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Législatives : les cocotiers du Mont-Blanc

Le cocotier (Cocos nucifera) n’est pas une espèce d’arbre répandue en Haute-Savoie. Quelques palmiers, importés à grand frais, tentent de survivre aux rigueurs de l’hiver dans les résidences luxueuses de rentiers du pétrole des rives du lac d’Annecy, et c’est à peu près tout ce qu’on peut trouver par ici dans le genre. En revanche, le cocotier métaphorique (Cocos metaphorica) − celui que l’on secoue après avoir incité un vieillard improductif à y grimper − fait l’objet actuellement d’un engouement exceptionnel dans le petit monde politique s’activant entre Mont-Blanc et Léman. L’élection de François Hollande à l’Élysée sera ainsi l’occasion d’un petit jeu passablement cruel qui verra s’affronter les vieux caciques et les jeunes loups affamés.[access capability= »lire_inedits »]

Ici, l’élection présidentielle est loin d’être le scrutin majeur. La Haute-Savoie a été, est et restera majoritairement à droite, disputant au Bas-Rhin et aux Hauts-de-Seine la première marche sur le podium des départements ayant accordé le plus grand nombre de suffrages à Nicolas Sarkozy. Normalement, si l’on regarde les chiffres du premier tour, les six députés appelés à faire entendre la voix des alpages au Palais-Bourbon devraient être issus de l’UMP, pour autant que cette formation politique survive jusqu’aux élections législatives des 10 et 17 juin. De doctes mémoires de sciences politiques ont été écrits pour expliquer cet ancrage droitier du département : terre de Contre-Réforme, le poids du clergé y fut longtemps prédominant, tandis que les radicaux de la IIIe République, qui taillaient des croupières aux cléricaux entre les deux guerres, se sont déconsidérés pour cause de compromission des notables de ce parti avec le régime de Vichy.
La gauche, depuis l’avènement de la Ve République, n’a jamais dépassé le seuil de 35% des voix lors des scrutins nationaux, et ne constitue donc pas, en principe, un danger pour les sièges de députés ou de sénateurs dévolus au département.

Jusqu’au 6 mai, le patron incontesté de la droite départementale s’appelait Bernard Accoyer, 67 ans, vieux grognard du gaullisme, puis du chiraquisme, qui a trouvé dans sa giberne son bâton de maréchal : la présidence de l’Assemblée nationale. Une présidence qu’il exerça à la savoyarde : sans éclat ni paillettes, mais avec une efficacité reconnue sur tous les bancs, qui a maintenu un fonctionnement acceptable de l’institution parlementaire face à un exécutif qui lui en faisait voir de dures. Bernard Accoyer est peut-être le dernier homme politique de premier plan à pouvoir se targuer de n’être pas un professionnel de la profession. Entré tard en politique, à 44 ans, il a poursuivi très longtemps ses activités de chirurgien ORL avant de se consacrer exclusivement à ses mandats de maire d’Annecy-le-Vieux et de député de la 1ère circonscription de la Haute-Savoie. Il avait établi son hégémonie, au début des années 1990, en s’imposant face au centriste Bernard Bosson, maire d’Annecy, plusieurs fois ministre, mais victime de la lente érosion de l’influence démocrate-chrétienne dans le département. Il bénéficie du soutien d’une cohorte imposante de notables de sa génération, députés, sénateurs, maires de villes moyennes, conseillers généraux inamovibles.

Cependant, depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, on a pu observer que deux députés UMP, Lionel Tardy (45 ans) et Martial Saddier (42 ans) ne se contentaient pas de prospérer à l’ombre du parrain Accoyer. Le premier, tombeur de Bernard Bosson lors des législatives de 2007, mais ne disposant d’aucun mandat local, ne conteste pas frontalement l’autorité du président de l’Assemblée nationale. Mais il s’est rapidement acquis une notoriété au-delà du département comme twitteur compulsif (il fut le premier à twitter en direct des commissions parlementaires à huis clos) et comme l’un des rares élus de droite à s’opposer à la loi Hadopi. Ce « geek » annécien se verrait bien ministre des nouvelles technologies lorsque le sort des urnes redeviendra favorable à la droite à l’échelle nationale.

En revanche, Martial Saddier, député-maire de Bonneville, ne cache pas son ambition de devenir calife à la place du calife. Il ne manque pas une occasion de marquer publiquement sa différence avec Bernard Accoyer. Il se permit même, à l’issue des élections régionales de 2009, dont le résultat fut assez piteux pour la droite départementale, de faire porter la responsabilité de cet échec à ce dernier, en des termes à peine polis. On ne peut pas dire que la défaite de Nicolas Sarkozy chagrine Saddier outre mesure : elle ne met aucunement en danger sa réélection à l’Assemblée, car même un âne pourvu d’une étiquette de droite serait élu dans sa circonscription. Cette défaite présente pour lui l’avantage de ramener Bernard Accoyer à la base. Au cas, fort probable, où une victoire électorale de la gauche viendrait confirmer le résultat de la présidentielle, ce dernier redescendrait de son perchoir pour regagner les bancs moins moelleux des députés de l’opposition. Depuis plusieurs années, avec l’obstination de l’ambitieux dont le principal talent consiste à tisser des réseaux d’influence, Saddier s’attache à miner l’autorité du « parrain », sachant que le temps, son meilleur allié, travaille pour lui. Il n’a pas digéré l’humiliation que lui a fait subir Accoyer en faisant sauter un préfet qui s’était montré un peu trop favorable à son projet d’extension de sa communauté de communes à des municipalités (dont la mienne) qui ne le souhaitaient nullement. Martial Saddier est tout à fait représentatif de cette nouvelle génération de notables locaux de droite dont la progression vers les sommets du pouvoir n’est pas ralentie par un bagage idéologique trop lourd. Leurs références aux grands ancêtres relèvent plus du rituel obligé pour faire voter les vieux que d’une solide culture historique et politique. Auraient-ils vu le jour dans un terroir fermement ancré à gauche qu’ils n’auraient sans doute pas hésité à tracer leur route dans la jungle du PS[1. On n’aura aucun mal à trouver, dans les bastions socialistes, des ambitieux de la même farine.]. Et ils n’ont pas besoin de loucher du côté du FN, qui réalise pourtant des scores supérieurs à la moyenne nationale dans la vallée industrielle de l’Arve, pour conserver leurs mandats.

Mais si leur maintien en place dépendait d’un accord avec les amis de Marine Le Pen, ils n’auraient aucun état d’âme : leurs aînés leur ont montré la voie en 1999, en soutenant Charles Millon, qui conquit la présidence de la région Rhône-Alpes grâce au soutien des lepénistes. C’est dans ce contexte que l’on a vu surgir des candidats UMP dissidents dans trois des six circonscriptions de la Haute-Savoie. Dans deux d’entre elles, Thonon et Annemasse, ils visent directement les amis de Bernard Accoyer, le député sortant Marc Francina, maire d’Évian, dans la première, et une nouvelle candidate, Virginie Müller, à Annemasse, désignée par le parti par succéder à Claude Birraux (huit mandats au compteur), dont elle fut l’attachée parlementaire. Quant à la 6e circonscription, celle du Mont-Blanc, nouvellement créée, c’est la foire d’empoigne générale. L’UMP nationale a investi Sophie Dion, conseillère de Nicolas Sarkozy pour les sports, pour représenter ce terroir qui va de Chamonix au bassin clusien. Ce parachutage a fortement déplu aux notables locaux qui se bousculent pour avoir l’honneur et le privilège de faire mordre la poussière à l’arrogante parisienne, pourtant native de Morzine. Par ordre d’entrée en scène, on a vu arriver dans l’arène Jean-Marc Peillex, maire et conseiller général de Saint-Gervais, doté de l’étiquette radicale tendance Borloo, Philippe Deparis, animateur de l’émission culte « La Place du village » sur la chaîne régionale TV8 Mont-Blanc, connu dans le coin comme le loup de la même couleur, qui se déclare démocrate-chrétien, le jeune maire de Marnaz Loïc Hervé, encarté au Nouveau Centre, qui ne céderait sa place sous aucun prétexte. Enfin, le conseiller général, maire de Sallanches (deuxième ville de la circonscription), Georges Morand, proche de l’UMP, s’est dit que, ma foi, il n’avait aucune raison de ne pas y aller, d’autant plus que son ami Martial Saddier a aimablement autorisé son attachée parlementaire à lui servir de suppléante. Si ce casting demeure en l’état après le 16 mai, date limite de dépôt des candidatures, la situation peut devenir cocasse. Privée de son protecteur élyséen, Sophie Dion aura bien du mal à faire rentrer dans le rang ceux qui estiment avoir beaucoup à gagner et peu à perdre en cas d’échec. Cette dispersion aurait alors pour conséquence de provoquer, au deuxième tour, un duel entre la radicale de gauche Marie-France Marcos et le FN Dominique Martin, responsable national aux élections auprès de Marine Le Pen. Les appels pathétiques réitérés à l’union de la droite pour les législatives de juin, lancés par les dirigeants de l’UMP dès dimanche 6 mai au soir, n’étaient donc pas de la rhétorique convenue : quand le prof a quitté la chaire, le souk se déchaîne dans la classe. Et pas seulement en Haute-Savoie.[/access]

Plus vite, chauffeur ! Les excès de Hollande

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De même que j’avais été hérissé par l’antisarkozysme primaire de rigueur chez les bonnes âmes sous le quinquennat précédent, je suis passablement agacé par le monceau de bêtises déversées sur le nouveau locataire de l’Elysée.

Une différence, toutefois : si j’ai combattu l’antisarkozyme gogoloïde, je n’ai jamais trouvé l’Ex plus défendable pour cela. Banale question de mauvais feeling en dernier ressort. Un jugement qu’on pourra trouver injuste, but who cares? Je ne demande à personne de le partager et je cherche encore moins à convaincre de la justesse de mes propos des gens que je ne connais pas : je ne suis pas candidat aux prochaines législatives, Dieu merci.

Tout ça pour dire que plus je lis des méchancetés sur lui, plus je trouve Hollande sympathique. Depuis le 6 mai, on a eu droit, de mémoire, aux gesticulations sur le provincialisme du discours de Tulle, sur la ringarditude de l’accordéon, sur la floraison de drapeaux allogènes à la Bastille (qui m’a peiné aussi, mais c’est pas lui qui les y a plantés, non ?), sur sa manche droite qui dépasse à Camp David, sur sa volonté persistante à vouloir serrer des mains partout où il passe, etc. On évoquera aussi la campagne lourdingue des Guignols, qui depuis un mois filent le même gag éculé, celui d’un président consort téléguidé et tenu en laisse par Valérie Trierweiler. En revanche, on n’évoquera pas les interprétations surex de la photo officielle, j’ai bien trop peur de faire taper par Isabelle, à qui je rends bien trente centimètres. Tout ça pour dire que l’abonné au Figaro ou le surfeur d’Atlantico croit aussi dur que Jean-Luc Mélenchon à la fable du capitaine de pédalo.

