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Confessions sans absolutions

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1. Jean-Jacques Rousseau et le Tea Party

Consulter la presse donne un vernis de culture, ce qui est encore préférable à une absence de culture. Ainsi, j’apprends ce 12 mars 2012 la naissance d’un de mes compatriotes : Jean-Jacques Rousseau. Trois cents ans déjà qu’il poursuit inlassablement son chemin entre Confessions et Contrat social. Le Rousseau que je préfère est celui des Rêveries du promeneur solitaire.

Il serait très étonné d’apprendre qu’aujourd’hui, aux États-Unis, il est beaucoup plus lu et étudié que ne le sont Diderot et Voltaire. Et surtout qu’il inspire le Tea Party. Benjamin Barber, spécialiste américain de Rousseau, établit un parallèle entre les critiques formulées par les adeptes du Tea Party à l’encontre de Hollywood et de Madison Avenue et celles que formulait Rousseau dans sa Lettre à d’Alembert à propos du théâtre qui corrompait en son temps la république calviniste.[access capability= »lire_inedits »]

Toujours selon Benjamin Barber, à l’instar du Tea Party qui fustige les élites, Rousseau dénonçait la haute culture comme une forme de corruption. « Les partisans du Tea Party, poursuit Benjamin Barber, sont très critiques face à la concentration du pouvoir, ainsi que des grandes agglomérations comme New York ou Los Angeles. Ce qu’ils déclarent à ce sujet, c’est ce que disait Rousseau au sujet de Paris ou de Londres. »

Quant aux progrès technologiques qui permettent de voir des films toute la journée ou de rester branchés sur l’actualité, Rousseau rétorquerait qu’il ne voit là qu’une forme de séduction du diable. Non aux divertissements, oui à la rêverie. À ce propos, vous souvenez-vous de la première phrase des Rêveries du promeneur solitaire, et y en a-t-il de plus belles ? « Me voici donc seul sur la Terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même. »

Cette nouvelle jeunesse de Rousseau est saluée comme il se doit dans Le Temps, quotidien genevois qui, comme Rousseau, pense que la démocratie ne peut fonctionner qu’avec des citoyens éduqués et que c’est sans doute une des raisons pour lesquelles elle connaît de tels ratés en France.

2. De la littérature considérée comme une tauromachie

De Rousseau à Michel Leiris, il n’y a qu’un pas et nombreux sont ceux qui l’ont franchi en découvrant L’Âge d’homme autour de leur vingtième année. Inutile de préciser que ce fut mon cas.

Michel Leiris, ethnologue et écrivain, avait 34 ans lorsqu’il entreprit de faire le portrait le plus ressemblant du personnage qu’il était alors. Il escomptait que la lucidité exemplaire dont il saurait faire preuve compenserait sa médiocrité en tant que modèle. Nous fûmes nombreux à l’imiter : après tout, chacun a besoin d’être absous. Et il n’y a rien de tel que les confessions, surtout si elles respectent la règle de dire toute la vérité et rien que la vérité, pour y parvenir. Mieux encore, maintenant que la littérature est moins vue sous l’angle de la création que sous celui de l’expression − la seule question qui intéresse encore : quel monstre se cache derrière l’œuvre ? − tout nous incitait à nous lancer dans cette entreprise improbable. Si ce n’est pas pour parler de soi, à quoi bon écrire ? Enfin, comment ne pas éprouver un sentiment de complicité avec Michel Leiris quand il notait : « Le peu de livres que j’ai publiés ne m’a valu aucune notoriété. Je ne m’en plains pas, non plus que je ne m’en vante, ayant une même horreur du genre écrivain à succès que du genre poète méconnu » ?

Ce qui m’avait le plus enchanté dans ma lecture de L’Âge d’homme, c’était, dès les premières pages, d’apprendre le dégoût que porte l’auteur aux femmes enceintes et sa franche répugnance à l’égard des nouveau-nés. Sans doute aurait-il répondu oui à la question que se posent aujourd’hui les chercheurs en bio-éthique : a-t-on le droit de tuer un nouveau-né ? Je signale en passant que la légalisation de l’infanticide existe déjà en Hollande. J’avais comme Michel Leiris − et j’ai toujours, même si l’occasion m’en est moins souvent donnée − l’impossibilité de faire l’amour si, accomplissant cet acte, je le considérais autrement que comme stérile et sans rien de commun avec la fécondité.

À la fin de sa vie, Michel Leiris avait poursuivi cet art de la littérature considérée comme une tauromachie sous forme d’aphorismes dans un petit livre méconnu : Images de marque (éd. Le Temps qu’il fait). Sans la moindre complaisance et avec une ironie impitoyable, il se définissait comme « un enquiquineur qui se prend pour un monstre sacré ». Ou comme un conquérant qui n’a pour territoire que le désert. Il disait volontiers de lui qu’il était un suicidaire que seule sa crainte vertigineuse de la mort incitait et retenait à la fois. Un aveu qui me touche d’autant plus que je suis dans le même cas de figure,

3. Le corps invincible à l’ère du Viagra

Autre aveu de Michel Leiris, d’autant plus troublant qu’il n’a pas dépassé la quarantaine quand il écrit ceci : « J’ai depuis longtemps tendance à me tenir pour quasi impuissant. Il y a beau temps, en tout cas, que je ne considère plus l’acte amoureux comme une chose simple, mais comme un événement relativement exceptionnel, nécessitant certaines dispositions intérieures ou particulièrement tragiques ou particulièrement heureuses, très différentes, dans l’une comme l’autre alternative, de ce que je dois regarder comme mes dispositions moyennes. »

Évidemment, à l’ère du Viagra, ce genre de propos sonne étrangement : la sexualité, qui impliquait auparavant une part de trouble et d’incertitude, est perçue différemment. Non plus comme une liberté ou comme une agonie, mais comme appartenant à un corps inédit dans l’histoire de l’humanité, un corps qui se vit et se sent invincible. Le premier philosophe à s’être penché sur cette métamorphose n’est autre que Robert Redeker dans son étude « Le mirage immortaliste du Viagra » parue dans le numéro 2 de l’excellente revue Kitej. À ceux qui, comme moi, l’ignorent, je rappelle que Kitej est une ville russe proche de Nijni Novgorod, accessible uniquement à celles et à ceux qui sont purs de corps et d’esprit, ce qui m’interdit à tout jamais de découvrir cette Atlantide russe.

Robert Redeker observe une étrange similitude entre le corps au temps du Viagra, le cinéma pornographique, la publicité et le sport-spectacle. Il n’est pas loin de penser que la sexualité assistée par le Viagra est le tombeau de l’âme et du moi. « L’utopie adhérente au Viagra et à la nouvelle cosmétique féminine, écrit-il, est celle d’une immortalité immanente et non pas transcendante, comme l’est la vie éternelle décrite par saint Augustin au dernier livre de La Cité de Dieu. C’est une immortalité obtenue par l’industrie, non par l’effort spirituel. »

Saint Augustin, Rousseau, Leiris : qu’auraient-ils pensé de cette mutation de l’homme en Egobody ? Le seul écrivain, à ma connaissance, à avoir vécu et retransmis littérairement cette métamorphose n’est autre que mon ami Serge Doubrovsky. Avec l’Egobody débute l’ère de l’autofiction. Voilà qui laisserait Michel Leiris perplexe et le conforterait dans sa certitude d’être un antédiluvien déboussolé qui ne se berce plus qu’au son des musiques que son passé lui fait entendre. Le temps de la rêverie s’achèverait-il ?[/access]

*Photo : formatted_dad

Homophobie : on ne rit pas

« Le prix Pierre-Guénin contre l’homophobie, du nom du pionnier de la presse gay en France, a été remis lundi à l’écrivain-cinéaste Virginie Despentes. »

Je crois de mon devoir de me faire ici l’écho de cette grande nouvelle, que je viens de découvrir sur le site de Livres Hebdo.

En effet (c’est la même source d’information que je cite), « selon l’association SOS Homophobie, Virginie Despentes a oeuvré à montrer l’image de femmes fortes, indépendantes et autonomes, parfois lesbiennes (…) les rendant par là même plus visibles que jamais dans une société où l’homosexualité féminine est bien souvent ignorée. »

Ce prix, ajoute la même association, « salue toute la visibilité des femmes lesbiennes, toute la déconstruction des clichés et toute la lutte contre le sexisme que son oeuvre a déjà permis. »

Eh bien oui, je veux saluer cette littérature courageuse, cette littérature de combat qui, bravant tous les dangers, prend hardiment la défense des humilié-e-s, des offensé-e-s. Je m’incline, je salue, j’opine, je lève mon chapeau. Et honte à ceux, je le dis bien fort, honte à ceux/celles/ceusses qui, lourd-e-s de leur misogynie rampante, dévoré-e-s de leur homophobie grimpante, mangé-e-s de leur discriminite galopante, auraient, ne fût-ce qu’une seule seconde, l’envie de rigoler.

On ne rit pas, bordel de merde ! On ne rit pas.

L’étoffe des Ayrault

« Je préfère qu’il soit dedans et pisse dehors plutôt que dehors et pisse dedans » disait Clemenceau d’un de ses adversaires. Avec sa main de fer couverte d’un gant de velours, François Hollande a retenu la leçon du Tigre en proposant un grand ministère à son ancienne rivale Martine Aubry, histoire d’éviter toute cohabitation avec Solferino. Las ! Pour la maire de Lille, ce fut Matignon ou rien… Jean-Marc Ayrault nommé rue de Varenne, les aubrystes obtiennent néanmoins la part belle au gouvernement.

A commencer par Marylise Lebranchu, oubliable garde des Sceaux sous Jospin, qui résume l’esprit de la nouvelle équipe : « Objectif de rigueur mais obligation de résultat ». Mazette, la terreur rouge déferle sur l’Elysée, Matignon et tous les ministères, avant une éventuelle razzia sur le Palais-Bourbon. La preuve : le gauchiste Pierre Moscovici, formé à l’école strauss-kahnienne, hérite de Bercy, attifé au Budget de Jérôme Cahuzac, le rouge président de la Commission des Finances de l’Assemblée élu par une majorité d’élus UMP, qui doute ouvertement de la taxation des hauts revenus à 75%. Dieu merci, à la différence de 1981, aucun représentant du Front de Gauche, mélenchoniste ou néo-stal déguenillé, ne déboulera dans une administration ministérielle la bave aux lèvres et le couteau entre les dents. Cécile Duflot, en verte ministre de l’égalité des territoires et du logement, pourra s’en donner à cœur joie dans la construction d’habitats à la pollution renouvelable, pendant que Jean-Vincent Placé se consolera à la cantine du Sénat.

A la santé et aux affaires sociales, Marisol Touraine, digne fille de son père, l’éminent sociologue de la deuxième gauche, complète l’escouade social-démocrate également incarnée par le nouveau ministre du travail Michel Sapin et l’arrivée du sécuritaire de gauche Manuel Valls place Beauvau, qui fera peut-être un peu moins d’esbroufe que Claude Guéant à l’Intérieur.

