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Mali : l’émotion règne et gouverne à Paris

mali rfi defense

L’émotion, qui  submerge la France depuis la mort des deux journalistes de RFI, est légitime. Elle l’est moins lorsqu’elle engage des décisions stratégiques et tactiques sur le terrain. À l’image de l’annonce que la porte-parole du gouvernement a faite le lendemain aux Échos : « Il nous reste près de 3 000 hommes. Il va sans doute falloir renforcer encore cette présence pour faire reculer le terrorisme.  »

Jusqu’à présent, la mort de soldats français suscitait de la part des gouvernements une accélération du calendrier de retrait des troupes. Il faut croire que lorsque des journalistes tombent, le calendrier s’inverse carrément.

Mais d’un point de vue militaire et diplomatique, ce virage stratégique est-il vraiment justifiable?  Olivier Zajec, qui enseigne la stratégie à l’Ecole de guerre, rappelait au mois de mars dans Le Monde diplomatique, les dangers d’une opération militaire contre le terrorisme : « Voir le slogan simpliste de la « guerre contre le terrorisme » connaître une surprenante épiphanie malienne s’avère d’autant plus troublant que les Américains, promoteurs de la formule, l’ont abandonnée en 2009. M. Barack Obama avait alors fait remarquer qu’il était « stupide » de « faire la guerre à un mode d’action ». Dans son essai La nouvelle impuissance américaine, il avait sonné le glas de la mode stratégique du moment, le nation-building contre-insurrectionnel : « la contre-insurrection ne fonctionne que dans deux cas précis et aujourd’hui datés : la colonisation et la décolonisation ». Les schémas de David Galula, stratège français découvert sur le tard par le général Petraeus à l’occasion des conflits irakien et afghan, sont certes intéressants, mais ils ont été écrits au début des années 60, ce qui leur fait perdre de leur pertinence.

Et si les succès libyen et malien ont effacé les humiliations occidentales subies au Moyen-Orient, c’est sans doute parce que nos armées se sont engagées face à un ennemi bien identifié derrière une ligne de front bien définie et dans un temps limité. Mais une fois l’ennemi dépassé et infiltré derrière cette ligne, les attentats-suicides et les prises d’otage se multiplient. La grosse machine militaire n’est plus adaptée. Le soldat qui patrouille ne peut pas distinguer le civil du terroriste : il devient une cible en mouvement. Face au terrorisme, la solution n’est plus militaire mais policière et, à long terme, politique.

Au rebours de cette logique, on trouve dans les états-majors des partisans d’un renfort militaire. En 2010, Le général Vincent Desportes avait par exemple dénoncé les manques de moyens militaires en Afghanistan et réclamé 100 000 soldats supplémentaires. Mais avec près de 150 000 hommes, les Etats-Unis et leurs alliés ne sont pas parvenus à contrôler les montagnes afghanes. Pour l’ancien patron de l’École de guerre qui s’exprimait le 3 novembre sur France Inter c’est simple, il faut appliquer les mêmes recettes au Mali qu’en Afghanistan : rester et augmenter les effectifs. « Les forces françaises devront rester là avec des volumes importants, elles devront renforcer leurs effectifs au Mali (…) On ne pourra retirer nos forces qu’une fois une nouvelle paix établie », argumente-t-il.

Alors que la nouvelle loi de programmation militaire va réduire l’ensemble des forces opérationnelles françaises à 66 000 hommes, les états-majors invoquent les opérations extérieures pour défendre leurs effectifs et leurs programmes. Chaque année, le surcoût des « OPEX » constitue un véritable casse-tête budgétaire. Mais pour obtenir gain de cause auprès de Bercy et de Matignon, nos généraux feraient mieux de parler « emploi d’avenir », « relance industrielle » et « intégration des jeunes issus de l’immigration ». Ironie du sort, c’est exactement le type d’emploi supprimé lorsqu’est dissout un régiment d’engagés volontaires. Emplois ensuite recrées à grand frais dans les cités. Tout cela est d’une logique imparable.

Mais le renfort de troupes annoncé au Mali obéit à d’autres considérations, purement médiatiques. Oubliées la réflexion stratégique sur la place de la France dans le monde et les contraintes budgétaires. Les mystères de la « guerre contre le terrorisme » sont décidément insondables…

*Photo : GILLES GESQUIERE/ARMEE DE/SIPA. 00668675_000001.

Gravity : l’espace est-il ringard ?

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gravity sandra bullock

On ressort de Gravity avec cette étrange impression que le film d’Alfonso Cuaron ne parle, in fine, de rien. Oh, pour être spectaculaire, il l’est assurément, et l’on n’est pas déçu par l’expérience audiovisuelle, vraiment stupéfiante. Certes, le contenu narratif du film est efficace. Certes, l’aventure orbitale de Sandra Bullock maintient le spectateur en  haleine de bout en bout ; certes, certes. Mais on a ce sentiment, quand  la salle se rallume, que l’on ne nous a pas raconté grand-chose au-delà  du film lui-même.

Alors on consulte ses petits mémos intérieurs au chapitre « Films dans  l’espace » : 2001 et son voyage mystique, Alien et sa science-fiction angoissante,  Star Wars et son carnaval intergalactique, Armaggedon et son  catastrophisme improbable. On a intégré depuis Méliès que l’espace  est l’incarnation de toutes les aventures, de toutes les rencontres, de toutes les cartographies possibles. Et on cherche dans Gravity où se terre (gag) le vertige épique du vide intersidéral. Et on ne le trouve pas vraiment. Pas d’aliens, pas d’ordinateur fou, pas de fin du monde à l’horizon.

Alors, dans un premier temps, on se dit que tout cela n’est qu’un  spectacle qui, tout réussi qu’il est, manque un peu de métaphysique.  L’espace est un endroit craignosse, où il ne se passe absolument rien,  où le froid le dispute au vide, et où finalement ne se promènent que de  pathétiques débris du XXème siècle. Gravity, c’est l’espace comme  endroit devenu ringard. Sandra Bullock répare en vain un appareil en  rade qui a perdu son lustre high-tech depuis longtemps, des Russes font  sauter leurs satellites espions façon cow-boys de la Guerre Froide, les  stations spatiales sont des ruines errantes, les capsules sont des épaves en déroute, et on écoute du Hank Williams dans son scaphandre  comme au temps des pionniers au lieu de balancer « Contact » de Daft Punk  à fond dans ses oreilles – ce qui serait mille fois plus indiqué en 2013.

Oui, dans un premier temps, on est déçu par l’enthousiasme trompé.  L’espace, en vrai, c’est nul. On n’y envoie que des ingénieurs informaticiens, drivés par des vieux briscards qui font les kékés avec  leurs cosmoscooters. Tout ça pour quoi ? Pour assurer la dernière mise à jour de Google Maps ? Pas vraiment homérique, l’épopée orbitale. Gros désenchantement.

Et dans un deuxième temps, du coup, on se dit que c’est une idée  finalement assez intéressante, et on gamberge. Que voit-on de  l’immensité intergalactique ? Rien. La réalité qu’il faut tous s’avouer,  c’est que le vide intersidéral est désespérant d’ennui et que rien ne vaut cette bonne vieille Terre, nom de Dieu. On ne voit que la Terre,  tout nous ramène à la Terre, tout s’oriente par rapport à la Terre.  Grosse crise de géocentrisme. George Clooney ne tripe pas sur les constellations et les lointains trous noirs, mais sur les couchers de soleil et la vue du Gange, là, juste en dessous, notre vrai « home ».

Il faut se rendre à l’évidence, on n’est pas fait pour nager dans l’air  pressurisé des cockpits. La position fœtale est rassurante après  quelques peurs bleues, les joujoux qui flottent dans les cabines sont amusants deux minutes, mais ces enfantillages ne sont pas salvateurs.

L’aventure est magnifique et nécessaire, encore faut-il qu’elle se  nourrisse d’un vrai sens et d’une vraie quête. Voilà ce que nous dit Gravity. La vraie place de l’humain n’est pas dans l’illusion que l’apesanteur libère, mais dans la pleine acceptation de l’attraction fondamentale. La gravité n’est pas notre ennemie, elle est le sens de  notre vie. Le vraie sens de l’architecture n’est pas dans le déni de la gravité, sans quoi on ne bâtit rien ; et le vrai sens de la musique n’est pas dans le déni de la sonorité, sans quoi on ne comprend rien ; de même le vrai sens de l’homme n’est pas dans la sortie de l’humain,  mais au cœur du principe même de l’humanité retrouvée.

Car la gravité a ce don de faire de nous des êtres debout, des êtres qui marchent, des  êtres qui respirent, des êtres vraiment vivants ; comme une Sandra Bullock dont le vrai grand voyage, transformant et initiatique,  salvateur et héroïque, est celui du Retour. Peut-être est-il temps, sans pour autant renoncer à nos prochains périples vers Mars, de fermer pour de bon la page du XXème siècle, et de voir à la fois beaucoup plus près, et beaucoup plus loin.

*Photo : Gravity.

Tous des salauds, sauf Mamère? Tous des nigauds sauf Mélenchon!

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On a pu le constater lors des Manifs pour tous, le reconstater pendant l’Affaire Leonarda et le rereconstater ces jours-ci avec la légère crispation dont a fait preuve le Bloc prohibitionniste vis-à-vis des 343 salauds : il y a de moins en moins de clients pour la nuance.

Cette attrition s’explique aisément : quand le Bien est manifestement d’un côté et la dégueulasserie de l’autre, à quoi bon prendre des pincettes ? C’est donc au fer rouge que sera traité le désaccord déraisonnable, comme chez Nathaniel Hawthorne.

Tout cela pourrait laisser indifférents les amis du Bien. Sauf que, comme ce fut le cas lors des premières tentatives d’utilisation des gaz de combat lors de la grande guerre, le nuage toxique destiné à l’ennemi fait aussi des ravages chez ses propagateurs. Même dans le camp des civilisés, l’insulte devient la norme et le goût du dialogue, un signe de faiblesse.

Chacun se souvient des sommets qu’a atteints le débat d’idées lors de l’élection à rallonge du président de l’UMP. Mais ça, c’est normal, ma brave dame, c’est la droite. Le drame, le vrai, c’est que ce goût du sang et cette joie de la meute contaminent de plus en plus la gauche dans ses querelles internes. On a encore en mémoire la saine camaraderie qui a présidé aux débats Menucci-Ghali. Mais ça c’est normal, me direz-vous, c’est des Marseillais. Admettons.

On a été moins attentif, et c’est dommage, au ton mesuré avec lequel Noël Mamère a exposé, sur son blog ses divergences avec Manuel Valls, qui est ainsi décrit : « Cet admirateur des méthodes de basse police de Nicolas Sarkozy et du flic Clémenceau, qui fit tirer en son temps sur les grévistes, cet enfant de la Rocardie, coaché par ses deux amis, Alain Bauer, ex-conseiller sécuritaire de Sarkozy et du publicitaire Stéphane Fouks, conseiller de DSK et de Cahuzac, est en train de fracturer pour longtemps la gauche française.» T’as raison Noël, c ‘est en parlant comme ça, et comme toi, qu’on va la ressouder, la gauche française. Mais bon, quand on veut contester le leadership de Mélenchon sur la gauche de la gauche de gauche, il ne faut pas craindre la surenchère, quitte à gonfler sa rhétorique de collégien aux hormones de croissance.

Le dernier épisode de ce Dallas chez la gauche est passé lui, totalement inaperçu. Et j’ai presque envie de dire que c’est tant mieux, tellement il est triste.

On le sait, deux manifs ont eu lieu simultanément ce samedi en Bretagne. L’une, celle des « bonnets rouges » à Quimper où l’on retrouvait un échantillon représentatif –et donc forcément hétéroclite- de tout ce que la région compte de coléreux – y compris de droite, donc, voire du Medef ou pire.

En vertu de quoi la gauche de gauche décida de faire manif à part à Carhaix dans le centre du Finistère, sous les banderoles de la CGT, des Verts, du PCF et de la FSU. Jusque-là, rien à redire, c’est de la politique.

Le NPA, lui, fait une analyse différente. Dès jeudi, le parti posttrotskyste a réitéré son appel à la manif de Quimper, tout en dénonçant la tentative d’OPA sur le cortège opérée par « le Medef, les promoteurs de l’agro-business et des patrons de la grande distribution ».

Les militants du NPA, soutenus par Attac et les Alternatifs, expliquent avoir choisi Quimper plutôt que Carhaix « pour des raisons d’efficacité, pour ne pas laisser le champ libre à la droite et revenir aux mots d’ordre pour l’emploi, contre les licenciements et pour un autre modèle agricole ».
C’est donc là que défilera le NPA, Philippe Poutou en tête, pour ne pas laisser la droite être le seul relais politique des révoltés. Jusque-là rien à redire, c’est de la politique, et même de mon point de vue, de la bonne politique.

Sauf que justement, si, certains trouvent à y redire. Dès le lendemain de la prise de position du NPA, l’hebdomadaire de gauche Politis sort ce gros titre en une de son site : « Poutou (NPA) manifestera à Quimper avec le patronat, le FN et les identitaires. »

Aussitôt émis, cet amalgame qui nous ramène aux temps lointains, et tellement plus confortables, du combat à mort contre l’hitléro-trotskysme est repris par une myriade de blogs vigilants et mille fois tweeté et retweeté par des Vychinski 2.0 trop contents de s’écarter un peu de la liste des usual suspects pour tomber à bras raccourcis sur le prolo de Bordeaux.

C’est une version à peine modifiée de ce lynchage virtuel que retweetera l’aimable Jean-Luc Mélenchon : « Aujourd’hui à ‪#Quimper, assemblée générale des nigauds derrière le FN, l’UMP et le Medef. Les esclaves manifestent pour leurs maîtres.»

Eh oui, les amis, ici-bas, c’est désormais comme ça : on est toujours le salopard de quelqu’un. Avec un peu de chance, on se fera seulement traiter d’esclave.

*Photo : MEUNIER AURELIEN/SIPA. 00664188_000059

Le tricheur et le rapporteur, fable russe

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L’organe russe supervisant le contrôle de l’éducation et des sciences, nommé « Rosobrnadsor », a présenté une  ébauche de loi incitant les élèves à dénoncer ceux de leurs condisciples qu’ils auraient surpris à tricher. C’est une des solutions avancées pour éviter les fraudes lors du test de fin d’école « EGÈ », correspondant au Baccalauréat.

Le directeur de cet organe exécutif, Serguei Kravtsov, explique le but de la démarche : « Si un élève triche à l’aide de son portable pour récupérer des informations, tout le monde peut le dénoncer. » Il suffit de remplir un papier pré-distribué en début d’examen avec les informations utiles et de le glisser dans une petite enveloppe prévue à cet effet  qui sera récupérée en même temps que les copies à la fin des épreuves.

Mais l’avant-projet ne s’arrête pas là. Il couvre plus largement son public puisque les professeurs-mêmes peuvent être touchés par les accusations anonymes.

Le quotidien Novaya Gazeta s’interroge sur la portée d’une telle mesure. Il donne la parole à un instituteur qui trouve le principe « monstrueux ». « Une fille amoureuse de son enseignant peut se venger d’un amour non réciproque, raconte-t-il, ou un garçon d’une mauvaise entente avec le maître. Comment peut-on proposer de telles choses à des enfants ? »

D’une façon plus générale, ce texte fait peur. Il rappelle de mauvais souvenirs. L’époque où les enfants étaient félicités lorsqu’ils dénonçaient leurs parents, ennemis du peuple. L’époque où la légende de Pavlik Morozov, un jeune garçon qui a incriminé sa famille, était une histoire de héros.

Il faut bien noter à cet égard que l’organe auteur de la proposition est directement subordonné au Ministère de l’éducation. Créé en 2004, le comité a pour rôle de vérifier la « compétence » des professeurs et des élèves. Tous les enseignants sont soumis régulièrement à un examen de pédagogie et reçoivent une attestation sans laquelle ils ne pourraient plus exercer.

