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Manif pour Tous : La bonne nouvelle

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Difficile d’apprécier la situation de l’Église catholique en France après le premier acte de la querelle sur le droit des homosexuels de se marier et d’avoir légalement des enfants. Sa position est évidemment renforcée : les catholiques ont montré qu’ils pouvaient faire masse et persévérer dans l’affirmation de leur position, ce qui a surpris et exaspéré les laïques de profession, mais leur a attiré aussi des sympathies à l’extérieur. Cependant, le catholicisme s’est peut-être, en l’occurrence, moins affirmé qu’il n’a profité des maladresses et contradictions du camp adverse, que l’on a vu osciller entre l’éloge du débat et la crainte de débattre : « Le débat a déjà eu lieu ! » ; « C’était un engagement présidentiel ! » ; « Cette loi n’enlève rien à personne ! » ; « Les opposants sont homophobes ! » Pour mieux comprendre ce choix d’étouffer le débat, il faut lire ceux qui, au-delà du refrain égalitariste, apparaissent comme les théoriciens d’un projet qui va bien plus loin que la loi Taubira. Le futur qu’ils dessinent est pour le moins inquiétant : découplage de la génération et de la filiation (l’adoption devenant le modèle de la parenté), apparition de familles à trois pattes…, avec comme horizon, grâce à la PMA généralisée et à la GPA, une reproduction délivrée de la rencontre homme/femme, autrement dit une humanité où les faiblesses du corps propre ne borneront plus nos rêves de toute-puissance. Une humanité sans limites.
Si ces faramineuses perspectives n’ont pas suscité plus d’inquiétudes, c’est, bien sûr, à cause du voile d’ignorance que déploie devant elles l’idéologie du progrès : après le divorce, l’avortement, la contraception, le divorce par consentement mutuel, le PACS, le mariage gay était la marche suivante, la suite inéluctable. Vulgate d’autant plus prégnante que l’Église se trouvait chaque fois au premier rang des opposants, donnant elle aussi l’impression qu’elle ressassait la même rengaine. Du coup, les réflexions des responsables religieux ont eu peu d’écho, et encore moins d’influence sur les parlementaires.
Ce qui a finalement ému l’opinion, c’est la situation des enfants concernés, point sur lequel les Manifs pour tous ont efficacement insisté.[access capability= »lire_inedits »] C’est ainsi que l’acceptation (réticente) du nouveau mariage s’est conjuguée au refus que soit changé le régime de la filiation ou étendu le droit à la PMA. En définitive, on croyait que ceux qui s’identifient plus ou moins comme catholiques allaient se marginaliser. Ils ont au contraire été le noyau actif autour duquel s’est cristallisée une protestation plus large, qui a débordé sur la culture laïque, comme le montre la fronde des sénateurs chevènementistes. Preuve qu’en France, le « tout à la liberté individuelle » ne bute pas seulement, comme ailleurs en Europe, sur une empreinte religieuse qui s’efface, mais aussi sur une morale collective non religieuse, dite républicaine – la même qui, dans le passé, s’est opposée au port du voile et à la burqa.
Que la majorité de l’épiscopat et de la presse catholique n’aient pas anticipé le succès, cela a de quoi intriguer. Habituée à jouer perdante, c’est-à-dire à s’incliner après avoir exposé ses objections, l’institution ne voyait qu’une alternative : imposer ses vues ou s’aligner. Il semble que les choses soient désormais plus compliquées. On entend dire que « les catholiques doivent assumer leur position minoritaire »[1. Voir par exemple le texte « Poursuivons le dialogue ! », publié en mai 2013 par le « Conseil famille et société » de la Conférence des évêques de France. Le même organisme a publié en septembre 2012 un texte sur le projet de loi intitulé « Ouvrons le débat ! »]. Cette formule ne les rappelle pas seulement au devoir de respecter la majorité politique, elle leur assigne une nouvelle mission : exprimer leurs sentiments, mais de manière à être entendus à l’extérieur, faute de quoi ils risquent de ne perdurer que comme « contre-culture », protestation, arrière-garde ?
Cette nouvelle donne implique une redistribution des cartes entre les différents courants du monde catholique. On opposait classiquement la masse bourgeoise et passive des plus ou moins pratiquants aux militants actifs dans la société. Mais aujourd’hui, c’est la majorité qui « s’active ». Du coup, les cathos de gauche réalisent qu’ils pèsent peu quand ils ne servent pas d’intermédiaires avec la modernité ambiante. Dès lors que le réformisme où ils essaient d’attirer l’Église n’est plus social mais « sociétal », ils se retrouvent en position de minorité dans la minorité, mal à l’aise dans leur conscience de pionniers. Ce malaise était perceptible dans le courrier des lecteurs de La Croix, où on a pu lire de multiples appels à la compassion et à la compréhension à l’égard des couples homos et de nombreuses critiques du manque de débat dans l’Église. Certains ont même laissé éclater leur hargne face à la bonne conscience, d’honnêtes gens autoproclamés : des gens de Bien d’autant plus sûrs de leur fait qu’ils ont aussi des biens, a-t-on entendu.
Le catholicisme est donc confronté à une alternative dont aucune branche ne peut le satisfaire : soit il se marginalise à la manière des sectes, soit il s’adapte au risque de se diluer. La bonne sortie, que le « mouvement » a fait entrevoir, mais seulement entrevoir, serait une participation utile aux débats d’une société manquant d’horizon. Dans cette perspective, la majorité, semble-t-il, des évêques cherche à faire fond sur des valeurs communes aux croyants et aux autres. C’est ainsi qu’à propos du mariage, le « Conseil famille et société » oppose à l’individualisme débridé un « bien commun » qui reste à définir et la « défense des plus faibles », catégorie qui comprend aussi bien les homos que les enfants actuels et les enfants à naître.
Le problème, c’est que le monde catholique paraît trop étranger à ces questions pour pouvoir y intervenir de façon crédible. Invoquer les lois de la nature[2. La défense de la nature humaine peut avoir de bons usages, comme dans les années 1930, quand l’Église catholique s’opposait à l’eugénisme, admis et pratiqué en Allemagne, aux USA et dans les pays protestants.] et de la tradition ne suffit pas à répondre aux besoins d’un monde où le libertarisme se conjugue à l’absence de toute vision de l’avenir. Pour être audible, l’Église devrait acquérir les compétences voulues, en particulier sur le sujet désormais incontournable de l’homosexualité, compétences que l’opinion lui dénie, non sans raisons. À lire les documents récents de l’épiscopat, on reste perplexe : ils expriment, certes, compréhension et même considération pour les couples homos et leur désir de stabilité, mais cette estime s’applique-t-elle aux seuls sentiments ou s’étend-elle à la relation sexuelle ? Est-ce la continence et seulement la continence qu’on recommande aux homos ? Ce flou ne permettra pas de faire avancer une véritable intercompréhension entre homosexuels et hétérosexuels[3. À cela, le slogan égalitariste ne contribue en rien, au contraire, puisqu’il suggère qu’il ne faut rien dire de la personnalité homosexuelle. Comme on le sait depuis Cannes, le cinéma a décidé de « rompre le silence » à ce propos. Mais cela produira-t-il de l’intercompréhension ? En tout cas, L’Inconnu du lac, loué et primé, m’a paru donner de l’homosexualité une représentation sinistre.], qui fait cruellement défaut. On attend d’autant plus l’Église sur ce terrain qu’elle a historiquement, dans son appareil, une grande expérience de l’homosexualité vécue – bien ou mal. Cela suppose évidemment qu’elle s’explique avec sincérité sur ce qu’elle a dit, sur ce qu’elle a fait et sur ce qu’elle a couvert, et même qu’elle s’interroge sur ses textes : que signifie, par exemple, dans l’Épître aux Romains, la corrélation insistante entre homosexualité et idolâtrie ?
La « compétence » à conquérir porte aussi, plus généralement, sur la question cruciale de l’institution, de l’inscription dans l’histoire de nos expériences de vie, donc sur le dépassement de l’individualisme actuel. Si l’Église ne sait lui opposer, outre la nature, que des abstractions ou des bons sentiments, si elle ne pose pas la question de l’avenir que l’on prépare, c’est parce qu’elle se voit toujours comme l’Institution par excellence, représentant l’humanité entière. Il lui faudra rompre avec cet exclusivisme.
L’épisode des Manifs pour tous a conforté, mais aussi divisé et déconcerté, le monde catholique. Certes, le catholicisme est apparu comme un recours possible dans un monde dézingué. Mais aider ce monde à réinventer l’avenir est une tout autre affaire. S’il n’y parvient pas, non seulement le catholicisme faillira à sa responsabilité à l’égard du monde, mais il risque de s’enfoncer dans la nostalgie et la réaction. Cathos, encore un effort ![/access]

*Photo : -ANFAD-.

Mardi soir sur Arte : la Norvège, deux ans après Breivik

Dans un documentaire qui passera ce mardi soir sur Arte, Daniel Leconte  explore la Norvège, deux ans après le « traumatisme Breivik », et à  trois semaines des prochaines élections législatives, les premières depuis le drame. 
Un voyage des périphéries vers le centre, qui est l’occasion d’avoir un aperçu complet de la Norvège contemporaine, enrichi par des témoignages variés, d’un militant d’extrême droite à une survivante d’Utoya en passant par un millionnaire, des pêcheurs, un paysan et même un humoriste !
Coté médaille, le « pays des gens heureux » présente donc  de nombreux « bons points » : ressources pétrolières qui assurent au pays un des taux de chômage les plus bas du monde, égalité des sexes, transparence en politique, multiculturalisme…  Le pays le plus riche du monde (en PIB par habitant), n’affiche pas sa richesse façon Golfe, il a fait le choix de réinvestir tous les revenus tirés de l’exploitation du pétrole dans un Etat-providence qui prend la vie des citoyens en main du berceau à la tombe.
Mais le « miracle norvégien » a bien sûr ses revers. Ainsi, derrière le triomphe de l’égalité homme-femme se cache une véritable guerre des sexes qui devient un fardeau pour certains individus. Une coiffeuse d’Oslo, qui a dû remplacer la traditionnelle dichotomie coupe homme/coupe femme, jugée discriminante à cause de la différence de prix, par la plus neutre appellation coupe classique/coupe technique, témoigne : « J’en ai assez de ces discussions permanentes autour de la parité, ça me fatigue. Parfois j’aimerais un peu plus de différences entre les sexes. Qu’un homme me tienne la porte, comme en France. ».
Quant au fameux « Etat-providence » et son chômage quasi inexistant, il s’accompagne d’un assistanat systématique qui camoufle la réalité d’une société à deux vitesses. Ainsi des villages entiers, remplis de personnes mis « en incapacité » pour truquer les chiffres du chômage, se retrouvent sous perfusion sociale.
Même l’idéal de transparence et de lutte contre la corruption a ses travers : il se manifeste par un Etat intrusif, voire policier qui livre ses citoyens les plus riches à la vindicte publique. Ainsi, Dagfin, s’est-il vu attribuer la troisième richesse du comté par le serveur électronique de l’Etat qui publie la liste des revenus de tous les citoyens. Une erreur administrative qui met en colère cet humble paysan : « Ça m’a fait honte »,  confie-t-il à la caméra. C’est qu’ici, on cultive la « mauvaise conscience », mélange d’honnêteté et d’austérité propre à l’identité protestante indigène. Personne ne songerait à s’acheter plusieurs grosses voitures, affirme un millionnaire, qui se garde bien d’étaler sa richesse.
Enfin, le documentaire aborde le cas Breivik, et ce que les Norvégiens ont retenu du drame.  « Il est fou, il n’y a rien à comprendre » affirme un homme politique, traduisant ainsi le sentiment général : très peu d’analyses, refus de considérer la dimension politique de l’acte, obsession du consensus, la plupart des gens, et l’ensemble de la classe politique semblent considérer qu’Utoya n’est qu’un accident, œuvre d’un déséquilibré, et ne dit rien sur la société norvégienne.
Pourtant, Breivik a été jugé normal par la médecine, et il semble donc que son acte doive trouver une réponse politique. Si le Parti du Progrès (FRP), volontiers qualifié de populiste, a souffert du fait que Breivik ait appartenu un temps à ses rangs, il pourrait, du fait des difficultés croissantes que pose l’immigration massive (1 habitant sur 3 d’Oslo est immigré), faire un score conséquent aux prochaines législatives.