Parmi ces trente-quatre hommes et femmes (dix-sept de chaque sexe, on a scrupuleusement compté !), seules deux fausses notes bouleversent la mélodie hollando-hollandiste : j’ai nommé Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, anciens compagnons du NPS devenus respectivement « ministre du Redressement productif » (en gros, l’industrie élargie) et ministre délégué à l’économie sociale et solidaire. Comme en 2000 Mélenchon et Lienemann, les tenants du protectionnisme européen joueront les assistants sociaux (masculinisons, il en restera bien quelque chose !) de la social-démocratie. Avec un enjeu notable à la clé : le rapport de forces avec l’Allemagne, notamment sur la politique de relance européenne, le dogme de l’euro fort et l’intangibilité d’une Banque Centrale Européenne rétive aux eurobonds proposés par le PS. Le premier sommet européen d’importance étant judicieusement programmé le lendemain du second tour des législatives, on observera si le volontarisme de Hollande passe sous les fourches caudines européennes, comme le triste précédent du traité d’Amsterdam, qui eut jadis raison de « l’Autre europe » jospinienne, nous incite à le penser. Comme disait Zemmour face à Najat Vallaut-Belkacem, « on en reparlera dans trois mois »…

La sémillante Najat, parlons-en. Au rayon gadgets du gouvernement Ayrault, sa promotion au ministère du droit des femmes, assorti d’un poste de porte-parole de gouvernement, en fait une Yvette Roudy glamour. Mais les autres égéries de la jeune garde socialiste ne sont pas en reste. Delphine Batho, ex bébé Julien Dray recyclée dans le ségolo-hollandisme, prend du galon auprès de la Garde des sceaux Christiane Taubira (un autre symbole…). Autre figure de proue du PS, Aurélie Filipetti, transfuge des Verts, investit le Palais-Royal, preuve de l’esprit d’ouverture et de diversité qui caractérise la nouvelle majorité présidentielle. A l’instar de Christine Albanel, la nouvelle ministre de la culture risque d’être mal accueillie par les lobbystes gays, qui estiment que ce poste est naturellement dévolu à l’un des leurs.

En esprits anarchiques, terminons ce passage en revue des effectifs par les premiers dans l’ordre protocolaire. Fabius au Quai d’Orsay, outre sa gémellité physique et astrale avec son prédécesseur Juppé, revêt les habits de l’éternel numéro deux du gouvernement. Décidément, au PS comme à l’UMP, il ne fait pas bon avoir été le « meilleur d’entre nous », premier ministre chouchou d’un ancien locataire de l’Elysée. En numéro trois, l’intellectuel Vincent Peillon, spécialiste du socialisme de Pierre Leroux, récupère l’Education nationale après avoir fait ses classes dans toutes les crèmeries du PS (NPS, Désirs d’Avenir, strauss-kahnie, Hollande…).

Cerise sur le gâteau, le ministère délégué aux anciens combattants est confié à une gueule cassée du socialisme : le jospinien Kader Arif, vétéran du 21 avril 2002, présidera aux commémorations des 11 novembre et 8 mai. L’étoffe des Ayrault, vous disais-je !

Hollande, un faux gentil

François Hollande n’est pas gentil, finalement. Hier le septième président de la Vème République tout à ses serrages de mains, embrassades d’amis de 30 ans ou de fans dans la rue a laissé transparaître une partie de son caractère qu’on ne voit que rarement : sa dureté et sa rancune tenace.

Salle des fêtes de l’Elysée, discours du nouveau président qui avait déjà tourné les talons sur le perron alors que l’ancien n’était pas encore parti. Il rend hommage à ses prédécesseurs : De Gaulle, la grandeur de la France. Pompidou, Giscard, la modernité. Mitterrand, l’ombre tutélaire. Chirac, l’unité maintenue. Arrive le moment du petit mot à Sarkozy : allait-il louer son action dans la crise, sa foi européenne, son activisme en Libye, en Géorgie ou en Côté d’Ivoire ? Disons que même pour un président de gauche, on peut faire une phrase consensuelle sur le sujet.

Patatras, Hollande envoie tous ses vœux de « succès » au sortant « pour sa nouvelle vie ». On n’aurait pas été plus surpris que ça qu’il lui souhaite de bonnes siestes dans sa chaise longue et d’heureux parcours en vélo dans le sud de la France. Bonjour chez vous…

Immédiatement à droite, on s’est offusqué de ce manque de classe, de ce tacle présidentiel, sous-entendu pas à la hauteur.

Honnêtement je suis partagée : c’était rendre coup pour coup. Que je sache Sarkozy et ses seconds couteaux n’ont pas été tendres avec celui qui est aujourd’hui à l’Elysée, les surnoms ont volé bas pendant un an. Alors faire comprendre, à peine installé, qu’on n’est pas copain-copain, c’est la base. D’autant que c’est assez raccord avec la campagne anti-Sarko menée tambour battant par la gauche : il abaisse la France, déshonore le pays, met à sa botte la justice, vide les caisses de l’Etat au profit des plus riches. Difficile si on est cohérent ensuite de lui rendre hommage, même un peu, même pour de faux.

Ce faisant, qu’est-ce que cette pique veut dire ? Que Hollande est teigneux (au cas où ça vous aurait échappé), qu’il est rancunier et ne lâche rien. Honnêtement qui pouvait croire autre chose : comment survivre à 11 ans de PS en étant le gentil Flamby qui fait des blagues qui font rire la presse et rien d’autre ? Comment oser se présenter à la primaire contre l’archi-favori puis, après l’explosion en vol de DSK la gagner contre tous, y compris contre son ex femme (ex-compagne c’est grotesque) qu’on n’a pas tellement aidée en 2007 ?
En tuant, de sang froid, comme les autres. En pratiquant les coups bas, comme les autres. En maniant l’ambiguïté et la fourberie, comme les autres. Bon en enrobant par des blagues et un « solide coup de fourchette » avant le régime, comme l’explique la grande presse. Mais animal à sang froid tout pareil.

D’ailleurs, certains ne vont pas tarder à en faire les frais. Ses anciens meilleurs amis de gauche et du PS qui en dépit de leurs positions incontournables sur l’échiquier du parti vont se retrouver sans ministère, ni rien. Somme toute, ce n’est pas au moment où on peut enfin les faire payer qu’on va s’en priver : Martine Aubry, Fabius et d’autres le savent déjà… Et je parie que dans 5 ans on reparlera du caractère du président normal. Méchamment normal.

L’Évangile selon saint Philby

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Alors, Kim Philby : héros, salaud, traître ou idéaliste ? Allez savoir. C’était le temps des loyautés plurielles et des fidélités contradictoires, le temps de la Guerre froide, qui engendra une nouvelle figure mythologique, celle de l’espion. L’espion est un antihéros, un soldat de l’ombre qui meurt sans gloire dans des combats douteux, abattu dans le dos, torturé dans une cave ou, dans le meilleur des cas, échangé par une nuit pluvieuse à un check-point sinistre des années 1970.[access capability= »lire_inedits »]

Finalement, il est un homme gris, ordinaire, loin de l’icône james-bondienne de Ian Fleming; parfois même juste un petit fonctionnaire surdoué et appliqué, tatillon mais, à l’occasion, tranquillement héroïque. C’est le cas de Smiley, personnage fétiche de John Le Carré, notamment dans La Taupe qui a fait l’objet d’une récente et remarquable adaptation cinématographique de Thomas Alfredson avec Gary Oldman dans le rôle principal et qui raconte de manière très romancée comment Philby, justement, fut découvert.

John Le Carré est un petit bourgeois anglais étriqué, nationaliste, viscéralement anticommuniste mais un formidable écrivain. L’un n’empêche pas l’autre, ça se saurait. Pour lui, le cas Philby ne fait aucun doute : c’est l’archétype du traître qui faillit avoir la peau du Royaume-Uni avant d’être démasqué et d’être exfiltré de justesse par l’URSS où il termina paisiblement sa vie en gloire nationale avec des timbres à son effigie, ne tirant sa révérence définitive qu’à 77 ans, à Moscou, en 1988. Ce qui lui épargna, à quelques mois près, d’échapper au spectacle de l’effondrement définitif de son rêve. Un rêve rouge qui avait guidé toute sa vie, depuis le temps où, étudiant à Cambridge, il distribuait le Daily Worker entre deux compétitions d’aviron, jusqu’à l’époque où il devint l’un des hauts responsables du MI6, ce qui lui permit de fournir en flux constant des renseignements essentiels au KGB.

Robert Littell, une autre des très grandes plumes de la littérature d’espionnage, auteur notamment d’un monumental roman vrai sur la CIA, La Compagnie[1. Points Seuil.] s’est sans doute rappelé la citation de Woodsworth qui dit que l’enfant est le père de l’homme. Pour comprendre Philby, il est allé voir du côté de sa jeunesse, en particulier des années 1933-1945 au cours desquelles celui-ci acquit la certitude que le communisme n’était pas seulement un idéal généreux mais la seule chance de vaincre le nazisme et le fascisme.

Son titre, Portrait de l’espion en jeune homme, est une référence à Joyce – le mot « espion » remplaçant « artiste », ce qui n’est pas innocent. L’espion et l’écrivain pensent pareillement que l’important est de produire une fiction crédible et d’être capable de réinventer sans cesse son destin, quitte à ne plus savoir où est la vérité et où est le mensonge. « Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité », disait ainsi Cocteau qui, dans son genre, aurait fait un très bon espion.

Portrait de l’espion en jeune homme reste un roman dans la mesure où il propose une interprétation, profondément empathique au demeurant, de l’itinéraire de Philby dont il restitue remarquablement l’ambiguïté. Le jeune homme n’a pas l’impression de trahir sa patrie, bien au contraire : pour lui, renseigner les communistes, c’est sauver l’Angleterre de l’impérialisme hitlérien. Il peut aussi se mentir à lui-même en fermant les yeux sur le stalinisme, dont il devine les crimes quand ses officiers traitants, rappelés à Moscou, ne reviennent jamais, engloutis par les purges.

La technique narrative de Littell est fascinante : on n’entend jamais parler Philby lui-même, mais uniquement ceux qui croisèrent sa route à cette époque. Sa femme, juive, hongroise et communiste, épousée en catastrophe à Vienne avant de fuir en moto alors que la répression de Dolfuss s’abat sur le mouvement ouvrier, une actrice convertie au franquisme qu’il croise pendant la guerre d’Espagne alors qu’il est correspondant du Times et feint d’être favorable au camp fasciste, un de ses officiers traitants qui n’aura pas le droit à sa dernière cigarette dans le sous-sol de la Loubianka ou encore son ami Guy Burgess, homosexuel flamboyant, un des « cinq de Cambridge », ainsi que fut désignée cette bande d’étudiants devenus marxistes en découvrant la misère des mineurs à quelques encablures de leur si joli campus et tous recrutés par Moscou à peu près en même temps.

