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Aux armes, citadins!

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armes autodefense chasse
« les gens estiment ne pas être défendus à cause du délitement du lien social »

 

Quand la tentation de l’autodéfense se développe, celle de s’acheter une arme n’est jamais bien loin. Confrontés à la montée de l’insécurité, chaque année, quelques dizaines de milliers de Français supplémentaires ont recours aux deux grandes voies légales qui permettent l’obtention d’une arme à feu : le stand de tir et le permis de chasse. Quant aux armes illégales, il semble bien qu’elles soient de plus en plus faciles à trouver.

D’après Patrice Bouveret, président de l’Observatoire des transferts d’armement, « les gens estiment ne pas être défendus à cause du délitement du lien social, les commerçants notamment. Du coup, ils pratiquent ce qui leur semble être de la légitime défense. Mais cela peut conduire à des meurtres, et souvent, l’arme se retourne contre eux. C’est un phénomène dangereux mais marginal ».

Restent les chiffres, éloquents. La Fédération française de tir se réjouit bien naturellement de la croissance de ses effectifs, passés de 133 000 adhérents en 2000 à 171 000  en 2014, on peut légitimement s’interroger sur cette tendance lourde.[access capability= »lire_inedits »]  La licence de chasse rencontre le même succès chez les citadins, et pas seulement parce que les néo-urbains rêvent de traquer la bécasse, le dimanche en famille. On dénombre quelque 120 000 nouvelles licences établies ces six dernières années, un nombre en croissance chaque année. François, un avocat parisien de 30 ans, marié, avec deux enfants, a franchi le pas sous couvert de retour aux traditions : « Je souhaite tendre vers l’autonomie, par principe de liberté. Je considère que l’État est défaillant là où il devrait être opérant – on le voit avec l’augmentation des cambriolages – alors qu’il nous contrôle en permanence. Je considère qu’on devrait avoir le droit de porter une arme pour des raisons de légitime défense et de droit à la propriété. »

Moins inquiet, le ministère de l’Intérieur pratique la politique de l’autruche en ne recensant que 3 millions d’armes déclarées – contre 10 ou 12 millions en circulation selon les estimations. Dormez braves gens, il paraît que les chiffres des cambriolages s’améliorent ! Et pour compléter le décor de village Potemkine que la place Beauvau édifie méthodiquement, on nous présente des statistiques rassurantes sur la possession d’armes. Officiellement, le total d’armes à feu détenues par les Français dégringole depuis vingt-cinq ans. C’est ignorer les transactions sous le manteau de la part d’armuriers pas toujours très regardants sur la licence de leurs clients.

Mais soyons optimistes. Si l’on met de côté l’arsenal du grand banditisme ainsi que les fusils et autres 22 long rifle hérités de la Seconde Guerre mondiale sans avoir jamais été recensés, on pourrait croire à la fiction du ministère : l’État joue son rôle et les Français ne s’arment pas. En poussant le bouchon un peu plus loin, on dira qu’il en va de l’armement comme de l’insécurité, ceux qui en voient partout ne font qu’exprimer des sentiments déconnectés de la réalité…[/access]

*Photo : wikicommons.

Obama is back

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barack obama russie etat islamique

C’est un renversement aussi spectaculaire qu’inattendu. Confronté à une vague républicaine aux élections législatives de novembre, ayant vu les démocrates se faire laminer dans les urnes, tenu à l’écart par nombre d’élus de son propre parti, parvenu à l’automne de sa présidence, Barack Obama a tout du « canard boiteux ». C’est un président que l’on dit affaibli, marginalisé, déjà sur la touche, ou presque.

Or que constate-t-on depuis deux mois ? Obama est hyperactif et prend seul les décisions qu’il n’a pas réussi à obtenir du Congrès pendant six ans. Résultat, il renaît. Il est plus que jamais à la barre, et a retrouvé sa place d’homme le plus puissant du pays. Mieux, il est en train de se ménager une place de choix dans l’histoire. C’est un président apaisé, heureux, souriant et décontracté qui est apparu devant les journalistes, pour sa dernière conférence de presse de l’année. « Ma présidence est entrée dans son dernier quart-temps. Il se passe toujours des choses intéressantes dans le dernier quart-temps » a-t-il déclaré,  radieux. Tombé à zéro en novembre, il est redevenu un héros en décembre.

Comment une telle métamorphose a-t-elle été possible ? Réponse : en quatre étapes et deux décrets.

En premier, un accord sur la lutte contre le réchauffement climatique  a été conclu avec la Chine le 11 novembre. Un accord mineur, sur le fond, puisqu’ n’impose aucune contrainte aux deux signataires, et donne à la Chine, premier pollueur mondial, jusqu’à 2030 avant de commencer à réduire ses émissions… Mais, sur la forme, l’événement est crucial. C’est la première fois que la Chine s’engage sur la question du climat. Comme si Obama avait su susciter, chez Xi Jinping, une prise de conscience. Et c’est un gage de bonne foi donné par Obama à ses électeurs qui attendaient depuis six ans un geste sur cette question. La cote de popularité d’Obama en a fait un grand bond en avant…

Puis, le 20 novembre, Obama a signé un décret présidentiel offrant une amnistie à cinq millions d’immigrants clandestins. Une décision forte et de longue portée. Une réforme de l’immigration est en discussion au Congrès depuis des années. Sans aboutir, faute de parvenir à un texte qui  rassemble une majorité d’élu et puisse être voté. Obama a donc fait d’une pierre deux coups, voire trois. Il a tranché dans le sens qu’il souhaitait. Il a mis en évidence l’immobilisme du Congrès  et il a défié la nouvelle majorité républicaine de s’opposer à son décret en passant son propre texte de loi. A deux ans d’une élection présidentielle il a pris le pari que les Républicains ne mettraient pas le sujet sur la table par crainte de s’aliéner le vote des minorités issues de l’immigration. Pari gagnant pour l’instant.

Troisième étape, l’effondrement du rouble, la monnaie russe qui, combiné à la baisse du prix du pétrole a précipité le pays de Vladimir Poutine dans la crise financière. Il n’y a pas forcément de quoi se réjouir, sauf si l’on s’appelle Barack Obama et que l’on a instauré des sanctions internationales contre la Russie, pour la punir de son ingérence brutale en Ukraine, et de la menace que ce comportement fait peser sur la paix en Europe. Ce conflit n’est pas résolu, mais Obama a obtenu ce qu’il souhaitait, c’est-à-dire démontrer l’efficacité d’un mode pacifique de gestion des conflits.  Il a réussi à faire perdre de sa superbe au chef du Kremlin et en espère un comportement plus coopératif à l’avenir…

Et enfin il y eut cette annonce surprise d’une main tendue vers Cuba après 54 ans d’embargo contre le régime Castriste. Il y a un an, aux obsèques de Nelson Mandela, Obama avait serré la main de Raul Castro. Cette fois, il a décidé de « normaliser » les relations entre les deux pays, en desserrant l’étau américain sur l’île et en proposant de rouvrir une ambassade à La Havane. Techniquement, il n’a pas « levé » l’embargo. Il n’en n’a pas le pouvoir. Seul un vote du Congrès peut en décider. Mais il a marqué les esprits et peut-être l’histoire. Tout comme il y eut en 1972 le voyage de Nixon en Chine, pour rétablir des relations après un hiatus de vingt-cinq ans, on se souviendra qu’il y eut en 2014, cette avancée américaine du président Obama. Avancée quasi gratuite, il faut le noter. Obama n’a rien demandé en contrepartie, sinon la libération de deux prisonniers américains.

Il est à présent question d’un accord historique imminent avec l’Iran sur leur programme nucléaire. Obama a également obtenu du nouveau gouvernement de Kaboul que des militaires américains demeurent stationnés en Afghanistan, au-delà de la limite de décembre 2014. Ce que le président Karzaï avait refusé. Et les frappes américaines et alliées contre Daech, ont stoppé la progression de ce mouvement en Irak et en Syrie.

En politique intérieure, Obama a enfin approuvé une nouvelle règlementation environnementale limitant les concentrations d’ozone, et il a obtenu un accord sur le budget qui a évité un baissé de rideau du gouvernement, c’est-à-dire la fermeture des services administratifs, faute de crédits.

Pour un président dit « boiteux », voilà une rare et impressionnante série de succès. Loin d’être battu et affaibli, Obama apparaît, tel Prométhée, libéré. Déchainé, même.

Il y a une explication très simple, et très politique, à la multiplication des décisions prises par le président Obama. Le calendrier. Obama veut agir avant que la nouvelle session du Congrès ne s’ouvre à la mi-janvier, afin de couper l’herbe sous le pied de la nouvelle majorité républicaine. En clair, il veut en faire le plus possible tant qu’il le peut encore.

Il y a une autre explication. Obama veut mettre à profit les deux années qui lui restent pour instituer les changements promis durant ses campagnes et sur lesquels il n’a jamais réussi à s’entendre avec le Congrès. Même du temps où le Sénat avait encore une majorité démocrate. Si au passage il peut se ménager une place de choix dans l’histoire, c’est encore mieux pour lui.

Il y a, toutefois, un problème sur la méthode. Le président agit par décret. C’est-à-dire sur le seul pouvoir de son autorité de chef de l’exécutif. Au mépris, pourrait-on dire, de l’opinion publique, et de l’appareil législatif. Car si les électeurs ont voté massivement en novembre pour des candidats républicains, c’est peut-être que la politique menée par les démocrates, ne leur convenait pas. Ce dont le président Obama se soucie comme d’une guigne. Il agit pour lui et pour son camp, dans le respect de la lettre des institutions, mais pas de l’esprit…

Par ailleurs, les décisions de Barack Obama sont soutenues par une part importante de l’électorat, en particulier les minorités (pour la question de l’immigration), les jeunes (pour la question cubaine et l’environnement) et les femmes (qui n’aiment pas les blocages institutionnels). Cet électorat est, certes, déjà acquis aux démocrates. Mais son enthousiasme à soutenir la cause vient d’être revivifié par le  succès.

L’ironie est qu’Obama va ainsi à l’encontre de ce qu’il avait toujours affirmé. En 2008 il avait fait campagne contre la « présidence impériale », c’est-à-dire un exécutif coupé du peuple et agissant sans contrôle. «Le problème le plus sérieux qui affecte nos institutions, disait-il alors, est celui d’un pouvoir  exécutif trop puissant et d’un président qui ne passerait jamais par le congrès » (31 mars 2008).

Deux ans plus tard, en octobre 2010, lors d’une conférence de presse, devenue fameuse, il était revenu sur la question : « Je ne suis pas roi. Je ne suis que président, avait-il dit.   Je ne peux pas agir seul,  à ma guise…. Notre système de gouvernement impose au Congrès et au président de travailler ensemble… Mon devoir est d’exécuter la loi, pas de faire la loi. »

Obama est devenu aujourd’hui le personnage qu’il combattait hier.  Il fait pour son compte ce qu’il dénonçait chez un autre. Mais, comme chacun sait, seuls les imbéciles ne changent jamais  d’avis.

*Photo : wikicommons.

Lire ou relire Henri de Kérillis

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henri kerillis gaulle

Sur une étagère de ma bibliothèque, j’ai récemment redécouvert un vieux livre poussiéreux aux pages coupées, livre que mon grand-père a transmis à mon père qui me l’a transmis à son tour. Datant de septembre 1942, il était écrit sur la couverture « Français, voici la vérité !… ». Dans les premières pages, son auteur – Henri de Kérillis – se présente lui-même comme nationaliste. Ce terme, notre époque en perte de sens et de repères ne peut plus l’interpréter comme Kérillis dans les années quarante, si bien qu’il conviendrait mieux aujourd’hui de parler de « patriote » le concernant. Officier de cavalerie durant la PremièreGuerremondiale, et plus tard rédacteur en chef du journal L’Écho de Paris, il n’aura cessé durant les années trente de mettre en garde contre la montée d’un impérialisme revanchard outre-Rhin. Ce livre, il l’écrit en exil aux Etats-Unis, afin que les Français puissent se faire une idée a posteriori du drame qui se jouait alors en France.

L’originalité de Kérillis dans le paysage nationaliste provient de son idéalisme. Attaché à défendre les intérêts de la France envers et contre tous, il n’hésitait pas à se mettre à dos les gens de sa propre famille politique lorsque le bon sens le commandait. Ainsi s’est-il parfois retrouvé, en tant que député (entre 1936 et 1940), à voter contre son camp et comme les communistes lorsque lui semblait mise en jeu la souveraineté de la nation. C’est une forme de courage qui va à l’encontre de la logique parlementaire et qui est donc très rare, tous bords confondus. Kérillis relève qu’à sa connaissance le seul homme à s’être toujours tenu aux mêmes principes en ces temps troubles fut le député de droite Georges Mandel. Henri de Kérillis est donc une figure tout à fait digne d’estime. Pourtant, il demeure totalement inconnu et le restera probablement. Pourquoi ? Parce qu’aucune coterie ne peut l’accaparer ; Kérillis est le grain de sable dans la mécanique partisane.

Démonstration. Les convictions politiques de ce fervent patriote étaient bien ancrées à droite. Malgré l’objectivité qu’il pouvait manifester à l’égard des communistes, il eût été difficile de demander à ces derniers les mêmes scrupules, attendu qu’ils s’en remettaient à Moscou. Le pacifisme et l’internationalisme d’une bonne partie de la gauche de l’époque lui aliènent également le personnage.

À droite, en revanche, nombreux pourraient être ses émules. Le malheur est que Kérillis, un temps exalté par l’appel du 18 juin (cf. livre susmentionné), se montrera dur avec de Gaulle lorsqu’il lui semblera que celui-ci ne roule que pour lui. Échaudé par la manière dont le futur président se mettra systématiquement en avant pour écarter ses concurrents (Giraud notamment) à l’heure où l’union aurait dû primer l’ego, il  finira par se rendre compte qu’à cette époque, de Gaulle se servait quelque peu de son patriotisme comme d’un marchepied. Dès lors, et jusqu’à sa mort survenue quelques mois seulement avant la naissance de la Cinquième République, Kérillis se défiera de lui (De Gaulle dictateur dès 1945). Or, comme tout ce qui à droite n’est ni libéral ni monarchiste doit fatalement à notre époque se revendiquer gaullien, là encore le soldat Kérillis est encombrant.

Reste l’extrême droite. Mais, pour une tout autre raison, l’enthousiasme pour cet homme n’y est pas non plus à l’ordre du jour. Dès l’avènement d’Hitler, l’Allemagne est devenue pour Kérillis le principal et le plus dangereux des ennemis de la France. Il faut rappeler que ce sentiment était loin de faire l’unanimité dans la première moitié des années 1930, même au sein de la mouvance nationaliste. Alors qu’il eût semblé évident pour des nationalistes d’apaiser momentanément certaines querelles internes pour faire corps contre un prédateur étranger, des voix issues de leurs rangs mirent davantage en exergue le péril judéo-bolchévique. Un complot réputé mondial minait le pays en sous-main et ni les éructations du Führer ni le réarmement intensif en Allemagne ni même ses quelques annexions ne pouvaient, de leur point de vue, noyer le poisson. Exit donc la référence à Kérillis pour les tenants contemporains d’une cabale de la haute finance mondiale. Et ce n’est pas non plus Georges Mandel qui peut avoir grâce à leurs yeux puisqu’il avait le mauvais goût d’être juif.

Voilà bien une situation paradoxale où un homme, soucieux par-dessus tout du sort de son pays, qui, au-delà des postures partisanes, s’est voulu électron libre au service exclusif de la France durant l’un des plus grands drames de son histoire, un patriote dont la figure pourrait presque faire l’unanimité, est maintenu dans les limbes. Et ce pour la raison que dans la simplicité et la sincérité de son attachement, c’est un personnage beaucoup trop complexe pour s’en autoriser, en particulier chez les défenseurs les plus bruyants de l’idée de patrie. Entre ceux qui font de l’islam le fascisme qui vient et ceux qui fustigent la juiverie tentaculaire, c’est à celui dont le patriotisme lavera plus blanc. Chacun ayant par là recours au rassemblement par défaut, c’est-à-dire au travers de la désignation d’un ennemi commun. C’est un procédé qui, d’une part demande peu d’efforts et de discernement, d’autre part – et pour cette raison même – est toujours voué à un grand succès. Mais il n’a en soi rien de patriotique dans la mesure où le commun que défend le patriote ne peut se réduire à l’exclusif.

