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Beau livre: l’inspiration africaine de Diane de Selliers

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Chaque année, au moment des fêtes, Diane de Selliers publie, aux prestigieuses éditions qui portent son nom, un nouveau volume mêlant texte classique éprouvé et illustrations choisies avec soin. Elle avait ainsi pu revisiter, par le passé, Stendhal ou bien L’Apocalypse de saint Jean, etc. Ses livres remettent en circulation les grands auteurs, afin qu’ils soient goûtés et appréciés par des lecteurs curieux et esthètes. Les images picturales, souvent sublimes, qui les accompagnent et les explicitent, permettent de redonner une vigueur nouvelle à ces pages retrouvées. Diane de Selliers sait rendre hommage aux œuvres du patrimoine mondial qu’elle admire et qu’elle veut faire admirer. Que demander de plus à un éditeur ?

Une tradition orale porteuse de sagesse

Diane de Selliers nous propose cette fois un conte d’inspiration africaine, dû à l’écrivain peul Amadou Hampâté Bâ, né en 1901 ou 1902 dans l’ancien Soudan français, l’actuel Mali. Il est illustré pour l’occasion par l’artiste contemporain Omar Ba, né au Sénégal en 1977. Comme l’annonce Diane de Selliers : « Cette édition rassemble le récit initiatique peul Kaïdara, écrit en vers par Amadou Hampâté Bâ en 1969, et les 40 œuvres originales créées spécialement par Omar Ba. » Nous sommes donc précisément dans un contexte peul, c’est-à-dire dans une tradition orale porteuse d’une sagesse millénaire, dont Amadou Hampâté Bâ se fait le chantre. Dans sa préface, Souleymane Bachir Diagne écrit : « Ce conte initiatique est la traduction, dans l’imaginaire peul, d’un récit primordial, qui se retrouve sous diverses formes dans toutes les cultures humaines : celui du voyage de l’homme, à travers mille et une épreuves, à la recherche de la plénitude. »

Omar Ba, Au commencement : le pacte, extrait de Kaïdara © Omar Ba / Adagp, Paris, 2024 Photo © Annik Wetter © Éditions Diane de Selliers

Une expérience intérieure

Il y a en effet dans Kaïdara une portée disons universelle, qui intéressera certains lecteurs en quête d’expériences intérieures pérennes. Le parcours biographique d’Amadou Hampâté Bâ explique cette vision généreuse de la littérature. Éduqué d’abord dans les écoles françaises, il reçoit par la suite l’enseignement d’un maître soufi, Tierno Bokar. Théodore Monod, dont il est l’ami, le fait recruter comme chercheur en ethnologie à l’Institut français d’Afrique noire. Après l’indépendance du Mali, en 1960, il entre à l’UNESCO, dont il deviendra membre du Conseil exécutif. Il fonde ensuite, à Bamako, l’Institut des sciences humaines. C’est en 1944 qu’il a livré une première ébauche de Kaïdara, qu’il reprendra par la suite et fera évoluer. Le conte manifeste déjà, à cet état embryonnaire, des caractéristiques culturelles précises, que l’auteur ne cessera de développer, fidèle à un « humanisme œcuménique associé à un islam tolérant ». En ce sens, Souleymane Bachir Diagne peut noter dans sa préface, de manière éclairante, que « Kaïdara est l’œuvre d’un patient et opiniâtre tissu de liens entre langues, entre cultures, entre religions, entre passé et présent… »

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Simplicité essentielle

Kaïdara s’adresse donc à tous. Aux enfants, aux croyants de toutes religions, aux agnostiques aussi, et pourquoi pas aux athées. Et de manière générale à tous ceux qui sont en recherche de quelque chose. Pour vous inciter à entrer dans ce livre et, peut-être, à en partager la beauté sapientiale avec vos proches, je vous citerai un passage vers la fin, où la morale du conte apparaît dans sa simplicité essentielle : « Retiens bien [c’est Kaïdara qui parle au jeune survivant de l’équipée initiatique] ce que tu viens d’apprendre et transmets-le / de bouche à oreille jusqu’à tes petits-enfants. / Fais-en un conte pour les héritiers de ton pouvoir. / Enseigne-le à ceux dont les oreilles bienheureuses / se fixent sur une tête agréable et chanceuse. »

Des illustrations significatives

J’ai beaucoup aimé le travail du peintre Omar Ba. Né en Afrique, il divise son temps entre Dakar et Genève. Cette double appartenance géographique fait de lui un artiste cosmopolite accompli. Comme Amadou Hampâté Bâ, il se présente comme « un passeur de traditions et de cultures ». Sa peinture, redevenue figurative après une période d’abstraction, tente une synthèse ambitieuse entre origines enfouies et cosmologie moderne. Il apporte beaucoup à la lecture du conte d’Amadou Hampâté Bâ, en ouvrant l’imaginaire du lecteur, qu’il amène vers des représentations fantastiques, mais accessibles à chacun. Comme l’écrit dans sa contribution Bérénice Geoffroy-Schneiter, spécialiste des arts africains, l’univers pictural d’Omar Ba « s’accorde ainsi à merveille avec la temporalité du conte de Kaïdara et la langue ciselée dans le métal divin d’Amadou Hampâté Bâ ».

Omar Ba, Arbre, extrait de Kaïdara © Omar Ba / Adagp, Paris, 2024 Photo © Annik Wetter © Éditions Diane de Selliers

La connivence créée par Diane de Selliers entre le poète et le peintre, telle celle d’un grand vin avec un mets raffiné, fonctionne de manière étonnante, comme si tous deux avaient travaillé de concert vers un même horizon. C’est le prodige de l’art, quelquefois, que ces réunions d’artistes, à l’occasion desquelles s’ouvre un riche dialogue qui n’était pas prévu. 

Kaïdara, Amadou Hampâté Bâ. Illustré par Omar Ba. Préface de Souleymane Bachir Diagne. Éd. Diane de Selliers.

À noter, chez le même éditeur, la réédition abrégée du Rāmāyaṇa de Vālmīki, illustré par les miniatures indiennes du XVIe au XIXe siècle. 

Kaïdara d'Amadou Hampâté Bâ illustré par Omar Ba

Price: 250,00 €

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Fous d’artifice

L’exposition « Figures du fou » est une remarquable réunion d’œuvres et d’objets retraçant cette physionomie de la déraison qui, profane ou religieuse, est un miroir tendu vers chacun. Leurs mines sont peut-être moins grotesques qu’au Moyen Âge, mais les fous et autres bouffons sont toujours parmi nous.


L’exposition du musée du Louvre intitulée « Figures du fou : du Moyen Âge aux Romantiques » est une très belle occasion d’aller voir des chefs-d’œuvre et de découvrir des objets insolites et amusants. Côté peinture : la célèbre Nef des fous et L’Extraction de la pierre de folie de Jérôme Bosch, Les Proverbes flamands de Pieter Brueghel, L’Enclos des fous de Francisco de Goya, La Monomane du jeu de Théodore Géricault, Fou de peur de Gustave Courbet. Côté objets : des psautiers ornés de petites créatures farfelues accrochées aux rinceaux végétaux ou nichées dans les initiales des textes, une statue de Vierge folle au sourire disgracieux, un aquamanile où la belle Phyllis chevauche Aristote, un porte-serviette aux mains baladeuses, un jeu d’échecs avec des derrières à l’air, des cartes à jouer colorées, des grelots en céramique et en métal, des médailles à l’effigie de Triboulet et Coquinet – bouffons célèbres de monarques célèbres –, des gobelets à tête de fou et des marottes en tous genres. Au total, 300 œuvres viennent illustrer les différentes facettes du fou, cette figure emblématique du Moyen Âge et de la Renaissance dont l’accoutrement, les gestes, les mimiques et les regards semblent avoir fait le lien entre le religieux et le profane, le sérieux et le dérisoire, la lucidité et l’aveuglement, dans un monde codifié jusque dans les délires de son renversement carnavalesque.

L’affiche de l’exposition donne le ton, avec ce Portrait de fou regardant entre ses doigts (1548). Vêtu d’un manteau moitié jaune, moitié rouge, avec capuche à oreilles d’âne et crête de coq, un fou plutôt sympathique nous regarde en souriant à travers les doigts de sa main gauche. Son regard rieur contraste avec la mine peu engageante qui surmonte sa marotte[1]. Il tient de sa main droite une paire d’épaisses bésicles, dont on ignore s’il les sort ou s’il les range sous sa pelisse. Les sages bésicles et la folle marotte sont faites du même bois, le pan jaune et le pan rouge du manteau forment un seul et même habit, le sourire joyeux du fou et le visage sombre de son sceptre fantasque sont le miroir l’un de l’autre. Le message est clair : à y regarder de près, les hommes sont en tous points déraisonnables ; fermer les yeux sur leurs péchés est une pure folie, mais rire de l’indulgence dont on se rend coupable en se voilant la face est une forme de lucidité.

Arnt van Tricht, porte-serviette : Fou enlaçant une femme. Rhin moyen, vers 1535 © Tasmanien

Un fou médiéval qui se métamorphose sans disparaitre

Cette exposition plaira aux amoureux du détail et des ambivalences, dont regorgent le Moyen Âge et la Renaissance. Comparer les visages de ces fous, scruter leurs regards perçants ou hébétés, se demander s’ils contrefont la folie pour confondre la nôtre ou si ces simples d’esprit ne sont que le reflet inversé de nos esprits tortueux. Comparer les marottes en buis ou en ivoire, leur mine chafouine ou réjouie, leur bouche renfrognée ou hilare. Croire entendre chanter ces orifices édentés sur lesquels s’épanouissent des lèvres de poisson, et tinter les grelots comme autant de petites têtes – presque – vides. Voir quels objets on peut coiffer d’un bonnet à oreilles de lièvre. Plonger dans l’univers de Jérôme Bosch ou de Pieter Brueghel, se délecter des symboles et des proverbes dont fourmillent leurs œuvres – pourquoi cet homme sort-il d’un œuf en chantant, pourquoi celui-là pisse-t-il sur la lune pendant que cet autre joue aux cartes sur le rebord d’une fenêtre en déféquant sur le monde ?

Le plaisir que l’on prendra à l’observation minutieuse de ces détails fera oublier la difficulté majeure de ce parcours mi-kaléidoscopique, mi-chronologique qui ne distingue pas toujours la démesure, l’emportement, la folie philosophique (jeu de la raison et de la déraison) et la pathologie, et qui affirme vouloir aborder les représentations artistiques du fou en faisant l’économie de la folie et de son histoire. En effet, qui sont ces fous réunis jusqu’au 3 février dans le hall Napoléon du Louvre ? Qu’ont en commun le fameux insensé du psaume 53 qui nie l’existence de Dieu, Yvain, le Chevalier au lion fou d’amour pour la Dame de la fontaine, le bouffon Triboulet, Don Quichotte, la Monomane de Géricault et les aliénées de la Salpêtrière ? Leurs extravagances, leurs pas de côté ou leurs névroses sont-ils comparables ? Sont-ils liés ? Mais aussi : se succèdent-ils dans le temps par des franchissements historiques ? Quand on parle de folie, le piège foucaldien n’est jamais très loin : celui d’un âge d’or des marginalités heureuses (Moyen Âge et Renaissance) réduites au silence par la Raison classique puis captées au xixe siècle par le discours médical et le savoir institué de la psychiatrie moderne. Ce que l’historien Claude Quétel nomme joliment, dans son Histoire de la folie, « le goût de Michel Foucault pour le sens et non pour le vrai ». Le catalogue de l’exposition, en plus d’être un beau livre, est sur ce point précis un outil indispensable pour comprendre comment le fou médiéval se métamorphose sans disparaître, et pourquoi, de son côté, la naissance de la psychiatrie moderne a une histoire longue de deux mille ans.

Marina Abramović, White Dragon, 1989 © Piotr Ligier – B.C. Koekkoek Haus – Marina Abramović

Et le fou contemporain ?

Qu’en est-il aujourd’hui, en cette fin 2024 ? Que vaut cet asile kaléidoscopique pour notre modernité ? Ces fous dans l’art ont-ils encore quelque chose à nous dire ou doit-on finalement les laisser à leurs grelots, à leurs danses et à leurs propos insensés ? Observons – sans regarder entre nos doigts cette fois. Côté religion, les fous de Dieu sont toujours bien présents même s’ils ne ressemblent pas franchement à saint François d’Assise prêchant aux oiseaux (enluminure du xiiie siècle). Les Vierges folles (statues des xiiie et xve siècles), restées aux portes du paradis pour avoir oublié de prendre de l’huile pour leurs lampes, ont depuis peu trouvé leur carburant en se convertissant à des mouvements androphobes. Autre Eden, mêmes grimaces. En ce qui concerne l’amour, Phyllis (aquamanile et gravure des xive et xve siècles) fouette toujours Aristote, même s’il y a moins de Phyllis et presque plus d’Aristote. L’amour courtois était un amour fou ; L’Amour ouf de notre cinéma (film sorti en octobre) est peut-être un peu moins courtois. Quant au philtre magique que boivent Tristan et Yseult et qui les fait tomber amoureux l’un de l’autre, il y a visiblement des Tristan qui en font boire à des Yseult, mais l’amour n’a plus grand-chose à voir là-dedans. Sur le plan politique, les Coquinet, Triboulet, Kunz von der Rosen et autres bouffons de cour (médailles, gravures et portraits sur bois) accompagnent encore nos rois dans leurs déplacements et parfois dans de drôles d’accoutrements. Les marottes n’ont jamais été aussi nombreuses. Côté divertissements, des carnavals en tous genres se sont joyeusement multipliés tout au long de l’année : l’inversion des valeurs de la société est devenue, à son tour, une norme. Côté culture, les prétentieux d’aujourd’hui ressemblent aux prétentieux d’hier à s’y méprendre. L’Éloge de la folie d’Érasme, œuvre savoureuse et mordante écrite en quelques jours et publiée une veille de carnaval (1511), n’a pas pris une ride : « Ils empilent opinions sur opinions et font tout pour que leur discipline ait l’air la plus difficile de toutes. » Quant aux artistes, ils essayent, à l’instar du Fou de peur de Courbet (v. 1844-1848), de rendre leur folie passionnante, sans toujours y parvenir en dépit des grands moyens parfois employés à cet effet. Ce n’est pas la reine de la performance Marina Abramović (née en 1946), actuellement à l’honneur au musée des Beaux-Arts de Zurich, qui dira le contraire : l’une de ses œuvres marquantes (Rhythm 0,1974) a consisté à mettre son corps à disposition du public pendant six heures, avec comme instruction d’utiliser à sa guise les 72 objets prévus par l’artiste (parfum, miel, fleurs, clous, barre de métal, scie, arme à feu chargée d’une seule balle…). Parmi ces objets, une cuillère. Sans doute la même que celle du Fou avec une cuillère (1525-1530) de Quentin Metsys.

Ceux qui regrettent le monde d’avant peuvent être rassurés. Les temps n’ont pas vraiment changé, les fous ne se sont pas éclipsés. Sur l’un des murs du Louvre, Érasme, peint par Holbein le Jeune en 1528, est en train d’écrire. Les trois lignes qu’il a déjà tracées sur le papier blanc ont la finesse des traits de son visage. Noyé dans son grand manteau sombre, les paupières mi-closes, les lèvres serrées, il a recensé avec une ironie moderne les « délicieux égarements » de ses contemporains. À ce titre, il doit sans doute être le seul à savoir pourquoi cette exposition comporte des cartels spécialement rédigés à l’intention des enfants dans une langue bêtifiante: « Voici mon ami, le fou Aristote. C’est censé être un professeur très sage. Il est tombé amoureux de la belle Phyllis ! Regarde, ici, il lui sert de cheval ! Quand on dit fou amoureux, ce n’est pas une blague ! »

À lire

Figures du fou : du Moyen Âge aux Romantiques, ouvrage collectif,Gallimard 2024.

Histoire de la folie : de l’Antiquité à nos jours, Claude Quétel, « Texto », Taillandier, 2009.

À voir

« Figures du fou : du Moyen Âge aux Romantiques », musée du Louvre, jusqu’au 3 février 2025.

Ou pas

« Rétrospective Marina Abramović », Kunsthaus de Zurich (Suisse), jusqu’au 16 février 2025.


