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Nabilla, victime de l’arbitraire des juges?

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nabilla juges detention

Nabilla est une de ces créatures dont la téléréalité fait de curieuses icônes. Les conditions de la mise en avant de ses vedettes improbables, sont toujours les mêmes. Un concours télévisé sans aucun intérêt, une participation du public à coups de SMS rémunérateurs pour la chaîne, des candidats de préférence stupides, à la plastique avantageuse et chirurgicale, et surtout une vulgarité de tous les instants. Comme des moucherons attirés par la lumière, des jeunes gens semi-illettrés se précipitent aux castings. Les « heureux élus » accèdent à une brève notoriété puis retournent à leur vacuité initiale pour alimenter la presse à scandale bas de gamme de leurs déboires. À base en général de dépression, d’alcool, voire pire. Le triste emblème en est la pauvre Loana, héroïne de la toute première de ces émissions il y a une dizaine d’années. Celle, toute de collagène et de botox, présentée comme « la nouvelle Brigitte Bardot » (!!!!), affiche aujourd’hui sous les ricanements son obésité, les récits de ses tentatives de suicide, et de ses cures de désintoxication.

Car la société du spectacle est sans pitié. Ces vedettes Kleenex non seulement seront jetées après usage sans aucun ménagement, mais emblèmes de ce que l’on n’aime pas dans l’époque, elles servent dès le début d’exutoire et de bouc émissaire. Nabilla bénéficiant d’une notoriété supplémentaire grâce au succès viral d’une des plus grotesques de ses répliques, le fameux « non mais allô quoi ». Primus inter pares, elle se mit à incarner à elle toute seule la stupidité marchande de la télé-poubelle.

Aussi, lorsqu’elle s’est trouvée impliquée dans un fait divers, il était prévisible qu’elle allait le sentir passer. Philippe Mathieu dans ces colonnes, disposant semble-t-il de quelques informations provenant du dossier, a dénoncé le sort judiciaire fait à la bimbo. Je ne suis pas loin de partager son avis sur le caractère abusif de la détention provisoire imposée et sur le fait que l’image médiatique de la justiciable a dû largement influer sur son sort. Concernant le déroulement des faits, je m’en rapporte à son compte-rendu manifestement informé.

Mais là où je ne le suis plus, c’est sur les raisons de la mesure prise. Sondant les reins et les coeurs, il a pointé le narcissisme du procureur comme moteur premier. Symétriquement, il a mis l’accent sur les conséquences psychologiques qu’il prévoyait  pour Nabilla.

Le théoricien théorise, l’historien historicise, il est normal que le psychologue psychologise. Surtout que maintenant le juriste va juridiciser…

Les magistrats vivent dans leur époque. Peu probable qu’ils soient amateurs de téléréalité. Le fait divers étant médiatisé, l’occasion était belle de rappeler que même les éphémères vedettes de ces spectacles navrants n’étaient pas au-dessus de la loi commune. Et au passage de se passer un peu les nerfs sur une des images de la bêtise ambiante.

Le problème est que justement les magistrats ont des opinions, des avis, des perceptions qui leur sont propres. Ils ont aussi des faiblesses. Et que c’est à raison qu’il ne faut pas leur faire confiance. D’où le recours à toutes ces règles qui ne sont que l’expression de la défiance vis-à-vis de la justice des hommes. Procédures rigoureuses, présomption d’innocence, charge de la preuve, collégialité de la décision, double degré de juridiction etc.… Alors, faire porter la responsabilité d’un embastillement inutile et contraire aux exigences du Code de Procédure Pénale au seul procureur en mal de reconnaissance narcissique, c’est se tromper de diagnostic. Ce n’est pas lui qui a décidé l’envoi en détention de Nabilla, même s’il l’a proposé. C’est d’ailleurs probablement plus grave. La mesure a été demandée par le juge d’instruction en charge du dossier, soutenu par le procureur est contestée par les avocats de la défense. C’est un quatrième personnage qui a rendu la décision : « le juge des libertés ». L’histoire de cette institution est  assez savoureuse. Le juge d’instruction, celui que Napoléon appelait « l’homme le plus puissant de France » disposait à l’origine de pouvoirs considérables qu’il a fallu 200 ans pour civiliser. Cet inquisiteur schizophrénique à qui l’on demande l’impossible, c’est-à-dire l’objectivité en instruisant à charge et à décharge.

En 1992, une majorité parlementaire de gauche avait décidé de retirer au juge instruction le pouvoir d’incarcérer. Une telle mesure devait être décidée par un juge extérieur après un débat contradictoire. La majorité de droite arrivée aux manettes en mars 93 ne trouva rien de mieux à faire qu’immédiatement abolir cette institution « laxiste ». Certains des parlementaires de la majorité firent rapidement et brutalement l’expérience des conséquences de cette suppression…

Un très large consensus permit son rétablissement après la victoire de la gauche en 1997. Malheureusement, et c’est un des problèmes du fonctionnement de la justice française, l’institution s’est peu à peu vidée de sa substance. La puissance du lobby de l’Association française des magistrats instructeurs, a permis d’obtenir plus que fréquemment l’approbation par le juge des libertés des mesures réclamées par les juges d’instruction. En général confirmées par les Chambres d’Instruction, appelées dans le langage courant les « Chambres de Confirmation »… Et c’est bien, ce qui constitue le problème dans cette affaire, comme dans d’autres. La détention provisoire est souvent, comme la garde à vue, utilisée comme moyen de pression voire de chantage. D’ailleurs la presse le reconnaît, comme par exemple dans l’affaire Bettencourt avec la détention de Philippe de Maistre. Les anciens se rappellent de la phrase prêtée à une magistrate médiatique reconvertie aujourd’hui en politique selon laquelle en matière financière, il fallait savoir « attendrir la viande ». Alors pensez, Nabilla et ses huit jours d’incapacité temporaire totale infligée à son compagnon.

Le problème aujourd’hui est moins l’éventuel narcissisme d’un procureur ou la subjectivité excessive d’un juge d’instruction, que l’indulgence dont ils bénéficient de la part de ceux qui sont chargés de les modérer ou de les contrôler. Une forme de corporatisme, de conformisme aussi ont nettement émoussé l’indispensable rigueur qui devrait présider au fonctionnement des procédures. Pouvoir lire sans démenti officiel dans un hebdomadaire que dans l’affaire Bettencourt, l’instruction qui aurait dû être annulée, ne l’avait pas été à la suite d’un marchandage avec les juges d’instruction en contrepartie d’une ordonnance de non-lieu à l’égard de Nicolas Sarkozy, est quand même quelque chose d’assez inquiétant. On s’en tiendra à ce seul exemple…

Alors, si Nabilla a fait la dure expérience pendant quelques semaines d’une détention inutile, elle ne le doit pas au narcissisme d’un procureur et à son aversion compréhensible pour ce qu’elle représentait. Ou en tout cas pas seulement. C’est d’abord et surtout par ce que les règles prévues pour éviter les abus de la subjectivité sont souvent vidées de leur substance. « Adversaire acharnée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté » nous disait Rudolf Von Jhering. Il serait bien que la Justice de notre pays, qui n’est pas la pire du monde, loin s’en faut, s’en inspire plus rigoureusement.

 *Photo :  PJB/SIPA. 00665336_000022.

Zemmour un jour, Zemmour toujours

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eric zemmour itele

Ce que l’Histoire nous apprend, c’est que la démocratie athénienne, qui ne brillait pas toujours pour son intelligence, comme nombre de démocraties, ostracisa l’un après l’autre tous les grands citoyens qui l’avaient sauvée, en diverses circonstances. Elle nous apprend aussi que c’est néanmoins de Thémistocle, ostracisé en 471, que l’on se souvient. De Thémistocle, et non de Cimon qui le fit exiler ; et que l’on se rappelle Cimon,et non Ephialtès, qui l’avait fait bannir à son tour. « Car on n’abdique pas l’honneur d’être une cible ».
Mais qui, dans la classe politique, s’intéresse encore à l’Histoire ?
Pas les dirigeants-croupion d’iTélé, qui viennent d’ostraciser Eric Zemmour — si bien que l’on parle partout de l’auteur du Suicide français, et pas du tout de Cécilia Ragueneau (qui ça ?) ni de Cécile Pigalle (heu…).
Pour ceux qui auraient raté un épisode, résumé sur Causeur — erreurs de traduction comprises, puisque tout est parti d’une interview au Corriere della Serra que Mélenchon a interprétée à sa manière. Et analyse convaincante de Jérôme Béglé.

Je ne suis pas d’accord à 100% avec ce qu’écrit Zemmour. Ce n’est pas parce que c’est un ami que je vais jouer au béni-oui-oui. Mais même les horreurs, Eric les dit avec talent (bon, d’accord, de temps en temps, à force d’essayer de se faire haïr du plus grand nombre possible d’imbéciles, il se fait détester aussi par des gens décents, abusés par sa rhétorique), ce qui n’est pas à la portée du premier journaliste venu.

Il a le même palmarès académique que Najat Vallaud-Belkacem (Sciences-Po, et deux échecs à l’ENA), et douze mille fois plus de talent. Ce n’est pas lui qui éclaterait de rire au nez et à la barbe de 850.000 enseignants en s’exclamant : « On ne fait pas ce métier pour de l’argent ! » Je l’ai toujours vu défendre l’Ecole de la République, sans laquelle le petit Juif qui n’était pas « fils de » et traînait ses culottes courtes à Drançy ou à Château-Rouge ne serait pas ce qu’il est.
Alors, on me dira, il s’acharne sur les femmes — oui, mais c’est qu’il leur en veut fort, à toutes les viragos du féminisme tardif, de n’être pas à la hauteur des idoles qu’il a élevées en lui : il leur en veut au fond de trop les aimer — et pour les aimer, il les aime : il a même essayé de m’en souffler une, et à mon nez encore — qui est grand.
Domenach, son compère de toujours dans l’émission d’iTélé, déplore la mesure de la chaîne (plains-toi, Eric, te voici déchaîné…). Il pourrait ajouter qu’iTélé étant la succursale infos de Canal+, et Canal+ n’ayant rien à refuser au PS, tout cela fleure bon le règlement de comptes — qui fait long feu : jamais on n’a tant parlé d’Eric que depuis qu’il se retrouve interdit de débat.
Ne pleurons pas trop : il lui reste Paris-Première, Le Figaro, RTL, et j’en oublie sans doute. Depuis qu’on n’en veut plus, tout le monde le désire.
Le plus grotesque, c’est que cette mesure, qui fait la joie de tous ceux qui cherchent absolument à faire progresser le FN dans les sondages (ceux qui le font exprès, mais plus encore ceux qui ne le font pas exprès — SOS Racisme par exemple).
Parce que vouloir à toute force virer Zemmour (ou d’autres, comme votre serviteur) sous prétexte qu’il appuie le FN (ce qui est fondamentalement faux) ou qu’il exalte Pétain (vous imaginez un Juif pied-noir penser du bien du Maréchal-nous-voilà ?), c’est faire le jeu du FN et des nostalgiques de tous les Ordres nouveaux. Tout comme démanteler l’Ecole, sous prétexte de « progrès » pédagogique, c’est aussi faire le jeu des extrémistes. Le Collectif Racine a cette semaine adressé une lettre ouverte sans grand intérêt à Natacha Polony qui s’était fait attaquer au burin par le végétarien de chez Ruquier. Il aurait mieux fait d’écrire à Philippe Meirieu, ne serait-ce que pour le remercier : l’entreprise de démolition lancée après la loi Jospin en 1989, les IUFM triomphants, l’apprentissage du français dans les modes d’emploi des appareils ménagers, ça oui, ça a favorisé la montée des exaspérations périphériques ! Pas Zemmour, qui n’a jamais voté FN — ni EELV, figurez-vous : il n’est pas adepte des totalitarismes, et il y a un totalitarisme de la pensée bobo comme il y a — en puissance — un totalitarisme d’une extrême-droite qu’une Gauche hantée de libéralisme et d’euro-béatitude a fini de décomplexer.