Le patriotisme que manifesta Henri de Kérillis était suffisamment exigeant pour rassembler des compatriotes autour de l’importance d’une France souveraine et de valeurs nationales. Il l’était aussi pour démasquer les clowns qui se réclament abusivement de la patrie afin de voiler leur paresse intellectuelle. Je ne pourrais vous conseiller l’achat d’un livre de Kérillis, étant donné qu’aucun n’est disponible autrement qu’en édition originale chez les revendeurs de livres d’occasion. Toutefois, le cœur y est.

*Photo : wikicommons.

Un magnifique Schnock

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Le treizième numéro de Schnock vient de sortir. En couverture (il était temps !), un Belmondo torse-poil, pectoraux en apesanteur, cigare aux lèvres, rigolard, l’air de vous dire : « Je ne fais pas dans l’utile, je fais dans le romanesque ». Joss Beaumont est de retour et il a mangé du Royal Canin. Le commissaire Rosen de la Brigade sauvage n’est pas prêt de le stopper. Bart Cordell a repris la boutique. Les Héritiers de l’acier peuvent aller se rhabiller. Vous l’aurez compris, espionnage et belles châtaignes au menu de cette indispensable revue aux couleurs 70’s et aux senteurs Gitane. Lire Schnock, c’est monter à bord d’une Fiat Supermirafiori, porter un improbable blouson en cuir aux manches détachables et réciter du Audiard sur une musique entêtante d’Ennio Morricone.

Dans cet opus d’hiver, un incorrigible dossier pour tout savoir sur Bébel, interviews de Charlot (Charles Gérard), Lelouch, Bedos, Françoise Brion et Philippe Sarde entre autres, un éclairage sur l’impossible adaptation du Voyage au bout de la nuit, scoumoune du cinéma français, quelques dérapages contrôlés, des cascades héliportées à la Rémy Julienne et une brochette de Belmondettes qui relèguent les James Bond girls au rang de chaisières. Maureen Kerwin et Dany Kogan troubleront votre sommeil du week-end. Mesdames, vous m’avez charmé, positivement charmé !

Mais si Schnock fait la part belle à Jean-Paul, il n’en délaisse pas pour autant les sujets de fond : l’enterrement de Bézu à la Mouffe où tout le monde ne s’éclatait pas à la queuleuleu, les recettes des tubes de Vline Buggy pour le plaisir, Cloclo, Sardou ou Hugues Aufray ne pouvaient se passer de ses talents de parolière, les souvenirs de sa Majesté Brett Sinclair sur le tournage d’Amicalement vôtre, quelques cocktails Molotov lancés gaillardement par Mocky sur ses confrères, un texte piquant de l’ami Arnaud Le Guern sur L’Année des méduses, les souvenirs de pellicule de Claude Nori[1. Dernier ouvrage paru : Un photographe amoureux aux éditions Contrejour.] sur De Niro et même une étude sur les tatouages Malabar. Gonflé, non !

 

Pour un djihad sexuel

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djihad maxime hauchard

Qu’ils s’appellent Maxime Hauchard ou Tartempion, les djihadistes français, plus d’un millier à ce jour, font parler d’eux — les uns en coupant des têtes, d’autres en appelant François Hollande à se convertir à l’Islam, les uns et les autres en laissant pousser leur barbe et leurs cheveux.
Cette histoire de barbe me turlupine. Syndrome de Samson : « Du côté de la barbe est la toute-puissance », dit l’un des personnages les plus bornés de Molière. Les sportifs évitent de se raser avant un match, la plupart pensant que cela leur faire perdre de l’influx. Nombre d’hommes préfèrent écorcher l’épiderme délicat de leurs partenaires, plutôt que de transformer leurs joues en pistes d’atterrissage à bisous, de peur sans doute d’être moins performant : la râpe ou le Viagra. Le Prophète aurait-il comploté la ruine de Gillette ? Les talibans, du temps où ils contrôlaient l’Afghanistan, exécutaient parfois des compatriotes qui s’obstinaient à rester imberbes, sous prétexte qu’ils étaient d’origine asiate et dépourvus de ce système pileux qui donne l’air si ouvert et intelligent. C’est qu’une barbe naissante ou fournie a toujours été le symbole de l’insurrection. En 1973, quelque part sur les plages désertes de Belle-Ile-en-mer en plein hiver, un révolté post-soixante-huitard exhibait barbe et cheveux longs — en sus, un splendide manteau afghan qui passerait aujourd’hui pour un signe de ralliement aux fous de Dieu. Sans doute pensait-il entraîner le capitaliste Wilkinson sur la pente fatale de la faillite…

brighelli barbe islam

Par charité, taisons son nom. Soyons sérieux. « Déficit d’idéal », dit la presse-qui-sait et qui tente de commencer à comprendre les raisons du tourisme tortionnaire. Ce n’est pas bien neuf. Les plus de 60 ans et ceux qui ont fait des études se rappelleront ce slogan de 1968 : « Nous ne voulons pas d’un monde où la certitude de ne pas mourir de faim s’échange contre la certitude de mourir d’ennui ». Je me rappelle en avoir tiré, lors d’une discussion de groupe, la conclusion que le capitalisme allait rapidement crever d’un déficit idéologique — j’étais mao, à l’époque, et pour un mao, ce n’est pas le facteur économique qui est déterminant, mais le facteur idéologique. Un monde qui n’avait à nous proposer que des variations sur la mode (coupe droite ou pattes d’éph ?) ou la multiplication des chaînes de télévision ne pouvait durer bien longtemps.
Contre toute attente, l’Histoire ne fut pas aussi immédiate que notre désir, et le turbo-libéralisme inventa les radios libres, la consommation effrénée d’objets de plus en plus programmés pour mourir précocement, la multiplications des petits pains de McDo, des écrans couleurs, plats, plasma, Bernard Tapie, Bernard Arnault, François Hollande, et j’en oublie.
Eh bien, ça ne marche pas — pas pour tout le monde. Surtout quand on n’a pas les moyens de s’offrir les derniers gadgets à la mode. On fait un peu de délinquance, autre voie vers la félicité consommatrice, mais c’est moyennement satisfaisant. Reste la décapitation d’êtres humains, très tendance. Sans compter que la guerre est un champ d’exploration illimité pour tous les détraqués. Elle est quand même un meilleur laboratoire pour les tueurs en série que la paix telle que nous l’offre la société de surconsommation.
Entendons-nous : ce n’est pas en leur offrant plus de gadgets, plus d’émissions débiles que nous convaincrons les candidats au martyre de rester dans leurs foyers. C’est une loi immuable de l’offre et de la demande : si l’offre est inférieure la demande, une frustration s’installe. Or, l’offre est limitée, puisqu’elle est marchande, et la demande infinie, puisqu’elle est imaginaire. On ne comble pas un déficit idéologique (il serait temps de s’apercevoir que le libéralisme n’est pas une idéologie) avec des biens de consommation, aussi nombreux soient-ils.
Alors ? Comment convaincre les candidats à la mort brutale ou au viol légal (parce qu’il y a des filles aussi parmi ces illuminés) que nous avons ici de quoi satisfaire leurs aspirations à l’infini ?

Il y a déjà eu, en France, des périodes où sévissaient des chapes de plomb. Les trente dernières années de Louis XIV, par exemple. Le catholicisme étroit et meurtrier de Mme de Maintenon écrasait la France. Certains — les Protestants, par exemple — émigrèrent, et s’enquirent d’un supplément d’âme en Hollande, où ils rencontrèrent le capitalisme naissant. D’autres résistèrent de l’intérieur, dans les salons, dans les alcôves, dans les « petites maisons » où se tramaient des orgies libératrices. Et tout ce libertinage conduisit à la liberté de penser — et, 80 ans plus tard, à la liberté tout court. Les rigueurs du robespierrisme plus tard engendrèrent les Incroyables et les Merveilleuses, et la dernière guerre produisit les zazous. Toute rigueur génère son contraire.

En vérité, frères et sœurs tentés par le jihad, en vérité je vous le dis : au lieu de vous lancer dans des périples hasardeux au bout desquels vous finirez mal, défoncez-vous ici les uns les autres ! Aimez-vous les uns sur les autres ! Les uns dans les autres ! Nous sommes dans des temps de crise et d’ordre moral : osez les combinaisons érotiques les plus échevelées, épuisez-vous d’amour, et réfléchissez, ce faisant — au beau milieu d’une combinaison frénétique avec une ou plusieurs créatures : le sexe vaut mieux que la religion, la petite mort vaut mieux que l’agonie réelle. Emmanchez-vous tous ensemble, prosternez-vous afin de faciliter l’accès, agenouillez-vous pour oser des papouilles, buvez un coup de rouge dans les intervalles (je me méfie spontanément de ces sectes qui méprisent l’alcool — surtout quand il est bon), le sarget de gruaud-larose se vend en se moment 35,50 € le magnum (« une aubaine », dit Périco Legasse dans le dernier Marianne), jamais le paquet de capotes pré-lubrifiées n’a été si bon marché… Et vous verrez : avec le sexe, le savoir et la vérité entrent tout seuls, même dans des cervelles étroites. « Je te sodomise, donc tu es », disait Socrate à Alcibiade. On sait depuis longtemps « comment l’esprit vient aux filles » : mais il vient aux garçons par le même canal. Plutôt qu’un été en Syrie, tricotez-vous un second « summer of love ». Faites l’amour, pas le jihad. Un massacre ne vaut pas une orgie. Pourquoi diable rajouter « de Dieu » à « amour », qui se suffit à soi-même ?

Tout libre penseur que je sois, je ne vous oblige même pas à cesser de croire — il en est chez qui la permanence d’une foi sincère au milieu d’ébats sophistiqués procure des sensations supplémentaires, nées d’un délicieux frisson de culpabilité. Le paradis n’est pas ailleurs : il est ici et maintenant. Et plutôt que de compter sur Allah pour vous procurer, au terme d’une ordalie douloureuse, je ne sais combien de vierges dans un paradis problématique, réfléchissez à cette évidence : des vierges des deux sexes, vous en avez ici pléthore. Et sans voile : au moins, on peut choisir en toute connaissance de cause.
Cette préférence pour les vierges m’est d’ailleurs éminemment suspecte. Comme s’ils craignaient la concurrence et la comparaison. Je te choisis vierge, au moins, tu ne sauras jamais à quel point je m’y prends comme un manche. Les jeunes jihadistes auraient-ils le sexe difficile — ou honteux ? Allez, « la honte de l’amour est comme sa douleur : on ne l’éprouve qu’une fois » — c’est dans les Liaisons dangereuses, qui valent bien tous les bréviaires du monde.
Et s’il vous plaît, rasez-vous — vous allez mettre Bic sur la paille…
Sur ce, Joyeux Noël !

Djihadistes, Zemmour : nos contes de Noël

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Ce n’est pas possible. C’est inconcevable. On nous avait pourtant promis la fin de l’histoire, la fin des guerres, la fin des frontières, la fin des religions, la fin des fanatismes, la fin des fins, la vraie der des ders, et voilà que ça repart. Nous étions pourtant bien tranquilles entre Européens, dans le petit vase clos de notre espace Schengen, convaincus d’avoir pour de bon réussi à abolir le passé, le présent et l’avenir, pour rêver d’un futur sans lendemain, un présent perpétuellement remis à jour : le jour sans fin, le vrai.

Et voilà que, pour commencer, l’ours russe sort les griffes, furieux qu’on lui piétine les pattes tandis que le sommeil de l’Europe au bois dormant est troublé par des fous furieux, dont il est impossible d’évaluer le nombre et qu’aucun plan vigipirate ne peut arrêter, répondant à l’appel de Daech et se mettant en tête de faire exploser la France en fonçant sur des piétons dans un marché de Noël ou en attaquant un commissariat. Tandis que l’on était occupé dans les journaux à débattre du cas Zemmour ou de la place des crèches de Noël dans les mairies, la réalité s’est rappelée à notre mauvais souvenir. Le réveil est forcément un peu difficile. Madame le Procureur de la République à Dijon a avancé que le forcené qui a blessé treize personnes dans sa ville n’était qu’un simple déséquilibré dont les actes ne relevaient pas de l’entreprise terroriste. Comme si tous les types qui décapitent, roulent sur des piétons ou abattent des fillettes dans les cours d’école au nom de l’Islam n’étaient pas des déséquilibrés. Mais le procureur de Dijon avance que le fou furieux a simplement crié « Allahou Akbar » pour se donner du coeur à l’ouvrage. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, a d’ailleurs confirmé ces propos. Il est donc établi qu’un type qui fonce à cinq reprises dans la foule en hurlant « Allahou Akbar » ne commet pas d’attentat. Il a simplement un coup de chaud, ce n’est pas un acte terroriste. Ceci n’est pas une pipe, écrivait Magritte en peignant une pipe. La langue de bois est devenue une véritable œuvre d’art contemporaine, à force d’absurdité. Les McCarthy et Jeff Koons peuvent aller se rhabiller, leurs provocations font pâle figure à côté des perles langagières qui dérivent dans l’immensité du vide politique.

Mais en dépit de ces exorcismes médiatiques, le ready-made assassin a fait des émules. Deux heures après Dijon, c’est Nantes qui était la cible d’un autre « déséquilibré », choisissant lui de foncer à travers un marché de Noël et faisant onze blessés. Vingt ou trente minutes après l’attentat, les médias ont attendu avec angoisse que l’on confirme ou non la nouvelle: le conducteur avait-il crié lui aussi « Allahou Akhbar »? Il s’agissait de pouvoir labelliser avec certitude ce deuxième acte de violence, comme si la cible choisie pour l’attaque n’était pas assez symbolique. Dans la foulée, le président annonçait la tenue d’une réunion ministérielle d’urgence, dont il ressortira sans doute qu’il convient désormais d’interdire les marchés de Noël ou d’apposer sur les tableaux de bord des voitures des autocollants invitant à la modération religieuse avant de prendre le volant.

Ceux qui prétendent en Irak ou en Syrie servir l’Islam traditionaliste sont des déséquilibrés au même titre que ceux qui se jettent en voiture dans la foule ou ceux qui décident d’aller « faire le djihad » dans leur califat de déséquilibrés. Etait-il vraiment utile de préciser que ces fous de Dieu sont des fous furieux ? Ces fous-là d’ailleurs ne servent ni Dieu ni aucune sorte de tradition. Le fondamentalisme de Daesh et de ses multiples excroissances fanatisées n’est qu’un nihilisme parmi d’autres. L’islamisme renouvelé de 2014 ne propose qu’une table rase sommaire et ultra-radicale : plus de culture, plus de religion, plus d’histoire, seulement une sorte de mystique dévoyée mêlant la sacralisation de la violence à une caricature de théocratie qui séduit tous les laissés pour compte et les ratés, tous les perdants radicaux, comme l’écrivait Enzensberger, choisissant de se reconvertir en soldats de Dieu après avoir cessé de révérer le dieu Argent, lassés de ne pas devenir les petits arrivistes qu’ils rêvaient d’être.

Ceci devrait poser question à l’Islam dans lequel cette « nouvelle radicalité » prétend trouver ses racines et sa justification morale. Cela devrait aussi poser question à l’imam de Lunel, ce prétendu religieux qui cautionne la barbarie nihiliste au nom des « enfants de la Palestine », comme le chauffard en croisade de Dijon prétendait agir « par empathie avec les enfants de Tchétchénie ».  Cela devrait enfin interroger les sociétés qui produisent ou accueillent ce genre de fanatiques sans oser les nommer clairement, une société qui fait tellement profession de se détester qu’elle est une cible parfaite pour cet Islam-là qui se rêve à nouveau guerrier et conquérant, une société qui oppose sa propre vacuité au vide de « cette religion sans culture », de cette « Sainte Ignorance ».

