autant que j’entends déjà le chœur des puceaux effarouchés me reprocher d’échanger la France éternelle contre un plat de lentilles, ou plutôt un bol de chili con carne : en choisissant de privilégier un avatar de la langue de l’« Empire », je consolide de fait la domination de celui-ci.[access capability= »lire_inedits »]
Ainsi, pour Bernard Cassen, fondateur d’Attac, cité par Wikipedia dans son excellent article sur « l’impérialisme linguistique », la messe est dite : « La puissance impériale américaine ne repose pas seulement sur des facteurs matériels (capacités militaires et scientifiques, production de biens et de services, contrôle des flux énergétiques et monétaires, etc.) : elle incorpore aussi et surtout la maîtrise des esprits, donc des référents et signes culturels, et tout particulièrement des signes linguistiques. »
C’est écrit au fer à repasser, mais ce n’est pas tout à fait faux : qui niera que les Américains se félicitent de cette prévalence de l’anglais ? Sauf que nos alterlinguistes surconscientisés ne nous suggèrent jamais de solution pratique pour partir en voyage ailleurs que chez soi. On fait comment, dans la vraie vie, doc ? Hélas, le bon sens étant le cache-sexe du totalitarisme, ce rappel au réel n’empêchera pas Cassen ou ses clones de droite de nous mettre en garde contre toute concession à l’impérialisme culturel US.
Sache-le, ami dragueur de terrasse, quand tu susurres à l’oreille d’une accorte Lettonne: « Do you want to drink a beer with me ? », c’est Che Guevara que tu rassassines.[/access]
*Photo : Les gendarmes à New-York
Mick Farren : mort d’un déviant
Il y a quelques jours on parlait beaucoup, jusqu’au Figaro, du décès du guitariste J. J. Cale, qui fut à la guitare rock ce que le tranxène est aux amphétamines. Vu le malentendu, on ne risque donc pas trop de vous rebattre les oreilles avec le décès du journaliste, auteur et chanteur britannique Mick Farren, survenu le 27 juillet. Moi j’ai appris la nouvelle par la liste de discussion «leftists trainspotters», aimable espace de diffusion d’informations sur les milieux obscurs de l’ultra-gauche internationale.
Figure centrale de ce qu’on appelait jadis la «contre-culture» Mick Farren s’est en effet trouvé à l’intersection de ses dimensions les plus radicales sur les plans musicaux, littéraires mais aussi politiques.
Même au moment du «Summer Of Love» il n’y avait pas de «flower power» pour Mick Farren. Personne n’aurait pu être aussi éloigné du stéréotype du hippie indolent. Farren représentait l’aile militante du mouvement, une tornade d’activité, un chaudron bouillonnant d’idées. Dont certaines fonctionnèrent même, comme le lancement du magazine underground bimensuel International Times (IT) auquel il participa avant d’en devenir plus tard le rédacteur en chef.
Mick Farren fonda le groupe psychédélique The Deviants, aussi déjanté et éloigné du succès commercial qu’appelé à devenir une référence pour toute la vague punk. Comme il se doit, les Deviants furent découverts par le disc-jockey John Peel, alors une des vedettes de Radio London, une station pirate offshore. Composé de Farren (piano et chant), Sid Bishop (guitare et sitar) et Russ Hunter (batterie) le groupe enregistra trois albums entre 1967 et 1969, dont l’incomparable «Ptoof» aux sonorités avant-gardistes et à la pochette pop-art.
Farren poursuivit ensuite en solo avec un album sorti en 1970 : Mona – the Carnivorous Circus. Ce disque synthétise dans un joyeux bordel toute l’approche culturelle de Mick Farren : reprises de Bo Diddley et Eddie Cochran, collages sonores, interview de Hell’s Angels, déclarations politiques enflammées. Avec son complice Steve Peregrin Took (ex-Tyranausaurus Rex) il participa ensuite à la fondation des Pink Faries.
Farren arrêta ensuite de placer la musique au centre de son activité pour se concentrer sur l’écriture et l’agitation tous azimuts : organisation de concerts, de manifestations gauchistes (en général quand il n’était pas sur scène il se débrouillait pour y monter quand même pour se livrer à des appels à la révolution). En 1971 il co-édita le journal de bande dessinée Nasty Tales qui fut poursuivi par la justice pour «obscénité».
À la même période il tenta de lancer une branche britannique des White Panthers, mouvement fondé à l’instigation des Black Panthers pour organiser la jeunesse radicale blanche. Le (futur) trotskyste Andrew Coates raconte comment, se rendant au bureau du parti à Covent Garden pour adhérer, il n’obtint de cette joyeuse bande qu’une poignée de badges.