Dernière cabalette en date, les frémissements d’horreur poussés çà et là, y compris à ma gauche, après que la voiture présidentielle a été mesurée à 160 km/h sur l’autoroute de Normandie. Assurément une affaire d’état, quelque part entre le krach du Crédit Lyonnais et le supposé Karachigate. Rendez-vous compte, on tient la preuve que le président normal ne l’est même pas, nanananère. Sauf qu’on a vu mieux comme smoking gun, bande d’ânes. D’où par où[1. Pour ceux qui ne parleraient pas couramment le franco-égyptien, l’expression « d’où par où » signifie « mais pour quelle raison » en beaucoup plus excité.] un homme normal ne fait-il que des choses normales ?

L’homme normal, le vrai, c’est l’homme qui regarde parfois avec concupiscence l’arrière-train rebondi d’une inconnue dans le métro, oublie à l’occasion de se laver les mains après la petite commission, fait croire à madame qu’il a du rab de taf ce soir, alors qu’il casanisse avec ses potes, et dépasse à l’occasion les 130 à l’heure sur l’autoroute. La femme normale fait à peu près le même genre de trucs, sauf qu’en plus elle fait croire à son mari que le pot qui traine sur l’étagère du lavabo de Crème Cellulaire Platine Rare pour le contour des yeux de chez la Prairie ne lui a pas coûté plus d’une quinzaine d’euros, ce à quoi le mari normal répondra hypocritement « Quand même, quinze euros, c’est pas donné pour vingt millilitres», parce qu’il sait que la paix conjugale n’a pas de prix…

Bref, ce dépassement de vitesse prouve que notre président est normal de chez normal, point barre. Il prouve aussi, de façon ne peut moins scientifique, que le sentiment partagé par l’excellent Franz-Olivier Giesbert, Basile de Koch et moi-même est indubitablement vrai : il y a du Pompidou chez ce Hollande-là. Se souvient-on que le plus finaud de nos chefs de l’Etat était totalement hostile aux limitations de vitesse ? Lui-même roulait volontiers en Porsche 356, comme le rappelait en 2004 Madame Pompidou au Figaro : « Mon mari aimait conduire vite. Cela faisait partie de la modernité. La Porsche, il s’en est peu servi finalement car il est devenu Premier ministre alors que la livraison se faisait attendre plusieurs mois. Il m’en a fait cadeau, ce qui explique que la carte grise soit à mon nom. Il adorait tellement conduire et moi aussi que nous avions passé un accord pour aller à Cajarc. Il faisait la moitié de la route et moi l’autre moitié. Et on se préoccupait peu de l’officier de sécurité qui était dans la voiture suiveuse. Il avait la plus grande peine à ne pas se laisser distancer. Évidemment, cela paraît impensable aujourd’hui »

On notera que le Premier ministre sort clope au bec de sa Porsche, ce qui avait le don d'exaspérer le Général

Toujours au rayon des analogies Pompidou/Hollande, on notera la Massif Central attitude un rien populiste, le goût des bonnes choses contrarié par une prédisposition à l’embonpoint, le talent pour la litote qui tue, sans oublier un certain tropisme autour des chevelures féminines soigneusement mises en plis…

Bref, Pompidou revient et on est très content.

Les mauvais choix afghans du président

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Il y a deux semaines, François Hollande se rendait en Afghanistan. En tant que chef des armées, le président de la République a tout à fait le droit, sinon le devoir, de se rendre sur le terrain des opérations auprès de nos troupes, sans être accusé de faire campagne pour un parti. Mais en pleine campagne législative, ce déplacement reste lié à l’une de ses promesses de candidat : le retrait de toutes les troupes françaises d’Afghanistan. Cet engagement est l’un de ceux qui devaient marquer la rupture avec le sarkozysme, critiqué pour son atlantisme et son supposé alignement sur la politique étrangère américaine. Or, dans ce domaine on ne peut plus régalien, François Hollande s’est, une fois de plus, fait le chantre de l’ambiguïté. Ainsi aux troupes françaises déployées en Afghanistan et aux électeurs français, le Président-qui-n’est-pas-le-chef-de-la-majorité a annoncé qu’avant la fin de l’année, les « forces combattantes » auront quitté le sol afghan. Afin d’éviter un reniement trop rapide et flagrant de sa promesse électorale, François Hollande a mis en avant un nouveau concept, celui de retrait des « forces combattantes ». La logique du discours de Hollande est simple. Peu importe la formulation exacte de ses déclarations pendant la campagne, ce que les électeurs ont entendu est clair : plus aucun français ne sera envoyé en Afghanistan pour rentrer chez lui dans un cercueil. Puis tout d’un coup, on parle de « combattants » ! Ainsi, les militaires qui se battent contre les Talibans rentreront dans leurs casernes mais tous les accompagnateurs et instructeurs qui aident les forces et le gouvernement afghans, en uniforme ou en civil, continueront leur mission.

Que c’est beau « l’aide au développement » ! Le seul petit bémol à cette idylle est le fait que depuis quelques mois – depuis que la fin de la guerre et la victoire des Talibans ne font plus mystère – ce sont justement ces instructeurs et autres consultants[1. Notamment en matière d’enseignement militaire, de gouvernance et de police.] qui sont pris pour cible par des Afghans soucieux de se construire un « alibi » anti-occidental en vue de l’après retraite américaine.
Les deux attaques contre les forces françaises des 29 décembre 2011 et 20 janvier 2012 ont coûté la vie à sept de nos soldats et ont été perpétrées par des membres de l’Armée nationale afghane, auxquels la France avait ouvert les portes de ses camps pour les former. Dans les deux cas, les soldats n’étaient pas en posture combattante. Contrairement à un passé récent, le danger vient donc aujourd’hui des hommes que l’on accompagne, que l’on encadre et que l’on forme pacifiquement.

Sans doute celui qui faisait croire qu’il allait imposer un nouveau rapport de force à Angela Merkel et annoncer à ses alliés un changement dans l’engagement militaire français en Afghanistan a découvert l’écart entre l’omnipotence de la parole et les contraintes du réel. N’empêche, ses derniers gestes diplomatiques démontrent que seul compte le message adressé à sa base électorale. Elle qui voit dans l’action extérieure de la France autant de missions inutiles que de pertes superflues.

Ce tour de passe-passe qui confine à la politique-spectacle, si vivement critiquée au cours de la présidence précédente, est symptomatique du double langage de Hollande. Sa méthode consiste à envoyer des messages ambigus de façon à ne jamais dire la vérité sans pour autant mentir formellement. Tiraillé entre une opinion publique hostile au conflit afghan et les engagements de la France vis-à-vis de ses alliés, Hollande a choisi une des « synthèses » dont il a le secret depuis ses années à Solferino. En n’ayant jamais montré qu’un visage lisse, sans clarifier aucune de ses positions, il ne peut être pris en défaut que par ceux qui ne lui ont pas accordé leur confiance. C’est une arme politique redoutable que ce style présidentiel… jusqu’au moment où, à force d’essayer de contenter les uns et les autres, Hollande finira par décevoir tout le monde.

Cécilia, le retour

Au lendemain de l’élection présidentielle, Le Monde affichait en « une » la photo du nouveau président au côté de sa compagne, comme si les Français avaient voté pour le ticket Hollande-Trierweiler. Il est vrai que l’intéressée ne dit pas non : à en croire ses premières déclarations, notre première dame semble penser qu’elle a, autant que son « compagnon », été adoubée par le peuple souverain.[access capability= »lire_inedits »]

Dans le portrait élogieux brossé par son amie et consœur, Anne Fulda, aussi bien que dans les colonnes de Match ou du Time, elle dévoile sans ambages sa volonté « d’inventer la fonction et peut-être une autre expression que celle de « première dame » » − le concours est ouvert, chers lecteurs. Certes, elle veut bien « représenter l’image de la France, faire des sourires nécessaires, être bien habillée » (trop cool !), mais attention, « il ne faudra pas que ça s’arrête à cela ». Bref, pas question de jouer les « potiches ». Première dame, c’est trop ringard pour une femme moderne, trop étriqué pour une femme libre, trop plan-plan pour une femme d’action.

Et pourtant, qu’elle le veuille ou non, potiche, elle le sera forcément un peu parce que, sans vouloir offenser personne, c’est quand même une partie du job. Désolée, mais ce n’est pas moi qui vais inaugurer l’arbre de Noël à l’Élysée ou faire la causette avec les autres potiches à Buckingham ou Camp David.

Mais reprenons son propos. On suppose que, malgré son amour pour le plus beau métier du monde, elle n’osera pas reprendre ses activités de journaliste en jouant l’air « Lui c’est lui, moi c’est moi » − dans le style, elle serait plutôt « Lui c’est lui, moi c’est lui »… Passons. En dehors de l’incongruité qu’il y a à vouloir dépoussiérer une fonction qui n’existe pas, ce qui frappe, c’est son aspiration à la politiser. Lorsqu’elle a viré Julien Dray, qui était pourtant invité, du QG de campagne où se déroulait la mue du candidat en président, toute la France, sans distinction d’opinion, a pensé : « De quoi j’me mêle ? » L’empressement avec lequel elle a revendiqué cette action héroïque laisse penser que Valérie Trierweiler ne sera pas une femme de l’ombre. Son comportement rappelle furieusement celui de Cécilia black-listant celui-ci et pistonnant celle-là. À ceci près que, pour des raisons qui ne nous regardent pas, cet interventionnisme se déploya surtout avant l’élection de 2007.

La présidente fait le ménage, donc. Julien Dray n’aura pas eu le temps de demander pardon pour sa légèreté : dehors ! On se demande si notre First Lady a barré de la liste les noms des ministres putatifs qui avaient eu le malheur de lui déplaire. Ou si elle s’envolera prochainement pour Mexico afin d’arracher Florence Cassez à sa prison. On imagine qu’en ce cas, Benoît Hamon, qui avait été ulcéré par l’intervention de Cécilia dans le dossier des infirmières bulgares, ne mâcherait pas ses mots. Quant à Arnaud Montebourg, recyclerait-il son aimable formule de 2007 en s’exclamant : « Le problème de Hollande, c’est sa compagne… » ?[1. Le 18 janvier 2007, au « Grand Journal » de Canal+, Arnaud Montebourg, alors porte-parole de Ségolène Royal (alors compagne de François Hollande), avait lancé cette phrase à son propos : « Son principal défaut, c’est son compagnon. »]. Bien sûr, rien de tel ne se produirait, puisque le changement a eu lieu et que tout ce qui était condamnable en Sarkozie deviendra admirable en Hollandie. En tout cas, notre nouveau président est peut-être vraiment normal : un homme qui a peur de sa femme. Ou qui la laisse parler pour avoir la paix.[/access]

Super-Docteur-Mario et les matches truqués

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Depuis quelques jours, l’Italie vit un nouveau scandale qui touche la première religion du pays : le football. Trente ans après le Totonero, sept ans après le Calciopoli, c’est encore une histoire de matches truqués sur fonds de paris sportifs qui touche un pays qui a pourtant d’autres chats à fouetter, au point d’avoir changé de gouvernement sans passer par la case « élections ».