La ridicule affaire des crèches de Noël a montré à quel point une minorité agissante raisonne encore en France, comme si nous étions encore au XIXe siècle ou coincés pour l’éternité dans un mauvais Don Camillo : ces « libres penseurs » prisonniers de leurs dogmes qui ne supportent rien de leur propre culture, ces antifas qui chassent les spectres d’une histoire qu’ils ne connaissent pas pour mieux ignorer les excès d’un monde qu’ils ne veulent pas voir. Le nihilisme de Daech, des jeunes djihadistes ou des déséquilibrés qui attaquent les commissariats ou foncent sur les marchés en hurlant « Allahou Akhbar » répond au nihilisme d’une société qui renonce à son histoire, qui renonce à exister et qui renonce même à nommer ses agresseurs, de peur qu’ils la frappent plus durement. Il fut un temps où Sartre compagnon de route enjoignait de prêcher le mensonge pour ne pas désespérer Billancourt. Aujourd’hui, alors que la gauche se fiche bien de Billancourt, il faut intervenir en Irak mais pas à Kobané la syrienne pour éviter de tuer un jeune djihadiste français. De même qu’après trois actes de terreur, certes perpétrés par des individus isolés mais revendiqués au même cri d’« Allahou Akhbar », il faut parler de déséquilibrés pour ne pas désespérer les banlieues.

Les pouvoirs publics semblent tétanisés à l’idée d’appeler l’islamisme ou le terrorisme par leur nom au lieu de continuer à parler d’actes isolés, sans liens les uns avec les autres. Bien sûr qu’il s’agit d’actes isolés mais il existe un lien tellement évident entre ces trois attaques, qui ont eu lieu pour certaines à quelques heures d’intervalle, qu’il paraît presque surréaliste de le nier. Confrontés à cette menace, nous sommes désarmés par des années d’autoflagellation et de terrorisme intellectuel et nos dirigeants sont paralysés par la crainte de ne pouvoir préserver la paix sociale ou de « stigmatiser », péché mortel. Nous n’avons pas besoin de Daech ou de ses émules pour nous faire peur : quand il s’agit de nommer nos maux, nous sommes terrorisés par nos propres mots.

*Photo : Pixabay.

Joe Cocker : gloomy blues

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Chez les commères savantes du rock, on lui reprochait d’avoir choisi la facilité de mélodies en moleskine, des chansons sinon d’aéroport au moins de jet privé, de s’être glissé dans la peau d’une sorte de crooner à la voix de râpe huilée au sirop de glucose. Or, le miracle de son chant se reproduisait toujours, et nous laissait interdits, stupéfaits, fervents.

Joe Cocker inventa le blues de Sheffield, ville du nord de l’Angleterre où il naquit, autrefois prospère par ses aciéries, condamnées à peupler les grands cimetières industriels sous la lune. Un peu de cet acier mêlé de rouille se fixa sur ses cordes vocales. Quand il chantait, lui au naturel si placide, se métamorphosait en bonhomme d’animation, des spasmes d’électricité agitaient son buste et brutalisaient ses mains. Il chantait, et c’était comme une forge de mélancolie.

Joe Cocker était malade depuis longtemps, aujourd’hui il est mort. Il fut à la mesure de notre immense chagrin moderne.

Aux musulmans de combattre le terrorisme

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boualem sansal islam crif

Orléans, 3 décembre 2014

Monsieur le président du CRIF,
Honorables invités,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Chère Eliane Klein,

Comme je ne sais trop comment vous remercier pour l’honneur que vous me faites de m’inviter à votre dîner, je vous dis simplement MERCI, mais sachez que j’y mets toute la force d’amitié, de respect et d’admiration que j’ai pour vous et pour votre combat.
C’est un dîner amical, nous sommes censés nous réjouir mais et je vous prie de m’en excuser, les propos que je vais tenir ne sont pas particulièrement heureux. C’est que le contexte ne l’est pas et à vrai dire il est noir il nous met à la torture.

Chers amis,
Dans mes moments de vraie lucidité, de pessimisme me disent certains de mes amis, je vois l’évidence et je constate avec effarement que l’islamisme a gagné la partie et que la haine de l’autre, si parfaitement incarnée dans la haine du juif, explose dans le monde. Ces maladies sont si contagieuses que rien ne semble pouvoir les juguler, elles nous menacent carrément de disparition en tant qu’hommes et peuples libres, fraternels et maîtres de nos destins. Même cette Europe des Lumières si puissante ne sait pas s’en défendre, la voilà infestée, l’antisémitisme reprend du service comme jadis, dans tous les compartiments de la société, pas seulement dans l’extrême droite et les quartiers dits difficiles où là il s’exprime librement en paroles et en actes. Le temps de l’incubation est passé, l’épidémie est installée, elle galope, ici l’antisémitisme est dans le délire, il rêve tout haut de nouveaux holocaustes, et là l’islamisme qui en Europe est peut-être le rejeton de l’antisémitisme et d’un certain islam hypertrophié, passe à l’acte et se construit des plans apocalyptiques planétaires dont nous avons vu les premières démonstrations à Toulouse, Bruxelles, dans les pays arabes qu’un printemps facétieux a livrés pieds et poings liés aux islamistes et aujourd’hui à la dèche et au Daesh.
Mais plus que l’étendue et l’atrocité de ces maladies, c’est l’évolution du rapport de force qui m’inquiète. D’un côté l’islamisme et l’antisémitisme sont de plus en plus offensifs, inventifs, et de l’autre côté il y a nous, tétanisés par la peur, et nos États si timides, pour ne pas dire lâches ou pire attentifs comme s’ils s’accommodaient de ces dérives ou espéraient en tirer un profit. Quand on voit l’évolution des relations des EU et de l’Europe avec l’Iran, l’Arabie, le Qatar, les maîtres du terrorisme et du djihad, on ne doute pas de leur penchant pour les accommodements contre nature.

Je voudrais maintenant partager avec vous quelques-unes de mes colères :
En premier je crois vraiment intimement que combattre l’islamisme comme le font les Occidentaux, c’est-à-dire à la place des musulmans, est une erreur grave : c’est les libérer de leur devoir de défendre eux-mêmes leur religion et leurs pays, c’est les exonérer de leur obligation de s’acquitter de leur part dans le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde, c’est les exonérer de leur responsabilité dans le développement de l’islamisme au sein de leur société et de son exportation, c’est enfin les empêcher de faire par eux-mêmes l’expérience historique, sans doute douloureuse, de la sécularisation de leur pays et de la révolution démocratique. C’est d’autant plus grave qu’au bout l’Occident sera accusé d’ingérence dans le monde musulman, ce qui relancera l’islamisme. Bombarder le Daesh comme le font les américains et les Français est une autre erreur, elle installe les États arabes dans une situation de spectateurs observant l’Occident combattre la barbarie à leur place dans leurs propres pays. En 67 et en 73, si je me souviens bien, les États arabes unanimes ont su s’unir pour encercler et attaquer Israël, et avec d’énormes moyens, et avec la bravoure que l’on sait, pourquoi ne le font-ils pas aujourd’hui quand là réellement leur existence est menacée ? A part écraser leurs populations, que font leurs armées, pourquoi ne sont-elles pas au Daesh ?

S’agissant de l’antisémitisme, la réalité est d’un triste absolu : personne ne le combat réellement et donc il avance allègrement, il organise même des spectacles très courus. L’islamisme ambiant que l’on ménage de peur qu’il se radicalise, lui offre une onde porteuse très puissante. Il faut sortir de ce chantage à la paix sociale pour les uns au détriment des autres, il faut lui mener une guerre totale, minutieuse, acharnée.
Je déplore enfin ce mouvement qui voit un peu partout les juifs quitter leurs pays pour Israël. Quitter son pays c’est l’affaiblir et le livrer aux islamistes et aux antisémites, et leur installation en Israël n’est pas forcément bénéfique pour ce pays dont les ressources sont limitées et les difficultés déjà grandes. Je pense qu’on peut mieux aider Israël en restant dans son pays.
Au-delà des discours œcuméniques, voilà ce qui peut réellement rapprocher les musulmans et les juifs : se battre ensemble contre leurs ennemis communs : l’islamisme et l’antisémitisme.

Un mot sur le conflit israélo-palestinien. Ce conflit a connu des évolutions de plus en plus complexes qui rendent sa résolution quasi impossible, il était israélo-palestinien, il est devenu israélo-arabe, puis israélo-musulman, puis israélo-islamiste, et le cercle ne cesse de s’élargir. Israël doit se battre sur trente-six fronts, et pendant ce temps ses amis se font distants comme s’ils s’apprêtaient à changer de doctrine. Une démocratie au cœur du monde arabe ne leur semble plus une idée sensée, elle crée trop de remous autour d’elle, elle met à nu les voisins, ça les enrage. On se demande si la reconnaissance d’un État palestinien qui se discute en ce moment un peu partout dans les pays occidentaux est un geste pour amadouer les djihadistes, ou si c’est un appui au processus de paix entre Israël… et qui d’autres au fait (le Fatah, le Hamas, l’Iran, le Daesh ?) ou si elle n’est pas tout simplement la mise en œuvre de cette doctrine, sacrifier Israël pour apaiser la colère des fous d’Allah. C’est une erreur grave. Se substituer aux palestiniens n’est pas les aider mais les traiter en mineurs et les empêcher de se réaliser par eux-mêmes, c’est agir comme ont fait les États arabes qui depuis 1948 exercent sur eux une tutelle débilitante dont le résultat sur la région et le monde est effarant. Les palestiniens devraient d’abord se libérer de ceux qui se veulent leurs tuteurs et décider par eux-mêmes de leur destin, c’est la seule voie digne. Quand on est libre, on est fort et quand on est fort, on sait faire la paix. Je pense qu’ils devraient agir comme Israël qui ne cède jamais à personne la moindre parcelle de sa souveraineté.
Si la démocratie recule au Proche-Orient, dans cette région symbolique pour des milliards d’êtres humains, c’est le sens de l’histoire qui change de direction, c’est le retour à la préhistoire et aux grands exodes.

Merci de votre attention.

*Photo : Markus Schreiber/NBC/AP/SIPA. AP21168831_000004.

Cuba : la stratégie gagnante d’Obama

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cuba obama fabius

Le rôle que joua Cuba dans la guerre froide permet de qualifier sans grandiloquence le rapprochement entre La Havane et Washington d' »historique ». La Russie ayant rouvert récemment sa base d’écoutes sur l’île, la rivalité entre la Russie et les Etats-Unis à Cuba n’est certes pas terminée. Il n’en reste pas moins que la méthode autant que la portée diplomatique de l’accord sont remarquables.

A chaque succès de la diplomatie Obama (Iran, Birmanie, Ben Laden…) le secret, conservé jusqu’au bout, a été la clé et la garantie de la réussite. Facilitées par des intermédiaires discrets (Oman, Canada, Vatican, Suisse..) les négociations ont, dans un premier temps, traité de sujets simples (libération de prisonniers par exemple) puis d’intérêts communs, principalement économiques. Une fois la confiance rétablie entre les parties, les sujets se sont élargis pour constituer, petit à petit, un accord final. En tout dernier lieu, et au bout de quelques années de patientes et laborieuses tractations, l’accord est révélé au grand jour. Cette méthode opaque et a priori « peu transparente » a été théorisée et pratiquée par Henry Kissinger, qui de Jérusalem à Pékin, sut dénouer dans le secret des dossiers réputés tabous.

Aux Etats-Unis, cette diplomatie discrète se heurte à la Constitution. Barack Obama ne peut aller plus loin avec Cuba sans l’accord du Congrès puisque la fédération des Etats-Unis fait une large place à  la “diplomatie parlementaire”. Le Sénat représente chacun des 50 membres et il est le seul habilité à ratifier les traités. La normalisation des relations avec Cuba passe par le Capitole. La pression des lobbies sur des élus qui cherchent davantage à complaire à leurs électeurs qu’à la Maison-Blanche, rend la partie encore incertaine.

La France, qui reste encore un Etat jacobin, a longtemps profité de ses pouvoirs exécutifs très centralisés pour mener une diplomatie audacieuse et détachée de toute pression intérieure ou parlementaire. Au Moyen-Orient, en Chine ou en Afrique le général De Gaulle a souvent eu un temps d’avance sur son temps. Cinquante ans plus tard, l’équilibre du monde ou le simple intérêt national ne sont plus à l’ordre du jour. Au fil des quinquennats, on a le sentiment que l’Elysée exploite le domaine réservé pour « représidentialiser » un chef de l’Etat embourbé sur la scène intérieure.

Au cours de séquences internationales consensuelles, les effets d’annonce se succèdent. De secret et de négociation dans la durée, il n’en est plus question. Un voyage et une poignée de main suffisent. D’ailleurs, malgré les ambitions de Laurent Fabius, la diplomatie économique, c’est Bruxelles qui l’exerce (ou plutôt ne l’exerce pas). Pour ne pas apparaître isolé, le quai d’Orsay s’épuise à annoncer régulièrement la tenue de conférences (sur la Syrie, sur la Palestine, sur le climat…). Autrement dit, on fixe d’abord de grands objectifs ambitieux (la paix, la réduction des gaz à effet de serre, etc.) qu’on enrobe d’un prêchi-prêcha moral. On définit ensuite dans les médias un cadre espace-temps contraignant: notre ministre des Affaires étrangères et du développement international s’est donné deux ans pour résoudre le conflit israélo-palestinien et un an pour un accord mondial sur le climat. En parallèle, on laisse l’Assemblée dicter des vœux de politique étrangère au Président, histoire de durcir un peu plus la négociation.  » Je compte beaucoup sur la diplomatie parlementaire » a répondu Laurent Fabius à une question d’un député mercredi dernier sur la méthodologie de la conférence climat. Puis on convoque nos partenaires pour parapher l’accord rédigé à Paris. Recette imparable pour mener à l’impasse. Les invités font alors mine de regretter l’échec de l’initiative. Et si par chance la conférence a lieu, on s’auto-congratule autour d’une photo et d’une déclaration sans lendemain. Peu importe après tout, la stratégie diplomatique française n’est que verbale.

On a beau jeu en France de dénoncer la timidité d’Obama et de gloser sur le déclin des Etats-Unis. A contrario, on se félicite des prétendues réussites de la politique étrangère française, au Moyen-Orient et en Afrique. Laurent Fabius est un des ministres les plus populaires et le secteur où François Hollande est le moins contesté dans les sondages est sa politique étrangère. En réalité, nos rares succès sont militaires; au Mali, en Centrafrique et même en Irak. Et ils ne trouvent pas d’issue politique. Si la gesticulation ne trompe plus personne sur la scène intérieure, en politique étrangère l’illusion fonctionne toujours.

 *Photo : Luis Hidalgo/AP/SIPA. AP21668511_000004. 

Insécurité : papy, simple flic

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marseille samia ghali insecurite

Ce samedi 15 novembre, à Marseille, l’air du matin a la moiteur des soirs d’orage. Les sols battus par la pluie brillent de leur gras nacré. Le ciel est un Orangina arrosé de sirop de fraise. Il fait bon. La nuit fut plus rude. Cette météo sens dessus dessous a tué cinq personnes, dont une mère et ses deux enfants, dans le Gard voisin, comme on l’apprendra plus tard. « L’histoire du jour », page 4, dans le quotidien La Provence, relate la mésaventure arrivée à l’ex-conseiller communautaire Christophe Madrolle, numéro 2 national du Front démocrate, un parti de centre gauche créé fin septembre par l’ancien vice-président du MoDem et ex-Vert, le Marseillais Jean-Luc Bennahmias.

Le 13 novembre, alors qu’il prenait de l’essence à une station-service du boulevard Sakakini, dans le 5e arrondissement de la cité phocéenne, Madrolle a été victime d’une agression pour lui dérober sa carte bancaire et a reçu des coups au genou et à la jambe. Un individu s’est interposé, mettant en fuite le malfaiteur, au visage dissimulé par un casque intégral, et son complice, qui l’attendait sur une moto.