À noter que Domenach déplore l’exil forcé de son ami et adversaire de toujours. Et Cohn-Bendit, qui a plus de ruse politique dans son petit doigt que Meirieu dans toute sa personne, défend Zemmour. Il se rappelle sans doute qu’expulsé par la porte en 1968 il était rentré par la fenêtre. Aucun régime ne gagne à flinguer les trublions, qui font leurs choux gras de toutes les intimidations qu’on leur oppose. Nous sommes tous des Juifs allemands et accessoirement pieds-noirs.

Allez, Eric, ne t’en fais pas. On te hait cette fois bien plus que tu ne l’as rêvé dans tes espoirs les plus fous. Attends deux ans : tu auras toute latitude — et tu ne t’en priveras pas — pour attaquer les nouveaux maîtres de la pensée unique. Parce qu’après le déluge de niaiseries contentes d’elles-mêmes que sont les discours de Gôche actuels, il y aura des déluges d’idées reçues made in Café du Commerce. Les polémistes ont encore de beaux jours devant eux. On peut bien tenter de les faire taire, mais on aura toujours besoin d’eux, tant la Bêtise, elle, persiste.

 *Photo  : Hannah.

Nos idées cadeaux

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neil young noel

Objets

La cloche pour assouvir certaines pulsions... Parce qu’à lire les commentaires de nos lecteurs, on se dit que certains en ont bien besoin !

Rachel Binhas

DVD

Le Sauvage, de Jean-Paul Rappeneau : Catherine Deneuve en épouse volage, Yves Montand en ermite retiré des voitures. Glissez une histoire de vol de tableau, des pantalons à pattes d’éléphant so seventies, un mariage arrangé par les besoins de l’industrie du luxe qui tourne vinaigre, et une bonne tranche de légèreté, au meilleur sens du terme. Montand préférant la liberté en prison à la cage dorée qu’on lui propose millions de dollars à l’appui, c’est une des plus belles odes à la liberté que le cinéma français ait jamais montré, sans tambours ni trompettes. Dire merde à la société, quel pied !

Daoud Boughezala

Un coupable idéal des réalisateurs Denis Poncet et Jean-Xavier de Lestrade, le documentaire leur ayant permis de rafler l’Oscar. « De l’enquête jusqu’au procès, le documentaire réalisé par Jean-Xavier de Lestrade et produit par Denis Poncet apparaît comme un véritable thriller à suspense. Filmé avec une grande sobriété, Un coupable idéal prend le spectateur à la gorge. Avec minutie, pièce par pièce, Patrick McGuinness met à jour toutes les incohérences d’une enquête expéditive et avec elles les défaillances d’un système judiciaire.»

Je n’ai pas d’idée originale, je pense à l’intégrale Truffaut en DVD, puisque c’est l’anniversaire de sa mort.

Charlotte Liebert-Hellman

Rachel Binhas

Disques

Un album de reprises  (Dylan, Phil Ochs, Johnny Cash, Willie Nelson) du Loner en import vinyle où tous les morceaux ont été enregistrés en une seule prise ! Si vous n’aimez pas Neil Young, tant pis pour vous. Si vous êtes fans, courez-y. Comme quoi, c’est parfois simple, la vie

Marc Cohen

Livres

Tout Italo Svevo (de son vrai nom Ettore Schmitz), essentiellement La conscience de Zeno, Une vie et Senilita. Je ne sais pas si vous rechignez autant que moi à acheter de gros bouquins, auquel cas vous éviterez le volume romanesque publié chez Gallimard en Quarto, mais en gros ou au détail, il faut lire Svevo. Tous ses romans, à commencer par la célèbre Conscience de Zeno, mettent en scène des hommes veules, lâches et petits – bref, des hommes – face à la volupté féminine. Les jeux de l’amour laissent malheureusement peu de place au hasard, aussi ces histoires finissent mal en général. Elles n’en sont pas moins réjouissantes tant les tiraillements des uns et des autres, leur monologue intérieur et l’autodérision qui ne quitte jamais Svevo prouvent que la condition masculine n’a guère progressé depuis…

Daoud Boughezala

*Photo : wikimedia.


Suicides, modes d’emploi

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baverez zemmour crise

« La France se meurt, la France est morte » : le message délivré par Éric Zemmour dans Le Suicide français scandalise les non-pensants de la sphère politique et médiatique. Le livre est contestable, comme tous les autres, mais remarquable par son souci de reconstitution méthodique de la trajectoire nationale depuis quarante ans.

Je me propose d’ajouter un addendum à ce travail de Romain en soulignant que le suicide français s’est nourri de deux discours contradictoires : celui de la France qui tombe et celui de la France invulnérable. Superposés, ces deux discours ont désarmé la critique objective des problèmes qui nous assaillent et facilité les décisions à contresens dont nous sommes aujourd’hui prisonniers.

La France qui tombe

Paru en 2003, l’opuscule de Nicolas Baverez[1. Éditions Tempus.] offre, dans le style à la fois véhément et professoral de son auteur, un chapelet de perles représentatif de la vision néolibérale triomphante, quelques années avant les deux grandes crises, américaine et européenne, qui ont ébranlé l’Occident.

Au moment même où se constitue pour de bon la bulle immobilière américaine, favorisée par une politique monétaire irresponsable de la Banque centrale et l’effet de levier de l’endettement des ménages, Baverez croit pouvoir faire ce constat : « Les États-Unis s’affirment comme le réassureur ultime de l’économie mondiale et le régulateur du capitalisme. »

Quelques années plus tard, la grande crise financière américaine de 2008, qui se propagera à l’Europe, montrera que « le réassureur ultime de l’économie mondiale » dopait sa croissance à coups de prêts au logement et à la consommation, et que « le régulateur du capitalisme mondial » dopait ses actifs financiers et immobiliers à coups de « subprime rates » et de produits dérivés issus du crédit hypothécaire[2. Tels que les Collateralized Debt Obligations et les Credit Default Swaps.]. Les propos de Baverez expriment une sorte d’aveuglement militant en faveur de la superpuissance américaine[3. Qui se manifeste aussi sur le terrain diplomatique et militaire : lors de son opposition à la guerre en Irak, « Jacques Chirac s’est coulé au mot près dans le discours de Daladier et de Chamberlain lors des accords de Munich », et avec « le succès militaire éclatant [en Irak] qui démontre la supériorité technologique absolue acquise par l’armée américaine ».] qui rappelle le zèle des « compagnons de route ».[access capability= »lire_inedits »]

Baverez ouvre le procès de l’impéritie des politiques français de droite et de gauche à partir du second septennat de François Mitterrand. Il égrène les statistiques défavorables (taux d’emploi de la population, déficit public et dette publique, contraction industrielle) mais passe sous silence le fait, déterminant, que le commerce extérieur est encore équilibré en 2003 – ce sera la dernière année –, alors que nous devons importer la totalité des matières premières et de l’énergie nécessaires au bon fonctionnement de la machine économique. En 2003, la France ne tombe pas, pas encore du moins.

Baverez dénonce le social-corporatisme de l’État qui protège les rentes de situation du secteur public – sur ce point, il n’a que trop raison – et l’excès des charges fiscales et sociales pesant sur les entreprises. Or, autant les charges sociales, contrepartie de dépenses dont Baverez ne dit pas d’ailleurs comment les réduire, écrasent les employeurs, autant la charge fiscale n’a cessé de baisser : de 52 % en 1974, l’impôt sur les sociétés est tombé à 33 %. Et ce taux est purement théorique : l’impôt réel représente 8 % du bénéfice pour les entreprises du CAC 40, 14 % pour les entreprises cotées et 26 % pour les entreprises non cotées. On évoque rarement, dans les racines de la dette, ces milliards d’euros qui ne sont pas entrés dans les caisses de l’État.

Nicolas Baverez se trompait sur la nature du mal. Pas sur l’issue. Dix ans après lui, on peut vraiment dire que la France tombe. À l’appui de ce diagnostic, je citerai deux données : premièrement, notre dette publique, égale au PIB, n’est plus remboursable ; deuxièmement, le déficit persistant de nos comptes courants (notamment imputable au déficit commercial et au solde négatif des investissements directs).

En un mot, nous sommes en situation d’urgence. Précisément le type de situation auquel l’hôte de l’Élysée est imperméable. Face aux menaces qui se multiplient, il semble avoir intégré le dogme de « la France invulnérable ». Cette croyance implicite, propre aux socialistes et à la gauche française, a nourri l’immobilisme du deuxième mandat de François Mitterrand et encouragé son action pour l’union monétaire qui nous a privés d’un instrument essentiel de politique économique ; elle a permis le contresens historique de l’adoption des 35 heures et justifié l’impuissance de Chirac, homme de gauche s’il en fût sous la Cinquième, après sa réélection en 2002. Et elle inspire aujourd’hui la politique du chien crevé au fil de l’eau qui est celle de Hollande et de ses équipiers depuis 2012.

Le personnage le plus représentatif de cette pensée est Pascal Lamy, encore encarté au Parti socialiste, et, jusqu’il y a peu encore, directeur général de l’OMC avec la bénédiction de Washington et de Pékin. Il s’appuie sur un axiome de son cru : la France est une puissance « technologique », qui dispose d’un avantage comparatif sur les pays émergents. En conséquence, laissons les produits à faible valeur ajoutée et à faible marge bénéficiaire aux pays de l’ancien tiers-monde et concentrons-nous sur les merveilles que nos ingénieurs et informaticiens savent concevoir. Fort de ces certitudes, ce socialiste des beaux quartiers n’hésitait pas à encourager les ouvrières du textile des Vosges à abandonner leur travail au profit des Chinoises pour mieux admirer l’ascension d’Airbus. Seulement, aujourd’hui, les ouvrières chinoises subissent la concurrence des Vietnamiennes et des Cambodgiennes, et deux programmes aéronautiques en cours de développement en Chine feront bientôt concurrence à Airbus.

Peu importe, puisqu’il ne peut rien nous arriver : deux années et demie après installation du personnage à l’Élysée, François Hollande interdit que l’on procède à un diagnostic en profondeur de la crise européenne et à une révision d’ensemble de nos politiques publiques. Mais il persiste à mener une réforme territoriale qui n’a ni queue ni tête.

Divine surprise, en cet automne 2014, deux prix Nobel français, le vrai, de littérature, et le faux, d’économie[4. Le prix Nobel d’économie est un prix de la banque centrale de Suède attribué à la mémoire d’Alfred Nobel qui a couronné Merton et Scholes, responsables de la faillite du fonds LTCM en 1998, et Pissarides, qui pilotait l’économie chypriote jusqu’à sa faillite, en 2012.], ont permis de réactiver « la France invulnérable ». Certes, l’auteur de la Rue des boutiques obscures est étranger à l’univers high-tech cher à Fleur Pellerin, et notre dernier Prix Nobel d’économie, trop absorbé par ses équations économétriques, a oublié de nous prévenir de l’arrivée des deux grandes crises de 2008 et 2010. Heureusement, nous apprenons dans la foulée que la France dispose de très brillants chefs d’entreprise –lesquels ? –, que ses meilleurs cerveaux sont derrière toutes les grandes réussites entrepreneuriales américaines – mais comment les relocaliser sur notre territoire ? –, en somme, que notre principal problème, c’est le « French bashing », exercice dans lequel Baverez a longtemps excellé. Mais voilà que Baverez, touché par la grâce, nous dit que le pire n’est pas sûr.

L’ennui, c’est que les chiffres du troisième trimestre viennent de tomber et qu’ils ont de quoi doucher cette douce euphorie. Croissance zéro, si l’on déduit l’excédent des stocks, septième trimestre consécutif de baisse de l’investissement, nouvelle détérioration du solde commercial, suppression de 34 000 emplois dans le privé, inflation zéro quand on déduit la hausse des prix fixés par l’État.