Daniel Leconte,« I love democracy, Norvège : le pays des gens heureux », Arte, ce soir à 23h35.

Les vacances de Monsieur Hollande

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Ce n’est pas irrespect de ma part mais le problème des vacances du gouvernement est devenu à ce point lancinant et ridicule depuis des semaines qu’on est invinciblement porté à faire référence à Jacques Tati et aux vacances de Monsieur Hulot.
On a bien compris que l’an dernier, le président de la République en avait trop pris au mois d’août, et à Brégançon, un lieu où il se sentait autant enfermé qu’à l’Elysée. Il se l’était beaucoup reproché et avait expliqué sa chute rapide dans les sondages par cette estivale maladresse alors qu’elle était liée plutôt aux cafouillages politiques et parlementaires qui précédaient.
Il a donc décidé, cette année, de réduire ses vacances et celles du gouvernement malgré les objurgations du Premier ministre et de quelques ministres. Elles dureront du 2 août au 19 août.
Est-il normal que ce sujet ait autant occupé les esprits politiquement et médiatiquement ? N’y avait-il rien de mieux à faire pour la France d’aujourd’hui que de débattre du repos de nos gouvernants, de sa durée et de ses modalités ? Il y a quelque chose d’indécent dans le hiatus entre ces soucis et l’immensité des difficultés auxquelles le Pouvoir doit s’affronter et qui n’interdisent pas une pause, mais au moins qu’on ne constitue pas ce thème en enjeu dominant.
Un ministre a vu juste qui persifle : « Ne pas prendre de vacances, c’est un truc de losers » (Libération). Cette appréciation pertinente révèle surtout le malaise de notre président de la République à trouver le ton adéquat, à définir le rythme cohérent et à choisir la bonne démarche. Hier, c’était trop et aujourd’hui, c’est trop ostensiblement une ascèse qui ne trompera personne et ne fera pas gagner un pouce au gouvernement dans l’estime de l’esprit public. François Hollande ne parvient pas à mettre en oeuvre avec naturel l’équilibre des droits et des devoirs, obsédé qu’il est par l’envie de ne pas suivre les traces de Nicolas Sarkozy tout en s’inspirant à l’évidence de l’exemple atypique de celui-ci pour la forme de sa présidence. Le beau concept de normalité, qui aurait pu être opératoire s’il avait été incarné avec simplicité, est, dans la réalité, totalement altéré parce que le chef de l’Etat s’interroge en permanence pour déterminer quelle normalité est acceptable et quelle autre insupportable.
Ce flou suscite paradoxalement une focalisation sur ce qui devrait être largement au second plan pour un Pouvoir responsable et en pleine action. Celui-ci, dans la presse et l’urgence, aurait toutes les raisons du monde pour se tenir à mille lieues de ces préoccupations d’intendance personnelle quand la gestion de la France elle-même pose d’infinis problèmes d’intendance, et de quelle ampleur !
Des critiques, alors, sont formulées qui partisanes ou profondes tirent des conclusions de ces approximations liées à l’organisation politique des vacances.
Un Dominique Bussereau se laisse aller à un jeu de mots facile : « On ne reproche pas au Pouvoir ses vacances mais sa vacance. »
François Baroin renchérit et il n’a pas tort : « Il est surréaliste et navrant de voir les ministres se plaindre de fatigue alors qu’ils sont en poste depuis un an. »
Olivier Dartigolles, pour le PCF, cingle plus rudement quand il affirme que « cette communication sur l’été sacrifié des ministres laisse un goût amer quand on pense aux millions de vrais oubliés des vacances ».
S’il y a de remarquables communicants, j’en suis persuadé, dans l’environnement amical de François Hollande, je ne suis pas convaincu, en revanche, de la qualité et de l’efficacité de ceux, ministres, conseillers, professionnels, qui gèrent la communication du Pouvoir au quotidien.
Car reconnaissons tout de même l’étrange tour de force négatif d’avoir réussi à faire naître et durer des polémiques non pas sur la politique et les mesures du Gouvernement mais sur ses siestes.

*Photo : Webstern Socialiste/lisemai.

Tristes touristes

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Le système reprend toujours, avec sa patte fouisseuse, ce qu’il a accordé de sa main pateline. Les congés payés, en 1936, c’est chouette. Certes, comme aurait dit de Gaulle − d’ailleurs il l’a dit[1. « Le bifteck-frites, c’est bon. La 4CV, c’est utile. Les vacances, c’est chouette. Mais tout cela ne constitue pas une ambition nationale. » Cité par Philippe Ragueneau dans Humeurs et humour du général.] −, cela ne constitue pas une ambition nationale, mais cela faisait quand même du bien au populo à gapette quand il a commencé à quitter les quartiers sordides, les taudis avec les toilettes sur le palier, les odeurs de chou, d’urine des cours sordides, pour se retrouver à l’air pur, ne serait-ce que le dimanche, dans les guinguettes « quand on s’promène au bord de l’eau »[2. Chanson de Maurice Yvain et Julien Duvivier, interprétée par Jean Gabin dans le film La Belle Équipe de Julien Duvivier (1936).]. Aux prolos, on ne prenait encore que le prix de la moule-frites, du « petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles »[3. Chanson de Jean Dréjac.]. Pas de voiture, pas d’essence à payer, seulement les frais des rustines ou des pneus de rechange.
Les congés payés vont rapidement devenir les congés payants quoique, devant le beau marché qui s’offre, les débuts soient lents. Ces cochons de travailleurs se rendent dans leurs familles, dans les campagnes, logent dans deux pièces d’une grande maison ou sous-louent une grange, un grenier, bref, ils sont dans le « petit trou pas cher » des années 1950. Malheureusement, la société paysanne disparaît.[access capability= »lire_inedits »] Il y a plus de monde dans les villes que dans les campagnes, ce que consacre Mai-68. La smalah des publicitaires, marchands de voyages et autres communicateurs prend le pouvoir. À ceux qui « gagnent leur vie », on propose toutes sortes de promenades dont les pires sont celles qu’on peinturlure d’alibi culturel. Du Brecht dans une abbaye ; du Boulez dans une chapelle ; du Tartignolle partout ! Version moins contraignante que les Soviets partout, mais plus perverse : la culture comme forme évidente de la domination mondialiste. Tout le monde devrait savoir ça.
Ça, c’est pour les plus riches : quatre jours en France coûtent plus cher que quinze à Djerba. Quant aux pauvres ou ceux qui n’ont pas de comité d’entreprise, ils restent chez eux. Au moins, ils ne seront pas cambriolés. Pour ceux qu’une pénurie temporaire d’argent oblige à rester, il y a le triomphe du virtuel : Paris-Plages ! Finalement, le mot d’ordre est partout le même : entassez-vous ! Étalez la barbaque ! À Pise – où la tour ne penche que d’un côté – comme à Rio, à L.A. (prononcer « elle-é ») comme à Bayreuth, les troupeaux débarquent avec les trains des équipages : caméras, appareils photos, ordinateurs, cellulaires, etc. C’est que, voyez-vous, il n’est pas de meilleur film, de meilleur livre d’images que ceux des touristes. Ils savent.
Notre pauvre pays n’aura bientôt plus qu’une seule industrie sérieuse : les vacances. Les Japonais ne sont pas les pires. L’homme en short, avec les pompes de ville et les socquettes grises, sa banane autour de la taille, voilà le vacancier en uniforme. Ce n’est plus une masse de touristes, c’est la marabunta qui bouffe tout sur son passage. Raymond Borde, conservateur en son temps de la Cinémathèque de Toulouse, dans un ouvrage prémonitoire paru avant les « événements » de 1968, L’Extricable, propose que « les municipalités donnent vingt francs par tête de touriste abattu ». Il prophétise la construction d’un Luna Park[4. Parc de loisirs situé à l’emplacement actuel de l’affreux Palais des Congrès, porte Maillot, et qui ne survécut pas à la dernière guerre.] dans la Beauce ! Dans la société libérale mondialisée, il ne faut pas laisser l’individu en repos, il faut le stimuler par des campagnes d’opinion, de « conscientisation » analogues aux souvenirs dits de « rectification » de la révolution culturelle chinoise. C’est pareil pour le paysage français, muséifié, aseptisé, classé mais aussi détruit par les éoliennes ou cette abomination qu’est le viaduc de Millau, édifié dans le seul but avoué de permettre aux touristes de se rendre plus rapidement en Espagne. Le tourisme de masse est un destructeur de civilisation.
Le film Paris au mois d’août, de Pierre Granier-Deferre (1965) est une histoire charmante qui se déroule avant les terribles années des destructions par le béton. Dans les rues du 6e, on voit des librairies partout. Il n’y a plus de mois d’août, d’abord parce qu’il n’y a plus de Paris mais aussi parce que c’est le mois des invasions barbares. La seule consolation, à Paris au mois doux, c’était la Cinémathèque. Cette bonne vieille dame programmait une alternance de classiques et de raretés. C’était trop accorder aux derniers curieux. Elle est désormais fermée au mois d’août. Je vois dans cette fermeture la preuve irréfutable que la culture sert à nous en éloigner. Nous ne sommes plus bons qu’à faire la queue pour les expos, ce dont je me garde bien.
À tous ceux qui voient arriver la période des vacances avec accablement, je n’ai qu’un conseil à donner, plutôt une expérience à partager : RESTEZ CHEZ VOUS ! De préférence les volets clos.[/access]

Exposition Le Corbusier à Bruxelles: un architecte travaille son image

L’exposition qui a débuté au CIVA de Bruxelles il y a quelques semaines s’intitule « Le Corbusier and Photography, Construire l’image », titre bilingue étrange, mais qui suit en cela les règles subtiles de la cohabitation linguistique en Belgique… Il ne s’agit pas en tout cas d’une exposition sur l’architecture mais d’une exploration des liens complexes qu’entretenait Le Corbusier avec les images, celles qu’il utilisait comme illustrations et celles qu’il produisait lui-même.
La scénographie se déploie de manière thématique et la première partie montre plusieurs portraits intimes ou officiels de Le Corbusier : on y constate un goût certain de la mise en scène de soi chez l’architecte. Ensuite, on entre dans le vif du sujet, soit l’usage documentaire que fit Le Corbusier de la photographie. Il sut dès ses débuts s’adjoindre les services des plus grands photographes de son temps, dont R. Burri et L. Hervé : leurs images montrent qu’ils avaient saisi l’aspect révolutionnaire des bâtiments de Le Corbusier, chacun avec son regard personnel. L’architecte entretenait pourtant avec eux des rapports tendus, il se montrait volontiers tyrannique, contestant souvent la qualité des tirages destinés à la publication. En effet la plupart de ces photographies devaient servir d’illustration dans des revues ou des ouvrages d’architecture, mais Le Corbusier recherchait une qualité artistique autant que la fidélité documentaire de l’image technique, d’où les tiraillements avec les photographes. Les images présentées ici dégagent une impression de rigueur voire de sécheresse, fidèles en cela aux lignes directrices des bâtiments.
On découvre plus loin quelques reproductions d’articles que Le Corbusier consacra à ses principales réalisations (Marseille, Ronchamp, Chandigarh et des villas individuelles). Ces documents prouvent que l’architecte utilisait au mieux le rapport image/texte. Le Corbusier publia lui-même quelques ouvrages expérimentaux où il approfondit cette recherche, parfois à travers de petits textes poétiques. Une autre section présente des photos de grandes « fresques » comme il les appelait lui-même, c’est-à-dire d’immenses collages photographiques destinés à être accrochés dans certains de ses bâtiments. L’architecte pratiqua en effet le dessin, la photographie, la peinture mais aussi la tapisserie: certaines œuvres sont présentées dans une petit salle à part de l’exposition. Ces œuvres ne font pas preuve d’une grande originalité, elles ressemblent plutôt à des esquisses qui préfigurent certaines réalisations architecturales. L’art nourrissait l’architecture en quelque sorte.
Une dernière section confronte le regard de « jeunes » photographes au travail de Le Corbusier et parmi ceux-ci Thomas Flechtner se distingue par ses images de Chandigarh. Contrairement aux autres artistes il a photographié cette ville sous la pluie et dans la boue, accordant une grande place aux habitants d’aujourd’hui : de manière subtile l’image pointe ici du doigt le décalage entre l’utopie des années 1950 et la réalité quotidienne des années 2000. Une remise en question de la vision urbanistique de Le Corbusier ?
À travers ces nombreux documents on découvre finalement que Le Corbusier poursuivit tout au long de sa vie une recherche liée aux usages de l’image et à son statut : il semblerait que ces problématiques ne soient pas apparues avec Instagram et Flickr…

« Le Corbusier and Photography, Construire l’image », CIVA, Bruxelles jusqu’au 6 octobre 2013.