[1] Attribut du bouffon qui parodie un sceptre.

Les têtes molles de Dominique Labarrière

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Dominique Labarrière, contributeur régulier de Causeur, publie un fascicule d’une centaine de pages ; Les têtes molles, Honte et ruine de la France, ouvrage qui synthétise un certain nombre de problèmes épineux que connaît notre pays et qui nous propose quelques remises à plat salutaires.

Ne vous laissez pas accabler par le titre ! Dominique Labarrière aborde nos contrées désolées d’une écriture alerte et précise. C’est qu’il est question d’échapper à la mollesse et de porter le sabre dans le vif du sujet. Certes, les têtes folles qu’il promeut, jamais ne furent légion. De Gaulle et Churchill n’ont pas laissé de mode d’emploi. Rappeler ce qui, pour le premier, fut une geste ahurissante : illustre inconnu décidant seul d’organiser la résistance là où tout semblait plié, ne peut pas faire de mal en ces temps où le désastre semble si grand que les bras vous en tombent a priori.

Mais d’abord, remettre les pendules à l’heure et arrêter de laisser la compassion aux mains d’humanitaristes inconséquents. Pour cela, notre auteur en appelle à Blaise Pascal, qui, dans les Provinciales, parlant des jésuites, dit ceci : « Ils contentent le monde en permettant les actions ; et ils satisfont à l’Évangile en purifiant les intentions. » Pour les humanitaristes de gauche, qui sont des chrétiens dévoyés et qui en plus l’ignorent, alliés pour la circonstance au Medef et à son besoin de travailleurs bon marché, peu importe la saignée que les pays dont sont originaires les migrants subissent en perdant leurs forces vives. À croire que les pays en question sont considérés comme définitivement incapables de se construire ; pensée que n’auraient pas désavouée les colons d’antan. Par ailleurs, l’auteur consacre quelques pages à la situation réelle du migrant ; de son départ extrêmement risqué, de son arrivée en pays étranger, de toutes les épreuves qui l’attendent et qui peuvent déboucher sur une situation intenable dès lors qu’il n’aura pas satisfait aux critères exigés. L’auteur et moi-même devons faire nos promenades dans les mêmes quartiers où des êtres humains allongés sur le sol perdront logiquement la raison au bout d’un certain temps, parce que n’importe qui deviendrait fou dans de telles circonstances. C’est pourquoi le lien entre immigration et délinquance est tout simplement logique.

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Dominique Labarrière déplore, par ailleurs, la fin de la conscription dont on a retenu les corvées de waters mais dont on a oublié ce qu’elle favorisait et que l’on clame sur tous les toits aujourd’hui : le « vivre ensemble ». Il est vrai qu’à l’époque on parlait davantage de classes sociales que d’appartenances religieuses. Il n’empêche que la conscription fut l’occasion de rencontres qui n’auraient jamais eu lieu autrement, et que de surcroît, elle favorisait un sentiment national qui semble tellement désuet aux « citoyens du monde européistes ». Au nom d’une paix tellement garantie à l’époque qu’on comptabilise presque 200 conflits armés dans le monde aujourd’hui, la conscription fut supprimée et avec elle le budget militaire ; ce qui n’est pas sans poser problème à l’heure où le président Macron suggère d’envoyer des troupes en Ukraine… On peut ajouter qu’outre le déficit militaire, garder la conscription en la tournant vers le service de la nation aurait été l’occasion de délier le sentiment national de la guerre, ce que les pacifistes auraient dû approuver…

Le philosophe passe en revue, si j’ose dire, d’autres cas d’école, dont l’école justement, l’autorité, la justice, la laïcité, le wokisme etc., tous domaines où la liquéfaction de la pensée promet aux générations à venir les sables mouvants pour toute terre sous leurs pieds.

102 pages.

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

Price: 14,77 €

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De l’élégance avant toute chose

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Auteur d’une vingtaine d’ouvrages et de trois albums musicaux, Jérôme Attal signe un plaidoyer en faveur de l’élégance dans un petit livre qui n’en manque pas…


En cette fin d’année où la folie consumériste est à son apogée, un livre fait entendre une petite musique différente : Un furieux besoin d’élégance. Il faut dire que son auteur, Jérôme Attal, s’y connait question musique. Parolier, compositeur, et interprète, il a écrit plus de 400 chansons notamment pour Vanessa Paradis, Johnny Hallyday ou Florent Pagny et vient de signer un album au titre évocateur : Les attaches fines. Avec son air d’éternel jeune homme, ses parapluies achetés à Londres, et ses verres fumés, ce dandy des temps modernes semblait prédestiné à écrire sur le sujet.

Une denrée rare

Elégance : « Qualité esthétique de ce qui est harmonieux, gracieux dans la simplicité. L’élégance des proportions » mais aussi « choix heureux des expressions, style harmonieux. S’exprimer avec élégance » d’après la définition qu’en donne Le Robert. Autrement dit, un sujet qui nécessite autant de goût que de grâce. Tout part d’un constat auquel il est difficile de ne pas souscrire : « À l’ère du coup de klaxon et du post haineux, de l’insulte facile, de l’invective et du coup de sang, à l’époque de l’avis sur tout et de la nuance en rien, l’élégance est une denrée rare. » Jérôme Attal va donc tenter de la débusquer dans des registres divers et variés. Certains attendus, comme en matière de sentiments ou de vêtements. D’autres moins comme l’élégance sur les champs de bataille.

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Le livre est savoureux, délicieux même, qui alterne anecdotes et souvenirs personnels. On y croisera les deux Alain, Souchon et Chamfort, mais aussi Truffaut, les Beatles ou Saint Laurent, grand prêtre de l’élégance qui affirmait que « sans élégance du cœur, il n’y a pas d’élégance ». On découvrira ainsi que Georges Pompidou et Alain Delon n’en étaient pas dépourvus. Mais aussi que la mère de l’auteur portait des tailleurs avec la grâce de Jackie Kennedy tandis que son père avait une vénération pour le Concorde, symbole s’il en est de l’élégance à la française. Jérôme Attal n’en oublie pas pour autant l’essentiel : l’élégance en matière de littérature. Elle était incarnée pour lui par Bernard Rapp et sa célèbre émission L’Assiette anglaise. Grâce au journaliste animateur au physique et à l’allure so BBC, il découvre Christian Bobin, Marguerite Duras, André Markowicz et avec lui tout Dostoïevski.

Résistance

Au style harmonieux évoqué par le dictionnaire, l’auteur préfère la musique et rappelle que « un écrivain bien souvent n’en finit jamais de réécrire sa première page, voire sa première phrase, jusqu’à atteindre selon son goût une petite musique qui tient de l’élégance et de l’impact. » La sienne est délicate, cristalline, à l’opposé du brouhaha ambiant et son livre une incitation à résister aux diktats de l’époque. A privilégier la discrétion à la mise en scène du soi. Jérôme Attal ne s’en cache pas : « Dans une époque où l’affirmation règne, l’intime devient publicitaire, l’arnaque un métier, la violence un recours, la tribu une opinion, l’agression la première option pour réagir, l’élégance reste à mes yeux la manière la plus probante de créer pour soi et pour les autres un monde valable ». Un livre léger et profond, subtil et poétique, gracieux et fantaisiste à mettre entre toutes les mains.

Un furieux besoin d’élégance de Jérôme Attal, Fayard. 136 pages.

Entrechats face caméra

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Un album richement illustré retrace plus d’un siècle de complicité entre la danse et le cinéma… un délice.


À peine né, le cinématographe s’est précipité sur la danse. Dès les premières heures, il filma tout ce qui bougeait et singulièrement ce qui bougeait avec art. Des rites de tribus africaines aux délicatesses frelatées de la comtesse Cléo de Mérode prétendant effrontément représenter des danses des cours royales de Java ; de Loïe Fuller et de ses plagiaires déployant leurs ailes de soie sous les effets multicolores de la lumière électrique, elle aussi nouvellement née ; des délires inspirés de Méliès aux danses de gitans d’Andalousie ; d’Anna Pavlova métamorphosée en cygne blanc aux créatures des Folies Bergère ou des Ziegfeld Folies, tout fut sujet à être filmé.

Une union indestructible

Cette union séculaire et indestructible entre danse et cinéma allait plus tard donner le jour à des œuvres d’art, quand des chorégraphes, et Merce Cunningham fut le premier d’entre eux, s’attachèrent à créer, à penser pour la caméra ou à devenir eux-mêmes réalisateurs ; quand des cinéastes ou des vidéastes de talent se mirent au service, exclusif ou non, de la danse.

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Ainsi, en un siècle, films et vidéos se multiplièrent comme autant d’illustrations d’une production incroyablement prolifique et d’une variété inouïe, comme les témoignages pérennes d’un art essentiellement fugitif. C’est pour les célébrer que la danseuse Dominique Rebaud et Nicolas Villodre, qui fut l’un des piliers de feue la Cinémathèque de la Danse, ont entrepris de réunir cinquante « films culte » dans un très bel album richement illustré et de demander à des artistes, à des auteurs, aux disciples ou aux assistants de grands chorégraphes de consacrer quelques pages à des œuvres filmées, choisies dans un large registre représentant tous les modes de danse.

Un bel album

Mis en page avec goût par l’éditeur Michel Guillemot, Cinédanse forme un album très séduisant, original, plein de surprises et recouvrant un registre artistique fascinant. Rien n’y manque : de Martha Graham à Lucinda Childs et Sol LeWitt, d’Yvette Chauviré à Béjart, des danses gitanes à La Mort du Cygne, du Ballet triadique aux Bourrées d’Auvergne, de Cunningham à Nikolaïs, de Carolyn Carlson à Bagouet, de Valeska Gert à Pina Bausch, du Tango au Cancan, de Chantons sous la pluie aux Demoiselles de Rochefort, de Swing Time à Stormy Weather, de Parade à Decouflé, d’Isadora Duncan aux danseurs balinais.  

Un panorama vertigineux de ce qu’a pu concevoir l’inépuisable génie humain.

Cinédanse, Dominique Rebaud et Nicolas Villodre, Éditions Scala, 2024. 161 pages.

Cinédanse: 50 films culte

Price: 35,00 €

20 used & new available from 5,69 €

L’esprit de Noël made in France

Colère des agriculteurs et des viticulteurs, menaces de grève à la SNCF pour les prochaines vacances, budget en sursis, motion de censure: on est encore loin de l’esprit de Noël !


Ta mère en survêtement…

Déveine, coup du sort, fatalité, malchance, guigne, scoumoune… quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Emmanuel Macron en fait depuis plusieurs mois maintenant la triste expérience. Prenez son voyage au Maroc fin octobre. Il n’avait pourtant pas lésiné sur les moyens, se faisant accompagner d’une délégation d’environ 130 personnes, faisant fi de la Cour des comptes qui avait recommandé à l’Élysée trois mois plus tôt de faire des « efforts sur la taille des délégations » des voyages d’État : encore raté. Donc, au lieu de parler des 10 milliards de contrats signés, ou des liens diplomatiques renoués entre nos deux pays, qui a volé la vedette au président de la République ? Le pauvre survêtement de Yassine Belattar ! Emmanuel Macron éclipsé par un vulgaire pantalon, avouez qu’il y a de quoi râler… Mais pourquoi donc avoir invité cet homme régulièrement placé sous le feu des critiques ? Nommé en 2018 au Conseil présidentiel des villes, il avait démissionné avec fracas un an plus tard, ulcéré par les propos de Jean-Michel Blanquer contre le voile islamique. Notre prétendu humoriste avait d’ailleurs mis en garde l’alors ministre de l’Éducation nationale : « Si j’étais lui, j’éviterais de mettre les pieds dans le 93. » Sympa. Depuis, il a été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour menaces de mort dans une autre affaire. Cela n’a visiblement pas découragé Emmanuel Macron. On murmure même qu’il ne serait pas étranger à la décision du chef de l’État de ne pas participer à la marche contre l’antisémitisme en novembre 2023. À l’Élysée, ils étaient d’ailleurs un peu gênés : « Sa présence ne vaut en aucun cas adhésion à ses idées. » Tiens donc ! Yassine Belattar a depuis mis en vente son pantalon litigieux sur les réseaux sociaux : « Vends pantalon en velours bleu ciel, porté une fois pour cause de polémiques racistes de trois jours en France. » Vous avez dit pantalonnade ?

Destitution, suite et fin ?

La procédure de destitution du président de la République déposée par La France insoumise a finalement été rejetée par l’Assemblée nationale le 8 octobre dernier. On allait enfin pouvoir passer aux choses sérieuses… C’est mal connaître l’obstination de certains de nos parlementaires : le groupe LFI a annoncé le 29 octobre qu’il entendait déposer une nouvelle proposition de destitution d’Emmanuel Macron, malgré l’échec de sa première tentative. « On ne va pas lâcher », annonce Clémence Guetté, députée du parti d’extrême gauche, qui réclame de pouvoir mettre la proposition de destitution à l’ordre du jour de leur niche parlementaire du 28 novembre. Quelle bonne idée : allez, cou-couche panier !

Échange « humoriste » contre visionnaire

Sitôt élu, Donald Trump a annoncé qu’il allait nommer Elon Musk à la tête d’un nouveau ministère de l’Efficacité gouvernementale. Musk à la Maison-Blanche, Belattar à l’Élysée : on a les conseillers qu’on peut…

À lire aussi, Emmanuelle Ménard: Promis je vous parlerai de tout sauf du budget !

Terrorisme

À Béziers, La France insoumise (décidément) a organisé le 14 novembre une manifestation pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah, condamné à la prison à perpétuité pour complicité dans l’assassinat, en 1982, de deux diplomates à Paris, l’un américain et l’autre israélien. Terroriste n’ayant en aucun cas manifesté le moindre remords pour ses actes, il n’a jamais été libéré, en dépit de 11 demandes en ce sens depuis 2001. Toutes ont été rejetées. Le préfet de l’Hérault a courageusement demandé l’interdiction de la manifestation organisée devant l’hôtel de ville. Interdiction retoquée par le tribunal administratif. La poignée de militants LFI a donc pu manifester. Dans la foulée, le tribunal d’application des peines a ordonné le lendemain la libération du militant libanais propalestinien. Le Parquet national antiterroriste a fait appel de la décision. Délibéré attendu en début d’année prochaine.

Terrorisme (suite)

Puisque les terroristes et leurs défenseurs n’ont peur de rien, un député de La France insoumise – eh oui, encore eux ! – vient de déposer une proposition de loi visant à abroger le délit d’apologie du terrorisme. L’auteur de cette proposition de loi, Ugo Bernalicis, député du Nord, justifie son texte par la constatation d’une « recrudescence de personnes mises en cause par la justice pour des faits d’apologie du terrorisme. Le nombre de procédures ouvertes pour ce délit en France explose depuis le 7 octobre 2023. » Il illustre son propos avec l’exemple d’un militant CGT, poursuivi (et condamné) pour un tract de soutien aux Palestiniens, trois jours après l’attaque du Hamas contre Israël. « Les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [7 octobre], elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées », pouvait-on notamment y lire. Ça semble très clair en effet. Et ce qu’oublie étrangement de préciser le député « justicier », c’est que, selon une note du renseignement territorial, « les agressions antisémites, les insultes et les menaces ont été multipliées par dix depuis les raids meurtriers du 7 octobre 2023 en Israël ». Ceci expliquerait-il cela ?

Squatteurs

Pendant ce temps, la vie suit son cours à Béziers. Des halles du xixe siècle magnifiquement restaurées en neuf mois – un véritable exploit ! – et qui ne désemplissent pas depuis leur inauguration ; des illuminations de Noël qui font briller les yeux de nos chères têtes blondes chaque soir ; un marché de Noël qui nous replonge dans la magie de l’âge tendre… Mais le quotidien à Béziers, c’est aussi la lutte contre les incivilités, contre les squatteurs, contre les dealers : un puits sans fond ! Les victoires sont longues à obtenir et cette lenteur suscite l’incompréhension des riverains. C’est souvent frustrant. J’ai appelé un conseiller du ministre Nicolas Daragon, en charge de la Sécurité du quotidien, pour discuter avec lui de la possibilité de donner davantage de prérogatives à la police municipale. Certaines de ces mesures pourraient être prises par décret. Rapidement. Il paraît que ça bloque côté justice… Pendant ce temps-là, on attend le 49.3 du Gouvernement sur le budget et l’inévitable motion de censure qui l’accompagnera. Dormez tranquilles, braves gens !

