Lire ou relire Henri de Kérillis


Lire ou relire Henri de Kérillis

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Sur une étagère de ma bibliothèque, j’ai récemment redécouvert un vieux livre poussiéreux aux pages coupées, livre que mon grand-père a transmis à mon père qui me l’a transmis à son tour. Datant de septembre 1942, il était écrit sur la couverture « Français, voici la vérité !… ». Dans les premières pages, son auteur – Henri de Kérillis – se présente lui-même comme nationaliste. Ce terme, notre époque en perte de sens et de repères ne peut plus l’interpréter comme Kérillis dans les années quarante, si bien qu’il conviendrait mieux aujourd’hui de parler de « patriote » le concernant. Officier de cavalerie durant la PremièreGuerremondiale, et plus tard rédacteur en chef du journal L’Écho de Paris, il n’aura cessé durant les années trente de mettre en garde contre la montée d’un impérialisme revanchard outre-Rhin. Ce livre, il l’écrit en exil aux Etats-Unis, afin que les Français puissent se faire une idée a posteriori du drame qui se jouait alors en France.

L’originalité de Kérillis dans le paysage nationaliste provient de son idéalisme. Attaché à défendre les intérêts de la France envers et contre tous, il n’hésitait pas à se mettre à dos les gens de sa propre famille politique lorsque le bon sens le commandait. Ainsi s’est-il parfois retrouvé, en tant que député (entre 1936 et 1940), à voter contre son camp et comme les communistes lorsque lui semblait mise en jeu la souveraineté de la nation. C’est une forme de courage qui va à l’encontre de la logique parlementaire et qui est donc très rare, tous bords confondus. Kérillis relève qu’à sa connaissance le seul homme à s’être toujours tenu aux mêmes principes en ces temps troubles fut le député de droite Georges Mandel. Henri de Kérillis est donc une figure tout à fait digne d’estime. Pourtant, il demeure totalement inconnu et le restera probablement. Pourquoi ? Parce qu’aucune coterie ne peut l’accaparer ; Kérillis est le grain de sable dans la mécanique partisane.

Démonstration. Les convictions politiques de ce fervent patriote étaient bien ancrées à droite. Malgré l’objectivité qu’il pouvait manifester à l’égard des communistes, il eût été difficile de demander à ces derniers les mêmes scrupules, attendu qu’ils s’en remettaient à Moscou. Le pacifisme et l’internationalisme d’une bonne partie de la gauche de l’époque lui aliènent également le personnage.

À droite, en revanche, nombreux pourraient être ses émules. Le malheur est que Kérillis, un temps exalté par l’appel du 18 juin (cf. livre susmentionné), se montrera dur avec de Gaulle lorsqu’il lui semblera que celui-ci ne roule que pour lui. Échaudé par la manière dont le futur président se mettra systématiquement en avant pour écarter ses concurrents (Giraud notamment) à l’heure où l’union aurait dû primer l’ego, il  finira par se rendre compte qu’à cette époque, de Gaulle se servait quelque peu de son patriotisme comme d’un marchepied. Dès lors, et jusqu’à sa mort survenue quelques mois seulement avant la naissance de la Cinquième République, Kérillis se défiera de lui (De Gaulle dictateur dès 1945). Or, comme tout ce qui à droite n’est ni libéral ni monarchiste doit fatalement à notre époque se revendiquer gaullien, là encore le soldat Kérillis est encombrant.

Reste l’extrême droite. Mais, pour une tout autre raison, l’enthousiasme pour cet homme n’y est pas non plus à l’ordre du jour. Dès l’avènement d’Hitler, l’Allemagne est devenue pour Kérillis le principal et le plus dangereux des ennemis de la France. Il faut rappeler que ce sentiment était loin de faire l’unanimité dans la première moitié des années 1930, même au sein de la mouvance nationaliste. Alors qu’il eût semblé évident pour des nationalistes d’apaiser momentanément certaines querelles internes pour faire corps contre un prédateur étranger, des voix issues de leurs rangs mirent davantage en exergue le péril judéo-bolchévique. Un complot réputé mondial minait le pays en sous-main et ni les éructations du Führer ni le réarmement intensif en Allemagne ni même ses quelques annexions ne pouvaient, de leur point de vue, noyer le poisson. Exit donc la référence à Kérillis pour les tenants contemporains d’une cabale de la haute finance mondiale. Et ce n’est pas non plus Georges Mandel qui peut avoir grâce à leurs yeux puisqu’il avait le mauvais goût d’être juif.

Voilà bien une situation paradoxale où un homme, soucieux par-dessus tout du sort de son pays, qui, au-delà des postures partisanes, s’est voulu électron libre au service exclusif de la France durant l’un des plus grands drames de son histoire, un patriote dont la figure pourrait presque faire l’unanimité, est maintenu dans les limbes. Et ce pour la raison que dans la simplicité et la sincérité de son attachement, c’est un personnage beaucoup trop complexe pour s’en autoriser, en particulier chez les défenseurs les plus bruyants de l’idée de patrie. Entre ceux qui font de l’islam le fascisme qui vient et ceux qui fustigent la juiverie tentaculaire, c’est à celui dont le patriotisme lavera plus blanc. Chacun ayant par là recours au rassemblement par défaut, c’est-à-dire au travers de la désignation d’un ennemi commun. C’est un procédé qui, d’une part demande peu d’efforts et de discernement, d’autre part – et pour cette raison même – est toujours voué à un grand succès. Mais il n’a en soi rien de patriotique dans la mesure où le commun que défend le patriote ne peut se réduire à l’exclusif.

Le patriotisme que manifesta Henri de Kérillis était suffisamment exigeant pour rassembler des compatriotes autour de l’importance d’une France souveraine et de valeurs nationales. Il l’était aussi pour démasquer les clowns qui se réclament abusivement de la patrie afin de voiler leur paresse intellectuelle. Je ne pourrais vous conseiller l’achat d’un livre de Kérillis, étant donné qu’aucun n’est disponible autrement qu’en édition originale chez les revendeurs de livres d’occasion. Toutefois, le cœur y est.

*Photo : wikicommons.



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est l'auteur du Miroir des Peuples (Perspectives libres, 2015).

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