La cause de Muray

Philippe Muray causes

Philippe Muray, tout au long de sa vie (ses vies ?), a collaboré à beaucoup de journaux très différents. De l’Art Press de Catherine Millet au Marianne de Jean-François Kahn ; en passant par L’Idiot International d’Edern-Allier et Le Figaro. Parmi ses collaborations les plus durables on peut signaler une chronique pré-apocalyptique destinée à la Revue des deux mondes, dans laquelle Muray a observé la comédie millénariste de l’avant 2000 et l’épanouissement d’homo festivus (textes jubilatoires repris en volume dans Après l’histoire) ; ainsi qu’une collaboration avec le quotidien régional La Montagne, pour lequel Muray a écrit – de 2001 à sa mort en 2006 – une chronique dominicale acide et souvent irrésistiblement drôle sur les bouffonneries langagières et les falsifications intellectuelles des modernes. Quand La Montagne propose à  Muray d’écrire dans ses colonnes – et d’inaugurer une nouvelle rubrique « Chroniques du temps présent » – le journal auvergnat a déjà un passé littéraire prestigieux, marqué par la figure d’Alexandre Vialatte. S’il y a peu de rapport entre la férocité pamphlétaire de Muray et la poésie de l’absurde cultivée par Vialatte, les deux écrivains se retrouvent dans une certaine façon de répondre à l’époque – par le ricanement, voire le rire franc… Le groupe Centre-France La Montagne, avec la complicité des éditions Descartes & Cie, publie – pour fêter le début des grandes vacances, Paris-Plage, la pratique du pédalo et la canicule – un sympathique volume rassemblant un choix de trente-trois chroniques de Muray brassant l’essentiel de ses thématiques habituelles ; augmenté d’une préface de Jean Baudrillard et d’une postface de François Taillandier.
Le propos de Muray part souvent d’informations d’apparence mineures, d’anecdotes, de faits divers, et se déploie vers une réflexion beaucoup plus générale. Ce « coup d’œil » sur les choses du quotidien permet à Muray de dresser un portrait vivant et saisissant de l’époque. S’intéressant au phénomène de la téléréalité-télé-poubelle il écrit : « Il faut arrêter de calomnier les poubelles. C’est insupportable. » Terrible symbole de vacuité intellectuelle, la piscine de Loana fait sens : « Pour qu’il arrive quelque chose, il faut avoir des désirs et des manques. Les personnages du Loft ne sont pas en manque. Ce sont des suicidés à satiété. À côté de Loft Story, ce qui advient dans une poubelle c’est du Shakespeare, c’est du Balzac. Les poubelles ont une grandeur et une noirceur héritée des temps héroïques. On peut y crocheter des tas de trucs plus ou moins pathétiques ou avariés. » Plein de drôlerie, Muray constate que les « Pokémons multicolores » de la téléréalité ne sont plus des « êtres humains à l’ancienne », et peut-être même plus des vivants.
Dans un autre registre, Muray fustige l’europhilie dans plusieurs chroniques, dont Parlons franc dans laquelle il s’attaque (en 2001) au changement de monnaie. Une monnaie qu’il appelle non pas l’euro mais le zgloub. « Il y a quelque chose de foncièrement honnête, dans le cas du zgloub, à désigner d’un nouveau mot ce qui n’a plus aucun rapport avec les anciennes monnaies nationales ; et, plus généralement, à bien marquer par là que la zone zgloub n’a rien à voir avec l’ancienne Europe, ses déchirements, ses querelles religieuses, ses grandes conquêtes maritimes, ses découvertes scientifiques et son art incomparable ». Certaines chroniques tendent au poème en prose, comme la succulente Supprimons le crépuscule dans laquelle il propose aux modernes d’agir enfin contre ce moment de négativité absolue : « Le pessimisme n’est pas démocratique. Le crépuscule non plus. Qui oserait défendre le crépuscule ? Les chiens et loups, peut-être, entre lesquels il faut toujours, à ce moment-là, essayer de se faufiler, ce qui n’est gère commode. Les chauves-souris aussi, sans doute, ainsi que les papillons de nuit et quelques autres espèces comme la chouette de Minerve, le nyctalope, le noctambule, l’insomniaque, le vampire, le moustique et le tueur fou (…) Le crépuscule, en vérité, n’a que trop duré ». Mais si la fantaisie et l’aisance comique sont sensibles à chaque chronique, Muray aborde aussi des sujets aussi sérieux que la guerre en Irak, la croisade hygiéniste contre les fumeurs, les mensonges de Marie-Léonie, l’empire du Bien et ses bienveillantes attentions liberticides, etc. « L’époque qui commence – résume Muray – s’équilibre décidément entre adoration et persécution ; ou entre ferveur et criminalisation. Aux délices que procurent les emballements les plus fougueux se joignent les plaisirs de la traque et du harcèlement. » (Les ânes de garde)
Si l’essentiel des chroniques de ce Causes toujours a déjà été publiée dans la série des Exorcismes spirituels aux Belles Lettres, la bonne surprise de ce petit livre est la présence de textes encore inédits en volumes, de la fin 2005 à 2006. Un argument qui, à lui-seul, devrait convaincre l’amateur de Muray d’acquérir ce bréviaire joyeux et acide de l’antimodernité, qui est aussi un appel débridé à la liberté face aux nouvelles aliénations de l’hygiénisme en short, de la bien-pensance à roulettes, du festivisme généralisé, de l’Europe du zgloub, de la télévision, de la novlangue de progrès et de la censure de confort. Un autre argument devrait convaincre tout un chacun d’acheter Causes toujours : son format avantageux, qui permettra aux randonneurs de le glisser aisément dans leur sac à dos, et aux baigneurs de l’emporter à la plage. Et existe-t-il une expérience estivale plus revigorante que se nourrir de la prose de Muray assis sur un volcan auvergnat, sur un pédalo, au bord d’une piscine à vagues ou mieux, sur le sable fin, au milieu de notre terrifiant prochain : le touriste ?

Philippe Muray, Causes toujours, collection Chroniques du XXIe siècle, Descartes et Cie-La Montagne, 2013.

Intifada au Jeu de Paume

ahlam shibli israel

Les images parlent. Cela signifie qu’elles peuvent mentir. Mais face à une photo, a fortiori lorsqu’elle se veut documentaire, on éprouve une dangereuse impression d’authenticité : on croit être confronté au réel quand il s’agit de sa représentation – vieille affaire de la carte et du territoire. On croit être informé quand on est manipulé, volontairement ou pas. C’est bien ce qui menace les visiteurs de « Phantom Home », l’exposition de la photographe palestinienne Ahlam Shibli, qui a ouvert ses portes le 28 mai au musée du Jeu de Paume. Et mis en ébullition la rue juive, qui dénonce une « apologie du terrorisme ».
Le sujet, il faut le dire, est déjà hautement inflammable puisqu’il s’agit du conflit israélo-palestinien.
Sur ce terrain miné, l’exposition  manipule des images d’apparence quasi journalistique sans jamais fournir la mise en perspective qui permettrait au visiteur de les lire.[access capability= »lire_inedits »] Dans quatre salles, près de 300 photos sont présentées autour de cinq thèmes. C’est le dernier, « Death », qui a mis le feu aux poudres. À travers 68 clichés pris à Naplouse, Shibli évoque l’omniprésence des « martyrs » dans la société palestinienne. La plupart de ces individus ont commis des attentats contre des Israéliens. Le visiteur n’en saura rien.
Pour le président du CRIF, Roger Cukierman, il s’agit d’une pure et simple « apologie du terrorisme ». Il s’en est ému auprès de la ministre de la  Culture. Résultat : le musée a placardé un avertissement à l’entrée de l’exposition et dans la salle directement concernée, puis a organisé un débat sur la liberté d’expression. Mais la polémique enfle : menaces de mort contre la directrice du musée, Marta Gili, alertes à la bombe obligeant le musée à fermer ponctuellement, manifestations devant le Jeu de Paume…
La tension est parfois palpable dans les salles. J’ai assisté à une conversation animée entre partisans et détracteurs de l’expo. Un homme dénonce une « apologie des meurtres d’enfants », tout en s’opposant fermement à ceux qui veulent la fermeture de l’exposition. « Il vaut mieux venir et débattre ! », souligne-t-il avec une telle fougue que les autres visiteurs croient (à tort !) qu’il est juif.  Comme quoi, les clichés ne sont pas uniquement accrochés aux murs…
Comme l’a très bien souligné ce monsieur, la question n’est pas tant la liberté d’expression et ses limites que l’exigence d’une information honnête. Or, le musée et l’artiste ont multiplié non-dits et omissions. Les légendes, pourtant longues (rédigées par l’artiste), n’indiquent jamais que les « martyrs » ont commis des attentats dont la majorité des victimes étaient des civils. Rien non plus sur Naplouse, pourtant l’une des villes à la pointe du combat palestinien pendant les deux Intifadas. Finalement, l’oubli le plus gênant concerne l’artiste elle-même. Selon le dossier de presse, « Ahlam Shibli est née en 1970, en Palestine, où elle vit ». En fait, elle est née en Galilée, que l’Autorité palestinienne reconnaît comme appartenant à Israël, ce qui fait d’elle une citoyenne israélienne. Le Jeu de Paume ne nous dit pas non plus que Mme Shibli vit entre Berlin et Haïfa – troisième ville israélienne – et qu’elle a exposé au Musée d’art moderne de Tel Aviv. Au lieu de raconter une histoire humaine avec ses contradictions et ses aspérités, le Jeu de Paume a fait le choix des… clichés.[/access]

*Photo : MACBA.

Kersauson : le pirate s’est fiancé

Bénis soient les coiffeurs : en allant me faire rafraîchir, je suis tombé sur un numéro de mi-juillet de Paris-Match , avec plein de nouvelles fraîches d’Olivier de Kersauson dedans. Les amateurs de potins marins y apprendront par exemple que le navigateur n’est plus solitaire et s’apprête à convoler avec Sandra, une ravissante Polynésienne : il a d’ailleurs déjà déposé ses bagages en plein Pacifique.
Mais n’étant pas seulement une midinette, ce sont d’autres passages de cette longue interview qui ont retenu mon attention. Morceaux choisis en vrac :
Les  souvenirs d’école ? « De toute ma scolarité, je n’ai pas passé une seule journée agréable à l’école. C’était comme la prison. À Paris, je n’allais pas chercher mon fils à la sortie à cause de l’odeur de l’école, l’odeur du groupe, celle d’un groupe entier dans une pièce. Je ne vais pas au théâtre ni au cinéma parce que l’odeur du groupe me rappelle l’école. Je déteste cette odeur. »
La connaissance : « Dans certains domaines, je suis excellent. Dans d’autres, je suis complètement infirme. Là où je suis excellent, je préfère qu’on suive ce que je dis. Là où je ne suis pas bon, je la ferme. Je ne fais la leçon à personne. J’ai horreur des donneurs de leçons. Je n’aime pas en recevoir, je n’aime pas en donner. » 
La vie après le sport : « Je n’irai plus au cap Horn. Je ne ferai plus les grandes courses. Je le sais. Ça me… Comment expliquer ? Ça ne me fait pas marrer, mais je m’en fous. »
Ce choix est arbitraire. En vérité, toute l’interview réalisée par Régis Le Sommier est réjouissante, y compris la citation de Hérédia et la photo prénuptiale de Pascal Rostain. Merci et bon vent !

Père, père, pourquoi m’as-tu abandonné ?