« L’homme qui m’est venu en aide est un policier de 32 ans appartenant à la Police aux frontières, la PaF, mais je ne l’ai su qu’après, car il était en civil, raconte l’agressé, joint par téléphone. Il a agi avec une grande maîtrise et beaucoup de courage, calmement. Il a levé les mains pour faire signe qu’il n’était pas armé. Heureusement que mes deux petites filles n’étaient pas là. » Cette page 4 de La Provence recense les faits divers survenus la veille ou l’avant-veille dans la région, pas tous, suppose-t-on. Ce jour-là, le « papier » principal informe qu’un Varois de 57 ans roulant en Alfa Romeo, visé par des tirs « à la sortie de Trets, en direction de Saint-Maximin », est décédé des suites de ses blessures dans un commerce où il s’était réfugié. La victime était connue de la police. À première vue, un règlement de comptes, le quinzième depuis le début de l’année, dans l’agglomération marseillaise, qui en avait totalisé 17 en 2013.[access capability= »lire_inedits »]

Banditisme. Qui se plaît à Marseille – et les raisons de s’y trouver bien ne manquent pas – sait que la deuxième ville de France et ses 850 000 habitants ne se résument pas à ce noir tableau de série B que la raison combat et que la passion entretient, avec, il faut le dire, la complicité du réel. Le cinéma ne s’en lasse pas : récemment, La French, de Cédric Jimenez, avec Jean Dujardin dans la peau du juge Michel parti seul en guerre contre le « milieu », mort assassiné en 1981. Il est cependant vrai qu’ici le meurtre se pratique sur un mode plutôt endogamique, entre trafiquants de drogue et si possible à la mythique kalachnikov, encore que, selon le journaliste Philippe Pujol, auteur du livre-enquête French Deconnection (éditions Robert Laffont), qui lui a valu le prix Albert Londres, on n’en compterait guère plus d’une cinquantaine. Mais, à côté de la kalach, le fusil de chasse reste une « valeur sûre ».

Le meurtre n’est pas tout, il y a le reste, les vols à la roulotte (dans des véhicules aux vitres baissées), à l’arraché, les cambriolages  – ce qu’on appelle la petite et moyenne délinquance. Tout ce qui pourrit la vie des gens, les oblige à se tenir constamment ou presque sur leurs gardes, que ce soit sur la Canebière, dans les ruelles de Noailles, de Belsunce ou du Panier, les quartiers canailles au pourtour du Vieux-Port, plus méditerranéens que provençaux, où aiment à se rendre les férus du Lonely Planet, le New Yorker des touristes. C’est bien simple, en 2012, Marseille affichait une moyenne de 29 agressions par jour, selon les chiffres fournis à l’époque par un procureur de la République.

Les choses semblent aller mieux, grâce à une action des forces de l’ordre jugée plus efficace. Selon la préfecture de police, sur les neuf premiers mois de l’année, les arrachages de colliers et autres bijoux auraient spectaculairement chuté, de 64 % par rapport à 2013. Leur nombre s’établirait ainsi à « seulement » 357 – les soupçonneux doutent de la véracité de cette embellie. Ombre à ce tableau : pour la même période, les vols à la roulotte et les cambriolages ont, eux, augmenté, respectivement de 7 % et de 3,4 %.

L’insécurité et le sentiment du même nom, on le sait, se mettent mal en bouteille et encore moins en statistiques. À Marseille, toutes les causes possibles du « mal », sont rassemblées – la pauvreté, l’échec scolaire, les familles éclatées, un rapport à la France des plus problématiques pour nombre de « minots » franco-maghrébins ou franco-comoriens, un racisme latent doublé d’une fracture sociale ancrée géographiquement jusqu’à la caricature. Et puis Marseille, c’est Marseille, dirait l’impatient. Brigandage et braquages ne sont pas une vue de l’esprit. La métropole provençale n’a naturellement pas le monopole de l’insécurité. D’autres villes, de taille moyenne, comme Carcassonne, chef-lieu de l’Aude, ont la réputation d’être des lieux plus criminogènes encore.

Pour se protéger des agressions, on en vient donc à imaginer des parades.

« C’est le ras-le-bol, tout le monde a pris conscience de l’impuissance de l’État à assurer pleinement la sécurité des citoyens », constate Yannick, un officier de police en poste dans le chef-lieu des Bouches-du-Rhône, affilié à Unité police, un syndicat classé à gauche. Chez certains, surtout les commerçants, en première ligne au front de la rapine, la tentation de l’autodéfense est forte. « Parmi eux, ils sont toujours plus nombreux à s’armer et à essayer de se faire justice eux-mêmes », affirme le policier. On se souvient de ce bijoutier niçois qui, en septembre 2013, avait tiré contre ses deux braqueurs prenant la fuite avec le butin, tuant l’un d’eux. À l’époque, les réseaux sociaux avaient sonné la mobilisation générale : un million de « fans » avaient témoigné leur soutien au bijoutier, qui avait exercé son « droit » le plus élémentaire en cherchant à protéger son « gagne-pain ». Cette prise d’armes virtuelle a-t-elle eu un quelconque impact sur l’instruction judiciaire ? Mis en examen pour homicide volontaire, le commerçant, en possession d’un permis de détention d’arme au moment des faits, a bénéficié d’un non-lieu en juin.

L’an dernier toujours, deux semaines après le drame niçois, la chronique – la cronaca disent les journaux italiens, qui, dans le domaine, en connaissent un rayon – faisait état d’« un nouvel acte d’autodéfense », à Marseille, cette fois, dans les Bouches-du-Rhône. L’oncle du gérant d’un bar-tabac des quartiers sud de la ville avait tiré avec un fusil à pompe sur trois malfaiteurs armés et cagoulés. L’un d’eux avait été blessé à la jambe. L’arme utilisée était enregistrée en préfecture. Le procureur de la République retenait la légitime défense. Quinze mois après les faits, l’homme du bar-tabac, à qui nous téléphonons pour lui proposer un rendez-vous, demande qu’on le laisse tranquille.

C’est une petite armurerie du centre-ville, à Marseille, comme on n’en trouve sans doute plus beaucoup en France et en Europe. Elle possède une jolie devanture, dans des tons chauds un peu passés pour obtenir le côté vieillot. On y entre comme dans une mercerie. Il ne manque que le tintement d’une clochette. Le vendeur est un jeune homme affable et direct. « Le patron n’est pas là, prévient-il. De toute façon, il ne vous dirait rien, il ne parle pas aux journalistes, qui changent toujours ce qu’on leur dit. » Il confirme le constat de Yannick, l’officier de police. La législation française sur la détention d’armes à feu étant l’une des plus strictes du monde, « beaucoup de commerçants demandent à se défendre et souhaitent connaître la marche à suivre, explique-t-il. Après, je donne raison à ces gens-là, ils défendent leur pain, c’est tout. Beaucoup essaient d’avoir une arme au noir. Je leur dis : “Je ne peux rien pour vous”. » L’armurerie, elle, n’a « jamais » été braquée, assure le jeune homme sur le ton de celui qui n’a rien à se reprocher. « En vente libre, poursuit-il, vous trouvez les choqueurs électriques, dont la puissance varie entre 1 et 3 000 volts, la bombe lacrymo ou encore la matraque télescopique. Leur usage est extrêmement réglementé et doit naturellement être proportionné aux situations rencontrées. » Un homme, 35-40 ans, grand, barbe de trois jours, entre dans le magasin. Il demande à voir les choqueurs électriques, des « armes » de la grandeur d’un téléphone portable, munies de deux crochets métalliques qui, pour remplir leur office, doivent être en contact avec l’agresseur – « Ça ne marche pas à distance comme les Taser de la police », précise le vendeur. « Je viens ici pour me renseigner, annonce le client potentiel. J’ai un frère, à Nice, il a un choqueur électrique. Physiquement, il est un peu limité. Moi, je peux inspirer de la crainte, mais on ne sait jamais. On est dans une société où il y a de plus en plus d’insécurité. »

Le business de l’autodéfense est tout à fait légal et probablement rentable. Christian dirige un club de self-défense à Marseille, spécialisé dans le koroho, une technique qui travaille les « points de pression ». Parmi les clients et clientes du club, des victimes ou des témoins d’agressions – des vols à l’arraché ou des coups portés gratuitement. « Leur but, en venant ici, est d’évacuer le traumatisme subi, de reprendre confiance en soi, explique le gérant du club. J’ai notamment une jeune ado qui a été volée et poussée par terre. Une autre personne a assisté à un braquage. Les femmes parlent plus facilement que les hommes de leurs douleurs physiques mais surtout mentales. » Christian se défend de les transformer en justiciers : « Je suis toujours dans le respect de la loi. Il s’agit de gérer son agressivité physique ou verbale. J’enseigne les attitudes à avoir, j’encourage la négociation, de façon à ne pas en venir aux coups. Exemple tout bête : les embrouilles entre automobilistes, qui peuvent vite dégénérer. »

Une conception presque chrétienne de l’autodéfense qui fera ricaner les « vrais durs ». Pourtant, le plus important est de garder son sang-froid, affirment les professionnels du secteur. Non seulement pour rester en vie, mais plus encore peut-être pour éviter les ennuis judiciaires.

Yannick, près de trente ans dans la police, s’est un temps occupé de la formation des commerçants de Nîmes à la gestion de situations critiques, dans le cadre d’un contrat local de sécurité : « Je travaillais avec eux sur les émotions. J’essayais de leur faire comprendre que l’ego, lorsqu’il est humilié, est mauvais conseiller, que dans les situations de haut stress le mieux est d’obtempérer et d’observer les agresseurs de manière à élaborer par la suite des portraits-robots. On faisait des jeux des rôles, je débriefais ceux qui avaient été victimes de braquage. »

La police ne peut pas tout. Yannick est bien placé pour le savoir, mais il trouve que l’institution qu’il sert joue un peu trop les démissionnaires. Si on en a fini, paraît-il, avec la « politique du chiffre » initiée par Nicolas Sarkozy, aujourd’hui, on aurait tendance à minimiser voire à nier la gravité de certains faits en les « sous-qualifiant ». « Prenons l’exemple d’une porte forcée au pied-de-biche, avance Yannick : soit on cherche à connaître l’auteur et le motif de cet acte, manifestement une tentative de vol, soit on le range dans la catégorie “dégradations”, ce qui allège les tâches de la police mais ne fait pas du tout l’affaire des victimes, aux prises ensuite avec leur assurance. C’est pourquoi celles-ci ont désormais pris l’habitude d’exagérer la gravité de l’infraction subie. »

« Shooter ou pas shooter ? », se demande dans son jargon de ballon rond le fonctionnaire de police appelé à trier dans la pile de plaintes. Voilà apparemment comment on s’y prend pour augmenter le taux d’élucidation, en « shootant » les affaires dont on pense qu’elles ont peu de chances d’être résolues. Le procédé semble vieux comme l’administration. Alors, pour prévenir les cambriolages, la police incite les particuliers à se suréquiper en matériel de vidéosurveillance. « C’est une manière de les culpabiliser en cas d’hésitation ou de refus de leur part », estime Yannick. On vous avait prévenus, les proprios !

Certains s’organisent, à l’image des initiateurs de Voisins vigilants, une association née il y a dix-huit mois. « Le résultat est inespéré, se félicite Maurice Forini. On ne déplore pratiquement plus de cambriolages. » Marseillais originaire de Corse, Forini est un ancien officier de police aujourd’hui à la retraite ; les caïds, ça le connaît ! Abord sympathique et tutoiement facile, Maurice est propriétaire d’une maison dans un « noyau villageois », un ensemble de 62 villas situé dans les 15e et 16e arrondissements de Marseille, autrement dit au milieu des fameux quartiers nord. Un Bronx avec ses « citadelles » de barres et de tours, où prospèrent les trafics en tout genre sur fond de misère sociale, de bonheur aussi, quelquefois, mais également ses portions de garrigues et ses « villages », des plus modestes aux plus coquets.

Avec d’autres résidents et en coopération avec les services de police, Maurice Forini gère un secteur portant l’estampille « Voisins vigilants », structure créée sur une base citoyenne et participative, dont le but est de dissuader les cambrioleurs de passer à l’acte. Sur son site, l’organisation revendique l’adhésion de 3 000 communautés à son dispositif à travers la France, et la demande ne tarit pas. Un Voisins vigilants ouvrira prochainement ses portes, si l’on peut dire, à Gonesse, dans le Val-d’Oise. Ce « maillage citoyen » consiste en une surveillance mutuelle, où les SMS tiennent un grand rôle. L’information circule en réseau et remonte la voie hiérarchique jusqu’à la police.

Le secteur du Mont d’Or, où vit Maurice Forini, est divisé en trois sous-secteurs. Des pancartes rectangulaires jaune et noir, disposées ça et là sur des poteaux, ainsi que des autocollants apposés sur les boîtes aux lettres ou les portails, indiquent que l’œil est ici aux aguets. Avis aux Roms et aux jeunes des cités alentours, ces visiteurs indésirables, « les “petits jeunes”, comme les appelle Maurice, avec la petite sacoche et le tournevis à l’intérieur, avec le capuchon sur la tête et les lunettes noires sur le nez ».

« Bonjour Émile, je te dérange ? », lance l’ancien officier de police, par-dessus un portail, à l’un des Voisins du Mont d’Or. Émile, anciennement cadre dans la pétrochimie, également à la retraite, a déjà été cambriolé. « Ils sont venus quatre jours de rang, raconte-t-il. Ils ont pris une caisse à outils. C’étaient des Roms, je le sais, ils ont emporté avec eux la couverture qui était sur la caisse à outils. » Depuis, Émile a installé un portail métallique plus haut que l’ancien, à claire-voie. Ni lui ni son ami Maurice ne disent pour qui ils votent, mais tous deux attirent l’attention sur le fait qu’aux dernières municipales le Front national était premier au Mont d’Or. Émile voit à regret Marseille « s’africaniser ». Pour autant, il paraît presque fier d’annoncer que le lotissement de 62 villas compte « quatre familles arabes ».

La sénatrice et maire des 15e et 16e arrondissements, Samia Ghali, candidate malheureuse aux primaires socialistes d’avant les municipales, soutient Voisins vigilants. « Là où ça a été mis en place, c’est très efficace. Les voyous n’aiment pas qu’on les surveille », dit-elle. Décrite comme une femme à poigne, le regard parfois intimidant, elle chasse objections et critiques : « Voisins vigilants, c’est de l’entraide, ce n’est pas de l’autodéfense, ni des patrouilles, et encore moins des armes, assure-t-elle. Quand il y a une voiture qui stationne trop longtemps, on le signale. » En 2012, Samia Ghali avait souhaité l’intervention de l’armée dans les cités pour mettre un terme aux trafics. La même année, elle n’avait pas accablé un groupe d’habitants de condition modeste qui, gagnés par le ras-le-bol, avaient incendié un campement rom, « après que ses occupants en furent partis », précise-t-elle.

Voisins vigilants présente a priori moins de risques de dérapage. Toutefois, le dispositif n’est probablement pas aussi pépère que Samia Ghali le décrit. Il arrive que des Voisins, plutôt que de rester chez eux à épier, cachés derrière le rideau de la cuisine, fassent un peu la police : ils se montrent face à des personnes « suspectes », s’enquièrent de la raison de leur présence. Quoi qu’il en soit, pour le journaliste marseillais Philippe Pujol, cette vigilance citoyenne encouragée par les pouvoirs publics constitue « un gros aveu d’échec de la préfecture de police : on demande à des gens sans expérience d’analyser des situations complexes. C’est dangereux. Et puis ça permet à certains qui traînent des casseroles de se racheter une conduite à moindres frais. S’il y avait une police de proximité, les faits constatés seraient très vite traités ».

Philippe Pujol a peut-être raison sur les principes. N’empêche, l’efficacité du dispositif semble réelle. Du moins jusqu’à l’entrée des cités. Les seuls « yeux » tolérés dans les tours sont ceux des « choufs », les « petits » qui préviennent les « grands » à l’approche des « étrangers », suspects chez les suspects. Samia Ghali en convient, tous en conviennent, comme si on changeait soudainement de dimension : un panneau « Voisins vigilants » plaqué là, au rez-de-chaussée d’un immeuble, serait incongru. De ce situationnisme sauce « samouraï », Tarantino ferait sûrement quelque chose.[/access]

*Photo : JEROME MARS/JDD/SIPA. 00622579_000001

Aux armes, citadins!