Causons ! Le podcast hebdomadaire de Causeur

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Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


La Haute Autorité de la santé a donné son avis sur les transitions de genre pour les mineurs. Selon elle, les jeunes entre 16 et 18 ans devraient avoir accès à des traitements chimiques et chirurgicaux sans aucune évaluation psychologique préalable; ces traitements devraient être gratuits; et les parents qui s’opposeraient aux transitions devraient être criminalisés. Cette institution est censée être indépendante, et certes elle l’est par rapport au gouvernement, mais elle est sous la coupe des militants de l’idéologie du genre. Elle est supposée être scientifique, mais ses vues sont totalement biaisées.

Outre-Atlantique, Luigi Mangione, l’assassin du PDG de United Health Care, commence à faire l’objet d’un certain culte parmi les internautes. Sur le plan sexuel, son image de jeune beau et musclé suscite des fantasmes érotiques chez les un(e)s; chez les autres, son passage à l’acte en abattant froidement le dirigeant d’une compagnie d’assurances santé fait de lui un héros folklorique, une sorte de Robin des Bois dans une Amérique où la couverture maladie n’est pas universelle. Même Nathalie Arthaud a suggéré que M. Mangione est un « justicier individuel ». Mais ce culte est des plus malsains et relèvent de la tendance actuelle chez un grand nombre de gens de gauche – comme les groupuscules antifas et anti-Israël – à glorifier la violence au nom de la justice dite « sociale ».

Avoir raison avec Finkielkraut

La collection « Bouquins » publie un épais volume de textes et d’entretiens d’Alain Finkielkraut. Ils démontrent la sûreté et la précocité de son jugement politique, ainsi que sa capacité à se frotter à ses contradicteurs. Ce défenseur de l’identité et de la nation se double d’un grand styliste, et d’un ami véritable.


La collection Bouquins a eu l’excellente idée de réunir, dans un volume de plus de 1000 pages, une série de livres et d’articles d’Alain Finkielkraut dont la publication s’échelonne de 1996 à 2023 : de L’Humanité perdue, un cours donné jadis à l’École polytechnique, jusqu’à des articles signés l’an dernier qui traitent du 7-Octobre ou de la dévaluation de la parole d’Emmanuel Macron. Entre les réflexions à large spectre sur l’idée d’humanité et les remarques à chaud sur l’événement du jour, la continuité est frappante : les références littéraires et philosophiques sont identiques, et la même intensité anime les propos de l’auteur, cet homme « qui ne sait pas ne pas réagir » (Kundera).

À l’exception de deux textes, Nous autres modernes et L’Humanité perdue, qui ouvrent le parcours, tous les livres suivants sont des livres d’entretiens. Ils donnent à voir Finkielkraut dans une variété de registres qui mêlent l’amitié la plus touchante, la résistance pied à pied ou le conflit irrémédiable. C’est que trois de ces dialogues ont un enjeu humain : Benny Lévy, Élisabeth de Fontenay ou Alain Badiou attendent, voire exigent quelque chose de lui. Benny Lévy voudrait qu’il abandonne le divertissement philosophico-politique pour les choses sérieuses, c’est-à-dire l’étude de la Torah. Leur discussion a un contexte. À l’époque, Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut se démènent pour pérenniser un Institut d’études lévinassiennes, nouvellement créé à Jérusalem, où Benny Lévy enseigne. On ne peut pas dire que l’ex-maoïste déborde de gratitude envers ses soutiens. On ne peut pas dire non plus que son charisme a survécu à sa personne : ce Benny Lévy qui a électrisé des générations de militants puis d’étudiants conjugue au cours de ces échanges le simplisme théorique et la brutalité humaine. Finkielkraut s’inquiète-t-il pour la nation française, dont la laïcité est contestée, l’école menacée, le déclin perceptible ? Eh bien qu’il délaisse la France – si jamais elle se relève et se refait une identité, ce sera de toute manière contre les juifs, tranche Benny Lévy – qu’il délaisse donc la France et fasse son Alyah.

Incartades

Élisabeth de Fontenay, à qui Alain Finkielkraut voue une amitié profonde, attend de lui qu’il réprouve clairement ce qui, dans ses écrits et ses déclarations, l’apparente à la droite, voire à l’extrême droite : avant toute chose, qu’il cesse de soutenir Renaud Camus, ce mouton noir dont elle refuse de lire ne fût-ce qu’une page, estimant qu’elle en sait assez d’après les citations parues dans la presse. Pour elle, la gauche est tout autre chose qu’une position politique : c’est une identité que les incartades de son jeune ami compromettent, et dont elle veille à préserver l’intégrité. Pourtant, si offusquée soit-elle par ses prises de position publiques, elle ne parvient pas à rompre, pour une raison qu’elle reconnaît, avec un brin de contrition, comme une faiblesse : « Tu me fais rire avec tes mots d’esprit toujours dévastateurs, parfois scabreux, jamais vulgaires. » Guindée dans sa défense de la gauche éternelle, elle ose reprendre à son compte l’absurde adage : « J’aime mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Raymond Aron. » La tendresse qui les lie l’un à l’autre transparaît dans la réponse de Finkielkraut, d’une ingénieuse indulgence : « J’aime mieux me chamailler avec toi que d’avoir raison avec Valeurs actuelles. »

Alain Finkielkraut et Élisabeth de Fontenay. Photo: Hannah Assouline

Tout autre est la tonalité de l’entretien avec Alain Badiou, assisté d’Aude Lancelin. La notion d’identité nationale est au centre d’un débat sans merci, Badiou et Lancelin cherchant à lui faire abjurer ce terme que Nicolas Sarkozy a mis en avant, quelques années plus tôt, en créant un éphémère ministère de l’Identité nationale. En communiste conséquent, Badiou se réclame de l’internationalisme prolétarien : si les expériences socialistes sont devenues tyranniques, c’est « en partie parce qu’elles ont assumé de part en part l’héritage du cadre national ». Quant à la notion d’identité, il la rejette. Dans son esprit, elle conduit fatalement à la désignation d’un bouc émissaire, et celui-ci ne peut être que le musulman, l’immigré du Maghreb ou d’Afrique. Des horreurs sont à prévoir contre ces malheureux « et vous serez co-responsable de cela », lance Badiou, fidèlement secondé par Aude Lancelin : « Des suspects sont désignés, vous savez bien lesquels. » Face à eux, Finkielkraut tient bon, tant sur la notion de nation que sur celle d’identité.

C’est qu’après avoir opposé, dans La Défaite de la pensée, l’universalisme français au romantisme allemand, il évolue. Il renoue avec l’idée de nation en tirant des leçons de l’histoire et de ses lectures. Kundera attire d’abord son attention sur la situation des petites nations, incertaines de leur survie : ainsi des États qui font alors partie d’Un Occident kidnappé, ainsi de la Pologne plusieurs fois dépecée par ses puissants voisins. Attentif au sort des nations fragiles, Finkielkraut prend parti sans délai pour la Croatie victime des exactions de la Serbie, lors des guerres de Yougoslavie. Il dénonce les atermoiements mitterrandiens et repère le facteur de notre incapacité d’agir devant cette guerre, la première sur le sol européen depuis l945 – ce facteur, c’est le mépris pour les « tribus balkaniques », incapables de s’entendre, incapables de s’élever à la hauteur du multiculturalisme européen.

Enracinement

Enfin, Simone Weil lui révèle la possibilité d’un autre lien à la nation. C’est à la lecture de L’Enracinement, ces notes qu’elle écrit à Londres pendant la guerre, qu’il découvre et fait sien un patriotisme de compassion : non pas l’amour de la France pour sa gloire et ses conquêtes, mais l’attachement à la patrie défaite, occupée, au bord de la disparition. C’est le dernier temps de sa réévaluation, et le retournement complet de la position initiale. La France n’est plus louée comme la patrie de l’universel : c’est pour sa particularité menacée qu’il tient à elle. Quand il découvre l’article de Kundera, en 1983, l’opposition est entre les grandes nations sûres d’elles-mêmes et fortes de leur histoire, comme l’Angleterre ou la France, et les petites nations tombées après-guerre dans l’orbite de la Russie, brutalement arrachées à la civilisation occidentale, c’est-à-dire à leur histoire et à leur sentiment d’elles-mêmes. Or dès la fin du xxe siècle, pressentant ce qu’on n’appelle pas encore l’archipellisation du pays, il sait que la France est elle aussi fragilisée, et qu’elle l’est de l’intérieur.

C’est en 1989, lors de l’affaire du voile de Creil, quand des collégiennes commencent à arborer leur voile en classe en narguant les professeurs, qu’il perçoit le changement. Il le ressent encore, d’une autre manière, devant le saccage des paysages : quelque chose s’abîme. Tandis que Badiou campe tranquillement sur des slogans du xixe siècle – « les prolétaires n’ont pas de patrie » – Finkielkraut part de lui-même, d’un sentiment de dépossession qu’il n’a pas toujours éprouvé, car, pendant longtemps, la France allait de soi. À la différence de ses interlocuteurs, il comprend que les dernières vagues migratoires posent des problèmes nouveaux, et que les territoires perdus de la République se changent en territoires ennemis de la nation. C’est pourquoi il ne ressent pas de conflit d’appartenance : « le sentiment anti-français accompagne le déchaînement antisémite », écrit-il. Aussi n’a-t-il aucune raison de céder quand Benny Lévy le somme de choisir. Ses deux identités sont attaquées, presque en même temps, et par les mêmes : des musulmans, djihadistes ou non, qui se « désavouent de la France ».

Sur le danger de l’islamisme, Alain Badiou fait preuve d’un aveuglement stupéfiant.
A. B. : « Vous pensez sincèrement que l’islamisme radical est une menace mondiale ?
A. F. : Oui je le pense.
A. B. : Qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie ! »

L’échange a lieu en 2010, quatre ans avant l’instauration du califat par Daech, cinq avant le massacre de Charlie Hebdo. Badiou, manifestement, n’a pas de boule de cristal. En disposerait-il qu’il répugnerait à y lire ce qui contrarie ses plans car, il ne s’en cache pas, il compte sur la jeunesse des banlieues pour faire la révolution.

De la même façon, Aude Lancelin se montre aveugle à la renaissance de l’antisémitisme. Elle accuse Finkielkraut d’avoir « formulé en 2005 une idée pour le moins discutable. Le camp progressiste serait selon vous clairement devenu le nouveau support de l’antisémitisme. » En réalité, c’est plus tôt, en 2001, que le philosophe repère ce qui se joue dans la condamnation du sionisme, telle qu’elle est actée à Durban, lors d’une conférence organisée sous l’égide de l’ONU. Ce jour-là, l’antisémitisme reparaît, mais sous une forme qu’on n’attendait pas : comme un antiracisme. Finkielkraut le leur dit avec une force impressionnante : « Les sionistes sont, en tant qu’ils accomplissent un dessein national, les mauvais élèves d’Auschwitz, voire les perpétuateurs de la politique hitlérienne. » Il le redit plus tard : « On ne colle plus l’étoile jaune mais la croix gammée sur la poitrine des juifs. » Ses interlocuteurs ne sont pas impressionnés. À l’idée que les progressistes ont intégré l’antisémitisme antiraciste, Aude Lancelin hausse les épaules : « Avouez que ça fait tout de même peu de monde en France. […] C’est un tout petit camp, franchement. »

Et Badiou de renchérir : « Oui, vous n’avez pas vraiment de raison de vous inquiéter. »

L’histoire a prouvé que si.

Angoisses

Le volume compte aussi deux entretiens désintéressés : la conversation avec Antoine Robitaille, son jeune admirateur québécois, et le dialogue avec le philosophe allemand Peter Sloterdijk. Robitaille n’est avide que d’une chose : comprendre la pensée de son mentor. Il lui donne ainsi le loisir de s’exprimer, par exemple sur Mai 68. Finkielkraut revient sur ce moment, non pour dénoncer le lyrisme révolutionnaire, comme à l’accoutumée, mais pour en restituer la volubilité et la détente : « L’affairement cédait la place à la disponibilité, et le stress au laisser-être. » Et de citer Chateaubriand, sur les premiers mois de la Révolution : « Le genre humain en vacances se promène dans la rue, débarrassé de ses pédagogues. »

Sloterdijk, qui se définit lui-même comme un « voyageur léger », fait ressortir, par contraste, la gravité de Finkielkraut. Sloterdijk se lance dans des hypothèses risquées, voire renversantes. Il présente les États-Unis comme le nouveau peuple élu : « C’est ça le drame métaphysique de la modernité : le dépassement des juifs par les protestants. Le protestantisme politique, c’est la volonté d’accaparer le privilège religieux des juifs. » Face à lui, Finkielkraut persiste dans une tonalité moins exubérante et plus angoissée. Il est vrai que l’événement l’a changé : « Jamais je n’aurais cru que viendrait une époque où je dirais spontanément, sans l’ombre d’une hésitation ou d’une réticence : “Nous les juifs”. »

Rétrospectivement, on est frappé par la sûreté et la précocité de son jugement politique. Si ces qualités ont pu passer inaperçues, cela tient peut-être, paradoxalement, à la beauté de sa prose, à son caractère recherché et sonore. Les assonances sont fréquentes – « le défoulement prévaut sur le dévouement ». Les antithèses abondent, soutenues par la rime : « Historique ne signifie plus respectable mais révocable. » Finkielkraut déteste le binarisme, mais il a le goût des oppositions. Elles sont parlantes. Ainsi met-il en balance la table ouverte et la table rase : la table ouverte par une gauche – la sienne et celle de Condorcet –, qui invite le peuple au banquet de la culture, la table rase des pédagogues modernes qui préfèrent détruire l’héritage par fureur égalitariste. Très souvent, il condense : « Internet, c’est mai 68 à perpétuité. » D’un adage, il résume le refus du sentiment national : « Qui dit nous dit eux. » C’est le pavé des bonnes intentions, et le motif intime de tous ceux qui aspirent à ce que Pierre Manent appelle « une humanité sans couture » : en finir avec les divisions de nations, de races, de sexes, cet aberrant programme fait pour bercer la jeunesse et désarmer l’intelligence. Si Alain Finkielkraut s’est souvent trouvé coincé dans le rôle de Cassandre, c’est aussi que l’esprit démocratique répugne à reconnaître les supériorités : celui qui parle clair nous casse les oreilles, celui qui écrit puissamment accapare notre attention.

À le relire, on l’admire.

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Transidentité: les recommandations délirantes de la HAS

Permettre aux jeunes de 16 à 18 ans de changer de sexe gratuitement. Le tout pris en charge par la Sécurité sociale ? Les transactivistes en rêvent, la Haute Autorité de Santé en France veut le faire.


La Haute Autorité de Santé (HAS) veut même créer un véritable service public de la transition de genre[1]. Ainsi, selon ses recommandations, la prise en charge complète de la transition de genre devrait inclure le remboursement intégral des chirurgies et des traitements bien sûr, mais d’autres points tout autant inquiétants. En effet, pour accéder à ces protocoles, il n’y aurait pas évaluation psychologique, alors même que les effets de certains traitements sont irréversibles et que l’on parle ici de les délivrer à des mineurs. Pire même, la HAS propose de traiter en criminels des parents qui refuseraient cette transition pour leur enfant, en réclamant qu’ils soient déchus de leur autorité parentale.

Ainsi, ce même État qui retire de l’accès libre des médicaments comme l’Actifed, parce qu’il pense que les citoyens sont trop stupides pour l’utiliser correctement, parait accepter que l’on prenne à 16 ans des décisions qui affectent une vie entière et se traduisent par des traitements lourds à vie. Or l’État ne pouvait ignorer les biais militants de la HAS, un premier rapport sur ce thème ayant permis de mesurer l’ampleur du noyautage de cette institution par les militants les plus radicalisés sur le sujet. Recommandation après recommandation, la Haute Autorité de Santé semble être devenue le chef d’orchestre de la mise en œuvre des revendications des associations trans, alors même que les pays les plus en pointe sur ces questions en reviennent, que les scandales se multiplient et que des études montrent que la transition de genre comme outil empêchant le suicide ne fonctionne guère.