Comment expliquer cette dénégation collective face à des faits aussi têtus ? La réponse est simple : la classe dirigeante a peur. Peur d’une faillite française qui entraînerait avec elle celle de l’Europe du Sud et du projet européen déjà en crise ouverte. Peur du désaveu que l’Histoire pourrait lui infliger. Affolée, elle ne sait plus quoi faire sinon remonter le moral des troupes, comme un stratège en difficulté : nous vaincrons, car nous sommes les meilleurs ! Mais les bonnes paroles ne changeront rien. Et il y a d’excellentes raisons d’avoir peur.[/access]

*Photo : RAMPAZZO ALESSANDRO/SIPA. 00687661_000013.

L’esprit de l’escalier en vidéo : le discours de François Hollande sur l’immigration, Eric Zemmour

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Chaque semaine, Causeur rediffuse L’esprit de l’escalier en vidéo. Lors de l’émission diffusée le 21 décembre 2014 sur RCJ, Alain Finkielkraut et Elisabeth Lévy sont revenus sur le discours que François Hollande a prononcé à l’occasion de l’inauguration du musée de l’immigration. En fin de séquence, ils s’indignent également de l’éviction d’Eric Zemmour de l’antenne d’iTélé, une décision qui bafoue les règles du débat démocratique.

Zemmour évincé par ses confrères

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zemmour ca se dispute itele

Une émission disparaît et toute une chaîne est dépeuplée. Comme s’en insurge Elisabeth Lévy dans le texte de la pétition lancée par Causeur, iTélé a décidé de mettre fin à l’émission-phare de sa grille, « Ça se dispute ». Diffusée chaque vendredi soir, puis multi-rediffusée pendant toute la journée du samedi, l’émission réunissant Eric Zemmour et Nicolas Domenach, sous l’arbitrage de Pascal Praud, permettait à la chaîne info du groupe Canal+ de devancer BFMTV pendant quelques minutes par semaine. iTélé sans « Ça se dispute », c’est un peu comme si Citroën avait arrêté les chaînes de montage de la DS en 1962. C’est un Tour de France zappant à la fois l’Alpe d’Huez et les Champs-Elysées. C’est une blanquette de veau sans veau ! La direction de la chaîne en était à ce point consciente qu’elle avait fêté en grande pompe, la saison dernière, l’anniversaire de l’émission, alors que c’était encore Léa Salamé qui arbitrait la dispute. Une rediff’ des grands moments, avec interviews de tous les anciens animateurs, dont Victor Robert, Laurent Bazin et Maya Lauqué. C’est dire si elle en était fière, de son émission, iTélé. Vous pensez ! Complètement dominée par BFMTV, elle ne lésinait pas sur la promotion de son programme historique « Ça se dispute »  flanqué de ses deux stars, Domenach et Zemmour.

En moins d’une semaine, l’émission-star est passée à la trappe. Pour la première fois, une chaîne supprime l’émission la plus performante de sa grille, créant une discipline inédite mais périlleuse : le saut à l’élastique… sans élastique. Un suicide français, pourrait-on ironiser. La faute à Eric Zemmour, diront certains. La preuve du totalitarisme du pouvoir socialiste, rétorqueront les autres. Ni l’un ni l’autre. La fin de « Ça se dispute », c’est la victoire du conformisme, la peur de la dispute, même civilisée. Et elle l’était, civilisée, la dispute hebdomadaire entre Domenach et Zemmour. Le premier cité, vendredi soir, twittait, en victime collatérale de la décision de la direction : « Avec Zemmour on s’est débattus. On s’est affrontés. On s’est aimés, on s’est exaspérés, mais toujours respectés. Un temps d’échanges. Quelle tristesse! ». Mais Zemmour était dans l’œil du cyclone. Depuis que Jean-Luc Mélenchon avait déterré en le déformant un entretien du polémiste avec un quotidien italien, la polémique enflait et la pression était forte sur les médias qui l’employaient. Cette pression était d’abord orchestrée par SOS Racisme et la LICRA, adversaires habituels de Zemmour, sur les champs médiatiques et judiciaires. Depuis quelques années, les deux camps ne se ménagent pas et ont engagé une lutte à mort. D’un, côté les assoces traquent tout « dérapage » du polémiste vedette et lui signifient la direction de la XVIIe chambre aussitôt que leurs avocats leur donnent le feu vert. Elles ont même réussi à le faire condamner une fois. De l’autre, Zemmour, qui consacre bon nombre d’éditoriaux à leur sujet, réclamant qu’on leur sucre toute subvention, y compris devant une assemblée de l’UMP. Pourtant – et le journaliste italien qui l’avait interviewé l’a humblement reconnu dans le Figaro Vox – Eric Zemmour n’a jamais prononcé le mot qui lui était reproché, puisqu’il s’agissait juste d’une reformulation a posteriori. Pas grave. Il devait être châtié pour l’ensemble de son œuvre. Ceux qui voient la main du pouvoir socialiste derrière cette déprogrammation s’appuient sur les déclarations de Bruno Le Roux appelant les médias « à ne plus abriter » les propos de Zemmour. Ou celles du ministre de l’Intérieur invitant nos compatriotes à manifester, ce qui est cocasse pour un hôte de Beauvau, responsable du maintien de l’ordre. Mais ils se trompent. Franchement, dans ce pays, qui a peur de Bruno Le Roux ? Même pas Pascal Cherki et quelques autres frondeurs. C’est dire. Dans cette histoire, comme sur beaucoup d’autres, les politiques sont à la remorque.

Non, ce qui a fait pencher la balance c’est la pression, notamment via les réseaux sociaux, mise par les assoces mais aussi et surtout d’autres journalistes. C’est la société des journalistes d’iTélé qui a eu la peau de l’émission. Parce que ses membres partagent pour une bonne part la même opinion que Dominique Sopo ou Alain Jakubowicz en matière de brevet de « fréquentabilité ». Ces journalistes savaient que l’émission marchait du tonnerre mais ils voulaient encore pouvoir aller dîner en ville sans devoir baisser la tête quand on leur poserait la question suivante : « Mais, vous, qu’avez-vous fait pour faire reculer le Front national et Eric Zemmour ? ». Rien à fiche de Bruno Le Roux. Juste du conformisme qui aurait sans doute été vaincu sans la décision du CSA de ne pas autoriser l’entrée dans la danse de LCI. Eh oui, sans concurrent supplémentaire, iTélé craint moins les mauvaises audiences !

D’un certain point de vue, le CSA qui avouait son impuissance alors qu’une flopée de pipoles réclamait qu’il mette Zemmour hors d’état de nuire, a tout de même joué un rôle involontaire dans cette histoire, consternante à bien des aspects. Les premiers à avoir annoncé de manière assez triomphale la fin de l’émission furent d’ailleurs des journalistes d’iTélé, Jean-Jérôme Bertolus et Florent Peiffer. Céline Pigalle directrice de la rédaction, justifia ensuite la décision au Monde, utilisant seulement le prénom de Zemmour pour parler de lui, comme si elle était encore plus ou moins liée au polémiste et que tout cela se faisait à son corps défendant.

« Ça se dispute » était une idée de journalistes. Ils avaient lu les derniers livres de Zemmour (L’homme qui ne s’aimait pas) et de Christophe Barbier (Les derniers jours de François Mitterrand) auquel succéda Nicolas Domenach. Ils avaient détecté que ces deux-là s’opposaient sur à peu près tout. D’où la dispute et la référence à « Ça se discute » émission vedette de Jean-Luc Delarue, à la même époque. Ce dimanche, le pilier des créateurs de l’émission, Victor Robert, nous confiait sur Twitter, sans doute avec beaucoup de tristesse, ce qu’était pour lui « Ça se dispute » : « Un débat créé par des journalistes sans pouvoir imaginer qu’il serait supprimé à la demande de journalistes ».

On en est là.

Les Très riches heures de la Télévision

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ormesson dumas monsoreau

À Noël, la programmation des chaînes atteindra des sommets d’ennui. Des pics de grande solitude comme chaque fin d’année. Emissions poussives, artistes en perpétuelle promotion, animateurs en panne d’idées, d’audace, de talent tout simplement. Le petit écran nous fait l’effet d’un frigo en période de crise, il y a bien de la lumière à l’intérieur mais il reste désespérément vide. La télévision n’a pas toujours été cette glace sans tain. Transparente de notre côté, voyeuriste du sien. Il fut une époque où le mot « création » avait un sens dans cette lucarne éclairée. Les responsables de l’audiovisuel d’alors ne reculaient pas devant le romanesque. Ils prêtaient même un soupçon d’intelligence à leur public. La fresque historique déroulait sa folle dramaturgie (intrigues, complots et amours contrariés) après le dîner, devant la famille réunie au complet. Les gosses ne s’endormaient pas la tête farcie de pipoleries mais le cœur empli de chevalerie. Ces décideurs d’un autre temps n’avaient pas peur de plonger (en prime time) les foyers français dans les guerres de religion, la déliquescence de l’aristocratie ou les affres d’une jeune fille. Au mitan des années 80, ils ont été remplacés par des comptables qui faisaient des rêves de ménagères, le caddie rempli d’écrans pubs. À la trappe les sagas de notre littérature !

Un conseil, durant les fêtes, laissez refroidir votre poste et préférez (re)voir quelques trésors de notre patrimoine télévisuel. En décembre 1971, souvenez-vous, La Dame de Monsoreau d’après l’œuvre d’Alexandre Dumas faisait son apparition dans nos salons. Une version restaurée vient juste de ressortir en DVD, un cadeau idéal sous le sapin de 2014. Sept épisodes, soit près de 6 h 30 d’aventures, de coups bas et de luttes d’influence entre le clan d’Henri III (Denis Manuel) et de son frère, le Duc d’Anjou (Gérard Berner) sous l’œil impitoyable de Catherine de Médicis. Vous avouerez que ces passes d’armes du XVIème siècle ont quand même une autre allure, une autre ampleur que la petitesse de nos combats politiciens actuels. Michel Creton y était phénoménal dans le rôle de Chicot, bouffon irrévérencieux, magistral tacticien de la cour, narguant ouvertement les « mignons » et manœuvrant dans l’ombre, à la survie de son roi. Plaisir des mots, d’une langue aussi tranchante que l’épée, dans une série télé inoubliable. Et puis, comment résister à cette idylle impossible entre Diane de Méridor (Karin Petersen), épouse du Comte de Monsoreau et Bussy d’Amboise (Nicolas Silberg), un couple d’acteurs tout en finesse et retenue. La distribution se déguste à chaque instant, quel bonheur de retrouver François Maistre incarnant le redoutable Comte avant de devenir l’emblématique Commissaire Faivre des Brigades du Tigre ou encore Marco Perrin (disparu en février de cette année) dans l’habit d’Henri de Navarre avant qu’il n’endosse le costume du VRP fanfaron dans les gauloiseries de Joël Séria. Six ans plus tard, en 1977, les français partageront durant 9 heures d’antenne les joies et chagrins du Duc Sosthène de Plessis-Vaudreuil interprété par Jacques Dumesnil.

En adaptant Au Plaisir de Dieu, le roman de Jean d’Ormesson paru en 1974, TF1 réussit à passionner des millions de téléspectateurs qui découvrent que la vie de château n’est pas de tout repos. De 1906 à 1968, notre histoire défile sous le regard croisé du patriarche et de sa nombreuse progéniture. Chute irrémédiable de la noblesse, montée de la bourgeoisie, transformations sociales, techniques, révolutions sexuelles s’enchaînent au cours de ce turbulent XXème siècle. Au fil des saisons, les passions contradictoires de notre pays prennent racine dans le parc de Saint Fargeau (lieu principal du tournage). Ce miracle de télé doit être absolument revu et savouré comme un puissant élixir de nostalgie. Et quand la télé ne s’emparait pas de l’Histoire de France, elle racontait les immuables relations parents/enfants. Fin 1982, L’Esprit de famille adapté du best-seller de Janine Boissard s’installe pour 7 épisodes à l’antenne. On y rencontre le docteur Moreau (Maurice Biraud) qui élève avec son épouse, quatre filles aux caractères électriques : la princesse, la cavalière, la poison et l’écrivain en herbe, Pauline, émouvante Véronique Delbourg, découverte dans A nous les petites anglaises. Avec beaucoup d’acuité, sans mièvrerie, cette série à succès évoque l’entrée tumultueuse d’une fille dans l’âge adulte. Ses complexes ont une portée aussi universelle que le déclin de Sosthène ou la pureté de Diane.