Personnage haut en couleurs, plein d’humour, Mick Farren avait un look de «dandy biker» et en particulier une coupe de cheveu «afro» et d’éternelles lunettes noires. Un style ressemblant à celui de Rob Tyner, chanteur du MC5 et qui a visiblement été l’inspiration de l’humoriste Strutter.
Avec l’effondrement de la presse underground, il devint évident qu’il se devait de poursuivre son action sous des formes nouvelles. Ce fut en rejoignant l’équipe de l’hebdo New Musical Express avec ses amis Charles Shaar Murray et Nick Kent.
À la fin des années 1970 Mick Farren revint à la musique avec la réalisation de deux 45 tours et de l’album Vampires Stole My Lunch. On note parmi les musiciens Marky Bell (futur Ramones), Chrissie Hynde (alors journaliste au New Musical Express, future Pretenders) et Wilko Johnson (Dr Feelgood).
Farren écrivit régulièrement des paroles de chansons pour la «Lemmy connection» : Hawkwind, Pink Fairies, Larry Wallis et même Motörhead.
Puis vint un long exil américain, de Manhattan à Los Angeles, ponctué de brefs séjours londoniens. Ses nombreux problèmes de santé le contraignirent à revenir définitivement en Grande Bretagne, le système de santé américain ne lui permettant pas d’accéder aux traitements dont il avait besoin.
Il finit par remonter les Deviants, il y a deux ans. Comme les plus grands artistes, Mick Farren est mort sur scène, lors d’un concert des Deviants. La salle s’appelle le Borderline. What else ?
Brésil : « Passer d’une démocratie formelle à une démocratie réelle »
Propos recueillis à Rio de Janeiro par David di Nota, Juin 2013.
Gouverner, disait Freud, est impossible. Mais l’impossible est une modalité de la créativité politique.
La contestation contre la classe politique possède, au Brésil, une longue histoire. En quoi ces manifestations sont-elles spécifiques ?
L’enjeu des manifestations des années 60 était tourné vers le rétablissement du régime démocratique. Celui des années 80, à travers le mouvement « Direitas jà », vers la consolidation immédiate et effective de ses droits. Nous avons traversé ensuite vingt années de léthargie. Devant ce silence assourdissant, une idée s’est progressivement installée : la jeunesse est complètement dépolitisée, elle ne veut rien savoir de ceux qui la représentent.
C’est ce cliché que les manifestants sont venus rompre de manière éclatante ?
Oui. La première caractéristique de ce mouvement est son caractère multiracial, trans-générationnel, a-partisan. C’est une manifestation placée sous le signe de la multitude, pour parler comme Negri. Mais l’absence de mot d’ordre ou de leader est une force, non une faiblesse. Toutes les manifestations convergent vers un objectif clair.
C’est-à-dire ?
La pointe est dirigée vers une critique de la représentation politique. Cette critique s’effectue sur deux axes : l’aliénation partisane des gouvernants, enferrés dans des négociations qui sont à mille lieux de la vie des gens. Et une critique non moins radicale de la corruption.
Parlons des fameux vingt centimes – cette augmentation tarifaire du transport en commun qui a déclenché les évènements. Si ces vingt centimes valent beaucoup plus, s’ils possèdent possède une portée symbolique, c’est parce qu’ils renvoient au système de cette corruption elle-même.
Les compagnies de bus sont, au Brésil, fondées sur un système de concession : des compagnies privées exploitent pendant x temps un service au sein de la ville. On ne comprendra pas à la valeur symbolique de ces fameux vingt centimes si l’on ne voit pas que ces compagnies privées financent les campagnes politiques. Non seulement ce service est d’une qualité déplorable, mais il touche au financement des campagnes. Voilà pourquoi l’augmentation du prix du billet est perçue comme intolérable.
Certains commentateurs sont frappés par l’étrange unité des manifestants, une unité sans représentants. Il s’agit moins de constituer la société civile que de reconstituer la classe politique ?
Effectivement. C’est contre la société politique, au sens organisationnel du terme, que le désir, si je puis dire, est tourné. L’enjeu n’est plus de passer d’un régime à un autre, mais de passer d’une démocratie formelle à une démocratie réelle.
Quelle réaction cette protestation massive et complètement imprévue a-t-elle suscité chez les gouvernants ?
La classe politique a opposé deux réactions, à mon avis inadéquates, à cette insurrection de niveau national. Pour moi qui ai participé aux manifestations des années 60, une évidence s’impose : le démontage de l’appareil répressif ne s’est toujours pas effectué. Il y a une sophistication des moyens dans la neutralisation des manifestants, sophistication d’autant plus éclatante et injustifiée que le mouvement est très majoritairement pacifique. Les manifestants se sont eux-mêmes chargés de chasser les casseurs des manifestations. Alors pourquoi les réprimer ? A cela s’ajoute une résistance juridique.
