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Sécurité: la police municipale, 5e roue du carrosse?


Sécurité: la police municipale, 5e roue du carrosse?

 police municipale Béziers

Causeur. Après les attentats de janvier 2015, la ville de Béziers a armé ses policiers municipaux. Dix mois plus tard, quel bilan peut-on tirer de cette mesure ? 

Fabrice Cantele. Même si les policiers municipaux de Béziers n’ont été armés qu’après les attentats de janvier, la décision avait été prise auparavant. Pour Robert Ménard, le policier municipal de 2016 se doit d’être armé s’il veut pouvoir exercer ses missions de sécurité publique et répondre à l’attente des citoyens.

Après un an de mise en place, le processus d’armement est presque achevé. Un processus surtout administratif puisque la plupart des policiers avaient une expérience du port d’armes. Nous les avons d’ailleurs recrutés au regard de cette qualification. Quant à ceux qui n’avaient jamais porté une arme, nous avons dû les former. Ce qui est quasiment chose faite aujourd’hui.

Les armes ne répondent donc pas uniquement à une menace terroriste ? 

Non. Aujourd’hui, malheureusement, le policier municipal est exposé dans son travail quotidien à des risques beaucoup plus importants qu’auparavant. Qu’il s’agisse de crimes ou délits – braquages, vols à main armée – nous avons souvent affaire à des gens armés et décidés à aller jusqu’au bout. En conséquence, un policier armé est apte à intervenir dans tous les cas possibles, quel que soit le niveau de risque, alors qu’un policier non armé est plus limité et ne peut pas être affecté à toutes les missions.

Vos fonctionnaires ont-ils déjà fait usage de leur arme ?

A Béziers, non, pas encore. Mais certains l’ont déjà fait par le passé, dans le cadre de leurs précédentes affectations.

Concernant la menace terroriste, avez-vous une doctrine permettant aux agents armés d’agir s’ils se trouvent dans une situation d’attentat ?

Il existe des directives de l’Etat pour la préservation des civils, la priorité étant de les mettre en sécurité : tenter de contenir les terroristes dans un endroit le plus confiné possible et attendre l’arrivée d’une unité spécialisée, lourdement équipée, qui prend le relais. A notre niveau, la difficulté est de bien identifier une situation d’attentat. Il s’agit de faire la différence entre un braquage, des coups de feu dans un contexte criminel et une attaque terroriste. S’il y a plusieurs rafales d’armes automatiques, ou des déflagrations importantes, on peut supposer qu’on est face à un risque « attentat ». Et des coups de feu, il y en a…

Vos fonctionnaires ont-ils participé à des exercices de mise en situation d’attentats ?

Non. On s’exerce régulièrement sur les techniques d’intervention, et la riposte face à des individus armés. Les deux attaques terroristes que l’on a subies en 2015 modifient un peu nos méthodologies d’entraînement, mais nous n’avons pas encore toutes les données. Nous n’avons donc pas pu tirer les leçons tactiques et techniques, ni améliorer nos capacités dans ce genre de scénario. Il ne faut pas oublier non plus que les moyens dont on dispose sont assez limités par rapport aux forces de l’Etat.

Lors des attentats de janvier et de novembre, des policiers municipaux et nationaux en repos ou en mission de routine ont croisé par hasard le chemin des terroristes. Certains étaient les premiers sur le terrain. Leur action a parfois modifié les projets terroristes. Par définition, dans le cas d’un attentat à Béziers, vos agents seront les premiers à faire face aux terroristes, bien avant le GIGN et le RAID… On sait que la rencontre entre Amedy Coulibaly et les policiers municipaux de Montrouge l’a fait changer de projet…

Oui et en plus, contrairement au policier du RAID qui sait sur quel théâtre d’opération il va intervenir, le policier « généraliste » – municipal ou national – ne sait jamais ce qui l’attend dans la rue et devra prendre très rapidement des décisions très lourdes de conséquences. La logique qui nous guide est donc la suivante : protéger le public en premier lieu, puis se protéger. Ensuite – mais cette idée n’engage que moi – face à un terroriste qui vient de se servir de sa kalachnikov, il faudra à mon avis tirer le premier, faire feu très rapidement. Le temps de prise de décision pour les fonctionnaires doit être très, très court.

Puisque ce sont les premiers intervenants en cas d’attentat, quand la confusion est au maximum et qu’on peut influencer le cours des évènements, existe-t-il une réflexion tactique et technique au niveau national pour élaborer, à partir de l’expérience de 2015 – mais aussi du passé plus lointain et d’autres pays –, une doctrine commune pour toutes les forces municipales et nationales « généralistes » ?

Non. J’en ai discuté récemment avec le Commissaire central de la Police Nationale à Béziers : le problème, aujourd’hui, est que les gendarmes travaillent d’une certaine façon et la police nationale d’une autre. La police municipale peut faire une demande ponctuelle de formation spécifique pour acquérir une compétence particulière mais il faut la solliciter, aller chercher l’information et la formation. Cela reste difficile de faire descendre l’information et la formation, et les retours d’expérience sont rares en direction de la police municipale. Il existe toujours un gros problème de liaison entre les trois forces de sécurité publique – police nationale, gendarmerie nationale  et police municipale – et l’information met beaucoup de temps pour cheminer.