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noah hawley bon pere

Vous trouverez  Le bon père de Noah Hawley dans la Série Noire. Il serait dommage que cela vous arrête si par hasard vous avez quelques préventions contre la littérature de genre car Le bon père appartient de plain pied à la littérature tout court. Après tout, si on y réfléchit un peu et sans forcer la note, L’étranger de Camus aurait très bien pu, en son temps, paraître dans la collection fondée par Marcel Duhamel aux côtés de Monsieur Zéro de Jim Thompson comme Monsieur Zéro aurait très bien pu paraître en collection blanche car Monsieur Zéro est aussi un très grand roman de l’absurde. Précisons d’ailleurs, mais nous y reviendrons, qu’après Dashiell Hammett et Jean-Patrick Manchette, ce sera à l’automne au tour de Raymond Chandler d’avoir l’honneur de ses œuvres complètes  en Quarto, dans une collection qui accueille aussi bien Proust que Nabokov, ce qui montre que ceux qui furent en leur temps classés comme auteurs de second rayon gagnent leurs galons avec le temps.
Oui, il serait bien que vous lisiez Le bon père de Noah Hawley pour vous rendre compte, si ce n’est déjà fait, qu’il n’y a pas de raison de vous priver d’un chef d’œuvre en raison de son habillage éditorial. C’est d’ailleurs tout à l’honneur de la Série Noire que de prendre le risque d’éditer de tels romans qui risquent de dérouter celui qui était venu chercher sa ration de péripéties calibrées dans ces technothrillers qui cherchent à vous convaincre qu’ils sont polyvalents, vous apportant à la fois la distraction et le rempart pour mater les filles sur la plages.
Le bon père de Noah Haley est en effet un de ces grands romans américains qui abordent, à l’américaine évidemment, un thème universel, les rapports entre un père et son fils. D’ailleurs, il vaut mieux que ce thème soit abordé à l’américaine sinon cela donne le Zubial d’Alexandre Jardin sur son père Pascal Jardin qui lui, au moins, en avait écrit un bon sur le sien : La guerre à neuf ans.
D’ailleurs, dans Le bon père, ce n’est pas le fils qui raconte le père, mais le contraire. Le père est un grand rhumatologue new-yorkais, le docteur Paul Allen. C’est typiquement un bourgeois de gauche, un démocrate pur jus qui rejoint chaque soir sa belle maison d’une banlieue chic dans le Connecticut. Le docteur Paul Allen en est à son deuxième mariage et le premier chapitre nous décrit le bonheur insoutenable d’une vie parfaitement réussie, un bonheur dont on fait semblant de ne pas se rendre compte à quel point il est étouffant et subtilement mortifère. La différence entre un roman noir et un thriller, c’est que le roman noir est une tragédie et que dans une tragédie, quand le rideau se lève, la catastrophe a déjà été consommée, l’important étant de savoir comment on va s’en sortir, si on va s’en sortir tout en sachant que rien ne sera plus comme avant. Le thriller aime les happy ends tandis que le roman noir, lui, préfère ce que l’on pourrait appeler les « bad starts ».
Et en matière de « bad starts », Noah Haley fait très fort. Lors de la soirée pizza maison du jeudi, alors que la famille, le père, la mère et les deux jumeaux regardent des jeux télévisés, un flash spécial annonce que le candidat démocrate à l’élection présidentielle a été assassiné de plusieurs coups de feu. Comme le remarque Noah Haley, et c’est à des formules de ce genre que l’on reconnaît les grands écrivains, « La nature a horreur du vide et CNN encore plus » : en quelques minutes, des photos du meurtrier présumés arrivent sur l’écran et le tueur n’est autre que David Allen, le fils aîné de Paul, issu d’un premier mariage avec une artiste hippie de la Côte Ouest.
Quand votre monde s’effondre, vous pouvez vous effondrer avec lui ou réagir. Le bon père est l’histoire de cette réaction. Le docteur Paul Allen, et il insiste là-dessus, veut garder sa froideur de grand diagnosticien pour tenter de comprendre ce qui s’est passé. Tout accuse David qui était devenu l’année précédant son acte un « hobo », un de ces vagabonds lyriques héritiers de Kerouac.
Le bon père est donc à la fois un grand roman d’amour et aussi un grand roman politique sur la violence inhérente à cette démocratie trop sûre d’elle-même. Le roman progresse sur trois plans : avec l’enquête du père, l’errance du fils reconstituée et aussi avec des chapitres neutres, objectifs, racontant les différentes assassinats de masse ou de personnalités politiques aux USA : la tuerie de Colombine, celle de la fac d’Austin par un tireur fou en 66 mais aussi celui de Robert Kennedy par Siran Siran en 68 ou encore la tentative de John Hinckley contre Reagan en 81 et encore d’autres, bien d’autres, comme si notre rhumatologue voulait appliquer ce qu’il est convenu d’appeler un diagnostic différentiel pour comprendre ce qui a pu se passer avec son fils.
Et c’est dans une grande mélancolie que Noah Hawley fait baigner Le bon père, au bout du compte : ce père qui a perdu son fils, cette société qui a perdu son innocence, peut-on les réparer comme le ferait un médecin ou doit-on se contenter de mettre en marche un protocole compassionnel ? Que le jeune David soit coupable ou non, et nous ne vous le révélerons évidemment pas, laisse intacte cette question lancinante : « Si mon fils avait fait ça, je ne comprenais pas le monde dans lequel je vivais. Et je n’avais pas envie d’y vivre. »

Le bon père de Noah Hawley, Série Noire/Gallimard, 2013.

*Photo : Sur la route.

Plus le niveau baisse, plus le ton monte

basile koch barjot

PRÉSOMPTION DE CULPABILITÉ
Jeudi 20 juin / Concernant le contentieux qui nous oppose actuellement, Frigide et moi, à la Régie immobilière de la Ville de Paris, notre avocat a été ferme dès le début : à lui de s’occuper du fond, c’est-à-dire de l’ « affaire Jalons », en réservant à la Justice la primeur de ses conclusions. À nous de dénoncer, pour la forme, les mauvaises manières à notre égard d’une presse qui, dans cette affaire, nous a mal traités en deux mots comme en un.
Dans le dossier d’accusation, sans surprise, tout nous accuse. Eh bien, la plupart des médias se sont contentés de présenter comme avérées les infractions qui nous sont reprochées, avant la décision du juge : présomption de culpabilité. D’autres, plus « citoyens », ont choisi d’en rajouter de leur cru sur nos escroqueries en couple organisé. Aucun ou presque n’a envisagé un instant l’hypothèse de notre bonne foi – sans même parler d’innocence, vous rigolez ou quoi ?
Quant à moi, face à l’épreuve, je resterai digne comme Job. Je sais très bien ce que ma femme a fait au Bon Dieu pour mériter ça ; mais moi, je n’ai rien fait ; alors est-ce que je pourrais juste garder mon étage[1. Nous habitons un luxueux duplex dans un «luxueux » de la luxueuse ville de Paris] ?
PLUS LE NIVEAU BAISSE, PLUS LE TON MONTE
Lundi 24 juin / Tellement vrai, cet aphorisme, et bien dit en plus ! Il figurait dans mon mille-feuille de post-it, amassés depuis dix ans avant d’être aimablement colligés par mon amie Nikki de La Fusacquière (qui aurait préféré garder l’anonymat). Mais en-dessous de la phrase, pas le moindre nom d’auteur, comme dans toute citation qui se respecte. Était-ce donc de moi ? Après enquête approfondie, au bout d’un an et un jour, j’ai décidé de m’approprier ce mot jusqu’à nouvel ordre (ou courrier des lecteurs).
Le plus subtil, réflexion faite, serait peut-être de l’attribuer en forme de clin d’œil à Marc Bloch, qui pratiquait lui-même cette sorte d’« intertextualité » à l’envers. À l’appui de ses thèses, il citait volontiers paraît-il un « proverbe arabe » dont il s’est avéré par la suite qu’il n’existait pas : « Nous ressemblons plus à notre temps qu’à nos pères. »
Mais revenons à mon dicton. Que le ton monte, nul ici n’en disconvient : Causeur hurle tous les mois contre ce danger ! Quant à la baisse du niveau, je m’en suis personnellement rendu compte quand on a commencé à me complimenter sur ma culture ; mon père aurait bien ri.
Comme quoi, décidément, Marc Bloch et les Arabes avaient raison !
J’AI D’EXCELLENTS AMIS INTELLIGENTS
Jeudi 27 juin / À propos de citations, j’ai fait mien – de façon pas tout à fait désintéressée – le mot de Barrès sur « l’intelligence, cette petite chose à la surface de nous-mêmes ».[access capability= »lire_inedits »] Une critique, plus pascalienne que poujadiste, de ce que nous vénérons  aujourd’hui sous ce nom ; une façon surtout, pour moi, de ne pas faire trop de complexes vis-à-vis de mes amis plus intelligents que moi.
Parce que j’en ai connu, sans me vanter, par mes lectures et même en vrai, des gens comme ça ! Ce qui m’a étonné au début, ce n’était même pas qu’il y en eût, mais d’arriver à les reconnaître !
En vrai, c’est facile : ces gens-là sont tellement forts que je suis d’accord avec tout ce qu’ils disent ou écrivent, même sans avoir tout suivi. Simplement, il ne faut pas que j’entende juste après un contradicteur aussi convaincant…
Bien sûr, il y a des cas particuliers, comme celui de Marc Cohen. « Je ne veux pas qu’on me demande mon avis, dit-il volontiers quand il est de bonne humeur ; D’ailleurs, en général, je n’en ai pas ! » Quoi de mieux qu’un maître à penser qui vous envoie penser par vous-mêmes, si ça vous amuse ? En bouddhisme, ca doit être au moins du 7e chakra.
Il y a dans l’« intellolâtrie » une part d’irrationnel qu’il serait vain de se cacher. Mais à ce compte-là, que dire de Barrès et de sa prise de distance avec l’intelligence ? La formule de Maurice a beau me ravir, elle porte en elle-même ses propres limites : c’est pas un con non plus qui aurait trouvé ça !
LE DANGER ANTIFASCISTE
Dimanche 30 juin / C’est bien connu : l’« antifascisme » ordinaire n’est jamais si florissant qu’en l’absence de fascisme, ou même de danger éponyme. C’est aussi ça, l’exception culturelle française : on a plus hurlé au loup contre de Gaulle en 1958 que contre Pétain en 1940.
Pour tenir lieu de « danger fasciste », aujourd’hui en France, qu’avons-nous donc en magasin ?
Une poignée de groupuscules genre « pack de 12 », ultra-fliqués, qui ébranlent la République dans des cabines téléphoniques. Et puis Le Pen bien sûr, et Boutin, Copé, Guaino, Barjot, Mariton, Peltier – et pourquoi pas Mgr Barbarin ?
On s’arrêtera avant Mme Agacinski, par respect pour son mari, et parce que Le Plus du Nouvel Obs l’a convenablement dédouanée : elle n’aura été, dans cette affaire, que « l’idiote utile des intégristes ».
Et l’alliance UMP-FN, vous me direz ? Mais voilà vingt-sept ans qu’on nous tympanise avec le danger imminent de ce rapprochement « contre-nature ». Eh bien, si ça arrive vraiment, voulez-vous que je vous dise ? C’est qu’entretemps les emballages UMP et FN auront vraiment changé de produit, comme on l’a cru pour le Furosémide – mais avec en plus l’accord des patients.
Stratégiquement parlant, je pense comme Buisson que les appareils UMP et FN sont de plus en plus en situation de concurrence, et sûrement pas d’alliance.
Pour prospérer sur les ruines de l’UMP, prophétisait Zemmour en 2012, le FN aurait besoin d’un succès de la gauche au pouvoir ! Autant dire qu’on n’y est pas…
Et même si, dans la pire hypothèse, quatre ministres « bleu Marine » entraient un de ces jours au gouvernement Copé, la République ne serait toujours pas en danger !
Le « fasciste » d’aujourd’hui, le vrai, est très bien défini par James Stewart dans La Classe américaine : c’est celui qu’ « on peut pas tolérer parce qu’il tient des propos intolérables où y’a pas de tolérance ! » Dans le film d’Hazanavicius, c’était hilarant ; là, ça l’est moins, ne serait-ce que parce que c’est sérieux.[/access]