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armes autodefense chasse
armes autodefense chasse
« les gens estiment ne pas être défendus à cause du délitement du lien social »

 

Quand la tentation de l’autodéfense se développe, celle de s’acheter une arme n’est jamais bien loin. Confrontés à la montée de l’insécurité, chaque année, quelques dizaines de milliers de Français supplémentaires ont recours aux deux grandes voies légales qui permettent l’obtention d’une arme à feu : le stand de tir et le permis de chasse. Quant aux armes illégales, il semble bien qu’elles soient de plus en plus faciles à trouver.

D’après Patrice Bouveret, président de l’Observatoire des transferts d’armement, « les gens estiment ne pas être défendus à cause du délitement du lien social, les commerçants notamment. Du coup, ils pratiquent ce qui leur semble être de la légitime défense. Mais cela peut conduire à des meurtres, et souvent, l’arme se retourne contre eux. C’est un phénomène dangereux mais marginal ».

Restent les chiffres, éloquents. La Fédération française de tir se réjouit bien naturellement de la croissance de ses effectifs, passés de 133 000 adhérents en 2000 à 171 000  en 2014, on peut légitimement s’interroger sur cette tendance lourde.[access capability= »lire_inedits »]  La licence de chasse rencontre le même succès chez les citadins, et pas seulement parce que les néo-urbains rêvent de traquer la bécasse, le dimanche en famille. On dénombre quelque 120 000 nouvelles licences établies ces six dernières années, un nombre en croissance chaque année. François, un avocat parisien de 30 ans, marié, avec deux enfants, a franchi le pas sous couvert de retour aux traditions : « Je souhaite tendre vers l’autonomie, par principe de liberté. Je considère que l’État est défaillant là où il devrait être opérant – on le voit avec l’augmentation des cambriolages – alors qu’il nous contrôle en permanence. Je considère qu’on devrait avoir le droit de porter une arme pour des raisons de légitime défense et de droit à la propriété. »

Moins inquiet, le ministère de l’Intérieur pratique la politique de l’autruche en ne recensant que 3 millions d’armes déclarées – contre 10 ou 12 millions en circulation selon les estimations. Dormez braves gens, il paraît que les chiffres des cambriolages s’améliorent ! Et pour compléter le décor de village Potemkine que la place Beauvau édifie méthodiquement, on nous présente des statistiques rassurantes sur la possession d’armes. Officiellement, le total d’armes à feu détenues par les Français dégringole depuis vingt-cinq ans. C’est ignorer les transactions sous le manteau de la part d’armuriers pas toujours très regardants sur la licence de leurs clients.

Mais soyons optimistes. Si l’on met de côté l’arsenal du grand banditisme ainsi que les fusils et autres 22 long rifle hérités de la Seconde Guerre mondiale sans avoir jamais été recensés, on pourrait croire à la fiction du ministère : l’État joue son rôle et les Français ne s’arment pas. En poussant le bouchon un peu plus loin, on dira qu’il en va de l’armement comme de l’insécurité, ceux qui en voient partout ne font qu’exprimer des sentiments déconnectés de la réalité…[/access]

*Photo : wikicommons.

Obama is back

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barack obama russie etat islamique

barack obama russie etat islamique

C’est un renversement aussi spectaculaire qu’inattendu. Confronté à une vague républicaine aux élections législatives de novembre, ayant vu les démocrates se faire laminer dans les urnes, tenu à l’écart par nombre d’élus de son propre parti, parvenu à l’automne de sa présidence, Barack Obama a tout du « canard boiteux ». C’est un président que l’on dit affaibli, marginalisé, déjà sur la touche, ou presque.

Or que constate-t-on depuis deux mois ? Obama est hyperactif et prend seul les décisions qu’il n’a pas réussi à obtenir du Congrès pendant six ans. Résultat, il renaît. Il est plus que jamais à la barre, et a retrouvé sa place d’homme le plus puissant du pays. Mieux, il est en train de se ménager une place de choix dans l’histoire. C’est un président apaisé, heureux, souriant et décontracté qui est apparu devant les journalistes, pour sa dernière conférence de presse de l’année. « Ma présidence est entrée dans son dernier quart-temps. Il se passe toujours des choses intéressantes dans le dernier quart-temps » a-t-il déclaré,  radieux. Tombé à zéro en novembre, il est redevenu un héros en décembre.

Comment une telle métamorphose a-t-elle été possible ? Réponse : en quatre étapes et deux décrets.

En premier, un accord sur la lutte contre le réchauffement climatique  a été conclu avec la Chine le 11 novembre. Un accord mineur, sur le fond, puisqu’ n’impose aucune contrainte aux deux signataires, et donne à la Chine, premier pollueur mondial, jusqu’à 2030 avant de commencer à réduire ses émissions… Mais, sur la forme, l’événement est crucial. C’est la première fois que la Chine s’engage sur la question du climat. Comme si Obama avait su susciter, chez Xi Jinping, une prise de conscience. Et c’est un gage de bonne foi donné par Obama à ses électeurs qui attendaient depuis six ans un geste sur cette question. La cote de popularité d’Obama en a fait un grand bond en avant…

Puis, le 20 novembre, Obama a signé un décret présidentiel offrant une amnistie à cinq millions d’immigrants clandestins. Une décision forte et de longue portée. Une réforme de l’immigration est en discussion au Congrès depuis des années. Sans aboutir, faute de parvenir à un texte qui  rassemble une majorité d’élu et puisse être voté. Obama a donc fait d’une pierre deux coups, voire trois. Il a tranché dans le sens qu’il souhaitait. Il a mis en évidence l’immobilisme du Congrès  et il a défié la nouvelle majorité républicaine de s’opposer à son décret en passant son propre texte de loi. A deux ans d’une élection présidentielle il a pris le pari que les Républicains ne mettraient pas le sujet sur la table par crainte de s’aliéner le vote des minorités issues de l’immigration. Pari gagnant pour l’instant.

Troisième étape, l’effondrement du rouble, la monnaie russe qui, combiné à la baisse du prix du pétrole a précipité le pays de Vladimir Poutine dans la crise financière. Il n’y a pas forcément de quoi se réjouir, sauf si l’on s’appelle Barack Obama et que l’on a instauré des sanctions internationales contre la Russie, pour la punir de son ingérence brutale en Ukraine, et de la menace que ce comportement fait peser sur la paix en Europe. Ce conflit n’est pas résolu, mais Obama a obtenu ce qu’il souhaitait, c’est-à-dire démontrer l’efficacité d’un mode pacifique de gestion des conflits.  Il a réussi à faire perdre de sa superbe au chef du Kremlin et en espère un comportement plus coopératif à l’avenir…

Et enfin il y eut cette annonce surprise d’une main tendue vers Cuba après 54 ans d’embargo contre le régime Castriste. Il y a un an, aux obsèques de Nelson Mandela, Obama avait serré la main de Raul Castro. Cette fois, il a décidé de « normaliser » les relations entre les deux pays, en desserrant l’étau américain sur l’île et en proposant de rouvrir une ambassade à La Havane. Techniquement, il n’a pas « levé » l’embargo. Il n’en n’a pas le pouvoir. Seul un vote du Congrès peut en décider. Mais il a marqué les esprits et peut-être l’histoire. Tout comme il y eut en 1972 le voyage de Nixon en Chine, pour rétablir des relations après un hiatus de vingt-cinq ans, on se souviendra qu’il y eut en 2014, cette avancée américaine du président Obama. Avancée quasi gratuite, il faut le noter. Obama n’a rien demandé en contrepartie, sinon la libération de deux prisonniers américains.

Il est à présent question d’un accord historique imminent avec l’Iran sur leur programme nucléaire. Obama a également obtenu du nouveau gouvernement de Kaboul que des militaires américains demeurent stationnés en Afghanistan, au-delà de la limite de décembre 2014. Ce que le président Karzaï avait refusé. Et les frappes américaines et alliées contre Daech, ont stoppé la progression de ce mouvement en Irak et en Syrie.

En politique intérieure, Obama a enfin approuvé une nouvelle règlementation environnementale limitant les concentrations d’ozone, et il a obtenu un accord sur le budget qui a évité un baissé de rideau du gouvernement, c’est-à-dire la fermeture des services administratifs, faute de crédits.

Pour un président dit « boiteux », voilà une rare et impressionnante série de succès. Loin d’être battu et affaibli, Obama apparaît, tel Prométhée, libéré. Déchainé, même.

Il y a une explication très simple, et très politique, à la multiplication des décisions prises par le président Obama. Le calendrier. Obama veut agir avant que la nouvelle session du Congrès ne s’ouvre à la mi-janvier, afin de couper l’herbe sous le pied de la nouvelle majorité républicaine. En clair, il veut en faire le plus possible tant qu’il le peut encore.

Il y a une autre explication. Obama veut mettre à profit les deux années qui lui restent pour instituer les changements promis durant ses campagnes et sur lesquels il n’a jamais réussi à s’entendre avec le Congrès. Même du temps où le Sénat avait encore une majorité démocrate. Si au passage il peut se ménager une place de choix dans l’histoire, c’est encore mieux pour lui.

Il y a, toutefois, un problème sur la méthode. Le président agit par décret. C’est-à-dire sur le seul pouvoir de son autorité de chef de l’exécutif. Au mépris, pourrait-on dire, de l’opinion publique, et de l’appareil législatif. Car si les électeurs ont voté massivement en novembre pour des candidats républicains, c’est peut-être que la politique menée par les démocrates, ne leur convenait pas. Ce dont le président Obama se soucie comme d’une guigne. Il agit pour lui et pour son camp, dans le respect de la lettre des institutions, mais pas de l’esprit…

Par ailleurs, les décisions de Barack Obama sont soutenues par une part importante de l’électorat, en particulier les minorités (pour la question de l’immigration), les jeunes (pour la question cubaine et l’environnement) et les femmes (qui n’aiment pas les blocages institutionnels). Cet électorat est, certes, déjà acquis aux démocrates. Mais son enthousiasme à soutenir la cause vient d’être revivifié par le  succès.

L’ironie est qu’Obama va ainsi à l’encontre de ce qu’il avait toujours affirmé. En 2008 il avait fait campagne contre la « présidence impériale », c’est-à-dire un exécutif coupé du peuple et agissant sans contrôle. «Le problème le plus sérieux qui affecte nos institutions, disait-il alors, est celui d’un pouvoir  exécutif trop puissant et d’un président qui ne passerait jamais par le congrès » (31 mars 2008).

Deux ans plus tard, en octobre 2010, lors d’une conférence de presse, devenue fameuse, il était revenu sur la question : « Je ne suis pas roi. Je ne suis que président, avait-il dit.   Je ne peux pas agir seul,  à ma guise…. Notre système de gouvernement impose au Congrès et au président de travailler ensemble… Mon devoir est d’exécuter la loi, pas de faire la loi. »

Obama est devenu aujourd’hui le personnage qu’il combattait hier.  Il fait pour son compte ce qu’il dénonçait chez un autre. Mais, comme chacun sait, seuls les imbéciles ne changent jamais  d’avis.

*Photo : wikicommons.

Lire ou relire Henri de Kérillis

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henri kerillis gaulle

henri kerillis gaulle

Sur une étagère de ma bibliothèque, j’ai récemment redécouvert un vieux livre poussiéreux aux pages coupées, livre que mon grand-père a transmis à mon père qui me l’a transmis à son tour. Datant de septembre 1942, il était écrit sur la couverture « Français, voici la vérité !… ». Dans les premières pages, son auteur – Henri de Kérillis – se présente lui-même comme nationaliste. Ce terme, notre époque en perte de sens et de repères ne peut plus l’interpréter comme Kérillis dans les années quarante, si bien qu’il conviendrait mieux aujourd’hui de parler de « patriote » le concernant. Officier de cavalerie durant la PremièreGuerremondiale, et plus tard rédacteur en chef du journal L’Écho de Paris, il n’aura cessé durant les années trente de mettre en garde contre la montée d’un impérialisme revanchard outre-Rhin. Ce livre, il l’écrit en exil aux Etats-Unis, afin que les Français puissent se faire une idée a posteriori du drame qui se jouait alors en France.

L’originalité de Kérillis dans le paysage nationaliste provient de son idéalisme. Attaché à défendre les intérêts de la France envers et contre tous, il n’hésitait pas à se mettre à dos les gens de sa propre famille politique lorsque le bon sens le commandait. Ainsi s’est-il parfois retrouvé, en tant que député (entre 1936 et 1940), à voter contre son camp et comme les communistes lorsque lui semblait mise en jeu la souveraineté de la nation. C’est une forme de courage qui va à l’encontre de la logique parlementaire et qui est donc très rare, tous bords confondus. Kérillis relève qu’à sa connaissance le seul homme à s’être toujours tenu aux mêmes principes en ces temps troubles fut le député de droite Georges Mandel. Henri de Kérillis est donc une figure tout à fait digne d’estime. Pourtant, il demeure totalement inconnu et le restera probablement. Pourquoi ? Parce qu’aucune coterie ne peut l’accaparer ; Kérillis est le grain de sable dans la mécanique partisane.

Démonstration. Les convictions politiques de ce fervent patriote étaient bien ancrées à droite. Malgré l’objectivité qu’il pouvait manifester à l’égard des communistes, il eût été difficile de demander à ces derniers les mêmes scrupules, attendu qu’ils s’en remettaient à Moscou. Le pacifisme et l’internationalisme d’une bonne partie de la gauche de l’époque lui aliènent également le personnage.

À droite, en revanche, nombreux pourraient être ses émules. Le malheur est que Kérillis, un temps exalté par l’appel du 18 juin (cf. livre susmentionné), se montrera dur avec de Gaulle lorsqu’il lui semblera que celui-ci ne roule que pour lui. Échaudé par la manière dont le futur président se mettra systématiquement en avant pour écarter ses concurrents (Giraud notamment) à l’heure où l’union aurait dû primer l’ego, il  finira par se rendre compte qu’à cette époque, de Gaulle se servait quelque peu de son patriotisme comme d’un marchepied. Dès lors, et jusqu’à sa mort survenue quelques mois seulement avant la naissance de la Cinquième République, Kérillis se défiera de lui (De Gaulle dictateur dès 1945). Or, comme tout ce qui à droite n’est ni libéral ni monarchiste doit fatalement à notre époque se revendiquer gaullien, là encore le soldat Kérillis est encombrant.

Reste l’extrême droite. Mais, pour une tout autre raison, l’enthousiasme pour cet homme n’y est pas non plus à l’ordre du jour. Dès l’avènement d’Hitler, l’Allemagne est devenue pour Kérillis le principal et le plus dangereux des ennemis de la France. Il faut rappeler que ce sentiment était loin de faire l’unanimité dans la première moitié des années 1930, même au sein de la mouvance nationaliste. Alors qu’il eût semblé évident pour des nationalistes d’apaiser momentanément certaines querelles internes pour faire corps contre un prédateur étranger, des voix issues de leurs rangs mirent davantage en exergue le péril judéo-bolchévique. Un complot réputé mondial minait le pays en sous-main et ni les éructations du Führer ni le réarmement intensif en Allemagne ni même ses quelques annexions ne pouvaient, de leur point de vue, noyer le poisson. Exit donc la référence à Kérillis pour les tenants contemporains d’une cabale de la haute finance mondiale. Et ce n’est pas non plus Georges Mandel qui peut avoir grâce à leurs yeux puisqu’il avait le mauvais goût d’être juif.

Voilà bien une situation paradoxale où un homme, soucieux par-dessus tout du sort de son pays, qui, au-delà des postures partisanes, s’est voulu électron libre au service exclusif de la France durant l’un des plus grands drames de son histoire, un patriote dont la figure pourrait presque faire l’unanimité, est maintenu dans les limbes. Et ce pour la raison que dans la simplicité et la sincérité de son attachement, c’est un personnage beaucoup trop complexe pour s’en autoriser, en particulier chez les défenseurs les plus bruyants de l’idée de patrie. Entre ceux qui font de l’islam le fascisme qui vient et ceux qui fustigent la juiverie tentaculaire, c’est à celui dont le patriotisme lavera plus blanc. Chacun ayant par là recours au rassemblement par défaut, c’est-à-dire au travers de la désignation d’un ennemi commun. C’est un procédé qui, d’une part demande peu d’efforts et de discernement, d’autre part – et pour cette raison même – est toujours voué à un grand succès. Mais il n’a en soi rien de patriotique dans la mesure où le commun que défend le patriote ne peut se réduire à l’exclusif.