C’est d’ailleurs le gouvernement transalpin, par la voix de son chef, le joyeux drille Mario Monti, qui a décidé de frapper un grand coup en menaçant les Italiens d’une calamité qu’ils n’auraient jusque-là jamais imaginée : l’arrêt pendant deux ou trois années de leur championnat de football professionnel. Autant priver les Belges de bière, les Français de blanquette de veau et les Anglais de Sa gracieuse Majesté. Ce coup de semonce a en tout cas traumatisé tous les tifosi qui se demandent si Monti envoie cette menace en l’air ou s’il est aussi sérieux qu’en matière de coupes budgétaires. Bien joué, Super-Mario, me diront peut-être certains d’entre vous, s’appuyant sur l’exemple anglais de l’après-Heysel, lorsque les clubs d’outre-Manche furent boutés hors des compétitions européennes, ce qui eut pour résultat sinon d’éradiquer, du moins de limiter très sérieusement le hooliganisme dans le foot pro britannique. Les Anglais furent ainsi les premiers à installer des caméras dans les stades, à engager des physionomistes – comme dans nos casinos – pour repérer les spectateurs connus des services, à pratiquer des interdictions de stade etc… Hélas, c’est surtout la politique tarifaire qui a abouti à un changement total de la sociologie des stades anglais. Car si les hooligans sont souvent pauvres, tous les pauvres ne sont pas hooligans et n’ont plus les moyens de se payer des places.

Comme au Royaume-Uni, Monti voudrait appliquer un traitement de choc en supprimant les compétitions professionnelles de foot pour tout remettre à plat et redémarrer le championnat italien sur des bases saines. L’homme apprécie visiblement les remèdes de cheval.

Le problème, c’est que le docteur en question, qui se fait passer pour un homme raisonnable dans le domaine des finances publiques comme de la purification du foot, n’est pas pour rien dans le trucage des matches. L’Italie possédait en effet il y a une dizaine d’années l’une des réglementations les plus sévères en terme de paris sportifs. Le précédent du Totonero ayant échaudé le pays, l’Etat tentait de sérieusement limiter l’accès aux paris. Or, la directive européenne « Information society services » s’est imposée à l’ensemble des pays de l’UE, les obligeant à libéraliser le secteur des paris sportifs. Par ce biais, le monopole de la Française des Jeux a volé en éclats en France, pays qui y résistait depuis des années. Alors que l’Etat pouvait contrôler les paris sportifs de très près, ce n’est plus le cas aujourd’hui, ni en Italie, ni en France.

Désormais, en Europe, on parie non seulement sur le résultat des matches, mais aussi le nombre de buts, le nom des buteurs et sur bien d’autres faits de match. Dès lors, l’incitation à approcher joueurs et arbitres pour truquer les matches et se faire de l’argent facilement se démultiplie. Au fait, qui bossait à la Commission européenne et fut successivement chargé du marché intérieur puis de la concurrence au moment où cette directive était mise en place ?

Je crois que vous avez trouvé.

 
*Photo : Forum PA

Un Depardon sans contrefaçon

Comme Jacques Chirac, François Hollande a choisi le décor champêtre et non la bibliothèque élyséenne comme cadre de sa photo officielle. Il faut reconnaître que se faire tirer le portrait en tenue d’apparat avec les blasons et tout le tralala républicain dans un lieu qui incarne l’héritage et l’inscription dans une histoire, la filiation avec une tradition, l’attachement à un passé commun, qui ont forgé une nation et un peuple, aurait fait tache pour le président de la « normal attitude ». À la verticalité historique s’oppose donc l’horizontalité de la pelouse du jardin. C’est plus rassurant !

Et comme normal veut dire comme tout le monde, donc comme personne, c’est Depardon, notre photographe de la France sans les Français qui a été choisi pour prendre la photo qui sera accrochée pendant les cinq prochaines années dans toutes les mairies et commissariats de notre pays.

« J’ai pris son visage comme un paysage » explique, sans l’ombre d’un sourire, le photographe absolument convaincu de la réussite de son cliché qualifié pour sa géniale qualité de « Fragonard ». Le tout sans une once de flagornerie bien entendu ! L’appel du visage, si cher à Levinas, est étouffé pour faire entendre la voix de la Nature amorale et apolitique. Le paradoxe est à son comble. Déshumaniser Hollande en le naturalisant et qualifier sa photo en empruntant le nom d’un portraitiste flamboyant, ça frise franchement le ridicule.

Mais finalement, bouder si fort ce lieu qui nous personnalise, nous particularise, nous différencie, qui fait de nous des être humains et non pas une simple masse de chair, ostraciser ce visage pour en faire un paysage, s’accorde bien avec l’amour de l’uniformité, valeur sacrée de la gauche qui, dans l’individualité, voit toujours l’œil du mal.

Photo officielle : mais où est donc passé le drapeau européen ?

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On pourra penser ce qu’on veut de la valeur artistique de la photo officielle du nouveau président. Perso j’aime bien. En fait, après une sensation assez mitigée au départ, plus je la regarde, plus je la trouve artistiquement valable et techniquement impeccable.

Je ne pense pourtant pas que Depardon soit, comme je l’ai lu çà et là, un immense photographe. C’est plutôt un photographe immensément connu, et de gauche pur sucre, et passablement gavant à l’antenne. Cela dit, pour sans génie qu’il soit, Depardon n’est pas une insulte au genre humain comme Bettina Rheims, choisie par Chirac pour le même exercice.

Mais point n’est nécessaire d’être bon photographe pour faire une bonne photo, et même les dieux du cadre et de la lumière se vautrent parfois dans les grandes largeurs. Quant aux artistes moyens, tel Raymond, ils ne sont pas abonnés à vie aux clichés mainstream : celui du président, par sa focale fabuleuse, par son faux-flottement millimétré, est à mes yeux une bien belle solution pour un exercice redoutable.

Mais assez parlé photo, les filles. Parlons plutôt politique, et parlons carrément de changement maintenant. Vous souvenez-vous de la photo officielle de Nicolas Sarkozy ? Réalisée dans la bibliothèque de l’Elysée par Philippe Warrin. L’ancien président y apparaissait debout, attitude solennelle, auprès d’un drapeau français auquel Cécilia -dit-on- avait fait adjoindre à part égale un drapeau européen. De fait, on ne voyait que cette tache bleue et or sur la photo. Merci et bravo.

Certes, cette bannière de cabris, on la retrouve sur la photo officielle de François Hollande, mais le drapeau des eurocrates y est relégué dans la brume au fin fond de l’image, genre « comme je ne peux pas l’enlever, je le remets à sa vraie place ». On pourra m’objecter que le drapeau tricolore est lui aussi flou. Mais bon, le Président de la République française n’a pas besoin de hisser les trois couleurs pour prouver qu’il n’est pas la Reine du Danemark. D’ailleurs, du Général à Mitterrand, nos présidents n’avaient pas cru bon de préciser quelle était leur nationalité.

Tout ça pour dire qu’aujourd’hui le drapeau bleu ne flotte plus sur la République. Tout ça pour dire : merci Monsieur le Président !
 
*Photo : @DR

Quand Placé veut faire de la place au PCF

Les écologistes d’EELV, ils osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. On a déjà parlé ici de l’anticommunisme rabique de Cohn-Bendit qui préfère s’acharner sur la gauche de la gauche grecque en passe d’arriver en tête aux élections du 17 juin plutôt que sur les néo-nazis du parti Aube dorée qui ont tout de même fait entrer vingt députés au parlement hellène. Cet anticommunisme provient des Verts qui, au contraire de Martine Billard, n’ont pas rejoint le PG de Mélenchon. Ils peuvent d’ailleurs très vite l’oublier dès qu’il s’agit pour eux de devenir le seul partenaire du PS. Y compris en jouant un coup de billard à trois bandes.

Celui qui tient la queue, ce coup-ci, c’est l’étonnant monsieur Placé, président du groupe EELV du Sénat. On avait mesuré naguère ses qualités machiavéliennes à la vice-présidence du conseil régional d’Île-de-France, imposant en douceur des accords léonins au président socialiste, accords sans le moindre rapport avec le poids électoral réel de son parti. Placé réédita cet exploit en obtenant un groupe au Sénat et, surtout, une soixantaine de circonscriptions dont vingt gagnables pour les législatives sans que le score calamiteux d’Eva Joly à la présidentielle ne remette en cause quoi que ce soit[1. Constat que l’on peut devant le nombre de dissidents socialistes qui se présentent contre les candidats EELV désignés pour représenter la majorité présidentielle.].

Jean-Vincent Placé a encore réussi à surprendre son petit monde en déclarant hier matin à RTL : « Je trouve que François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont fait un bon gouvernement, équilibré, paritaire, sérieux et compétent. Il ne faut pas trop remanier à mon sens. Le seul remaniement qui me paraît politiquement intéressant, c’est l’entrée du Parti Communiste Français au gouvernement.»
« Timeo Danaos et dona ferentes » : je crains les Grecs, même quand ils font des cadeaux, dit le vieux proverbe latin. Il faudrait être bien naïf pour croire que Jean-Vincent Placé, dans un grand élan unanimiste, voudrait voir revivre la gauche plurielle façon Jospin.
Pour commencer, il prend ses désirs pour des réalités. Il est en effet hors de question pour le PCF, malgré d’insistantes rumeurs, de participer à quelque gouvernement socialiste que ce soit tant que ce dernier se contentera de critiquer la crise en cours en tentant ici et là d’arrondir les angles trop aigus de la souffrance sociale.