Manif pour Tous : La bonne nouvelle

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manif pour tous cathos

manif pour tous cathos

Difficile d’apprécier la situation de l’Église catholique en France après le premier acte de la querelle sur le droit des homosexuels de se marier et d’avoir légalement des enfants. Sa position est évidemment renforcée : les catholiques ont montré qu’ils pouvaient faire masse et persévérer dans l’affirmation de leur position, ce qui a surpris et exaspéré les laïques de profession, mais leur a attiré aussi des sympathies à l’extérieur. Cependant, le catholicisme s’est peut-être, en l’occurrence, moins affirmé qu’il n’a profité des maladresses et contradictions du camp adverse, que l’on a vu osciller entre l’éloge du débat et la crainte de débattre : « Le débat a déjà eu lieu ! » ; « C’était un engagement présidentiel ! » ; « Cette loi n’enlève rien à personne ! » ; « Les opposants sont homophobes ! » Pour mieux comprendre ce choix d’étouffer le débat, il faut lire ceux qui, au-delà du refrain égalitariste, apparaissent comme les théoriciens d’un projet qui va bien plus loin que la loi Taubira. Le futur qu’ils dessinent est pour le moins inquiétant : découplage de la génération et de la filiation (l’adoption devenant le modèle de la parenté), apparition de familles à trois pattes…, avec comme horizon, grâce à la PMA généralisée et à la GPA, une reproduction délivrée de la rencontre homme/femme, autrement dit une humanité où les faiblesses du corps propre ne borneront plus nos rêves de toute-puissance. Une humanité sans limites.
Si ces faramineuses perspectives n’ont pas suscité plus d’inquiétudes, c’est, bien sûr, à cause du voile d’ignorance que déploie devant elles l’idéologie du progrès : après le divorce, l’avortement, la contraception, le divorce par consentement mutuel, le PACS, le mariage gay était la marche suivante, la suite inéluctable. Vulgate d’autant plus prégnante que l’Église se trouvait chaque fois au premier rang des opposants, donnant elle aussi l’impression qu’elle ressassait la même rengaine. Du coup, les réflexions des responsables religieux ont eu peu d’écho, et encore moins d’influence sur les parlementaires.
Ce qui a finalement ému l’opinion, c’est la situation des enfants concernés, point sur lequel les Manifs pour tous ont efficacement insisté.[access capability= »lire_inedits »] C’est ainsi que l’acceptation (réticente) du nouveau mariage s’est conjuguée au refus que soit changé le régime de la filiation ou étendu le droit à la PMA. En définitive, on croyait que ceux qui s’identifient plus ou moins comme catholiques allaient se marginaliser. Ils ont au contraire été le noyau actif autour duquel s’est cristallisée une protestation plus large, qui a débordé sur la culture laïque, comme le montre la fronde des sénateurs chevènementistes. Preuve qu’en France, le « tout à la liberté individuelle » ne bute pas seulement, comme ailleurs en Europe, sur une empreinte religieuse qui s’efface, mais aussi sur une morale collective non religieuse, dite républicaine – la même qui, dans le passé, s’est opposée au port du voile et à la burqa.
Que la majorité de l’épiscopat et de la presse catholique n’aient pas anticipé le succès, cela a de quoi intriguer. Habituée à jouer perdante, c’est-à-dire à s’incliner après avoir exposé ses objections, l’institution ne voyait qu’une alternative : imposer ses vues ou s’aligner. Il semble que les choses soient désormais plus compliquées. On entend dire que « les catholiques doivent assumer leur position minoritaire »[1. Voir par exemple le texte « Poursuivons le dialogue ! », publié en mai 2013 par le « Conseil famille et société » de la Conférence des évêques de France. Le même organisme a publié en septembre 2012 un texte sur le projet de loi intitulé « Ouvrons le débat ! »]. Cette formule ne les rappelle pas seulement au devoir de respecter la majorité politique, elle leur assigne une nouvelle mission : exprimer leurs sentiments, mais de manière à être entendus à l’extérieur, faute de quoi ils risquent de ne perdurer que comme « contre-culture », protestation, arrière-garde ?
Cette nouvelle donne implique une redistribution des cartes entre les différents courants du monde catholique. On opposait classiquement la masse bourgeoise et passive des plus ou moins pratiquants aux militants actifs dans la société. Mais aujourd’hui, c’est la majorité qui « s’active ». Du coup, les cathos de gauche réalisent qu’ils pèsent peu quand ils ne servent pas d’intermédiaires avec la modernité ambiante. Dès lors que le réformisme où ils essaient d’attirer l’Église n’est plus social mais « sociétal », ils se retrouvent en position de minorité dans la minorité, mal à l’aise dans leur conscience de pionniers. Ce malaise était perceptible dans le courrier des lecteurs de La Croix, où on a pu lire de multiples appels à la compassion et à la compréhension à l’égard des couples homos et de nombreuses critiques du manque de débat dans l’Église. Certains ont même laissé éclater leur hargne face à la bonne conscience, d’honnêtes gens autoproclamés : des gens de Bien d’autant plus sûrs de leur fait qu’ils ont aussi des biens, a-t-on entendu.
Le catholicisme est donc confronté à une alternative dont aucune branche ne peut le satisfaire : soit il se marginalise à la manière des sectes, soit il s’adapte au risque de se diluer. La bonne sortie, que le « mouvement » a fait entrevoir, mais seulement entrevoir, serait une participation utile aux débats d’une société manquant d’horizon. Dans cette perspective, la majorité, semble-t-il, des évêques cherche à faire fond sur des valeurs communes aux croyants et aux autres. C’est ainsi qu’à propos du mariage, le « Conseil famille et société » oppose à l’individualisme débridé un « bien commun » qui reste à définir et la « défense des plus faibles », catégorie qui comprend aussi bien les homos que les enfants actuels et les enfants à naître.
Le problème, c’est que le monde catholique paraît trop étranger à ces questions pour pouvoir y intervenir de façon crédible. Invoquer les lois de la nature[2. La défense de la nature humaine peut avoir de bons usages, comme dans les années 1930, quand l’Église catholique s’opposait à l’eugénisme, admis et pratiqué en Allemagne, aux USA et dans les pays protestants.] et de la tradition ne suffit pas à répondre aux besoins d’un monde où le libertarisme se conjugue à l’absence de toute vision de l’avenir. Pour être audible, l’Église devrait acquérir les compétences voulues, en particulier sur le sujet désormais incontournable de l’homosexualité, compétences que l’opinion lui dénie, non sans raisons. À lire les documents récents de l’épiscopat, on reste perplexe : ils expriment, certes, compréhension et même considération pour les couples homos et leur désir de stabilité, mais cette estime s’applique-t-elle aux seuls sentiments ou s’étend-elle à la relation sexuelle ? Est-ce la continence et seulement la continence qu’on recommande aux homos ? Ce flou ne permettra pas de faire avancer une véritable intercompréhension entre homosexuels et hétérosexuels[3. À cela, le slogan égalitariste ne contribue en rien, au contraire, puisqu’il suggère qu’il ne faut rien dire de la personnalité homosexuelle. Comme on le sait depuis Cannes, le cinéma a décidé de « rompre le silence » à ce propos. Mais cela produira-t-il de l’intercompréhension ? En tout cas, L’Inconnu du lac, loué et primé, m’a paru donner de l’homosexualité une représentation sinistre.], qui fait cruellement défaut. On attend d’autant plus l’Église sur ce terrain qu’elle a historiquement, dans son appareil, une grande expérience de l’homosexualité vécue – bien ou mal. Cela suppose évidemment qu’elle s’explique avec sincérité sur ce qu’elle a dit, sur ce qu’elle a fait et sur ce qu’elle a couvert, et même qu’elle s’interroge sur ses textes : que signifie, par exemple, dans l’Épître aux Romains, la corrélation insistante entre homosexualité et idolâtrie ?
La « compétence » à conquérir porte aussi, plus généralement, sur la question cruciale de l’institution, de l’inscription dans l’histoire de nos expériences de vie, donc sur le dépassement de l’individualisme actuel. Si l’Église ne sait lui opposer, outre la nature, que des abstractions ou des bons sentiments, si elle ne pose pas la question de l’avenir que l’on prépare, c’est parce qu’elle se voit toujours comme l’Institution par excellence, représentant l’humanité entière. Il lui faudra rompre avec cet exclusivisme.
L’épisode des Manifs pour tous a conforté, mais aussi divisé et déconcerté, le monde catholique. Certes, le catholicisme est apparu comme un recours possible dans un monde dézingué. Mais aider ce monde à réinventer l’avenir est une tout autre affaire. S’il n’y parvient pas, non seulement le catholicisme faillira à sa responsabilité à l’égard du monde, mais il risque de s’enfoncer dans la nostalgie et la réaction. Cathos, encore un effort ![/access]

*Photo : -ANFAD-.

Mardi soir sur Arte : la Norvège, deux ans après Breivik

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Dans un documentaire qui passera ce mardi soir sur Arte, Daniel Leconte  explore la Norvège, deux ans après le « traumatisme Breivik », et à  trois semaines des prochaines élections législatives, les premières depuis le drame. 
Un voyage des périphéries vers le centre, qui est l’occasion d’avoir un aperçu complet de la Norvège contemporaine, enrichi par des témoignages variés, d’un militant d’extrême droite à une survivante d’Utoya en passant par un millionnaire, des pêcheurs, un paysan et même un humoriste !
Coté médaille, le « pays des gens heureux » présente donc  de nombreux « bons points » : ressources pétrolières qui assurent au pays un des taux de chômage les plus bas du monde, égalité des sexes, transparence en politique, multiculturalisme…  Le pays le plus riche du monde (en PIB par habitant), n’affiche pas sa richesse façon Golfe, il a fait le choix de réinvestir tous les revenus tirés de l’exploitation du pétrole dans un Etat-providence qui prend la vie des citoyens en main du berceau à la tombe.
Mais le « miracle norvégien » a bien sûr ses revers. Ainsi, derrière le triomphe de l’égalité homme-femme se cache une véritable guerre des sexes qui devient un fardeau pour certains individus. Une coiffeuse d’Oslo, qui a dû remplacer la traditionnelle dichotomie coupe homme/coupe femme, jugée discriminante à cause de la différence de prix, par la plus neutre appellation coupe classique/coupe technique, témoigne : « J’en ai assez de ces discussions permanentes autour de la parité, ça me fatigue. Parfois j’aimerais un peu plus de différences entre les sexes. Qu’un homme me tienne la porte, comme en France. ».
Quant au fameux « Etat-providence » et son chômage quasi inexistant, il s’accompagne d’un assistanat systématique qui camoufle la réalité d’une société à deux vitesses. Ainsi des villages entiers, remplis de personnes mis « en incapacité » pour truquer les chiffres du chômage, se retrouvent sous perfusion sociale.
Même l’idéal de transparence et de lutte contre la corruption a ses travers : il se manifeste par un Etat intrusif, voire policier qui livre ses citoyens les plus riches à la vindicte publique. Ainsi, Dagfin, s’est-il vu attribuer la troisième richesse du comté par le serveur électronique de l’Etat qui publie la liste des revenus de tous les citoyens. Une erreur administrative qui met en colère cet humble paysan : « Ça m’a fait honte »,  confie-t-il à la caméra. C’est qu’ici, on cultive la « mauvaise conscience », mélange d’honnêteté et d’austérité propre à l’identité protestante indigène. Personne ne songerait à s’acheter plusieurs grosses voitures, affirme un millionnaire, qui se garde bien d’étaler sa richesse.
Enfin, le documentaire aborde le cas Breivik, et ce que les Norvégiens ont retenu du drame.  « Il est fou, il n’y a rien à comprendre » affirme un homme politique, traduisant ainsi le sentiment général : très peu d’analyses, refus de considérer la dimension politique de l’acte, obsession du consensus, la plupart des gens, et l’ensemble de la classe politique semblent considérer qu’Utoya n’est qu’un accident, œuvre d’un déséquilibré, et ne dit rien sur la société norvégienne.
Pourtant, Breivik a été jugé normal par la médecine, et il semble donc que son acte doive trouver une réponse politique. Si le Parti du Progrès (FRP), volontiers qualifié de populiste, a souffert du fait que Breivik ait appartenu un temps à ses rangs, il pourrait, du fait des difficultés croissantes que pose l’immigration massive (1 habitant sur 3 d’Oslo est immigré), faire un score conséquent aux prochaines législatives.