Le patriotisme que manifesta Henri de Kérillis était suffisamment exigeant pour rassembler des compatriotes autour de l’importance d’une France souveraine et de valeurs nationales. Il l’était aussi pour démasquer les clowns qui se réclament abusivement de la patrie afin de voiler leur paresse intellectuelle. Je ne pourrais vous conseiller l’achat d’un livre de Kérillis, étant donné qu’aucun n’est disponible autrement qu’en édition originale chez les revendeurs de livres d’occasion. Toutefois, le cœur y est.

*Photo : wikicommons.

Un magnifique Schnock

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Le treizième numéro de Schnock vient de sortir. En couverture (il était temps !), un Belmondo torse-poil, pectoraux en apesanteur, cigare aux lèvres, rigolard, l’air de vous dire : « Je ne fais pas dans l’utile, je fais dans le romanesque ». Joss Beaumont est de retour et il a mangé du Royal Canin. Le commissaire Rosen de la Brigade sauvage n’est pas prêt de le stopper. Bart Cordell a repris la boutique. Les Héritiers de l’acier peuvent aller se rhabiller. Vous l’aurez compris, espionnage et belles châtaignes au menu de cette indispensable revue aux couleurs 70’s et aux senteurs Gitane. Lire Schnock, c’est monter à bord d’une Fiat Supermirafiori, porter un improbable blouson en cuir aux manches détachables et réciter du Audiard sur une musique entêtante d’Ennio Morricone.

Dans cet opus d’hiver, un incorrigible dossier pour tout savoir sur Bébel, interviews de Charlot (Charles Gérard), Lelouch, Bedos, Françoise Brion et Philippe Sarde entre autres, un éclairage sur l’impossible adaptation du Voyage au bout de la nuit, scoumoune du cinéma français, quelques dérapages contrôlés, des cascades héliportées à la Rémy Julienne et une brochette de Belmondettes qui relèguent les James Bond girls au rang de chaisières. Maureen Kerwin et Dany Kogan troubleront votre sommeil du week-end. Mesdames, vous m’avez charmé, positivement charmé !

Mais si Schnock fait la part belle à Jean-Paul, il n’en délaisse pas pour autant les sujets de fond : l’enterrement de Bézu à la Mouffe où tout le monde ne s’éclatait pas à la queuleuleu, les recettes des tubes de Vline Buggy pour le plaisir, Cloclo, Sardou ou Hugues Aufray ne pouvaient se passer de ses talents de parolière, les souvenirs de sa Majesté Brett Sinclair sur le tournage d’Amicalement vôtre, quelques cocktails Molotov lancés gaillardement par Mocky sur ses confrères, un texte piquant de l’ami Arnaud Le Guern sur L’Année des méduses, les souvenirs de pellicule de Claude Nori[1. Dernier ouvrage paru : Un photographe amoureux aux éditions Contrejour.] sur De Niro et même une étude sur les tatouages Malabar. Gonflé, non !

 

Pour un djihad sexuel

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djihad maxime hauchard

djihad maxime hauchard

Qu’ils s’appellent Maxime Hauchard ou Tartempion, les djihadistes français, plus d’un millier à ce jour, font parler d’eux — les uns en coupant des têtes, d’autres en appelant François Hollande à se convertir à l’Islam, les uns et les autres en laissant pousser leur barbe et leurs cheveux.
Cette histoire de barbe me turlupine. Syndrome de Samson : « Du côté de la barbe est la toute-puissance », dit l’un des personnages les plus bornés de Molière. Les sportifs évitent de se raser avant un match, la plupart pensant que cela leur faire perdre de l’influx. Nombre d’hommes préfèrent écorcher l’épiderme délicat de leurs partenaires, plutôt que de transformer leurs joues en pistes d’atterrissage à bisous, de peur sans doute d’être moins performant : la râpe ou le Viagra. Le Prophète aurait-il comploté la ruine de Gillette ? Les talibans, du temps où ils contrôlaient l’Afghanistan, exécutaient parfois des compatriotes qui s’obstinaient à rester imberbes, sous prétexte qu’ils étaient d’origine asiate et dépourvus de ce système pileux qui donne l’air si ouvert et intelligent. C’est qu’une barbe naissante ou fournie a toujours été le symbole de l’insurrection. En 1973, quelque part sur les plages désertes de Belle-Ile-en-mer en plein hiver, un révolté post-soixante-huitard exhibait barbe et cheveux longs — en sus, un splendide manteau afghan qui passerait aujourd’hui pour un signe de ralliement aux fous de Dieu. Sans doute pensait-il entraîner le capitaliste Wilkinson sur la pente fatale de la faillite…

brighelli barbe islam

Par charité, taisons son nom. Soyons sérieux. « Déficit d’idéal », dit la presse-qui-sait et qui tente de commencer à comprendre les raisons du tourisme tortionnaire. Ce n’est pas bien neuf. Les plus de 60 ans et ceux qui ont fait des études se rappelleront ce slogan de 1968 : « Nous ne voulons pas d’un monde où la certitude de ne pas mourir de faim s’échange contre la certitude de mourir d’ennui ». Je me rappelle en avoir tiré, lors d’une discussion de groupe, la conclusion que le capitalisme allait rapidement crever d’un déficit idéologique — j’étais mao, à l’époque, et pour un mao, ce n’est pas le facteur économique qui est déterminant, mais le facteur idéologique. Un monde qui n’avait à nous proposer que des variations sur la mode (coupe droite ou pattes d’éph ?) ou la multiplication des chaînes de télévision ne pouvait durer bien longtemps.
Contre toute attente, l’Histoire ne fut pas aussi immédiate que notre désir, et le turbo-libéralisme inventa les radios libres, la consommation effrénée d’objets de plus en plus programmés pour mourir précocement, la multiplications des petits pains de McDo, des écrans couleurs, plats, plasma, Bernard Tapie, Bernard Arnault, François Hollande, et j’en oublie.
Eh bien, ça ne marche pas — pas pour tout le monde. Surtout quand on n’a pas les moyens de s’offrir les derniers gadgets à la mode. On fait un peu de délinquance, autre voie vers la félicité consommatrice, mais c’est moyennement satisfaisant. Reste la décapitation d’êtres humains, très tendance. Sans compter que la guerre est un champ d’exploration illimité pour tous les détraqués. Elle est quand même un meilleur laboratoire pour les tueurs en série que la paix telle que nous l’offre la société de surconsommation.
Entendons-nous : ce n’est pas en leur offrant plus de gadgets, plus d’émissions débiles que nous convaincrons les candidats au martyre de rester dans leurs foyers. C’est une loi immuable de l’offre et de la demande : si l’offre est inférieure la demande, une frustration s’installe. Or, l’offre est limitée, puisqu’elle est marchande, et la demande infinie, puisqu’elle est imaginaire. On ne comble pas un déficit idéologique (il serait temps de s’apercevoir que le libéralisme n’est pas une idéologie) avec des biens de consommation, aussi nombreux soient-ils.
Alors ? Comment convaincre les candidats à la mort brutale ou au viol légal (parce qu’il y a des filles aussi parmi ces illuminés) que nous avons ici de quoi satisfaire leurs aspirations à l’infini ?

Il y a déjà eu, en France, des périodes où sévissaient des chapes de plomb. Les trente dernières années de Louis XIV, par exemple. Le catholicisme étroit et meurtrier de Mme de Maintenon écrasait la France. Certains — les Protestants, par exemple — émigrèrent, et s’enquirent d’un supplément d’âme en Hollande, où ils rencontrèrent le capitalisme naissant. D’autres résistèrent de l’intérieur, dans les salons, dans les alcôves, dans les « petites maisons » où se tramaient des orgies libératrices. Et tout ce libertinage conduisit à la liberté de penser — et, 80 ans plus tard, à la liberté tout court. Les rigueurs du robespierrisme plus tard engendrèrent les Incroyables et les Merveilleuses, et la dernière guerre produisit les zazous. Toute rigueur génère son contraire.

En vérité, frères et sœurs tentés par le jihad, en vérité je vous le dis : au lieu de vous lancer dans des périples hasardeux au bout desquels vous finirez mal, défoncez-vous ici les uns les autres ! Aimez-vous les uns sur les autres ! Les uns dans les autres ! Nous sommes dans des temps de crise et d’ordre moral : osez les combinaisons érotiques les plus échevelées, épuisez-vous d’amour, et réfléchissez, ce faisant — au beau milieu d’une combinaison frénétique avec une ou plusieurs créatures : le sexe vaut mieux que la religion, la petite mort vaut mieux que l’agonie réelle. Emmanchez-vous tous ensemble, prosternez-vous afin de faciliter l’accès, agenouillez-vous pour oser des papouilles, buvez un coup de rouge dans les intervalles (je me méfie spontanément de ces sectes qui méprisent l’alcool — surtout quand il est bon), le sarget de gruaud-larose se vend en se moment 35,50 € le magnum (« une aubaine », dit Périco Legasse dans le dernier Marianne), jamais le paquet de capotes pré-lubrifiées n’a été si bon marché… Et vous verrez : avec le sexe, le savoir et la vérité entrent tout seuls, même dans des cervelles étroites. « Je te sodomise, donc tu es », disait Socrate à Alcibiade. On sait depuis longtemps « comment l’esprit vient aux filles » : mais il vient aux garçons par le même canal. Plutôt qu’un été en Syrie, tricotez-vous un second « summer of love ». Faites l’amour, pas le jihad. Un massacre ne vaut pas une orgie. Pourquoi diable rajouter « de Dieu » à « amour », qui se suffit à soi-même ?

Tout libre penseur que je sois, je ne vous oblige même pas à cesser de croire — il en est chez qui la permanence d’une foi sincère au milieu d’ébats sophistiqués procure des sensations supplémentaires, nées d’un délicieux frisson de culpabilité. Le paradis n’est pas ailleurs : il est ici et maintenant. Et plutôt que de compter sur Allah pour vous procurer, au terme d’une ordalie douloureuse, je ne sais combien de vierges dans un paradis problématique, réfléchissez à cette évidence : des vierges des deux sexes, vous en avez ici pléthore. Et sans voile : au moins, on peut choisir en toute connaissance de cause.
Cette préférence pour les vierges m’est d’ailleurs éminemment suspecte. Comme s’ils craignaient la concurrence et la comparaison. Je te choisis vierge, au moins, tu ne sauras jamais à quel point je m’y prends comme un manche. Les jeunes jihadistes auraient-ils le sexe difficile — ou honteux ? Allez, « la honte de l’amour est comme sa douleur : on ne l’éprouve qu’une fois » — c’est dans les Liaisons dangereuses, qui valent bien tous les bréviaires du monde.
Et s’il vous plaît, rasez-vous — vous allez mettre Bic sur la paille…
Sur ce, Joyeux Noël !

Djihadistes, Zemmour : nos contes de Noël

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Ce n’est pas possible. C’est inconcevable. On nous avait pourtant promis la fin de l’histoire, la fin des guerres, la fin des frontières, la fin des religions, la fin des fanatismes, la fin des fins, la vraie der des ders, et voilà que ça repart. Nous étions pourtant bien tranquilles entre Européens, dans le petit vase clos de notre espace Schengen, convaincus d’avoir pour de bon réussi à abolir le passé, le présent et l’avenir, pour rêver d’un futur sans lendemain, un présent perpétuellement remis à jour : le jour sans fin, le vrai.

Et voilà que, pour commencer, l’ours russe sort les griffes, furieux qu’on lui piétine les pattes tandis que le sommeil de l’Europe au bois dormant est troublé par des fous furieux, dont il est impossible d’évaluer le nombre et qu’aucun plan vigipirate ne peut arrêter, répondant à l’appel de Daech et se mettant en tête de faire exploser la France en fonçant sur des piétons dans un marché de Noël ou en attaquant un commissariat. Tandis que l’on était occupé dans les journaux à débattre du cas Zemmour ou de la place des crèches de Noël dans les mairies, la réalité s’est rappelée à notre mauvais souvenir. Le réveil est forcément un peu difficile. Madame le Procureur de la République à Dijon a avancé que le forcené qui a blessé treize personnes dans sa ville n’était qu’un simple déséquilibré dont les actes ne relevaient pas de l’entreprise terroriste. Comme si tous les types qui décapitent, roulent sur des piétons ou abattent des fillettes dans les cours d’école au nom de l’Islam n’étaient pas des déséquilibrés. Mais le procureur de Dijon avance que le fou furieux a simplement crié « Allahou Akbar » pour se donner du coeur à l’ouvrage. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, a d’ailleurs confirmé ces propos. Il est donc établi qu’un type qui fonce à cinq reprises dans la foule en hurlant « Allahou Akbar » ne commet pas d’attentat. Il a simplement un coup de chaud, ce n’est pas un acte terroriste. Ceci n’est pas une pipe, écrivait Magritte en peignant une pipe. La langue de bois est devenue une véritable œuvre d’art contemporaine, à force d’absurdité. Les McCarthy et Jeff Koons peuvent aller se rhabiller, leurs provocations font pâle figure à côté des perles langagières qui dérivent dans l’immensité du vide politique.

Mais en dépit de ces exorcismes médiatiques, le ready-made assassin a fait des émules. Deux heures après Dijon, c’est Nantes qui était la cible d’un autre « déséquilibré », choisissant lui de foncer à travers un marché de Noël et faisant onze blessés. Vingt ou trente minutes après l’attentat, les médias ont attendu avec angoisse que l’on confirme ou non la nouvelle: le conducteur avait-il crié lui aussi « Allahou Akhbar »? Il s’agissait de pouvoir labelliser avec certitude ce deuxième acte de violence, comme si la cible choisie pour l’attaque n’était pas assez symbolique. Dans la foulée, le président annonçait la tenue d’une réunion ministérielle d’urgence, dont il ressortira sans doute qu’il convient désormais d’interdire les marchés de Noël ou d’apposer sur les tableaux de bord des voitures des autocollants invitant à la modération religieuse avant de prendre le volant.

Ceux qui prétendent en Irak ou en Syrie servir l’Islam traditionaliste sont des déséquilibrés au même titre que ceux qui se jettent en voiture dans la foule ou ceux qui décident d’aller « faire le djihad » dans leur califat de déséquilibrés. Etait-il vraiment utile de préciser que ces fous de Dieu sont des fous furieux ? Ces fous-là d’ailleurs ne servent ni Dieu ni aucune sorte de tradition. Le fondamentalisme de Daesh et de ses multiples excroissances fanatisées n’est qu’un nihilisme parmi d’autres. L’islamisme renouvelé de 2014 ne propose qu’une table rase sommaire et ultra-radicale : plus de culture, plus de religion, plus d’histoire, seulement une sorte de mystique dévoyée mêlant la sacralisation de la violence à une caricature de théocratie qui séduit tous les laissés pour compte et les ratés, tous les perdants radicaux, comme l’écrivait Enzensberger, choisissant de se reconvertir en soldats de Dieu après avoir cessé de révérer le dieu Argent, lassés de ne pas devenir les petits arrivistes qu’ils rêvaient d’être.

Ceci devrait poser question à l’Islam dans lequel cette « nouvelle radicalité » prétend trouver ses racines et sa justification morale. Cela devrait aussi poser question à l’imam de Lunel, ce prétendu religieux qui cautionne la barbarie nihiliste au nom des « enfants de la Palestine », comme le chauffard en croisade de Dijon prétendait agir « par empathie avec les enfants de Tchétchénie ».  Cela devrait enfin interroger les sociétés qui produisent ou accueillent ce genre de fanatiques sans oser les nommer clairement, une société qui fait tellement profession de se détester qu’elle est une cible parfaite pour cet Islam-là qui se rêve à nouveau guerrier et conquérant, une société qui oppose sa propre vacuité au vide de « cette religion sans culture », de cette « Sainte Ignorance ».