Surtout, Jean-Vincent Placé feint d’oublier l’existence du Front de Gauche. Depuis 2008, le Front de Gauche, constitué du PG de Mélenchon, du PCF de Pierre Laurent et d’autres petites formations antilibérales, est devenu une force politique dont les scores aux Européennes de 2009, aux Régionales de 2010, aux Cantonales de 2011 et quoiqu’on en dise aux Présidentielles de 2012, ont surpris les observateurs et marqué l’émergence d’un courant nouveau.
Ce que cherche Jean-François Placé, en caressant dans le sens du poil la vénérable maison de la place du Colonel-Fabien, c’est à casser la dynamique unitaire du Front de Gauche. Ce n’est pas forcément un calcul idiot, au demeurant. Il y a entre le PG de Mélenchon et le PCF de Pierre Laurent la possibilité d’enfoncer des coins. En jouant par exemple sur quelques divergences, notamment à propos de l’énergie, le PCF restant globalement partisan du nucléaire quand le PG souhaite en sortir le plus vite possible. Dans ce cas, pourquoi Placé ne propose-t-il pas au PG d’entrer au gouvernement puisqu’il aurait ainsi un autre partenaire en accord avec lui ? Et pourquoi proposer au PCF, dont la culture est encore largement productiviste, quelques maroquins ?

Tout simplement parce que le PCF bénéficie d’une véritable implantation électorale au niveau national, qu’il peut faire élire suffisamment de députés sans l’aide de qui que ce soit et qu’il formera l’essentiel d’un éventuel groupe Front de Gauche à l’Assemblée Nationale.
Et Jean-François Placé ne veut pas de ce groupe Front de Gauche. Il ne veut pas voir apparaître à l’Assemblée une force de gauche autonome franchement hostile au social-libéralisme. Il ne souhaite pas qu’à l’instar de Syriza en Grèce, cette force dirigée par Mélenchon[2. Qui sera probablement élu député.] finisse par apparaître comme un recours quand le gouvernement Ayrault sera englué dans une logique austéritaire. Il mise donc sur ce qu’il croit être les intérêts purement électoraux du PCF, lequel a scellé des accords de gestion avec le PS dans nombre de collectivités locales. Placé sait que le PCF risque de perdre les avantages de ces accords s’il persiste à jouer une politique du grand large.

Jean-Vincent Placé oublie juste une chose : c’est que le PCF, autant par cœur que par raison, a une fois pour toutes décidé que son avenir, à long terme, passait par le rassemblement de toutes les sensibilités anticapitalistes. Pour le Parti communiste, il n’y a aucun avenir à monter sur un bateau qui prend l’eau quand on est le navire amiral d’une autre politique qui s’imposera par la force des choses, un jour ou l’autre.
 
*Photo : Parti socialiste

La lâcheté, une valeur partagée

Elles sont belles mes valeurs, elles sont fraîches ! On croit généralement qu’une campagne électorale est l’occasion d’une confrontation entre programmes, le moment où les principales forces politiques tentent de convaincre les citoyens que leurs solutions seront plus efficaces que celles des autres. Cette conception pragmatique de la politique n’est pas très glamour, pour ne pas dire ennuyeuse à périr. Certes, pas mal de peuples s’en contentent, mais, sans vouloir offenser personne, ce genre « démocratie apaisée » est un peu trop normal pour nous. Or, si nous avons élu le seul candidat qui se prétendait « normal », c’est que justement, pour un Français, cette normalité supposée est extraordinaire. Après tout, nous n’avons pas inventé les droits de l’homme et coupé la tête à notre roi pour nous empailler à coups de calculette sur la meilleure façon de réduire le découvert national.[access capability= »lire_inedits »] Il est déjà assez humiliant de ne pas pouvoir régler la question en battant monnaie ou en lançant quelque expédition lointaine permettant de remplir les caisses du royaume sous couvert d’aller civiliser les « races inférieures », comme disait Jules Ferry − que le nouveau président de la République a tenu à honorer avant d’effacer le mot « race » de la Constitution. Logique cartésienne sans doute.

La France, cela fait partie de ses charmes, a besoin de sa dose de bruit et de fureur. Nous aimons que la politique soit la poursuite de la guerre par d’autres moyens. Il faut cependant beaucoup d’imagination pour faire de la querelle entre défenseurs de la TVA sociale et partisans d’une hausse des impôts un nouvel épisode de l’éternel combat entre l’ombre et la lumière. Il est vrai que depuis quelques décennies, la question européenne a permis de reconduire l’affrontement entre républicains et monarchistes ou, au choix, entre résistants et collabos. L’ennui, c’est qu’elle ne permet pas de jouer camp contre camp − rappelons qu’il y a sept ans, les deux finalistes de la présidentielle 2012 défendaient ensemble, à la « une » de Match, la même version de l’avenir radieux contre les obscurantistes de droite et de gauche.
Pour pouvoir jouer à la guerre civile − et par là-même éviter que l’électeur/téléspectateur décroche −, nous avons donc inventé un truc épatant qui consiste à faire passer toute élection pour un choc des valeurs. De ce point de vue, la dernière a été particulièrement réussie, grâce à une gauche qui a réussi à imposer l’idée que Nicolas Sarkozy était un descendant de Belzébuth. Ce fut donc « valeurs contre valeurs ». Les journalistes adorent.

Certaines de ces valeurs transcendent néanmoins l’opposition entre le Bien et le Mal. L’épisode de l’anniversaire de Julien Dray supposément gâché par la présence de Dominique Strauss-Kahn permet d’en recenser quelques-unes, droite et gauche ayant rivalisé dans l’indignation vertueuse. Tout d’abord, pas une seule voix ne s’est élevée pour s’étonner qu’un journaliste transforme une réunion privée en affaire publique. En effet, c’est un confrère et copain du Point, Saïd Mahrane, qui, ayant entendu parler de la fête, s’y est pointé sans être invité, avant d’informer le bon peuple que DSK et quelques membres de la garde rapprochée du candidat Hollande étaient invités aux mêmes agapes. Vie privée, connais pas ! Trouverait-on normal que je raconte dans un article que j’ai rencontré, sortant d’un bar du Marais peu propice aux rencontres féminines, tel ou tel homme public posant volontiers avec femme, enfants et chien ?

Nul ne s’est non plus offusqué que les anciens amis ou camarades de DSK aient participé à la curée ; la droite leur a, au contraire, reproché de ne pas avoir pas fait preuve d’un zèle suffisant dans la condamnation du pécheur. Bien sûr, on n’est pas obligé d’approuver tous les agissements de ses amis. On a cependant du mal à croire que Pierre Moscovici ait découvert en mai 2011 le comportement « inopportun » de son ex-champion. L’opportunisme consistant à flatter un homme quand il est puissant et à se détourner de lui quand il est à terre fait donc également partie de la panoplie des valeurs partagées. Ainsi Ségolène Royal s’est-elle abondamment vantée d’être partie sans avoir croisé DSK − peut-être pense-t-elle que les « mauvaises mœurs » sont contagieuses. Et elle a juré que jamais elle n’accepterait de le rencontrer. Pour la bonne cause, évidemment, en l’occurrence la « dignité des femmes », sympathique refrain entonné à l’unisson par Nathalie Kosciusko-Morizet et Nadine Morano, réconciliées pour l’occasion. Notons que Nicolas Sarkozy et François Hollande ont brillamment tenu leur rang dans ce concours d’inélégance.

DSK est un homme brisé qui n’exerce pas la moindre responsabilité publique. Il faut rappeler qu’il n’a pas été condamné. Cela ne fait pas de lui un saint, mais l’arrêt brutal de sa carrière et l’étalage dans la presse de sa vie intime constituent peut-être une peine suffisante. Eh bien non ! Il faut de surcroît qu’il soit un pestiféré. Le tribunal des vierges outragées l’a condamné (sans procès) à la mort sociale, lui interdisant même de boire un coup avec ses « copains ». À droite comme à gauche, on ne transige pas avec le refus du pardon et l’absence totale de compassion. Quant à moi, je n’irais pas faire la guerre avec ces grands humanistes dépourvus de la plus simple humanité. Comme disait l’autre, nous n’avons pas les mêmes valeurs.[/access]

L’irrésistible poussée à gauche des Français de l’étranger

J’ai déjà expliqué en quoi l’élection des députés représentants des Français de l’Etranger était une incongruité républicaine en ces temps de pré-austérité UMPS.
Le seul enseignement notable de ces élections – une première sous la Ve République, qui choisit ses sénateurs expatriés à partir d’un collège électoral n’ayant pas grand chose à envier à la nomination des sénateurs à vie par le Président de la République italienne- est la poussée à gauche des Français de l’étranger.

A titre d’exemple, contrairement aux prévisions des prétendus experts, Frédéric Lefebvre n’est pas parti pour devenir député d’Amérique du Nord, distancé 18 points derrière son adversaire socialiste Corinne Narassiguin, laquelle frôle les 40% dans ce qu’on croyait une sinécure électorale pour l’UMP.

A l’autre bout du monde, dans la 8e circonscription, qui s’étend de l’Italie à Israël, le PS totalise 30% des suffrages à la faveur d’une division de la droite. La zone, déchirée par une franche hostilité entre la Turquie et Israël, affiche des résultats très disparates. Ainsi, dans l’Etat hébreu, le dissident de droite Philippe Karsenty (30%) – connu pour sa croisade contre France 2 dans l’affaire Mohamed Al Doura – et le « centriste humaniste » Gil Taïeb (26%), soutiens indéfectible du gouvernement israélien, se taillent la part du lion, reléguant loin derrière Daphna Poznanski (PS) et Valérie Hoffenberg (UMP), lesquelles avoisinent les 20%. C’est à se demander ce qu’ont de commun les nombreux binationaux israéliens avec les Français vivant sous l’Etat profond AKP turc, le seul régime non démocratique de la circonscription étant d’ailleurs… l’Italie extrême centriste de Mario Monti qui a décidé de se passer d’élections le temps d’assainir ses finances publiques en coupant dans les dépenses sociales et en triturant le droit du travail.

Devant l’indifférence des médias français, on se demande si la campagne expatriée fut aussi soporifique que les spots officiels des partis diffusés quotidiennement sur nos antennes. Frédéric Michaud de l’Ifop explique que, mondialisation oblige, « l’écart entre le vote des Français de France et ceux de l’étranger ne cesse de se réduire ». Cet état de fait rend caduque la bonne vieille rengaine associant systématiquement les Français de l’Etranger à la droite parlementaire, cliché éculé que le P.S s’est si longtemps plu à répandre.

Finalement, la probable majorité de gauche à l’Assemblée Nationale (la seule véritable incertitude repose sur l’ampleur de la victoire, relative ou absolue, du PS) pourra sans doute s’appuyer sur une petite dizaine de députés des Français de l’étranger cornaqués par la ministre Yamina Benguigui. Il faut dire que ce genre de suffrage déterritorialisé, faute de réelle implantation locale, favorise d’emblée les grands partis au détriment des « divers », Israël étant l’exception qui confirme la règle.