Nina G., institutrice et directrice d’école se désespère d’un tel contrôle. Elle nous confie : « Je suis dans l’enseignement depuis plus de 30 ans, j’ai toujours été reconnue pour mon travail et  maintenant je dois me justifier devant un jury qui n’y comprend rien et qui peut me destituer du jour au lendemain parce que mon programme ne leur plaît pas. »

Dans cette perspective, le projet de loi évoqué paraît poursuivre par d’autres moyens – franchement discutables – le système de contrôle déjà en place. Au pays de Poutine, les tentacules ne font que s’allonger…

 

 

«343 salauds» : Le sexe, ça fait pendre

343 salauds feminisme

Nous n’avons rien vu venir. D’accord, il y avait un peu de malice dans notre « Manifeste des 343 salauds », et même, comme l’ont souligné de nombreux journalistes sans cacher leur réprobation, un brin de provocation. Voire, soyons fous, un zeste d’humour. Nous devions avoir la tête ailleurs car certes, l’Assemblée nationale n’a pas encore aboli la prostitution (ni le réel dans son ensemble), mais elle a dû voter une loi proscrivant la malice, la provocation et l’humour, ou réservant leur usage à certaines catégories de la population et à certains sujets. On ne remercie pas Frédéric Beigbeder d’avoir eu cette brillante idée, mais peut-être voulait-il éliminer un concurrent ?

Nous étions donc encore en train de plancher sur ce numéro, quand le coup est parti, sans que nous ayons pu faire quoi que ce soit. Mardi 29 octobre, en fin d’après-midi, le site du Monde a mis en ligne une tribune d’Anne Zelenski, « féministe historique » et signataire du « Manifeste des 343 salopes » contre l’avortement, répondant à notre texte… qui n’était pas encore publié. Gil Mihaely a laissé des messages aux responsables du site pour leur demander de retirer le texte jusqu’à la parution du nôtre. Sans succès. Alors nous avons laissé tomber pour retourner à nos moutons, c’est-à-dire à vous, chers lecteurs. Fort occupée à écrire les derniers textes, j’ai répondu à une journaliste de Libération sans inquiétude particulière et sans exiger, comme je le fais habituellement, de relire mes citations. Sans doute me suis-je mal exprimée car la journaliste a compris, de bonne foi d’ailleurs, que la référence au « Manifeste des 343 salopes » « répondait surtout à l’envie d’emmerder les féministes d’aujourd’hui ». Au risque de décevoir ces bonnes dames, je ne me lève pas le matin en pensant à elles. Je l’avoue, donner quelques aigreurs aux copines de « Osez le Féminisme » ne me cause pas un déplaisir particulier. Disons que cela peut être un bénéfice collatéral. De là à travailler pour ça, faut pas pousser.

Nous ne savions pas que « l’affaire des salauds » était sur le point de commencer. Dès potron-minet, le mercredi, le téléphone sonnait dans nos locaux, où les maquettistes étaient déjà au travail. À 11 heures du matin, j’avais reçu une vingtaine d’appels de journalistes, y compris suisses et canadiens, et j’étais invitée dans sept ou huit émissions, dont, pour la première fois, et sans doute la dernière, au Grand journal de Canal+. C’est finalement Basile qui s’y colla avec brio, tandis qu’à la rédaction nous tentions de répondre aux dizaines de demande d’interviews tout en poursuivant ce bouclage chaotique. Je ne vais pas vous raconter d’histoires : nous espérions bien que notre petite facétie ferait du buzz et permettrait, par la même occasion, à de nouveaux lecteurs de découvrir

Causeur. Mais nous n’avions pas un instant imaginé les tombereaux d’insultes qui allaient se déverser sur nous et sur les malheureux signataires : « 343 mâles dominants qui veulent défendre leur position et continuer de disposer du corps des femmes par l’argent », éructait une militante de OLF ; « Ils n’ont pas usurpé leurs noms de salauds », décrétait une autre ; « Le plaisir masculin unilatéral est pour eux la normalité. Les violences qu’il occasionne ne sont qu’un détail », présumait Laurence Cohen, responsable du droit des femmes au PCF – heureusement qu’elle n’est pas responsable de la lecture, car ça n’a pas l’air d’être son fort, le texte précisant, bien sûr, qu’il ne défend « ni la violence, ni l’exploitation, ni le trafic des êtres humains ». Jusque-là, rien de très étonnant. Ce sont les arguments habituels des « abolitionnistes » : comme dit la chanson, tous les hommes sont des cochons mais, de nos jours, toutes les femmes n’aiment pas les cochons. En tout cas notre initiative a au moins eu le mérite de stimuler la créativité de nos détracteurs. J’avoue avoir trouvé un peu faible la parodie sobrement intitulée « Caunard » présentant l’appel des 343 colons (« Touche pas à mon esclave ! »). Mais le cœur y était.

Nous n’avons pas seulement commis le crime de ne pas adhérer à la conception de la sexualité, et plus encore de la liberté, autorisée par le lobby de la vertu. Nous nous sommes rendus coupables d’un impardonnable sacrilège en nous référant au « Manifeste des 343 salopes ». « Les 343 salopes réclamaient en leur temps de pouvoir disposer librement de leur corps. Les 343 salauds réclament le droit de disposer du corps des autres. Je crois que cela n’appelle aucun autre commentaire », a lapidairement déclaré Najat Vallaud-Belkacem, lors du compte-rendu du Conseil des ministres. Avec tout le respect qu’on doit à une ministre, peut-être ignore-t-elle le sens du mot « consentement » qui figure dans notre Manifeste. Cela dit, on lui pardonnera parce que c’est pas tous les jours qu’on cause de Causeur à l’Élysée.

En somme, quand un député socialiste compare l’expulsion de Leonarda à une « rafle », cela passe comme une lettre à la poste. Mais notre innocente référence historique a suscité force vociférations : « odieuse », « insoutenable » et même « abjecte » pour la présidente d’OLF. J’ai trouvé particulièrement délicieux le ton outré d’un journaliste de radio qui me faisait part de l’indignation « des féministes » devant ce détournement. Comme je lui demandais pourquoi ces indignées seraient les seules dépositaires autorisées de la mémoire du féminisme, il me fit cette étonnante  réponse : « parce qu’elles sont féministes ! » Un autre article mentionne sur le mode ricaneur la présence, parmi les signataires, « des très féministes Eric Zemmour et Ivan Rioufol ». A-t-on le droit de ne pas être féministe ou est-ce un délit, au même titre que le racisme ou l’homophobie ?

Or, nul ne semble s’inquiéter de l’intolérance fanatique que manifestent de tels propos. Faudra-t-il demain présenter sa carte de membre du parti du Bien pour avoir le droit de s’exprimer ? En tout cas, le positionnement politique prêté à Causeur – de droite, réac, ou même facho – est une circonstance aggravante. Dans un texte intitulé « Allez les salauds, tous au bois de Boulogne », Annette Lévy-Willard résume ainsi nos coupables agissements : « On vole les idées progressistes et on les retourne comme des chaussettes en idées réacs pour la défense de nos couilles menacées. »  Si le maniement des idées, termes et références « progressistes » est réservé à leurs légitimes propriétaires, cela va devenir compliqué d’écrire et même de penser.

« Nous ne défendons pas la prostitution, nous défendons la liberté », avais-je écrit dans la présentation du Manifeste. C’est pourquoi nous avons placé ce texte sous le patronage des féministes d’antan qui étaient tout de même plus marrantes que leurs glaçantes héritières. On n’imagine pas les filles du MLF réclamer sans cesse plus de flics et plus de répression. Aujourd’hui, la gauche sociétale, qui est supposée incarner la pointe avancée du progressisme, est travaillée par une irrépressible libido de contrôle et d’interdiction. Et si les « réseaux sociaux » sont représentatifs de l’opinion dominante, notamment des jeunes, on ne va pas beaucoup rigoler dans les années à venir.

Répétons-le, nous ne défendons dans ce texte rien d’autre que le droit de deux (ou plus) adultes consentants d’avoir la sexualité qu’ils veulent, tarifée ou pas. Le consentement est un leurre, rétorquent les abolitionnistes. « La majorité des personnes qui se prostituent le font par contrainte économique ou psychologique », écrit Anne Zelensky. Admettons. Mais alors, il faudrait protéger toutes les femmes à qui il arrive, par exemple, de faire l’amour sans en avoir envie, parce qu’elles veulent faire plaisir à leur compagnon. N’est-ce pas la preuve d’une intolérable contrainte psychologique ?

Il est vrai que la plupart des gens ont du mal à croire qu’une femme puisse faire librement commerce de ses charmes. À Causeur, nous avons eu d’intenses discussions sur le sujet – heureusement plus nourrissantes que les éructations qui ont salué notre initiative. Il est en effet difficile d’admettre que tout le monde n’a pas le même rapport que nous à son corps et à la sexualité. Pour autant, nul ne prétend que la prostitution soit un métier comme un autre. Enfin, les prostituées par choix – celles dont il est question dans notre manifeste – représentent certainement une minorité. Mais on ne voit pas au nom de quel principe on pourrait libérer cette minorité par la force. La protection infligée à des filles qui n’en demandent pas tant ne relève-t-elle pas d’un maternalisme de mauvais aloi ?

Derrière la croisade abolitionniste, il y a le rêve d’une sexualité transparente, démocratique, égalitaire, c’est-à- dire le contraire d’une sexualité. Comme si on était passé de la guerre des sexes à la guerre au sexe. C’est parce que les hommes se trouvent particulièrement visés dans cette guerre que nous avons décidé de prendre leur défense – et si les copines de OLF n’aiment pas les hommes, qu’elles ne tentent pas d’en dégoûter les autres. Car au train où vont les choses, les derniers spécimens en circulation devront bientôt se balader en burqa. L’air de rien, la peur commence à s’insinuer dans les esprits. Mes copains socialistes sont prêts à signer des textes dont ils ne pensent pas un mot pour acheter la paix avec leurs camarades. Ces affriolantes donzelles finiront par nous faire regretter la domination masculine.

Cet article en accès libre est extrait du numéro de novembre de Causeur magazine. Pour lire l’intégralité du magazine, cliquez ici.

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*Photo : ROSSI GUIDO/SIPA. 00435749_000001.

« 343 salauds » : Nouvel ordre moral ou nouveau parti dévot ?

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« Jeune catin, vieille dévote. » Ce dicton, qu’aimait à citer Sigmund Freud, résume l’évolution du mouvement féministe à la française. Traduisons, en osant le freudisme un instant. La « névrose » confortable des habituées du pouvoir ou de ses coulisses a remplacé la « perversion » inquiète des déviantes révoltées. Et le consensualisme bien-pensant a fait oublier l’esprit frondeur et transgressif des provocatrices soixante-huitardes. Les vaillantes « 343 salopes » de 1971 ont joué le rôle de mères fondatrices. Avec le temps, elles sont devenues hautement respectables. Certaines d’entre elles se sont contentées de jouir du statut enviable d’anciennes combattantes (à l’instar des anciens « soixante-huitards »), d’autres se sont données le droit d’opiner sur tous les sujets d’actualité, d’autres encore ont fait carrière dans la politique, l’Université ou les médias. On n’oubliera pas celles qui, surfant sur la vague lacanienne, se sont faites psychanalystes au bon moment, pour arrondir leurs fins de mois. Leurs héritières déclarées sont devenues non seulement respectables, mais, pis encore, donneuses de leçons, réformatrices du langage et contrôleuses des mœurs, commissaires politiques et institutrices d’un nouvel esprit puritain. Un nouvel ordre moral s’est peu à peu installé dans le monde des élites visibles, soumis aux pressions et aux tactiques d’intimidation d’une gauche hypermorale, qui n’a jamais exercé plus totalement le pouvoir culturel. C’est à gauche qu’est né le nouveau parti dévot, au confluent d’un socialisme sentimental sans perspectives et d’un féminisme dégradé en conformisme, voué à pratiquer un terrorisme intellectuel toujours plus insidieux.

L’inspiration libertaire du féminisme minoritaire a totalement disparu avec la réussite sociale de ses héritières abusives et désormais gérantes d’un courant d’opinion dominant. Les féministes historiques, intervenant dans un milieu hostile, affirmaient leur liberté d’avorter, les néo-féministes n’ont plus à le faire, puisqu’elles se tiennent pour la plupart à distance de l’origine du mal, « l’homme ». La vertu de courage, l’aspiration à la liberté et l’imagination transgressive ont été chassées par des ambitions sans limites et une volonté de revanche, voire de vengeance, visant les « mâles dominants » ou les « gros hétéros de base ».

La prise du pouvoir culturel par les néo-féministes a eu lieu. On ne saurait s’étonner de ses conséquences politiques. Ce qui a triomphé, c’est un pseudo-féminisme instrumental porté par l’esprit du soupçon et de la dénonciation, fondamentalement androphobe, et rêvant de réaliser dans le système social les valeurs et les normes d’un hyper-moralisme n’ayant rien à envier à celui des traditionalismes religieux. Un nouvel obscurantisme s’est installé, avec sa phraséologie, ses prêcheurs et prêcheuses, ses chapelles, ses réseaux, ses groupes de pression, ses élus et ses élues.

Les partisans du nouvel ordre moral ont un projet : surveiller, contrôler, identifier, punir ou rééduquer. Il s’agit d’une entreprise de moralisation coercitive des opinions et des mœurs, fondée sur un désir infini d’interdire et de normaliser. Une utopie ordonnée à l’objectif de purifier les âmes, de corriger les comportements déviants et d’interdire certaines pratiques, sexuelles au premier chef. Elle présuppose que les humains tels qu’ils sont, surtout ceux qui ont le malheur d’être nés et restés « hommes » (mot douteux désignant les individus humains de sexe masculin, hétérosexuels et par nature « dominants », toujours exploiteurs, et souvent violeurs), doivent être mis ou remis sur le droit chemin, soit par un système de sanctions, soit par un dispositif de rééducation. La normalisation des mœurs suit celle du langage et des esprits. Interdire l’emploi de certains mots jugés dangereux ou détestables, interdire l’expression publique ou privée de certaines pensées jugées mauvaises, voire criminelles, interdire certaines pratiques sexuelles : ces rêves d’interdiction présentent tous un air de famille. Ce sont les différentes faces d’un seul et même projet de régénération du genre humain, à travers celle du sexe/genre masculin, le seul à vraiment poser de redoutables problèmes.

Il faut reconnaître que le pouvoir hypermoral en place a généreusement offert une possibilité de rédemption au sexe maudit : le mariage homosexuel. La normalisation sociale autoritaire, par l’indifférenciation des sexes, est un avatar dans l’histoire de l’État-providence, saisi par une dialectique négative. Mais cette méthode de salut ne fait pas l’unanimité dans la population « mâle », où persistent d’une façon regrettable des « préjugés d’un autre âge », à commencer par la croyance « archaïque » à la différence des sexes. Les utopies totalitaires se heurtent infailliblement à la réalité anthropologique, cet obstacle fatal. C’est pourquoi, disent avec la gravité requise les plus radicaux parmi les conseillers et conseillères d’éducation ou de rééducation, il faut d’urgence inculquer aux jeunes enfants, surtout aux garçons, des idées saines sur les dangers de l’hétérosexualité, qui, comme chacun le sait, mène à la violence conjugale et à la maltraitance des enfants en bas âge. « L’homme » est un danger pour les femmes et les enfants.

Les « hommes » sont une menace permanente pesant sur la dignité humaine. Voilà l’axiome dont il faut partir, selon la nouvelle classe éclairée. Il implique une prescription : considérer tout homme comme un ennemi du genre humain, jusqu’à preuve du contraire. Prenons l’exemple d’un autre front, particulièrement sensible, disons sexuel. Dans la relation-type entre la prostituée et son client, selon l’orthodoxie vertuiste, le principe du libre consentement entre personnes adultes et responsables est rejeté comme une vieillerie « réactionnaire ». Dans la prostitution, les « putes », « dans leur immense majorité » (selon la formule consacrée), doivent être considérées comme de simples victimes innocentes. Même quand elles croient être consentantes, elles ne le sont pas. Elles se trompent parce qu’elles sont trompées. Elles sont ainsi doublement victimes : en tant qu’exploitées et en tant que mystifiées. C’est qu’elles sont des femmes, donc des victimes par nature, de bas en haut de l’échelle sociale. Les seuls coupables, ce sont les proxénètes et les clients, donc des « mâles dominants », exploiteurs cyniques ou jouisseurs immondes. L’opération idéologique consiste à mettre sur le même plan le « maquereau » prédateur et le « cave » qui paie. Qui oserait s’identifier à ces types répulsifs ? Qui oserait défendre en même temps les libertés de la prostituée et celles de son client ?