La ridicule affaire des crèches de Noël a montré à quel point une minorité agissante raisonne encore en France, comme si nous étions encore au XIXe siècle ou coincés pour l’éternité dans un mauvais Don Camillo : ces « libres penseurs » prisonniers de leurs dogmes qui ne supportent rien de leur propre culture, ces antifas qui chassent les spectres d’une histoire qu’ils ne connaissent pas pour mieux ignorer les excès d’un monde qu’ils ne veulent pas voir. Le nihilisme de Daech, des jeunes djihadistes ou des déséquilibrés qui attaquent les commissariats ou foncent sur les marchés en hurlant « Allahou Akhbar » répond au nihilisme d’une société qui renonce à son histoire, qui renonce à exister et qui renonce même à nommer ses agresseurs, de peur qu’ils la frappent plus durement. Il fut un temps où Sartre compagnon de route enjoignait de prêcher le mensonge pour ne pas désespérer Billancourt. Aujourd’hui, alors que la gauche se fiche bien de Billancourt, il faut intervenir en Irak mais pas à Kobané la syrienne pour éviter de tuer un jeune djihadiste français. De même qu’après trois actes de terreur, certes perpétrés par des individus isolés mais revendiqués au même cri d’« Allahou Akhbar », il faut parler de déséquilibrés pour ne pas désespérer les banlieues.

Les pouvoirs publics semblent tétanisés à l’idée d’appeler l’islamisme ou le terrorisme par leur nom au lieu de continuer à parler d’actes isolés, sans liens les uns avec les autres. Bien sûr qu’il s’agit d’actes isolés mais il existe un lien tellement évident entre ces trois attaques, qui ont eu lieu pour certaines à quelques heures d’intervalle, qu’il paraît presque surréaliste de le nier. Confrontés à cette menace, nous sommes désarmés par des années d’autoflagellation et de terrorisme intellectuel et nos dirigeants sont paralysés par la crainte de ne pouvoir préserver la paix sociale ou de « stigmatiser », péché mortel. Nous n’avons pas besoin de Daech ou de ses émules pour nous faire peur : quand il s’agit de nommer nos maux, nous sommes terrorisés par nos propres mots.

*Photo : Pixabay.

Joe Cocker : gloomy blues

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Chez les commères savantes du rock, on lui reprochait d’avoir choisi la facilité de mélodies en moleskine, des chansons sinon d’aéroport au moins de jet privé, de s’être glissé dans la peau d’une sorte de crooner à la voix de râpe huilée au sirop de glucose. Or, le miracle de son chant se reproduisait toujours, et nous laissait interdits, stupéfaits, fervents.

Joe Cocker inventa le blues de Sheffield, ville du nord de l’Angleterre où il naquit, autrefois prospère par ses aciéries, condamnées à peupler les grands cimetières industriels sous la lune. Un peu de cet acier mêlé de rouille se fixa sur ses cordes vocales. Quand il chantait, lui au naturel si placide, se métamorphosait en bonhomme d’animation, des spasmes d’électricité agitaient son buste et brutalisaient ses mains. Il chantait, et c’était comme une forge de mélancolie.

Joe Cocker était malade depuis longtemps, aujourd’hui il est mort. Il fut à la mesure de notre immense chagrin moderne.

Aux musulmans de combattre le terrorisme

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boualem sansal islam crif

boualem sansal islam crif

Orléans, 3 décembre 2014

Monsieur le président du CRIF,
Honorables invités,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Chère Eliane Klein,

Comme je ne sais trop comment vous remercier pour l’honneur que vous me faites de m’inviter à votre dîner, je vous dis simplement MERCI, mais sachez que j’y mets toute la force d’amitié, de respect et d’admiration que j’ai pour vous et pour votre combat.
C’est un dîner amical, nous sommes censés nous réjouir mais et je vous prie de m’en excuser, les propos que je vais tenir ne sont pas particulièrement heureux. C’est que le contexte ne l’est pas et à vrai dire il est noir il nous met à la torture.

Chers amis,
Dans mes moments de vraie lucidité, de pessimisme me disent certains de mes amis, je vois l’évidence et je constate avec effarement que l’islamisme a gagné la partie et que la haine de l’autre, si parfaitement incarnée dans la haine du juif, explose dans le monde. Ces maladies sont si contagieuses que rien ne semble pouvoir les juguler, elles nous menacent carrément de disparition en tant qu’hommes et peuples libres, fraternels et maîtres de nos destins. Même cette Europe des Lumières si puissante ne sait pas s’en défendre, la voilà infestée, l’antisémitisme reprend du service comme jadis, dans tous les compartiments de la société, pas seulement dans l’extrême droite et les quartiers dits difficiles où là il s’exprime librement en paroles et en actes. Le temps de l’incubation est passé, l’épidémie est installée, elle galope, ici l’antisémitisme est dans le délire, il rêve tout haut de nouveaux holocaustes, et là l’islamisme qui en Europe est peut-être le rejeton de l’antisémitisme et d’un certain islam hypertrophié, passe à l’acte et se construit des plans apocalyptiques planétaires dont nous avons vu les premières démonstrations à Toulouse, Bruxelles, dans les pays arabes qu’un printemps facétieux a livrés pieds et poings liés aux islamistes et aujourd’hui à la dèche et au Daesh.
Mais plus que l’étendue et l’atrocité de ces maladies, c’est l’évolution du rapport de force qui m’inquiète. D’un côté l’islamisme et l’antisémitisme sont de plus en plus offensifs, inventifs, et de l’autre côté il y a nous, tétanisés par la peur, et nos États si timides, pour ne pas dire lâches ou pire attentifs comme s’ils s’accommodaient de ces dérives ou espéraient en tirer un profit. Quand on voit l’évolution des relations des EU et de l’Europe avec l’Iran, l’Arabie, le Qatar, les maîtres du terrorisme et du djihad, on ne doute pas de leur penchant pour les accommodements contre nature.

Je voudrais maintenant partager avec vous quelques-unes de mes colères :
En premier je crois vraiment intimement que combattre l’islamisme comme le font les Occidentaux, c’est-à-dire à la place des musulmans, est une erreur grave : c’est les libérer de leur devoir de défendre eux-mêmes leur religion et leurs pays, c’est les exonérer de leur obligation de s’acquitter de leur part dans le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde, c’est les exonérer de leur responsabilité dans le développement de l’islamisme au sein de leur société et de son exportation, c’est enfin les empêcher de faire par eux-mêmes l’expérience historique, sans doute douloureuse, de la sécularisation de leur pays et de la révolution démocratique. C’est d’autant plus grave qu’au bout l’Occident sera accusé d’ingérence dans le monde musulman, ce qui relancera l’islamisme. Bombarder le Daesh comme le font les américains et les Français est une autre erreur, elle installe les États arabes dans une situation de spectateurs observant l’Occident combattre la barbarie à leur place dans leurs propres pays. En 67 et en 73, si je me souviens bien, les États arabes unanimes ont su s’unir pour encercler et attaquer Israël, et avec d’énormes moyens, et avec la bravoure que l’on sait, pourquoi ne le font-ils pas aujourd’hui quand là réellement leur existence est menacée ? A part écraser leurs populations, que font leurs armées, pourquoi ne sont-elles pas au Daesh ?

S’agissant de l’antisémitisme, la réalité est d’un triste absolu : personne ne le combat réellement et donc il avance allègrement, il organise même des spectacles très courus. L’islamisme ambiant que l’on ménage de peur qu’il se radicalise, lui offre une onde porteuse très puissante. Il faut sortir de ce chantage à la paix sociale pour les uns au détriment des autres, il faut lui mener une guerre totale, minutieuse, acharnée.
Je déplore enfin ce mouvement qui voit un peu partout les juifs quitter leurs pays pour Israël. Quitter son pays c’est l’affaiblir et le livrer aux islamistes et aux antisémites, et leur installation en Israël n’est pas forcément bénéfique pour ce pays dont les ressources sont limitées et les difficultés déjà grandes. Je pense qu’on peut mieux aider Israël en restant dans son pays.
Au-delà des discours œcuméniques, voilà ce qui peut réellement rapprocher les musulmans et les juifs : se battre ensemble contre leurs ennemis communs : l’islamisme et l’antisémitisme.

Un mot sur le conflit israélo-palestinien. Ce conflit a connu des évolutions de plus en plus complexes qui rendent sa résolution quasi impossible, il était israélo-palestinien, il est devenu israélo-arabe, puis israélo-musulman, puis israélo-islamiste, et le cercle ne cesse de s’élargir. Israël doit se battre sur trente-six fronts, et pendant ce temps ses amis se font distants comme s’ils s’apprêtaient à changer de doctrine. Une démocratie au cœur du monde arabe ne leur semble plus une idée sensée, elle crée trop de remous autour d’elle, elle met à nu les voisins, ça les enrage. On se demande si la reconnaissance d’un État palestinien qui se discute en ce moment un peu partout dans les pays occidentaux est un geste pour amadouer les djihadistes, ou si c’est un appui au processus de paix entre Israël… et qui d’autres au fait (le Fatah, le Hamas, l’Iran, le Daesh ?) ou si elle n’est pas tout simplement la mise en œuvre de cette doctrine, sacrifier Israël pour apaiser la colère des fous d’Allah. C’est une erreur grave. Se substituer aux palestiniens n’est pas les aider mais les traiter en mineurs et les empêcher de se réaliser par eux-mêmes, c’est agir comme ont fait les États arabes qui depuis 1948 exercent sur eux une tutelle débilitante dont le résultat sur la région et le monde est effarant. Les palestiniens devraient d’abord se libérer de ceux qui se veulent leurs tuteurs et décider par eux-mêmes de leur destin, c’est la seule voie digne. Quand on est libre, on est fort et quand on est fort, on sait faire la paix. Je pense qu’ils devraient agir comme Israël qui ne cède jamais à personne la moindre parcelle de sa souveraineté.
Si la démocratie recule au Proche-Orient, dans cette région symbolique pour des milliards d’êtres humains, c’est le sens de l’histoire qui change de direction, c’est le retour à la préhistoire et aux grands exodes.

Merci de votre attention.

*Photo : Markus Schreiber/NBC/AP/SIPA. AP21168831_000004.

Cuba : la stratégie gagnante d’Obama

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cuba obama fabius

cuba obama fabius

Le rôle que joua Cuba dans la guerre froide permet de qualifier sans grandiloquence le rapprochement entre La Havane et Washington d' »historique ». La Russie ayant rouvert récemment sa base d’écoutes sur l’île, la rivalité entre la Russie et les Etats-Unis à Cuba n’est certes pas terminée. Il n’en reste pas moins que la méthode autant que la portée diplomatique de l’accord sont remarquables.

A chaque succès de la diplomatie Obama (Iran, Birmanie, Ben Laden…) le secret, conservé jusqu’au bout, a été la clé et la garantie de la réussite. Facilitées par des intermédiaires discrets (Oman, Canada, Vatican, Suisse..) les négociations ont, dans un premier temps, traité de sujets simples (libération de prisonniers par exemple) puis d’intérêts communs, principalement économiques. Une fois la confiance rétablie entre les parties, les sujets se sont élargis pour constituer, petit à petit, un accord final. En tout dernier lieu, et au bout de quelques années de patientes et laborieuses tractations, l’accord est révélé au grand jour. Cette méthode opaque et a priori « peu transparente » a été théorisée et pratiquée par Henry Kissinger, qui de Jérusalem à Pékin, sut dénouer dans le secret des dossiers réputés tabous.

Aux Etats-Unis, cette diplomatie discrète se heurte à la Constitution. Barack Obama ne peut aller plus loin avec Cuba sans l’accord du Congrès puisque la fédération des Etats-Unis fait une large place à  la “diplomatie parlementaire”. Le Sénat représente chacun des 50 membres et il est le seul habilité à ratifier les traités. La normalisation des relations avec Cuba passe par le Capitole. La pression des lobbies sur des élus qui cherchent davantage à complaire à leurs électeurs qu’à la Maison-Blanche, rend la partie encore incertaine.

La France, qui reste encore un Etat jacobin, a longtemps profité de ses pouvoirs exécutifs très centralisés pour mener une diplomatie audacieuse et détachée de toute pression intérieure ou parlementaire. Au Moyen-Orient, en Chine ou en Afrique le général De Gaulle a souvent eu un temps d’avance sur son temps. Cinquante ans plus tard, l’équilibre du monde ou le simple intérêt national ne sont plus à l’ordre du jour. Au fil des quinquennats, on a le sentiment que l’Elysée exploite le domaine réservé pour « représidentialiser » un chef de l’Etat embourbé sur la scène intérieure.

Au cours de séquences internationales consensuelles, les effets d’annonce se succèdent. De secret et de négociation dans la durée, il n’en est plus question. Un voyage et une poignée de main suffisent. D’ailleurs, malgré les ambitions de Laurent Fabius, la diplomatie économique, c’est Bruxelles qui l’exerce (ou plutôt ne l’exerce pas). Pour ne pas apparaître isolé, le quai d’Orsay s’épuise à annoncer régulièrement la tenue de conférences (sur la Syrie, sur la Palestine, sur le climat…). Autrement dit, on fixe d’abord de grands objectifs ambitieux (la paix, la réduction des gaz à effet de serre, etc.) qu’on enrobe d’un prêchi-prêcha moral. On définit ensuite dans les médias un cadre espace-temps contraignant: notre ministre des Affaires étrangères et du développement international s’est donné deux ans pour résoudre le conflit israélo-palestinien et un an pour un accord mondial sur le climat. En parallèle, on laisse l’Assemblée dicter des vœux de politique étrangère au Président, histoire de durcir un peu plus la négociation.  » Je compte beaucoup sur la diplomatie parlementaire » a répondu Laurent Fabius à une question d’un député mercredi dernier sur la méthodologie de la conférence climat. Puis on convoque nos partenaires pour parapher l’accord rédigé à Paris. Recette imparable pour mener à l’impasse. Les invités font alors mine de regretter l’échec de l’initiative. Et si par chance la conférence a lieu, on s’auto-congratule autour d’une photo et d’une déclaration sans lendemain. Peu importe après tout, la stratégie diplomatique française n’est que verbale.

On a beau jeu en France de dénoncer la timidité d’Obama et de gloser sur le déclin des Etats-Unis. A contrario, on se félicite des prétendues réussites de la politique étrangère française, au Moyen-Orient et en Afrique. Laurent Fabius est un des ministres les plus populaires et le secteur où François Hollande est le moins contesté dans les sondages est sa politique étrangère. En réalité, nos rares succès sont militaires; au Mali, en Centrafrique et même en Irak. Et ils ne trouvent pas d’issue politique. Si la gesticulation ne trompe plus personne sur la scène intérieure, en politique étrangère l’illusion fonctionne toujours.

 *Photo : Luis Hidalgo/AP/SIPA. AP21668511_000004. 

Insécurité : papy, simple flic

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marseille samia ghali insecurite

marseille samia ghali insecurite

Ce samedi 15 novembre, à Marseille, l’air du matin a la moiteur des soirs d’orage. Les sols battus par la pluie brillent de leur gras nacré. Le ciel est un Orangina arrosé de sirop de fraise. Il fait bon. La nuit fut plus rude. Cette météo sens dessus dessous a tué cinq personnes, dont une mère et ses deux enfants, dans le Gard voisin, comme on l’apprendra plus tard. « L’histoire du jour », page 4, dans le quotidien La Provence, relate la mésaventure arrivée à l’ex-conseiller communautaire Christophe Madrolle, numéro 2 national du Front démocrate, un parti de centre gauche créé fin septembre par l’ancien vice-président du MoDem et ex-Vert, le Marseillais Jean-Luc Bennahmias.

Le 13 novembre, alors qu’il prenait de l’essence à une station-service du boulevard Sakakini, dans le 5e arrondissement de la cité phocéenne, Madrolle a été victime d’une agression pour lui dérober sa carte bancaire et a reçu des coups au genou et à la jambe. Un individu s’est interposé, mettant en fuite le malfaiteur, au visage dissimulé par un casque intégral, et son complice, qui l’attendait sur une moto.