Merci qui ? Merci Sarkozy pour cette trouvaille constitutionnelle, devrait répondre un PS reconnaissant pour ses victoires à répétition depuis 2010…

Législatives : les cocotiers du Mont-Blanc

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Le cocotier (Cocos nucifera) n’est pas une espèce d’arbre répandue en Haute-Savoie. Quelques palmiers, importés à grand frais, tentent de survivre aux rigueurs de l’hiver dans les résidences luxueuses de rentiers du pétrole des rives du lac d’Annecy, et c’est à peu près tout ce qu’on peut trouver par ici dans le genre. En revanche, le cocotier métaphorique (Cocos metaphorica) − celui que l’on secoue après avoir incité un vieillard improductif à y grimper − fait l’objet actuellement d’un engouement exceptionnel dans le petit monde politique s’activant entre Mont-Blanc et Léman. L’élection de François Hollande à l’Élysée sera ainsi l’occasion d’un petit jeu passablement cruel qui verra s’affronter les vieux caciques et les jeunes loups affamés.[access capability= »lire_inedits »]

Ici, l’élection présidentielle est loin d’être le scrutin majeur. La Haute-Savoie a été, est et restera majoritairement à droite, disputant au Bas-Rhin et aux Hauts-de-Seine la première marche sur le podium des départements ayant accordé le plus grand nombre de suffrages à Nicolas Sarkozy. Normalement, si l’on regarde les chiffres du premier tour, les six députés appelés à faire entendre la voix des alpages au Palais-Bourbon devraient être issus de l’UMP, pour autant que cette formation politique survive jusqu’aux élections législatives des 10 et 17 juin. De doctes mémoires de sciences politiques ont été écrits pour expliquer cet ancrage droitier du département : terre de Contre-Réforme, le poids du clergé y fut longtemps prédominant, tandis que les radicaux de la IIIe République, qui taillaient des croupières aux cléricaux entre les deux guerres, se sont déconsidérés pour cause de compromission des notables de ce parti avec le régime de Vichy.
La gauche, depuis l’avènement de la Ve République, n’a jamais dépassé le seuil de 35% des voix lors des scrutins nationaux, et ne constitue donc pas, en principe, un danger pour les sièges de députés ou de sénateurs dévolus au département.

Jusqu’au 6 mai, le patron incontesté de la droite départementale s’appelait Bernard Accoyer, 67 ans, vieux grognard du gaullisme, puis du chiraquisme, qui a trouvé dans sa giberne son bâton de maréchal : la présidence de l’Assemblée nationale. Une présidence qu’il exerça à la savoyarde : sans éclat ni paillettes, mais avec une efficacité reconnue sur tous les bancs, qui a maintenu un fonctionnement acceptable de l’institution parlementaire face à un exécutif qui lui en faisait voir de dures. Bernard Accoyer est peut-être le dernier homme politique de premier plan à pouvoir se targuer de n’être pas un professionnel de la profession. Entré tard en politique, à 44 ans, il a poursuivi très longtemps ses activités de chirurgien ORL avant de se consacrer exclusivement à ses mandats de maire d’Annecy-le-Vieux et de député de la 1ère circonscription de la Haute-Savoie. Il avait établi son hégémonie, au début des années 1990, en s’imposant face au centriste Bernard Bosson, maire d’Annecy, plusieurs fois ministre, mais victime de la lente érosion de l’influence démocrate-chrétienne dans le département. Il bénéficie du soutien d’une cohorte imposante de notables de sa génération, députés, sénateurs, maires de villes moyennes, conseillers généraux inamovibles.

Cependant, depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, on a pu observer que deux députés UMP, Lionel Tardy (45 ans) et Martial Saddier (42 ans) ne se contentaient pas de prospérer à l’ombre du parrain Accoyer. Le premier, tombeur de Bernard Bosson lors des législatives de 2007, mais ne disposant d’aucun mandat local, ne conteste pas frontalement l’autorité du président de l’Assemblée nationale. Mais il s’est rapidement acquis une notoriété au-delà du département comme twitteur compulsif (il fut le premier à twitter en direct des commissions parlementaires à huis clos) et comme l’un des rares élus de droite à s’opposer à la loi Hadopi. Ce « geek » annécien se verrait bien ministre des nouvelles technologies lorsque le sort des urnes redeviendra favorable à la droite à l’échelle nationale.

En revanche, Martial Saddier, député-maire de Bonneville, ne cache pas son ambition de devenir calife à la place du calife. Il ne manque pas une occasion de marquer publiquement sa différence avec Bernard Accoyer. Il se permit même, à l’issue des élections régionales de 2009, dont le résultat fut assez piteux pour la droite départementale, de faire porter la responsabilité de cet échec à ce dernier, en des termes à peine polis. On ne peut pas dire que la défaite de Nicolas Sarkozy chagrine Saddier outre mesure : elle ne met aucunement en danger sa réélection à l’Assemblée, car même un âne pourvu d’une étiquette de droite serait élu dans sa circonscription. Cette défaite présente pour lui l’avantage de ramener Bernard Accoyer à la base. Au cas, fort probable, où une victoire électorale de la gauche viendrait confirmer le résultat de la présidentielle, ce dernier redescendrait de son perchoir pour regagner les bancs moins moelleux des députés de l’opposition. Depuis plusieurs années, avec l’obstination de l’ambitieux dont le principal talent consiste à tisser des réseaux d’influence, Saddier s’attache à miner l’autorité du « parrain », sachant que le temps, son meilleur allié, travaille pour lui. Il n’a pas digéré l’humiliation que lui a fait subir Accoyer en faisant sauter un préfet qui s’était montré un peu trop favorable à son projet d’extension de sa communauté de communes à des municipalités (dont la mienne) qui ne le souhaitaient nullement. Martial Saddier est tout à fait représentatif de cette nouvelle génération de notables locaux de droite dont la progression vers les sommets du pouvoir n’est pas ralentie par un bagage idéologique trop lourd. Leurs références aux grands ancêtres relèvent plus du rituel obligé pour faire voter les vieux que d’une solide culture historique et politique. Auraient-ils vu le jour dans un terroir fermement ancré à gauche qu’ils n’auraient sans doute pas hésité à tracer leur route dans la jungle du PS[1. On n’aura aucun mal à trouver, dans les bastions socialistes, des ambitieux de la même farine.]. Et ils n’ont pas besoin de loucher du côté du FN, qui réalise pourtant des scores supérieurs à la moyenne nationale dans la vallée industrielle de l’Arve, pour conserver leurs mandats.

Mais si leur maintien en place dépendait d’un accord avec les amis de Marine Le Pen, ils n’auraient aucun état d’âme : leurs aînés leur ont montré la voie en 1999, en soutenant Charles Millon, qui conquit la présidence de la région Rhône-Alpes grâce au soutien des lepénistes. C’est dans ce contexte que l’on a vu surgir des candidats UMP dissidents dans trois des six circonscriptions de la Haute-Savoie. Dans deux d’entre elles, Thonon et Annemasse, ils visent directement les amis de Bernard Accoyer, le député sortant Marc Francina, maire d’Évian, dans la première, et une nouvelle candidate, Virginie Müller, à Annemasse, désignée par le parti par succéder à Claude Birraux (huit mandats au compteur), dont elle fut l’attachée parlementaire. Quant à la 6e circonscription, celle du Mont-Blanc, nouvellement créée, c’est la foire d’empoigne générale. L’UMP nationale a investi Sophie Dion, conseillère de Nicolas Sarkozy pour les sports, pour représenter ce terroir qui va de Chamonix au bassin clusien. Ce parachutage a fortement déplu aux notables locaux qui se bousculent pour avoir l’honneur et le privilège de faire mordre la poussière à l’arrogante parisienne, pourtant native de Morzine. Par ordre d’entrée en scène, on a vu arriver dans l’arène Jean-Marc Peillex, maire et conseiller général de Saint-Gervais, doté de l’étiquette radicale tendance Borloo, Philippe Deparis, animateur de l’émission culte « La Place du village » sur la chaîne régionale TV8 Mont-Blanc, connu dans le coin comme le loup de la même couleur, qui se déclare démocrate-chrétien, le jeune maire de Marnaz Loïc Hervé, encarté au Nouveau Centre, qui ne céderait sa place sous aucun prétexte. Enfin, le conseiller général, maire de Sallanches (deuxième ville de la circonscription), Georges Morand, proche de l’UMP, s’est dit que, ma foi, il n’avait aucune raison de ne pas y aller, d’autant plus que son ami Martial Saddier a aimablement autorisé son attachée parlementaire à lui servir de suppléante. Si ce casting demeure en l’état après le 16 mai, date limite de dépôt des candidatures, la situation peut devenir cocasse. Privée de son protecteur élyséen, Sophie Dion aura bien du mal à faire rentrer dans le rang ceux qui estiment avoir beaucoup à gagner et peu à perdre en cas d’échec. Cette dispersion aurait alors pour conséquence de provoquer, au deuxième tour, un duel entre la radicale de gauche Marie-France Marcos et le FN Dominique Martin, responsable national aux élections auprès de Marine Le Pen. Les appels pathétiques réitérés à l’union de la droite pour les législatives de juin, lancés par les dirigeants de l’UMP dès dimanche 6 mai au soir, n’étaient donc pas de la rhétorique convenue : quand le prof a quitté la chaire, le souk se déchaîne dans la classe. Et pas seulement en Haute-Savoie.[/access]

Plus vite, chauffeur ! Les excès de Hollande

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De même que j’avais été hérissé par l’antisarkozysme primaire de rigueur chez les bonnes âmes sous le quinquennat précédent, je suis passablement agacé par le monceau de bêtises déversées sur le nouveau locataire de l’Elysée.

Une différence, toutefois : si j’ai combattu l’antisarkozyme gogoloïde, je n’ai jamais trouvé l’Ex plus défendable pour cela. Banale question de mauvais feeling en dernier ressort. Un jugement qu’on pourra trouver injuste, but who cares? Je ne demande à personne de le partager et je cherche encore moins à convaincre de la justesse de mes propos des gens que je ne connais pas : je ne suis pas candidat aux prochaines législatives, Dieu merci.

Tout ça pour dire que plus je lis des méchancetés sur lui, plus je trouve Hollande sympathique. Depuis le 6 mai, on a eu droit, de mémoire, aux gesticulations sur le provincialisme du discours de Tulle, sur la ringarditude de l’accordéon, sur la floraison de drapeaux allogènes à la Bastille (qui m’a peiné aussi, mais c’est pas lui qui les y a plantés, non ?), sur sa manche droite qui dépasse à Camp David, sur sa volonté persistante à vouloir serrer des mains partout où il passe, etc. On évoquera aussi la campagne lourdingue des Guignols, qui depuis un mois filent le même gag éculé, celui d’un président consort téléguidé et tenu en laisse par Valérie Trierweiler. En revanche, on n’évoquera pas les interprétations surex de la photo officielle, j’ai bien trop peur de faire taper par Isabelle, à qui je rends bien trente centimètres. Tout ça pour dire que l’abonné au Figaro ou le surfeur d’Atlantico croit aussi dur que Jean-Luc Mélenchon à la fable du capitaine de pédalo.