Ainsi Littell parvient-il à tracer en creux un portrait possible de Harold Adrian Russel Philby, dit « Kim », bègue et élégant, sensible et amoureux, incapable de tuer mais doté d’un vrai courage physique, fidèle à une Idée comme on l’est à une femme aimée à qui l’on passe tout.[/access]

Philby, portrait de l’espion en jeune homme, de Robert Littell (BakerStreet).

Passation de pouvoir Sarkozy Hollande : les petits bras du mardi 15 mai

À entendre les slogans hurlés hier par les jeunes militants socialistes, on s’est dit que la victoire de François Hollande n’était pas vraiment synonyme de la fameuse «France apaisée» dont on nous rebat les oreilles

Ce mardi matin devant les grilles de l’Elysée, les deux camps s’affrontaient en lançant des slogans ayant tous pour destinataire un seul homme, Nicolas Sarkozy. Pendant que les sympathisants et militants UMP exprimaient leur dernier hommage au Président sortant avec des « Nicolas merci », des jeunes socialistes hurlaient leurs délicieux «Nicolas c’est fini!», «Sarkozy dégage!» ou encore, pourquoi se gêner, «Sarkozy en prison!»

Pour ces esprits obsédés par une seule tête et ces cœurs animés par un seul ressentiment, le rassemblement, ce n’était pas vraiment maintenant, ça pouvait attendre demain.

Au lieu d’assister à un mouvement de liesse et à des acclamations joyeuses, qui auraient été en accord avec la nature du discours de François Hollande, on aura eu droit au lynchage symbolique du vaincu. Un seul slogan a été paresseusement concocté pour saluer l’investiture de François Hollande: « Hollande président », comme si tout était à recommencer, que le 6 mai 2012 n’avait pas encore eu lieu ou était frappé d’une étrange irréalité.

Mais derrière cette originalité désopilante, se cache l’incapacité à manifester des affects positifs ce qui incite à penser que ces militants ont tellement aimé détester Nicolas Sarkozy que finalement ils ne savent pas comment aimer le Président qui les a les a émancipés du joug sarkosyste.

Au final, ces militants sont à l’image de François Hollande qui lui non plus n’aura pas eu, hier, l’élégance des vainqueurs. Ne pas raccompagner son prédécesseur plus loin que le perron, et l’évincer comme un malpropre des hommages rendus aux précédents chefs d’Etat de la Vème République, augure assurément d’une présidence petit bras.

Pour Fabius, Ayrault, c’est zéro !

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Le nom de Laurent Fabius circule beaucoup pour le gouvernement à venir, après avoir, il est vrai pas mal circulé – en dépit du bon sens le plus élémentaire – pour le poste de Premier ministre quand le job n’était pas encore pourvu. Après les tombereaux de vannes fielleuses qu’il avait déversés sur Hollande, avant, pendant et probablement après la primaire, et ce, en public comme en off, Fabius à Matignon, c’était même pas en rêve.

En dépit de ce casier chargé, il n’est pas à exclure que François Hollande ait suggéré qu’on le nommât au gouvernement. Et ce pour une raison simple: tout est bon pour neutraliser ce molosse-là, et il sera bien moins dangereux à l’intérieur, muselé par la solidarité gouvernementale qu’en liberté à l’extérieur, où il aurait très vite aboyé, voire mordu. (Avis aux pointilleux : il n’y a rien, à mes yeux, de diffamatoire à comparer un dirigeant du PS au meilleur ami de l’homme plutôt qu’à l’habituel pachyderme. Faites vos comptes, il y a beaucoup plus de Français attachés à leurs chiens qu’à leurs éléphants).

Mais revenons à Lolo. Beaucoup de commentateurs ont souligné, avec justesse, la froideur avec laquelle François Hollande a salué hier l’apport de son prédécesseur à l’édifice national (« Ciao et bonne bourre ! », mais je cite de mémoire). Peu de mes confrères ont en revanche remarqué le paquet de vacheries envoyées par Fabius à son adversaire heureux pour le fauteuil de Premier Ministre.

Voilà comment Fabius a salué la nomination de Jean-Marc Ayrault à Matignon. Selon l’ancien premier ministre de Mitterrand, « Le maire de Nantes a trois atouts » Lesquels ? « D’abord il a été un excellent maire de Nantes… » Ça c’est sûr, que s’il faut avoir été Maire de Nantes pour aller à Matignon, normal qu’on ait écarté Lolo !

Mais la suite est tout aussi vache : « Deuxièmement, il connaît admirablement le Parlement. Troisièmement, il a toute la confiance de François Hollande ». « Ce sont des atouts indispensables dans cette fonction », a-t-il conclu. Ami lecteur, sauras-tu trouver dans ces trois « atouts indispensables » un quelconque hommage aux qualités intrinsèques, qu’elle soient personnelles ou politiques du nouveau Premier ministre ? Non, non, non : si Jean-Marc Ayrault lui a été préféré pour Matignon, c’est parce qu’il a été maire de Nantes, président du groupe et chouchou de Hollande, point barre ! Comme disait un chanteur mort : c’est un joli nom, camarade…

(Photo : Parti Socialiste)

Hollande: un parfum de IIIème République…

François Hollande aura beaucoup appris de Nicolas Sarkozy. Notamment qu’une entrée par trop décoiffante dans la fonction présidentielle peut vous pourrir un quinquennat. Le Fouquet’s et le yacht de Bolloré sont restés dans les mémoires, alors que l’hommage rendu le 16 mai 2007 aux martyrs de la Résistance du Bois de Boulogne par un Nicolas Sarkozy tout juste investi est tombé dans l’oubli…

Ce sera sans doute le cas des propos tenus par François Hollande au cours de la journée du 6 Mai, à l’Elysée, devant la statue de Jules Ferry aux Tuileries, et lors de la réception à l’Hôtel de ville de Paris. Il ne faisait que reprendre les thèmes de sa campagne : l’exigence de justice dans la répartition des sacrifices inévitables, la priorité donnée à l’école, à la jeunesse, et à la recherche. Il n’est cependant pas indifférent que les deux personnalités symboliques auxquelles il a tenu à rendre hommage dès son entrée en fonction représentent l’idée de progrès telle qu’elle s’est épanouie sous la IIIème République : celui qui se fonde sur l’étude et sur l’avancement des sciences. Les enfants des écoles aux Tuileries, et les blouses blanches des piliers de laboratoire à l’institut Curie : François Hollande nous fait savoir qu’il ne craint aucun procès, ni pour ringardise par les esprits forts du déconstructivisme, ni pour illusion productiviste par les khmers verts et associés. Cela mérite d’être salué, car l’intention est bonne : on doit aider l’école à mieux remplir son rôle de transmission du savoir indispensable à l’émancipation des individus, et donner à ceux qui repoussent toujours plus loin les limites de la connaissance les moyens de faire que notre pays demeure une grande nation de science et d’industrie. C’est, bien entendu, plus facile à dire qu’à faire et de bonnes intentions ne produisent pas toujours une bonne politique. Reste que les mots engagent, et ceux qui les entendent sauront, le moment venu, juger s’ils ont été suivis d’effets.

Les esprits resteront donc marqués, plus que par ses discours, par le déchaînement des éléments que le nouveau président dut subir dès sa sortie de l’Elysée : trombes d’eau en remontant les Champs du même nom, averse de grêle devant la statue de Pierre et Marie Curie, et enfin coup de foudre sur l’avion le conduisant à Berlin.

Le ciel semblait vouloir tenir le rôle assigné à l’esclave qui tenait la couronne de laurier au dessus de la tête des Césars triomphants : placé tout prêt de lui alors que le peuple de Rome acclame l’empereur vainqueur, il lui chuchote sans cesse : « Souviens-toi que tu es mortel ! ». Cette coutume était destinée à protéger les souverains de l’hubris, cette démesure qui s’empare de ceux qui sont parvenus au sommet de la gloire et du pouvoir. On n’a beau être le président de la République, on subi la météo comme les citoyens ordinaires… Mais un président, fût-il normal, n’est pas un citoyen ordinaire : celui qui resterait debout à l’arrière d’une automobile décapotable alors qu’il pleut à verse serait tenu pour un original. Mais au bout du compte, François Hollande n’aura pas trop à se plaindre de l’intervention de Zeus dans un cérémonial qui avait été réglé au millimètre : le dieu du tonnerre lui a offert une métaphore imprévue : « Je tiens le cap sans frémir au milieu des tempêtes ! ». On aura également admiré le sens pratique d’un président qui a toujours un costard prêt à se substituer à celui que l’eau du ciel a transformé en serpillère.

On a également pris connaissance des premières nominations, celles des principaux conseillers du président, et celle du premier ministre Jean-Marc Ayrault. Elles en disent beaucoup sur la manière dont François Hollande s’apprête à exercer le pouvoir. Il ne sera pas cet hyperprésident décidant de tout au vu de tous, comme le fut son prédécesseur, mais il veille que ceux à qui il délègue une partie des responsabilités soient insoupçonnables quant à leur loyauté. Rien ne vaut les camarades de promo de l’ENA pour faire fonctionner la machine élyséenne : ce sera la tâche de Pierre-André Lemas, secrétaire général de l’Elysée et de Sophie Hubac, directrice de cabinet. Le conseiller spécial, Aquilino Morelle est, lui, l’exact équivalent d’Henri Guaino chez Sarkozy : écrivain des discours, il ne vient pas de l’école delorienne et européiste qui a formé François Hollande. Opposé au Traité constitutionnel européen, il fut le principal conseiller d’Arnaud Montebourg lors de la primaire socialiste. L’important, c’est aussi de bien choisir, à ses côtés, celui qui ne pense pas comme vous, mais qui a du talent.

Le premier ministre, chef du gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la nation » (article 20 de la Constitution) est l’un des rares hiérarques socialistes qui n’a jamais « manqué » à François Hollande, même lorsque celui-ci ne semblait pas être le mieux placé dans la course à l’Elysée 2012. Il serait surprenant qu’entré à Matignon, il se place sur une trajectoire de confrontation avec le président de la République. Bien malin serait d’ailleurs celui qui pourrait expliquer en quoi les philosophies politiques des deux hommes pourraient diverger, alors que ce petit exercice est aisé avec Martine Aubry, ou Laurent Fabius. Jean-Marc Ayrault, qui fut brièvement prof avant de ce lancer avec succès dans la vie politique, devra jouer le rôle de surveillant général[1. Je sais. On dit aujourd’hui « conseiller principal d’éducation ». Mais le « surgé » reste la figure emblématique de la loi et l’ordre scolaire.] d’une équipe gouvernementale où des personnalités dotés d’un ego surdimensionné, mais dont la présence est indispensable en raison de leur poids politique devront cohabiter.

L’annonce de la composition de ce gouvernement ne devrait pas comporter de surprise de taille. Le coup médiatico-politique n’est pas le genre de la maison. Il semblerait même que François Hollande prenne un malin plaisir à rendre ennuyeuse l’observation de la vie publique et des lieux de pouvoir, ayant délégué à sa compagne Valérie Trierweiler la tâche de donner au peuple la dose de ragots « people » qu’il exige désormais de ses gouvernants.

