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Mick Farren : mort d’un déviant


Il y a quelques jours on parlait beaucoup, jusqu’au Figaro, du décès du guitariste J. J. Cale, qui fut à la guitare rock ce que le tranxène est aux amphétamines. Vu le malentendu, on ne risque donc pas trop de vous rebattre les oreilles avec le décès du journaliste, auteur et chanteur britannique Mick Farren, survenu le 27 juillet. Moi j’ai appris la nouvelle par la liste de discussion «leftists trainspotters», aimable espace de diffusion d’informations sur les milieux obscurs de l’ultra-gauche internationale.
Figure centrale de ce qu’on appelait jadis la «contre-culture» Mick Farren s’est en effet trouvé à l’intersection de ses dimensions les plus radicales sur les plans musicaux, littéraires mais aussi politiques.
Même au moment du «Summer Of Love» il n’y avait pas de «flower power» pour Mick Farren. Personne n’aurait pu être aussi éloigné du stéréotype du hippie indolent. Farren représentait l’aile militante du mouvement, une tornade d’activité, un chaudron bouillonnant d’idées. Dont certaines fonctionnèrent même, comme le lancement du magazine underground bimensuel International Times (IT) auquel il participa avant d’en devenir plus tard le rédacteur en chef.
Mick Farren fonda le groupe psychédélique The Deviants, aussi déjanté et éloigné du succès commercial qu’appelé à devenir une référence pour toute la vague punk. Comme il se doit, les Deviants furent découverts par le disc-jockey John Peel, alors une des vedettes de Radio London, une station pirate offshore. Composé de Farren (piano et chant), Sid Bishop (guitare et sitar) et Russ Hunter (batterie) le groupe enregistra trois albums entre 1967 et 1969, dont l’incomparable «Ptoof» aux sonorités avant-gardistes et à la pochette pop-art.
Farren poursuivit ensuite en solo avec un album sorti en 1970 : Mona – the Carnivorous Circus.  Ce disque synthétise dans un joyeux bordel toute l’approche culturelle de Mick Farren : reprises de Bo Diddley et Eddie Cochran, collages sonores, interview de Hell’s Angels, déclarations politiques enflammées. Avec son complice Steve Peregrin Took (ex-Tyranausaurus Rex) il participa ensuite à la fondation des Pink Faries.
Farren arrêta ensuite de placer la musique au centre de son activité pour se concentrer sur l’écriture et l’agitation tous azimuts : organisation de concerts, de manifestations gauchistes (en général quand il n’était pas sur scène il se débrouillait pour y monter quand même pour se livrer à des appels à la révolution). En 1971 il co-édita le journal de bande dessinée Nasty Tales qui fut poursuivi par la justice pour «obscénité».
À la même période il tenta de lancer une branche britannique des White Panthers, mouvement fondé à l’instigation des Black Panthers pour organiser la jeunesse radicale blanche. Le (futur) trotskyste Andrew Coates raconte comment, se rendant au bureau du parti à Covent Garden pour adhérer, il n’obtint de cette joyeuse bande qu’une poignée de badges.
Personnage haut en couleurs, plein d’humour, Mick Farren avait un look de «dandy biker» et en particulier une coupe de cheveu «afro» et d’éternelles lunettes noires. Un style ressemblant à celui de Rob Tyner, chanteur du MC5 et qui a visiblement été l’inspiration de l’humoriste Strutter.
Avec l’effondrement de la presse underground, il devint évident qu’il se devait de poursuivre son action sous des formes nouvelles. Ce fut en rejoignant l’équipe de l’hebdo  New Musical Express avec ses amis Charles Shaar Murray et Nick Kent.
À la fin des années 1970 Mick Farren revint à la musique avec la réalisation de deux 45 tours et de l’album Vampires Stole My Lunch. On note parmi les musiciens Marky Bell (futur Ramones), Chrissie Hynde (alors journaliste au New Musical Express, future Pretenders) et Wilko Johnson (Dr Feelgood).
Farren écrivit régulièrement des paroles de chansons pour la «Lemmy connection» : Hawkwind, Pink Fairies, Larry Wallis et même Motörhead.
Puis vint un long exil américain, de Manhattan à Los Angeles, ponctué de brefs séjours londoniens. Ses nombreux problèmes de santé le contraignirent à revenir définitivement en Grande Bretagne, le système de santé américain ne lui permettant pas d’accéder aux traitements dont il avait besoin.
Il finit par remonter les Deviants, il y a deux ans. Comme les plus grands artistes, Mick Farren est mort sur scène, lors d’un concert des Deviants. La salle s’appelle le Borderline. What else ?



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