Dernière cabalette en date, les frémissements d’horreur poussés çà et là, y compris à ma gauche, après que la voiture présidentielle a été mesurée à 160 km/h sur l’autoroute de Normandie. Assurément une affaire d’état, quelque part entre le krach du Crédit Lyonnais et le supposé Karachigate. Rendez-vous compte, on tient la preuve que le président normal ne l’est même pas, nanananère. Sauf qu’on a vu mieux comme smoking gun, bande d’ânes. D’où par où[1. Pour ceux qui ne parleraient pas couramment le franco-égyptien, l’expression « d’où par où » signifie « mais pour quelle raison » en beaucoup plus excité.] un homme normal ne fait-il que des choses normales ?

L’homme normal, le vrai, c’est l’homme qui regarde parfois avec concupiscence l’arrière-train rebondi d’une inconnue dans le métro, oublie à l’occasion de se laver les mains après la petite commission, fait croire à madame qu’il a du rab de taf ce soir, alors qu’il casanisse avec ses potes, et dépasse à l’occasion les 130 à l’heure sur l’autoroute. La femme normale fait à peu près le même genre de trucs, sauf qu’en plus elle fait croire à son mari que le pot qui traine sur l’étagère du lavabo de Crème Cellulaire Platine Rare pour le contour des yeux de chez la Prairie ne lui a pas coûté plus d’une quinzaine d’euros, ce à quoi le mari normal répondra hypocritement « Quand même, quinze euros, c’est pas donné pour vingt millilitres», parce qu’il sait que la paix conjugale n’a pas de prix…

Bref, ce dépassement de vitesse prouve que notre président est normal de chez normal, point barre. Il prouve aussi, de façon ne peut moins scientifique, que le sentiment partagé par l’excellent Franz-Olivier Giesbert, Basile de Koch et moi-même est indubitablement vrai : il y a du Pompidou chez ce Hollande-là. Se souvient-on que le plus finaud de nos chefs de l’Etat était totalement hostile aux limitations de vitesse ? Lui-même roulait volontiers en Porsche 356, comme le rappelait en 2004 Madame Pompidou au Figaro : « Mon mari aimait conduire vite. Cela faisait partie de la modernité. La Porsche, il s’en est peu servi finalement car il est devenu Premier ministre alors que la livraison se faisait attendre plusieurs mois. Il m’en a fait cadeau, ce qui explique que la carte grise soit à mon nom. Il adorait tellement conduire et moi aussi que nous avions passé un accord pour aller à Cajarc. Il faisait la moitié de la route et moi l’autre moitié. Et on se préoccupait peu de l’officier de sécurité qui était dans la voiture suiveuse. Il avait la plus grande peine à ne pas se laisser distancer. Évidemment, cela paraît impensable aujourd’hui »

On notera que le Premier ministre sort clope au bec de sa Porsche, ce qui avait le don d'exaspérer le Général

Toujours au rayon des analogies Pompidou/Hollande, on notera la Massif Central attitude un rien populiste, le goût des bonnes choses contrarié par une prédisposition à l’embonpoint, le talent pour la litote qui tue, sans oublier un certain tropisme autour des chevelures féminines soigneusement mises en plis…

Bref, Pompidou revient et on est très content.

Les mauvais choix afghans du président

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Il y a deux semaines, François Hollande se rendait en Afghanistan. En tant que chef des armées, le président de la République a tout à fait le droit, sinon le devoir, de se rendre sur le terrain des opérations auprès de nos troupes, sans être accusé de faire campagne pour un parti. Mais en pleine campagne législative, ce déplacement reste lié à l’une de ses promesses de candidat : le retrait de toutes les troupes françaises d’Afghanistan. Cet engagement est l’un de ceux qui devaient marquer la rupture avec le sarkozysme, critiqué pour son atlantisme et son supposé alignement sur la politique étrangère américaine. Or, dans ce domaine on ne peut plus régalien, François Hollande s’est, une fois de plus, fait le chantre de l’ambiguïté. Ainsi aux troupes françaises déployées en Afghanistan et aux électeurs français, le Président-qui-n’est-pas-le-chef-de-la-majorité a annoncé qu’avant la fin de l’année, les « forces combattantes » auront quitté le sol afghan. Afin d’éviter un reniement trop rapide et flagrant de sa promesse électorale, François Hollande a mis en avant un nouveau concept, celui de retrait des « forces combattantes ». La logique du discours de Hollande est simple. Peu importe la formulation exacte de ses déclarations pendant la campagne, ce que les électeurs ont entendu est clair : plus aucun français ne sera envoyé en Afghanistan pour rentrer chez lui dans un cercueil. Puis tout d’un coup, on parle de « combattants » ! Ainsi, les militaires qui se battent contre les Talibans rentreront dans leurs casernes mais tous les accompagnateurs et instructeurs qui aident les forces et le gouvernement afghans, en uniforme ou en civil, continueront leur mission.

Que c’est beau « l’aide au développement » ! Le seul petit bémol à cette idylle est le fait que depuis quelques mois – depuis que la fin de la guerre et la victoire des Talibans ne font plus mystère – ce sont justement ces instructeurs et autres consultants[1. Notamment en matière d’enseignement militaire, de gouvernance et de police.] qui sont pris pour cible par des Afghans soucieux de se construire un « alibi » anti-occidental en vue de l’après retraite américaine.
Les deux attaques contre les forces françaises des 29 décembre 2011 et 20 janvier 2012 ont coûté la vie à sept de nos soldats et ont été perpétrées par des membres de l’Armée nationale afghane, auxquels la France avait ouvert les portes de ses camps pour les former. Dans les deux cas, les soldats n’étaient pas en posture combattante. Contrairement à un passé récent, le danger vient donc aujourd’hui des hommes que l’on accompagne, que l’on encadre et que l’on forme pacifiquement.

Sans doute celui qui faisait croire qu’il allait imposer un nouveau rapport de force à Angela Merkel et annoncer à ses alliés un changement dans l’engagement militaire français en Afghanistan a découvert l’écart entre l’omnipotence de la parole et les contraintes du réel. N’empêche, ses derniers gestes diplomatiques démontrent que seul compte le message adressé à sa base électorale. Elle qui voit dans l’action extérieure de la France autant de missions inutiles que de pertes superflues.

Ce tour de passe-passe qui confine à la politique-spectacle, si vivement critiquée au cours de la présidence précédente, est symptomatique du double langage de Hollande. Sa méthode consiste à envoyer des messages ambigus de façon à ne jamais dire la vérité sans pour autant mentir formellement. Tiraillé entre une opinion publique hostile au conflit afghan et les engagements de la France vis-à-vis de ses alliés, Hollande a choisi une des « synthèses » dont il a le secret depuis ses années à Solferino. En n’ayant jamais montré qu’un visage lisse, sans clarifier aucune de ses positions, il ne peut être pris en défaut que par ceux qui ne lui ont pas accordé leur confiance. C’est une arme politique redoutable que ce style présidentiel… jusqu’au moment où, à force d’essayer de contenter les uns et les autres, Hollande finira par décevoir tout le monde.

Cécilia, le retour

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Au lendemain de l’élection présidentielle, Le Monde affichait en « une » la photo du nouveau président au côté de sa compagne, comme si les Français avaient voté pour le ticket Hollande-Trierweiler. Il est vrai que l’intéressée ne dit pas non : à en croire ses premières déclarations, notre première dame semble penser qu’elle a, autant que son « compagnon », été adoubée par le peuple souverain.[access capability= »lire_inedits »]

Dans le portrait élogieux brossé par son amie et consœur, Anne Fulda, aussi bien que dans les colonnes de Match ou du Time, elle dévoile sans ambages sa volonté « d’inventer la fonction et peut-être une autre expression que celle de « première dame » » − le concours est ouvert, chers lecteurs. Certes, elle veut bien « représenter l’image de la France, faire des sourires nécessaires, être bien habillée » (trop cool !), mais attention, « il ne faudra pas que ça s’arrête à cela ». Bref, pas question de jouer les « potiches ». Première dame, c’est trop ringard pour une femme moderne, trop étriqué pour une femme libre, trop plan-plan pour une femme d’action.

Et pourtant, qu’elle le veuille ou non, potiche, elle le sera forcément un peu parce que, sans vouloir offenser personne, c’est quand même une partie du job. Désolée, mais ce n’est pas moi qui vais inaugurer l’arbre de Noël à l’Élysée ou faire la causette avec les autres potiches à Buckingham ou Camp David.

Mais reprenons son propos. On suppose que, malgré son amour pour le plus beau métier du monde, elle n’osera pas reprendre ses activités de journaliste en jouant l’air « Lui c’est lui, moi c’est moi » − dans le style, elle serait plutôt « Lui c’est lui, moi c’est lui »… Passons. En dehors de l’incongruité qu’il y a à vouloir dépoussiérer une fonction qui n’existe pas, ce qui frappe, c’est son aspiration à la politiser. Lorsqu’elle a viré Julien Dray, qui était pourtant invité, du QG de campagne où se déroulait la mue du candidat en président, toute la France, sans distinction d’opinion, a pensé : « De quoi j’me mêle ? » L’empressement avec lequel elle a revendiqué cette action héroïque laisse penser que Valérie Trierweiler ne sera pas une femme de l’ombre. Son comportement rappelle furieusement celui de Cécilia black-listant celui-ci et pistonnant celle-là. À ceci près que, pour des raisons qui ne nous regardent pas, cet interventionnisme se déploya surtout avant l’élection de 2007.

La présidente fait le ménage, donc. Julien Dray n’aura pas eu le temps de demander pardon pour sa légèreté : dehors ! On se demande si notre First Lady a barré de la liste les noms des ministres putatifs qui avaient eu le malheur de lui déplaire. Ou si elle s’envolera prochainement pour Mexico afin d’arracher Florence Cassez à sa prison. On imagine qu’en ce cas, Benoît Hamon, qui avait été ulcéré par l’intervention de Cécilia dans le dossier des infirmières bulgares, ne mâcherait pas ses mots. Quant à Arnaud Montebourg, recyclerait-il son aimable formule de 2007 en s’exclamant : « Le problème de Hollande, c’est sa compagne… » ?[1. Le 18 janvier 2007, au « Grand Journal » de Canal+, Arnaud Montebourg, alors porte-parole de Ségolène Royal (alors compagne de François Hollande), avait lancé cette phrase à son propos : « Son principal défaut, c’est son compagnon. »]. Bien sûr, rien de tel ne se produirait, puisque le changement a eu lieu et que tout ce qui était condamnable en Sarkozie deviendra admirable en Hollandie. En tout cas, notre nouveau président est peut-être vraiment normal : un homme qui a peur de sa femme. Ou qui la laisse parler pour avoir la paix.[/access]

Super-Docteur-Mario et les matches truqués

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Depuis quelques jours, l’Italie vit un nouveau scandale qui touche la première religion du pays : le football. Trente ans après le Totonero, sept ans après le Calciopoli, c’est encore une histoire de matches truqués sur fonds de paris sportifs qui touche un pays qui a pourtant d’autres chats à fouetter, au point d’avoir changé de gouvernement sans passer par la case « élections ».