Le refus d’accepter que la transition soit liée à des problèmes de santé mentale

Il faut dire que la transition de genre est un modèle de contradiction dans les termes. Non seulement elle pose en soi une question d’équilibre psychologique mais elle est liée à des problèmes de santé mentale. Mais, pour faire plaisir aux activistes, il a fallu dépathologiser la demande, tout en médicalisant à outrance la réponse. Sauf que les études ont montré que les personnes souffrant ou croyant souffrir de dysphorie de genre cumulent souvent problèmes psychologiques ou psychiatriques et difficultés vis-à-vis de leur pratique sexuelle : la demande de transition est souvent associée à un refus de l’homosexualité (je ne suis pas homosexuel, je suis juste né dans le mauvais corps). De la même façon la question du rapport au réel n’est jamais posée. Or on n’est pas « assigné à un genre à la naissance », on a juste un sexe biologique. Mais comment poser la question du rapport au réel à une personne en situation de dysphorie de genre quand des médecins et des scientifiques, qui savent qu’il n’y a que deux sexes et que l’on ne peut en changer répandent, valident et cautionnent des discours idéologiques et se comportent non en scientifiques mais en militants ?

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Enquête sur le lobby trans: l’argent n’a pas de sexe

Autre point gênant, le fait de refuser de voir que la demande de changement de sexe est effectivement une pathologie. Là encore c’est l’activisme trans et non la réalisation d’études qui ont poussé à dépathologiser cette question. Ainsi, « l’incongruence de genre » est sortie de la catégorie des troubles mentaux. Pourquoi une telle mobilisation ? Parce que la transidentité est basée sur une représentation de la toute-puissance de la volonté humaine et par ricochet sur la négation de sa dimension biologique. S’opposer à l’exercice de cette volonté individuelle est donc un abus de pouvoir, une forme d’agression et de violence. Or changer de sexe entraîne des effets lourds sur la santé des personnes, prendre des bloqueurs de puberté n’est pas sans risque, les hormones de substitution entraînent des effets secondaires importants. Si on ne montre jamais des reconstitution de sexe d’homme par exemple, c’est parce que le résultat est assez effrayant et que la vie sexuelle qui en résulte peu satisfaisante.

La transidentité vue comme une baguette magique

Mais il faut nier tout cela, nier aussi les suicides chez les personnes opérées comme l’existence de détransitionneurs, lesquels subissent d’ailleurs les foudres des associations trans qui les accusent de trahir la cause et d’empêcher que les obsessions des activistes deviennent les standards scientifiques. Or ces standards, centrés sur l’autodétermination, nient toutes limites extérieures aux désirs humains et érigent la volonté, l’exaltation comme le caprice en acte de souveraineté individuelle. Contrarier cette affirmation de soi équivaudrait à un acte de violence sociale et politique. Derrière se déploie un chantage au suicide, qui pèse particulièrement sur les familles : vouloir prendre le temps de la réflexion avant de mutiler un mineur ou de le placer sous traitement lourd est vu comme une forme de déni ou de malveillance qui met en danger la vie des personnes trans.

Une composition du groupe de travail orientée

À ce titre, la composition du groupe de travail de la HAS interpelle tant elle apparait orientée et peu équilibrée. La question de la présidence est en effet révélatrice. Les deux co-présidents sont non seulement des militants mais des personnes intéressées par le développement du secteur à titre professionnel comme personnel. Le premier, Clément Moreau, est un psychologue transgenre, directement concerné par le sujet et dont l’association accompagne les parcours de transition, tandis que le second est un chirurgien, Nicolas Morel-Journel, spécialisé dans les opérations de changement de sexe. Il est présenté dans la presse comme le médecin qui a fait de Lyon la capitale française du changement de sexe. Les deux hommes sont des militants de la transidentité, non des membres d’un groupe de travail essayant d’évaluer objectivement les besoins et les risques que l’on fait prendre aux personnes concernées.

A lire aussi: «Transmania»: le plus gros «casse conceptuel» du siècle?

Mais ce qui est inquiétant est le repli sur soi et la montée en agressivité de ces lobbys trans et l’emprise qu’ils ont sur les autorités publiques. Le problème est que la France va à rebours des États pionniers sur ces sujets. En effet, outre que l’Académie nationale de médecine a tiré la sonnette d’alarme sur les recommandations jugées fantaisistes ou bien peu fiables des lobbys trans, nombre d’institutions médicales en Suède comme en Angleterre reculent sur la question d’une utilisation précoce des bloqueurs de puberté. Ces autorités scientifiques mettent en garde contre un effet de mode qui expliquerait l’explosion des demandes comme sur le refus de prendre en compte les phénomènes de détransition ou de suicides suite à des chirurgies effectuées. Le risque de surestimation des diagnostics est ainsi pointé du doigt comme la violence de l’emprise des associations trans sur des individus souvent fragiles et en difficulté psychologiquement.

Les politiques qui tirent la sonnette d’alarme

En mai 2024, suite à un travail d’audition mené sur le thème de la transidentité par la sénatrice du Val d’Oise Jacqueline Eustache-Brinio, une loi a été adoptée par le Sénat afin d’encadrer les transitions de genre avant 18 ans et d’interdire les traitements hormonaux. Or cette question de la protection des mineurs a engendré des scènes d’hystérie à gauche. La prudence visant à empêcher que des mineurs ne prennent sans discernement des traitements qui engagent la vie entière, est devenue un refus d’accepter les trans. Or cela n’a rien à voir. Pire même, la vérité est vue comme une agression sociale. Or, on ne peut changer de sexe. Ceux qui prennent des hormones et subissent des chirurgies très agressives se battront toute leur vie contre un corps programmé pour produire des hormones en fonction de leur sexe biologique. On peut prendre l’apparence de l’autre sexe, c’est vrai, mais on ne peut pas véritablement changer de sexe biologique.

Les recommandations de la HAS en la matière ne sont pas encore définitives, elles ne sont même pas encore officielles. La fuite était-elle intentionnelle ? Est-ce un moyen de tester la réaction de la société et de la classe politique ? D’ores et déjà, ceux qui suivent ces questions ont réagi. Madame Eustache-Brinio a regretté dans un communiqué que l’on mette « entre les mains d’associations, pour la plupart transactivistes, des jeunes en questionnement et en détresse ». Elle espère que la HAS refusera de valider ces recommandations pour le moins orientées. Quant à David Lisnard, il a plus sobrement expliqué qu’il était temps d’arrêter avec ces autorités indépendantes dont la légitimité pose réellement question…

La balle est en l’air et de la décision que prendra la HAS, nous saurons si cette Autorité a encore quelque rapport avec la démarche scientifique ou si elle est tombée dans l’escarcelle militante, ce qui lui retire tout intérêt et toute crédibilité.


[1] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/la-haute-autorite-de-sante-veut-un-acces-gratuit-a-la-transition-de-genre-pour-tous-a-partir-de-16-ans-20241212

« Pour les Grecs, homosexualité et virilité allaient de pair »

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Comment s’aimaient les Grecs de l’Antiquité ? Si l’homosexualité et la pédérastie faisaient partie des mœurs, elles étaient strictement codifiées et bien éloignées des pratiques actuelles. Nicolas Cartelet, écrivain et éditeur, spécialiste de l’Antiquité, analyse dans son livre Sous la jupe d’Achille la complexité de l’homosexualité grecque, et bouscule au passage les idées reçues…


Pierre des Esseintes. Comment distinguer, chez les Grecs anciens, pédérastie et pédophilie ?

Nicolas Cartelet. La confusion entre pédérastie et pédophilie est d’abord étymologique, puisque le terme « pédérastie », étymologiquement, désigne l’amour des enfants mâles. Mais les Grecs appelaient « enfant » n’importe quelle personne âgée de 0 à 20 ans. La pédérastie grecque avait pour but de former de jeunes hommes (les éromènes) à la citoyenneté en les mettant au contact d’hommes accomplis (les érastes) : l’échange était intellectuel, politique, militaire, mais aussi amoureux et sexuel. Une infinité de règles connues de tous bornaient ces échanges, jusqu’à l’âge et l’attitude convenables pour chacun. Ainsi, il semble peu probable que les érastes aient eu des relations sexuelles avec de très jeunes garçons, car le canon de beauté promu par les Grecs, c’est-à-dire l’âge auquel un jeune homme était considéré sexuellement attirant, désigne l’éromène au corps déjà formé, musclé, bronzé et viril, sans doute âgé de 16 à 20 ans.

Aujourd’hui, on a tendance à penser que l’hétérosexualité constitue une « norme » culturelle. Ce n’était pas du tout le cas chez les Grecs. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Les Grecs considéraient l’homosexualité comme un trait naturel de leur culture. Nulle part, dans un aucun texte, l’amour entre hommes n’est désignée comme contre-nature. On peut avancer que chez certains aristocrates, le goût des hommes et la séduction de beaux éphèbes comptaient parmi les plus grands plaisirs de la vie. Néanmoins, la société grecque avait tout d’une société traditionnelle, centrée sur la filiation et la production d’héritiers. Les Grecs considéraient que passé un certain âge (à gros traits au-delà de 30 ans), un homme devait abandonner l’homosexualité pour fonder un foyer avec une femme. Nombreux sont les témoignages se moquant de « débauchés » continuant de séduire des éromènes à un âge révolu.

Les Grecs s’intéressaient-ils à la beauté féminine ?

Les Grecs étaient sans aucun doute sensibles à la beauté féminine, mais la représentation du « beau » masculin est infiniment plus présente dans nos sources que celle du beau féminin. Chez Homère, Hélène de Troie est d’une beauté étourdissante que reconnaissent tous ses contemporains – mais sa beauté est aussi un poison car elle fait perdre la raison à Pâris, qui l’enlève et déclenche la guerre de Troie. Il y a chez les Grecs cette propension à juger la beauté féminine « vénéneuse », alors que la beauté masculine a quelque chose de divin à leurs yeux.

© D.R.

Les relations entre hommes relevaient-elles d’une recherche du plaisir pour les deux partenaires ?

La relation pédérastique est par essence inégale. L’éromène est passif et doit se contenter d’accueillir les élans de son éraste – cadeaux comme sollicitations sexuelles – sans manifester de plaisir. Son seul but doit être de s’élever moralement pour devenir un adulte accompli. Un éromène trop enthousiaste dans la relation serait regardé avec méfiance et considéré comme un débauché. L’éraste en revanche peut tirer du plaisir des relations sexuelles qu’il a avec son amant. Les sources sont bavardes sur le sujet, on exprime volontiers le plaisir que procure la pénétration anale, par exemple, et plus fréquemment encore celui tiré de la pénétration intercrurale (le sexe coulisse entre les cuisses de l’éromène). Rappelons que seul l’éraste pénètre son partenaire, l’inverse est impensable chez les Grecs.

À lire aussi, Bertrand Alliot : De la mythologie à la géographie

En Grèce, les homosexuels passifs étaient méprisés. Faut-il voir dans ce mépris les racines de l’homophobie actuelle ?

C’est surtout l’homme efféminé qui est méprisé par les Grecs, ou bien l’homosexuel qui serait passif et se laisserait pénétrer alors qu’il a passé l’âge d’être un éromène. Chez les Grecs, le masculin va de pair avec le courage et la virilité. L’homme efféminé est moqué et soupçonné de lâcheté – on le juge inapte à défendre la cité, ce qui en fait un mauvais citoyen. Il faut dire que la culture grecque est éminemment misogyne, et prête peu de qualités aux femmes (en tout cas aucune qualité utile dans le champ politique et militaire qui sont les deux piliers des cités-états grecques). Une attitude jugée féminine est de fait jugée suspecte. On peut y trouver un trait commun avec l’homophobie moderne, oui, mais nombreuses ont été les sociétés traditionnelles à opérer cette distinction entre masculin/viril, actif et féminin/doux, passif.

Dans votre livre, on apprend que le mot « lesbianisme » a été détourné…

Étymologiquement, encore une fois, le terme lesbianisme désigne le fait de pratiquer la fellation – et plus globalement, il désigne la femme lascive, séductrice. Il est intéressant de constater que le mot vient de Lesbos, cette île grecque, patrie de Sappho (qui a donné saphisme), réputée pour avoir offert une plus grande liberté aux femmes que dans beaucoup d’autres cités grecques. Comme si les femmes de Lesbos, surgissant dans l’espace public, étaient considérées comme sulfureuses, provocatrices. Il y a là l’idée, il me semble, qu’elles ne sont pas tout à fait à leur place aux yeux du monde grec.

© D.R.

Vous dressez huit portraits de couples homosexuels célèbres dans l’histoire et la mythologie. Lesquels vous semblent les plus riches d’enseignement ?

Chacun de ces couples met en lumière une facette de l’homosexualité grecque. L’histoire d’Harmodios et Aristogiton, ce couple homosexuel ayant assassiné le tyran Hipparque à Athènes et précipité l’invention de la démocratie grecque, est remarquable car elle est basée sur un mensonge historique. En effet, les historiens modernes ont démontré que la relation pédérastique entre Harmodios et Aristogiton était improbable (les deux hommes étaient trop âgés pour avoir joué le rôle d’éraste et d’éromène l’un pour l’autre). Les Grecs eux-mêmes ont réécrit l’histoire pour y insérer cette dimension homosexuelle, car à leurs yeux, la démocratie athénienne, basée sur le corps des citoyens-soldats, était indissociable de la pédérastie, dont l’essence-même était la formation des futurs citoyens.

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En regard, on peut évoquer le fameux procès de Timarque, qui nous invite à ne pas idéaliser la société grecque comme un paradis pour l’homosexualité. Timarque est empêtré dans un procès politique pour trahison d’État, et la plaidoirie pour le condamner, qui nous est parvenue, insiste davantage sur son prétendu passé de débauché que sur les faits qui lui sont reprochés. On l’accuse de s’être prostitué et d’avoir agi en mauvais éromène lorsqu’il était plus jeune, c’est-à-dire en tirant du plaisir et du profit de relations sexuelles en tant que partenaire passif, et ces soupçons suffisent à salir son image aux yeux des jurés. Cette histoire judiciaire nous rappelle tous les interdits, explicites ou non, qui pesaient sur les jeunes homosexuels et pouvaient à tout moment se retourner contre eux.

Le christianisme a-t-il eu une influence sur la manière dont l’homosexualité antique est encore perçue aujourd’hui ?

Plus largement, les religions du livre ont marqué une forte évolution dans la façon dont l’homosexualité a été perçue. Dans le monde occidental, on passe d’une Europe dominée par les cultures grecque puis romaine, qui considèrent l’homosexualité naturelle, à un monde chrétien qui s’appuie sur la Bible pour condamner l’amour entre hommes. Les Grecs n’ont jamais considéré que leurs dieux avaient édicté des lois terrestres régissant la manière dont chacun devait vivre, jusque dans son intimité sexuelle. De ce point de vue, l’avènement des religions du livre opère un grand basculement civilisationnel.

Qu’est-ce que l’étude de la sexualité antique peut nous apprendre, à nous Européens de 2024 ?

À sortir du dogmatisme et des certitudes en matière de sexualité et, surtout, à abandonner la rhétorique nature/contre-nature trop souvent avancée pour condamner l’homosexualité. Elle nous apprend aussi que pour les Grecs, homosexualité et virilité allaient de pair, contrairement à l’idée véhiculée par les clichés homophobes modernes. Il est amusant de constater que l’Antiquité grecque est souvent convoquée par les communautés masculinistes (ainsi la fascination pour Sparte et le blockbuster 300, par exemple), que la dimension homosexuelle de la culture antique mettrait sans doute très mal à l’aise.