Daniel Leconte,« I love democracy, Norvège : le pays des gens heureux », Arte, ce soir à 23h35.

Les vacances de Monsieur Hollande

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hollande vacances ete

hollande vacances ete

Ce n’est pas irrespect de ma part mais le problème des vacances du gouvernement est devenu à ce point lancinant et ridicule depuis des semaines qu’on est invinciblement porté à faire référence à Jacques Tati et aux vacances de Monsieur Hulot.
On a bien compris que l’an dernier, le président de la République en avait trop pris au mois d’août, et à Brégançon, un lieu où il se sentait autant enfermé qu’à l’Elysée. Il se l’était beaucoup reproché et avait expliqué sa chute rapide dans les sondages par cette estivale maladresse alors qu’elle était liée plutôt aux cafouillages politiques et parlementaires qui précédaient.
Il a donc décidé, cette année, de réduire ses vacances et celles du gouvernement malgré les objurgations du Premier ministre et de quelques ministres. Elles dureront du 2 août au 19 août.
Est-il normal que ce sujet ait autant occupé les esprits politiquement et médiatiquement ? N’y avait-il rien de mieux à faire pour la France d’aujourd’hui que de débattre du repos de nos gouvernants, de sa durée et de ses modalités ? Il y a quelque chose d’indécent dans le hiatus entre ces soucis et l’immensité des difficultés auxquelles le Pouvoir doit s’affronter et qui n’interdisent pas une pause, mais au moins qu’on ne constitue pas ce thème en enjeu dominant.
Un ministre a vu juste qui persifle : « Ne pas prendre de vacances, c’est un truc de losers » (Libération). Cette appréciation pertinente révèle surtout le malaise de notre président de la République à trouver le ton adéquat, à définir le rythme cohérent et à choisir la bonne démarche. Hier, c’était trop et aujourd’hui, c’est trop ostensiblement une ascèse qui ne trompera personne et ne fera pas gagner un pouce au gouvernement dans l’estime de l’esprit public. François Hollande ne parvient pas à mettre en oeuvre avec naturel l’équilibre des droits et des devoirs, obsédé qu’il est par l’envie de ne pas suivre les traces de Nicolas Sarkozy tout en s’inspirant à l’évidence de l’exemple atypique de celui-ci pour la forme de sa présidence. Le beau concept de normalité, qui aurait pu être opératoire s’il avait été incarné avec simplicité, est, dans la réalité, totalement altéré parce que le chef de l’Etat s’interroge en permanence pour déterminer quelle normalité est acceptable et quelle autre insupportable.
Ce flou suscite paradoxalement une focalisation sur ce qui devrait être largement au second plan pour un Pouvoir responsable et en pleine action. Celui-ci, dans la presse et l’urgence, aurait toutes les raisons du monde pour se tenir à mille lieues de ces préoccupations d’intendance personnelle quand la gestion de la France elle-même pose d’infinis problèmes d’intendance, et de quelle ampleur !
Des critiques, alors, sont formulées qui partisanes ou profondes tirent des conclusions de ces approximations liées à l’organisation politique des vacances.
Un Dominique Bussereau se laisse aller à un jeu de mots facile : « On ne reproche pas au Pouvoir ses vacances mais sa vacance. »
François Baroin renchérit et il n’a pas tort : « Il est surréaliste et navrant de voir les ministres se plaindre de fatigue alors qu’ils sont en poste depuis un an. »
Olivier Dartigolles, pour le PCF, cingle plus rudement quand il affirme que « cette communication sur l’été sacrifié des ministres laisse un goût amer quand on pense aux millions de vrais oubliés des vacances ».
S’il y a de remarquables communicants, j’en suis persuadé, dans l’environnement amical de François Hollande, je ne suis pas convaincu, en revanche, de la qualité et de l’efficacité de ceux, ministres, conseillers, professionnels, qui gèrent la communication du Pouvoir au quotidien.
Car reconnaissons tout de même l’étrange tour de force négatif d’avoir réussi à faire naître et durer des polémiques non pas sur la politique et les mesures du Gouvernement mais sur ses siestes.

*Photo : Webstern Socialiste/lisemai.

Tristes touristes

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paucard tourisme vacances

paucard tourisme vacances

Le système reprend toujours, avec sa patte fouisseuse, ce qu’il a accordé de sa main pateline. Les congés payés, en 1936, c’est chouette. Certes, comme aurait dit de Gaulle − d’ailleurs il l’a dit[1. « Le bifteck-frites, c’est bon. La 4CV, c’est utile. Les vacances, c’est chouette. Mais tout cela ne constitue pas une ambition nationale. » Cité par Philippe Ragueneau dans Humeurs et humour du général.] −, cela ne constitue pas une ambition nationale, mais cela faisait quand même du bien au populo à gapette quand il a commencé à quitter les quartiers sordides, les taudis avec les toilettes sur le palier, les odeurs de chou, d’urine des cours sordides, pour se retrouver à l’air pur, ne serait-ce que le dimanche, dans les guinguettes « quand on s’promène au bord de l’eau »[2. Chanson de Maurice Yvain et Julien Duvivier, interprétée par Jean Gabin dans le film La Belle Équipe de Julien Duvivier (1936).]. Aux prolos, on ne prenait encore que le prix de la moule-frites, du « petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles »[3. Chanson de Jean Dréjac.]. Pas de voiture, pas d’essence à payer, seulement les frais des rustines ou des pneus de rechange.
Les congés payés vont rapidement devenir les congés payants quoique, devant le beau marché qui s’offre, les débuts soient lents. Ces cochons de travailleurs se rendent dans leurs familles, dans les campagnes, logent dans deux pièces d’une grande maison ou sous-louent une grange, un grenier, bref, ils sont dans le « petit trou pas cher » des années 1950. Malheureusement, la société paysanne disparaît.[access capability= »lire_inedits »] Il y a plus de monde dans les villes que dans les campagnes, ce que consacre Mai-68. La smalah des publicitaires, marchands de voyages et autres communicateurs prend le pouvoir. À ceux qui « gagnent leur vie », on propose toutes sortes de promenades dont les pires sont celles qu’on peinturlure d’alibi culturel. Du Brecht dans une abbaye ; du Boulez dans une chapelle ; du Tartignolle partout ! Version moins contraignante que les Soviets partout, mais plus perverse : la culture comme forme évidente de la domination mondialiste. Tout le monde devrait savoir ça.
Ça, c’est pour les plus riches : quatre jours en France coûtent plus cher que quinze à Djerba. Quant aux pauvres ou ceux qui n’ont pas de comité d’entreprise, ils restent chez eux. Au moins, ils ne seront pas cambriolés. Pour ceux qu’une pénurie temporaire d’argent oblige à rester, il y a le triomphe du virtuel : Paris-Plages ! Finalement, le mot d’ordre est partout le même : entassez-vous ! Étalez la barbaque ! À Pise – où la tour ne penche que d’un côté – comme à Rio, à L.A. (prononcer « elle-é ») comme à Bayreuth, les troupeaux débarquent avec les trains des équipages : caméras, appareils photos, ordinateurs, cellulaires, etc. C’est que, voyez-vous, il n’est pas de meilleur film, de meilleur livre d’images que ceux des touristes. Ils savent.
Notre pauvre pays n’aura bientôt plus qu’une seule industrie sérieuse : les vacances. Les Japonais ne sont pas les pires. L’homme en short, avec les pompes de ville et les socquettes grises, sa banane autour de la taille, voilà le vacancier en uniforme. Ce n’est plus une masse de touristes, c’est la marabunta qui bouffe tout sur son passage. Raymond Borde, conservateur en son temps de la Cinémathèque de Toulouse, dans un ouvrage prémonitoire paru avant les « événements » de 1968, L’Extricable, propose que « les municipalités donnent vingt francs par tête de touriste abattu ». Il prophétise la construction d’un Luna Park[4. Parc de loisirs situé à l’emplacement actuel de l’affreux Palais des Congrès, porte Maillot, et qui ne survécut pas à la dernière guerre.] dans la Beauce ! Dans la société libérale mondialisée, il ne faut pas laisser l’individu en repos, il faut le stimuler par des campagnes d’opinion, de « conscientisation » analogues aux souvenirs dits de « rectification » de la révolution culturelle chinoise. C’est pareil pour le paysage français, muséifié, aseptisé, classé mais aussi détruit par les éoliennes ou cette abomination qu’est le viaduc de Millau, édifié dans le seul but avoué de permettre aux touristes de se rendre plus rapidement en Espagne. Le tourisme de masse est un destructeur de civilisation.
Le film Paris au mois d’août, de Pierre Granier-Deferre (1965) est une histoire charmante qui se déroule avant les terribles années des destructions par le béton. Dans les rues du 6e, on voit des librairies partout. Il n’y a plus de mois d’août, d’abord parce qu’il n’y a plus de Paris mais aussi parce que c’est le mois des invasions barbares. La seule consolation, à Paris au mois doux, c’était la Cinémathèque. Cette bonne vieille dame programmait une alternance de classiques et de raretés. C’était trop accorder aux derniers curieux. Elle est désormais fermée au mois d’août. Je vois dans cette fermeture la preuve irréfutable que la culture sert à nous en éloigner. Nous ne sommes plus bons qu’à faire la queue pour les expos, ce dont je me garde bien.
À tous ceux qui voient arriver la période des vacances avec accablement, je n’ai qu’un conseil à donner, plutôt une expérience à partager : RESTEZ CHEZ VOUS ! De préférence les volets clos.[/access]

Exposition Le Corbusier à Bruxelles: un architecte travaille son image

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L’exposition qui a débuté au CIVA de Bruxelles il y a quelques semaines s’intitule « Le Corbusier and Photography, Construire l’image », titre bilingue étrange, mais qui suit en cela les règles subtiles de la cohabitation linguistique en Belgique… Il ne s’agit pas en tout cas d’une exposition sur l’architecture mais d’une exploration des liens complexes qu’entretenait Le Corbusier avec les images, celles qu’il utilisait comme illustrations et celles qu’il produisait lui-même.
La scénographie se déploie de manière thématique et la première partie montre plusieurs portraits intimes ou officiels de Le Corbusier : on y constate un goût certain de la mise en scène de soi chez l’architecte. Ensuite, on entre dans le vif du sujet, soit l’usage documentaire que fit Le Corbusier de la photographie. Il sut dès ses débuts s’adjoindre les services des plus grands photographes de son temps, dont R. Burri et L. Hervé : leurs images montrent qu’ils avaient saisi l’aspect révolutionnaire des bâtiments de Le Corbusier, chacun avec son regard personnel. L’architecte entretenait pourtant avec eux des rapports tendus, il se montrait volontiers tyrannique, contestant souvent la qualité des tirages destinés à la publication. En effet la plupart de ces photographies devaient servir d’illustration dans des revues ou des ouvrages d’architecture, mais Le Corbusier recherchait une qualité artistique autant que la fidélité documentaire de l’image technique, d’où les tiraillements avec les photographes. Les images présentées ici dégagent une impression de rigueur voire de sécheresse, fidèles en cela aux lignes directrices des bâtiments.
On découvre plus loin quelques reproductions d’articles que Le Corbusier consacra à ses principales réalisations (Marseille, Ronchamp, Chandigarh et des villas individuelles). Ces documents prouvent que l’architecte utilisait au mieux le rapport image/texte. Le Corbusier publia lui-même quelques ouvrages expérimentaux où il approfondit cette recherche, parfois à travers de petits textes poétiques. Une autre section présente des photos de grandes « fresques » comme il les appelait lui-même, c’est-à-dire d’immenses collages photographiques destinés à être accrochés dans certains de ses bâtiments. L’architecte pratiqua en effet le dessin, la photographie, la peinture mais aussi la tapisserie: certaines œuvres sont présentées dans une petit salle à part de l’exposition. Ces œuvres ne font pas preuve d’une grande originalité, elles ressemblent plutôt à des esquisses qui préfigurent certaines réalisations architecturales. L’art nourrissait l’architecture en quelque sorte.
Une dernière section confronte le regard de « jeunes » photographes au travail de Le Corbusier et parmi ceux-ci Thomas Flechtner se distingue par ses images de Chandigarh. Contrairement aux autres artistes il a photographié cette ville sous la pluie et dans la boue, accordant une grande place aux habitants d’aujourd’hui : de manière subtile l’image pointe ici du doigt le décalage entre l’utopie des années 1950 et la réalité quotidienne des années 2000. Une remise en question de la vision urbanistique de Le Corbusier ?
À travers ces nombreux documents on découvre finalement que Le Corbusier poursuivit tout au long de sa vie une recherche liée aux usages de l’image et à son statut : il semblerait que ces problématiques ne soient pas apparues avec Instagram et Flickr…

« Le Corbusier and Photography, Construire l’image », CIVA, Bruxelles jusqu’au 6 octobre 2013.