C’est d’ailleurs le gouvernement transalpin, par la voix de son chef, le joyeux drille Mario Monti, qui a décidé de frapper un grand coup en menaçant les Italiens d’une calamité qu’ils n’auraient jusque-là jamais imaginée : l’arrêt pendant deux ou trois années de leur championnat de football professionnel. Autant priver les Belges de bière, les Français de blanquette de veau et les Anglais de Sa gracieuse Majesté. Ce coup de semonce a en tout cas traumatisé tous les tifosi qui se demandent si Monti envoie cette menace en l’air ou s’il est aussi sérieux qu’en matière de coupes budgétaires. Bien joué, Super-Mario, me diront peut-être certains d’entre vous, s’appuyant sur l’exemple anglais de l’après-Heysel, lorsque les clubs d’outre-Manche furent boutés hors des compétitions européennes, ce qui eut pour résultat sinon d’éradiquer, du moins de limiter très sérieusement le hooliganisme dans le foot pro britannique. Les Anglais furent ainsi les premiers à installer des caméras dans les stades, à engager des physionomistes – comme dans nos casinos – pour repérer les spectateurs connus des services, à pratiquer des interdictions de stade etc… Hélas, c’est surtout la politique tarifaire qui a abouti à un changement total de la sociologie des stades anglais. Car si les hooligans sont souvent pauvres, tous les pauvres ne sont pas hooligans et n’ont plus les moyens de se payer des places.

Comme au Royaume-Uni, Monti voudrait appliquer un traitement de choc en supprimant les compétitions professionnelles de foot pour tout remettre à plat et redémarrer le championnat italien sur des bases saines. L’homme apprécie visiblement les remèdes de cheval.

Le problème, c’est que le docteur en question, qui se fait passer pour un homme raisonnable dans le domaine des finances publiques comme de la purification du foot, n’est pas pour rien dans le trucage des matches. L’Italie possédait en effet il y a une dizaine d’années l’une des réglementations les plus sévères en terme de paris sportifs. Le précédent du Totonero ayant échaudé le pays, l’Etat tentait de sérieusement limiter l’accès aux paris. Or, la directive européenne « Information society services » s’est imposée à l’ensemble des pays de l’UE, les obligeant à libéraliser le secteur des paris sportifs. Par ce biais, le monopole de la Française des Jeux a volé en éclats en France, pays qui y résistait depuis des années. Alors que l’Etat pouvait contrôler les paris sportifs de très près, ce n’est plus le cas aujourd’hui, ni en Italie, ni en France.

Désormais, en Europe, on parie non seulement sur le résultat des matches, mais aussi le nombre de buts, le nom des buteurs et sur bien d’autres faits de match. Dès lors, l’incitation à approcher joueurs et arbitres pour truquer les matches et se faire de l’argent facilement se démultiplie. Au fait, qui bossait à la Commission européenne et fut successivement chargé du marché intérieur puis de la concurrence au moment où cette directive était mise en place ?

Je crois que vous avez trouvé.

 
*Photo : Forum PA

Un Depardon sans contrefaçon

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Comme Jacques Chirac, François Hollande a choisi le décor champêtre et non la bibliothèque élyséenne comme cadre de sa photo officielle. Il faut reconnaître que se faire tirer le portrait en tenue d’apparat avec les blasons et tout le tralala républicain dans un lieu qui incarne l’héritage et l’inscription dans une histoire, la filiation avec une tradition, l’attachement à un passé commun, qui ont forgé une nation et un peuple, aurait fait tache pour le président de la « normal attitude ». À la verticalité historique s’oppose donc l’horizontalité de la pelouse du jardin. C’est plus rassurant !

Et comme normal veut dire comme tout le monde, donc comme personne, c’est Depardon, notre photographe de la France sans les Français qui a été choisi pour prendre la photo qui sera accrochée pendant les cinq prochaines années dans toutes les mairies et commissariats de notre pays.

« J’ai pris son visage comme un paysage » explique, sans l’ombre d’un sourire, le photographe absolument convaincu de la réussite de son cliché qualifié pour sa géniale qualité de « Fragonard ». Le tout sans une once de flagornerie bien entendu ! L’appel du visage, si cher à Levinas, est étouffé pour faire entendre la voix de la Nature amorale et apolitique. Le paradoxe est à son comble. Déshumaniser Hollande en le naturalisant et qualifier sa photo en empruntant le nom d’un portraitiste flamboyant, ça frise franchement le ridicule.

Mais finalement, bouder si fort ce lieu qui nous personnalise, nous particularise, nous différencie, qui fait de nous des être humains et non pas une simple masse de chair, ostraciser ce visage pour en faire un paysage, s’accorde bien avec l’amour de l’uniformité, valeur sacrée de la gauche qui, dans l’individualité, voit toujours l’œil du mal.

Photo officielle : mais où est donc passé le drapeau européen ?

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On pourra penser ce qu’on veut de la valeur artistique de la photo officielle du nouveau président. Perso j’aime bien. En fait, après une sensation assez mitigée au départ, plus je la regarde, plus je la trouve artistiquement valable et techniquement impeccable.

Je ne pense pourtant pas que Depardon soit, comme je l’ai lu çà et là, un immense photographe. C’est plutôt un photographe immensément connu, et de gauche pur sucre, et passablement gavant à l’antenne. Cela dit, pour sans génie qu’il soit, Depardon n’est pas une insulte au genre humain comme Bettina Rheims, choisie par Chirac pour le même exercice.

Mais point n’est nécessaire d’être bon photographe pour faire une bonne photo, et même les dieux du cadre et de la lumière se vautrent parfois dans les grandes largeurs. Quant aux artistes moyens, tel Raymond, ils ne sont pas abonnés à vie aux clichés mainstream : celui du président, par sa focale fabuleuse, par son faux-flottement millimétré, est à mes yeux une bien belle solution pour un exercice redoutable.

Mais assez parlé photo, les filles. Parlons plutôt politique, et parlons carrément de changement maintenant. Vous souvenez-vous de la photo officielle de Nicolas Sarkozy ? Réalisée dans la bibliothèque de l’Elysée par Philippe Warrin. L’ancien président y apparaissait debout, attitude solennelle, auprès d’un drapeau français auquel Cécilia -dit-on- avait fait adjoindre à part égale un drapeau européen. De fait, on ne voyait que cette tache bleue et or sur la photo. Merci et bravo.

Certes, cette bannière de cabris, on la retrouve sur la photo officielle de François Hollande, mais le drapeau des eurocrates y est relégué dans la brume au fin fond de l’image, genre « comme je ne peux pas l’enlever, je le remets à sa vraie place ». On pourra m’objecter que le drapeau tricolore est lui aussi flou. Mais bon, le Président de la République française n’a pas besoin de hisser les trois couleurs pour prouver qu’il n’est pas la Reine du Danemark. D’ailleurs, du Général à Mitterrand, nos présidents n’avaient pas cru bon de préciser quelle était leur nationalité.

Tout ça pour dire qu’aujourd’hui le drapeau bleu ne flotte plus sur la République. Tout ça pour dire : merci Monsieur le Président !
 
*Photo : @DR

Quand Placé veut faire de la place au PCF

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Les écologistes d’EELV, ils osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. On a déjà parlé ici de l’anticommunisme rabique de Cohn-Bendit qui préfère s’acharner sur la gauche de la gauche grecque en passe d’arriver en tête aux élections du 17 juin plutôt que sur les néo-nazis du parti Aube dorée qui ont tout de même fait entrer vingt députés au parlement hellène. Cet anticommunisme provient des Verts qui, au contraire de Martine Billard, n’ont pas rejoint le PG de Mélenchon. Ils peuvent d’ailleurs très vite l’oublier dès qu’il s’agit pour eux de devenir le seul partenaire du PS. Y compris en jouant un coup de billard à trois bandes.

Celui qui tient la queue, ce coup-ci, c’est l’étonnant monsieur Placé, président du groupe EELV du Sénat. On avait mesuré naguère ses qualités machiavéliennes à la vice-présidence du conseil régional d’Île-de-France, imposant en douceur des accords léonins au président socialiste, accords sans le moindre rapport avec le poids électoral réel de son parti. Placé réédita cet exploit en obtenant un groupe au Sénat et, surtout, une soixantaine de circonscriptions dont vingt gagnables pour les législatives sans que le score calamiteux d’Eva Joly à la présidentielle ne remette en cause quoi que ce soit[1. Constat que l’on peut devant le nombre de dissidents socialistes qui se présentent contre les candidats EELV désignés pour représenter la majorité présidentielle.].

Jean-Vincent Placé a encore réussi à surprendre son petit monde en déclarant hier matin à RTL : « Je trouve que François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont fait un bon gouvernement, équilibré, paritaire, sérieux et compétent. Il ne faut pas trop remanier à mon sens. Le seul remaniement qui me paraît politiquement intéressant, c’est l’entrée du Parti Communiste Français au gouvernement.»
« Timeo Danaos et dona ferentes » : je crains les Grecs, même quand ils font des cadeaux, dit le vieux proverbe latin. Il faudrait être bien naïf pour croire que Jean-Vincent Placé, dans un grand élan unanimiste, voudrait voir revivre la gauche plurielle façon Jospin.
Pour commencer, il prend ses désirs pour des réalités. Il est en effet hors de question pour le PCF, malgré d’insistantes rumeurs, de participer à quelque gouvernement socialiste que ce soit tant que ce dernier se contentera de critiquer la crise en cours en tentant ici et là d’arrondir les angles trop aigus de la souffrance sociale.