S’agit-il du partage de l’information immédiate, dans le cas d’un événement en cours, ou  de l’analyse d’expérience et des leçons tirées des attentats qui ont déjà eu lieu ? 

Les deux. Même après un « simple » hold-up, le partage de l’information est toujours très long. La communication entre états-majors est lente, alors que les fonctionnaires, qui sont eux sur le terrain, peuvent faire face à tout moment à des situations particulièrement dangereuses où les leçons récemment tirées de cas semblables sont vitales.

Robert Ménard a annoncé récemment la création d’une « garde biterroise » pour épauler la police locale. Est-ce de votre responsabilité ?

Non. Le maire m’a demandé de participer au jury de recrutement de cette garde pour  sélectionner au mieux les personnes qui pourraient postuler. Mais dans l’état actuel des choses, ils ne sont pas sous la direction de la police municipale.

C’est une force composée des anciens de différentes forces de l’ordre, une sorte de force de réserve auxiliaire ?

Compte tenu de la législation française, elle servirait de force d’alerte. Elle pourrait occuper le terrain et alerter les forces de l’ordre nationales ou municipales pour nous permettre d’agir avec plus de précision.

Vous êtes engagé dans la police municipale depuis 25 ans et avez déjà eu l’occasion de servir dans plusieurs villes différentes. Quelle est votre vision du rôle d’une force de police municipale ? S’agit-il de s’occuper de la circulation, de régler les conflits de voisinage et de faire la police des commerces et marchés, ou bien de suppléer aux carences de la police nationale, et d’être plus efficace grâce à la proximité ?

Je ne dirais en aucun cas que la police municipale serait plus efficace que la police nationale, car nous ne disposons absolument pas des mêmes moyens matériels, logistiques, humains et judiciaires. En revanche, la police municipale est sans nul doute une police de proximité. Elle rassure la population et se place aux premières loges pour intervenir. D’où, pour moi, la nécessité d’avoir des fonctionnaires de police particulièrement bien formés dans un certain nombre de domaines comme le judiciaire, l’administratif mais également les techniques liées aux interventions de police. Car justement, cette proximité permet d’être les premiers sollicités, et souvent les premiers sur les lieux. La police municipale est une police de terrain, elle multiplie ses chances d’être confrontée à des situations très variées. Un gardien de la paix peut avoir une charge « administrative » très lourde qui l’éloigne un peu plus de la voie publique. L’habilitation judiciaire supplémentaire a amené les gardiens de la paix de la police nationale à recevoir des plaintes, effectuer des enquêtes, organiser des confrontations, etc. Ce sont des missions administratives différentes de celles qu’ils traitaient auparavant, et pendant ce temps-là, le gardien de la paix de la police nationale n’est pas présent sur le terrain. Toutefois, ce que réclame la population, c’est une présence physique sur la voie publique de policiers aptes à intervenir dans les minutes qui suivent l’appel. On sait aujourd’hui que la population est exigeante, que beaucoup de gens ont peur. On ressent une perte de confiance de la part de nos concitoyens envers la police parce que « ils ne sont jamais là quand il faut », ou « qu’ils mettent trois quarts d’heure à venir ». La police municipale a encore la chance d’être capable d’intervenir rapidement, à condition d’avoir un maire, comme à Béziers, qui lui en donne les moyens. Elle peut être une force présente et réactive dans un délai toujours très court.

Vos 25 ans de carrière correspondent à la montée en puissance de la police municipale en France. Assez marginale dans les années 80, elle prend de plus en plus d’importance. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Il y a plusieurs facteurs : la décentralisation, les difficultés financières de l’Etat, le rôle du maire – très important dans la sécurité de sa ville dont il est le point central et a le devoir d’y assurer le bon ordre, la tranquillité, la sécurité de ses administrés, comme les textes de loi le précisent. L’Etat a transféré un certain nombre de missions et de responsabilités supplémentaires aux maires, qui disposaient déjà du pouvoir de police. Depuis 1991, la police municipale est devenue une force incontournable sur le territoire français notamment parce que, statistiquement, à chaque instant, il y a plus de policiers municipaux dans la rue que de collègues des autres forces de sécurité publique, au prorata de l’effectif total de chacune des trois forces.

C’est étonnant ! Les policiers et gendarmes sont dix fois plus nombreux que leurs collègues municipaux !

Il y a moins de 30.000 policiers municipaux mais ils sont tous voués à être dans la rue. Vous me dites qu’il y a 250.000 policiers et gendarmes nationaux. Mais les missions et tâches de l’ensemble de ces fonctionnaires sont beaucoup plus variés et l’étendue des champs d’intervention particulièrement vaste.

De très nombreux corps de métiers sont représentés au sein de la police nationale ou de la gendarmerie, qu’il s’agisse d’enquêteurs, de groupes d’intervention, de gardes statiques, de techniciens informatiques, d’agents de génie civil, d’analystes, d’encadrants sportifs, de CRS, de gardes mobiles, etc.

Le comparatif, si vous en souhaitez un, porterait essentiellement sur les actions de police de proximité et de « Police Secours ». C’est dans cette configuration que la police municipale prend toute sa dimension au sein de nos villes et villages.

*Photo : Wikipedia.



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