Défense et Illustration de Patrick Buisson

Dimanche soir, à vingt heures précises, au moment exact où la face poupine de notre nouveau président apparaissait sur les écrans de télévision, commençait une chasse à l’homme réunissant, pour une fois, la droite et la gauche, unies dans une même détestation. Le gibier ? Patrick Buisson, présenté par les médias comme « le mauvais génie » de Nicolas Sarkozy, auquel les uns reprochent de n’avoir pas su empêcher leur déroute, et les autres, d’avoir failli les priver de victoire. Retour sur un personnage qui en arrange, et qui en dérange.

Buisson, c’est d’abord l’homme qui arrange bien une droite vaincue, victime de ses propres incohérences, et trop contente de trouver, hors de ses rangs mais très visible, le bouc émissaire idéal, celui qui lui permettra, à moindres frais, de se défausser de ses responsabilités. Sans Buisson, en effet, elle aurait été contrainte de procéder à son autocritique, de se demander pourquoi elle s’est fait battre par un candidat dont elle soulignait naguère qu’il n’avait ni charisme, ni programme, ni crédibilité. Et pourquoi les Français ont à ce point manqué de gratitude à l’égard d’un Président qui a su faire plier Bush et Poutine, résister à la crise, résoudre le problème des retraites et sauver l’euro. Mais grâce à Buisson, tout ceci devient inutile, superflu : si l’UMP a perdu, ce n’est pas de sa faute à elle, c’est tout simplement parce qu’il l’a menée dans l’impasse. Pas la peine d’aller plus loin. La preuve ? B. le Maudit a la tête de l’emploi.

Buisson a eu beau montrer patte blanche, jurer ses grands dieux qu’il n’est ni raciste, ni antisémite, qu’il ne mange pas de petits enfants ni n’égorge de vieilles dames, le soir, entre chien et loup, et mettre au défi quiconque de prouver le contraire, il a eu beau travailler depuis des années pour le groupe TF1, faire les belles heures de LCI puis de La chaîne Histoire, publier chez de grands éditeurs des best-sellers érudits salués par la critique, et même recevoir des satisfecit à répétition de la diaspora trotskiste, de Michel Field à Cambadélis et Mélenchon[1. Qui alla jusqu’à assister à la cérémonie au cours de laquelle le président Sarkozy lui remit la Légion d’honneur.], bref, Buisson a eu beau exhiber tous les témoins de moralité du monde, il reste, pour ceux que cela arrange, le mouton noir idéal. « L’homme que vous adorez haïr », le Von Stroheim de la vie politique française, aussi chauve, impavide et effrayant que son modèle (on le soupçonne de porter le monocle en cachette !).

Car non content d’avoir été brièvement rédacteur en chef de l’hebdomadaire Minute il y a 25 ans, Patrick Buisson a l’audace d’être le fils d’un ingénieur maurrassien – sans même parler du fait que ce catholique a eu le front de se faire décorer de l’ordre de Saint Grégoire le Grand par le pape Benoît XVI en personne, dont nul n’ignore les liens avec la Hitlerjugend. Que dire de plus ? Un tel pedigree suffit à discréditer un homme, et à faire peser sur ses analyses, sur ses faits et gestes, et surtout, sur ses intentions cachées « les plus noirs soupçons », comme disaient les feuilletonistes du XIXe siècle. Il permet de le charger de tous les péchés de l’univers, et de lui faire porter sans remords le chapeau pour tous les autres.

D’autant que les autres, les éléphants de l’UMP, petits ou gros, lui en ont toujours voulu, du temps de sa gloire. Voulu, bien sûr, des marques d’estime que lui prodiguait alors le président : le 24 septembre 2007, en lui remettant la croix de la Légion d’honneur dans les salons privés de l’Élysée, Nicolas Sarkozy déclarait ainsi, devant un aréopage choisi : « Il y a très peu de personnes dont je puisse dire « si je suis là, c’est grâce à eux ». Patrick Buisson est de ceux-là. » On imagine sans peine les sourires crispés et la jalousie rentrée d’une bonne partie de l’assistance. Presque cinq ans plus tard, dans un entretien donné à l’hebdomadaire Valeurs actuelles, le président confirmait qu’il n’avait pas changé d’avis, déclarant de son conseiller qu’il était « aujourd’hui l’un des meilleurs connaisseurs de la société française, de sa complexité et de ses attentes ». « Sans toi, je n’étais pas au second tour », lui avoue-t-il encore le 22 avril.

Non content d’éclipser les éléphants, Patrick Buisson, affirme la rumeur, multipliait à leur encontre les rebuffades et les marques de dédain, refusant ostensiblement de frayer avec des ministres qui, à l’époque, auraient rêvé d’entrer en contact avec celui qui conseillait leur chef. Monstre de morgue et d’outrecuidance, Buisson jugeait apparemment avoir mieux à faire que de parler philosophie politique avec Xavier Bertrand, littérature du XVIIIème avec Frédéric Lefebvre ou stratégie constitutionnelle avec David Douillet: un genre d’affront qui ne se pardonne pas. Contraints de garder pour eux leurs rancœurs et leurs jalousies, les éléphants ont enfin la possibilité de se venger en piétinant le coupable. Ou en se permettant des épigrammes aussi relevées que celle de Patrick Devedjian, déclarant : « Dans la famille Buisson, je préfère Ferdinand » – ce qui, par delà la référence au fondateur de la Ligue des droits de l’homme, permet au passage de saluer le socialiste Vincent Peillon, qui vient de lui consacrer une biographie enthousiaste.

Si, à l’UMP, Patrick Buisson arrange beaucoup de monde, à gauche, il dérange – comme celui qui a failli coûter la victoire aux socialistes, et parce qu’il paraît l’un des mieux placés pour pouvoir, dans un futur indéterminé, leur faire perdre les élections.
Que la stratégie conçue par Buisson ait été sur le point d’empêcher l’élection de François Hollande, les chiffres en témoignent, Nicolas Sarkozy, crédité avant le premier tour de 42 à 43 % des intentions de vote, parvenant presque à rattraper son handicap, et n’étant finalement battu que d’une courte tête là où certains prédisaient un écrasement historique.

Or, que s’est-il passé de significatif pendant la brève campagne, puis entre les deux tours ? Une seule chose, la droitisation marquée du discours de Sarkozy, les références à la nation, au territoire, aux frontières, bref, la mise en œuvre de la « stratégie Buisson », particulièrement nette à la Concorde, à Toulon ou au Trocadéro, une stratégie qui a permis de rallier in extremis une part significative des voix qui s’étaient portées au premier tour sur la candidate du Front National. Une part significative, mais pas suffisante : c’est que, suivant ses (mauvaises) habitudes, le candidat Sarkozy n’a pas brillé par sa cohérence en conservant NKM comme porte-parole, en remettant en scène la si constante Rama Yade, ou en laissant ses lieutenants évoquer l’arrivée de François Bayrou à Matignon. Lorsqu’il ajouta qu’il s’apprêtait à renouer avec l’ouverture une fois réélu, ce sont deux points des intentions de vote qui le quittèrent aussitôt pour grossir les rangs potentiels du Front National. Un contrepoint qui a suffi à brouiller les perspectives, et à convaincre quelques centaines de milliers d’électeurs du second tour de voter blanc, plutôt que de se rallier à un candidat qui ne pouvait plus apparaître comme celui de toutes les droites. Buisson n’est donc pas responsable d’une défaite qui, pour l’essentiel, résulte de ce que ses conseils n’ont pas été suivis à la lettre, et de ce que l’on a tenté, par tous les moyens, de contrer sa stratégie. Voilà pourquoi la gauche, qui en est bien consciente, est elle aussi ravie de voir ostracisé celui qui a failli lui faire manquer le coche.

Mais si la gauche s’en réjouit aussi bruyamment, c’est surtout, comme elle le comprend parfaitement, parce que Buisson pourrait être, à l’avenir, le stratège en chef de sa future défaite. Il pourrait l’être en devenant l’inspirateur de la recomposition d’une droite qui renoncerait à ses complexes à l’égard de la pseudo « gauche morale », qui s’interrogeait sur ce qu’elle est et sur ce qu’elle veut, et qui se donnerait enfin les moyens de la reconquête. Mais ceci est une autre histoire…

Investiture : Hollande, juge de son pair

Vincent Peillon est une sorte de M. Homais avec un physique de gendre idéal ! Il a parfois des phrases colériques, des mouvements de révolte sociale, alors il s’empourpre : on pourrait presque, dans ces moments intenses, le confondre avec une manière de Saint-Just pour musée Grévy[1. Jules Grévy (1807-1891), élu par deux fois président de la République.]. S’il soutient un peu son effort, ce philosophe pour stade terminal, on le prendra pour un révolutionnaire.

Bref, M. Peillon y est allé de ses commentaires, à la télévision (TF1), en compagnie de l’ineffable Jean-Pierre Jouyet, naguère encore secrétaire d’État d’« ouverture », sous Sarkozy. Ils ne l’appelleront plus François, c’est fini ! Ils diront M. le Président, car il ne leur appartient plus, sa charge l’isole définitivement. M. Peillon sera-t-il ministre de l’éducation nationale ? Sa famille l’espère secrètement, lui le croit, car « le changement, c’est maintenant » ! Jean-Michel Ribes, le grand résistant du rond-point des Champs-Élysées, trouve à François Hollande « un sourire d’enfant » et, précise-t-il, « quelqu’un qui a un sourire d’enfant trouvera un chemin ! ».

La très jolie Delphine Batho semblait aux anges : son avenir s’ouvre sous les meilleurs auspices. Rendra-t-elle prochainement, au profit d’une famille moins favorisée qu’elle, son appartement de 108 m2, appartenant à la ville de Paris ? Son loyer mensuel est de 1 524 euros par mois, soit plus de 37 % inférieur au tarif du secteur privé, selon la chambre régionale des comptes. Une jeune députée qui gagne 7 100 euros brut mensuels, augmentés de 6 412 euros brut de frais de représentation et de 9 138 euros destinés à la rémunération de ses collaborateurs, a les moyens de s’offrir un logement au moins ajusté au prix du m2 de la location parisienne !

M. Hollande a eu des propos de réconciliation nationale. Il a rendu un bel hommage à tous les présidents de la Ve république – Charles De Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac. À chacun d’eux, il a accordé, fort élégamment, une vertu dont a bénéficié la nation entière. Mais Nicolas Sarkozy ne fut gratifié d’aucune qualité ; il lui adressa de simples et froid voeux « pour la nouvelle vie qui s’ouvre à lui ». Eh bien, cette manière de congédier son immédiat prédécesseur fut d’une insigne mesquinerie ! M. Hollande n’est pas juge des hommes d’État, M. Hollande n’est pas l’Histoire. Il vient à peine d’y entrer, dans quel état en sortira-t-il ?