La méthode d’intimidation fonctionne, elle favorise l’extension indéfinie du consensus néo-féministe : ceux qu’il faut bien appeler les « mâles dominés », tentant d’échapper à la culpabilité, se multiplient par imitation et contagion, apportant leur appui au conformisme androphobe. C’est ainsi que, chez les « hommes », la mauvaise conscience se radicalise en haine de soi. Les « mâles dominés » ajoutent leurs forces à la frange militante et sectaire de la population « gay » et lesbienne, pour qui le « mâle dominant et hétéro » (a fortiori s’il est « vieux » et « blanc »), c’est l’ennemi. La classe politique suit dans son ensemble, les récalcitrants ne pouvant guère que se taire, sauf à se perdre avec leur réputation.

On ne s’étonne pas du fait que la gauche au pouvoir tente de faire oublier son impopularité, effet de ses incompétences polymorphes, par une fuite en avant dans l’acharnement législatif sur des questions sociétales, en misant sur des « causes » qui n’ont plus besoin d’être défendues. Tout le monde condamne le proxénétisme et l’exploitation sexuelle, personne ne défend le principe de la « marchandisation des corps ». On est en droit de se féliciter de la légalisation de l’IVG et de la dépénalisation de l’homosexualité. Pourquoi donc vouloir pénaliser les clients des prostituées ? Et ce, en oubliant ceux des prostitués. La criminalisation des clients « mâles » n’est que l’une des tactiques de diversion utilisée par la gauche vaguement « plurielle » au pouvoir. Elle présente l’avantage d’intimider et de diviser la droite, sans prendre le risque d’aller contre l’opinion dominante, gagnée à un pseudo-féminisme diffus dont les thèmes sont inculqués aux citoyens par la culture médiatique, de la presse (au-delà des magazines féminins) à la télévision, depuis les années 1970.

La publication sur le Web, dès le 29 octobre 2013, de « Touche pas à ma pute ! Le manifeste des 343 “salauds” », avant même son lancement par le magazine Causeur, a provoqué les réactions attendues venant des milieux visés. Les réflexes idéologiquement conditionnés se sont donnés en spectacle, avec une surprenante ingénuité. Les résultats de cette expérimentation un peu sauvage sont fort intéressants. À une provocation s’affichant comme parodique, satirique et humoristique, à un grand rire faisant la nique aux longues figures de l’inquisition moralisatrice, de belles âmes engagées ont cru pouvoir répondre par l’indignation hyperbolique, la condamnation morale et la dénonciation édifiante. Sans oublier les injures. Les « salauds » ironiquement autodénommés ont été traités vertueusement de « connards » : degré zéro de la réplique. Inaptes à saisir les jeux de langage, cloués au sens littéral des mots, incapables de réagir sans agiter des poncifs et des stéréotypes, les indignés professionnels ont chaussé leurs gros sabots, les seuls qu’ils possèdent, assortis à leur esprit de sérieux. Dans cette affaire, en se déchaînant en groupe, la sottise bien-pensante a oublié ses masques habituels, elle est sortie sans maquillage. Mais non sans ses clichés moralisants : « nauséabond », « ignoble », « honteux », « infâmes personnages », « répugnants », « crétins », « machos », « sexistes », etc. Les progressistes à front de taureau ont lancé leurs cris de guerre favoris : « ringards ! », « néo-réacs ! » N’en prenons pas ombrage. Le choc du rire et de l’esprit de lourdeur a lui-même quelque chose de comique. Il permet de prendre la bêtise à la légère.

Posons en principe que la liberté de penser implique celle de critiquer ainsi qu’une totale liberté d’expression. Pour la pensée libre, rien n’est par nature intouchable. Rien n’est « tabou ». Il s’ensuit que le discours polémique est toujours légitime, lorsqu’il exprime avec le talent requis une colère éclairée par l’intelligence. Le seul interdit qu’il se donne est de sombrer dans la calomnie et la diffamation. C’est pourquoi, lorsque la liberté de penser s’exerce pleinement vis-à-vis des dogmes religieux, elle est perçue par les esprits pieux comme un acte blasphématoire, justifiant une forte indignation qui se radicalise en condamnation, puis en appel à la sanction. Mais la pensée critique n’a nullement pour destin ou vocation de se cantonner à la mise en question des croyances ou des pratiques religieuses traditionnelles. Le champ d’exercice de la liberté de blasphémer ne doit pas se limiter aux grandes religions monothéistes. Il doit s’étendre aux religions séculières (socialisme, nationalisme, etc.), ainsi qu’aux petites religiosités profanes (féminisme, écologisme, humanitarisme, immigrationnisme, antiracisme, athéisme militant, etc.). Tous les catéchismes, idéologiques ou para-religieux, doivent constituer des cibles potentielles pour les esprits libres.

Les réactions violentes et injurieuses des indignés et indignées à la française montrent que ce petit monde vertuiste perçoit le manifeste féministe des « 343 salopes » et le slogan antiraciste « Touche pas à mon pote » comme des symboles sacrés, qu’on ne saurait parodier sans blasphémer ni risquer l’anathème, voire des poursuites. Leurs sigles fondateurs tournés en dérision, féministes et antiracistes officiels réagissent comme ces groupes islamistes qui, face aux caricatures de Mahomet, s’indignent, condamnent, menacent, pétitionnent, engagent des poursuites judiciaires, intimident de diverses manières, voire passent à l’agression physique. Il est interdit de rire et de faire rire, sous peine d’amende. Mais la volonté de punir risque d’aller plus loin. Nos indignés et indignées les plus frénétiques iront-ils/elles jusqu’à se transformer en bombes humaines pour éliminer tel ou tel « salaud » emblématique ? Nul ne saurait le prévoir. Contentons-nous de considérer le présent. Intolérance et fanatisme contre ironie satirique et joyeuse parodie : triste tableau d’une basse époque. Une époque où Aristophane et Juvénal, Voltaire et Lichtenberg feraient l’objet de campagnes médiatiques virulentes avant d’être traînés devant les tribunaux.

La vulgate néo-féministe a nourri un esprit de vengeance contre les « hommes », qui se traduit politiquement par des tentatives toujours renouvelées pour limiter le champ des libertés par des mesures législatives. Cette vulgate, comme d’autres (à commencer par le pseudo-antiracisme), a été instrumentalisée par des politiciens cyniques, avides de « causes » susceptibles d’être idéologiquement exploitées. Il faut cependant se garder de jeter l’enfant avec l’eau du bain. Ce pseudo-féminisme revanchard et punitif, mû par le ressentiment et porté par la logique du « toujours plus », est une contrefaçon du mouvement féministe, nourri par une légitime exigence d’égalité, une ferme volonté de libération et le goût des libertés. D’Olympe de Gouges et de Flora Tristan à Simone de Beauvoir, les grands esprits ne manquent pas. Ces femmes admirables ont pris des risques, elles ont aussi pris des coups. Les néo-féministes, quant à elles, préparent de mauvais coups, donnent des coups et ne prennent aucun risque, sinon celui d’être perçues comme stupides. Mais elles le sont trop pour s’en émouvoir.

Le recours à l’origine est parfois de bonne méthode. Les restaurations sont vouées à l’échec, mais les ressourcements peuvent être féconds. On peut rêver ainsi d’un retour aux sources, et supposer, avec trop candeur peut-être, qu’un autre féminisme est toujours possible. Même aujourd’hui.

« Ironie, vraie liberté ! », s’écriait Proudhon dans la conclusion de ses Confessions d’un révolutionnaire, datées de « Sainte-Pélagie, octobre 1849 ». Et, de la prison parisienne où l’avaient précédé Madame Roland et le marquis de Sade, le penseur politique incarcéré ajoutait : « Tout entiers à nos amours et à nos haines, nous ne rions des autres pas plus que de nous : en perdant notre esprit, nous avons perdu notre liberté. » Cet amer constat de Proudhon vaut comme un diagnostic lucide de notre époque malade de moralisme suspicieux et d’esprit de sérieux.

Meurtre des journalistes français au Mali : À qui la faute?

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rfi mali verlon dupont

Les journalistes de la rédaction de Radio France Internationale sont en colère, et on les comprend : qui ne le serait en apprenant que des collègues de travail, ceux avec qui l’on passe plus de temps qu’avec sa famille, avec qui on rigole ou on s’engueule chaque jour, étaient retrouvés criblés de balles sur une piste saharienne ? Pour l’instant, cette colère reste intransitive, sans désigner explicitement le ou les responsables de ce drame, mais cela ne va pas durer. Dans quelques heures, au plus dans quelques jours, une fois le premier choc émotionnel passé, la polémique va se déclencher autour d’une question récurrente : le devoir d’informer, raison d’être d’une presse libre, justifie-t-il que des journalistes prennent des risques inconsidérés ?

Question subsidiaire : qui est habilité à juger du danger couru par les envoyés spéciaux dans les zones de conflit, et donc appelé à répondre devant l’opinion, voire les tribunaux, des « accidents du travail » (assassinats, blessures, enlèvements suivis de séquestration) subis par des salariés dans l’exercice de leurs fonctions ?

Le discours convenu veut que tous ceux qui ont été victimes de ces drames, pour autant qu’ils appartiennent à des médias installés, soient des journalistes aguerris, bon connaisseurs du terrain et non des « têtes brûlées », mettant en danger leur vie et celle des autres pour se hisser au sommet de la gloire médiatique.

Face à ces « experts », la hiérarchie des médias concernés est dans une situation intenable : au nom de quoi s’opposeraient-ils à un projet de reportage à risques si celui ou celle qui le propose estime, en conscience et fort de ses expériences antérieures, que « le coup est parfaitement jouable » ? De plus, le chef de service, ou directeur de la rédaction, se voit mal assumer devant ses troupes un refus de bon de sortie si jamais la concurrence, aidée par la chance, est parvenue à réaliser ce reportage tant convoité…

Faute de doctrine communément partagée par l’ensemble des médias, la régulation de ce type d’activité est laissée à ceux qui sont les vrais coupables : les terroristes criminels qui décident des lieux où les journalistes peuvent ou non faire leur travail. Avec un cynisme parfait, ils peuvent les laisser venir, et même les attirer pour les transformer en otages sources d’espèces sonnantes et trébuchantes ou en monnaie d’échange politique. Ils peuvent, aussi, décider de dissuader les fouineurs de révéler leurs abominations en les éliminant dès  que l’occasion se présente.

C’est ainsi qu’un accord tacite s’est établi entre le régime de Bachar Al-Assad et la rébellion syrienne pour que les massacres auxquels les deux parties se livrent allègrement se déroulent désormais à huis clos. Les jihadistes nigérians de Boko Haram ont, par leur sauvagerie barbare, dissuadé tous les candidats de venir constater sur place ce qui se passe. En Afghanistan, plus aucun journaliste «  non embedded » ne se risque hors de Kaboul.

Dans le cas de la mort de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, on peut supposer, avec les informations dont on dispose, que le but visé par les jihadistes était du même ordre : attirer les journalistes dans un piège pour les utiliser dans leur guerre asymétrique contre l’opération Serval. Dans tous les cas de figure, ils étaient gagnants : soit ils avaient à leur disposition une « prise de guerre » pouvant être monnayée, soit, ce qui s’est passé, les ravisseurs étaient amenés à tuer leurs otages pour échapper plus facilement à leurs poursuivants, abandonnant leur véhicule pour se fondre dans le désert. Ils tireront alors également bénéfice de ce crime en suscitant, dans l’opinion française, des sentiments hostiles à la poursuite de l’effort de guerre  au Mali.

Les responsables militaires de la force Serval avaient refusé de transporter les deux reporters à Kidal, car ils ne pouvaient garantir leur sécurité dans une zone où les deux cents soldats français présents ont déjà fort à faire. Les militaires doivent non seulement se protéger eux-mêmes mais aussi empêcher les divers groupes armés de liquider l’embryon d’administration mise en place par le gouvernement de Bamako après la reprise de la ville en février 2013 par les forces franco-tchadiennes. Cette tâche est d’autant plus difficile qu’elle doit être menée avec l’objectif « zéro mort » du côté français. La reconquête de Kidal, selon tous les témoins présents sur place à l’occasion de l’élection présidentielle du mois d’août dernier, était loin d’avoir atteint l’objectif « d’éradication des jihadistes » proclamé par François Hollande au moment du lancement de l’opération Serval. Des groupes armés des diverses obédiences de la dissidence touarègue peuvent encore évoluer librement dans la ville et dans ses alentours.

Le refus de principe des autorités militaires françaises d’assurer la logistique d’une équipe de journalistes, fût-elle envoyée par une radio de service public très écoutée en Afrique francophone, était donc amplement justifiée.

Ghislaine Dupont et Claude Verlon se sont alors tournés vers l’autre autorité politico-militaire présente sur le terrain, la Minusma (mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali), qui a accepté de les prendre à bord d’un de leurs avions assurant la liaison avec Kidal. Cette force multinationale, essentiellement africaine, dirigée par un diplomate néerlandais détaché à l’ONU, et commandée par un général rwandais, n’a pas à se soucier du sort ultérieur des passagers qu’elle accepte de transporter. Aucune opinion publique ne viendra demander des comptes au secrétaire général des Nations unies s’il leur arrive malheur.

Alors, s’il faut trouver des responsables (mais pas coupables), de ce drame, c’est plutôt vers les dirigeants  de RFI qu’il faudra regarder. Le reportage à Kidal de Ghislaine Dupont et Claude Verlon était un élément d’une opération spéciale de cette radio publique, destinée, selon la directrice de l’information de la chaîne, à « apporter la contribution de RFI à la réconciliation nationale au Mali, une cause qui nous tient particulièrement à cœur ». Des équipes de reporters avaient été dépêchées dans tout le pays pour alimenter une « journée spéciale Mali » sur toutes les antennes de RFI prévue pour le 7 novembre. Il s’agissait de donner la parole à une « société civile » malienne qui témoignerait, devant le monde entier, qu’elle ne souhaite que la paix et le retour à la concorde générale dans un pays déchiré par des conflits ethniques depuis plusieurs décennies. Cette intention, éthiquement louable, était journalistiquement contestable. Il est pour le moins intempestif de venir faire du micro-trottoir, même sous une forme sophistiquée, dans une région où les combats continuent de faire rage. Quelle liberté d’expression on , à Kidal, des gens qui savent que, sitôt les journalistes ayant tourné les talons, ils risquent de devoir  rendre des comptes à des bandes armées impitoyables ? Toute parole émise dans ce contexte est soit manipulatrice, soit suicidaire. Seuls les militaires, et non les journalistes sont, dans la phase actuelle au Mali, en mesure de créer les conditions où, peut-être un jour, « les gens » pourront parler librement et sans crainte à des journalistes bourrés de bonnes intentions.

 *Photo : Jacques Brinon/AP/SIPA. AP21478560_000014.

Signez le Manifeste des 343 salauds

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Voir la liste des nouveaux signataires

Premiers signataires : Frédéric Beigbeder, Rodolphe  Bosselut, Pascal Bruckner, Renaud Camus, Philippe Caubère, Jacques de Guillebon, Basile de Koch, Jean-Michel Delacomptée, David di Nota, Claude Durand, Benoît Duteurtre, Roland Jaccard, Guy Konopnicki, Philippe Karsenty, Alain Paucard, Périco Légasse, Jérôme Leroy, Richard Malka, Marc Cohen, Gil Mihaely, Christian Millau, Dominique Noguez, Ivan Rioufol, Luc Rosenzweig, Stéphane Simon, François Taillandier, Marc Weitzmann, Eric Zemmour.