Beau livre: l’inspiration africaine de Diane de Selliers

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Omar Ba, Récompense, extrait de Kaïdara, publié par les éditions Diane de Selliers, 2024 Acrylique, encre, huile, stylo, Typex et crayon sur kraft avec polyester, 100 × 120 cm © Omar Ba / Adagp, Paris, 2024 Photo © Annik Wetter © Éditions Diane de Selliers

Chaque année, au moment des fêtes, Diane de Selliers publie, aux prestigieuses éditions qui portent son nom, un nouveau volume mêlant texte classique éprouvé et illustrations choisies avec soin. Elle avait ainsi pu revisiter, par le passé, Stendhal ou bien L’Apocalypse de saint Jean, etc. Ses livres remettent en circulation les grands auteurs, afin qu’ils soient goûtés et appréciés par des lecteurs curieux et esthètes. Les images picturales, souvent sublimes, qui les accompagnent et les explicitent, permettent de redonner une vigueur nouvelle à ces pages retrouvées. Diane de Selliers sait rendre hommage aux œuvres du patrimoine mondial qu’elle admire et qu’elle veut faire admirer. Que demander de plus à un éditeur ?

Une tradition orale porteuse de sagesse

Diane de Selliers nous propose cette fois un conte d’inspiration africaine, dû à l’écrivain peul Amadou Hampâté Bâ, né en 1901 ou 1902 dans l’ancien Soudan français, l’actuel Mali. Il est illustré pour l’occasion par l’artiste contemporain Omar Ba, né au Sénégal en 1977. Comme l’annonce Diane de Selliers : « Cette édition rassemble le récit initiatique peul Kaïdara, écrit en vers par Amadou Hampâté Bâ en 1969, et les 40 œuvres originales créées spécialement par Omar Ba. » Nous sommes donc précisément dans un contexte peul, c’est-à-dire dans une tradition orale porteuse d’une sagesse millénaire, dont Amadou Hampâté Bâ se fait le chantre. Dans sa préface, Souleymane Bachir Diagne écrit : « Ce conte initiatique est la traduction, dans l’imaginaire peul, d’un récit primordial, qui se retrouve sous diverses formes dans toutes les cultures humaines : celui du voyage de l’homme, à travers mille et une épreuves, à la recherche de la plénitude. »

Omar Ba, Au commencement : le pacte, extrait de Kaïdara © Omar Ba / Adagp, Paris, 2024 Photo © Annik Wetter © Éditions Diane de Selliers

Une expérience intérieure

Il y a en effet dans Kaïdara une portée disons universelle, qui intéressera certains lecteurs en quête d’expériences intérieures pérennes. Le parcours biographique d’Amadou Hampâté Bâ explique cette vision généreuse de la littérature. Éduqué d’abord dans les écoles françaises, il reçoit par la suite l’enseignement d’un maître soufi, Tierno Bokar. Théodore Monod, dont il est l’ami, le fait recruter comme chercheur en ethnologie à l’Institut français d’Afrique noire. Après l’indépendance du Mali, en 1960, il entre à l’UNESCO, dont il deviendra membre du Conseil exécutif. Il fonde ensuite, à Bamako, l’Institut des sciences humaines. C’est en 1944 qu’il a livré une première ébauche de Kaïdara, qu’il reprendra par la suite et fera évoluer. Le conte manifeste déjà, à cet état embryonnaire, des caractéristiques culturelles précises, que l’auteur ne cessera de développer, fidèle à un « humanisme œcuménique associé à un islam tolérant ». En ce sens, Souleymane Bachir Diagne peut noter dans sa préface, de manière éclairante, que « Kaïdara est l’œuvre d’un patient et opiniâtre tissu de liens entre langues, entre cultures, entre religions, entre passé et présent… »

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Simplicité essentielle

Kaïdara s’adresse donc à tous. Aux enfants, aux croyants de toutes religions, aux agnostiques aussi, et pourquoi pas aux athées. Et de manière générale à tous ceux qui sont en recherche de quelque chose. Pour vous inciter à entrer dans ce livre et, peut-être, à en partager la beauté sapientiale avec vos proches, je vous citerai un passage vers la fin, où la morale du conte apparaît dans sa simplicité essentielle : « Retiens bien [c’est Kaïdara qui parle au jeune survivant de l’équipée initiatique] ce que tu viens d’apprendre et transmets-le / de bouche à oreille jusqu’à tes petits-enfants. / Fais-en un conte pour les héritiers de ton pouvoir. / Enseigne-le à ceux dont les oreilles bienheureuses / se fixent sur une tête agréable et chanceuse. »

Des illustrations significatives

J’ai beaucoup aimé le travail du peintre Omar Ba. Né en Afrique, il divise son temps entre Dakar et Genève. Cette double appartenance géographique fait de lui un artiste cosmopolite accompli. Comme Amadou Hampâté Bâ, il se présente comme « un passeur de traditions et de cultures ». Sa peinture, redevenue figurative après une période d’abstraction, tente une synthèse ambitieuse entre origines enfouies et cosmologie moderne. Il apporte beaucoup à la lecture du conte d’Amadou Hampâté Bâ, en ouvrant l’imaginaire du lecteur, qu’il amène vers des représentations fantastiques, mais accessibles à chacun. Comme l’écrit dans sa contribution Bérénice Geoffroy-Schneiter, spécialiste des arts africains, l’univers pictural d’Omar Ba « s’accorde ainsi à merveille avec la temporalité du conte de Kaïdara et la langue ciselée dans le métal divin d’Amadou Hampâté Bâ ».

Omar Ba, Arbre, extrait de Kaïdara © Omar Ba / Adagp, Paris, 2024 Photo © Annik Wetter © Éditions Diane de Selliers

La connivence créée par Diane de Selliers entre le poète et le peintre, telle celle d’un grand vin avec un mets raffiné, fonctionne de manière étonnante, comme si tous deux avaient travaillé de concert vers un même horizon. C’est le prodige de l’art, quelquefois, que ces réunions d’artistes, à l’occasion desquelles s’ouvre un riche dialogue qui n’était pas prévu. 

Kaïdara, Amadou Hampâté Bâ. Illustré par Omar Ba. Préface de Souleymane Bachir Diagne. Éd. Diane de Selliers.

À noter, chez le même éditeur, la réédition abrégée du Rāmāyaṇa de Vālmīki, illustré par les miniatures indiennes du XVIe au XIXe siècle. 

Kaïdara d'Amadou Hampâté Bâ illustré par Omar Ba

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Fous d’artifice

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Jan Matejko, Stanczyk durant un bal après la perte de Smolensk. Cracovie, 1862 © Narodowe w Warszawie

L’exposition « Figures du fou » est une remarquable réunion d’œuvres et d’objets retraçant cette physionomie de la déraison qui, profane ou religieuse, est un miroir tendu vers chacun. Leurs mines sont peut-être moins grotesques qu’au Moyen Âge, mais les fous et autres bouffons sont toujours parmi nous.


L’exposition du musée du Louvre intitulée « Figures du fou : du Moyen Âge aux Romantiques » est une très belle occasion d’aller voir des chefs-d’œuvre et de découvrir des objets insolites et amusants. Côté peinture : la célèbre Nef des fous et L’Extraction de la pierre de folie de Jérôme Bosch, Les Proverbes flamands de Pieter Brueghel, L’Enclos des fous de Francisco de Goya, La Monomane du jeu de Théodore Géricault, Fou de peur de Gustave Courbet. Côté objets : des psautiers ornés de petites créatures farfelues accrochées aux rinceaux végétaux ou nichées dans les initiales des textes, une statue de Vierge folle au sourire disgracieux, un aquamanile où la belle Phyllis chevauche Aristote, un porte-serviette aux mains baladeuses, un jeu d’échecs avec des derrières à l’air, des cartes à jouer colorées, des grelots en céramique et en métal, des médailles à l’effigie de Triboulet et Coquinet – bouffons célèbres de monarques célèbres –, des gobelets à tête de fou et des marottes en tous genres. Au total, 300 œuvres viennent illustrer les différentes facettes du fou, cette figure emblématique du Moyen Âge et de la Renaissance dont l’accoutrement, les gestes, les mimiques et les regards semblent avoir fait le lien entre le religieux et le profane, le sérieux et le dérisoire, la lucidité et l’aveuglement, dans un monde codifié jusque dans les délires de son renversement carnavalesque.

L’affiche de l’exposition donne le ton, avec ce Portrait de fou regardant entre ses doigts (1548). Vêtu d’un manteau moitié jaune, moitié rouge, avec capuche à oreilles d’âne et crête de coq, un fou plutôt sympathique nous regarde en souriant à travers les doigts de sa main gauche. Son regard rieur contraste avec la mine peu engageante qui surmonte sa marotte[1]. Il tient de sa main droite une paire d’épaisses bésicles, dont on ignore s’il les sort ou s’il les range sous sa pelisse. Les sages bésicles et la folle marotte sont faites du même bois, le pan jaune et le pan rouge du manteau forment un seul et même habit, le sourire joyeux du fou et le visage sombre de son sceptre fantasque sont le miroir l’un de l’autre. Le message est clair : à y regarder de près, les hommes sont en tous points déraisonnables ; fermer les yeux sur leurs péchés est une pure folie, mais rire de l’indulgence dont on se rend coupable en se voilant la face est une forme de lucidité.

Arnt van Tricht, porte-serviette : Fou enlaçant une femme. Rhin moyen, vers 1535 © Tasmanien

Un fou médiéval qui se métamorphose sans disparaitre

Cette exposition plaira aux amoureux du détail et des ambivalences, dont regorgent le Moyen Âge et la Renaissance. Comparer les visages de ces fous, scruter leurs regards perçants ou hébétés, se demander s’ils contrefont la folie pour confondre la nôtre ou si ces simples d’esprit ne sont que le reflet inversé de nos esprits tortueux. Comparer les marottes en buis ou en ivoire, leur mine chafouine ou réjouie, leur bouche renfrognée ou hilare. Croire entendre chanter ces orifices édentés sur lesquels s’épanouissent des lèvres de poisson, et tinter les grelots comme autant de petites têtes – presque – vides. Voir quels objets on peut coiffer d’un bonnet à oreilles de lièvre. Plonger dans l’univers de Jérôme Bosch ou de Pieter Brueghel, se délecter des symboles et des proverbes dont fourmillent leurs œuvres – pourquoi cet homme sort-il d’un œuf en chantant, pourquoi celui-là pisse-t-il sur la lune pendant que cet autre joue aux cartes sur le rebord d’une fenêtre en déféquant sur le monde ?

Le plaisir que l’on prendra à l’observation minutieuse de ces détails fera oublier la difficulté majeure de ce parcours mi-kaléidoscopique, mi-chronologique qui ne distingue pas toujours la démesure, l’emportement, la folie philosophique (jeu de la raison et de la déraison) et la pathologie, et qui affirme vouloir aborder les représentations artistiques du fou en faisant l’économie de la folie et de son histoire. En effet, qui sont ces fous réunis jusqu’au 3 février dans le hall Napoléon du Louvre ? Qu’ont en commun le fameux insensé du psaume 53 qui nie l’existence de Dieu, Yvain, le Chevalier au lion fou d’amour pour la Dame de la fontaine, le bouffon Triboulet, Don Quichotte, la Monomane de Géricault et les aliénées de la Salpêtrière ? Leurs extravagances, leurs pas de côté ou leurs névroses sont-ils comparables ? Sont-ils liés ? Mais aussi : se succèdent-ils dans le temps par des franchissements historiques ? Quand on parle de folie, le piège foucaldien n’est jamais très loin : celui d’un âge d’or des marginalités heureuses (Moyen Âge et Renaissance) réduites au silence par la Raison classique puis captées au xixe siècle par le discours médical et le savoir institué de la psychiatrie moderne. Ce que l’historien Claude Quétel nomme joliment, dans son Histoire de la folie, « le goût de Michel Foucault pour le sens et non pour le vrai ». Le catalogue de l’exposition, en plus d’être un beau livre, est sur ce point précis un outil indispensable pour comprendre comment le fou médiéval se métamorphose sans disparaître, et pourquoi, de son côté, la naissance de la psychiatrie moderne a une histoire longue de deux mille ans.

Marina Abramović, White Dragon, 1989 © Piotr Ligier – B.C. Koekkoek Haus – Marina Abramović

Et le fou contemporain ?

Qu’en est-il aujourd’hui, en cette fin 2024 ? Que vaut cet asile kaléidoscopique pour notre modernité ? Ces fous dans l’art ont-ils encore quelque chose à nous dire ou doit-on finalement les laisser à leurs grelots, à leurs danses et à leurs propos insensés ? Observons – sans regarder entre nos doigts cette fois. Côté religion, les fous de Dieu sont toujours bien présents même s’ils ne ressemblent pas franchement à saint François d’Assise prêchant aux oiseaux (enluminure du xiiie siècle). Les Vierges folles (statues des xiiie et xve siècles), restées aux portes du paradis pour avoir oublié de prendre de l’huile pour leurs lampes, ont depuis peu trouvé leur carburant en se convertissant à des mouvements androphobes. Autre Eden, mêmes grimaces. En ce qui concerne l’amour, Phyllis (aquamanile et gravure des xive et xve siècles) fouette toujours Aristote, même s’il y a moins de Phyllis et presque plus d’Aristote. L’amour courtois était un amour fou ; L’Amour ouf de notre cinéma (film sorti en octobre) est peut-être un peu moins courtois. Quant au philtre magique que boivent Tristan et Yseult et qui les fait tomber amoureux l’un de l’autre, il y a visiblement des Tristan qui en font boire à des Yseult, mais l’amour n’a plus grand-chose à voir là-dedans. Sur le plan politique, les Coquinet, Triboulet, Kunz von der Rosen et autres bouffons de cour (médailles, gravures et portraits sur bois) accompagnent encore nos rois dans leurs déplacements et parfois dans de drôles d’accoutrements. Les marottes n’ont jamais été aussi nombreuses. Côté divertissements, des carnavals en tous genres se sont joyeusement multipliés tout au long de l’année : l’inversion des valeurs de la société est devenue, à son tour, une norme. Côté culture, les prétentieux d’aujourd’hui ressemblent aux prétentieux d’hier à s’y méprendre. L’Éloge de la folie d’Érasme, œuvre savoureuse et mordante écrite en quelques jours et publiée une veille de carnaval (1511), n’a pas pris une ride : « Ils empilent opinions sur opinions et font tout pour que leur discipline ait l’air la plus difficile de toutes. » Quant aux artistes, ils essayent, à l’instar du Fou de peur de Courbet (v. 1844-1848), de rendre leur folie passionnante, sans toujours y parvenir en dépit des grands moyens parfois employés à cet effet. Ce n’est pas la reine de la performance Marina Abramović (née en 1946), actuellement à l’honneur au musée des Beaux-Arts de Zurich, qui dira le contraire : l’une de ses œuvres marquantes (Rhythm 0,1974) a consisté à mettre son corps à disposition du public pendant six heures, avec comme instruction d’utiliser à sa guise les 72 objets prévus par l’artiste (parfum, miel, fleurs, clous, barre de métal, scie, arme à feu chargée d’une seule balle…). Parmi ces objets, une cuillère. Sans doute la même que celle du Fou avec une cuillère (1525-1530) de Quentin Metsys.

Ceux qui regrettent le monde d’avant peuvent être rassurés. Les temps n’ont pas vraiment changé, les fous ne se sont pas éclipsés. Sur l’un des murs du Louvre, Érasme, peint par Holbein le Jeune en 1528, est en train d’écrire. Les trois lignes qu’il a déjà tracées sur le papier blanc ont la finesse des traits de son visage. Noyé dans son grand manteau sombre, les paupières mi-closes, les lèvres serrées, il a recensé avec une ironie moderne les « délicieux égarements » de ses contemporains. À ce titre, il doit sans doute être le seul à savoir pourquoi cette exposition comporte des cartels spécialement rédigés à l’intention des enfants dans une langue bêtifiante: « Voici mon ami, le fou Aristote. C’est censé être un professeur très sage. Il est tombé amoureux de la belle Phyllis ! Regarde, ici, il lui sert de cheval ! Quand on dit fou amoureux, ce n’est pas une blague ! »

À lire

Figures du fou : du Moyen Âge aux Romantiques, ouvrage collectif,Gallimard 2024.

Histoire de la folie : de l’Antiquité à nos jours, Claude Quétel, « Texto », Taillandier, 2009.

À voir

« Figures du fou : du Moyen Âge aux Romantiques », musée du Louvre, jusqu’au 3 février 2025.

Ou pas

« Rétrospective Marina Abramović », Kunsthaus de Zurich (Suisse), jusqu’au 16 février 2025.


[1] Attribut du bouffon qui parodie un sceptre.