La cause de Muray

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Philippe Muray causes

Philippe Muray causes

Philippe Muray, tout au long de sa vie (ses vies ?), a collaboré à beaucoup de journaux très différents. De l’Art Press de Catherine Millet au Marianne de Jean-François Kahn ; en passant par L’Idiot International d’Edern-Allier et Le Figaro. Parmi ses collaborations les plus durables on peut signaler une chronique pré-apocalyptique destinée à la Revue des deux mondes, dans laquelle Muray a observé la comédie millénariste de l’avant 2000 et l’épanouissement d’homo festivus (textes jubilatoires repris en volume dans Après l’histoire) ; ainsi qu’une collaboration avec le quotidien régional La Montagne, pour lequel Muray a écrit – de 2001 à sa mort en 2006 – une chronique dominicale acide et souvent irrésistiblement drôle sur les bouffonneries langagières et les falsifications intellectuelles des modernes. Quand La Montagne propose à  Muray d’écrire dans ses colonnes – et d’inaugurer une nouvelle rubrique « Chroniques du temps présent » – le journal auvergnat a déjà un passé littéraire prestigieux, marqué par la figure d’Alexandre Vialatte. S’il y a peu de rapport entre la férocité pamphlétaire de Muray et la poésie de l’absurde cultivée par Vialatte, les deux écrivains se retrouvent dans une certaine façon de répondre à l’époque – par le ricanement, voire le rire franc… Le groupe Centre-France La Montagne, avec la complicité des éditions Descartes & Cie, publie – pour fêter le début des grandes vacances, Paris-Plage, la pratique du pédalo et la canicule – un sympathique volume rassemblant un choix de trente-trois chroniques de Muray brassant l’essentiel de ses thématiques habituelles ; augmenté d’une préface de Jean Baudrillard et d’une postface de François Taillandier.
Le propos de Muray part souvent d’informations d’apparence mineures, d’anecdotes, de faits divers, et se déploie vers une réflexion beaucoup plus générale. Ce « coup d’œil » sur les choses du quotidien permet à Muray de dresser un portrait vivant et saisissant de l’époque. S’intéressant au phénomène de la téléréalité-télé-poubelle il écrit : « Il faut arrêter de calomnier les poubelles. C’est insupportable. » Terrible symbole de vacuité intellectuelle, la piscine de Loana fait sens : « Pour qu’il arrive quelque chose, il faut avoir des désirs et des manques. Les personnages du Loft ne sont pas en manque. Ce sont des suicidés à satiété. À côté de Loft Story, ce qui advient dans une poubelle c’est du Shakespeare, c’est du Balzac. Les poubelles ont une grandeur et une noirceur héritée des temps héroïques. On peut y crocheter des tas de trucs plus ou moins pathétiques ou avariés. » Plein de drôlerie, Muray constate que les « Pokémons multicolores » de la téléréalité ne sont plus des « êtres humains à l’ancienne », et peut-être même plus des vivants.
Dans un autre registre, Muray fustige l’europhilie dans plusieurs chroniques, dont Parlons franc dans laquelle il s’attaque (en 2001) au changement de monnaie. Une monnaie qu’il appelle non pas l’euro mais le zgloub. « Il y a quelque chose de foncièrement honnête, dans le cas du zgloub, à désigner d’un nouveau mot ce qui n’a plus aucun rapport avec les anciennes monnaies nationales ; et, plus généralement, à bien marquer par là que la zone zgloub n’a rien à voir avec l’ancienne Europe, ses déchirements, ses querelles religieuses, ses grandes conquêtes maritimes, ses découvertes scientifiques et son art incomparable ». Certaines chroniques tendent au poème en prose, comme la succulente Supprimons le crépuscule dans laquelle il propose aux modernes d’agir enfin contre ce moment de négativité absolue : « Le pessimisme n’est pas démocratique. Le crépuscule non plus. Qui oserait défendre le crépuscule ? Les chiens et loups, peut-être, entre lesquels il faut toujours, à ce moment-là, essayer de se faufiler, ce qui n’est gère commode. Les chauves-souris aussi, sans doute, ainsi que les papillons de nuit et quelques autres espèces comme la chouette de Minerve, le nyctalope, le noctambule, l’insomniaque, le vampire, le moustique et le tueur fou (…) Le crépuscule, en vérité, n’a que trop duré ». Mais si la fantaisie et l’aisance comique sont sensibles à chaque chronique, Muray aborde aussi des sujets aussi sérieux que la guerre en Irak, la croisade hygiéniste contre les fumeurs, les mensonges de Marie-Léonie, l’empire du Bien et ses bienveillantes attentions liberticides, etc. « L’époque qui commence – résume Muray – s’équilibre décidément entre adoration et persécution ; ou entre ferveur et criminalisation. Aux délices que procurent les emballements les plus fougueux se joignent les plaisirs de la traque et du harcèlement. » (Les ânes de garde)
Si l’essentiel des chroniques de ce Causes toujours a déjà été publiée dans la série des Exorcismes spirituels aux Belles Lettres, la bonne surprise de ce petit livre est la présence de textes encore inédits en volumes, de la fin 2005 à 2006. Un argument qui, à lui-seul, devrait convaincre l’amateur de Muray d’acquérir ce bréviaire joyeux et acide de l’antimodernité, qui est aussi un appel débridé à la liberté face aux nouvelles aliénations de l’hygiénisme en short, de la bien-pensance à roulettes, du festivisme généralisé, de l’Europe du zgloub, de la télévision, de la novlangue de progrès et de la censure de confort. Un autre argument devrait convaincre tout un chacun d’acheter Causes toujours : son format avantageux, qui permettra aux randonneurs de le glisser aisément dans leur sac à dos, et aux baigneurs de l’emporter à la plage. Et existe-t-il une expérience estivale plus revigorante que se nourrir de la prose de Muray assis sur un volcan auvergnat, sur un pédalo, au bord d’une piscine à vagues ou mieux, sur le sable fin, au milieu de notre terrifiant prochain : le touriste ?

Philippe Muray, Causes toujours, collection Chroniques du XXIe siècle, Descartes et Cie-La Montagne, 2013.

Intifada au Jeu de Paume

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ahlam shibli israel

ahlam shibli israel

Les images parlent. Cela signifie qu’elles peuvent mentir. Mais face à une photo, a fortiori lorsqu’elle se veut documentaire, on éprouve une dangereuse impression d’authenticité : on croit être confronté au réel quand il s’agit de sa représentation – vieille affaire de la carte et du territoire. On croit être informé quand on est manipulé, volontairement ou pas. C’est bien ce qui menace les visiteurs de « Phantom Home », l’exposition de la photographe palestinienne Ahlam Shibli, qui a ouvert ses portes le 28 mai au musée du Jeu de Paume. Et mis en ébullition la rue juive, qui dénonce une « apologie du terrorisme ».
Le sujet, il faut le dire, est déjà hautement inflammable puisqu’il s’agit du conflit israélo-palestinien.
Sur ce terrain miné, l’exposition  manipule des images d’apparence quasi journalistique sans jamais fournir la mise en perspective qui permettrait au visiteur de les lire.[access capability= »lire_inedits »] Dans quatre salles, près de 300 photos sont présentées autour de cinq thèmes. C’est le dernier, « Death », qui a mis le feu aux poudres. À travers 68 clichés pris à Naplouse, Shibli évoque l’omniprésence des « martyrs » dans la société palestinienne. La plupart de ces individus ont commis des attentats contre des Israéliens. Le visiteur n’en saura rien.
Pour le président du CRIF, Roger Cukierman, il s’agit d’une pure et simple « apologie du terrorisme ». Il s’en est ému auprès de la ministre de la  Culture. Résultat : le musée a placardé un avertissement à l’entrée de l’exposition et dans la salle directement concernée, puis a organisé un débat sur la liberté d’expression. Mais la polémique enfle : menaces de mort contre la directrice du musée, Marta Gili, alertes à la bombe obligeant le musée à fermer ponctuellement, manifestations devant le Jeu de Paume…
La tension est parfois palpable dans les salles. J’ai assisté à une conversation animée entre partisans et détracteurs de l’expo. Un homme dénonce une « apologie des meurtres d’enfants », tout en s’opposant fermement à ceux qui veulent la fermeture de l’exposition. « Il vaut mieux venir et débattre ! », souligne-t-il avec une telle fougue que les autres visiteurs croient (à tort !) qu’il est juif.  Comme quoi, les clichés ne sont pas uniquement accrochés aux murs…
Comme l’a très bien souligné ce monsieur, la question n’est pas tant la liberté d’expression et ses limites que l’exigence d’une information honnête. Or, le musée et l’artiste ont multiplié non-dits et omissions. Les légendes, pourtant longues (rédigées par l’artiste), n’indiquent jamais que les « martyrs » ont commis des attentats dont la majorité des victimes étaient des civils. Rien non plus sur Naplouse, pourtant l’une des villes à la pointe du combat palestinien pendant les deux Intifadas. Finalement, l’oubli le plus gênant concerne l’artiste elle-même. Selon le dossier de presse, « Ahlam Shibli est née en 1970, en Palestine, où elle vit ». En fait, elle est née en Galilée, que l’Autorité palestinienne reconnaît comme appartenant à Israël, ce qui fait d’elle une citoyenne israélienne. Le Jeu de Paume ne nous dit pas non plus que Mme Shibli vit entre Berlin et Haïfa – troisième ville israélienne – et qu’elle a exposé au Musée d’art moderne de Tel Aviv. Au lieu de raconter une histoire humaine avec ses contradictions et ses aspérités, le Jeu de Paume a fait le choix des… clichés.[/access]

*Photo : MACBA.

Kersauson : le pirate s’est fiancé

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Bénis soient les coiffeurs : en allant me faire rafraîchir, je suis tombé sur un numéro de mi-juillet de Paris-Match , avec plein de nouvelles fraîches d’Olivier de Kersauson dedans. Les amateurs de potins marins y apprendront par exemple que le navigateur n’est plus solitaire et s’apprête à convoler avec Sandra, une ravissante Polynésienne : il a d’ailleurs déjà déposé ses bagages en plein Pacifique.
Mais n’étant pas seulement une midinette, ce sont d’autres passages de cette longue interview qui ont retenu mon attention. Morceaux choisis en vrac :
Les  souvenirs d’école ? « De toute ma scolarité, je n’ai pas passé une seule journée agréable à l’école. C’était comme la prison. À Paris, je n’allais pas chercher mon fils à la sortie à cause de l’odeur de l’école, l’odeur du groupe, celle d’un groupe entier dans une pièce. Je ne vais pas au théâtre ni au cinéma parce que l’odeur du groupe me rappelle l’école. Je déteste cette odeur. »
La connaissance : « Dans certains domaines, je suis excellent. Dans d’autres, je suis complètement infirme. Là où je suis excellent, je préfère qu’on suive ce que je dis. Là où je ne suis pas bon, je la ferme. Je ne fais la leçon à personne. J’ai horreur des donneurs de leçons. Je n’aime pas en recevoir, je n’aime pas en donner. » 
La vie après le sport : « Je n’irai plus au cap Horn. Je ne ferai plus les grandes courses. Je le sais. Ça me… Comment expliquer ? Ça ne me fait pas marrer, mais je m’en fous. »
Ce choix est arbitraire. En vérité, toute l’interview réalisée par Régis Le Sommier est réjouissante, y compris la citation de Hérédia et la photo prénuptiale de Pascal Rostain. Merci et bon vent !

Père, père, pourquoi m’as-tu abandonné ?