Abram Alain, Affre Jean-François, Araujo Nuno, Arnaudies Jacques, Assali Jean, Aymard Christophe, Azuelos Daniel, Bada Moustapha, Bakowski Adam, Audouard Thomas, Baré Christian, Baré Sébastien, Bargoin Robert, Barret Philippe, Beaudoin Yves, Behar Joseph, Bejbaum Armand, Benchemoul Benjamin, Bensimon Denis, Bensoussan Gérard, Berthet Samuel, Beysson Pierre, Billard Jacques, Blanc Christian, Blas Alexis, Bouchaert Jean-Charles, Boughezala Daoud, Bourron Paul, Boutaric Michel, Bouyssou Antoine, Boyer Serge, Brasseur Claude, Bréquigny Philippe, Brodier Jacques, Brouillet Yvon, Cahuet Patrick, Calatayud Joël, Camus Robert, Casanova Gilles, Cassard Alain, Cavanna Robert, Celle Simon, Chambon Alain, Charles Nabet, Charpentier Christian, Charrier Patrick, Charron Christian, Chevreau Grégoire, Chollet Claude, Colnot Guillaume, Colombani Jacques, Colombot Claude, Colson Johnny, Combes Michel, Compte Patrick, Coradin Pierre, Corre Bernard, Courtinel Charles, Crivat Bogdan, Csaba Morocz, Delannoy Alain, Deniel-Laurent Bruno, Deprez Jean-Philippe, Deransart Thierry, Descamps Antoine, Deschamps Jean-Guy, Desgouilles David, Devals Alain, Diaine Alain, Doche Philippe, Dory Alexandre, Dubois Claude, Dunoyer Laurent, Dupont Pierre, Dupré La Tour David, Durieux Julien, Ehret Thomas, Ejchler Jean, Escande Renaud, Esnis Jean-Pierre, Espinasse Patrice, Falchi Marc, Falcone Matthieu, Fauchet Frédéric-Louis, Fauxpoint Bernard, Fichant Michel, Filleau Jérôme, Fioretto Pascal, Fombonne Jean-Marc, Fouquier Pierre, Francillon Gérard, François Edmond, François Olivier, Gaffet Michel, Gana Jérôme, Garde Roland, Gardet-Fabien Louis, Gareau Pascal, Gasnière Thierry, Gauthier Marcel, Gélinet Jean-Maurice, Gény-Santoni Philippe, Gerentes Bruno, Gicquel Cédric, Girard Jean-Luc, Gireau Louis, Glangetas Frédéric, Gmeline Stanislas de, Goering Michel, Goux Didier, Gressard Yves, Grolleron Jean, Gros Denis, Gueniffey Patrice, Guénoun Guy, Guez Christian, Guilleminet Christian, Guillermet Olivier, Gumplowicz Philippe, Haenggli Claude, Haguet Hubert, Halfon Lionel, Hausslein Christian, Héraud Patrice, Hervis Yann, Hess André, Heurtebise Samuel, Housse Guillaume, Hudelist Marc, Huet Vincent, Husser Laurent, Huyghe François-Bernard, Jeanney Michel, Jourdain Eric, Julliard Erwin, Julou Philippe, Kalle Roger, Kaminski Philippe, Kieffer Thiébault, Klotz Emmanuel, Kober Manuel, Koster Serge, Krasnopolski Philippe, Krauze Witold, Kremeur Alain, Krivitzky Alexandre, Kuhr Laurent, La Malène Olivier de, Laarman Jan, Lacoche Philippe, Lacoste Bruno, Lahanque Reynald, Lamalattie Pierre, Lamy Bernard, Lamy Christophe, Lamy Philippe, Landreau Michel, Lapoudge Bernard, Large Alain, Larroux Romuald, Launay Hubert de, Laurent Dimitri, Le Bihan Alain, Le Guern Arnaud, Le Merrer Bernard, Lebon Pierre, Leborgne Daniel, Lécuyer Michel, Legris Frédéric, Lemane Thierry, Lesieur Jérôme, Letellier Jean-Pierre, Lévy Vincent, Lindeperg François, Long Xavier, Malarewicz Jacques-Antoine, Mamou David, Marck Jean-Alain, Marquet Jean-François, Massot Georges, Maulin Olivier, Maurage Emmanuel, Maxence Isidore, Meilleur Jacques, Mérelle Jean-Marc, Merian Cyprien, Meynaud Michel, Michel Jean-François, Miller Renaud, Millet Nicolas, Mirguet Jean, Mizrahi Arié, Moglia Mickaël, Mondoloni Jean-Michel, Monniet Abel, Montel François, Montfort Fred, Morin Pierre-Yves, Mourton Gérard, Nacht Marc, Nahmias David, Nataf Jean-Marcel, Neveu Daniel, Noël Pierre, Oerthel Robin, Oudin Bernard, Ouvrard Jean-Pierre, Pagura Emilio, Passot Henri, Paterne Daniel, Patrick Maury, Perrin Alphonse, Perrin Jean, Piat Hubert, Piccarreta Paul, Porin Dany, Potier Benjamin, Pussey Gérard, Quatrepoint Jean-Michel, Rabette Louis-Joseph, Rachet Guy, Rancinan Gérard, Ranval Claude, Rappeneau Gilles, Rassat Jacques, Ravoire Christian, Reboul Olivier, Reynaud Jean-Claude, Reynaud Patrice, Richard Luc, Ringelheim Foulek, Riste Yvan, Rival Jean-Louis, Robert Claude, Rojzman Charles, Roller Olivier, Roquefort Georges, Rostaing Didier, Rouault Yvon, Rougier Bernard, Rouquet Claude, Roussel Philippe, Roussillon-Poulon Eric, Rouvillois Frédéric, Roy Yannick, Ruby Monsieur, Rullière Alain, Runavot Gilbert, Saal Yvan, Sabatié Jean-Pierre, Sampson Steven, Sangars Romaric, Sapina Laurent, Satrustegui Inigo de, Saussol Daniel, Sautier Paul, Seghers Philippe, Sénik Albert, Sergent Alain, Sergent Yann, Seydoux Arnaud, Sibleyras Gérald, Simon Hervé, Taguieff Pierre-André, Taillefer Aymeric, Tavoillot Pierre-Henri, Teillet Philippe, Terrasse Jacques, Teymouri Ali, Thévenet Daniel, Thiant Frédéric, Thouvenin Henri, Tobolski Francis, Tofreder Frederic, Tolédano Baruk, Tourel Alain, Tournesac Laurent, Tranin Luc, Vadet Edouard, Valicourt Henri de, Vary Francis, Veissière Pierre, Vérité Philippe, Vernhet Jean-Charles, Vial Bruno, Vieilleribière Alain, Villaret Jean-Claude, Wagner Geoffroy, Wallet Gilbert, Wolff Michel, Yégavian Tigrane, Zamoun Philippe, Zendali Michel, Zimmermann Michel, Trusson Olivier, Pignon Baptiste, Lemasson Jean-Paul, Platchkov Stéphane, Cormary Pierre, Fruchard Michel, Sibué Jean-Michel, De Rouville Pascal, Lamy Patrice, Coudry Guillaume, Agnellet Julien, Laloum Gilles, Favreau Claude, Teboulle Dan , Geremy Xavier, Salmon Michel, Chevalier Henri, Moureaux Patrick, Gérard Emmanuel, Genvresse Patrick, David Jean-Roger, Peyrondet Claude, Merceron Alain, Sanchez Alphonse, Lebrat Philippe, Teyssier Daniel,  Greco Jean-Louis.

Novembre : 343 raisons d’acheter Causeur

On ne parle que de ça. Ou presque. 343 « salauds » ont allumé la mèche tendue par Causeur pour dénoncer la proposition de loi qui prévoit de taper au porte-monnaie les clients de prostituées. En infligeant des amendes à ces messieurs, la députée socialiste Maud Olivier espère éradiquer la prostitution, voire fabriquer un Homme nouveau à la sensualité « propre, démocratique et transparente », comme l’analyse notre rédactrice en chef Elisabeth Lévy.

C’est pourquoi nous avons décidé d’agir. Par un manifeste qui condamne avec la plus grande fermeté « la violence, l’exploitation, le trafic des êtres humains », autrement dit le proxénétisme, mais défend la liberté de se prostituer. Certes, « les prostituées par choix – celles dont il est question dans notre manifeste – représentent certainement une minorité. Mais on ne voit pas au nom de quel principe on pourrait libérer cette minorité par la force » argumente Elisabeth Lévy. Au nom du refus de la marchandisation du sexe, de l’avilissement de la femme, des pratiques sensuelles humiliantes, on pourrait parfaitement légitimer l’interdiction de la pornographie. On commencera par s’en prendre au cinéma X, puis aux œuvres dégradantes et amorales de Milo Manara, Mapplethorpe ou Bukowski.

Au-delà des alcôves, c’est toute la condition de l’homme post-moderne que nous auscultons. Sponsorisée par le magazine Têtu, l’exposition « Nu Masculin » au musée d’Orsay inspire ce questionnement à Paulina Dalmayer : « Les gays sont-ils seuls légitimes à parler du corps des hommes ? » Un petit tour sur place laisserait penser que les stéréotypes ne sont pas forcément du côté du mâle blanc hétérosexuel… Une expression prisée par le rédac chef de Lui, un certain Frédéric Beigbeder, dont on entend pis que pendre sur les sites féministes. Interviewé dans nos colonnes, l’écrivain se fait l’avocat du « droit à la légèreté », justifiant le mariage gay et la prostitution libre et consentie. À l’instar du comédien Philippe Caubère, également signataire de notre appel, l’écrivain dénonce la croisade anti-sexe des nouveaux inquisiteurs bien décidés à moraliser nos braguettes et nos froufrous. D’ailleurs, lorsqu’on ne le caricature pas, on coache le mâle contemporain dans des émissions de téléréalité maternantes. Pour l’enfant de la télé Pierre Lamalattie, que nous sommes heureux d’accueillir, le mari cathodique est un gosse à discipliner, sous peine de faire naufrager le couple… Que nenni, en pénalisant la prostitution, le législateur entend simplement protéger les prostituées des exploiteurs de tout poil, nous rétorque le « poisson rose » Philippe de Roux dans une tribune argumentée.

En sus de nos réflexions sur le Mâle, nous vous avons concocté un dossier sur les ressorts du vote FN et la faillite des stratégies de ses adversaires. Au bas de l’échelle sociale, dans la France des oubliés, en milieu rural ou péri-urbain, ça barde, nous confirme le géographe social Christophe Guilluy. Assorti d’un entretien avec le gaulliste Nicolas Dupont-Aignan, un voyage géo-électoral du nord au sud de l’hexagone vous attend. Sans complaisance ni diabolisation. Au fond, nous avons essayé de suivre la voie tracée par le regretté Philippe Cohen, auteur d’une biographie référence de Jean-Marie Le Pen. Le journaliste et essayiste nous a quittés le 20 octobre. Nous rendons hommage à ce « surdoué de la transmission », suivant la belle expression d’Elisabeth Lévy. De Jean-Luc Gréau à Henri Guaino, quelques-uns de ses amis, complices ou lecteurs lui disent leur chagrin et leur reconnaissance. Adieu, l’ami !

 Attention : Ce numéro est disponible en version numérique pour nos abonnés mais ne sera mis en vente chez les marchands de journaux qu’à partir de jeudi 7 novembre. Vous pouvez d’ores et déjà le commander sur notre boutique en ligne ou vous abonner grâce aux liens ci-dessous.

Causeur manifeste 343 salauds

     

Trois Albert au tombeau

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cohen caraco camus

Les livres sont au mur, le sait-on ?

Quand je pense aux livres que j’y ajoute en ce moment – deux ouvrages qui lui manquaient de Georges Perros qui n’en a pourtant pas commis beaucoup  –, je me dis que ma bibliothèque est une sorte de tombeau.  (Et n’allons pas compter sur le voleur rémois pour animer les choses. Un seul brave se sera risqué à la maison en dix-sept ans. La porte fermée aussi peu que possible, les ouvrages de haute valeur marchande à mi-couloir et portée de main,  rien n’y fait.)

Trois Albert en bibliothèque. Une trinité. On monte le système qu’on peut. Morts ils sont, c’est certain ; morts comme Georges. (On s’appelait Albert, Georges, Jacques, Jean, Paul, Marcel, Ferdinand peut-être : comment s’appellera-t-on demain ?  Est-ce qu’il restera au moins des murs auxquels prêter le dos ?)

Les livres d’Albert Cohen à plusieurs endroits, reposant.  Ici, à côté de Bella Cohen ;  là,  de Julio Cortázar ; là, de Raymond Queneau. Carnets 1978 en double exemplaire, dont un vélin pur fil.

L’usage de la vie peu démenti par les mots. Albert Cohen : frère humain, frère viril  – d’une virilité humble, femme et homme compris dans la pitié de soi.

Un seul ouvrage d’Albert Camus dans ma bibliothèque : un gros volume réunissant ses articles au journal Combat. Serré heureux entre Vivre,  Milena Jesenská, et Un plaisir trop bref,  Truman Capote.

Mais, précieux, caché mes enfants savent où, le fac-similé de la lettre que l’auteur de L’Étranger adressa à son instituteur peu après l’annonce qu’il était prix Nobel : « Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur. Mais celui-là est au moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève. »

Albert Camus, « littérateur célèbre », allez y comprendre quelque chose !   L’homme, au contraire, joliment transparent.   Resté petit garçon, abusé dans l’idéal. Un Cesare Pavese qui aurait plu aux femmes.  À leur corps peu défendant, elles lui auront fait faire, à lui aussi, la grosse bêtise.  Accepter la place du mort dans une voiture conduite par le mari de sa maîtresse,  la maîtresse assise derrière, et alors qu’il était prévu d’effectuer le trajet en train, que le billet est en poche, il faut être bien bon. Auto-victime, suicidé à petits frais.

Albert Caraco… Je ne possède de lui que des ouvrages de grand luxe. (Tout pour faire la fortune du voleur qui ne veut pas passer à la maison.)

Dans Le Charme des penseurs tristes, Frédéric Schiffter note : « Il se surprenait à espérer, dans des moments de faiblesse intellectuelle, une salutaire féminisation de la civilisation. En réalité, la sexualité obsédait Albert Caraco. » Oui ! Et vive la faiblesse ! Et ce n’est peut-être pas la sexualité qui obsédait notre bonhomme mais la femme, la femme qui serait non pas un lieu de repli, mais  un point de retour, autre chose que le néant. La femme source, la femme monde, la meneuse : « à la fois maîtresse et prêtresse ».  (C’est au féminin que Caraco donne  le meilleur paragraphe,  qu’il est le mieux subversif.)

Il ne faisait pas seulement la vaisselle, Albert, mais grand ménage.  Enfermé toute la journée, domestique à demeure. En cage avec lui-même.  (Il signait son courrier d’un A majuscule encoquillé dans un C plus majuscule encore.) Attendant pour bien se pendre d’avoir enterré  mère  et père, garçon correct.

Il lui aura manqué l’emboîtement extérieur.  Une occasion de fourrer  le nez dans le détail.  Une sœur de bonté qui le prenne en main, physiquement en main : qui le paume ! Et puis l’entraîne en elle, carrément : dessus, dessous, ce n’est rien mon petit gars ! « Viens, tu te retrouveras ! »

Se dépouiller de la majuscule. S’accepter nu.

« Vivre avilit », je me demande si on n’aura pas dit ça par défaut d’expérience…

La littérature qui finit au mur a été produite dans les grands coins : Suisse, Ardennes, Barranquilla ! (A. C. aura-t-il eu le temps avant son suicide, son père débarbouillé une dernière fois, de lire Cent ans de solitude ?)

García Márquez à sa femme, en reposant le combiné du téléphone, alors qu’il vient d’apprendre qu’il est prix Nobel : « Je suis baisé ! »

 

*Photo : ANDERSEN ULF/SIPA. SIPAUSA30051380_000002.