La Dame de Monsoreau – Adaptation et dialogues Claude Brulé – Réalisation Yannick Andréi – Version restaurée – Koba Films.

Au Plaisir de Dieu – réalisé par Robert Mazoyer – Collection Mémoire de la télévision – Koba Films.

L’Esprit de famille – réalisé par Roland Bernard – Collection Mémoire de la télévision – Koba Films.

Lectures noires pour les fêtes, 1

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simenon thompson baronian

Déjà, en son temps, Baudelaire expliquait bien dans Le spleen de Paris, l’horreur festiviste des fins d’année : « C’était l’explosion du nouvel an : chaos de boue et de neige, traversé de mille carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités et de désespoirs, délire officiel d’une grande ville fait pour troubler le cerveau du solitaire le plus fort. »

Il y a pourtant un moyen simple d’échapper à tout ça. S’enfermer avec quelques polars qui ont  le mérite de ne pas briller par leurs bons sentiments et qui, on le sait depuis Gide, ne font pas la bonne littérature.

Simenon nouvelliste 

Il y a vingt-cinq ans, Georges Simenon disparaissait. Les Presses de la Cité, son éditeur historique avec Gallimard et Fayard, rééditent pour l’occasion en deux volumes,  toutes les nouvelles policières de Simenon sauf celle ayant Maigret pour personnage, avec une substantielle préface de Jean-Baptiste Baronian, le spécialiste le plus avisé de l’oeuvre. L’ensemble va de 1929 à 1953 et permet de (re)découvrir d’autres personnages récurrents simenoniens. On retrouvera ainsi les quatorze nouvelles des Dossiers de l’Agence 0 avec Torrence à sa tête dont Simenon nous apprend qu’il est un ancien de la PJ et le collaborateur préféré d’un certain Maigret. Mais il faudra compter aussi avec l’humanisme souriant des enquêtes du Petit docteur ou celles de G7 dans les Treize énigmes qui sont parues entre 29 et 32 dans Détective, journal à gros tirage qui savait réunir des signatures prestigieuses comme Carco, Cocteau et Morand et qui lança vraiment Simenon. Si Maigret vous manque, cependant, vous pouvez trouver  chez le même éditeur en un fort volume six enquêtes de Maigret dont la très hitchcockiennes Menaces de Mort, le tout superbement illustrée par Loustal qui s’impose de plus en plus comme le dessinateur le plus à même de rendre compte d’une manière à la fois distanciée, poétique et précise ce qui fait la magie Simenon. Pour les mordus, on conseillera vivement de se procurer le numéro 28 des Cahiers Simenon, consacré sous le titre « Vous avez dit luxurieux ? » à l’érotisme bien particulier dans l’œuvre de l’écrivain francophone le plus traduit au monde

Nouvelles secrètes et policières  de Simenon (Omnibus)

Six enquêtes de Maigret, de Simenon et illustrées par Loustal (Omnibus)

Cahiers Simenon N°28 (Les Amis de Georges Simenon , Bruxelles)

Les durs à cuire

La génération qui a succédé, aux USA, aux pères fondateurs que furent Chandler et Hammett (dont on peut lire en version bilingue Le sac de Couffignal qui vient de paraître chez Folio) compte quelques grands noms de la littérature américaine et parmi eux James Cain et Jim Thompson. James Cain, vous savez, c’est l’auteur du Facteur sonne toujours deux fois. Autant dire un gars qui s’y connaît en matière de femme fatale troussée dans la moiteur d’une cuisine de station-service californienne. Le génie de Cain, il a été célébré très tôt, dès les années 30 et par quelqu’un dont on n’associe pourtant pas du tout le nom à cette littérature, en l’occurrence Irène Némirovsky. Préfaçant la première édition française du Facteur sonne toujours deux fois, elle définissait sans même le savoir ce qui fonde l’esthétique du roman noir : « Comme toujours,  lorsque la manière d’écrire est parfaitement adaptée au sujet et aux personnages mis en scène, de cet accord, de cette mystérieuse harmonie, naît une sorte de poésie : la poésie des meilleurs films américains. »   Quant à Albert Camus, il a reconnu explicitement l’influence de  Cain sur  L’étranger…

C’est pour cela que nous ne bouderons pas notre plaisir avec Bloody Cocktail, un roman inédit en France de James Cain qui vient de paraître à l’Archipel. Bloody Cocktail a été retrouvé il y a une dizaine d’années à peine dans les archives de l’auteur et il a été écrit et réécrit dans les dernières années de la vie de Cain qui  meurt en 1977. On y retrouve ses thèmes classiques comme pour un ultime feu d’artifice avant sa disparition : une mythologie où le goût pour le fric, l’appétit de sexe et la propension à la violence renvoie à un tableau inversé de l’Amérique heureuse de l’époque Eisenhower. On signalera en plus, que dans ce Bloody Cocktail, c’est la femme fatale qui est la narratrice ce qui change radicalement la perspective.

On pourra compléter ce retour vers l’âge d’or du roman noir par la réédition très  réussie d’un roman de Jim Thompson,  A Hell of a woman, (Une femme d’enfer) à la façon des pulps. Les pulps étaient ces magazines bon marché consacrés à la littérature de genre dès les années 20 et qui tiraient à des millions d’exemplaires. On retrouve dans ce bel objet, tous les quatre ou cinq chapitres, une couverture de genre pulp due à Thomas Ott qui, dans un style très crumbien, parsème également d’illustrations ce roman racontant comme souvent chez Thompson, à la première personne, la descente aux enfers d’un psychopathe terrifiant .

Le sac de Couffignal de Dashiell Hammet (Folio bilingue)

Bloody Cocktail de James M. Cain (L’Archipel)

A hell of a woman de Jim Thompson, illustré par Thomas Ott

Le charme discret de la novella

L’édition anglo-saxonne, qui est pragmatique distingue la nouvelle (short story), le roman (novel) mais aussi un format intermédiaire, la novella. Et c’est une bonne idée de la part des éditions Ombres noires de nous en faire découvrir de récentes  comme ce Prière d’achever de John Connolly. Un homme ordinaire, ancien employé municipal, Berger, qui peut vivre de ses rentes dans un petit village anglais à la mort de sa mère n’a qu’une seule passion, les livres. Un soir, il croit assister au suicide d’une femme qui se jette sous un train. Mais la police ne retrouve pas de corps.  Berger passe plus ou moins pour un dingue jusqu’au moment où il s’aperçoit en relisant Anna Karénine que le suicide qu’il a cru voir a exactement obéi au scénario du roman. À la limite du fantastique, Prière d’achever est aussi une ode paradoxale à ce vice impuni et dangereux, la lecture.

Prière d’achever de John Connolly (Ombres noires)

Violence animée : les enfants exposés dès le plus jeune âge?

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blanche neige violence

Alors que Noël, comme chaque année, apporte son lot de films certifiés jeune public, une étude publiée en début de semaine par le British Medical Journal fait grand bruit sur le sujet.

Les dessins animés seraient plus violents que les films pour adultes ? Sale coup pour ceux qui croyaient naïvement qu’en laissant les minots devant un dessin animé, au moins, on ne risquait pas de les exposer à des images trop dures… Pourtant cette formulation, reprise dans de nombreux médias, est un peu succincte compte tenu des paradoxes et nuances que met en lumière l’étude fouillée du BMJ.

En préambule, les chercheurs rappellent que les médias d’image sont aujourd’hui les principaux pourvoyeurs de culture pour les enfants, qui consomment, entre 2 et 5 ans, 32 heures de médias visuels par semaine. 4 heures et demi par jour, ça laisse rêveur !

La première question est de savoir ce qu’on appelle violence. Qu’est ce qui est choquant pour un enfant –qui n’est d’ailleurs pas le même à 3, à 7 ou à 10 ans ? La représentation dessinée est-elle aussi agressive que la « réalité » filmée ? Quelques chiffres font état d’une présence récurrente de la mort –naturelle ou violente- dans les films destinés aux petits, plus importante même que dans les films auxquels ils ont été comparés pour les besoins de l’étude[1. Les meilleurs dessins animés de chaque année de 1937 à 2013 ont été comparés aux deux meilleurs films du box-office américain des mêmes années. Les films d’action et d’aventure ont été exclus.]. C’est ce qui donne cette conclusion un peu définitive selon laquelle les films d’animation seraient plus violents.

Dans La psychanalyse des contes de fées paru en 1976, Bruno Bettelheim, psychologue et pédagogue américain, expliquait le rôle des contes, souvent assez trash, dans la construction de la personnalité de l’enfant. Un monde peuplé de sorcières (Blanche neige, La belle au bois dormant), d’anthropophages (Hansel et Gretel), de pauvreté (La petite marchande d’allumettes, Le Petit Poucet), de pervers sexuels (Barbe bleue et Peau d’âne) de belles-mères acariâtres, de jalousie (Cendrillon)… Tout pareil que dans la vraie vie quoi ! Son propos était de montrer comment les contes répondent aux angoisses psychologiques des enfants en les informant sur les épreuves qu’ils auront à traverser et les efforts à accomplir pour passer de l’immaturité à la maturité. Une sorte de parcours initiatique par le récit et l’image.

Or une des épreuves que la vie leur réserve, entre autres joyeusetés, est la confrontation à la mort ou au moins à l’absence, à l’origine de nombreux troubles chez l’enfant. La mort touche jusqu’à 5 fois plus souvent un proche du héros dans les dessins animés que dans les films adultes. Parfois, elle est simplement évoquée, car dans les œuvres littéraires ou cinématographiques destinées aux enfants, l’absence de parents crée une intensité dramatique intéressante et laisse plus de marges de manœuvre aux héros ( Les orphelins Baudelaire, Les enfants de Timpelbach, etc.) .

Mais si cette exposition répétée à la représentation de la mort peut heurter les enfants, elle leur permet également de se familiariser avec cette réalité qui leur est souvent cachée par ailleurs. En effet, l’étude soulève le paradoxe qui existe entre le fait de faire de la mort un tabou, au point de peiner à la nommer avec des mots précis et d’autre part de laisser les enfants regarder cette mort à l’écran. Protégeant d’un coté, exposant de l’autre…

Il est établi qu’avant 7 ans, les enfants peuvent être traumatisés par des événements qu’ils ont vu dans un film, même irréalistes ou impossibles, et développer par la suite des stratégies d’évitement.  Ainsi, le sort réservé à la mère de Némo par un barracuda pourra entraîner chez un tout petit : cauchemars, terreurs nocturnes et même appréhension de la mer. Cela indique également que le dessin animé, métaphorique même s’il est violent, permet aux enfants au-delà de 7 ans, qui ont la maturité cognitive pour les comprendre, d’appréhender certaines réalités avec moins d’angoisse que devant des images réalistes.

Les chercheurs concluent l’étude sur le constat que loin d’être une alternative aux films gores américains typiques, les dessins animés sont aussi  vecteur de violence et de meurtres et que les parents seraient bien avisés de les regarder avec leurs enfants pour deux raisons. Pour pouvoir répondre à une charge émotionnelle potentiellement dévastatrice, d’abord. Pour prendre prétexte de ces images afin d’ aborder avec l’enfant les thèmes difficiles pour lesquels il a besoin d’un guide.

Il y aurait beaucoup à dire sur le système de classification des films. Quelques décennies au compteur ne sont pas toujours une garantie pour supporter la violence de films interdits aux moins de 16 ans… Après, chacun peut bien considérer que les 25 dernières minutes de Skyfall sont moins violentes que Blanche neige… ça se discute !

En l’occurrence, la véritable brutalité n’est-elle pas de prendre les écrans pour des nounous et de laisser l’enfant –a fortiori le bébé- seul face à des images qui le submergent ?

 

http://www.bmj.com/content/349/

Nabilla, victime de l’arbitraire des juges?