Sur quel point porte cette résistance ?
Tout l’enjeu consiste à savoir si nous devons organiser un plébiscite, ou un référendum. Un plébiscite repose sur une consultation populaire : des questions fondamentales, touchant aussi bien le financement des campagnes que des modalités de la représentation, sont adressées au peuple. Le peuple vote. Le référendum laisse au Congrès tout à la fois l’initiative des propositions, et le vote final. Le plébiscite n’intéresse pas les parlementaires. Le référendum n’intéresse pas les manifestants. Cette neutralisation de l’intérieur, ce « coup » du Congrès, voilà ce qu’il s’agit d’éviter. De même que le mouvement entend couper la boucle qui mène des vingt centimes au financement des politiciens, il s’agit de remettre en question cette représentation cousue de fil blanc.
Mais aussi d’inventer un espace hors représentation ?
En un sens, oui. Les deux mouvements (critique de la représentation, création d’un espace sans représentants) se renforcent l’un l’autre, et c’est pourquoi l’absence de leader est une bonne chose et ne m’effraie pas. La créativité, le plus beau nom que l’on puisse donner au désir démocratique, est à ce prix.
Droit de réponse du SNJ
Dans un article de Causeur, paru en juin 2013 dans l’édition papier (p. 39), et sur le site internet, intitulé « Le droit des plus forts », Elisabeth Lévy écrit que le journaliste Marc Mennessier (Le Figaro), poursuivi en 2001 pour « diffusion de fausse nouvelle de nature à troubler la paix civile » à la suite d’une enquête sur l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, qui « explora[it] la piste d’un éventuel attentat », « demanda au SNJ, dont il était adhérent, de l’assister dans la procédure, ce qui lui fut refusé »
C’est totalement faux : le SNJ a soutenu et assisté Marc Mennessier, au nom de la liberté de la presse. Le SNJ tient à disposition (snj@snj.fr) la double page qu’il a alors publiée dans son organe national, Le Journaliste, n°265 (2° trim. 2002). On y trouve :
– Une défense de la présomption d’innocence
– Un éclairage juridique, estimant la procédure contre M. Mennessier « juridiquement contestable »
– Un texte d’une page de Maitre Christian Etelin, avocat de M. Mennessier, intitulé « hors vérité officielle, pas de journalisme ? »
– Des propos d’un animateur d’un collectif local, « Plus jamais ça », insistant sur la déontologie et la rigueur professionnelle des journalistes, dénonçant des « enquêtes » journalistiques qui se « contredisent » et/ou se « contentent de rapprochements hasardeux » : « Aucune personne physique ou morale ne peut être livrée en pâture à la vindicte populaire sans preuve ».
Le SNJ a aussi assisté concrètement son adhérent dans la procédure judiciaire, jusqu’à sa condamnation pour diffamation par le tribunal correctionnel de Toulouse le 27 juin 2002.
Rebelles avec une cause
Le hasard a voulu que la première manifestation d’hommage à Clément Méric, organisée le jour même de sa mort par les groupes « antifas », passe sous mes fenêtres. Une mort qui, malgré l’emphase des commentaires, apparaissait tellement stupide, tellement inutile. Tout cela était triste, et pis encore – dérisoire. La suite fut à l’avenant. On a tenté de faire passer une bagarre de rue qui avait mal tourné pour la défense de Madrid en 1936, comme si la réactivation des vieux réflexes et des mythologies d’antan allait suffire à rassembler une gauche politiquement à la dérive. Ces polémiques décourageantes ne m’ont pas franchement remonté le moral.Histoire de me remettre les idées en place, j’ai relu cette page des Mémoires de guerre où de Gaulle décrit son arrivée à Londres : « Je m’apparaissais à moi-même, seul et démuni de tout, comme un homme au bord d’un océan qu’il prétendrait franchir à la nage. »
Pour faire bonne mesure, je me suis aussi repassé la série documentaire Les Derniers Compagnons, réalisée en 2004 par Antoine Casubolo, et régulièrement rediffusée sur Toute l’Histoire. On y voit les ultimes survivants de ces 1038 « Compagnons de la Libération », tous nommés personnellement par de Gaulle. Au-delà de l’émotion et de l’admiration qu’on éprouve à entendre ces héros, une question revient, lancinante : comment ces garçons de 20 ans, de toutes origines sociales et politiques, ont-ils décidé de partir, sans consignes, sans armes, sans bagages et sans même savoir où aller, pour continuer le combat alors que tout était perdu et que les élites légitimes leur ordonnaient la soumission ?