 

 

Mali : l’émotion règne et gouverne à Paris

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mali rfi defense

mali rfi defense

L’émotion, qui  submerge la France depuis la mort des deux journalistes de RFI, est légitime. Elle l’est moins lorsqu’elle engage des décisions stratégiques et tactiques sur le terrain. À l’image de l’annonce que la porte-parole du gouvernement a faite le lendemain aux Échos : « Il nous reste près de 3 000 hommes. Il va sans doute falloir renforcer encore cette présence pour faire reculer le terrorisme.  »

Jusqu’à présent, la mort de soldats français suscitait de la part des gouvernements une accélération du calendrier de retrait des troupes. Il faut croire que lorsque des journalistes tombent, le calendrier s’inverse carrément.

Mais d’un point de vue militaire et diplomatique, ce virage stratégique est-il vraiment justifiable?  Olivier Zajec, qui enseigne la stratégie à l’Ecole de guerre, rappelait au mois de mars dans Le Monde diplomatique, les dangers d’une opération militaire contre le terrorisme : « Voir le slogan simpliste de la « guerre contre le terrorisme » connaître une surprenante épiphanie malienne s’avère d’autant plus troublant que les Américains, promoteurs de la formule, l’ont abandonnée en 2009. M. Barack Obama avait alors fait remarquer qu’il était « stupide » de « faire la guerre à un mode d’action ». Dans son essai La nouvelle impuissance américaine, il avait sonné le glas de la mode stratégique du moment, le nation-building contre-insurrectionnel : « la contre-insurrection ne fonctionne que dans deux cas précis et aujourd’hui datés : la colonisation et la décolonisation ». Les schémas de David Galula, stratège français découvert sur le tard par le général Petraeus à l’occasion des conflits irakien et afghan, sont certes intéressants, mais ils ont été écrits au début des années 60, ce qui leur fait perdre de leur pertinence.

Et si les succès libyen et malien ont effacé les humiliations occidentales subies au Moyen-Orient, c’est sans doute parce que nos armées se sont engagées face à un ennemi bien identifié derrière une ligne de front bien définie et dans un temps limité. Mais une fois l’ennemi dépassé et infiltré derrière cette ligne, les attentats-suicides et les prises d’otage se multiplient. La grosse machine militaire n’est plus adaptée. Le soldat qui patrouille ne peut pas distinguer le civil du terroriste : il devient une cible en mouvement. Face au terrorisme, la solution n’est plus militaire mais policière et, à long terme, politique.

Au rebours de cette logique, on trouve dans les états-majors des partisans d’un renfort militaire. En 2010, Le général Vincent Desportes avait par exemple dénoncé les manques de moyens militaires en Afghanistan et réclamé 100 000 soldats supplémentaires. Mais avec près de 150 000 hommes, les Etats-Unis et leurs alliés ne sont pas parvenus à contrôler les montagnes afghanes. Pour l’ancien patron de l’École de guerre qui s’exprimait le 3 novembre sur France Inter c’est simple, il faut appliquer les mêmes recettes au Mali qu’en Afghanistan : rester et augmenter les effectifs. « Les forces françaises devront rester là avec des volumes importants, elles devront renforcer leurs effectifs au Mali (…) On ne pourra retirer nos forces qu’une fois une nouvelle paix établie », argumente-t-il.

Alors que la nouvelle loi de programmation militaire va réduire l’ensemble des forces opérationnelles françaises à 66 000 hommes, les états-majors invoquent les opérations extérieures pour défendre leurs effectifs et leurs programmes. Chaque année, le surcoût des « OPEX » constitue un véritable casse-tête budgétaire. Mais pour obtenir gain de cause auprès de Bercy et de Matignon, nos généraux feraient mieux de parler « emploi d’avenir », « relance industrielle » et « intégration des jeunes issus de l’immigration ». Ironie du sort, c’est exactement le type d’emploi supprimé lorsqu’est dissout un régiment d’engagés volontaires. Emplois ensuite recrées à grand frais dans les cités. Tout cela est d’une logique imparable.

Mais le renfort de troupes annoncé au Mali obéit à d’autres considérations, purement médiatiques. Oubliées la réflexion stratégique sur la place de la France dans le monde et les contraintes budgétaires. Les mystères de la « guerre contre le terrorisme » sont décidément insondables…

*Photo : GILLES GESQUIERE/ARMEE DE/SIPA. 00668675_000001.

Gravity : l’espace est-il ringard ?

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gravity sandra bullock

gravity sandra bullock

On ressort de Gravity avec cette étrange impression que le film d’Alfonso Cuaron ne parle, in fine, de rien. Oh, pour être spectaculaire, il l’est assurément, et l’on n’est pas déçu par l’expérience audiovisuelle, vraiment stupéfiante. Certes, le contenu narratif du film est efficace. Certes, l’aventure orbitale de Sandra Bullock maintient le spectateur en  haleine de bout en bout ; certes, certes. Mais on a ce sentiment, quand  la salle se rallume, que l’on ne nous a pas raconté grand-chose au-delà  du film lui-même.

Alors on consulte ses petits mémos intérieurs au chapitre « Films dans  l’espace » : 2001 et son voyage mystique, Alien et sa science-fiction angoissante,  Star Wars et son carnaval intergalactique, Armaggedon et son  catastrophisme improbable. On a intégré depuis Méliès que l’espace  est l’incarnation de toutes les aventures, de toutes les rencontres, de toutes les cartographies possibles. Et on cherche dans Gravity où se terre (gag) le vertige épique du vide intersidéral. Et on ne le trouve pas vraiment. Pas d’aliens, pas d’ordinateur fou, pas de fin du monde à l’horizon.

Alors, dans un premier temps, on se dit que tout cela n’est qu’un  spectacle qui, tout réussi qu’il est, manque un peu de métaphysique.  L’espace est un endroit craignosse, où il ne se passe absolument rien,  où le froid le dispute au vide, et où finalement ne se promènent que de  pathétiques débris du XXème siècle. Gravity, c’est l’espace comme  endroit devenu ringard. Sandra Bullock répare en vain un appareil en  rade qui a perdu son lustre high-tech depuis longtemps, des Russes font  sauter leurs satellites espions façon cow-boys de la Guerre Froide, les  stations spatiales sont des ruines errantes, les capsules sont des épaves en déroute, et on écoute du Hank Williams dans son scaphandre  comme au temps des pionniers au lieu de balancer « Contact » de Daft Punk  à fond dans ses oreilles – ce qui serait mille fois plus indiqué en 2013.

Oui, dans un premier temps, on est déçu par l’enthousiasme trompé.  L’espace, en vrai, c’est nul. On n’y envoie que des ingénieurs informaticiens, drivés par des vieux briscards qui font les kékés avec  leurs cosmoscooters. Tout ça pour quoi ? Pour assurer la dernière mise à jour de Google Maps ? Pas vraiment homérique, l’épopée orbitale. Gros désenchantement.

Et dans un deuxième temps, du coup, on se dit que c’est une idée  finalement assez intéressante, et on gamberge. Que voit-on de  l’immensité intergalactique ? Rien. La réalité qu’il faut tous s’avouer,  c’est que le vide intersidéral est désespérant d’ennui et que rien ne vaut cette bonne vieille Terre, nom de Dieu. On ne voit que la Terre,  tout nous ramène à la Terre, tout s’oriente par rapport à la Terre.  Grosse crise de géocentrisme. George Clooney ne tripe pas sur les constellations et les lointains trous noirs, mais sur les couchers de soleil et la vue du Gange, là, juste en dessous, notre vrai « home ».

Il faut se rendre à l’évidence, on n’est pas fait pour nager dans l’air  pressurisé des cockpits. La position fœtale est rassurante après  quelques peurs bleues, les joujoux qui flottent dans les cabines sont amusants deux minutes, mais ces enfantillages ne sont pas salvateurs.

L’aventure est magnifique et nécessaire, encore faut-il qu’elle se  nourrisse d’un vrai sens et d’une vraie quête. Voilà ce que nous dit Gravity. La vraie place de l’humain n’est pas dans l’illusion que l’apesanteur libère, mais dans la pleine acceptation de l’attraction fondamentale. La gravité n’est pas notre ennemie, elle est le sens de  notre vie. Le vraie sens de l’architecture n’est pas dans le déni de la gravité, sans quoi on ne bâtit rien ; et le vrai sens de la musique n’est pas dans le déni de la sonorité, sans quoi on ne comprend rien ; de même le vrai sens de l’homme n’est pas dans la sortie de l’humain,  mais au cœur du principe même de l’humanité retrouvée.

Car la gravité a ce don de faire de nous des êtres debout, des êtres qui marchent, des  êtres qui respirent, des êtres vraiment vivants ; comme une Sandra Bullock dont le vrai grand voyage, transformant et initiatique,  salvateur et héroïque, est celui du Retour. Peut-être est-il temps, sans pour autant renoncer à nos prochains périples vers Mars, de fermer pour de bon la page du XXème siècle, et de voir à la fois beaucoup plus près, et beaucoup plus loin.

*Photo : Gravity.

Tous des salauds, sauf Mamère? Tous des nigauds sauf Mélenchon!

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melenchon mamere bretagne

melenchon mamere bretagne

On a pu le constater lors des Manifs pour tous, le reconstater pendant l’Affaire Leonarda et le rereconstater ces jours-ci avec la légère crispation dont a fait preuve le Bloc prohibitionniste vis-à-vis des 343 salauds : il y a de moins en moins de clients pour la nuance.

Cette attrition s’explique aisément : quand le Bien est manifestement d’un côté et la dégueulasserie de l’autre, à quoi bon prendre des pincettes ? C’est donc au fer rouge que sera traité le désaccord déraisonnable, comme chez Nathaniel Hawthorne.

Tout cela pourrait laisser indifférents les amis du Bien. Sauf que, comme ce fut le cas lors des premières tentatives d’utilisation des gaz de combat lors de la grande guerre, le nuage toxique destiné à l’ennemi fait aussi des ravages chez ses propagateurs. Même dans le camp des civilisés, l’insulte devient la norme et le goût du dialogue, un signe de faiblesse.

Chacun se souvient des sommets qu’a atteints le débat d’idées lors de l’élection à rallonge du président de l’UMP. Mais ça, c’est normal, ma brave dame, c’est la droite. Le drame, le vrai, c’est que ce goût du sang et cette joie de la meute contaminent de plus en plus la gauche dans ses querelles internes. On a encore en mémoire la saine camaraderie qui a présidé aux débats Menucci-Ghali. Mais ça c’est normal, me direz-vous, c’est des Marseillais. Admettons.

On a été moins attentif, et c’est dommage, au ton mesuré avec lequel Noël Mamère a exposé, sur son blog ses divergences avec Manuel Valls, qui est ainsi décrit : « Cet admirateur des méthodes de basse police de Nicolas Sarkozy et du flic Clémenceau, qui fit tirer en son temps sur les grévistes, cet enfant de la Rocardie, coaché par ses deux amis, Alain Bauer, ex-conseiller sécuritaire de Sarkozy et du publicitaire Stéphane Fouks, conseiller de DSK et de Cahuzac, est en train de fracturer pour longtemps la gauche française.» T’as raison Noël, c ‘est en parlant comme ça, et comme toi, qu’on va la ressouder, la gauche française. Mais bon, quand on veut contester le leadership de Mélenchon sur la gauche de la gauche de gauche, il ne faut pas craindre la surenchère, quitte à gonfler sa rhétorique de collégien aux hormones de croissance.

Le dernier épisode de ce Dallas chez la gauche est passé lui, totalement inaperçu. Et j’ai presque envie de dire que c’est tant mieux, tellement il est triste.

On le sait, deux manifs ont eu lieu simultanément ce samedi en Bretagne. L’une, celle des « bonnets rouges » à Quimper où l’on retrouvait un échantillon représentatif –et donc forcément hétéroclite- de tout ce que la région compte de coléreux – y compris de droite, donc, voire du Medef ou pire.

En vertu de quoi la gauche de gauche décida de faire manif à part à Carhaix dans le centre du Finistère, sous les banderoles de la CGT, des Verts, du PCF et de la FSU. Jusque-là, rien à redire, c’est de la politique.

Le NPA, lui, fait une analyse différente. Dès jeudi, le parti posttrotskyste a réitéré son appel à la manif de Quimper, tout en dénonçant la tentative d’OPA sur le cortège opérée par « le Medef, les promoteurs de l’agro-business et des patrons de la grande distribution ».

Les militants du NPA, soutenus par Attac et les Alternatifs, expliquent avoir choisi Quimper plutôt que Carhaix « pour des raisons d’efficacité, pour ne pas laisser le champ libre à la droite et revenir aux mots d’ordre pour l’emploi, contre les licenciements et pour un autre modèle agricole ».
C’est donc là que défilera le NPA, Philippe Poutou en tête, pour ne pas laisser la droite être le seul relais politique des révoltés. Jusque-là rien à redire, c’est de la politique, et même de mon point de vue, de la bonne politique.

Sauf que justement, si, certains trouvent à y redire. Dès le lendemain de la prise de position du NPA, l’hebdomadaire de gauche Politis sort ce gros titre en une de son site : « Poutou (NPA) manifestera à Quimper avec le patronat, le FN et les identitaires. »

Aussitôt émis, cet amalgame qui nous ramène aux temps lointains, et tellement plus confortables, du combat à mort contre l’hitléro-trotskysme est repris par une myriade de blogs vigilants et mille fois tweeté et retweeté par des Vychinski 2.0 trop contents de s’écarter un peu de la liste des usual suspects pour tomber à bras raccourcis sur le prolo de Bordeaux.

C’est une version à peine modifiée de ce lynchage virtuel que retweetera l’aimable Jean-Luc Mélenchon : « Aujourd’hui à ‪#Quimper, assemblée générale des nigauds derrière le FN, l’UMP et le Medef. Les esclaves manifestent pour leurs maîtres.»

Eh oui, les amis, ici-bas, c’est désormais comme ça : on est toujours le salopard de quelqu’un. Avec un peu de chance, on se fera seulement traiter d’esclave.

*Photo : MEUNIER AURELIEN/SIPA. 00664188_000059

Le tricheur et le rapporteur, fable russe

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urss russie morozov

urss russie morozov

L’organe russe supervisant le contrôle de l’éducation et des sciences, nommé « Rosobrnadsor », a présenté une  ébauche de loi incitant les élèves à dénoncer ceux de leurs condisciples qu’ils auraient surpris à tricher. C’est une des solutions avancées pour éviter les fraudes lors du test de fin d’école « EGÈ », correspondant au Baccalauréat.

Le directeur de cet organe exécutif, Serguei Kravtsov, explique le but de la démarche : « Si un élève triche à l’aide de son portable pour récupérer des informations, tout le monde peut le dénoncer. » Il suffit de remplir un papier pré-distribué en début d’examen avec les informations utiles et de le glisser dans une petite enveloppe prévue à cet effet  qui sera récupérée en même temps que les copies à la fin des épreuves.

Mais l’avant-projet ne s’arrête pas là. Il couvre plus largement son public puisque les professeurs-mêmes peuvent être touchés par les accusations anonymes.

Le quotidien Novaya Gazeta s’interroge sur la portée d’une telle mesure. Il donne la parole à un instituteur qui trouve le principe « monstrueux ». « Une fille amoureuse de son enseignant peut se venger d’un amour non réciproque, raconte-t-il, ou un garçon d’une mauvaise entente avec le maître. Comment peut-on proposer de telles choses à des enfants ? »

D’une façon plus générale, ce texte fait peur. Il rappelle de mauvais souvenirs. L’époque où les enfants étaient félicités lorsqu’ils dénonçaient leurs parents, ennemis du peuple. L’époque où la légende de Pavlik Morozov, un jeune garçon qui a incriminé sa famille, était une histoire de héros.

Il faut bien noter à cet égard que l’organe auteur de la proposition est directement subordonné au Ministère de l’éducation. Créé en 2004, le comité a pour rôle de vérifier la « compétence » des professeurs et des élèves. Tous les enseignants sont soumis régulièrement à un examen de pédagogie et reçoivent une attestation sans laquelle ils ne pourraient plus exercer.