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nabilla juges detention

nabilla juges detention

Nabilla est une de ces créatures dont la téléréalité fait de curieuses icônes. Les conditions de la mise en avant de ses vedettes improbables, sont toujours les mêmes. Un concours télévisé sans aucun intérêt, une participation du public à coups de SMS rémunérateurs pour la chaîne, des candidats de préférence stupides, à la plastique avantageuse et chirurgicale, et surtout une vulgarité de tous les instants. Comme des moucherons attirés par la lumière, des jeunes gens semi-illettrés se précipitent aux castings. Les « heureux élus » accèdent à une brève notoriété puis retournent à leur vacuité initiale pour alimenter la presse à scandale bas de gamme de leurs déboires. À base en général de dépression, d’alcool, voire pire. Le triste emblème en est la pauvre Loana, héroïne de la toute première de ces émissions il y a une dizaine d’années. Celle, toute de collagène et de botox, présentée comme « la nouvelle Brigitte Bardot » (!!!!), affiche aujourd’hui sous les ricanements son obésité, les récits de ses tentatives de suicide, et de ses cures de désintoxication.

Car la société du spectacle est sans pitié. Ces vedettes Kleenex non seulement seront jetées après usage sans aucun ménagement, mais emblèmes de ce que l’on n’aime pas dans l’époque, elles servent dès le début d’exutoire et de bouc émissaire. Nabilla bénéficiant d’une notoriété supplémentaire grâce au succès viral d’une des plus grotesques de ses répliques, le fameux « non mais allô quoi ». Primus inter pares, elle se mit à incarner à elle toute seule la stupidité marchande de la télé-poubelle.

Aussi, lorsqu’elle s’est trouvée impliquée dans un fait divers, il était prévisible qu’elle allait le sentir passer. Philippe Mathieu dans ces colonnes, disposant semble-t-il de quelques informations provenant du dossier, a dénoncé le sort judiciaire fait à la bimbo. Je ne suis pas loin de partager son avis sur le caractère abusif de la détention provisoire imposée et sur le fait que l’image médiatique de la justiciable a dû largement influer sur son sort. Concernant le déroulement des faits, je m’en rapporte à son compte-rendu manifestement informé.

Mais là où je ne le suis plus, c’est sur les raisons de la mesure prise. Sondant les reins et les coeurs, il a pointé le narcissisme du procureur comme moteur premier. Symétriquement, il a mis l’accent sur les conséquences psychologiques qu’il prévoyait  pour Nabilla.

Le théoricien théorise, l’historien historicise, il est normal que le psychologue psychologise. Surtout que maintenant le juriste va juridiciser…

Les magistrats vivent dans leur époque. Peu probable qu’ils soient amateurs de téléréalité. Le fait divers étant médiatisé, l’occasion était belle de rappeler que même les éphémères vedettes de ces spectacles navrants n’étaient pas au-dessus de la loi commune. Et au passage de se passer un peu les nerfs sur une des images de la bêtise ambiante.

Le problème est que justement les magistrats ont des opinions, des avis, des perceptions qui leur sont propres. Ils ont aussi des faiblesses. Et que c’est à raison qu’il ne faut pas leur faire confiance. D’où le recours à toutes ces règles qui ne sont que l’expression de la défiance vis-à-vis de la justice des hommes. Procédures rigoureuses, présomption d’innocence, charge de la preuve, collégialité de la décision, double degré de juridiction etc.… Alors, faire porter la responsabilité d’un embastillement inutile et contraire aux exigences du Code de Procédure Pénale au seul procureur en mal de reconnaissance narcissique, c’est se tromper de diagnostic. Ce n’est pas lui qui a décidé l’envoi en détention de Nabilla, même s’il l’a proposé. C’est d’ailleurs probablement plus grave. La mesure a été demandée par le juge d’instruction en charge du dossier, soutenu par le procureur est contestée par les avocats de la défense. C’est un quatrième personnage qui a rendu la décision : « le juge des libertés ». L’histoire de cette institution est  assez savoureuse. Le juge d’instruction, celui que Napoléon appelait « l’homme le plus puissant de France » disposait à l’origine de pouvoirs considérables qu’il a fallu 200 ans pour civiliser. Cet inquisiteur schizophrénique à qui l’on demande l’impossible, c’est-à-dire l’objectivité en instruisant à charge et à décharge.

En 1992, une majorité parlementaire de gauche avait décidé de retirer au juge instruction le pouvoir d’incarcérer. Une telle mesure devait être décidée par un juge extérieur après un débat contradictoire. La majorité de droite arrivée aux manettes en mars 93 ne trouva rien de mieux à faire qu’immédiatement abolir cette institution « laxiste ». Certains des parlementaires de la majorité firent rapidement et brutalement l’expérience des conséquences de cette suppression…

Un très large consensus permit son rétablissement après la victoire de la gauche en 1997. Malheureusement, et c’est un des problèmes du fonctionnement de la justice française, l’institution s’est peu à peu vidée de sa substance. La puissance du lobby de l’Association française des magistrats instructeurs, a permis d’obtenir plus que fréquemment l’approbation par le juge des libertés des mesures réclamées par les juges d’instruction. En général confirmées par les Chambres d’Instruction, appelées dans le langage courant les « Chambres de Confirmation »… Et c’est bien, ce qui constitue le problème dans cette affaire, comme dans d’autres. La détention provisoire est souvent, comme la garde à vue, utilisée comme moyen de pression voire de chantage. D’ailleurs la presse le reconnaît, comme par exemple dans l’affaire Bettencourt avec la détention de Philippe de Maistre. Les anciens se rappellent de la phrase prêtée à une magistrate médiatique reconvertie aujourd’hui en politique selon laquelle en matière financière, il fallait savoir « attendrir la viande ». Alors pensez, Nabilla et ses huit jours d’incapacité temporaire totale infligée à son compagnon.

Le problème aujourd’hui est moins l’éventuel narcissisme d’un procureur ou la subjectivité excessive d’un juge d’instruction, que l’indulgence dont ils bénéficient de la part de ceux qui sont chargés de les modérer ou de les contrôler. Une forme de corporatisme, de conformisme aussi ont nettement émoussé l’indispensable rigueur qui devrait présider au fonctionnement des procédures. Pouvoir lire sans démenti officiel dans un hebdomadaire que dans l’affaire Bettencourt, l’instruction qui aurait dû être annulée, ne l’avait pas été à la suite d’un marchandage avec les juges d’instruction en contrepartie d’une ordonnance de non-lieu à l’égard de Nicolas Sarkozy, est quand même quelque chose d’assez inquiétant. On s’en tiendra à ce seul exemple…

Alors, si Nabilla a fait la dure expérience pendant quelques semaines d’une détention inutile, elle ne le doit pas au narcissisme d’un procureur et à son aversion compréhensible pour ce qu’elle représentait. Ou en tout cas pas seulement. C’est d’abord et surtout par ce que les règles prévues pour éviter les abus de la subjectivité sont souvent vidées de leur substance. « Adversaire acharnée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté » nous disait Rudolf Von Jhering. Il serait bien que la Justice de notre pays, qui n’est pas la pire du monde, loin s’en faut, s’en inspire plus rigoureusement.

 *Photo :  PJB/SIPA. 00665336_000022.

Zemmour un jour, Zemmour toujours

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eric zemmour itele

eric zemmour itele

Ce que l’Histoire nous apprend, c’est que la démocratie athénienne, qui ne brillait pas toujours pour son intelligence, comme nombre de démocraties, ostracisa l’un après l’autre tous les grands citoyens qui l’avaient sauvée, en diverses circonstances. Elle nous apprend aussi que c’est néanmoins de Thémistocle, ostracisé en 471, que l’on se souvient. De Thémistocle, et non de Cimon qui le fit exiler ; et que l’on se rappelle Cimon,et non Ephialtès, qui l’avait fait bannir à son tour. « Car on n’abdique pas l’honneur d’être une cible ».
Mais qui, dans la classe politique, s’intéresse encore à l’Histoire ?
Pas les dirigeants-croupion d’iTélé, qui viennent d’ostraciser Eric Zemmour — si bien que l’on parle partout de l’auteur du Suicide français, et pas du tout de Cécilia Ragueneau (qui ça ?) ni de Cécile Pigalle (heu…).
Pour ceux qui auraient raté un épisode, résumé sur Causeur — erreurs de traduction comprises, puisque tout est parti d’une interview au Corriere della Serra que Mélenchon a interprétée à sa manière. Et analyse convaincante de Jérôme Béglé.

Je ne suis pas d’accord à 100% avec ce qu’écrit Zemmour. Ce n’est pas parce que c’est un ami que je vais jouer au béni-oui-oui. Mais même les horreurs, Eric les dit avec talent (bon, d’accord, de temps en temps, à force d’essayer de se faire haïr du plus grand nombre possible d’imbéciles, il se fait détester aussi par des gens décents, abusés par sa rhétorique), ce qui n’est pas à la portée du premier journaliste venu.

Il a le même palmarès académique que Najat Vallaud-Belkacem (Sciences-Po, et deux échecs à l’ENA), et douze mille fois plus de talent. Ce n’est pas lui qui éclaterait de rire au nez et à la barbe de 850.000 enseignants en s’exclamant : « On ne fait pas ce métier pour de l’argent ! » Je l’ai toujours vu défendre l’Ecole de la République, sans laquelle le petit Juif qui n’était pas « fils de » et traînait ses culottes courtes à Drançy ou à Château-Rouge ne serait pas ce qu’il est.
Alors, on me dira, il s’acharne sur les femmes — oui, mais c’est qu’il leur en veut fort, à toutes les viragos du féminisme tardif, de n’être pas à la hauteur des idoles qu’il a élevées en lui : il leur en veut au fond de trop les aimer — et pour les aimer, il les aime : il a même essayé de m’en souffler une, et à mon nez encore — qui est grand.
Domenach, son compère de toujours dans l’émission d’iTélé, déplore la mesure de la chaîne (plains-toi, Eric, te voici déchaîné…). Il pourrait ajouter qu’iTélé étant la succursale infos de Canal+, et Canal+ n’ayant rien à refuser au PS, tout cela fleure bon le règlement de comptes — qui fait long feu : jamais on n’a tant parlé d’Eric que depuis qu’il se retrouve interdit de débat.
Ne pleurons pas trop : il lui reste Paris-Première, Le Figaro, RTL, et j’en oublie sans doute. Depuis qu’on n’en veut plus, tout le monde le désire.
Le plus grotesque, c’est que cette mesure, qui fait la joie de tous ceux qui cherchent absolument à faire progresser le FN dans les sondages (ceux qui le font exprès, mais plus encore ceux qui ne le font pas exprès — SOS Racisme par exemple).
Parce que vouloir à toute force virer Zemmour (ou d’autres, comme votre serviteur) sous prétexte qu’il appuie le FN (ce qui est fondamentalement faux) ou qu’il exalte Pétain (vous imaginez un Juif pied-noir penser du bien du Maréchal-nous-voilà ?), c’est faire le jeu du FN et des nostalgiques de tous les Ordres nouveaux. Tout comme démanteler l’Ecole, sous prétexte de « progrès » pédagogique, c’est aussi faire le jeu des extrémistes. Le Collectif Racine a cette semaine adressé une lettre ouverte sans grand intérêt à Natacha Polony qui s’était fait attaquer au burin par le végétarien de chez Ruquier. Il aurait mieux fait d’écrire à Philippe Meirieu, ne serait-ce que pour le remercier : l’entreprise de démolition lancée après la loi Jospin en 1989, les IUFM triomphants, l’apprentissage du français dans les modes d’emploi des appareils ménagers, ça oui, ça a favorisé la montée des exaspérations périphériques ! Pas Zemmour, qui n’a jamais voté FN — ni EELV, figurez-vous : il n’est pas adepte des totalitarismes, et il y a un totalitarisme de la pensée bobo comme il y a — en puissance — un totalitarisme d’une extrême-droite qu’une Gauche hantée de libéralisme et d’euro-béatitude a fini de décomplexer.