Confessions sans absolutions

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1. Jean-Jacques Rousseau et le Tea Party

Consulter la presse donne un vernis de culture, ce qui est encore préférable à une absence de culture. Ainsi, j’apprends ce 12 mars 2012 la naissance d’un de mes compatriotes : Jean-Jacques Rousseau. Trois cents ans déjà qu’il poursuit inlassablement son chemin entre Confessions et Contrat social. Le Rousseau que je préfère est celui des Rêveries du promeneur solitaire.

Il serait très étonné d’apprendre qu’aujourd’hui, aux États-Unis, il est beaucoup plus lu et étudié que ne le sont Diderot et Voltaire. Et surtout qu’il inspire le Tea Party. Benjamin Barber, spécialiste américain de Rousseau, établit un parallèle entre les critiques formulées par les adeptes du Tea Party à l’encontre de Hollywood et de Madison Avenue et celles que formulait Rousseau dans sa Lettre à d’Alembert à propos du théâtre qui corrompait en son temps la république calviniste.[access capability= »lire_inedits »]

Toujours selon Benjamin Barber, à l’instar du Tea Party qui fustige les élites, Rousseau dénonçait la haute culture comme une forme de corruption. « Les partisans du Tea Party, poursuit Benjamin Barber, sont très critiques face à la concentration du pouvoir, ainsi que des grandes agglomérations comme New York ou Los Angeles. Ce qu’ils déclarent à ce sujet, c’est ce que disait Rousseau au sujet de Paris ou de Londres. »

Quant aux progrès technologiques qui permettent de voir des films toute la journée ou de rester branchés sur l’actualité, Rousseau rétorquerait qu’il ne voit là qu’une forme de séduction du diable. Non aux divertissements, oui à la rêverie. À ce propos, vous souvenez-vous de la première phrase des Rêveries du promeneur solitaire, et y en a-t-il de plus belles ? « Me voici donc seul sur la Terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même. »

Cette nouvelle jeunesse de Rousseau est saluée comme il se doit dans Le Temps, quotidien genevois qui, comme Rousseau, pense que la démocratie ne peut fonctionner qu’avec des citoyens éduqués et que c’est sans doute une des raisons pour lesquelles elle connaît de tels ratés en France.

2. De la littérature considérée comme une tauromachie

De Rousseau à Michel Leiris, il n’y a qu’un pas et nombreux sont ceux qui l’ont franchi en découvrant L’Âge d’homme autour de leur vingtième année. Inutile de préciser que ce fut mon cas.

Michel Leiris, ethnologue et écrivain, avait 34 ans lorsqu’il entreprit de faire le portrait le plus ressemblant du personnage qu’il était alors. Il escomptait que la lucidité exemplaire dont il saurait faire preuve compenserait sa médiocrité en tant que modèle. Nous fûmes nombreux à l’imiter : après tout, chacun a besoin d’être absous. Et il n’y a rien de tel que les confessions, surtout si elles respectent la règle de dire toute la vérité et rien que la vérité, pour y parvenir. Mieux encore, maintenant que la littérature est moins vue sous l’angle de la création que sous celui de l’expression − la seule question qui intéresse encore : quel monstre se cache derrière l’œuvre ? − tout nous incitait à nous lancer dans cette entreprise improbable. Si ce n’est pas pour parler de soi, à quoi bon écrire ? Enfin, comment ne pas éprouver un sentiment de complicité avec Michel Leiris quand il notait : « Le peu de livres que j’ai publiés ne m’a valu aucune notoriété. Je ne m’en plains pas, non plus que je ne m’en vante, ayant une même horreur du genre écrivain à succès que du genre poète méconnu » ?

Ce qui m’avait le plus enchanté dans ma lecture de L’Âge d’homme, c’était, dès les premières pages, d’apprendre le dégoût que porte l’auteur aux femmes enceintes et sa franche répugnance à l’égard des nouveau-nés. Sans doute aurait-il répondu oui à la question que se posent aujourd’hui les chercheurs en bio-éthique : a-t-on le droit de tuer un nouveau-né ? Je signale en passant que la légalisation de l’infanticide existe déjà en Hollande. J’avais comme Michel Leiris − et j’ai toujours, même si l’occasion m’en est moins souvent donnée − l’impossibilité de faire l’amour si, accomplissant cet acte, je le considérais autrement que comme stérile et sans rien de commun avec la fécondité.

À la fin de sa vie, Michel Leiris avait poursuivi cet art de la littérature considérée comme une tauromachie sous forme d’aphorismes dans un petit livre méconnu : Images de marque (éd. Le Temps qu’il fait). Sans la moindre complaisance et avec une ironie impitoyable, il se définissait comme « un enquiquineur qui se prend pour un monstre sacré ». Ou comme un conquérant qui n’a pour territoire que le désert. Il disait volontiers de lui qu’il était un suicidaire que seule sa crainte vertigineuse de la mort incitait et retenait à la fois. Un aveu qui me touche d’autant plus que je suis dans le même cas de figure,

3. Le corps invincible à l’ère du Viagra

Autre aveu de Michel Leiris, d’autant plus troublant qu’il n’a pas dépassé la quarantaine quand il écrit ceci : « J’ai depuis longtemps tendance à me tenir pour quasi impuissant. Il y a beau temps, en tout cas, que je ne considère plus l’acte amoureux comme une chose simple, mais comme un événement relativement exceptionnel, nécessitant certaines dispositions intérieures ou particulièrement tragiques ou particulièrement heureuses, très différentes, dans l’une comme l’autre alternative, de ce que je dois regarder comme mes dispositions moyennes. »

Évidemment, à l’ère du Viagra, ce genre de propos sonne étrangement : la sexualité, qui impliquait auparavant une part de trouble et d’incertitude, est perçue différemment. Non plus comme une liberté ou comme une agonie, mais comme appartenant à un corps inédit dans l’histoire de l’humanité, un corps qui se vit et se sent invincible. Le premier philosophe à s’être penché sur cette métamorphose n’est autre que Robert Redeker dans son étude « Le mirage immortaliste du Viagra » parue dans le numéro 2 de l’excellente revue Kitej. À ceux qui, comme moi, l’ignorent, je rappelle que Kitej est une ville russe proche de Nijni Novgorod, accessible uniquement à celles et à ceux qui sont purs de corps et d’esprit, ce qui m’interdit à tout jamais de découvrir cette Atlantide russe.

Robert Redeker observe une étrange similitude entre le corps au temps du Viagra, le cinéma pornographique, la publicité et le sport-spectacle. Il n’est pas loin de penser que la sexualité assistée par le Viagra est le tombeau de l’âme et du moi. « L’utopie adhérente au Viagra et à la nouvelle cosmétique féminine, écrit-il, est celle d’une immortalité immanente et non pas transcendante, comme l’est la vie éternelle décrite par saint Augustin au dernier livre de La Cité de Dieu. C’est une immortalité obtenue par l’industrie, non par l’effort spirituel. »

Saint Augustin, Rousseau, Leiris : qu’auraient-ils pensé de cette mutation de l’homme en Egobody ? Le seul écrivain, à ma connaissance, à avoir vécu et retransmis littérairement cette métamorphose n’est autre que mon ami Serge Doubrovsky. Avec l’Egobody débute l’ère de l’autofiction. Voilà qui laisserait Michel Leiris perplexe et le conforterait dans sa certitude d’être un antédiluvien déboussolé qui ne se berce plus qu’au son des musiques que son passé lui fait entendre. Le temps de la rêverie s’achèverait-il ?[/access]

*Photo : formatted_dad

Homophobie : on ne rit pas

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« Le prix Pierre-Guénin contre l’homophobie, du nom du pionnier de la presse gay en France, a été remis lundi à l’écrivain-cinéaste Virginie Despentes. »

Je crois de mon devoir de me faire ici l’écho de cette grande nouvelle, que je viens de découvrir sur le site de Livres Hebdo.

En effet (c’est la même source d’information que je cite), « selon l’association SOS Homophobie, Virginie Despentes a oeuvré à montrer l’image de femmes fortes, indépendantes et autonomes, parfois lesbiennes (…) les rendant par là même plus visibles que jamais dans une société où l’homosexualité féminine est bien souvent ignorée. »

Ce prix, ajoute la même association, « salue toute la visibilité des femmes lesbiennes, toute la déconstruction des clichés et toute la lutte contre le sexisme que son oeuvre a déjà permis. »

Eh bien oui, je veux saluer cette littérature courageuse, cette littérature de combat qui, bravant tous les dangers, prend hardiment la défense des humilié-e-s, des offensé-e-s. Je m’incline, je salue, j’opine, je lève mon chapeau. Et honte à ceux, je le dis bien fort, honte à ceux/celles/ceusses qui, lourd-e-s de leur misogynie rampante, dévoré-e-s de leur homophobie grimpante, mangé-e-s de leur discriminite galopante, auraient, ne fût-ce qu’une seule seconde, l’envie de rigoler.

On ne rit pas, bordel de merde ! On ne rit pas.

L’étoffe des Ayrault

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« Je préfère qu’il soit dedans et pisse dehors plutôt que dehors et pisse dedans » disait Clemenceau d’un de ses adversaires. Avec sa main de fer couverte d’un gant de velours, François Hollande a retenu la leçon du Tigre en proposant un grand ministère à son ancienne rivale Martine Aubry, histoire d’éviter toute cohabitation avec Solferino. Las ! Pour la maire de Lille, ce fut Matignon ou rien… Jean-Marc Ayrault nommé rue de Varenne, les aubrystes obtiennent néanmoins la part belle au gouvernement.

A commencer par Marylise Lebranchu, oubliable garde des Sceaux sous Jospin, qui résume l’esprit de la nouvelle équipe : « Objectif de rigueur mais obligation de résultat ». Mazette, la terreur rouge déferle sur l’Elysée, Matignon et tous les ministères, avant une éventuelle razzia sur le Palais-Bourbon. La preuve : le gauchiste Pierre Moscovici, formé à l’école strauss-kahnienne, hérite de Bercy, attifé au Budget de Jérôme Cahuzac, le rouge président de la Commission des Finances de l’Assemblée élu par une majorité d’élus UMP, qui doute ouvertement de la taxation des hauts revenus à 75%. Dieu merci, à la différence de 1981, aucun représentant du Front de Gauche, mélenchoniste ou néo-stal déguenillé, ne déboulera dans une administration ministérielle la bave aux lèvres et le couteau entre les dents. Cécile Duflot, en verte ministre de l’égalité des territoires et du logement, pourra s’en donner à cœur joie dans la construction d’habitats à la pollution renouvelable, pendant que Jean-Vincent Placé se consolera à la cantine du Sénat.

A la santé et aux affaires sociales, Marisol Touraine, digne fille de son père, l’éminent sociologue de la deuxième gauche, complète l’escouade social-démocrate également incarnée par le nouveau ministre du travail Michel Sapin et l’arrivée du sécuritaire de gauche Manuel Valls place Beauvau, qui fera peut-être un peu moins d’esbroufe que Claude Guéant à l’Intérieur.