Nina G., institutrice et directrice d’école se désespère d’un tel contrôle. Elle nous confie : « Je suis dans l’enseignement depuis plus de 30 ans, j’ai toujours été reconnue pour mon travail et  maintenant je dois me justifier devant un jury qui n’y comprend rien et qui peut me destituer du jour au lendemain parce que mon programme ne leur plaît pas. »

Dans cette perspective, le projet de loi évoqué paraît poursuivre par d’autres moyens – franchement discutables – le système de contrôle déjà en place. Au pays de Poutine, les tentacules ne font que s’allonger…

 

 

«343 salauds» : Le sexe, ça fait pendre

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343 salauds feminisme

343 salauds feminisme

Nous n’avons rien vu venir. D’accord, il y avait un peu de malice dans notre « Manifeste des 343 salauds », et même, comme l’ont souligné de nombreux journalistes sans cacher leur réprobation, un brin de provocation. Voire, soyons fous, un zeste d’humour. Nous devions avoir la tête ailleurs car certes, l’Assemblée nationale n’a pas encore aboli la prostitution (ni le réel dans son ensemble), mais elle a dû voter une loi proscrivant la malice, la provocation et l’humour, ou réservant leur usage à certaines catégories de la population et à certains sujets. On ne remercie pas Frédéric Beigbeder d’avoir eu cette brillante idée, mais peut-être voulait-il éliminer un concurrent ?

Nous étions donc encore en train de plancher sur ce numéro, quand le coup est parti, sans que nous ayons pu faire quoi que ce soit. Mardi 29 octobre, en fin d’après-midi, le site du Monde a mis en ligne une tribune d’Anne Zelenski, « féministe historique » et signataire du « Manifeste des 343 salopes » contre l’avortement, répondant à notre texte… qui n’était pas encore publié. Gil Mihaely a laissé des messages aux responsables du site pour leur demander de retirer le texte jusqu’à la parution du nôtre. Sans succès. Alors nous avons laissé tomber pour retourner à nos moutons, c’est-à-dire à vous, chers lecteurs. Fort occupée à écrire les derniers textes, j’ai répondu à une journaliste de Libération sans inquiétude particulière et sans exiger, comme je le fais habituellement, de relire mes citations. Sans doute me suis-je mal exprimée car la journaliste a compris, de bonne foi d’ailleurs, que la référence au « Manifeste des 343 salopes » « répondait surtout à l’envie d’emmerder les féministes d’aujourd’hui ». Au risque de décevoir ces bonnes dames, je ne me lève pas le matin en pensant à elles. Je l’avoue, donner quelques aigreurs aux copines de « Osez le Féminisme » ne me cause pas un déplaisir particulier. Disons que cela peut être un bénéfice collatéral. De là à travailler pour ça, faut pas pousser.

Nous ne savions pas que « l’affaire des salauds » était sur le point de commencer. Dès potron-minet, le mercredi, le téléphone sonnait dans nos locaux, où les maquettistes étaient déjà au travail. À 11 heures du matin, j’avais reçu une vingtaine d’appels de journalistes, y compris suisses et canadiens, et j’étais invitée dans sept ou huit émissions, dont, pour la première fois, et sans doute la dernière, au Grand journal de Canal+. C’est finalement Basile qui s’y colla avec brio, tandis qu’à la rédaction nous tentions de répondre aux dizaines de demande d’interviews tout en poursuivant ce bouclage chaotique. Je ne vais pas vous raconter d’histoires : nous espérions bien que notre petite facétie ferait du buzz et permettrait, par la même occasion, à de nouveaux lecteurs de découvrir

Causeur. Mais nous n’avions pas un instant imaginé les tombereaux d’insultes qui allaient se déverser sur nous et sur les malheureux signataires : « 343 mâles dominants qui veulent défendre leur position et continuer de disposer du corps des femmes par l’argent », éructait une militante de OLF ; « Ils n’ont pas usurpé leurs noms de salauds », décrétait une autre ; « Le plaisir masculin unilatéral est pour eux la normalité. Les violences qu’il occasionne ne sont qu’un détail », présumait Laurence Cohen, responsable du droit des femmes au PCF – heureusement qu’elle n’est pas responsable de la lecture, car ça n’a pas l’air d’être son fort, le texte précisant, bien sûr, qu’il ne défend « ni la violence, ni l’exploitation, ni le trafic des êtres humains ». Jusque-là, rien de très étonnant. Ce sont les arguments habituels des « abolitionnistes » : comme dit la chanson, tous les hommes sont des cochons mais, de nos jours, toutes les femmes n’aiment pas les cochons. En tout cas notre initiative a au moins eu le mérite de stimuler la créativité de nos détracteurs. J’avoue avoir trouvé un peu faible la parodie sobrement intitulée « Caunard » présentant l’appel des 343 colons (« Touche pas à mon esclave ! »). Mais le cœur y était.

Nous n’avons pas seulement commis le crime de ne pas adhérer à la conception de la sexualité, et plus encore de la liberté, autorisée par le lobby de la vertu. Nous nous sommes rendus coupables d’un impardonnable sacrilège en nous référant au « Manifeste des 343 salopes ». « Les 343 salopes réclamaient en leur temps de pouvoir disposer librement de leur corps. Les 343 salauds réclament le droit de disposer du corps des autres. Je crois que cela n’appelle aucun autre commentaire », a lapidairement déclaré Najat Vallaud-Belkacem, lors du compte-rendu du Conseil des ministres. Avec tout le respect qu’on doit à une ministre, peut-être ignore-t-elle le sens du mot « consentement » qui figure dans notre Manifeste. Cela dit, on lui pardonnera parce que c’est pas tous les jours qu’on cause de Causeur à l’Élysée.

En somme, quand un député socialiste compare l’expulsion de Leonarda à une « rafle », cela passe comme une lettre à la poste. Mais notre innocente référence historique a suscité force vociférations : « odieuse », « insoutenable » et même « abjecte » pour la présidente d’OLF. J’ai trouvé particulièrement délicieux le ton outré d’un journaliste de radio qui me faisait part de l’indignation « des féministes » devant ce détournement. Comme je lui demandais pourquoi ces indignées seraient les seules dépositaires autorisées de la mémoire du féminisme, il me fit cette étonnante  réponse : « parce qu’elles sont féministes ! » Un autre article mentionne sur le mode ricaneur la présence, parmi les signataires, « des très féministes Eric Zemmour et Ivan Rioufol ». A-t-on le droit de ne pas être féministe ou est-ce un délit, au même titre que le racisme ou l’homophobie ?

Or, nul ne semble s’inquiéter de l’intolérance fanatique que manifestent de tels propos. Faudra-t-il demain présenter sa carte de membre du parti du Bien pour avoir le droit de s’exprimer ? En tout cas, le positionnement politique prêté à Causeur – de droite, réac, ou même facho – est une circonstance aggravante. Dans un texte intitulé « Allez les salauds, tous au bois de Boulogne », Annette Lévy-Willard résume ainsi nos coupables agissements : « On vole les idées progressistes et on les retourne comme des chaussettes en idées réacs pour la défense de nos couilles menacées. »  Si le maniement des idées, termes et références « progressistes » est réservé à leurs légitimes propriétaires, cela va devenir compliqué d’écrire et même de penser.

« Nous ne défendons pas la prostitution, nous défendons la liberté », avais-je écrit dans la présentation du Manifeste. C’est pourquoi nous avons placé ce texte sous le patronage des féministes d’antan qui étaient tout de même plus marrantes que leurs glaçantes héritières. On n’imagine pas les filles du MLF réclamer sans cesse plus de flics et plus de répression. Aujourd’hui, la gauche sociétale, qui est supposée incarner la pointe avancée du progressisme, est travaillée par une irrépressible libido de contrôle et d’interdiction. Et si les « réseaux sociaux » sont représentatifs de l’opinion dominante, notamment des jeunes, on ne va pas beaucoup rigoler dans les années à venir.

Répétons-le, nous ne défendons dans ce texte rien d’autre que le droit de deux (ou plus) adultes consentants d’avoir la sexualité qu’ils veulent, tarifée ou pas. Le consentement est un leurre, rétorquent les abolitionnistes. « La majorité des personnes qui se prostituent le font par contrainte économique ou psychologique », écrit Anne Zelensky. Admettons. Mais alors, il faudrait protéger toutes les femmes à qui il arrive, par exemple, de faire l’amour sans en avoir envie, parce qu’elles veulent faire plaisir à leur compagnon. N’est-ce pas la preuve d’une intolérable contrainte psychologique ?

Il est vrai que la plupart des gens ont du mal à croire qu’une femme puisse faire librement commerce de ses charmes. À Causeur, nous avons eu d’intenses discussions sur le sujet – heureusement plus nourrissantes que les éructations qui ont salué notre initiative. Il est en effet difficile d’admettre que tout le monde n’a pas le même rapport que nous à son corps et à la sexualité. Pour autant, nul ne prétend que la prostitution soit un métier comme un autre. Enfin, les prostituées par choix – celles dont il est question dans notre manifeste – représentent certainement une minorité. Mais on ne voit pas au nom de quel principe on pourrait libérer cette minorité par la force. La protection infligée à des filles qui n’en demandent pas tant ne relève-t-elle pas d’un maternalisme de mauvais aloi ?

Derrière la croisade abolitionniste, il y a le rêve d’une sexualité transparente, démocratique, égalitaire, c’est-à- dire le contraire d’une sexualité. Comme si on était passé de la guerre des sexes à la guerre au sexe. C’est parce que les hommes se trouvent particulièrement visés dans cette guerre que nous avons décidé de prendre leur défense – et si les copines de OLF n’aiment pas les hommes, qu’elles ne tentent pas d’en dégoûter les autres. Car au train où vont les choses, les derniers spécimens en circulation devront bientôt se balader en burqa. L’air de rien, la peur commence à s’insinuer dans les esprits. Mes copains socialistes sont prêts à signer des textes dont ils ne pensent pas un mot pour acheter la paix avec leurs camarades. Ces affriolantes donzelles finiront par nous faire regretter la domination masculine.

Cet article en accès libre est extrait du numéro de novembre de Causeur magazine. Pour lire l’intégralité du magazine, cliquez ici.

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*Photo : ROSSI GUIDO/SIPA. 00435749_000001.

« 343 salauds » : Nouvel ordre moral ou nouveau parti dévot ?

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343 salauds feminisme

343 salauds feminisme

« Jeune catin, vieille dévote. » Ce dicton, qu’aimait à citer Sigmund Freud, résume l’évolution du mouvement féministe à la française. Traduisons, en osant le freudisme un instant. La « névrose » confortable des habituées du pouvoir ou de ses coulisses a remplacé la « perversion » inquiète des déviantes révoltées. Et le consensualisme bien-pensant a fait oublier l’esprit frondeur et transgressif des provocatrices soixante-huitardes. Les vaillantes « 343 salopes » de 1971 ont joué le rôle de mères fondatrices. Avec le temps, elles sont devenues hautement respectables. Certaines d’entre elles se sont contentées de jouir du statut enviable d’anciennes combattantes (à l’instar des anciens « soixante-huitards »), d’autres se sont données le droit d’opiner sur tous les sujets d’actualité, d’autres encore ont fait carrière dans la politique, l’Université ou les médias. On n’oubliera pas celles qui, surfant sur la vague lacanienne, se sont faites psychanalystes au bon moment, pour arrondir leurs fins de mois. Leurs héritières déclarées sont devenues non seulement respectables, mais, pis encore, donneuses de leçons, réformatrices du langage et contrôleuses des mœurs, commissaires politiques et institutrices d’un nouvel esprit puritain. Un nouvel ordre moral s’est peu à peu installé dans le monde des élites visibles, soumis aux pressions et aux tactiques d’intimidation d’une gauche hypermorale, qui n’a jamais exercé plus totalement le pouvoir culturel. C’est à gauche qu’est né le nouveau parti dévot, au confluent d’un socialisme sentimental sans perspectives et d’un féminisme dégradé en conformisme, voué à pratiquer un terrorisme intellectuel toujours plus insidieux.

L’inspiration libertaire du féminisme minoritaire a totalement disparu avec la réussite sociale de ses héritières abusives et désormais gérantes d’un courant d’opinion dominant. Les féministes historiques, intervenant dans un milieu hostile, affirmaient leur liberté d’avorter, les néo-féministes n’ont plus à le faire, puisqu’elles se tiennent pour la plupart à distance de l’origine du mal, « l’homme ». La vertu de courage, l’aspiration à la liberté et l’imagination transgressive ont été chassées par des ambitions sans limites et une volonté de revanche, voire de vengeance, visant les « mâles dominants » ou les « gros hétéros de base ».

La prise du pouvoir culturel par les néo-féministes a eu lieu. On ne saurait s’étonner de ses conséquences politiques. Ce qui a triomphé, c’est un pseudo-féminisme instrumental porté par l’esprit du soupçon et de la dénonciation, fondamentalement androphobe, et rêvant de réaliser dans le système social les valeurs et les normes d’un hyper-moralisme n’ayant rien à envier à celui des traditionalismes religieux. Un nouvel obscurantisme s’est installé, avec sa phraséologie, ses prêcheurs et prêcheuses, ses chapelles, ses réseaux, ses groupes de pression, ses élus et ses élues.

Les partisans du nouvel ordre moral ont un projet : surveiller, contrôler, identifier, punir ou rééduquer. Il s’agit d’une entreprise de moralisation coercitive des opinions et des mœurs, fondée sur un désir infini d’interdire et de normaliser. Une utopie ordonnée à l’objectif de purifier les âmes, de corriger les comportements déviants et d’interdire certaines pratiques, sexuelles au premier chef. Elle présuppose que les humains tels qu’ils sont, surtout ceux qui ont le malheur d’être nés et restés « hommes » (mot douteux désignant les individus humains de sexe masculin, hétérosexuels et par nature « dominants », toujours exploiteurs, et souvent violeurs), doivent être mis ou remis sur le droit chemin, soit par un système de sanctions, soit par un dispositif de rééducation. La normalisation des mœurs suit celle du langage et des esprits. Interdire l’emploi de certains mots jugés dangereux ou détestables, interdire l’expression publique ou privée de certaines pensées jugées mauvaises, voire criminelles, interdire certaines pratiques sexuelles : ces rêves d’interdiction présentent tous un air de famille. Ce sont les différentes faces d’un seul et même projet de régénération du genre humain, à travers celle du sexe/genre masculin, le seul à vraiment poser de redoutables problèmes.

Il faut reconnaître que le pouvoir hypermoral en place a généreusement offert une possibilité de rédemption au sexe maudit : le mariage homosexuel. La normalisation sociale autoritaire, par l’indifférenciation des sexes, est un avatar dans l’histoire de l’État-providence, saisi par une dialectique négative. Mais cette méthode de salut ne fait pas l’unanimité dans la population « mâle », où persistent d’une façon regrettable des « préjugés d’un autre âge », à commencer par la croyance « archaïque » à la différence des sexes. Les utopies totalitaires se heurtent infailliblement à la réalité anthropologique, cet obstacle fatal. C’est pourquoi, disent avec la gravité requise les plus radicaux parmi les conseillers et conseillères d’éducation ou de rééducation, il faut d’urgence inculquer aux jeunes enfants, surtout aux garçons, des idées saines sur les dangers de l’hétérosexualité, qui, comme chacun le sait, mène à la violence conjugale et à la maltraitance des enfants en bas âge. « L’homme » est un danger pour les femmes et les enfants.

Les « hommes » sont une menace permanente pesant sur la dignité humaine. Voilà l’axiome dont il faut partir, selon la nouvelle classe éclairée. Il implique une prescription : considérer tout homme comme un ennemi du genre humain, jusqu’à preuve du contraire. Prenons l’exemple d’un autre front, particulièrement sensible, disons sexuel. Dans la relation-type entre la prostituée et son client, selon l’orthodoxie vertuiste, le principe du libre consentement entre personnes adultes et responsables est rejeté comme une vieillerie « réactionnaire ». Dans la prostitution, les « putes », « dans leur immense majorité » (selon la formule consacrée), doivent être considérées comme de simples victimes innocentes. Même quand elles croient être consentantes, elles ne le sont pas. Elles se trompent parce qu’elles sont trompées. Elles sont ainsi doublement victimes : en tant qu’exploitées et en tant que mystifiées. C’est qu’elles sont des femmes, donc des victimes par nature, de bas en haut de l’échelle sociale. Les seuls coupables, ce sont les proxénètes et les clients, donc des « mâles dominants », exploiteurs cyniques ou jouisseurs immondes. L’opération idéologique consiste à mettre sur le même plan le « maquereau » prédateur et le « cave » qui paie. Qui oserait s’identifier à ces types répulsifs ? Qui oserait défendre en même temps les libertés de la prostituée et celles de son client ?