À noter que Domenach déplore l’exil forcé de son ami et adversaire de toujours. Et Cohn-Bendit, qui a plus de ruse politique dans son petit doigt que Meirieu dans toute sa personne, défend Zemmour. Il se rappelle sans doute qu’expulsé par la porte en 1968 il était rentré par la fenêtre. Aucun régime ne gagne à flinguer les trublions, qui font leurs choux gras de toutes les intimidations qu’on leur oppose. Nous sommes tous des Juifs allemands et accessoirement pieds-noirs.

Allez, Eric, ne t’en fais pas. On te hait cette fois bien plus que tu ne l’as rêvé dans tes espoirs les plus fous. Attends deux ans : tu auras toute latitude — et tu ne t’en priveras pas — pour attaquer les nouveaux maîtres de la pensée unique. Parce qu’après le déluge de niaiseries contentes d’elles-mêmes que sont les discours de Gôche actuels, il y aura des déluges d’idées reçues made in Café du Commerce. Les polémistes ont encore de beaux jours devant eux. On peut bien tenter de les faire taire, mais on aura toujours besoin d’eux, tant la Bêtise, elle, persiste.

 *Photo  : Hannah.

Nos idées cadeaux

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neil young noel

neil young noel

Objets

La cloche pour assouvir certaines pulsions... Parce qu’à lire les commentaires de nos lecteurs, on se dit que certains en ont bien besoin !

Rachel Binhas

DVD

Le Sauvage, de Jean-Paul Rappeneau : Catherine Deneuve en épouse volage, Yves Montand en ermite retiré des voitures. Glissez une histoire de vol de tableau, des pantalons à pattes d’éléphant so seventies, un mariage arrangé par les besoins de l’industrie du luxe qui tourne vinaigre, et une bonne tranche de légèreté, au meilleur sens du terme. Montand préférant la liberté en prison à la cage dorée qu’on lui propose millions de dollars à l’appui, c’est une des plus belles odes à la liberté que le cinéma français ait jamais montré, sans tambours ni trompettes. Dire merde à la société, quel pied !

Daoud Boughezala

Un coupable idéal des réalisateurs Denis Poncet et Jean-Xavier de Lestrade, le documentaire leur ayant permis de rafler l’Oscar. « De l’enquête jusqu’au procès, le documentaire réalisé par Jean-Xavier de Lestrade et produit par Denis Poncet apparaît comme un véritable thriller à suspense. Filmé avec une grande sobriété, Un coupable idéal prend le spectateur à la gorge. Avec minutie, pièce par pièce, Patrick McGuinness met à jour toutes les incohérences d’une enquête expéditive et avec elles les défaillances d’un système judiciaire.»

Je n’ai pas d’idée originale, je pense à l’intégrale Truffaut en DVD, puisque c’est l’anniversaire de sa mort.

Charlotte Liebert-Hellman

Rachel Binhas

Disques

Un album de reprises  (Dylan, Phil Ochs, Johnny Cash, Willie Nelson) du Loner en import vinyle où tous les morceaux ont été enregistrés en une seule prise ! Si vous n’aimez pas Neil Young, tant pis pour vous. Si vous êtes fans, courez-y. Comme quoi, c’est parfois simple, la vie

Marc Cohen

Livres

Tout Italo Svevo (de son vrai nom Ettore Schmitz), essentiellement La conscience de Zeno, Une vie et Senilita. Je ne sais pas si vous rechignez autant que moi à acheter de gros bouquins, auquel cas vous éviterez le volume romanesque publié chez Gallimard en Quarto, mais en gros ou au détail, il faut lire Svevo. Tous ses romans, à commencer par la célèbre Conscience de Zeno, mettent en scène des hommes veules, lâches et petits – bref, des hommes – face à la volupté féminine. Les jeux de l’amour laissent malheureusement peu de place au hasard, aussi ces histoires finissent mal en général. Elles n’en sont pas moins réjouissantes tant les tiraillements des uns et des autres, leur monologue intérieur et l’autodérision qui ne quitte jamais Svevo prouvent que la condition masculine n’a guère progressé depuis…

Daoud Boughezala

*Photo : wikimedia.


Suicides, modes d’emploi

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baverez zemmour crise

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« La France se meurt, la France est morte » : le message délivré par Éric Zemmour dans Le Suicide français scandalise les non-pensants de la sphère politique et médiatique. Le livre est contestable, comme tous les autres, mais remarquable par son souci de reconstitution méthodique de la trajectoire nationale depuis quarante ans.

Je me propose d’ajouter un addendum à ce travail de Romain en soulignant que le suicide français s’est nourri de deux discours contradictoires : celui de la France qui tombe et celui de la France invulnérable. Superposés, ces deux discours ont désarmé la critique objective des problèmes qui nous assaillent et facilité les décisions à contresens dont nous sommes aujourd’hui prisonniers.

La France qui tombe

Paru en 2003, l’opuscule de Nicolas Baverez[1. Éditions Tempus.] offre, dans le style à la fois véhément et professoral de son auteur, un chapelet de perles représentatif de la vision néolibérale triomphante, quelques années avant les deux grandes crises, américaine et européenne, qui ont ébranlé l’Occident.

Au moment même où se constitue pour de bon la bulle immobilière américaine, favorisée par une politique monétaire irresponsable de la Banque centrale et l’effet de levier de l’endettement des ménages, Baverez croit pouvoir faire ce constat : « Les États-Unis s’affirment comme le réassureur ultime de l’économie mondiale et le régulateur du capitalisme. »

Quelques années plus tard, la grande crise financière américaine de 2008, qui se propagera à l’Europe, montrera que « le réassureur ultime de l’économie mondiale » dopait sa croissance à coups de prêts au logement et à la consommation, et que « le régulateur du capitalisme mondial » dopait ses actifs financiers et immobiliers à coups de « subprime rates » et de produits dérivés issus du crédit hypothécaire[2. Tels que les Collateralized Debt Obligations et les Credit Default Swaps.]. Les propos de Baverez expriment une sorte d’aveuglement militant en faveur de la superpuissance américaine[3. Qui se manifeste aussi sur le terrain diplomatique et militaire : lors de son opposition à la guerre en Irak, « Jacques Chirac s’est coulé au mot près dans le discours de Daladier et de Chamberlain lors des accords de Munich », et avec « le succès militaire éclatant [en Irak] qui démontre la supériorité technologique absolue acquise par l’armée américaine ».] qui rappelle le zèle des « compagnons de route ».[access capability= »lire_inedits »]

Baverez ouvre le procès de l’impéritie des politiques français de droite et de gauche à partir du second septennat de François Mitterrand. Il égrène les statistiques défavorables (taux d’emploi de la population, déficit public et dette publique, contraction industrielle) mais passe sous silence le fait, déterminant, que le commerce extérieur est encore équilibré en 2003 – ce sera la dernière année –, alors que nous devons importer la totalité des matières premières et de l’énergie nécessaires au bon fonctionnement de la machine économique. En 2003, la France ne tombe pas, pas encore du moins.

Baverez dénonce le social-corporatisme de l’État qui protège les rentes de situation du secteur public – sur ce point, il n’a que trop raison – et l’excès des charges fiscales et sociales pesant sur les entreprises. Or, autant les charges sociales, contrepartie de dépenses dont Baverez ne dit pas d’ailleurs comment les réduire, écrasent les employeurs, autant la charge fiscale n’a cessé de baisser : de 52 % en 1974, l’impôt sur les sociétés est tombé à 33 %. Et ce taux est purement théorique : l’impôt réel représente 8 % du bénéfice pour les entreprises du CAC 40, 14 % pour les entreprises cotées et 26 % pour les entreprises non cotées. On évoque rarement, dans les racines de la dette, ces milliards d’euros qui ne sont pas entrés dans les caisses de l’État.

Nicolas Baverez se trompait sur la nature du mal. Pas sur l’issue. Dix ans après lui, on peut vraiment dire que la France tombe. À l’appui de ce diagnostic, je citerai deux données : premièrement, notre dette publique, égale au PIB, n’est plus remboursable ; deuxièmement, le déficit persistant de nos comptes courants (notamment imputable au déficit commercial et au solde négatif des investissements directs).

En un mot, nous sommes en situation d’urgence. Précisément le type de situation auquel l’hôte de l’Élysée est imperméable. Face aux menaces qui se multiplient, il semble avoir intégré le dogme de « la France invulnérable ». Cette croyance implicite, propre aux socialistes et à la gauche française, a nourri l’immobilisme du deuxième mandat de François Mitterrand et encouragé son action pour l’union monétaire qui nous a privés d’un instrument essentiel de politique économique ; elle a permis le contresens historique de l’adoption des 35 heures et justifié l’impuissance de Chirac, homme de gauche s’il en fût sous la Cinquième, après sa réélection en 2002. Et elle inspire aujourd’hui la politique du chien crevé au fil de l’eau qui est celle de Hollande et de ses équipiers depuis 2012.

Le personnage le plus représentatif de cette pensée est Pascal Lamy, encore encarté au Parti socialiste, et, jusqu’il y a peu encore, directeur général de l’OMC avec la bénédiction de Washington et de Pékin. Il s’appuie sur un axiome de son cru : la France est une puissance « technologique », qui dispose d’un avantage comparatif sur les pays émergents. En conséquence, laissons les produits à faible valeur ajoutée et à faible marge bénéficiaire aux pays de l’ancien tiers-monde et concentrons-nous sur les merveilles que nos ingénieurs et informaticiens savent concevoir. Fort de ces certitudes, ce socialiste des beaux quartiers n’hésitait pas à encourager les ouvrières du textile des Vosges à abandonner leur travail au profit des Chinoises pour mieux admirer l’ascension d’Airbus. Seulement, aujourd’hui, les ouvrières chinoises subissent la concurrence des Vietnamiennes et des Cambodgiennes, et deux programmes aéronautiques en cours de développement en Chine feront bientôt concurrence à Airbus.

Peu importe, puisqu’il ne peut rien nous arriver : deux années et demie après installation du personnage à l’Élysée, François Hollande interdit que l’on procède à un diagnostic en profondeur de la crise européenne et à une révision d’ensemble de nos politiques publiques. Mais il persiste à mener une réforme territoriale qui n’a ni queue ni tête.

Divine surprise, en cet automne 2014, deux prix Nobel français, le vrai, de littérature, et le faux, d’économie[4. Le prix Nobel d’économie est un prix de la banque centrale de Suède attribué à la mémoire d’Alfred Nobel qui a couronné Merton et Scholes, responsables de la faillite du fonds LTCM en 1998, et Pissarides, qui pilotait l’économie chypriote jusqu’à sa faillite, en 2012.], ont permis de réactiver « la France invulnérable ». Certes, l’auteur de la Rue des boutiques obscures est étranger à l’univers high-tech cher à Fleur Pellerin, et notre dernier Prix Nobel d’économie, trop absorbé par ses équations économétriques, a oublié de nous prévenir de l’arrivée des deux grandes crises de 2008 et 2010. Heureusement, nous apprenons dans la foulée que la France dispose de très brillants chefs d’entreprise –lesquels ? –, que ses meilleurs cerveaux sont derrière toutes les grandes réussites entrepreneuriales américaines – mais comment les relocaliser sur notre territoire ? –, en somme, que notre principal problème, c’est le « French bashing », exercice dans lequel Baverez a longtemps excellé. Mais voilà que Baverez, touché par la grâce, nous dit que le pire n’est pas sûr.

L’ennui, c’est que les chiffres du troisième trimestre viennent de tomber et qu’ils ont de quoi doucher cette douce euphorie. Croissance zéro, si l’on déduit l’excédent des stocks, septième trimestre consécutif de baisse de l’investissement, nouvelle détérioration du solde commercial, suppression de 34 000 emplois dans le privé, inflation zéro quand on déduit la hausse des prix fixés par l’État.