Parmi ces trente-quatre hommes et femmes (dix-sept de chaque sexe, on a scrupuleusement compté !), seules deux fausses notes bouleversent la mélodie hollando-hollandiste : j’ai nommé Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, anciens compagnons du NPS devenus respectivement « ministre du Redressement productif » (en gros, l’industrie élargie) et ministre délégué à l’économie sociale et solidaire. Comme en 2000 Mélenchon et Lienemann, les tenants du protectionnisme européen joueront les assistants sociaux (masculinisons, il en restera bien quelque chose !) de la social-démocratie. Avec un enjeu notable à la clé : le rapport de forces avec l’Allemagne, notamment sur la politique de relance européenne, le dogme de l’euro fort et l’intangibilité d’une Banque Centrale Européenne rétive aux eurobonds proposés par le PS. Le premier sommet européen d’importance étant judicieusement programmé le lendemain du second tour des législatives, on observera si le volontarisme de Hollande passe sous les fourches caudines européennes, comme le triste précédent du traité d’Amsterdam, qui eut jadis raison de « l’Autre europe » jospinienne, nous incite à le penser. Comme disait Zemmour face à Najat Vallaut-Belkacem, « on en reparlera dans trois mois »…

La sémillante Najat, parlons-en. Au rayon gadgets du gouvernement Ayrault, sa promotion au ministère du droit des femmes, assorti d’un poste de porte-parole de gouvernement, en fait une Yvette Roudy glamour. Mais les autres égéries de la jeune garde socialiste ne sont pas en reste. Delphine Batho, ex bébé Julien Dray recyclée dans le ségolo-hollandisme, prend du galon auprès de la Garde des sceaux Christiane Taubira (un autre symbole…). Autre figure de proue du PS, Aurélie Filipetti, transfuge des Verts, investit le Palais-Royal, preuve de l’esprit d’ouverture et de diversité qui caractérise la nouvelle majorité présidentielle. A l’instar de Christine Albanel, la nouvelle ministre de la culture risque d’être mal accueillie par les lobbystes gays, qui estiment que ce poste est naturellement dévolu à l’un des leurs.

En esprits anarchiques, terminons ce passage en revue des effectifs par les premiers dans l’ordre protocolaire. Fabius au Quai d’Orsay, outre sa gémellité physique et astrale avec son prédécesseur Juppé, revêt les habits de l’éternel numéro deux du gouvernement. Décidément, au PS comme à l’UMP, il ne fait pas bon avoir été le « meilleur d’entre nous », premier ministre chouchou d’un ancien locataire de l’Elysée. En numéro trois, l’intellectuel Vincent Peillon, spécialiste du socialisme de Pierre Leroux, récupère l’Education nationale après avoir fait ses classes dans toutes les crèmeries du PS (NPS, Désirs d’Avenir, strauss-kahnie, Hollande…).

Cerise sur le gâteau, le ministère délégué aux anciens combattants est confié à une gueule cassée du socialisme : le jospinien Kader Arif, vétéran du 21 avril 2002, présidera aux commémorations des 11 novembre et 8 mai. L’étoffe des Ayrault, vous disais-je !

Hollande, un faux gentil

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François Hollande n’est pas gentil, finalement. Hier le septième président de la Vème République tout à ses serrages de mains, embrassades d’amis de 30 ans ou de fans dans la rue a laissé transparaître une partie de son caractère qu’on ne voit que rarement : sa dureté et sa rancune tenace.

Salle des fêtes de l’Elysée, discours du nouveau président qui avait déjà tourné les talons sur le perron alors que l’ancien n’était pas encore parti. Il rend hommage à ses prédécesseurs : De Gaulle, la grandeur de la France. Pompidou, Giscard, la modernité. Mitterrand, l’ombre tutélaire. Chirac, l’unité maintenue. Arrive le moment du petit mot à Sarkozy : allait-il louer son action dans la crise, sa foi européenne, son activisme en Libye, en Géorgie ou en Côté d’Ivoire ? Disons que même pour un président de gauche, on peut faire une phrase consensuelle sur le sujet.

Patatras, Hollande envoie tous ses vœux de « succès » au sortant « pour sa nouvelle vie ». On n’aurait pas été plus surpris que ça qu’il lui souhaite de bonnes siestes dans sa chaise longue et d’heureux parcours en vélo dans le sud de la France. Bonjour chez vous…

Immédiatement à droite, on s’est offusqué de ce manque de classe, de ce tacle présidentiel, sous-entendu pas à la hauteur.

Honnêtement je suis partagée : c’était rendre coup pour coup. Que je sache Sarkozy et ses seconds couteaux n’ont pas été tendres avec celui qui est aujourd’hui à l’Elysée, les surnoms ont volé bas pendant un an. Alors faire comprendre, à peine installé, qu’on n’est pas copain-copain, c’est la base. D’autant que c’est assez raccord avec la campagne anti-Sarko menée tambour battant par la gauche : il abaisse la France, déshonore le pays, met à sa botte la justice, vide les caisses de l’Etat au profit des plus riches. Difficile si on est cohérent ensuite de lui rendre hommage, même un peu, même pour de faux.

Ce faisant, qu’est-ce que cette pique veut dire ? Que Hollande est teigneux (au cas où ça vous aurait échappé), qu’il est rancunier et ne lâche rien. Honnêtement qui pouvait croire autre chose : comment survivre à 11 ans de PS en étant le gentil Flamby qui fait des blagues qui font rire la presse et rien d’autre ? Comment oser se présenter à la primaire contre l’archi-favori puis, après l’explosion en vol de DSK la gagner contre tous, y compris contre son ex femme (ex-compagne c’est grotesque) qu’on n’a pas tellement aidée en 2007 ?
En tuant, de sang froid, comme les autres. En pratiquant les coups bas, comme les autres. En maniant l’ambiguïté et la fourberie, comme les autres. Bon en enrobant par des blagues et un « solide coup de fourchette » avant le régime, comme l’explique la grande presse. Mais animal à sang froid tout pareil.

D’ailleurs, certains ne vont pas tarder à en faire les frais. Ses anciens meilleurs amis de gauche et du PS qui en dépit de leurs positions incontournables sur l’échiquier du parti vont se retrouver sans ministère, ni rien. Somme toute, ce n’est pas au moment où on peut enfin les faire payer qu’on va s’en priver : Martine Aubry, Fabius et d’autres le savent déjà… Et je parie que dans 5 ans on reparlera du caractère du président normal. Méchamment normal.

L’Évangile selon saint Philby

7

Alors, Kim Philby : héros, salaud, traître ou idéaliste ? Allez savoir. C’était le temps des loyautés plurielles et des fidélités contradictoires, le temps de la Guerre froide, qui engendra une nouvelle figure mythologique, celle de l’espion. L’espion est un antihéros, un soldat de l’ombre qui meurt sans gloire dans des combats douteux, abattu dans le dos, torturé dans une cave ou, dans le meilleur des cas, échangé par une nuit pluvieuse à un check-point sinistre des années 1970.[access capability= »lire_inedits »]

Finalement, il est un homme gris, ordinaire, loin de l’icône james-bondienne de Ian Fleming; parfois même juste un petit fonctionnaire surdoué et appliqué, tatillon mais, à l’occasion, tranquillement héroïque. C’est le cas de Smiley, personnage fétiche de John Le Carré, notamment dans La Taupe qui a fait l’objet d’une récente et remarquable adaptation cinématographique de Thomas Alfredson avec Gary Oldman dans le rôle principal et qui raconte de manière très romancée comment Philby, justement, fut découvert.

John Le Carré est un petit bourgeois anglais étriqué, nationaliste, viscéralement anticommuniste mais un formidable écrivain. L’un n’empêche pas l’autre, ça se saurait. Pour lui, le cas Philby ne fait aucun doute : c’est l’archétype du traître qui faillit avoir la peau du Royaume-Uni avant d’être démasqué et d’être exfiltré de justesse par l’URSS où il termina paisiblement sa vie en gloire nationale avec des timbres à son effigie, ne tirant sa révérence définitive qu’à 77 ans, à Moscou, en 1988. Ce qui lui épargna, à quelques mois près, d’échapper au spectacle de l’effondrement définitif de son rêve. Un rêve rouge qui avait guidé toute sa vie, depuis le temps où, étudiant à Cambridge, il distribuait le Daily Worker entre deux compétitions d’aviron, jusqu’à l’époque où il devint l’un des hauts responsables du MI6, ce qui lui permit de fournir en flux constant des renseignements essentiels au KGB.

Robert Littell, une autre des très grandes plumes de la littérature d’espionnage, auteur notamment d’un monumental roman vrai sur la CIA, La Compagnie[1. Points Seuil.] s’est sans doute rappelé la citation de Woodsworth qui dit que l’enfant est le père de l’homme. Pour comprendre Philby, il est allé voir du côté de sa jeunesse, en particulier des années 1933-1945 au cours desquelles celui-ci acquit la certitude que le communisme n’était pas seulement un idéal généreux mais la seule chance de vaincre le nazisme et le fascisme.

Son titre, Portrait de l’espion en jeune homme, est une référence à Joyce – le mot « espion » remplaçant « artiste », ce qui n’est pas innocent. L’espion et l’écrivain pensent pareillement que l’important est de produire une fiction crédible et d’être capable de réinventer sans cesse son destin, quitte à ne plus savoir où est la vérité et où est le mensonge. « Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité », disait ainsi Cocteau qui, dans son genre, aurait fait un très bon espion.

Portrait de l’espion en jeune homme reste un roman dans la mesure où il propose une interprétation, profondément empathique au demeurant, de l’itinéraire de Philby dont il restitue remarquablement l’ambiguïté. Le jeune homme n’a pas l’impression de trahir sa patrie, bien au contraire : pour lui, renseigner les communistes, c’est sauver l’Angleterre de l’impérialisme hitlérien. Il peut aussi se mentir à lui-même en fermant les yeux sur le stalinisme, dont il devine les crimes quand ses officiers traitants, rappelés à Moscou, ne reviennent jamais, engloutis par les purges.

La technique narrative de Littell est fascinante : on n’entend jamais parler Philby lui-même, mais uniquement ceux qui croisèrent sa route à cette époque. Sa femme, juive, hongroise et communiste, épousée en catastrophe à Vienne avant de fuir en moto alors que la répression de Dolfuss s’abat sur le mouvement ouvrier, une actrice convertie au franquisme qu’il croise pendant la guerre d’Espagne alors qu’il est correspondant du Times et feint d’être favorable au camp fasciste, un de ses officiers traitants qui n’aura pas le droit à sa dernière cigarette dans le sous-sol de la Loubianka ou encore son ami Guy Burgess, homosexuel flamboyant, un des « cinq de Cambridge », ainsi que fut désignée cette bande d’étudiants devenus marxistes en découvrant la misère des mineurs à quelques encablures de leur si joli campus et tous recrutés par Moscou à peu près en même temps.