La méthode d’intimidation fonctionne, elle favorise l’extension indéfinie du consensus néo-féministe : ceux qu’il faut bien appeler les « mâles dominés », tentant d’échapper à la culpabilité, se multiplient par imitation et contagion, apportant leur appui au conformisme androphobe. C’est ainsi que, chez les « hommes », la mauvaise conscience se radicalise en haine de soi. Les « mâles dominés » ajoutent leurs forces à la frange militante et sectaire de la population « gay » et lesbienne, pour qui le « mâle dominant et hétéro » (a fortiori s’il est « vieux » et « blanc »), c’est l’ennemi. La classe politique suit dans son ensemble, les récalcitrants ne pouvant guère que se taire, sauf à se perdre avec leur réputation.

On ne s’étonne pas du fait que la gauche au pouvoir tente de faire oublier son impopularité, effet de ses incompétences polymorphes, par une fuite en avant dans l’acharnement législatif sur des questions sociétales, en misant sur des « causes » qui n’ont plus besoin d’être défendues. Tout le monde condamne le proxénétisme et l’exploitation sexuelle, personne ne défend le principe de la « marchandisation des corps ». On est en droit de se féliciter de la légalisation de l’IVG et de la dépénalisation de l’homosexualité. Pourquoi donc vouloir pénaliser les clients des prostituées ? Et ce, en oubliant ceux des prostitués. La criminalisation des clients « mâles » n’est que l’une des tactiques de diversion utilisée par la gauche vaguement « plurielle » au pouvoir. Elle présente l’avantage d’intimider et de diviser la droite, sans prendre le risque d’aller contre l’opinion dominante, gagnée à un pseudo-féminisme diffus dont les thèmes sont inculqués aux citoyens par la culture médiatique, de la presse (au-delà des magazines féminins) à la télévision, depuis les années 1970.

La publication sur le Web, dès le 29 octobre 2013, de « Touche pas à ma pute ! Le manifeste des 343 “salauds” », avant même son lancement par le magazine Causeur, a provoqué les réactions attendues venant des milieux visés. Les réflexes idéologiquement conditionnés se sont donnés en spectacle, avec une surprenante ingénuité. Les résultats de cette expérimentation un peu sauvage sont fort intéressants. À une provocation s’affichant comme parodique, satirique et humoristique, à un grand rire faisant la nique aux longues figures de l’inquisition moralisatrice, de belles âmes engagées ont cru pouvoir répondre par l’indignation hyperbolique, la condamnation morale et la dénonciation édifiante. Sans oublier les injures. Les « salauds » ironiquement autodénommés ont été traités vertueusement de « connards » : degré zéro de la réplique. Inaptes à saisir les jeux de langage, cloués au sens littéral des mots, incapables de réagir sans agiter des poncifs et des stéréotypes, les indignés professionnels ont chaussé leurs gros sabots, les seuls qu’ils possèdent, assortis à leur esprit de sérieux. Dans cette affaire, en se déchaînant en groupe, la sottise bien-pensante a oublié ses masques habituels, elle est sortie sans maquillage. Mais non sans ses clichés moralisants : « nauséabond », « ignoble », « honteux », « infâmes personnages », « répugnants », « crétins », « machos », « sexistes », etc. Les progressistes à front de taureau ont lancé leurs cris de guerre favoris : « ringards ! », « néo-réacs ! » N’en prenons pas ombrage. Le choc du rire et de l’esprit de lourdeur a lui-même quelque chose de comique. Il permet de prendre la bêtise à la légère.

Posons en principe que la liberté de penser implique celle de critiquer ainsi qu’une totale liberté d’expression. Pour la pensée libre, rien n’est par nature intouchable. Rien n’est « tabou ». Il s’ensuit que le discours polémique est toujours légitime, lorsqu’il exprime avec le talent requis une colère éclairée par l’intelligence. Le seul interdit qu’il se donne est de sombrer dans la calomnie et la diffamation. C’est pourquoi, lorsque la liberté de penser s’exerce pleinement vis-à-vis des dogmes religieux, elle est perçue par les esprits pieux comme un acte blasphématoire, justifiant une forte indignation qui se radicalise en condamnation, puis en appel à la sanction. Mais la pensée critique n’a nullement pour destin ou vocation de se cantonner à la mise en question des croyances ou des pratiques religieuses traditionnelles. Le champ d’exercice de la liberté de blasphémer ne doit pas se limiter aux grandes religions monothéistes. Il doit s’étendre aux religions séculières (socialisme, nationalisme, etc.), ainsi qu’aux petites religiosités profanes (féminisme, écologisme, humanitarisme, immigrationnisme, antiracisme, athéisme militant, etc.). Tous les catéchismes, idéologiques ou para-religieux, doivent constituer des cibles potentielles pour les esprits libres.

Les réactions violentes et injurieuses des indignés et indignées à la française montrent que ce petit monde vertuiste perçoit le manifeste féministe des « 343 salopes » et le slogan antiraciste « Touche pas à mon pote » comme des symboles sacrés, qu’on ne saurait parodier sans blasphémer ni risquer l’anathème, voire des poursuites. Leurs sigles fondateurs tournés en dérision, féministes et antiracistes officiels réagissent comme ces groupes islamistes qui, face aux caricatures de Mahomet, s’indignent, condamnent, menacent, pétitionnent, engagent des poursuites judiciaires, intimident de diverses manières, voire passent à l’agression physique. Il est interdit de rire et de faire rire, sous peine d’amende. Mais la volonté de punir risque d’aller plus loin. Nos indignés et indignées les plus frénétiques iront-ils/elles jusqu’à se transformer en bombes humaines pour éliminer tel ou tel « salaud » emblématique ? Nul ne saurait le prévoir. Contentons-nous de considérer le présent. Intolérance et fanatisme contre ironie satirique et joyeuse parodie : triste tableau d’une basse époque. Une époque où Aristophane et Juvénal, Voltaire et Lichtenberg feraient l’objet de campagnes médiatiques virulentes avant d’être traînés devant les tribunaux.

La vulgate néo-féministe a nourri un esprit de vengeance contre les « hommes », qui se traduit politiquement par des tentatives toujours renouvelées pour limiter le champ des libertés par des mesures législatives. Cette vulgate, comme d’autres (à commencer par le pseudo-antiracisme), a été instrumentalisée par des politiciens cyniques, avides de « causes » susceptibles d’être idéologiquement exploitées. Il faut cependant se garder de jeter l’enfant avec l’eau du bain. Ce pseudo-féminisme revanchard et punitif, mû par le ressentiment et porté par la logique du « toujours plus », est une contrefaçon du mouvement féministe, nourri par une légitime exigence d’égalité, une ferme volonté de libération et le goût des libertés. D’Olympe de Gouges et de Flora Tristan à Simone de Beauvoir, les grands esprits ne manquent pas. Ces femmes admirables ont pris des risques, elles ont aussi pris des coups. Les néo-féministes, quant à elles, préparent de mauvais coups, donnent des coups et ne prennent aucun risque, sinon celui d’être perçues comme stupides. Mais elles le sont trop pour s’en émouvoir.

Le recours à l’origine est parfois de bonne méthode. Les restaurations sont vouées à l’échec, mais les ressourcements peuvent être féconds. On peut rêver ainsi d’un retour aux sources, et supposer, avec trop candeur peut-être, qu’un autre féminisme est toujours possible. Même aujourd’hui.

« Ironie, vraie liberté ! », s’écriait Proudhon dans la conclusion de ses Confessions d’un révolutionnaire, datées de « Sainte-Pélagie, octobre 1849 ». Et, de la prison parisienne où l’avaient précédé Madame Roland et le marquis de Sade, le penseur politique incarcéré ajoutait : « Tout entiers à nos amours et à nos haines, nous ne rions des autres pas plus que de nous : en perdant notre esprit, nous avons perdu notre liberté. » Cet amer constat de Proudhon vaut comme un diagnostic lucide de notre époque malade de moralisme suspicieux et d’esprit de sérieux.

Meurtre des journalistes français au Mali : À qui la faute?

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rfi mali verlon dupont

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Les journalistes de la rédaction de Radio France Internationale sont en colère, et on les comprend : qui ne le serait en apprenant que des collègues de travail, ceux avec qui l’on passe plus de temps qu’avec sa famille, avec qui on rigole ou on s’engueule chaque jour, étaient retrouvés criblés de balles sur une piste saharienne ? Pour l’instant, cette colère reste intransitive, sans désigner explicitement le ou les responsables de ce drame, mais cela ne va pas durer. Dans quelques heures, au plus dans quelques jours, une fois le premier choc émotionnel passé, la polémique va se déclencher autour d’une question récurrente : le devoir d’informer, raison d’être d’une presse libre, justifie-t-il que des journalistes prennent des risques inconsidérés ?

Question subsidiaire : qui est habilité à juger du danger couru par les envoyés spéciaux dans les zones de conflit, et donc appelé à répondre devant l’opinion, voire les tribunaux, des « accidents du travail » (assassinats, blessures, enlèvements suivis de séquestration) subis par des salariés dans l’exercice de leurs fonctions ?

Le discours convenu veut que tous ceux qui ont été victimes de ces drames, pour autant qu’ils appartiennent à des médias installés, soient des journalistes aguerris, bon connaisseurs du terrain et non des « têtes brûlées », mettant en danger leur vie et celle des autres pour se hisser au sommet de la gloire médiatique.

Face à ces « experts », la hiérarchie des médias concernés est dans une situation intenable : au nom de quoi s’opposeraient-ils à un projet de reportage à risques si celui ou celle qui le propose estime, en conscience et fort de ses expériences antérieures, que « le coup est parfaitement jouable » ? De plus, le chef de service, ou directeur de la rédaction, se voit mal assumer devant ses troupes un refus de bon de sortie si jamais la concurrence, aidée par la chance, est parvenue à réaliser ce reportage tant convoité…

Faute de doctrine communément partagée par l’ensemble des médias, la régulation de ce type d’activité est laissée à ceux qui sont les vrais coupables : les terroristes criminels qui décident des lieux où les journalistes peuvent ou non faire leur travail. Avec un cynisme parfait, ils peuvent les laisser venir, et même les attirer pour les transformer en otages sources d’espèces sonnantes et trébuchantes ou en monnaie d’échange politique. Ils peuvent, aussi, décider de dissuader les fouineurs de révéler leurs abominations en les éliminant dès  que l’occasion se présente.

C’est ainsi qu’un accord tacite s’est établi entre le régime de Bachar Al-Assad et la rébellion syrienne pour que les massacres auxquels les deux parties se livrent allègrement se déroulent désormais à huis clos. Les jihadistes nigérians de Boko Haram ont, par leur sauvagerie barbare, dissuadé tous les candidats de venir constater sur place ce qui se passe. En Afghanistan, plus aucun journaliste «  non embedded » ne se risque hors de Kaboul.

Dans le cas de la mort de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, on peut supposer, avec les informations dont on dispose, que le but visé par les jihadistes était du même ordre : attirer les journalistes dans un piège pour les utiliser dans leur guerre asymétrique contre l’opération Serval. Dans tous les cas de figure, ils étaient gagnants : soit ils avaient à leur disposition une « prise de guerre » pouvant être monnayée, soit, ce qui s’est passé, les ravisseurs étaient amenés à tuer leurs otages pour échapper plus facilement à leurs poursuivants, abandonnant leur véhicule pour se fondre dans le désert. Ils tireront alors également bénéfice de ce crime en suscitant, dans l’opinion française, des sentiments hostiles à la poursuite de l’effort de guerre  au Mali.

Les responsables militaires de la force Serval avaient refusé de transporter les deux reporters à Kidal, car ils ne pouvaient garantir leur sécurité dans une zone où les deux cents soldats français présents ont déjà fort à faire. Les militaires doivent non seulement se protéger eux-mêmes mais aussi empêcher les divers groupes armés de liquider l’embryon d’administration mise en place par le gouvernement de Bamako après la reprise de la ville en février 2013 par les forces franco-tchadiennes. Cette tâche est d’autant plus difficile qu’elle doit être menée avec l’objectif « zéro mort » du côté français. La reconquête de Kidal, selon tous les témoins présents sur place à l’occasion de l’élection présidentielle du mois d’août dernier, était loin d’avoir atteint l’objectif « d’éradication des jihadistes » proclamé par François Hollande au moment du lancement de l’opération Serval. Des groupes armés des diverses obédiences de la dissidence touarègue peuvent encore évoluer librement dans la ville et dans ses alentours.

Le refus de principe des autorités militaires françaises d’assurer la logistique d’une équipe de journalistes, fût-elle envoyée par une radio de service public très écoutée en Afrique francophone, était donc amplement justifiée.

Ghislaine Dupont et Claude Verlon se sont alors tournés vers l’autre autorité politico-militaire présente sur le terrain, la Minusma (mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali), qui a accepté de les prendre à bord d’un de leurs avions assurant la liaison avec Kidal. Cette force multinationale, essentiellement africaine, dirigée par un diplomate néerlandais détaché à l’ONU, et commandée par un général rwandais, n’a pas à se soucier du sort ultérieur des passagers qu’elle accepte de transporter. Aucune opinion publique ne viendra demander des comptes au secrétaire général des Nations unies s’il leur arrive malheur.

Alors, s’il faut trouver des responsables (mais pas coupables), de ce drame, c’est plutôt vers les dirigeants  de RFI qu’il faudra regarder. Le reportage à Kidal de Ghislaine Dupont et Claude Verlon était un élément d’une opération spéciale de cette radio publique, destinée, selon la directrice de l’information de la chaîne, à « apporter la contribution de RFI à la réconciliation nationale au Mali, une cause qui nous tient particulièrement à cœur ». Des équipes de reporters avaient été dépêchées dans tout le pays pour alimenter une « journée spéciale Mali » sur toutes les antennes de RFI prévue pour le 7 novembre. Il s’agissait de donner la parole à une « société civile » malienne qui témoignerait, devant le monde entier, qu’elle ne souhaite que la paix et le retour à la concorde générale dans un pays déchiré par des conflits ethniques depuis plusieurs décennies. Cette intention, éthiquement louable, était journalistiquement contestable. Il est pour le moins intempestif de venir faire du micro-trottoir, même sous une forme sophistiquée, dans une région où les combats continuent de faire rage. Quelle liberté d’expression on , à Kidal, des gens qui savent que, sitôt les journalistes ayant tourné les talons, ils risquent de devoir  rendre des comptes à des bandes armées impitoyables ? Toute parole émise dans ce contexte est soit manipulatrice, soit suicidaire. Seuls les militaires, et non les journalistes sont, dans la phase actuelle au Mali, en mesure de créer les conditions où, peut-être un jour, « les gens » pourront parler librement et sans crainte à des journalistes bourrés de bonnes intentions.

 *Photo : Jacques Brinon/AP/SIPA. AP21478560_000014.

Signez le Manifeste des 343 salauds

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Voir la liste des nouveaux signataires

Premiers signataires : Frédéric Beigbeder, Rodolphe  Bosselut, Pascal Bruckner, Renaud Camus, Philippe Caubère, Jacques de Guillebon, Basile de Koch, Jean-Michel Delacomptée, David di Nota, Claude Durand, Benoît Duteurtre, Roland Jaccard, Guy Konopnicki, Philippe Karsenty, Alain Paucard, Périco Légasse, Jérôme Leroy, Richard Malka, Marc Cohen, Gil Mihaely, Christian Millau, Dominique Noguez, Ivan Rioufol, Luc Rosenzweig, Stéphane Simon, François Taillandier, Marc Weitzmann, Eric Zemmour.