Les têtes molles de Dominique Labarrière

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La Persistance de la mémoire, Salvador Dali © D. R.

Dominique Labarrière, contributeur régulier de Causeur, publie un fascicule d’une centaine de pages ; Les têtes molles, Honte et ruine de la France, ouvrage qui synthétise un certain nombre de problèmes épineux que connaît notre pays et qui nous propose quelques remises à plat salutaires.

Ne vous laissez pas accabler par le titre ! Dominique Labarrière aborde nos contrées désolées d’une écriture alerte et précise. C’est qu’il est question d’échapper à la mollesse et de porter le sabre dans le vif du sujet. Certes, les têtes folles qu’il promeut, jamais ne furent légion. De Gaulle et Churchill n’ont pas laissé de mode d’emploi. Rappeler ce qui, pour le premier, fut une geste ahurissante : illustre inconnu décidant seul d’organiser la résistance là où tout semblait plié, ne peut pas faire de mal en ces temps où le désastre semble si grand que les bras vous en tombent a priori.

Mais d’abord, remettre les pendules à l’heure et arrêter de laisser la compassion aux mains d’humanitaristes inconséquents. Pour cela, notre auteur en appelle à Blaise Pascal, qui, dans les Provinciales, parlant des jésuites, dit ceci : « Ils contentent le monde en permettant les actions ; et ils satisfont à l’Évangile en purifiant les intentions. » Pour les humanitaristes de gauche, qui sont des chrétiens dévoyés et qui en plus l’ignorent, alliés pour la circonstance au Medef et à son besoin de travailleurs bon marché, peu importe la saignée que les pays dont sont originaires les migrants subissent en perdant leurs forces vives. À croire que les pays en question sont considérés comme définitivement incapables de se construire ; pensée que n’auraient pas désavouée les colons d’antan. Par ailleurs, l’auteur consacre quelques pages à la situation réelle du migrant ; de son départ extrêmement risqué, de son arrivée en pays étranger, de toutes les épreuves qui l’attendent et qui peuvent déboucher sur une situation intenable dès lors qu’il n’aura pas satisfait aux critères exigés. L’auteur et moi-même devons faire nos promenades dans les mêmes quartiers où des êtres humains allongés sur le sol perdront logiquement la raison au bout d’un certain temps, parce que n’importe qui deviendrait fou dans de telles circonstances. C’est pourquoi le lien entre immigration et délinquance est tout simplement logique.

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Dominique Labarrière déplore, par ailleurs, la fin de la conscription dont on a retenu les corvées de waters mais dont on a oublié ce qu’elle favorisait et que l’on clame sur tous les toits aujourd’hui : le « vivre ensemble ». Il est vrai qu’à l’époque on parlait davantage de classes sociales que d’appartenances religieuses. Il n’empêche que la conscription fut l’occasion de rencontres qui n’auraient jamais eu lieu autrement, et que de surcroît, elle favorisait un sentiment national qui semble tellement désuet aux « citoyens du monde européistes ». Au nom d’une paix tellement garantie à l’époque qu’on comptabilise presque 200 conflits armés dans le monde aujourd’hui, la conscription fut supprimée et avec elle le budget militaire ; ce qui n’est pas sans poser problème à l’heure où le président Macron suggère d’envoyer des troupes en Ukraine… On peut ajouter qu’outre le déficit militaire, garder la conscription en la tournant vers le service de la nation aurait été l’occasion de délier le sentiment national de la guerre, ce que les pacifistes auraient dû approuver…

Le philosophe passe en revue, si j’ose dire, d’autres cas d’école, dont l’école justement, l’autorité, la justice, la laïcité, le wokisme etc., tous domaines où la liquéfaction de la pensée promet aux générations à venir les sables mouvants pour toute terre sous leurs pieds.

102 pages.

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

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De l’élégance avant toute chose

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Jérôme Attal © Nicolas Burlot / Fayard

Auteur d’une vingtaine d’ouvrages et de trois albums musicaux, Jérôme Attal signe un plaidoyer en faveur de l’élégance dans un petit livre qui n’en manque pas…


En cette fin d’année où la folie consumériste est à son apogée, un livre fait entendre une petite musique différente : Un furieux besoin d’élégance. Il faut dire que son auteur, Jérôme Attal, s’y connait question musique. Parolier, compositeur, et interprète, il a écrit plus de 400 chansons notamment pour Vanessa Paradis, Johnny Hallyday ou Florent Pagny et vient de signer un album au titre évocateur : Les attaches fines. Avec son air d’éternel jeune homme, ses parapluies achetés à Londres, et ses verres fumés, ce dandy des temps modernes semblait prédestiné à écrire sur le sujet.

Une denrée rare

Elégance : « Qualité esthétique de ce qui est harmonieux, gracieux dans la simplicité. L’élégance des proportions » mais aussi « choix heureux des expressions, style harmonieux. S’exprimer avec élégance » d’après la définition qu’en donne Le Robert. Autrement dit, un sujet qui nécessite autant de goût que de grâce. Tout part d’un constat auquel il est difficile de ne pas souscrire : « À l’ère du coup de klaxon et du post haineux, de l’insulte facile, de l’invective et du coup de sang, à l’époque de l’avis sur tout et de la nuance en rien, l’élégance est une denrée rare. » Jérôme Attal va donc tenter de la débusquer dans des registres divers et variés. Certains attendus, comme en matière de sentiments ou de vêtements. D’autres moins comme l’élégance sur les champs de bataille.

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Le livre est savoureux, délicieux même, qui alterne anecdotes et souvenirs personnels. On y croisera les deux Alain, Souchon et Chamfort, mais aussi Truffaut, les Beatles ou Saint Laurent, grand prêtre de l’élégance qui affirmait que « sans élégance du cœur, il n’y a pas d’élégance ». On découvrira ainsi que Georges Pompidou et Alain Delon n’en étaient pas dépourvus. Mais aussi que la mère de l’auteur portait des tailleurs avec la grâce de Jackie Kennedy tandis que son père avait une vénération pour le Concorde, symbole s’il en est de l’élégance à la française. Jérôme Attal n’en oublie pas pour autant l’essentiel : l’élégance en matière de littérature. Elle était incarnée pour lui par Bernard Rapp et sa célèbre émission L’Assiette anglaise. Grâce au journaliste animateur au physique et à l’allure so BBC, il découvre Christian Bobin, Marguerite Duras, André Markowicz et avec lui tout Dostoïevski.

Résistance

Au style harmonieux évoqué par le dictionnaire, l’auteur préfère la musique et rappelle que « un écrivain bien souvent n’en finit jamais de réécrire sa première page, voire sa première phrase, jusqu’à atteindre selon son goût une petite musique qui tient de l’élégance et de l’impact. » La sienne est délicate, cristalline, à l’opposé du brouhaha ambiant et son livre une incitation à résister aux diktats de l’époque. A privilégier la discrétion à la mise en scène du soi. Jérôme Attal ne s’en cache pas : « Dans une époque où l’affirmation règne, l’intime devient publicitaire, l’arnaque un métier, la violence un recours, la tribu une opinion, l’agression la première option pour réagir, l’élégance reste à mes yeux la manière la plus probante de créer pour soi et pour les autres un monde valable ». Un livre léger et profond, subtil et poétique, gracieux et fantaisiste à mettre entre toutes les mains.

Un furieux besoin d’élégance de Jérôme Attal, Fayard. 136 pages.

Entrechats face caméra

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Yvette Chauviré et Dominique Khalfouni dans Yvette Chauviré, une étoile pour l’exemple de Dominique Delouche (1988). Ph. © Dominique Delouche.

Un album richement illustré retrace plus d’un siècle de complicité entre la danse et le cinéma… un délice.


À peine né, le cinématographe s’est précipité sur la danse. Dès les premières heures, il filma tout ce qui bougeait et singulièrement ce qui bougeait avec art. Des rites de tribus africaines aux délicatesses frelatées de la comtesse Cléo de Mérode prétendant effrontément représenter des danses des cours royales de Java ; de Loïe Fuller et de ses plagiaires déployant leurs ailes de soie sous les effets multicolores de la lumière électrique, elle aussi nouvellement née ; des délires inspirés de Méliès aux danses de gitans d’Andalousie ; d’Anna Pavlova métamorphosée en cygne blanc aux créatures des Folies Bergère ou des Ziegfeld Folies, tout fut sujet à être filmé.

Une union indestructible

Cette union séculaire et indestructible entre danse et cinéma allait plus tard donner le jour à des œuvres d’art, quand des chorégraphes, et Merce Cunningham fut le premier d’entre eux, s’attachèrent à créer, à penser pour la caméra ou à devenir eux-mêmes réalisateurs ; quand des cinéastes ou des vidéastes de talent se mirent au service, exclusif ou non, de la danse.

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Ainsi, en un siècle, films et vidéos se multiplièrent comme autant d’illustrations d’une production incroyablement prolifique et d’une variété inouïe, comme les témoignages pérennes d’un art essentiellement fugitif. C’est pour les célébrer que la danseuse Dominique Rebaud et Nicolas Villodre, qui fut l’un des piliers de feue la Cinémathèque de la Danse, ont entrepris de réunir cinquante « films culte » dans un très bel album richement illustré et de demander à des artistes, à des auteurs, aux disciples ou aux assistants de grands chorégraphes de consacrer quelques pages à des œuvres filmées, choisies dans un large registre représentant tous les modes de danse.

Un bel album

Mis en page avec goût par l’éditeur Michel Guillemot, Cinédanse forme un album très séduisant, original, plein de surprises et recouvrant un registre artistique fascinant. Rien n’y manque : de Martha Graham à Lucinda Childs et Sol LeWitt, d’Yvette Chauviré à Béjart, des danses gitanes à La Mort du Cygne, du Ballet triadique aux Bourrées d’Auvergne, de Cunningham à Nikolaïs, de Carolyn Carlson à Bagouet, de Valeska Gert à Pina Bausch, du Tango au Cancan, de Chantons sous la pluie aux Demoiselles de Rochefort, de Swing Time à Stormy Weather, de Parade à Decouflé, d’Isadora Duncan aux danseurs balinais.  

Un panorama vertigineux de ce qu’a pu concevoir l’inépuisable génie humain.

Cinédanse, Dominique Rebaud et Nicolas Villodre, Éditions Scala, 2024. 161 pages.

Cinédanse: 50 films culte

Price: 35,00 €

20 used & new available from 5,69 €

L’esprit de Noël made in France

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Manifestation devant la mairie de Béziers pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah, après la levée de l'interdiction de manifester par le juge administratif, 14 novembre 2024 © D.R.

Colère des agriculteurs et des viticulteurs, menaces de grève à la SNCF pour les prochaines vacances, budget en sursis, motion de censure: on est encore loin de l’esprit de Noël !


Ta mère en survêtement…

Déveine, coup du sort, fatalité, malchance, guigne, scoumoune… quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Emmanuel Macron en fait depuis plusieurs mois maintenant la triste expérience. Prenez son voyage au Maroc fin octobre. Il n’avait pourtant pas lésiné sur les moyens, se faisant accompagner d’une délégation d’environ 130 personnes, faisant fi de la Cour des comptes qui avait recommandé à l’Élysée trois mois plus tôt de faire des « efforts sur la taille des délégations » des voyages d’État : encore raté. Donc, au lieu de parler des 10 milliards de contrats signés, ou des liens diplomatiques renoués entre nos deux pays, qui a volé la vedette au président de la République ? Le pauvre survêtement de Yassine Belattar ! Emmanuel Macron éclipsé par un vulgaire pantalon, avouez qu’il y a de quoi râler… Mais pourquoi donc avoir invité cet homme régulièrement placé sous le feu des critiques ? Nommé en 2018 au Conseil présidentiel des villes, il avait démissionné avec fracas un an plus tard, ulcéré par les propos de Jean-Michel Blanquer contre le voile islamique. Notre prétendu humoriste avait d’ailleurs mis en garde l’alors ministre de l’Éducation nationale : « Si j’étais lui, j’éviterais de mettre les pieds dans le 93. » Sympa. Depuis, il a été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour menaces de mort dans une autre affaire. Cela n’a visiblement pas découragé Emmanuel Macron. On murmure même qu’il ne serait pas étranger à la décision du chef de l’État de ne pas participer à la marche contre l’antisémitisme en novembre 2023. À l’Élysée, ils étaient d’ailleurs un peu gênés : « Sa présence ne vaut en aucun cas adhésion à ses idées. » Tiens donc ! Yassine Belattar a depuis mis en vente son pantalon litigieux sur les réseaux sociaux : « Vends pantalon en velours bleu ciel, porté une fois pour cause de polémiques racistes de trois jours en France. » Vous avez dit pantalonnade ?

Destitution, suite et fin ?

La procédure de destitution du président de la République déposée par La France insoumise a finalement été rejetée par l’Assemblée nationale le 8 octobre dernier. On allait enfin pouvoir passer aux choses sérieuses… C’est mal connaître l’obstination de certains de nos parlementaires : le groupe LFI a annoncé le 29 octobre qu’il entendait déposer une nouvelle proposition de destitution d’Emmanuel Macron, malgré l’échec de sa première tentative. « On ne va pas lâcher », annonce Clémence Guetté, députée du parti d’extrême gauche, qui réclame de pouvoir mettre la proposition de destitution à l’ordre du jour de leur niche parlementaire du 28 novembre. Quelle bonne idée : allez, cou-couche panier !

Échange « humoriste » contre visionnaire

Sitôt élu, Donald Trump a annoncé qu’il allait nommer Elon Musk à la tête d’un nouveau ministère de l’Efficacité gouvernementale. Musk à la Maison-Blanche, Belattar à l’Élysée : on a les conseillers qu’on peut…

À lire aussi, Emmanuelle Ménard: Promis je vous parlerai de tout sauf du budget !

Terrorisme

À Béziers, La France insoumise (décidément) a organisé le 14 novembre une manifestation pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah, condamné à la prison à perpétuité pour complicité dans l’assassinat, en 1982, de deux diplomates à Paris, l’un américain et l’autre israélien. Terroriste n’ayant en aucun cas manifesté le moindre remords pour ses actes, il n’a jamais été libéré, en dépit de 11 demandes en ce sens depuis 2001. Toutes ont été rejetées. Le préfet de l’Hérault a courageusement demandé l’interdiction de la manifestation organisée devant l’hôtel de ville. Interdiction retoquée par le tribunal administratif. La poignée de militants LFI a donc pu manifester. Dans la foulée, le tribunal d’application des peines a ordonné le lendemain la libération du militant libanais propalestinien. Le Parquet national antiterroriste a fait appel de la décision. Délibéré attendu en début d’année prochaine.

Terrorisme (suite)

Puisque les terroristes et leurs défenseurs n’ont peur de rien, un député de La France insoumise – eh oui, encore eux ! – vient de déposer une proposition de loi visant à abroger le délit d’apologie du terrorisme. L’auteur de cette proposition de loi, Ugo Bernalicis, député du Nord, justifie son texte par la constatation d’une « recrudescence de personnes mises en cause par la justice pour des faits d’apologie du terrorisme. Le nombre de procédures ouvertes pour ce délit en France explose depuis le 7 octobre 2023. » Il illustre son propos avec l’exemple d’un militant CGT, poursuivi (et condamné) pour un tract de soutien aux Palestiniens, trois jours après l’attaque du Hamas contre Israël. « Les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [7 octobre], elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées », pouvait-on notamment y lire. Ça semble très clair en effet. Et ce qu’oublie étrangement de préciser le député « justicier », c’est que, selon une note du renseignement territorial, « les agressions antisémites, les insultes et les menaces ont été multipliées par dix depuis les raids meurtriers du 7 octobre 2023 en Israël ». Ceci expliquerait-il cela ?

Squatteurs

Pendant ce temps, la vie suit son cours à Béziers. Des halles du xixe siècle magnifiquement restaurées en neuf mois – un véritable exploit ! – et qui ne désemplissent pas depuis leur inauguration ; des illuminations de Noël qui font briller les yeux de nos chères têtes blondes chaque soir ; un marché de Noël qui nous replonge dans la magie de l’âge tendre… Mais le quotidien à Béziers, c’est aussi la lutte contre les incivilités, contre les squatteurs, contre les dealers : un puits sans fond ! Les victoires sont longues à obtenir et cette lenteur suscite l’incompréhension des riverains. C’est souvent frustrant. J’ai appelé un conseiller du ministre Nicolas Daragon, en charge de la Sécurité du quotidien, pour discuter avec lui de la possibilité de donner davantage de prérogatives à la police municipale. Certaines de ces mesures pourraient être prises par décret. Rapidement. Il paraît que ça bloque côté justice… Pendant ce temps-là, on attend le 49.3 du Gouvernement sur le budget et l’inévitable motion de censure qui l’accompagnera. Dormez tranquilles, braves gens !