Chacun d’eux donne son explication, très simplement. Tous évoquent la France, le caractère inacceptable de la défaite. La nature singulière de l’ennemi. Ils racontent le combat, la victoire, le difficile retour à la vie civile.
Je ne veux pas avoir l’air de prêcher pour ma paroisse, mais c’est un fait avéré : dans la sociologie particulière de cette étrange cohorte, les aristocrates étaient surreprésentés. En général, des cadets de famille. Ils eurent le taux de pertes le plus élevé. Normal. Maurice Halna du Fretay a été tué aux commandes de son avion lors du raid canadien sur Dieppe, en août 1942. Il avait rejoint la France Libre en novembre 1940, après avoir remonté pièce par pièce un vieux coucou qu’il avait réussi à faire à atterrir en terre anglaise. Interrogé sur son exploit, il fit cette réponse : « Je suis pauvre comme Job, je suis libre comme l’air. Je ne suis plus vaincu. »[access capability= »lire_inedits »]
À Londres, il y avait aussi beaucoup de Bretons, de ces marins têtus qui payèrent un si lourd tribut à la bataille de l’Atlantique. Des intellectuels, des enseignants, des étudiants. Peu de paysans et d’ouvriers, catégories assommées par la défaite et la destruction du Parti communiste. Ils se rattraperont.
Il y avait des juifs, aussi, comme Lazare Pytkowicz, « Petit Louis », entré en résistance à l’âge de 12 ans, lors de la manifestation du 11 novembre 1940. Il s’enfuit du Vel’ d’Hiv’ en juillet 1942, devint agent de liaison. Arrêté trois fois par la Gestapo, évadé trois fois. Il eut affaire à Klaus Barbie. Dans le film, on lui demande s’il a parlé sous la torture. « Non, jamais ! », répond-il en souriant. Avant de se reprendre, désarmant d’humilité : « Mais je n’ai pas subi le supplice de la baignoire. Seulement les coups. » Sa Croix de la Libération lui sera remise après la guerre, dans le bureau du proviseur où il est convoqué pendant la classe… Il a 16 ans.
Il y avait encore des ecclésiastiques, comme le truculent abbé de Naurois, antinazi farouche, Compagnon de la Libération et Juste parmi les nations, qui débarqua le 6 juin 1944 avec le commando Kieffer, armé de son seul missel. Et puis, bien sûr, l’extraordinaire Daniel Cordier, dont la voix se brise lorsqu’il raconte son arrivée, en juillet 1940, à l’Olympia Hall, où étaient dirigés la poignée de Français « qui ne s’étaient pas couchés devant l’ennemi ». Il fait nuit, toutes les lumières sont éteintes. Les fenêtres s’éclairent, les unes après les autres, et des voix se répondent, qui parlent du pays d’où on vient : Brest ! Concarneau ! Bayonne ! Rouen ! Paris ! Et la Marseillaise monte de toutes les poitrines. « La plus belle que j’ai jamais entendue. » On veut bien vous croire, Monsieur.
Il y avait, enfin, pas mal de militaires. Égaux à eux-mêmes. Leclerc, Koenig, Amilakvari, le prince géorgien, tant d’autres. J’ai une prédilection particulière pour Edgar de Larminat, que de Gaulle gratifiait d’une amitié « circonspecte » et dont je recommande la lecture des Chroniques irrévérencieuses particulièrement savoureuses.
Tous antifascistes. Tous. Sans oublier ceux pour qui le cri « No pasaran ! » parlait la langue maternelle, ces Espagnols de la « Retirada » ralliés à la France libre. Ils formèrent une compagnie glorieuse, la « Nueve », qui, en août 1944, entra la première dans Paris – comme si l’Histoire avait voulu racheter le sale tour qu’elle leur avait joué. Antifascistes eux aussi, des vrais, des rudes. À leur grand désespoir, après neuf ans de combat, ils ne purent pas rentrer dans leur patrie.
Il y a probablement plusieurs façons d’être antifasciste. Mais c’est une chose sérieuse. Ceux que l’on a salués ici l’ont été quand on en payait le prix dans sa chair. Pour eux, pour leur mémoire, nous n’avons pas le droit de galvauder les mots, de singer leur sacrifice, de manier les symboles avec désinvolture. Le « ventre » serait « encore fécond »…? N’oublions pas que nous sommes libres, y compris de proférer les pires âneries. Ecoutons bien, enfin, ce que nous enseigne leur combat : pour être antifasciste, il faut d’abord être patriote.[/access]