Comment expliquer cette dénégation collective face à des faits aussi têtus ? La réponse est simple : la classe dirigeante a peur. Peur d’une faillite française qui entraînerait avec elle celle de l’Europe du Sud et du projet européen déjà en crise ouverte. Peur du désaveu que l’Histoire pourrait lui infliger. Affolée, elle ne sait plus quoi faire sinon remonter le moral des troupes, comme un stratège en difficulté : nous vaincrons, car nous sommes les meilleurs ! Mais les bonnes paroles ne changeront rien. Et il y a d’excellentes raisons d’avoir peur.[/access]

*Photo : RAMPAZZO ALESSANDRO/SIPA. 00687661_000013.

L’esprit de l’escalier en vidéo : le discours de François Hollande sur l’immigration, Eric Zemmour

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Chaque semaine, Causeur rediffuse L’esprit de l’escalier en vidéo. Lors de l’émission diffusée le 21 décembre 2014 sur RCJ, Alain Finkielkraut et Elisabeth Lévy sont revenus sur le discours que François Hollande a prononcé à l’occasion de l’inauguration du musée de l’immigration. En fin de séquence, ils s’indignent également de l’éviction d’Eric Zemmour de l’antenne d’iTélé, une décision qui bafoue les règles du débat démocratique.

Zemmour évincé par ses confrères

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zemmour ca se dispute itele

zemmour ca se dispute itele

Une émission disparaît et toute une chaîne est dépeuplée. Comme s’en insurge Elisabeth Lévy dans le texte de la pétition lancée par Causeur, iTélé a décidé de mettre fin à l’émission-phare de sa grille, « Ça se dispute ». Diffusée chaque vendredi soir, puis multi-rediffusée pendant toute la journée du samedi, l’émission réunissant Eric Zemmour et Nicolas Domenach, sous l’arbitrage de Pascal Praud, permettait à la chaîne info du groupe Canal+ de devancer BFMTV pendant quelques minutes par semaine. iTélé sans « Ça se dispute », c’est un peu comme si Citroën avait arrêté les chaînes de montage de la DS en 1962. C’est un Tour de France zappant à la fois l’Alpe d’Huez et les Champs-Elysées. C’est une blanquette de veau sans veau ! La direction de la chaîne en était à ce point consciente qu’elle avait fêté en grande pompe, la saison dernière, l’anniversaire de l’émission, alors que c’était encore Léa Salamé qui arbitrait la dispute. Une rediff’ des grands moments, avec interviews de tous les anciens animateurs, dont Victor Robert, Laurent Bazin et Maya Lauqué. C’est dire si elle en était fière, de son émission, iTélé. Vous pensez ! Complètement dominée par BFMTV, elle ne lésinait pas sur la promotion de son programme historique « Ça se dispute »  flanqué de ses deux stars, Domenach et Zemmour.

En moins d’une semaine, l’émission-star est passée à la trappe. Pour la première fois, une chaîne supprime l’émission la plus performante de sa grille, créant une discipline inédite mais périlleuse : le saut à l’élastique… sans élastique. Un suicide français, pourrait-on ironiser. La faute à Eric Zemmour, diront certains. La preuve du totalitarisme du pouvoir socialiste, rétorqueront les autres. Ni l’un ni l’autre. La fin de « Ça se dispute », c’est la victoire du conformisme, la peur de la dispute, même civilisée. Et elle l’était, civilisée, la dispute hebdomadaire entre Domenach et Zemmour. Le premier cité, vendredi soir, twittait, en victime collatérale de la décision de la direction : « Avec Zemmour on s’est débattus. On s’est affrontés. On s’est aimés, on s’est exaspérés, mais toujours respectés. Un temps d’échanges. Quelle tristesse! ». Mais Zemmour était dans l’œil du cyclone. Depuis que Jean-Luc Mélenchon avait déterré en le déformant un entretien du polémiste avec un quotidien italien, la polémique enflait et la pression était forte sur les médias qui l’employaient. Cette pression était d’abord orchestrée par SOS Racisme et la LICRA, adversaires habituels de Zemmour, sur les champs médiatiques et judiciaires. Depuis quelques années, les deux camps ne se ménagent pas et ont engagé une lutte à mort. D’un, côté les assoces traquent tout « dérapage » du polémiste vedette et lui signifient la direction de la XVIIe chambre aussitôt que leurs avocats leur donnent le feu vert. Elles ont même réussi à le faire condamner une fois. De l’autre, Zemmour, qui consacre bon nombre d’éditoriaux à leur sujet, réclamant qu’on leur sucre toute subvention, y compris devant une assemblée de l’UMP. Pourtant – et le journaliste italien qui l’avait interviewé l’a humblement reconnu dans le Figaro Vox – Eric Zemmour n’a jamais prononcé le mot qui lui était reproché, puisqu’il s’agissait juste d’une reformulation a posteriori. Pas grave. Il devait être châtié pour l’ensemble de son œuvre. Ceux qui voient la main du pouvoir socialiste derrière cette déprogrammation s’appuient sur les déclarations de Bruno Le Roux appelant les médias « à ne plus abriter » les propos de Zemmour. Ou celles du ministre de l’Intérieur invitant nos compatriotes à manifester, ce qui est cocasse pour un hôte de Beauvau, responsable du maintien de l’ordre. Mais ils se trompent. Franchement, dans ce pays, qui a peur de Bruno Le Roux ? Même pas Pascal Cherki et quelques autres frondeurs. C’est dire. Dans cette histoire, comme sur beaucoup d’autres, les politiques sont à la remorque.

Non, ce qui a fait pencher la balance c’est la pression, notamment via les réseaux sociaux, mise par les assoces mais aussi et surtout d’autres journalistes. C’est la société des journalistes d’iTélé qui a eu la peau de l’émission. Parce que ses membres partagent pour une bonne part la même opinion que Dominique Sopo ou Alain Jakubowicz en matière de brevet de « fréquentabilité ». Ces journalistes savaient que l’émission marchait du tonnerre mais ils voulaient encore pouvoir aller dîner en ville sans devoir baisser la tête quand on leur poserait la question suivante : « Mais, vous, qu’avez-vous fait pour faire reculer le Front national et Eric Zemmour ? ». Rien à fiche de Bruno Le Roux. Juste du conformisme qui aurait sans doute été vaincu sans la décision du CSA de ne pas autoriser l’entrée dans la danse de LCI. Eh oui, sans concurrent supplémentaire, iTélé craint moins les mauvaises audiences !

D’un certain point de vue, le CSA qui avouait son impuissance alors qu’une flopée de pipoles réclamait qu’il mette Zemmour hors d’état de nuire, a tout de même joué un rôle involontaire dans cette histoire, consternante à bien des aspects. Les premiers à avoir annoncé de manière assez triomphale la fin de l’émission furent d’ailleurs des journalistes d’iTélé, Jean-Jérôme Bertolus et Florent Peiffer. Céline Pigalle directrice de la rédaction, justifia ensuite la décision au Monde, utilisant seulement le prénom de Zemmour pour parler de lui, comme si elle était encore plus ou moins liée au polémiste et que tout cela se faisait à son corps défendant.

« Ça se dispute » était une idée de journalistes. Ils avaient lu les derniers livres de Zemmour (L’homme qui ne s’aimait pas) et de Christophe Barbier (Les derniers jours de François Mitterrand) auquel succéda Nicolas Domenach. Ils avaient détecté que ces deux-là s’opposaient sur à peu près tout. D’où la dispute et la référence à « Ça se discute » émission vedette de Jean-Luc Delarue, à la même époque. Ce dimanche, le pilier des créateurs de l’émission, Victor Robert, nous confiait sur Twitter, sans doute avec beaucoup de tristesse, ce qu’était pour lui « Ça se dispute » : « Un débat créé par des journalistes sans pouvoir imaginer qu’il serait supprimé à la demande de journalistes ».

On en est là.

Les Très riches heures de la Télévision

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ormesson dumas monsoreau

ormesson dumas monsoreau

À Noël, la programmation des chaînes atteindra des sommets d’ennui. Des pics de grande solitude comme chaque fin d’année. Emissions poussives, artistes en perpétuelle promotion, animateurs en panne d’idées, d’audace, de talent tout simplement. Le petit écran nous fait l’effet d’un frigo en période de crise, il y a bien de la lumière à l’intérieur mais il reste désespérément vide. La télévision n’a pas toujours été cette glace sans tain. Transparente de notre côté, voyeuriste du sien. Il fut une époque où le mot « création » avait un sens dans cette lucarne éclairée. Les responsables de l’audiovisuel d’alors ne reculaient pas devant le romanesque. Ils prêtaient même un soupçon d’intelligence à leur public. La fresque historique déroulait sa folle dramaturgie (intrigues, complots et amours contrariés) après le dîner, devant la famille réunie au complet. Les gosses ne s’endormaient pas la tête farcie de pipoleries mais le cœur empli de chevalerie. Ces décideurs d’un autre temps n’avaient pas peur de plonger (en prime time) les foyers français dans les guerres de religion, la déliquescence de l’aristocratie ou les affres d’une jeune fille. Au mitan des années 80, ils ont été remplacés par des comptables qui faisaient des rêves de ménagères, le caddie rempli d’écrans pubs. À la trappe les sagas de notre littérature !

Un conseil, durant les fêtes, laissez refroidir votre poste et préférez (re)voir quelques trésors de notre patrimoine télévisuel. En décembre 1971, souvenez-vous, La Dame de Monsoreau d’après l’œuvre d’Alexandre Dumas faisait son apparition dans nos salons. Une version restaurée vient juste de ressortir en DVD, un cadeau idéal sous le sapin de 2014. Sept épisodes, soit près de 6 h 30 d’aventures, de coups bas et de luttes d’influence entre le clan d’Henri III (Denis Manuel) et de son frère, le Duc d’Anjou (Gérard Berner) sous l’œil impitoyable de Catherine de Médicis. Vous avouerez que ces passes d’armes du XVIème siècle ont quand même une autre allure, une autre ampleur que la petitesse de nos combats politiciens actuels. Michel Creton y était phénoménal dans le rôle de Chicot, bouffon irrévérencieux, magistral tacticien de la cour, narguant ouvertement les « mignons » et manœuvrant dans l’ombre, à la survie de son roi. Plaisir des mots, d’une langue aussi tranchante que l’épée, dans une série télé inoubliable. Et puis, comment résister à cette idylle impossible entre Diane de Méridor (Karin Petersen), épouse du Comte de Monsoreau et Bussy d’Amboise (Nicolas Silberg), un couple d’acteurs tout en finesse et retenue. La distribution se déguste à chaque instant, quel bonheur de retrouver François Maistre incarnant le redoutable Comte avant de devenir l’emblématique Commissaire Faivre des Brigades du Tigre ou encore Marco Perrin (disparu en février de cette année) dans l’habit d’Henri de Navarre avant qu’il n’endosse le costume du VRP fanfaron dans les gauloiseries de Joël Séria. Six ans plus tard, en 1977, les français partageront durant 9 heures d’antenne les joies et chagrins du Duc Sosthène de Plessis-Vaudreuil interprété par Jacques Dumesnil.

En adaptant Au Plaisir de Dieu, le roman de Jean d’Ormesson paru en 1974, TF1 réussit à passionner des millions de téléspectateurs qui découvrent que la vie de château n’est pas de tout repos. De 1906 à 1968, notre histoire défile sous le regard croisé du patriarche et de sa nombreuse progéniture. Chute irrémédiable de la noblesse, montée de la bourgeoisie, transformations sociales, techniques, révolutions sexuelles s’enchaînent au cours de ce turbulent XXème siècle. Au fil des saisons, les passions contradictoires de notre pays prennent racine dans le parc de Saint Fargeau (lieu principal du tournage). Ce miracle de télé doit être absolument revu et savouré comme un puissant élixir de nostalgie. Et quand la télé ne s’emparait pas de l’Histoire de France, elle racontait les immuables relations parents/enfants. Fin 1982, L’Esprit de famille adapté du best-seller de Janine Boissard s’installe pour 7 épisodes à l’antenne. On y rencontre le docteur Moreau (Maurice Biraud) qui élève avec son épouse, quatre filles aux caractères électriques : la princesse, la cavalière, la poison et l’écrivain en herbe, Pauline, émouvante Véronique Delbourg, découverte dans A nous les petites anglaises. Avec beaucoup d’acuité, sans mièvrerie, cette série à succès évoque l’entrée tumultueuse d’une fille dans l’âge adulte. Ses complexes ont une portée aussi universelle que le déclin de Sosthène ou la pureté de Diane.