Causons ! Le podcast hebdomadaire de Causeur

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Le suspect Luigi Mangione arrive à la Blair County Courthouse le 10, décembre 2024, à Hollidaysburg, Pennsylvanie.

Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


La Haute Autorité de la santé a donné son avis sur les transitions de genre pour les mineurs. Selon elle, les jeunes entre 16 et 18 ans devraient avoir accès à des traitements chimiques et chirurgicaux sans aucune évaluation psychologique préalable; ces traitements devraient être gratuits; et les parents qui s’opposeraient aux transitions devraient être criminalisés. Cette institution est censée être indépendante, et certes elle l’est par rapport au gouvernement, mais elle est sous la coupe des militants de l’idéologie du genre. Elle est supposée être scientifique, mais ses vues sont totalement biaisées.

Outre-Atlantique, Luigi Mangione, l’assassin du PDG de United Health Care, commence à faire l’objet d’un certain culte parmi les internautes. Sur le plan sexuel, son image de jeune beau et musclé suscite des fantasmes érotiques chez les un(e)s; chez les autres, son passage à l’acte en abattant froidement le dirigeant d’une compagnie d’assurances santé fait de lui un héros folklorique, une sorte de Robin des Bois dans une Amérique où la couverture maladie n’est pas universelle. Même Nathalie Arthaud a suggéré que M. Mangione est un « justicier individuel ». Mais ce culte est des plus malsains et relèvent de la tendance actuelle chez un grand nombre de gens de gauche – comme les groupuscules antifas et anti-Israël – à glorifier la violence au nom de la justice dite « sociale ».

Avoir raison avec Finkielkraut

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Alain Finkielkraut © Hannah Assouline

La collection « Bouquins » publie un épais volume de textes et d’entretiens d’Alain Finkielkraut. Ils démontrent la sûreté et la précocité de son jugement politique, ainsi que sa capacité à se frotter à ses contradicteurs. Ce défenseur de l’identité et de la nation se double d’un grand styliste, et d’un ami véritable.


La collection Bouquins a eu l’excellente idée de réunir, dans un volume de plus de 1000 pages, une série de livres et d’articles d’Alain Finkielkraut dont la publication s’échelonne de 1996 à 2023 : de L’Humanité perdue, un cours donné jadis à l’École polytechnique, jusqu’à des articles signés l’an dernier qui traitent du 7-Octobre ou de la dévaluation de la parole d’Emmanuel Macron. Entre les réflexions à large spectre sur l’idée d’humanité et les remarques à chaud sur l’événement du jour, la continuité est frappante : les références littéraires et philosophiques sont identiques, et la même intensité anime les propos de l’auteur, cet homme « qui ne sait pas ne pas réagir » (Kundera).

À l’exception de deux textes, Nous autres modernes et L’Humanité perdue, qui ouvrent le parcours, tous les livres suivants sont des livres d’entretiens. Ils donnent à voir Finkielkraut dans une variété de registres qui mêlent l’amitié la plus touchante, la résistance pied à pied ou le conflit irrémédiable. C’est que trois de ces dialogues ont un enjeu humain : Benny Lévy, Élisabeth de Fontenay ou Alain Badiou attendent, voire exigent quelque chose de lui. Benny Lévy voudrait qu’il abandonne le divertissement philosophico-politique pour les choses sérieuses, c’est-à-dire l’étude de la Torah. Leur discussion a un contexte. À l’époque, Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut se démènent pour pérenniser un Institut d’études lévinassiennes, nouvellement créé à Jérusalem, où Benny Lévy enseigne. On ne peut pas dire que l’ex-maoïste déborde de gratitude envers ses soutiens. On ne peut pas dire non plus que son charisme a survécu à sa personne : ce Benny Lévy qui a électrisé des générations de militants puis d’étudiants conjugue au cours de ces échanges le simplisme théorique et la brutalité humaine. Finkielkraut s’inquiète-t-il pour la nation française, dont la laïcité est contestée, l’école menacée, le déclin perceptible ? Eh bien qu’il délaisse la France – si jamais elle se relève et se refait une identité, ce sera de toute manière contre les juifs, tranche Benny Lévy – qu’il délaisse donc la France et fasse son Alyah.

Incartades

Élisabeth de Fontenay, à qui Alain Finkielkraut voue une amitié profonde, attend de lui qu’il réprouve clairement ce qui, dans ses écrits et ses déclarations, l’apparente à la droite, voire à l’extrême droite : avant toute chose, qu’il cesse de soutenir Renaud Camus, ce mouton noir dont elle refuse de lire ne fût-ce qu’une page, estimant qu’elle en sait assez d’après les citations parues dans la presse. Pour elle, la gauche est tout autre chose qu’une position politique : c’est une identité que les incartades de son jeune ami compromettent, et dont elle veille à préserver l’intégrité. Pourtant, si offusquée soit-elle par ses prises de position publiques, elle ne parvient pas à rompre, pour une raison qu’elle reconnaît, avec un brin de contrition, comme une faiblesse : « Tu me fais rire avec tes mots d’esprit toujours dévastateurs, parfois scabreux, jamais vulgaires. » Guindée dans sa défense de la gauche éternelle, elle ose reprendre à son compte l’absurde adage : « J’aime mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Raymond Aron. » La tendresse qui les lie l’un à l’autre transparaît dans la réponse de Finkielkraut, d’une ingénieuse indulgence : « J’aime mieux me chamailler avec toi que d’avoir raison avec Valeurs actuelles. »

Alain Finkielkraut et Élisabeth de Fontenay. Photo: Hannah Assouline

Tout autre est la tonalité de l’entretien avec Alain Badiou, assisté d’Aude Lancelin. La notion d’identité nationale est au centre d’un débat sans merci, Badiou et Lancelin cherchant à lui faire abjurer ce terme que Nicolas Sarkozy a mis en avant, quelques années plus tôt, en créant un éphémère ministère de l’Identité nationale. En communiste conséquent, Badiou se réclame de l’internationalisme prolétarien : si les expériences socialistes sont devenues tyranniques, c’est « en partie parce qu’elles ont assumé de part en part l’héritage du cadre national ». Quant à la notion d’identité, il la rejette. Dans son esprit, elle conduit fatalement à la désignation d’un bouc émissaire, et celui-ci ne peut être que le musulman, l’immigré du Maghreb ou d’Afrique. Des horreurs sont à prévoir contre ces malheureux « et vous serez co-responsable de cela », lance Badiou, fidèlement secondé par Aude Lancelin : « Des suspects sont désignés, vous savez bien lesquels. » Face à eux, Finkielkraut tient bon, tant sur la notion de nation que sur celle d’identité.

C’est qu’après avoir opposé, dans La Défaite de la pensée, l’universalisme français au romantisme allemand, il évolue. Il renoue avec l’idée de nation en tirant des leçons de l’histoire et de ses lectures. Kundera attire d’abord son attention sur la situation des petites nations, incertaines de leur survie : ainsi des États qui font alors partie d’Un Occident kidnappé, ainsi de la Pologne plusieurs fois dépecée par ses puissants voisins. Attentif au sort des nations fragiles, Finkielkraut prend parti sans délai pour la Croatie victime des exactions de la Serbie, lors des guerres de Yougoslavie. Il dénonce les atermoiements mitterrandiens et repère le facteur de notre incapacité d’agir devant cette guerre, la première sur le sol européen depuis l945 – ce facteur, c’est le mépris pour les « tribus balkaniques », incapables de s’entendre, incapables de s’élever à la hauteur du multiculturalisme européen.

Enracinement

Enfin, Simone Weil lui révèle la possibilité d’un autre lien à la nation. C’est à la lecture de L’Enracinement, ces notes qu’elle écrit à Londres pendant la guerre, qu’il découvre et fait sien un patriotisme de compassion : non pas l’amour de la France pour sa gloire et ses conquêtes, mais l’attachement à la patrie défaite, occupée, au bord de la disparition. C’est le dernier temps de sa réévaluation, et le retournement complet de la position initiale. La France n’est plus louée comme la patrie de l’universel : c’est pour sa particularité menacée qu’il tient à elle. Quand il découvre l’article de Kundera, en 1983, l’opposition est entre les grandes nations sûres d’elles-mêmes et fortes de leur histoire, comme l’Angleterre ou la France, et les petites nations tombées après-guerre dans l’orbite de la Russie, brutalement arrachées à la civilisation occidentale, c’est-à-dire à leur histoire et à leur sentiment d’elles-mêmes. Or dès la fin du xxe siècle, pressentant ce qu’on n’appelle pas encore l’archipellisation du pays, il sait que la France est elle aussi fragilisée, et qu’elle l’est de l’intérieur.

C’est en 1989, lors de l’affaire du voile de Creil, quand des collégiennes commencent à arborer leur voile en classe en narguant les professeurs, qu’il perçoit le changement. Il le ressent encore, d’une autre manière, devant le saccage des paysages : quelque chose s’abîme. Tandis que Badiou campe tranquillement sur des slogans du xixe siècle – « les prolétaires n’ont pas de patrie » – Finkielkraut part de lui-même, d’un sentiment de dépossession qu’il n’a pas toujours éprouvé, car, pendant longtemps, la France allait de soi. À la différence de ses interlocuteurs, il comprend que les dernières vagues migratoires posent des problèmes nouveaux, et que les territoires perdus de la République se changent en territoires ennemis de la nation. C’est pourquoi il ne ressent pas de conflit d’appartenance : « le sentiment anti-français accompagne le déchaînement antisémite », écrit-il. Aussi n’a-t-il aucune raison de céder quand Benny Lévy le somme de choisir. Ses deux identités sont attaquées, presque en même temps, et par les mêmes : des musulmans, djihadistes ou non, qui se « désavouent de la France ».

Sur le danger de l’islamisme, Alain Badiou fait preuve d’un aveuglement stupéfiant.
A. B. : « Vous pensez sincèrement que l’islamisme radical est une menace mondiale ?
A. F. : Oui je le pense.
A. B. : Qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie ! »

L’échange a lieu en 2010, quatre ans avant l’instauration du califat par Daech, cinq avant le massacre de Charlie Hebdo. Badiou, manifestement, n’a pas de boule de cristal. En disposerait-il qu’il répugnerait à y lire ce qui contrarie ses plans car, il ne s’en cache pas, il compte sur la jeunesse des banlieues pour faire la révolution.

De la même façon, Aude Lancelin se montre aveugle à la renaissance de l’antisémitisme. Elle accuse Finkielkraut d’avoir « formulé en 2005 une idée pour le moins discutable. Le camp progressiste serait selon vous clairement devenu le nouveau support de l’antisémitisme. » En réalité, c’est plus tôt, en 2001, que le philosophe repère ce qui se joue dans la condamnation du sionisme, telle qu’elle est actée à Durban, lors d’une conférence organisée sous l’égide de l’ONU. Ce jour-là, l’antisémitisme reparaît, mais sous une forme qu’on n’attendait pas : comme un antiracisme. Finkielkraut le leur dit avec une force impressionnante : « Les sionistes sont, en tant qu’ils accomplissent un dessein national, les mauvais élèves d’Auschwitz, voire les perpétuateurs de la politique hitlérienne. » Il le redit plus tard : « On ne colle plus l’étoile jaune mais la croix gammée sur la poitrine des juifs. » Ses interlocuteurs ne sont pas impressionnés. À l’idée que les progressistes ont intégré l’antisémitisme antiraciste, Aude Lancelin hausse les épaules : « Avouez que ça fait tout de même peu de monde en France. […] C’est un tout petit camp, franchement. »

Et Badiou de renchérir : « Oui, vous n’avez pas vraiment de raison de vous inquiéter. »

L’histoire a prouvé que si.

Angoisses

Le volume compte aussi deux entretiens désintéressés : la conversation avec Antoine Robitaille, son jeune admirateur québécois, et le dialogue avec le philosophe allemand Peter Sloterdijk. Robitaille n’est avide que d’une chose : comprendre la pensée de son mentor. Il lui donne ainsi le loisir de s’exprimer, par exemple sur Mai 68. Finkielkraut revient sur ce moment, non pour dénoncer le lyrisme révolutionnaire, comme à l’accoutumée, mais pour en restituer la volubilité et la détente : « L’affairement cédait la place à la disponibilité, et le stress au laisser-être. » Et de citer Chateaubriand, sur les premiers mois de la Révolution : « Le genre humain en vacances se promène dans la rue, débarrassé de ses pédagogues. »

Sloterdijk, qui se définit lui-même comme un « voyageur léger », fait ressortir, par contraste, la gravité de Finkielkraut. Sloterdijk se lance dans des hypothèses risquées, voire renversantes. Il présente les États-Unis comme le nouveau peuple élu : « C’est ça le drame métaphysique de la modernité : le dépassement des juifs par les protestants. Le protestantisme politique, c’est la volonté d’accaparer le privilège religieux des juifs. » Face à lui, Finkielkraut persiste dans une tonalité moins exubérante et plus angoissée. Il est vrai que l’événement l’a changé : « Jamais je n’aurais cru que viendrait une époque où je dirais spontanément, sans l’ombre d’une hésitation ou d’une réticence : “Nous les juifs”. »

Rétrospectivement, on est frappé par la sûreté et la précocité de son jugement politique. Si ces qualités ont pu passer inaperçues, cela tient peut-être, paradoxalement, à la beauté de sa prose, à son caractère recherché et sonore. Les assonances sont fréquentes – « le défoulement prévaut sur le dévouement ». Les antithèses abondent, soutenues par la rime : « Historique ne signifie plus respectable mais révocable. » Finkielkraut déteste le binarisme, mais il a le goût des oppositions. Elles sont parlantes. Ainsi met-il en balance la table ouverte et la table rase : la table ouverte par une gauche – la sienne et celle de Condorcet –, qui invite le peuple au banquet de la culture, la table rase des pédagogues modernes qui préfèrent détruire l’héritage par fureur égalitariste. Très souvent, il condense : « Internet, c’est mai 68 à perpétuité. » D’un adage, il résume le refus du sentiment national : « Qui dit nous dit eux. » C’est le pavé des bonnes intentions, et le motif intime de tous ceux qui aspirent à ce que Pierre Manent appelle « une humanité sans couture » : en finir avec les divisions de nations, de races, de sexes, cet aberrant programme fait pour bercer la jeunesse et désarmer l’intelligence. Si Alain Finkielkraut s’est souvent trouvé coincé dans le rôle de Cassandre, c’est aussi que l’esprit démocratique répugne à reconnaître les supériorités : celui qui parle clair nous casse les oreilles, celui qui écrit puissamment accapare notre attention.

À le relire, on l’admire.

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Transidentité: les recommandations délirantes de la HAS

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La marche des fiertés à Paris, 11 juin 2024 © Erez Lichtfeld/SIPA

Permettre aux jeunes de 16 à 18 ans de changer de sexe gratuitement. Le tout pris en charge par la Sécurité sociale ? Les transactivistes en rêvent, la Haute Autorité de Santé en France veut le faire.


La Haute Autorité de Santé (HAS) veut même créer un véritable service public de la transition de genre[1]. Ainsi, selon ses recommandations, la prise en charge complète de la transition de genre devrait inclure le remboursement intégral des chirurgies et des traitements bien sûr, mais d’autres points tout autant inquiétants. En effet, pour accéder à ces protocoles, il n’y aurait pas évaluation psychologique, alors même que les effets de certains traitements sont irréversibles et que l’on parle ici de les délivrer à des mineurs. Pire même, la HAS propose de traiter en criminels des parents qui refuseraient cette transition pour leur enfant, en réclamant qu’ils soient déchus de leur autorité parentale.