Abram Alain, Affre Jean-François, Araujo Nuno, Arnaudies Jacques, Assali Jean, Aymard Christophe, Azuelos Daniel, Bada Moustapha, Bakowski Adam, Audouard Thomas, Baré Christian, Baré Sébastien, Bargoin Robert, Barret Philippe, Beaudoin Yves, Behar Joseph, Bejbaum Armand, Benchemoul Benjamin, Bensimon Denis, Bensoussan Gérard, Berthet Samuel, Beysson Pierre, Billard Jacques, Blanc Christian, Blas Alexis, Bouchaert Jean-Charles, Boughezala Daoud, Bourron Paul, Boutaric Michel, Bouyssou Antoine, Boyer Serge, Brasseur Claude, Bréquigny Philippe, Brodier Jacques, Brouillet Yvon, Cahuet Patrick, Calatayud Joël, Camus Robert, Casanova Gilles, Cassard Alain, Cavanna Robert, Celle Simon, Chambon Alain, Charles Nabet, Charpentier Christian, Charrier Patrick, Charron Christian, Chevreau Grégoire, Chollet Claude, Colnot Guillaume, Colombani Jacques, Colombot Claude, Colson Johnny, Combes Michel, Compte Patrick, Coradin Pierre, Corre Bernard, Courtinel Charles, Crivat Bogdan, Csaba Morocz, Delannoy Alain, Deniel-Laurent Bruno, Deprez Jean-Philippe, Deransart Thierry, Descamps Antoine, Deschamps Jean-Guy, Desgouilles David, Devals Alain, Diaine Alain, Doche Philippe, Dory Alexandre, Dubois Claude, Dunoyer Laurent, Dupont Pierre, Dupré La Tour David, Durieux Julien, Ehret Thomas, Ejchler Jean, Escande Renaud, Esnis Jean-Pierre, Espinasse Patrice, Falchi Marc, Falcone Matthieu, Fauchet Frédéric-Louis, Fauxpoint Bernard, Fichant Michel, Filleau Jérôme, Fioretto Pascal, Fombonne Jean-Marc, Fouquier Pierre, Francillon Gérard, François Edmond, François Olivier, Gaffet Michel, Gana Jérôme, Garde Roland, Gardet-Fabien Louis, Gareau Pascal, Gasnière Thierry, Gauthier Marcel, Gélinet Jean-Maurice, Gény-Santoni Philippe, Gerentes Bruno, Gicquel Cédric, Girard Jean-Luc, Gireau Louis, Glangetas Frédéric, Gmeline Stanislas de, Goering Michel, Goux Didier, Gressard Yves, Grolleron Jean, Gros Denis, Gueniffey Patrice, Guénoun Guy, Guez Christian, Guilleminet Christian, Guillermet Olivier, Gumplowicz Philippe, Haenggli Claude, Haguet Hubert, Halfon Lionel, Hausslein Christian, Héraud Patrice, Hervis Yann, Hess André, Heurtebise Samuel, Housse Guillaume, Hudelist Marc, Huet Vincent, Husser Laurent, Huyghe François-Bernard, Jeanney Michel, Jourdain Eric, Julliard Erwin, Julou Philippe, Kalle Roger, Kaminski Philippe, Kieffer Thiébault, Klotz Emmanuel, Kober Manuel, Koster Serge, Krasnopolski Philippe, Krauze Witold, Kremeur Alain, Krivitzky Alexandre, Kuhr Laurent, La Malène Olivier de, Laarman Jan, Lacoche Philippe, Lacoste Bruno, Lahanque Reynald, Lamalattie Pierre, Lamy Bernard, Lamy Christophe, Lamy Philippe, Landreau Michel, Lapoudge Bernard, Large Alain, Larroux Romuald, Launay Hubert de, Laurent Dimitri, Le Bihan Alain, Le Guern Arnaud, Le Merrer Bernard, Lebon Pierre, Leborgne Daniel, Lécuyer Michel, Legris Frédéric, Lemane Thierry, Lesieur Jérôme, Letellier Jean-Pierre, Lévy Vincent, Lindeperg François, Long Xavier, Malarewicz Jacques-Antoine, Mamou David, Marck Jean-Alain, Marquet Jean-François, Massot Georges, Maulin Olivier, Maurage Emmanuel, Maxence Isidore, Meilleur Jacques, Mérelle Jean-Marc, Merian Cyprien, Meynaud Michel, Michel Jean-François, Miller Renaud, Millet Nicolas, Mirguet Jean, Mizrahi Arié, Moglia Mickaël, Mondoloni Jean-Michel, Monniet Abel, Montel François, Montfort Fred, Morin Pierre-Yves, Mourton Gérard, Nacht Marc, Nahmias David, Nataf Jean-Marcel, Neveu Daniel, Noël Pierre, Oerthel Robin, Oudin Bernard, Ouvrard Jean-Pierre, Pagura Emilio, Passot Henri, Paterne Daniel, Patrick Maury, Perrin Alphonse, Perrin Jean, Piat Hubert, Piccarreta Paul, Porin Dany, Potier Benjamin, Pussey Gérard, Quatrepoint Jean-Michel, Rabette Louis-Joseph, Rachet Guy, Rancinan Gérard, Ranval Claude, Rappeneau Gilles, Rassat Jacques, Ravoire Christian, Reboul Olivier, Reynaud Jean-Claude, Reynaud Patrice, Richard Luc, Ringelheim Foulek, Riste Yvan, Rival Jean-Louis, Robert Claude, Rojzman Charles, Roller Olivier, Roquefort Georges, Rostaing Didier, Rouault Yvon, Rougier Bernard, Rouquet Claude, Roussel Philippe, Roussillon-Poulon Eric, Rouvillois Frédéric, Roy Yannick, Ruby Monsieur, Rullière Alain, Runavot Gilbert, Saal Yvan, Sabatié Jean-Pierre, Sampson Steven, Sangars Romaric, Sapina Laurent, Satrustegui Inigo de, Saussol Daniel, Sautier Paul, Seghers Philippe, Sénik Albert, Sergent Alain, Sergent Yann, Seydoux Arnaud, Sibleyras Gérald, Simon Hervé, Taguieff Pierre-André, Taillefer Aymeric, Tavoillot Pierre-Henri, Teillet Philippe, Terrasse Jacques, Teymouri Ali, Thévenet Daniel, Thiant Frédéric, Thouvenin Henri, Tobolski Francis, Tofreder Frederic, Tolédano Baruk, Tourel Alain, Tournesac Laurent, Tranin Luc, Vadet Edouard, Valicourt Henri de, Vary Francis, Veissière Pierre, Vérité Philippe, Vernhet Jean-Charles, Vial Bruno, Vieilleribière Alain, Villaret Jean-Claude, Wagner Geoffroy, Wallet Gilbert, Wolff Michel, Yégavian Tigrane, Zamoun Philippe, Zendali Michel, Zimmermann Michel, Trusson Olivier, Pignon Baptiste, Lemasson Jean-Paul, Platchkov Stéphane, Cormary Pierre, Fruchard Michel, Sibué Jean-Michel, De Rouville Pascal, Lamy Patrice, Coudry Guillaume, Agnellet Julien, Laloum Gilles, Favreau Claude, Teboulle Dan , Geremy Xavier, Salmon Michel, Chevalier Henri, Moureaux Patrick, Gérard Emmanuel, Genvresse Patrick, David Jean-Roger, Peyrondet Claude, Merceron Alain, Sanchez Alphonse, Lebrat Philippe, Teyssier Daniel,  Greco Jean-Louis.

Novembre : 343 raisons d’acheter Causeur

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On ne parle que de ça. Ou presque. 343 « salauds » ont allumé la mèche tendue par Causeur pour dénoncer la proposition de loi qui prévoit de taper au porte-monnaie les clients de prostituées. En infligeant des amendes à ces messieurs, la députée socialiste Maud Olivier espère éradiquer la prostitution, voire fabriquer un Homme nouveau à la sensualité « propre, démocratique et transparente », comme l’analyse notre rédactrice en chef Elisabeth Lévy.

C’est pourquoi nous avons décidé d’agir. Par un manifeste qui condamne avec la plus grande fermeté « la violence, l’exploitation, le trafic des êtres humains », autrement dit le proxénétisme, mais défend la liberté de se prostituer. Certes, « les prostituées par choix – celles dont il est question dans notre manifeste – représentent certainement une minorité. Mais on ne voit pas au nom de quel principe on pourrait libérer cette minorité par la force » argumente Elisabeth Lévy. Au nom du refus de la marchandisation du sexe, de l’avilissement de la femme, des pratiques sensuelles humiliantes, on pourrait parfaitement légitimer l’interdiction de la pornographie. On commencera par s’en prendre au cinéma X, puis aux œuvres dégradantes et amorales de Milo Manara, Mapplethorpe ou Bukowski.

Au-delà des alcôves, c’est toute la condition de l’homme post-moderne que nous auscultons. Sponsorisée par le magazine Têtu, l’exposition « Nu Masculin » au musée d’Orsay inspire ce questionnement à Paulina Dalmayer : « Les gays sont-ils seuls légitimes à parler du corps des hommes ? » Un petit tour sur place laisserait penser que les stéréotypes ne sont pas forcément du côté du mâle blanc hétérosexuel… Une expression prisée par le rédac chef de Lui, un certain Frédéric Beigbeder, dont on entend pis que pendre sur les sites féministes. Interviewé dans nos colonnes, l’écrivain se fait l’avocat du « droit à la légèreté », justifiant le mariage gay et la prostitution libre et consentie. À l’instar du comédien Philippe Caubère, également signataire de notre appel, l’écrivain dénonce la croisade anti-sexe des nouveaux inquisiteurs bien décidés à moraliser nos braguettes et nos froufrous. D’ailleurs, lorsqu’on ne le caricature pas, on coache le mâle contemporain dans des émissions de téléréalité maternantes. Pour l’enfant de la télé Pierre Lamalattie, que nous sommes heureux d’accueillir, le mari cathodique est un gosse à discipliner, sous peine de faire naufrager le couple… Que nenni, en pénalisant la prostitution, le législateur entend simplement protéger les prostituées des exploiteurs de tout poil, nous rétorque le « poisson rose » Philippe de Roux dans une tribune argumentée.

En sus de nos réflexions sur le Mâle, nous vous avons concocté un dossier sur les ressorts du vote FN et la faillite des stratégies de ses adversaires. Au bas de l’échelle sociale, dans la France des oubliés, en milieu rural ou péri-urbain, ça barde, nous confirme le géographe social Christophe Guilluy. Assorti d’un entretien avec le gaulliste Nicolas Dupont-Aignan, un voyage géo-électoral du nord au sud de l’hexagone vous attend. Sans complaisance ni diabolisation. Au fond, nous avons essayé de suivre la voie tracée par le regretté Philippe Cohen, auteur d’une biographie référence de Jean-Marie Le Pen. Le journaliste et essayiste nous a quittés le 20 octobre. Nous rendons hommage à ce « surdoué de la transmission », suivant la belle expression d’Elisabeth Lévy. De Jean-Luc Gréau à Henri Guaino, quelques-uns de ses amis, complices ou lecteurs lui disent leur chagrin et leur reconnaissance. Adieu, l’ami !

 Attention : Ce numéro est disponible en version numérique pour nos abonnés mais ne sera mis en vente chez les marchands de journaux qu’à partir de jeudi 7 novembre. Vous pouvez d’ores et déjà le commander sur notre boutique en ligne ou vous abonner grâce aux liens ci-dessous.

Causeur manifeste 343 salauds

     

Trois Albert au tombeau

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cohen caraco camus

Les livres sont au mur, le sait-on ?

Quand je pense aux livres que j’y ajoute en ce moment – deux ouvrages qui lui manquaient de Georges Perros qui n’en a pourtant pas commis beaucoup  –, je me dis que ma bibliothèque est une sorte de tombeau.  (Et n’allons pas compter sur le voleur rémois pour animer les choses. Un seul brave se sera risqué à la maison en dix-sept ans. La porte fermée aussi peu que possible, les ouvrages de haute valeur marchande à mi-couloir et portée de main,  rien n’y fait.)

Trois Albert en bibliothèque. Une trinité. On monte le système qu’on peut. Morts ils sont, c’est certain ; morts comme Georges. (On s’appelait Albert, Georges, Jacques, Jean, Paul, Marcel, Ferdinand peut-être : comment s’appellera-t-on demain ?  Est-ce qu’il restera au moins des murs auxquels prêter le dos ?)

Les livres d’Albert Cohen à plusieurs endroits, reposant.  Ici, à côté de Bella Cohen ;  là,  de Julio Cortázar ; là, de Raymond Queneau. Carnets 1978 en double exemplaire, dont un vélin pur fil.

L’usage de la vie peu démenti par les mots. Albert Cohen : frère humain, frère viril  – d’une virilité humble, femme et homme compris dans la pitié de soi.

Un seul ouvrage d’Albert Camus dans ma bibliothèque : un gros volume réunissant ses articles au journal Combat. Serré heureux entre Vivre,  Milena Jesenská, et Un plaisir trop bref,  Truman Capote.

Mais, précieux, caché mes enfants savent où, le fac-similé de la lettre que l’auteur de L’Étranger adressa à son instituteur peu après l’annonce qu’il était prix Nobel : « Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur. Mais celui-là est au moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève. »

Albert Camus, « littérateur célèbre », allez y comprendre quelque chose !   L’homme, au contraire, joliment transparent.   Resté petit garçon, abusé dans l’idéal. Un Cesare Pavese qui aurait plu aux femmes.  À leur corps peu défendant, elles lui auront fait faire, à lui aussi, la grosse bêtise.  Accepter la place du mort dans une voiture conduite par le mari de sa maîtresse,  la maîtresse assise derrière, et alors qu’il était prévu d’effectuer le trajet en train, que le billet est en poche, il faut être bien bon. Auto-victime, suicidé à petits frais.

Albert Caraco… Je ne possède de lui que des ouvrages de grand luxe. (Tout pour faire la fortune du voleur qui ne veut pas passer à la maison.)

Dans Le Charme des penseurs tristes, Frédéric Schiffter note : « Il se surprenait à espérer, dans des moments de faiblesse intellectuelle, une salutaire féminisation de la civilisation. En réalité, la sexualité obsédait Albert Caraco. » Oui ! Et vive la faiblesse ! Et ce n’est peut-être pas la sexualité qui obsédait notre bonhomme mais la femme, la femme qui serait non pas un lieu de repli, mais  un point de retour, autre chose que le néant. La femme source, la femme monde, la meneuse : « à la fois maîtresse et prêtresse ».  (C’est au féminin que Caraco donne  le meilleur paragraphe,  qu’il est le mieux subversif.)

Il ne faisait pas seulement la vaisselle, Albert, mais grand ménage.  Enfermé toute la journée, domestique à demeure. En cage avec lui-même.  (Il signait son courrier d’un A majuscule encoquillé dans un C plus majuscule encore.) Attendant pour bien se pendre d’avoir enterré  mère  et père, garçon correct.

Il lui aura manqué l’emboîtement extérieur.  Une occasion de fourrer  le nez dans le détail.  Une sœur de bonté qui le prenne en main, physiquement en main : qui le paume ! Et puis l’entraîne en elle, carrément : dessus, dessous, ce n’est rien mon petit gars ! « Viens, tu te retrouveras ! »

Se dépouiller de la majuscule. S’accepter nu.

« Vivre avilit », je me demande si on n’aura pas dit ça par défaut d’expérience…

La littérature qui finit au mur a été produite dans les grands coins : Suisse, Ardennes, Barranquilla ! (A. C. aura-t-il eu le temps avant son suicide, son père débarbouillé une dernière fois, de lire Cent ans de solitude ?)

García Márquez à sa femme, en reposant le combiné du téléphone, alors qu’il vient d’apprendre qu’il est prix Nobel : « Je suis baisé ! »

 

*Photo : ANDERSEN ULF/SIPA. SIPAUSA30051380_000002.