Ainsi Littell parvient-il à tracer en creux un portrait possible de Harold Adrian Russel Philby, dit « Kim », bègue et élégant, sensible et amoureux, incapable de tuer mais doté d’un vrai courage physique, fidèle à une Idée comme on l’est à une femme aimée à qui l’on passe tout.[/access]

Philby, portrait de l’espion en jeune homme, de Robert Littell (BakerStreet).

Passation de pouvoir Sarkozy Hollande : les petits bras du mardi 15 mai

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À entendre les slogans hurlés hier par les jeunes militants socialistes, on s’est dit que la victoire de François Hollande n’était pas vraiment synonyme de la fameuse «France apaisée» dont on nous rebat les oreilles

Ce mardi matin devant les grilles de l’Elysée, les deux camps s’affrontaient en lançant des slogans ayant tous pour destinataire un seul homme, Nicolas Sarkozy. Pendant que les sympathisants et militants UMP exprimaient leur dernier hommage au Président sortant avec des « Nicolas merci », des jeunes socialistes hurlaient leurs délicieux «Nicolas c’est fini!», «Sarkozy dégage!» ou encore, pourquoi se gêner, «Sarkozy en prison!»

Pour ces esprits obsédés par une seule tête et ces cœurs animés par un seul ressentiment, le rassemblement, ce n’était pas vraiment maintenant, ça pouvait attendre demain.

Au lieu d’assister à un mouvement de liesse et à des acclamations joyeuses, qui auraient été en accord avec la nature du discours de François Hollande, on aura eu droit au lynchage symbolique du vaincu. Un seul slogan a été paresseusement concocté pour saluer l’investiture de François Hollande: « Hollande président », comme si tout était à recommencer, que le 6 mai 2012 n’avait pas encore eu lieu ou était frappé d’une étrange irréalité.

Mais derrière cette originalité désopilante, se cache l’incapacité à manifester des affects positifs ce qui incite à penser que ces militants ont tellement aimé détester Nicolas Sarkozy que finalement ils ne savent pas comment aimer le Président qui les a les a émancipés du joug sarkosyste.

Au final, ces militants sont à l’image de François Hollande qui lui non plus n’aura pas eu, hier, l’élégance des vainqueurs. Ne pas raccompagner son prédécesseur plus loin que le perron, et l’évincer comme un malpropre des hommages rendus aux précédents chefs d’Etat de la Vème République, augure assurément d’une présidence petit bras.

Pour Fabius, Ayrault, c’est zéro !

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Le nom de Laurent Fabius circule beaucoup pour le gouvernement à venir, après avoir, il est vrai pas mal circulé – en dépit du bon sens le plus élémentaire – pour le poste de Premier ministre quand le job n’était pas encore pourvu. Après les tombereaux de vannes fielleuses qu’il avait déversés sur Hollande, avant, pendant et probablement après la primaire, et ce, en public comme en off, Fabius à Matignon, c’était même pas en rêve.

En dépit de ce casier chargé, il n’est pas à exclure que François Hollande ait suggéré qu’on le nommât au gouvernement. Et ce pour une raison simple: tout est bon pour neutraliser ce molosse-là, et il sera bien moins dangereux à l’intérieur, muselé par la solidarité gouvernementale qu’en liberté à l’extérieur, où il aurait très vite aboyé, voire mordu. (Avis aux pointilleux : il n’y a rien, à mes yeux, de diffamatoire à comparer un dirigeant du PS au meilleur ami de l’homme plutôt qu’à l’habituel pachyderme. Faites vos comptes, il y a beaucoup plus de Français attachés à leurs chiens qu’à leurs éléphants).

Mais revenons à Lolo. Beaucoup de commentateurs ont souligné, avec justesse, la froideur avec laquelle François Hollande a salué hier l’apport de son prédécesseur à l’édifice national (« Ciao et bonne bourre ! », mais je cite de mémoire). Peu de mes confrères ont en revanche remarqué le paquet de vacheries envoyées par Fabius à son adversaire heureux pour le fauteuil de Premier Ministre.

Voilà comment Fabius a salué la nomination de Jean-Marc Ayrault à Matignon. Selon l’ancien premier ministre de Mitterrand, « Le maire de Nantes a trois atouts » Lesquels ? « D’abord il a été un excellent maire de Nantes… » Ça c’est sûr, que s’il faut avoir été Maire de Nantes pour aller à Matignon, normal qu’on ait écarté Lolo !

Mais la suite est tout aussi vache : « Deuxièmement, il connaît admirablement le Parlement. Troisièmement, il a toute la confiance de François Hollande ». « Ce sont des atouts indispensables dans cette fonction », a-t-il conclu. Ami lecteur, sauras-tu trouver dans ces trois « atouts indispensables » un quelconque hommage aux qualités intrinsèques, qu’elle soient personnelles ou politiques du nouveau Premier ministre ? Non, non, non : si Jean-Marc Ayrault lui a été préféré pour Matignon, c’est parce qu’il a été maire de Nantes, président du groupe et chouchou de Hollande, point barre ! Comme disait un chanteur mort : c’est un joli nom, camarade…

(Photo : Parti Socialiste)

Hollande: un parfum de IIIème République…

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François Hollande aura beaucoup appris de Nicolas Sarkozy. Notamment qu’une entrée par trop décoiffante dans la fonction présidentielle peut vous pourrir un quinquennat. Le Fouquet’s et le yacht de Bolloré sont restés dans les mémoires, alors que l’hommage rendu le 16 mai 2007 aux martyrs de la Résistance du Bois de Boulogne par un Nicolas Sarkozy tout juste investi est tombé dans l’oubli…

Ce sera sans doute le cas des propos tenus par François Hollande au cours de la journée du 6 Mai, à l’Elysée, devant la statue de Jules Ferry aux Tuileries, et lors de la réception à l’Hôtel de ville de Paris. Il ne faisait que reprendre les thèmes de sa campagne : l’exigence de justice dans la répartition des sacrifices inévitables, la priorité donnée à l’école, à la jeunesse, et à la recherche. Il n’est cependant pas indifférent que les deux personnalités symboliques auxquelles il a tenu à rendre hommage dès son entrée en fonction représentent l’idée de progrès telle qu’elle s’est épanouie sous la IIIème République : celui qui se fonde sur l’étude et sur l’avancement des sciences. Les enfants des écoles aux Tuileries, et les blouses blanches des piliers de laboratoire à l’institut Curie : François Hollande nous fait savoir qu’il ne craint aucun procès, ni pour ringardise par les esprits forts du déconstructivisme, ni pour illusion productiviste par les khmers verts et associés. Cela mérite d’être salué, car l’intention est bonne : on doit aider l’école à mieux remplir son rôle de transmission du savoir indispensable à l’émancipation des individus, et donner à ceux qui repoussent toujours plus loin les limites de la connaissance les moyens de faire que notre pays demeure une grande nation de science et d’industrie. C’est, bien entendu, plus facile à dire qu’à faire et de bonnes intentions ne produisent pas toujours une bonne politique. Reste que les mots engagent, et ceux qui les entendent sauront, le moment venu, juger s’ils ont été suivis d’effets.

Les esprits resteront donc marqués, plus que par ses discours, par le déchaînement des éléments que le nouveau président dut subir dès sa sortie de l’Elysée : trombes d’eau en remontant les Champs du même nom, averse de grêle devant la statue de Pierre et Marie Curie, et enfin coup de foudre sur l’avion le conduisant à Berlin.

Le ciel semblait vouloir tenir le rôle assigné à l’esclave qui tenait la couronne de laurier au dessus de la tête des Césars triomphants : placé tout prêt de lui alors que le peuple de Rome acclame l’empereur vainqueur, il lui chuchote sans cesse : « Souviens-toi que tu es mortel ! ». Cette coutume était destinée à protéger les souverains de l’hubris, cette démesure qui s’empare de ceux qui sont parvenus au sommet de la gloire et du pouvoir. On n’a beau être le président de la République, on subi la météo comme les citoyens ordinaires… Mais un président, fût-il normal, n’est pas un citoyen ordinaire : celui qui resterait debout à l’arrière d’une automobile décapotable alors qu’il pleut à verse serait tenu pour un original. Mais au bout du compte, François Hollande n’aura pas trop à se plaindre de l’intervention de Zeus dans un cérémonial qui avait été réglé au millimètre : le dieu du tonnerre lui a offert une métaphore imprévue : « Je tiens le cap sans frémir au milieu des tempêtes ! ». On aura également admiré le sens pratique d’un président qui a toujours un costard prêt à se substituer à celui que l’eau du ciel a transformé en serpillère.

On a également pris connaissance des premières nominations, celles des principaux conseillers du président, et celle du premier ministre Jean-Marc Ayrault. Elles en disent beaucoup sur la manière dont François Hollande s’apprête à exercer le pouvoir. Il ne sera pas cet hyperprésident décidant de tout au vu de tous, comme le fut son prédécesseur, mais il veille que ceux à qui il délègue une partie des responsabilités soient insoupçonnables quant à leur loyauté. Rien ne vaut les camarades de promo de l’ENA pour faire fonctionner la machine élyséenne : ce sera la tâche de Pierre-André Lemas, secrétaire général de l’Elysée et de Sophie Hubac, directrice de cabinet. Le conseiller spécial, Aquilino Morelle est, lui, l’exact équivalent d’Henri Guaino chez Sarkozy : écrivain des discours, il ne vient pas de l’école delorienne et européiste qui a formé François Hollande. Opposé au Traité constitutionnel européen, il fut le principal conseiller d’Arnaud Montebourg lors de la primaire socialiste. L’important, c’est aussi de bien choisir, à ses côtés, celui qui ne pense pas comme vous, mais qui a du talent.

Le premier ministre, chef du gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la nation » (article 20 de la Constitution) est l’un des rares hiérarques socialistes qui n’a jamais « manqué » à François Hollande, même lorsque celui-ci ne semblait pas être le mieux placé dans la course à l’Elysée 2012. Il serait surprenant qu’entré à Matignon, il se place sur une trajectoire de confrontation avec le président de la République. Bien malin serait d’ailleurs celui qui pourrait expliquer en quoi les philosophies politiques des deux hommes pourraient diverger, alors que ce petit exercice est aisé avec Martine Aubry, ou Laurent Fabius. Jean-Marc Ayrault, qui fut brièvement prof avant de ce lancer avec succès dans la vie politique, devra jouer le rôle de surveillant général[1. Je sais. On dit aujourd’hui « conseiller principal d’éducation ». Mais le « surgé » reste la figure emblématique de la loi et l’ordre scolaire.] d’une équipe gouvernementale où des personnalités dotés d’un ego surdimensionné, mais dont la présence est indispensable en raison de leur poids politique devront cohabiter.

L’annonce de la composition de ce gouvernement ne devrait pas comporter de surprise de taille. Le coup médiatico-politique n’est pas le genre de la maison. Il semblerait même que François Hollande prenne un malin plaisir à rendre ennuyeuse l’observation de la vie publique et des lieux de pouvoir, ayant délégué à sa compagne Valérie Trierweiler la tâche de donner au peuple la dose de ragots « people » qu’il exige désormais de ses gouvernants.