« L’homme qui m’est venu en aide est un policier de 32 ans appartenant à la Police aux frontières, la PaF, mais je ne l’ai su qu’après, car il était en civil, raconte l’agressé, joint par téléphone. Il a agi avec une grande maîtrise et beaucoup de courage, calmement. Il a levé les mains pour faire signe qu’il n’était pas armé. Heureusement que mes deux petites filles n’étaient pas là. » Cette page 4 de La Provence recense les faits divers survenus la veille ou l’avant-veille dans la région, pas tous, suppose-t-on. Ce jour-là, le « papier » principal informe qu’un Varois de 57 ans roulant en Alfa Romeo, visé par des tirs « à la sortie de Trets, en direction de Saint-Maximin », est décédé des suites de ses blessures dans un commerce où il s’était réfugié. La victime était connue de la police. À première vue, un règlement de comptes, le quinzième depuis le début de l’année, dans l’agglomération marseillaise, qui en avait totalisé 17 en 2013.[access capability= »lire_inedits »]

Banditisme. Qui se plaît à Marseille – et les raisons de s’y trouver bien ne manquent pas – sait que la deuxième ville de France et ses 850 000 habitants ne se résument pas à ce noir tableau de série B que la raison combat et que la passion entretient, avec, il faut le dire, la complicité du réel. Le cinéma ne s’en lasse pas : récemment, La French, de Cédric Jimenez, avec Jean Dujardin dans la peau du juge Michel parti seul en guerre contre le « milieu », mort assassiné en 1981. Il est cependant vrai qu’ici le meurtre se pratique sur un mode plutôt endogamique, entre trafiquants de drogue et si possible à la mythique kalachnikov, encore que, selon le journaliste Philippe Pujol, auteur du livre-enquête French Deconnection (éditions Robert Laffont), qui lui a valu le prix Albert Londres, on n’en compterait guère plus d’une cinquantaine. Mais, à côté de la kalach, le fusil de chasse reste une « valeur sûre ».

Le meurtre n’est pas tout, il y a le reste, les vols à la roulotte (dans des véhicules aux vitres baissées), à l’arraché, les cambriolages  – ce qu’on appelle la petite et moyenne délinquance. Tout ce qui pourrit la vie des gens, les oblige à se tenir constamment ou presque sur leurs gardes, que ce soit sur la Canebière, dans les ruelles de Noailles, de Belsunce ou du Panier, les quartiers canailles au pourtour du Vieux-Port, plus méditerranéens que provençaux, où aiment à se rendre les férus du Lonely Planet, le New Yorker des touristes. C’est bien simple, en 2012, Marseille affichait une moyenne de 29 agressions par jour, selon les chiffres fournis à l’époque par un procureur de la République.

Les choses semblent aller mieux, grâce à une action des forces de l’ordre jugée plus efficace. Selon la préfecture de police, sur les neuf premiers mois de l’année, les arrachages de colliers et autres bijoux auraient spectaculairement chuté, de 64 % par rapport à 2013. Leur nombre s’établirait ainsi à « seulement » 357 – les soupçonneux doutent de la véracité de cette embellie. Ombre à ce tableau : pour la même période, les vols à la roulotte et les cambriolages ont, eux, augmenté, respectivement de 7 % et de 3,4 %.

L’insécurité et le sentiment du même nom, on le sait, se mettent mal en bouteille et encore moins en statistiques. À Marseille, toutes les causes possibles du « mal », sont rassemblées – la pauvreté, l’échec scolaire, les familles éclatées, un rapport à la France des plus problématiques pour nombre de « minots » franco-maghrébins ou franco-comoriens, un racisme latent doublé d’une fracture sociale ancrée géographiquement jusqu’à la caricature. Et puis Marseille, c’est Marseille, dirait l’impatient. Brigandage et braquages ne sont pas une vue de l’esprit. La métropole provençale n’a naturellement pas le monopole de l’insécurité. D’autres villes, de taille moyenne, comme Carcassonne, chef-lieu de l’Aude, ont la réputation d’être des lieux plus criminogènes encore.

Pour se protéger des agressions, on en vient donc à imaginer des parades.

« C’est le ras-le-bol, tout le monde a pris conscience de l’impuissance de l’État à assurer pleinement la sécurité des citoyens », constate Yannick, un officier de police en poste dans le chef-lieu des Bouches-du-Rhône, affilié à Unité police, un syndicat classé à gauche. Chez certains, surtout les commerçants, en première ligne au front de la rapine, la tentation de l’autodéfense est forte. « Parmi eux, ils sont toujours plus nombreux à s’armer et à essayer de se faire justice eux-mêmes », affirme le policier. On se souvient de ce bijoutier niçois qui, en septembre 2013, avait tiré contre ses deux braqueurs prenant la fuite avec le butin, tuant l’un d’eux. À l’époque, les réseaux sociaux avaient sonné la mobilisation générale : un million de « fans » avaient témoigné leur soutien au bijoutier, qui avait exercé son « droit » le plus élémentaire en cherchant à protéger son « gagne-pain ». Cette prise d’armes virtuelle a-t-elle eu un quelconque impact sur l’instruction judiciaire ? Mis en examen pour homicide volontaire, le commerçant, en possession d’un permis de détention d’arme au moment des faits, a bénéficié d’un non-lieu en juin.

L’an dernier toujours, deux semaines après le drame niçois, la chronique – la cronaca disent les journaux italiens, qui, dans le domaine, en connaissent un rayon – faisait état d’« un nouvel acte d’autodéfense », à Marseille, cette fois, dans les Bouches-du-Rhône. L’oncle du gérant d’un bar-tabac des quartiers sud de la ville avait tiré avec un fusil à pompe sur trois malfaiteurs armés et cagoulés. L’un d’eux avait été blessé à la jambe. L’arme utilisée était enregistrée en préfecture. Le procureur de la République retenait la légitime défense. Quinze mois après les faits, l’homme du bar-tabac, à qui nous téléphonons pour lui proposer un rendez-vous, demande qu’on le laisse tranquille.

C’est une petite armurerie du centre-ville, à Marseille, comme on n’en trouve sans doute plus beaucoup en France et en Europe. Elle possède une jolie devanture, dans des tons chauds un peu passés pour obtenir le côté vieillot. On y entre comme dans une mercerie. Il ne manque que le tintement d’une clochette. Le vendeur est un jeune homme affable et direct. « Le patron n’est pas là, prévient-il. De toute façon, il ne vous dirait rien, il ne parle pas aux journalistes, qui changent toujours ce qu’on leur dit. » Il confirme le constat de Yannick, l’officier de police. La législation française sur la détention d’armes à feu étant l’une des plus strictes du monde, « beaucoup de commerçants demandent à se défendre et souhaitent connaître la marche à suivre, explique-t-il. Après, je donne raison à ces gens-là, ils défendent leur pain, c’est tout. Beaucoup essaient d’avoir une arme au noir. Je leur dis : “Je ne peux rien pour vous”. » L’armurerie, elle, n’a « jamais » été braquée, assure le jeune homme sur le ton de celui qui n’a rien à se reprocher. « En vente libre, poursuit-il, vous trouvez les choqueurs électriques, dont la puissance varie entre 1 et 3 000 volts, la bombe lacrymo ou encore la matraque télescopique. Leur usage est extrêmement réglementé et doit naturellement être proportionné aux situations rencontrées. » Un homme, 35-40 ans, grand, barbe de trois jours, entre dans le magasin. Il demande à voir les choqueurs électriques, des « armes » de la grandeur d’un téléphone portable, munies de deux crochets métalliques qui, pour remplir leur office, doivent être en contact avec l’agresseur – « Ça ne marche pas à distance comme les Taser de la police », précise le vendeur. « Je viens ici pour me renseigner, annonce le client potentiel. J’ai un frère, à Nice, il a un choqueur électrique. Physiquement, il est un peu limité. Moi, je peux inspirer de la crainte, mais on ne sait jamais. On est dans une société où il y a de plus en plus d’insécurité. »

Le business de l’autodéfense est tout à fait légal et probablement rentable. Christian dirige un club de self-défense à Marseille, spécialisé dans le koroho, une technique qui travaille les « points de pression ». Parmi les clients et clientes du club, des victimes ou des témoins d’agressions – des vols à l’arraché ou des coups portés gratuitement. « Leur but, en venant ici, est d’évacuer le traumatisme subi, de reprendre confiance en soi, explique le gérant du club. J’ai notamment une jeune ado qui a été volée et poussée par terre. Une autre personne a assisté à un braquage. Les femmes parlent plus facilement que les hommes de leurs douleurs physiques mais surtout mentales. » Christian se défend de les transformer en justiciers : « Je suis toujours dans le respect de la loi. Il s’agit de gérer son agressivité physique ou verbale. J’enseigne les attitudes à avoir, j’encourage la négociation, de façon à ne pas en venir aux coups. Exemple tout bête : les embrouilles entre automobilistes, qui peuvent vite dégénérer. »

Une conception presque chrétienne de l’autodéfense qui fera ricaner les « vrais durs ». Pourtant, le plus important est de garder son sang-froid, affirment les professionnels du secteur. Non seulement pour rester en vie, mais plus encore peut-être pour éviter les ennuis judiciaires.

Yannick, près de trente ans dans la police, s’est un temps occupé de la formation des commerçants de Nîmes à la gestion de situations critiques, dans le cadre d’un contrat local de sécurité : « Je travaillais avec eux sur les émotions. J’essayais de leur faire comprendre que l’ego, lorsqu’il est humilié, est mauvais conseiller, que dans les situations de haut stress le mieux est d’obtempérer et d’observer les agresseurs de manière à élaborer par la suite des portraits-robots. On faisait des jeux des rôles, je débriefais ceux qui avaient été victimes de braquage. »

La police ne peut pas tout. Yannick est bien placé pour le savoir, mais il trouve que l’institution qu’il sert joue un peu trop les démissionnaires. Si on en a fini, paraît-il, avec la « politique du chiffre » initiée par Nicolas Sarkozy, aujourd’hui, on aurait tendance à minimiser voire à nier la gravité de certains faits en les « sous-qualifiant ». « Prenons l’exemple d’une porte forcée au pied-de-biche, avance Yannick : soit on cherche à connaître l’auteur et le motif de cet acte, manifestement une tentative de vol, soit on le range dans la catégorie “dégradations”, ce qui allège les tâches de la police mais ne fait pas du tout l’affaire des victimes, aux prises ensuite avec leur assurance. C’est pourquoi celles-ci ont désormais pris l’habitude d’exagérer la gravité de l’infraction subie. »

« Shooter ou pas shooter ? », se demande dans son jargon de ballon rond le fonctionnaire de police appelé à trier dans la pile de plaintes. Voilà apparemment comment on s’y prend pour augmenter le taux d’élucidation, en « shootant » les affaires dont on pense qu’elles ont peu de chances d’être résolues. Le procédé semble vieux comme l’administration. Alors, pour prévenir les cambriolages, la police incite les particuliers à se suréquiper en matériel de vidéosurveillance. « C’est une manière de les culpabiliser en cas d’hésitation ou de refus de leur part », estime Yannick. On vous avait prévenus, les proprios !

Certains s’organisent, à l’image des initiateurs de Voisins vigilants, une association née il y a dix-huit mois. « Le résultat est inespéré, se félicite Maurice Forini. On ne déplore pratiquement plus de cambriolages. » Marseillais originaire de Corse, Forini est un ancien officier de police aujourd’hui à la retraite ; les caïds, ça le connaît ! Abord sympathique et tutoiement facile, Maurice est propriétaire d’une maison dans un « noyau villageois », un ensemble de 62 villas situé dans les 15e et 16e arrondissements de Marseille, autrement dit au milieu des fameux quartiers nord. Un Bronx avec ses « citadelles » de barres et de tours, où prospèrent les trafics en tout genre sur fond de misère sociale, de bonheur aussi, quelquefois, mais également ses portions de garrigues et ses « villages », des plus modestes aux plus coquets.

Avec d’autres résidents et en coopération avec les services de police, Maurice Forini gère un secteur portant l’estampille « Voisins vigilants », structure créée sur une base citoyenne et participative, dont le but est de dissuader les cambrioleurs de passer à l’acte. Sur son site, l’organisation revendique l’adhésion de 3 000 communautés à son dispositif à travers la France, et la demande ne tarit pas. Un Voisins vigilants ouvrira prochainement ses portes, si l’on peut dire, à Gonesse, dans le Val-d’Oise. Ce « maillage citoyen » consiste en une surveillance mutuelle, où les SMS tiennent un grand rôle. L’information circule en réseau et remonte la voie hiérarchique jusqu’à la police.

Le secteur du Mont d’Or, où vit Maurice Forini, est divisé en trois sous-secteurs. Des pancartes rectangulaires jaune et noir, disposées ça et là sur des poteaux, ainsi que des autocollants apposés sur les boîtes aux lettres ou les portails, indiquent que l’œil est ici aux aguets. Avis aux Roms et aux jeunes des cités alentours, ces visiteurs indésirables, « les “petits jeunes”, comme les appelle Maurice, avec la petite sacoche et le tournevis à l’intérieur, avec le capuchon sur la tête et les lunettes noires sur le nez ».

« Bonjour Émile, je te dérange ? », lance l’ancien officier de police, par-dessus un portail, à l’un des Voisins du Mont d’Or. Émile, anciennement cadre dans la pétrochimie, également à la retraite, a déjà été cambriolé. « Ils sont venus quatre jours de rang, raconte-t-il. Ils ont pris une caisse à outils. C’étaient des Roms, je le sais, ils ont emporté avec eux la couverture qui était sur la caisse à outils. » Depuis, Émile a installé un portail métallique plus haut que l’ancien, à claire-voie. Ni lui ni son ami Maurice ne disent pour qui ils votent, mais tous deux attirent l’attention sur le fait qu’aux dernières municipales le Front national était premier au Mont d’Or. Émile voit à regret Marseille « s’africaniser ». Pour autant, il paraît presque fier d’annoncer que le lotissement de 62 villas compte « quatre familles arabes ».

La sénatrice et maire des 15e et 16e arrondissements, Samia Ghali, candidate malheureuse aux primaires socialistes d’avant les municipales, soutient Voisins vigilants. « Là où ça a été mis en place, c’est très efficace. Les voyous n’aiment pas qu’on les surveille », dit-elle. Décrite comme une femme à poigne, le regard parfois intimidant, elle chasse objections et critiques : « Voisins vigilants, c’est de l’entraide, ce n’est pas de l’autodéfense, ni des patrouilles, et encore moins des armes, assure-t-elle. Quand il y a une voiture qui stationne trop longtemps, on le signale. » En 2012, Samia Ghali avait souhaité l’intervention de l’armée dans les cités pour mettre un terme aux trafics. La même année, elle n’avait pas accablé un groupe d’habitants de condition modeste qui, gagnés par le ras-le-bol, avaient incendié un campement rom, « après que ses occupants en furent partis », précise-t-elle.

Voisins vigilants présente a priori moins de risques de dérapage. Toutefois, le dispositif n’est probablement pas aussi pépère que Samia Ghali le décrit. Il arrive que des Voisins, plutôt que de rester chez eux à épier, cachés derrière le rideau de la cuisine, fassent un peu la police : ils se montrent face à des personnes « suspectes », s’enquièrent de la raison de leur présence. Quoi qu’il en soit, pour le journaliste marseillais Philippe Pujol, cette vigilance citoyenne encouragée par les pouvoirs publics constitue « un gros aveu d’échec de la préfecture de police : on demande à des gens sans expérience d’analyser des situations complexes. C’est dangereux. Et puis ça permet à certains qui traînent des casseroles de se racheter une conduite à moindres frais. S’il y avait une police de proximité, les faits constatés seraient très vite traités ».

Philippe Pujol a peut-être raison sur les principes. N’empêche, l’efficacité du dispositif semble réelle. Du moins jusqu’à l’entrée des cités. Les seuls « yeux » tolérés dans les tours sont ceux des « choufs », les « petits » qui préviennent les « grands » à l’approche des « étrangers », suspects chez les suspects. Samia Ghali en convient, tous en conviennent, comme si on changeait soudainement de dimension : un panneau « Voisins vigilants » plaqué là, au rez-de-chaussée d’un immeuble, serait incongru. De ce situationnisme sauce « samouraï », Tarantino ferait sûrement quelque chose.[/access]

*Photo : JEROME MARS/JDD/SIPA. 00622579_000001