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noah hawley bon pere

noah hawley bon pere

Vous trouverez  Le bon père de Noah Hawley dans la Série Noire. Il serait dommage que cela vous arrête si par hasard vous avez quelques préventions contre la littérature de genre car Le bon père appartient de plain pied à la littérature tout court. Après tout, si on y réfléchit un peu et sans forcer la note, L’étranger de Camus aurait très bien pu, en son temps, paraître dans la collection fondée par Marcel Duhamel aux côtés de Monsieur Zéro de Jim Thompson comme Monsieur Zéro aurait très bien pu paraître en collection blanche car Monsieur Zéro est aussi un très grand roman de l’absurde. Précisons d’ailleurs, mais nous y reviendrons, qu’après Dashiell Hammett et Jean-Patrick Manchette, ce sera à l’automne au tour de Raymond Chandler d’avoir l’honneur de ses œuvres complètes  en Quarto, dans une collection qui accueille aussi bien Proust que Nabokov, ce qui montre que ceux qui furent en leur temps classés comme auteurs de second rayon gagnent leurs galons avec le temps.
Oui, il serait bien que vous lisiez Le bon père de Noah Hawley pour vous rendre compte, si ce n’est déjà fait, qu’il n’y a pas de raison de vous priver d’un chef d’œuvre en raison de son habillage éditorial. C’est d’ailleurs tout à l’honneur de la Série Noire que de prendre le risque d’éditer de tels romans qui risquent de dérouter celui qui était venu chercher sa ration de péripéties calibrées dans ces technothrillers qui cherchent à vous convaincre qu’ils sont polyvalents, vous apportant à la fois la distraction et le rempart pour mater les filles sur la plages.
Le bon père de Noah Haley est en effet un de ces grands romans américains qui abordent, à l’américaine évidemment, un thème universel, les rapports entre un père et son fils. D’ailleurs, il vaut mieux que ce thème soit abordé à l’américaine sinon cela donne le Zubial d’Alexandre Jardin sur son père Pascal Jardin qui lui, au moins, en avait écrit un bon sur le sien : La guerre à neuf ans.
D’ailleurs, dans Le bon père, ce n’est pas le fils qui raconte le père, mais le contraire. Le père est un grand rhumatologue new-yorkais, le docteur Paul Allen. C’est typiquement un bourgeois de gauche, un démocrate pur jus qui rejoint chaque soir sa belle maison d’une banlieue chic dans le Connecticut. Le docteur Paul Allen en est à son deuxième mariage et le premier chapitre nous décrit le bonheur insoutenable d’une vie parfaitement réussie, un bonheur dont on fait semblant de ne pas se rendre compte à quel point il est étouffant et subtilement mortifère. La différence entre un roman noir et un thriller, c’est que le roman noir est une tragédie et que dans une tragédie, quand le rideau se lève, la catastrophe a déjà été consommée, l’important étant de savoir comment on va s’en sortir, si on va s’en sortir tout en sachant que rien ne sera plus comme avant. Le thriller aime les happy ends tandis que le roman noir, lui, préfère ce que l’on pourrait appeler les « bad starts ».
Et en matière de « bad starts », Noah Haley fait très fort. Lors de la soirée pizza maison du jeudi, alors que la famille, le père, la mère et les deux jumeaux regardent des jeux télévisés, un flash spécial annonce que le candidat démocrate à l’élection présidentielle a été assassiné de plusieurs coups de feu. Comme le remarque Noah Haley, et c’est à des formules de ce genre que l’on reconnaît les grands écrivains, « La nature a horreur du vide et CNN encore plus » : en quelques minutes, des photos du meurtrier présumés arrivent sur l’écran et le tueur n’est autre que David Allen, le fils aîné de Paul, issu d’un premier mariage avec une artiste hippie de la Côte Ouest.
Quand votre monde s’effondre, vous pouvez vous effondrer avec lui ou réagir. Le bon père est l’histoire de cette réaction. Le docteur Paul Allen, et il insiste là-dessus, veut garder sa froideur de grand diagnosticien pour tenter de comprendre ce qui s’est passé. Tout accuse David qui était devenu l’année précédant son acte un « hobo », un de ces vagabonds lyriques héritiers de Kerouac.
Le bon père est donc à la fois un grand roman d’amour et aussi un grand roman politique sur la violence inhérente à cette démocratie trop sûre d’elle-même. Le roman progresse sur trois plans : avec l’enquête du père, l’errance du fils reconstituée et aussi avec des chapitres neutres, objectifs, racontant les différentes assassinats de masse ou de personnalités politiques aux USA : la tuerie de Colombine, celle de la fac d’Austin par un tireur fou en 66 mais aussi celui de Robert Kennedy par Siran Siran en 68 ou encore la tentative de John Hinckley contre Reagan en 81 et encore d’autres, bien d’autres, comme si notre rhumatologue voulait appliquer ce qu’il est convenu d’appeler un diagnostic différentiel pour comprendre ce qui a pu se passer avec son fils.
Et c’est dans une grande mélancolie que Noah Hawley fait baigner Le bon père, au bout du compte : ce père qui a perdu son fils, cette société qui a perdu son innocence, peut-on les réparer comme le ferait un médecin ou doit-on se contenter de mettre en marche un protocole compassionnel ? Que le jeune David soit coupable ou non, et nous ne vous le révélerons évidemment pas, laisse intacte cette question lancinante : « Si mon fils avait fait ça, je ne comprenais pas le monde dans lequel je vivais. Et je n’avais pas envie d’y vivre. »

Le bon père de Noah Hawley, Série Noire/Gallimard, 2013.

*Photo : Sur la route.

Plus le niveau baisse, plus le ton monte

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basile koch barjot

basile koch barjot

PRÉSOMPTION DE CULPABILITÉ
Jeudi 20 juin / Concernant le contentieux qui nous oppose actuellement, Frigide et moi, à la Régie immobilière de la Ville de Paris, notre avocat a été ferme dès le début : à lui de s’occuper du fond, c’est-à-dire de l’ « affaire Jalons », en réservant à la Justice la primeur de ses conclusions. À nous de dénoncer, pour la forme, les mauvaises manières à notre égard d’une presse qui, dans cette affaire, nous a mal traités en deux mots comme en un.
Dans le dossier d’accusation, sans surprise, tout nous accuse. Eh bien, la plupart des médias se sont contentés de présenter comme avérées les infractions qui nous sont reprochées, avant la décision du juge : présomption de culpabilité. D’autres, plus « citoyens », ont choisi d’en rajouter de leur cru sur nos escroqueries en couple organisé. Aucun ou presque n’a envisagé un instant l’hypothèse de notre bonne foi – sans même parler d’innocence, vous rigolez ou quoi ?
Quant à moi, face à l’épreuve, je resterai digne comme Job. Je sais très bien ce que ma femme a fait au Bon Dieu pour mériter ça ; mais moi, je n’ai rien fait ; alors est-ce que je pourrais juste garder mon étage[1. Nous habitons un luxueux duplex dans un «luxueux » de la luxueuse ville de Paris] ?
PLUS LE NIVEAU BAISSE, PLUS LE TON MONTE
Lundi 24 juin / Tellement vrai, cet aphorisme, et bien dit en plus ! Il figurait dans mon mille-feuille de post-it, amassés depuis dix ans avant d’être aimablement colligés par mon amie Nikki de La Fusacquière (qui aurait préféré garder l’anonymat). Mais en-dessous de la phrase, pas le moindre nom d’auteur, comme dans toute citation qui se respecte. Était-ce donc de moi ? Après enquête approfondie, au bout d’un an et un jour, j’ai décidé de m’approprier ce mot jusqu’à nouvel ordre (ou courrier des lecteurs).
Le plus subtil, réflexion faite, serait peut-être de l’attribuer en forme de clin d’œil à Marc Bloch, qui pratiquait lui-même cette sorte d’« intertextualité » à l’envers. À l’appui de ses thèses, il citait volontiers paraît-il un « proverbe arabe » dont il s’est avéré par la suite qu’il n’existait pas : « Nous ressemblons plus à notre temps qu’à nos pères. »
Mais revenons à mon dicton. Que le ton monte, nul ici n’en disconvient : Causeur hurle tous les mois contre ce danger ! Quant à la baisse du niveau, je m’en suis personnellement rendu compte quand on a commencé à me complimenter sur ma culture ; mon père aurait bien ri.
Comme quoi, décidément, Marc Bloch et les Arabes avaient raison !
J’AI D’EXCELLENTS AMIS INTELLIGENTS
Jeudi 27 juin / À propos de citations, j’ai fait mien – de façon pas tout à fait désintéressée – le mot de Barrès sur « l’intelligence, cette petite chose à la surface de nous-mêmes ».[access capability= »lire_inedits »] Une critique, plus pascalienne que poujadiste, de ce que nous vénérons  aujourd’hui sous ce nom ; une façon surtout, pour moi, de ne pas faire trop de complexes vis-à-vis de mes amis plus intelligents que moi.
Parce que j’en ai connu, sans me vanter, par mes lectures et même en vrai, des gens comme ça ! Ce qui m’a étonné au début, ce n’était même pas qu’il y en eût, mais d’arriver à les reconnaître !
En vrai, c’est facile : ces gens-là sont tellement forts que je suis d’accord avec tout ce qu’ils disent ou écrivent, même sans avoir tout suivi. Simplement, il ne faut pas que j’entende juste après un contradicteur aussi convaincant…
Bien sûr, il y a des cas particuliers, comme celui de Marc Cohen. « Je ne veux pas qu’on me demande mon avis, dit-il volontiers quand il est de bonne humeur ; D’ailleurs, en général, je n’en ai pas ! » Quoi de mieux qu’un maître à penser qui vous envoie penser par vous-mêmes, si ça vous amuse ? En bouddhisme, ca doit être au moins du 7e chakra.
Il y a dans l’« intellolâtrie » une part d’irrationnel qu’il serait vain de se cacher. Mais à ce compte-là, que dire de Barrès et de sa prise de distance avec l’intelligence ? La formule de Maurice a beau me ravir, elle porte en elle-même ses propres limites : c’est pas un con non plus qui aurait trouvé ça !
LE DANGER ANTIFASCISTE
Dimanche 30 juin / C’est bien connu : l’« antifascisme » ordinaire n’est jamais si florissant qu’en l’absence de fascisme, ou même de danger éponyme. C’est aussi ça, l’exception culturelle française : on a plus hurlé au loup contre de Gaulle en 1958 que contre Pétain en 1940.
Pour tenir lieu de « danger fasciste », aujourd’hui en France, qu’avons-nous donc en magasin ?
Une poignée de groupuscules genre « pack de 12 », ultra-fliqués, qui ébranlent la République dans des cabines téléphoniques. Et puis Le Pen bien sûr, et Boutin, Copé, Guaino, Barjot, Mariton, Peltier – et pourquoi pas Mgr Barbarin ?
On s’arrêtera avant Mme Agacinski, par respect pour son mari, et parce que Le Plus du Nouvel Obs l’a convenablement dédouanée : elle n’aura été, dans cette affaire, que « l’idiote utile des intégristes ».
Et l’alliance UMP-FN, vous me direz ? Mais voilà vingt-sept ans qu’on nous tympanise avec le danger imminent de ce rapprochement « contre-nature ». Eh bien, si ça arrive vraiment, voulez-vous que je vous dise ? C’est qu’entretemps les emballages UMP et FN auront vraiment changé de produit, comme on l’a cru pour le Furosémide – mais avec en plus l’accord des patients.
Stratégiquement parlant, je pense comme Buisson que les appareils UMP et FN sont de plus en plus en situation de concurrence, et sûrement pas d’alliance.
Pour prospérer sur les ruines de l’UMP, prophétisait Zemmour en 2012, le FN aurait besoin d’un succès de la gauche au pouvoir ! Autant dire qu’on n’y est pas…
Et même si, dans la pire hypothèse, quatre ministres « bleu Marine » entraient un de ces jours au gouvernement Copé, la République ne serait toujours pas en danger !
Le « fasciste » d’aujourd’hui, le vrai, est très bien défini par James Stewart dans La Classe américaine : c’est celui qu’ « on peut pas tolérer parce qu’il tient des propos intolérables où y’a pas de tolérance ! » Dans le film d’Hazanavicius, c’était hilarant ; là, ça l’est moins, ne serait-ce que parce que c’est sérieux.[/access]