Ainsi, ce même État qui retire de l’accès libre des médicaments comme l’Actifed, parce qu’il pense que les citoyens sont trop stupides pour l’utiliser correctement, parait accepter que l’on prenne à 16 ans des décisions qui affectent une vie entière et se traduisent par des traitements lourds à vie. Or l’État ne pouvait ignorer les biais militants de la HAS, un premier rapport sur ce thème ayant permis de mesurer l’ampleur du noyautage de cette institution par les militants les plus radicalisés sur le sujet. Recommandation après recommandation, la Haute Autorité de Santé semble être devenue le chef d’orchestre de la mise en œuvre des revendications des associations trans, alors même que les pays les plus en pointe sur ces questions en reviennent, que les scandales se multiplient et que des études montrent que la transition de genre comme outil empêchant le suicide ne fonctionne guère.

Le refus d’accepter que la transition soit liée à des problèmes de santé mentale

Il faut dire que la transition de genre est un modèle de contradiction dans les termes. Non seulement elle pose en soi une question d’équilibre psychologique mais elle est liée à des problèmes de santé mentale. Mais, pour faire plaisir aux activistes, il a fallu dépathologiser la demande, tout en médicalisant à outrance la réponse. Sauf que les études ont montré que les personnes souffrant ou croyant souffrir de dysphorie de genre cumulent souvent problèmes psychologiques ou psychiatriques et difficultés vis-à-vis de leur pratique sexuelle : la demande de transition est souvent associée à un refus de l’homosexualité (je ne suis pas homosexuel, je suis juste né dans le mauvais corps). De la même façon la question du rapport au réel n’est jamais posée. Or on n’est pas « assigné à un genre à la naissance », on a juste un sexe biologique. Mais comment poser la question du rapport au réel à une personne en situation de dysphorie de genre quand des médecins et des scientifiques, qui savent qu’il n’y a que deux sexes et que l’on ne peut en changer répandent, valident et cautionnent des discours idéologiques et se comportent non en scientifiques mais en militants ?

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Enquête sur le lobby trans: l’argent n’a pas de sexe

Autre point gênant, le fait de refuser de voir que la demande de changement de sexe est effectivement une pathologie. Là encore c’est l’activisme trans et non la réalisation d’études qui ont poussé à dépathologiser cette question. Ainsi, « l’incongruence de genre » est sortie de la catégorie des troubles mentaux. Pourquoi une telle mobilisation ? Parce que la transidentité est basée sur une représentation de la toute-puissance de la volonté humaine et par ricochet sur la négation de sa dimension biologique. S’opposer à l’exercice de cette volonté individuelle est donc un abus de pouvoir, une forme d’agression et de violence. Or changer de sexe entraîne des effets lourds sur la santé des personnes, prendre des bloqueurs de puberté n’est pas sans risque, les hormones de substitution entraînent des effets secondaires importants. Si on ne montre jamais des reconstitution de sexe d’homme par exemple, c’est parce que le résultat est assez effrayant et que la vie sexuelle qui en résulte peu satisfaisante.

La transidentité vue comme une baguette magique

Mais il faut nier tout cela, nier aussi les suicides chez les personnes opérées comme l’existence de détransitionneurs, lesquels subissent d’ailleurs les foudres des associations trans qui les accusent de trahir la cause et d’empêcher que les obsessions des activistes deviennent les standards scientifiques. Or ces standards, centrés sur l’autodétermination, nient toutes limites extérieures aux désirs humains et érigent la volonté, l’exaltation comme le caprice en acte de souveraineté individuelle. Contrarier cette affirmation de soi équivaudrait à un acte de violence sociale et politique. Derrière se déploie un chantage au suicide, qui pèse particulièrement sur les familles : vouloir prendre le temps de la réflexion avant de mutiler un mineur ou de le placer sous traitement lourd est vu comme une forme de déni ou de malveillance qui met en danger la vie des personnes trans.

Une composition du groupe de travail orientée

À ce titre, la composition du groupe de travail de la HAS interpelle tant elle apparait orientée et peu équilibrée. La question de la présidence est en effet révélatrice. Les deux co-présidents sont non seulement des militants mais des personnes intéressées par le développement du secteur à titre professionnel comme personnel. Le premier, Clément Moreau, est un psychologue transgenre, directement concerné par le sujet et dont l’association accompagne les parcours de transition, tandis que le second est un chirurgien, Nicolas Morel-Journel, spécialisé dans les opérations de changement de sexe. Il est présenté dans la presse comme le médecin qui a fait de Lyon la capitale française du changement de sexe. Les deux hommes sont des militants de la transidentité, non des membres d’un groupe de travail essayant d’évaluer objectivement les besoins et les risques que l’on fait prendre aux personnes concernées.

A lire aussi: «Transmania»: le plus gros «casse conceptuel» du siècle?

Mais ce qui est inquiétant est le repli sur soi et la montée en agressivité de ces lobbys trans et l’emprise qu’ils ont sur les autorités publiques. Le problème est que la France va à rebours des États pionniers sur ces sujets. En effet, outre que l’Académie nationale de médecine a tiré la sonnette d’alarme sur les recommandations jugées fantaisistes ou bien peu fiables des lobbys trans, nombre d’institutions médicales en Suède comme en Angleterre reculent sur la question d’une utilisation précoce des bloqueurs de puberté. Ces autorités scientifiques mettent en garde contre un effet de mode qui expliquerait l’explosion des demandes comme sur le refus de prendre en compte les phénomènes de détransition ou de suicides suite à des chirurgies effectuées. Le risque de surestimation des diagnostics est ainsi pointé du doigt comme la violence de l’emprise des associations trans sur des individus souvent fragiles et en difficulté psychologiquement.

Les politiques qui tirent la sonnette d’alarme

En mai 2024, suite à un travail d’audition mené sur le thème de la transidentité par la sénatrice du Val d’Oise Jacqueline Eustache-Brinio, une loi a été adoptée par le Sénat afin d’encadrer les transitions de genre avant 18 ans et d’interdire les traitements hormonaux. Or cette question de la protection des mineurs a engendré des scènes d’hystérie à gauche. La prudence visant à empêcher que des mineurs ne prennent sans discernement des traitements qui engagent la vie entière, est devenue un refus d’accepter les trans. Or cela n’a rien à voir. Pire même, la vérité est vue comme une agression sociale. Or, on ne peut changer de sexe. Ceux qui prennent des hormones et subissent des chirurgies très agressives se battront toute leur vie contre un corps programmé pour produire des hormones en fonction de leur sexe biologique. On peut prendre l’apparence de l’autre sexe, c’est vrai, mais on ne peut pas véritablement changer de sexe biologique.

Les recommandations de la HAS en la matière ne sont pas encore définitives, elles ne sont même pas encore officielles. La fuite était-elle intentionnelle ? Est-ce un moyen de tester la réaction de la société et de la classe politique ? D’ores et déjà, ceux qui suivent ces questions ont réagi. Madame Eustache-Brinio a regretté dans un communiqué que l’on mette « entre les mains d’associations, pour la plupart transactivistes, des jeunes en questionnement et en détresse ». Elle espère que la HAS refusera de valider ces recommandations pour le moins orientées. Quant à David Lisnard, il a plus sobrement expliqué qu’il était temps d’arrêter avec ces autorités indépendantes dont la légitimité pose réellement question…

La balle est en l’air et de la décision que prendra la HAS, nous saurons si cette Autorité a encore quelque rapport avec la démarche scientifique ou si elle est tombée dans l’escarcelle militante, ce qui lui retire tout intérêt et toute crédibilité.


[1] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/la-haute-autorite-de-sante-veut-un-acces-gratuit-a-la-transition-de-genre-pour-tous-a-partir-de-16-ans-20241212

« Pour les Grecs, homosexualité et virilité allaient de pair »

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Nicolas Cartelet © Isabelle Nery

Comment s’aimaient les Grecs de l’Antiquité ? Si l’homosexualité et la pédérastie faisaient partie des mœurs, elles étaient strictement codifiées et bien éloignées des pratiques actuelles. Nicolas Cartelet, écrivain et éditeur, spécialiste de l’Antiquité, analyse dans son livre Sous la jupe d’Achille la complexité de l’homosexualité grecque, et bouscule au passage les idées reçues…


Pierre des Esseintes. Comment distinguer, chez les Grecs anciens, pédérastie et pédophilie ?

Nicolas Cartelet. La confusion entre pédérastie et pédophilie est d’abord étymologique, puisque le terme « pédérastie », étymologiquement, désigne l’amour des enfants mâles. Mais les Grecs appelaient « enfant » n’importe quelle personne âgée de 0 à 20 ans. La pédérastie grecque avait pour but de former de jeunes hommes (les éromènes) à la citoyenneté en les mettant au contact d’hommes accomplis (les érastes) : l’échange était intellectuel, politique, militaire, mais aussi amoureux et sexuel. Une infinité de règles connues de tous bornaient ces échanges, jusqu’à l’âge et l’attitude convenables pour chacun. Ainsi, il semble peu probable que les érastes aient eu des relations sexuelles avec de très jeunes garçons, car le canon de beauté promu par les Grecs, c’est-à-dire l’âge auquel un jeune homme était considéré sexuellement attirant, désigne l’éromène au corps déjà formé, musclé, bronzé et viril, sans doute âgé de 16 à 20 ans.

Aujourd’hui, on a tendance à penser que l’hétérosexualité constitue une « norme » culturelle. Ce n’était pas du tout le cas chez les Grecs. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Les Grecs considéraient l’homosexualité comme un trait naturel de leur culture. Nulle part, dans un aucun texte, l’amour entre hommes n’est désignée comme contre-nature. On peut avancer que chez certains aristocrates, le goût des hommes et la séduction de beaux éphèbes comptaient parmi les plus grands plaisirs de la vie. Néanmoins, la société grecque avait tout d’une société traditionnelle, centrée sur la filiation et la production d’héritiers. Les Grecs considéraient que passé un certain âge (à gros traits au-delà de 30 ans), un homme devait abandonner l’homosexualité pour fonder un foyer avec une femme. Nombreux sont les témoignages se moquant de « débauchés » continuant de séduire des éromènes à un âge révolu.

Les Grecs s’intéressaient-ils à la beauté féminine ?

Les Grecs étaient sans aucun doute sensibles à la beauté féminine, mais la représentation du « beau » masculin est infiniment plus présente dans nos sources que celle du beau féminin. Chez Homère, Hélène de Troie est d’une beauté étourdissante que reconnaissent tous ses contemporains – mais sa beauté est aussi un poison car elle fait perdre la raison à Pâris, qui l’enlève et déclenche la guerre de Troie. Il y a chez les Grecs cette propension à juger la beauté féminine « vénéneuse », alors que la beauté masculine a quelque chose de divin à leurs yeux.

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Les relations entre hommes relevaient-elles d’une recherche du plaisir pour les deux partenaires ?

La relation pédérastique est par essence inégale. L’éromène est passif et doit se contenter d’accueillir les élans de son éraste – cadeaux comme sollicitations sexuelles – sans manifester de plaisir. Son seul but doit être de s’élever moralement pour devenir un adulte accompli. Un éromène trop enthousiaste dans la relation serait regardé avec méfiance et considéré comme un débauché. L’éraste en revanche peut tirer du plaisir des relations sexuelles qu’il a avec son amant. Les sources sont bavardes sur le sujet, on exprime volontiers le plaisir que procure la pénétration anale, par exemple, et plus fréquemment encore celui tiré de la pénétration intercrurale (le sexe coulisse entre les cuisses de l’éromène). Rappelons que seul l’éraste pénètre son partenaire, l’inverse est impensable chez les Grecs.

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En Grèce, les homosexuels passifs étaient méprisés. Faut-il voir dans ce mépris les racines de l’homophobie actuelle ?

C’est surtout l’homme efféminé qui est méprisé par les Grecs, ou bien l’homosexuel qui serait passif et se laisserait pénétrer alors qu’il a passé l’âge d’être un éromène. Chez les Grecs, le masculin va de pair avec le courage et la virilité. L’homme efféminé est moqué et soupçonné de lâcheté – on le juge inapte à défendre la cité, ce qui en fait un mauvais citoyen. Il faut dire que la culture grecque est éminemment misogyne, et prête peu de qualités aux femmes (en tout cas aucune qualité utile dans le champ politique et militaire qui sont les deux piliers des cités-états grecques). Une attitude jugée féminine est de fait jugée suspecte. On peut y trouver un trait commun avec l’homophobie moderne, oui, mais nombreuses ont été les sociétés traditionnelles à opérer cette distinction entre masculin/viril, actif et féminin/doux, passif.

Dans votre livre, on apprend que le mot « lesbianisme » a été détourné…

Étymologiquement, encore une fois, le terme lesbianisme désigne le fait de pratiquer la fellation – et plus globalement, il désigne la femme lascive, séductrice. Il est intéressant de constater que le mot vient de Lesbos, cette île grecque, patrie de Sappho (qui a donné saphisme), réputée pour avoir offert une plus grande liberté aux femmes que dans beaucoup d’autres cités grecques. Comme si les femmes de Lesbos, surgissant dans l’espace public, étaient considérées comme sulfureuses, provocatrices. Il y a là l’idée, il me semble, qu’elles ne sont pas tout à fait à leur place aux yeux du monde grec.

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Vous dressez huit portraits de couples homosexuels célèbres dans l’histoire et la mythologie. Lesquels vous semblent les plus riches d’enseignement ?

Chacun de ces couples met en lumière une facette de l’homosexualité grecque. L’histoire d’Harmodios et Aristogiton, ce couple homosexuel ayant assassiné le tyran Hipparque à Athènes et précipité l’invention de la démocratie grecque, est remarquable car elle est basée sur un mensonge historique. En effet, les historiens modernes ont démontré que la relation pédérastique entre Harmodios et Aristogiton était improbable (les deux hommes étaient trop âgés pour avoir joué le rôle d’éraste et d’éromène l’un pour l’autre). Les Grecs eux-mêmes ont réécrit l’histoire pour y insérer cette dimension homosexuelle, car à leurs yeux, la démocratie athénienne, basée sur le corps des citoyens-soldats, était indissociable de la pédérastie, dont l’essence-même était la formation des futurs citoyens.

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En regard, on peut évoquer le fameux procès de Timarque, qui nous invite à ne pas idéaliser la société grecque comme un paradis pour l’homosexualité. Timarque est empêtré dans un procès politique pour trahison d’État, et la plaidoirie pour le condamner, qui nous est parvenue, insiste davantage sur son prétendu passé de débauché que sur les faits qui lui sont reprochés. On l’accuse de s’être prostitué et d’avoir agi en mauvais éromène lorsqu’il était plus jeune, c’est-à-dire en tirant du plaisir et du profit de relations sexuelles en tant que partenaire passif, et ces soupçons suffisent à salir son image aux yeux des jurés. Cette histoire judiciaire nous rappelle tous les interdits, explicites ou non, qui pesaient sur les jeunes homosexuels et pouvaient à tout moment se retourner contre eux.

Le christianisme a-t-il eu une influence sur la manière dont l’homosexualité antique est encore perçue aujourd’hui ?

Plus largement, les religions du livre ont marqué une forte évolution dans la façon dont l’homosexualité a été perçue. Dans le monde occidental, on passe d’une Europe dominée par les cultures grecque puis romaine, qui considèrent l’homosexualité naturelle, à un monde chrétien qui s’appuie sur la Bible pour condamner l’amour entre hommes. Les Grecs n’ont jamais considéré que leurs dieux avaient édicté des lois terrestres régissant la manière dont chacun devait vivre, jusque dans son intimité sexuelle. De ce point de vue, l’avènement des religions du livre opère un grand basculement civilisationnel.

Qu’est-ce que l’étude de la sexualité antique peut nous apprendre, à nous Européens de 2024 ?

À sortir du dogmatisme et des certitudes en matière de sexualité et, surtout, à abandonner la rhétorique nature/contre-nature trop souvent avancée pour condamner l’homosexualité. Elle nous apprend aussi que pour les Grecs, homosexualité et virilité allaient de pair, contrairement à l’idée véhiculée par les clichés homophobes modernes. Il est amusant de constater que l’Antiquité grecque est souvent convoquée par les communautés masculinistes (ainsi la fascination pour Sparte et le blockbuster 300, par exemple), que la dimension homosexuelle de la culture antique mettrait sans doute très mal à l’aise.