Surtout, Jean-Vincent Placé feint d’oublier l’existence du Front de Gauche. Depuis 2008, le Front de Gauche, constitué du PG de Mélenchon, du PCF de Pierre Laurent et d’autres petites formations antilibérales, est devenu une force politique dont les scores aux Européennes de 2009, aux Régionales de 2010, aux Cantonales de 2011 et quoiqu’on en dise aux Présidentielles de 2012, ont surpris les observateurs et marqué l’émergence d’un courant nouveau.
Ce que cherche Jean-François Placé, en caressant dans le sens du poil la vénérable maison de la place du Colonel-Fabien, c’est à casser la dynamique unitaire du Front de Gauche. Ce n’est pas forcément un calcul idiot, au demeurant. Il y a entre le PG de Mélenchon et le PCF de Pierre Laurent la possibilité d’enfoncer des coins. En jouant par exemple sur quelques divergences, notamment à propos de l’énergie, le PCF restant globalement partisan du nucléaire quand le PG souhaite en sortir le plus vite possible. Dans ce cas, pourquoi Placé ne propose-t-il pas au PG d’entrer au gouvernement puisqu’il aurait ainsi un autre partenaire en accord avec lui ? Et pourquoi proposer au PCF, dont la culture est encore largement productiviste, quelques maroquins ?

Tout simplement parce que le PCF bénéficie d’une véritable implantation électorale au niveau national, qu’il peut faire élire suffisamment de députés sans l’aide de qui que ce soit et qu’il formera l’essentiel d’un éventuel groupe Front de Gauche à l’Assemblée Nationale.
Et Jean-François Placé ne veut pas de ce groupe Front de Gauche. Il ne veut pas voir apparaître à l’Assemblée une force de gauche autonome franchement hostile au social-libéralisme. Il ne souhaite pas qu’à l’instar de Syriza en Grèce, cette force dirigée par Mélenchon[2. Qui sera probablement élu député.] finisse par apparaître comme un recours quand le gouvernement Ayrault sera englué dans une logique austéritaire. Il mise donc sur ce qu’il croit être les intérêts purement électoraux du PCF, lequel a scellé des accords de gestion avec le PS dans nombre de collectivités locales. Placé sait que le PCF risque de perdre les avantages de ces accords s’il persiste à jouer une politique du grand large.

Jean-Vincent Placé oublie juste une chose : c’est que le PCF, autant par cœur que par raison, a une fois pour toutes décidé que son avenir, à long terme, passait par le rassemblement de toutes les sensibilités anticapitalistes. Pour le Parti communiste, il n’y a aucun avenir à monter sur un bateau qui prend l’eau quand on est le navire amiral d’une autre politique qui s’imposera par la force des choses, un jour ou l’autre.
 
*Photo : Parti socialiste

La lâcheté, une valeur partagée

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Elles sont belles mes valeurs, elles sont fraîches ! On croit généralement qu’une campagne électorale est l’occasion d’une confrontation entre programmes, le moment où les principales forces politiques tentent de convaincre les citoyens que leurs solutions seront plus efficaces que celles des autres. Cette conception pragmatique de la politique n’est pas très glamour, pour ne pas dire ennuyeuse à périr. Certes, pas mal de peuples s’en contentent, mais, sans vouloir offenser personne, ce genre « démocratie apaisée » est un peu trop normal pour nous. Or, si nous avons élu le seul candidat qui se prétendait « normal », c’est que justement, pour un Français, cette normalité supposée est extraordinaire. Après tout, nous n’avons pas inventé les droits de l’homme et coupé la tête à notre roi pour nous empailler à coups de calculette sur la meilleure façon de réduire le découvert national.[access capability= »lire_inedits »] Il est déjà assez humiliant de ne pas pouvoir régler la question en battant monnaie ou en lançant quelque expédition lointaine permettant de remplir les caisses du royaume sous couvert d’aller civiliser les « races inférieures », comme disait Jules Ferry − que le nouveau président de la République a tenu à honorer avant d’effacer le mot « race » de la Constitution. Logique cartésienne sans doute.

La France, cela fait partie de ses charmes, a besoin de sa dose de bruit et de fureur. Nous aimons que la politique soit la poursuite de la guerre par d’autres moyens. Il faut cependant beaucoup d’imagination pour faire de la querelle entre défenseurs de la TVA sociale et partisans d’une hausse des impôts un nouvel épisode de l’éternel combat entre l’ombre et la lumière. Il est vrai que depuis quelques décennies, la question européenne a permis de reconduire l’affrontement entre républicains et monarchistes ou, au choix, entre résistants et collabos. L’ennui, c’est qu’elle ne permet pas de jouer camp contre camp − rappelons qu’il y a sept ans, les deux finalistes de la présidentielle 2012 défendaient ensemble, à la « une » de Match, la même version de l’avenir radieux contre les obscurantistes de droite et de gauche.
Pour pouvoir jouer à la guerre civile − et par là-même éviter que l’électeur/téléspectateur décroche −, nous avons donc inventé un truc épatant qui consiste à faire passer toute élection pour un choc des valeurs. De ce point de vue, la dernière a été particulièrement réussie, grâce à une gauche qui a réussi à imposer l’idée que Nicolas Sarkozy était un descendant de Belzébuth. Ce fut donc « valeurs contre valeurs ». Les journalistes adorent.

Certaines de ces valeurs transcendent néanmoins l’opposition entre le Bien et le Mal. L’épisode de l’anniversaire de Julien Dray supposément gâché par la présence de Dominique Strauss-Kahn permet d’en recenser quelques-unes, droite et gauche ayant rivalisé dans l’indignation vertueuse. Tout d’abord, pas une seule voix ne s’est élevée pour s’étonner qu’un journaliste transforme une réunion privée en affaire publique. En effet, c’est un confrère et copain du Point, Saïd Mahrane, qui, ayant entendu parler de la fête, s’y est pointé sans être invité, avant d’informer le bon peuple que DSK et quelques membres de la garde rapprochée du candidat Hollande étaient invités aux mêmes agapes. Vie privée, connais pas ! Trouverait-on normal que je raconte dans un article que j’ai rencontré, sortant d’un bar du Marais peu propice aux rencontres féminines, tel ou tel homme public posant volontiers avec femme, enfants et chien ?

Nul ne s’est non plus offusqué que les anciens amis ou camarades de DSK aient participé à la curée ; la droite leur a, au contraire, reproché de ne pas avoir pas fait preuve d’un zèle suffisant dans la condamnation du pécheur. Bien sûr, on n’est pas obligé d’approuver tous les agissements de ses amis. On a cependant du mal à croire que Pierre Moscovici ait découvert en mai 2011 le comportement « inopportun » de son ex-champion. L’opportunisme consistant à flatter un homme quand il est puissant et à se détourner de lui quand il est à terre fait donc également partie de la panoplie des valeurs partagées. Ainsi Ségolène Royal s’est-elle abondamment vantée d’être partie sans avoir croisé DSK − peut-être pense-t-elle que les « mauvaises mœurs » sont contagieuses. Et elle a juré que jamais elle n’accepterait de le rencontrer. Pour la bonne cause, évidemment, en l’occurrence la « dignité des femmes », sympathique refrain entonné à l’unisson par Nathalie Kosciusko-Morizet et Nadine Morano, réconciliées pour l’occasion. Notons que Nicolas Sarkozy et François Hollande ont brillamment tenu leur rang dans ce concours d’inélégance.

DSK est un homme brisé qui n’exerce pas la moindre responsabilité publique. Il faut rappeler qu’il n’a pas été condamné. Cela ne fait pas de lui un saint, mais l’arrêt brutal de sa carrière et l’étalage dans la presse de sa vie intime constituent peut-être une peine suffisante. Eh bien non ! Il faut de surcroît qu’il soit un pestiféré. Le tribunal des vierges outragées l’a condamné (sans procès) à la mort sociale, lui interdisant même de boire un coup avec ses « copains ». À droite comme à gauche, on ne transige pas avec le refus du pardon et l’absence totale de compassion. Quant à moi, je n’irais pas faire la guerre avec ces grands humanistes dépourvus de la plus simple humanité. Comme disait l’autre, nous n’avons pas les mêmes valeurs.[/access]

L’irrésistible poussée à gauche des Français de l’étranger

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J’ai déjà expliqué en quoi l’élection des députés représentants des Français de l’Etranger était une incongruité républicaine en ces temps de pré-austérité UMPS.
Le seul enseignement notable de ces élections – une première sous la Ve République, qui choisit ses sénateurs expatriés à partir d’un collège électoral n’ayant pas grand chose à envier à la nomination des sénateurs à vie par le Président de la République italienne- est la poussée à gauche des Français de l’étranger.

A titre d’exemple, contrairement aux prévisions des prétendus experts, Frédéric Lefebvre n’est pas parti pour devenir député d’Amérique du Nord, distancé 18 points derrière son adversaire socialiste Corinne Narassiguin, laquelle frôle les 40% dans ce qu’on croyait une sinécure électorale pour l’UMP.

A l’autre bout du monde, dans la 8e circonscription, qui s’étend de l’Italie à Israël, le PS totalise 30% des suffrages à la faveur d’une division de la droite. La zone, déchirée par une franche hostilité entre la Turquie et Israël, affiche des résultats très disparates. Ainsi, dans l’Etat hébreu, le dissident de droite Philippe Karsenty (30%) – connu pour sa croisade contre France 2 dans l’affaire Mohamed Al Doura – et le « centriste humaniste » Gil Taïeb (26%), soutiens indéfectible du gouvernement israélien, se taillent la part du lion, reléguant loin derrière Daphna Poznanski (PS) et Valérie Hoffenberg (UMP), lesquelles avoisinent les 20%. C’est à se demander ce qu’ont de commun les nombreux binationaux israéliens avec les Français vivant sous l’Etat profond AKP turc, le seul régime non démocratique de la circonscription étant d’ailleurs… l’Italie extrême centriste de Mario Monti qui a décidé de se passer d’élections le temps d’assainir ses finances publiques en coupant dans les dépenses sociales et en triturant le droit du travail.

Devant l’indifférence des médias français, on se demande si la campagne expatriée fut aussi soporifique que les spots officiels des partis diffusés quotidiennement sur nos antennes. Frédéric Michaud de l’Ifop explique que, mondialisation oblige, « l’écart entre le vote des Français de France et ceux de l’étranger ne cesse de se réduire ». Cet état de fait rend caduque la bonne vieille rengaine associant systématiquement les Français de l’Etranger à la droite parlementaire, cliché éculé que le P.S s’est si longtemps plu à répandre.

Finalement, la probable majorité de gauche à l’Assemblée Nationale (la seule véritable incertitude repose sur l’ampleur de la victoire, relative ou absolue, du PS) pourra sans doute s’appuyer sur une petite dizaine de députés des Français de l’étranger cornaqués par la ministre Yamina Benguigui. Il faut dire que ce genre de suffrage déterritorialisé, faute de réelle implantation locale, favorise d’emblée les grands partis au détriment des « divers », Israël étant l’exception qui confirme la règle.

Merci qui ? Merci Sarkozy pour cette trouvaille constitutionnelle, devrait répondre un PS reconnaissant pour ses victoires à répétition depuis 2010…