La Dame de Monsoreau – Adaptation et dialogues Claude Brulé – Réalisation Yannick Andréi – Version restaurée – Koba Films.

Au Plaisir de Dieu – réalisé par Robert Mazoyer – Collection Mémoire de la télévision – Koba Films.

L’Esprit de famille – réalisé par Roland Bernard – Collection Mémoire de la télévision – Koba Films.

Lectures noires pour les fêtes, 1

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simenon thompson baronian

simenon thompson baronian

Déjà, en son temps, Baudelaire expliquait bien dans Le spleen de Paris, l’horreur festiviste des fins d’année : « C’était l’explosion du nouvel an : chaos de boue et de neige, traversé de mille carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités et de désespoirs, délire officiel d’une grande ville fait pour troubler le cerveau du solitaire le plus fort. »

Il y a pourtant un moyen simple d’échapper à tout ça. S’enfermer avec quelques polars qui ont  le mérite de ne pas briller par leurs bons sentiments et qui, on le sait depuis Gide, ne font pas la bonne littérature.

Simenon nouvelliste 

Il y a vingt-cinq ans, Georges Simenon disparaissait. Les Presses de la Cité, son éditeur historique avec Gallimard et Fayard, rééditent pour l’occasion en deux volumes,  toutes les nouvelles policières de Simenon sauf celle ayant Maigret pour personnage, avec une substantielle préface de Jean-Baptiste Baronian, le spécialiste le plus avisé de l’oeuvre. L’ensemble va de 1929 à 1953 et permet de (re)découvrir d’autres personnages récurrents simenoniens. On retrouvera ainsi les quatorze nouvelles des Dossiers de l’Agence 0 avec Torrence à sa tête dont Simenon nous apprend qu’il est un ancien de la PJ et le collaborateur préféré d’un certain Maigret. Mais il faudra compter aussi avec l’humanisme souriant des enquêtes du Petit docteur ou celles de G7 dans les Treize énigmes qui sont parues entre 29 et 32 dans Détective, journal à gros tirage qui savait réunir des signatures prestigieuses comme Carco, Cocteau et Morand et qui lança vraiment Simenon. Si Maigret vous manque, cependant, vous pouvez trouver  chez le même éditeur en un fort volume six enquêtes de Maigret dont la très hitchcockiennes Menaces de Mort, le tout superbement illustrée par Loustal qui s’impose de plus en plus comme le dessinateur le plus à même de rendre compte d’une manière à la fois distanciée, poétique et précise ce qui fait la magie Simenon. Pour les mordus, on conseillera vivement de se procurer le numéro 28 des Cahiers Simenon, consacré sous le titre « Vous avez dit luxurieux ? » à l’érotisme bien particulier dans l’œuvre de l’écrivain francophone le plus traduit au monde

Nouvelles secrètes et policières  de Simenon (Omnibus)

Six enquêtes de Maigret, de Simenon et illustrées par Loustal (Omnibus)

Cahiers Simenon N°28 (Les Amis de Georges Simenon , Bruxelles)

Les durs à cuire

La génération qui a succédé, aux USA, aux pères fondateurs que furent Chandler et Hammett (dont on peut lire en version bilingue Le sac de Couffignal qui vient de paraître chez Folio) compte quelques grands noms de la littérature américaine et parmi eux James Cain et Jim Thompson. James Cain, vous savez, c’est l’auteur du Facteur sonne toujours deux fois. Autant dire un gars qui s’y connaît en matière de femme fatale troussée dans la moiteur d’une cuisine de station-service californienne. Le génie de Cain, il a été célébré très tôt, dès les années 30 et par quelqu’un dont on n’associe pourtant pas du tout le nom à cette littérature, en l’occurrence Irène Némirovsky. Préfaçant la première édition française du Facteur sonne toujours deux fois, elle définissait sans même le savoir ce qui fonde l’esthétique du roman noir : « Comme toujours,  lorsque la manière d’écrire est parfaitement adaptée au sujet et aux personnages mis en scène, de cet accord, de cette mystérieuse harmonie, naît une sorte de poésie : la poésie des meilleurs films américains. »   Quant à Albert Camus, il a reconnu explicitement l’influence de  Cain sur  L’étranger…

C’est pour cela que nous ne bouderons pas notre plaisir avec Bloody Cocktail, un roman inédit en France de James Cain qui vient de paraître à l’Archipel. Bloody Cocktail a été retrouvé il y a une dizaine d’années à peine dans les archives de l’auteur et il a été écrit et réécrit dans les dernières années de la vie de Cain qui  meurt en 1977. On y retrouve ses thèmes classiques comme pour un ultime feu d’artifice avant sa disparition : une mythologie où le goût pour le fric, l’appétit de sexe et la propension à la violence renvoie à un tableau inversé de l’Amérique heureuse de l’époque Eisenhower. On signalera en plus, que dans ce Bloody Cocktail, c’est la femme fatale qui est la narratrice ce qui change radicalement la perspective.

On pourra compléter ce retour vers l’âge d’or du roman noir par la réédition très  réussie d’un roman de Jim Thompson,  A Hell of a woman, (Une femme d’enfer) à la façon des pulps. Les pulps étaient ces magazines bon marché consacrés à la littérature de genre dès les années 20 et qui tiraient à des millions d’exemplaires. On retrouve dans ce bel objet, tous les quatre ou cinq chapitres, une couverture de genre pulp due à Thomas Ott qui, dans un style très crumbien, parsème également d’illustrations ce roman racontant comme souvent chez Thompson, à la première personne, la descente aux enfers d’un psychopathe terrifiant .

Le sac de Couffignal de Dashiell Hammet (Folio bilingue)

Bloody Cocktail de James M. Cain (L’Archipel)

A hell of a woman de Jim Thompson, illustré par Thomas Ott

Le charme discret de la novella

L’édition anglo-saxonne, qui est pragmatique distingue la nouvelle (short story), le roman (novel) mais aussi un format intermédiaire, la novella. Et c’est une bonne idée de la part des éditions Ombres noires de nous en faire découvrir de récentes  comme ce Prière d’achever de John Connolly. Un homme ordinaire, ancien employé municipal, Berger, qui peut vivre de ses rentes dans un petit village anglais à la mort de sa mère n’a qu’une seule passion, les livres. Un soir, il croit assister au suicide d’une femme qui se jette sous un train. Mais la police ne retrouve pas de corps.  Berger passe plus ou moins pour un dingue jusqu’au moment où il s’aperçoit en relisant Anna Karénine que le suicide qu’il a cru voir a exactement obéi au scénario du roman. À la limite du fantastique, Prière d’achever est aussi une ode paradoxale à ce vice impuni et dangereux, la lecture.

Prière d’achever de John Connolly (Ombres noires)

Violence animée : les enfants exposés dès le plus jeune âge?

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blanche neige violence

blanche neige violence

Alors que Noël, comme chaque année, apporte son lot de films certifiés jeune public, une étude publiée en début de semaine par le British Medical Journal fait grand bruit sur le sujet.

Les dessins animés seraient plus violents que les films pour adultes ? Sale coup pour ceux qui croyaient naïvement qu’en laissant les minots devant un dessin animé, au moins, on ne risquait pas de les exposer à des images trop dures… Pourtant cette formulation, reprise dans de nombreux médias, est un peu succincte compte tenu des paradoxes et nuances que met en lumière l’étude fouillée du BMJ.

En préambule, les chercheurs rappellent que les médias d’image sont aujourd’hui les principaux pourvoyeurs de culture pour les enfants, qui consomment, entre 2 et 5 ans, 32 heures de médias visuels par semaine. 4 heures et demi par jour, ça laisse rêveur !

La première question est de savoir ce qu’on appelle violence. Qu’est ce qui est choquant pour un enfant –qui n’est d’ailleurs pas le même à 3, à 7 ou à 10 ans ? La représentation dessinée est-elle aussi agressive que la « réalité » filmée ? Quelques chiffres font état d’une présence récurrente de la mort –naturelle ou violente- dans les films destinés aux petits, plus importante même que dans les films auxquels ils ont été comparés pour les besoins de l’étude[1. Les meilleurs dessins animés de chaque année de 1937 à 2013 ont été comparés aux deux meilleurs films du box-office américain des mêmes années. Les films d’action et d’aventure ont été exclus.]. C’est ce qui donne cette conclusion un peu définitive selon laquelle les films d’animation seraient plus violents.

Dans La psychanalyse des contes de fées paru en 1976, Bruno Bettelheim, psychologue et pédagogue américain, expliquait le rôle des contes, souvent assez trash, dans la construction de la personnalité de l’enfant. Un monde peuplé de sorcières (Blanche neige, La belle au bois dormant), d’anthropophages (Hansel et Gretel), de pauvreté (La petite marchande d’allumettes, Le Petit Poucet), de pervers sexuels (Barbe bleue et Peau d’âne) de belles-mères acariâtres, de jalousie (Cendrillon)… Tout pareil que dans la vraie vie quoi ! Son propos était de montrer comment les contes répondent aux angoisses psychologiques des enfants en les informant sur les épreuves qu’ils auront à traverser et les efforts à accomplir pour passer de l’immaturité à la maturité. Une sorte de parcours initiatique par le récit et l’image.

Or une des épreuves que la vie leur réserve, entre autres joyeusetés, est la confrontation à la mort ou au moins à l’absence, à l’origine de nombreux troubles chez l’enfant. La mort touche jusqu’à 5 fois plus souvent un proche du héros dans les dessins animés que dans les films adultes. Parfois, elle est simplement évoquée, car dans les œuvres littéraires ou cinématographiques destinées aux enfants, l’absence de parents crée une intensité dramatique intéressante et laisse plus de marges de manœuvre aux héros ( Les orphelins Baudelaire, Les enfants de Timpelbach, etc.) .

Mais si cette exposition répétée à la représentation de la mort peut heurter les enfants, elle leur permet également de se familiariser avec cette réalité qui leur est souvent cachée par ailleurs. En effet, l’étude soulève le paradoxe qui existe entre le fait de faire de la mort un tabou, au point de peiner à la nommer avec des mots précis et d’autre part de laisser les enfants regarder cette mort à l’écran. Protégeant d’un coté, exposant de l’autre…

Il est établi qu’avant 7 ans, les enfants peuvent être traumatisés par des événements qu’ils ont vu dans un film, même irréalistes ou impossibles, et développer par la suite des stratégies d’évitement.  Ainsi, le sort réservé à la mère de Némo par un barracuda pourra entraîner chez un tout petit : cauchemars, terreurs nocturnes et même appréhension de la mer. Cela indique également que le dessin animé, métaphorique même s’il est violent, permet aux enfants au-delà de 7 ans, qui ont la maturité cognitive pour les comprendre, d’appréhender certaines réalités avec moins d’angoisse que devant des images réalistes.

Les chercheurs concluent l’étude sur le constat que loin d’être une alternative aux films gores américains typiques, les dessins animés sont aussi  vecteur de violence et de meurtres et que les parents seraient bien avisés de les regarder avec leurs enfants pour deux raisons. Pour pouvoir répondre à une charge émotionnelle potentiellement dévastatrice, d’abord. Pour prendre prétexte de ces images afin d’ aborder avec l’enfant les thèmes difficiles pour lesquels il a besoin d’un guide.

Il y aurait beaucoup à dire sur le système de classification des films. Quelques décennies au compteur ne sont pas toujours une garantie pour supporter la violence de films interdits aux moins de 16 ans… Après, chacun peut bien considérer que les 25 dernières minutes de Skyfall sont moins violentes que Blanche neige… ça se discute !

En l’occurrence, la véritable brutalité n’est-elle pas de prendre les écrans pour des nounous et de laisser l’enfant –a fortiori le bébé- seul face à des images qui le submergent ?

 

http://www.bmj.com/content/349/