Défense et Illustration de Patrick Buisson

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Dimanche soir, à vingt heures précises, au moment exact où la face poupine de notre nouveau président apparaissait sur les écrans de télévision, commençait une chasse à l’homme réunissant, pour une fois, la droite et la gauche, unies dans une même détestation. Le gibier ? Patrick Buisson, présenté par les médias comme « le mauvais génie » de Nicolas Sarkozy, auquel les uns reprochent de n’avoir pas su empêcher leur déroute, et les autres, d’avoir failli les priver de victoire. Retour sur un personnage qui en arrange, et qui en dérange.

Buisson, c’est d’abord l’homme qui arrange bien une droite vaincue, victime de ses propres incohérences, et trop contente de trouver, hors de ses rangs mais très visible, le bouc émissaire idéal, celui qui lui permettra, à moindres frais, de se défausser de ses responsabilités. Sans Buisson, en effet, elle aurait été contrainte de procéder à son autocritique, de se demander pourquoi elle s’est fait battre par un candidat dont elle soulignait naguère qu’il n’avait ni charisme, ni programme, ni crédibilité. Et pourquoi les Français ont à ce point manqué de gratitude à l’égard d’un Président qui a su faire plier Bush et Poutine, résister à la crise, résoudre le problème des retraites et sauver l’euro. Mais grâce à Buisson, tout ceci devient inutile, superflu : si l’UMP a perdu, ce n’est pas de sa faute à elle, c’est tout simplement parce qu’il l’a menée dans l’impasse. Pas la peine d’aller plus loin. La preuve ? B. le Maudit a la tête de l’emploi.

Buisson a eu beau montrer patte blanche, jurer ses grands dieux qu’il n’est ni raciste, ni antisémite, qu’il ne mange pas de petits enfants ni n’égorge de vieilles dames, le soir, entre chien et loup, et mettre au défi quiconque de prouver le contraire, il a eu beau travailler depuis des années pour le groupe TF1, faire les belles heures de LCI puis de La chaîne Histoire, publier chez de grands éditeurs des best-sellers érudits salués par la critique, et même recevoir des satisfecit à répétition de la diaspora trotskiste, de Michel Field à Cambadélis et Mélenchon[1. Qui alla jusqu’à assister à la cérémonie au cours de laquelle le président Sarkozy lui remit la Légion d’honneur.], bref, Buisson a eu beau exhiber tous les témoins de moralité du monde, il reste, pour ceux que cela arrange, le mouton noir idéal. « L’homme que vous adorez haïr », le Von Stroheim de la vie politique française, aussi chauve, impavide et effrayant que son modèle (on le soupçonne de porter le monocle en cachette !).

Car non content d’avoir été brièvement rédacteur en chef de l’hebdomadaire Minute il y a 25 ans, Patrick Buisson a l’audace d’être le fils d’un ingénieur maurrassien – sans même parler du fait que ce catholique a eu le front de se faire décorer de l’ordre de Saint Grégoire le Grand par le pape Benoît XVI en personne, dont nul n’ignore les liens avec la Hitlerjugend. Que dire de plus ? Un tel pedigree suffit à discréditer un homme, et à faire peser sur ses analyses, sur ses faits et gestes, et surtout, sur ses intentions cachées « les plus noirs soupçons », comme disaient les feuilletonistes du XIXe siècle. Il permet de le charger de tous les péchés de l’univers, et de lui faire porter sans remords le chapeau pour tous les autres.

D’autant que les autres, les éléphants de l’UMP, petits ou gros, lui en ont toujours voulu, du temps de sa gloire. Voulu, bien sûr, des marques d’estime que lui prodiguait alors le président : le 24 septembre 2007, en lui remettant la croix de la Légion d’honneur dans les salons privés de l’Élysée, Nicolas Sarkozy déclarait ainsi, devant un aréopage choisi : « Il y a très peu de personnes dont je puisse dire « si je suis là, c’est grâce à eux ». Patrick Buisson est de ceux-là. » On imagine sans peine les sourires crispés et la jalousie rentrée d’une bonne partie de l’assistance. Presque cinq ans plus tard, dans un entretien donné à l’hebdomadaire Valeurs actuelles, le président confirmait qu’il n’avait pas changé d’avis, déclarant de son conseiller qu’il était « aujourd’hui l’un des meilleurs connaisseurs de la société française, de sa complexité et de ses attentes ». « Sans toi, je n’étais pas au second tour », lui avoue-t-il encore le 22 avril.

Non content d’éclipser les éléphants, Patrick Buisson, affirme la rumeur, multipliait à leur encontre les rebuffades et les marques de dédain, refusant ostensiblement de frayer avec des ministres qui, à l’époque, auraient rêvé d’entrer en contact avec celui qui conseillait leur chef. Monstre de morgue et d’outrecuidance, Buisson jugeait apparemment avoir mieux à faire que de parler philosophie politique avec Xavier Bertrand, littérature du XVIIIème avec Frédéric Lefebvre ou stratégie constitutionnelle avec David Douillet: un genre d’affront qui ne se pardonne pas. Contraints de garder pour eux leurs rancœurs et leurs jalousies, les éléphants ont enfin la possibilité de se venger en piétinant le coupable. Ou en se permettant des épigrammes aussi relevées que celle de Patrick Devedjian, déclarant : « Dans la famille Buisson, je préfère Ferdinand » – ce qui, par delà la référence au fondateur de la Ligue des droits de l’homme, permet au passage de saluer le socialiste Vincent Peillon, qui vient de lui consacrer une biographie enthousiaste.

Si, à l’UMP, Patrick Buisson arrange beaucoup de monde, à gauche, il dérange – comme celui qui a failli coûter la victoire aux socialistes, et parce qu’il paraît l’un des mieux placés pour pouvoir, dans un futur indéterminé, leur faire perdre les élections.
Que la stratégie conçue par Buisson ait été sur le point d’empêcher l’élection de François Hollande, les chiffres en témoignent, Nicolas Sarkozy, crédité avant le premier tour de 42 à 43 % des intentions de vote, parvenant presque à rattraper son handicap, et n’étant finalement battu que d’une courte tête là où certains prédisaient un écrasement historique.

Or, que s’est-il passé de significatif pendant la brève campagne, puis entre les deux tours ? Une seule chose, la droitisation marquée du discours de Sarkozy, les références à la nation, au territoire, aux frontières, bref, la mise en œuvre de la « stratégie Buisson », particulièrement nette à la Concorde, à Toulon ou au Trocadéro, une stratégie qui a permis de rallier in extremis une part significative des voix qui s’étaient portées au premier tour sur la candidate du Front National. Une part significative, mais pas suffisante : c’est que, suivant ses (mauvaises) habitudes, le candidat Sarkozy n’a pas brillé par sa cohérence en conservant NKM comme porte-parole, en remettant en scène la si constante Rama Yade, ou en laissant ses lieutenants évoquer l’arrivée de François Bayrou à Matignon. Lorsqu’il ajouta qu’il s’apprêtait à renouer avec l’ouverture une fois réélu, ce sont deux points des intentions de vote qui le quittèrent aussitôt pour grossir les rangs potentiels du Front National. Un contrepoint qui a suffi à brouiller les perspectives, et à convaincre quelques centaines de milliers d’électeurs du second tour de voter blanc, plutôt que de se rallier à un candidat qui ne pouvait plus apparaître comme celui de toutes les droites. Buisson n’est donc pas responsable d’une défaite qui, pour l’essentiel, résulte de ce que ses conseils n’ont pas été suivis à la lettre, et de ce que l’on a tenté, par tous les moyens, de contrer sa stratégie. Voilà pourquoi la gauche, qui en est bien consciente, est elle aussi ravie de voir ostracisé celui qui a failli lui faire manquer le coche.

Mais si la gauche s’en réjouit aussi bruyamment, c’est surtout, comme elle le comprend parfaitement, parce que Buisson pourrait être, à l’avenir, le stratège en chef de sa future défaite. Il pourrait l’être en devenant l’inspirateur de la recomposition d’une droite qui renoncerait à ses complexes à l’égard de la pseudo « gauche morale », qui s’interrogeait sur ce qu’elle est et sur ce qu’elle veut, et qui se donnerait enfin les moyens de la reconquête. Mais ceci est une autre histoire…

Investiture : Hollande, juge de son pair

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Vincent Peillon est une sorte de M. Homais avec un physique de gendre idéal ! Il a parfois des phrases colériques, des mouvements de révolte sociale, alors il s’empourpre : on pourrait presque, dans ces moments intenses, le confondre avec une manière de Saint-Just pour musée Grévy[1. Jules Grévy (1807-1891), élu par deux fois président de la République.]. S’il soutient un peu son effort, ce philosophe pour stade terminal, on le prendra pour un révolutionnaire.

Bref, M. Peillon y est allé de ses commentaires, à la télévision (TF1), en compagnie de l’ineffable Jean-Pierre Jouyet, naguère encore secrétaire d’État d’« ouverture », sous Sarkozy. Ils ne l’appelleront plus François, c’est fini ! Ils diront M. le Président, car il ne leur appartient plus, sa charge l’isole définitivement. M. Peillon sera-t-il ministre de l’éducation nationale ? Sa famille l’espère secrètement, lui le croit, car « le changement, c’est maintenant » ! Jean-Michel Ribes, le grand résistant du rond-point des Champs-Élysées, trouve à François Hollande « un sourire d’enfant » et, précise-t-il, « quelqu’un qui a un sourire d’enfant trouvera un chemin ! ».

La très jolie Delphine Batho semblait aux anges : son avenir s’ouvre sous les meilleurs auspices. Rendra-t-elle prochainement, au profit d’une famille moins favorisée qu’elle, son appartement de 108 m2, appartenant à la ville de Paris ? Son loyer mensuel est de 1 524 euros par mois, soit plus de 37 % inférieur au tarif du secteur privé, selon la chambre régionale des comptes. Une jeune députée qui gagne 7 100 euros brut mensuels, augmentés de 6 412 euros brut de frais de représentation et de 9 138 euros destinés à la rémunération de ses collaborateurs, a les moyens de s’offrir un logement au moins ajusté au prix du m2 de la location parisienne !

M. Hollande a eu des propos de réconciliation nationale. Il a rendu un bel hommage à tous les présidents de la Ve république – Charles De Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac. À chacun d’eux, il a accordé, fort élégamment, une vertu dont a bénéficié la nation entière. Mais Nicolas Sarkozy ne fut gratifié d’aucune qualité ; il lui adressa de simples et froid voeux « pour la nouvelle vie qui s’ouvre à lui ». Eh bien, cette manière de congédier son immédiat prédécesseur fut d’une insigne mesquinerie ! M. Hollande n’est pas juge des hommes d’État, M. Hollande n’est pas l’Histoire. Il vient à peine d’y entrer, dans quel état en sortira-t-il ?