Grèce : Syriza au pied du mur


Grèce : Syriza au pied du mur

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Les élections démocratiques sont souvent affaires de malentendus. Pour rassembler plus large que son camp, il est fréquent d’employer des formules d’équilibriste, quitte à prendre quelque liberté avec la vérité. La Grèce serait-elle une exception ? Les sondages attribuant environ 30% d’intentions de vote à Syriza, la coalition de la gauche radicale hellène, posent la question.

Dans l’imaginaire collectif, ce parti incarne une véritable alternative. Pour certains, il s’agit d’une rupture avec l’« austérité », c’est-à-dire la politique économique et sociale menée depuis bientôt six ans par la droite et la gauche modérées. Pour d’autres, Syriza engagerait une rupture selon la définition qu’en donnait Mitterrand en 1971 : la révolution. Aujourd’hui, au sein de Syriza, ces deux options politiques – réformiste et révolutionnaire – se mélangent. Jusqu’ici, cette dualité sert de double aimant attirant vers ce mouvement  et son leader Alexis Tsipras – dont la contribution personnelle au succès du parti est loin d’être négligeable –  à la fois les partisans d’une rupture avec le capitalisme et les tenants d’une simple réforme de l’ordre établi. Concrètement, le parti envoie un message double. D’un côté, il dénonce l’austérité avec un discours et des slogans extrêmement durs ; de l’autre, il se garde d’ouvertement remettre en cause le cadre de l’Union européenne et de la zone euro.

Le programme économique présenté par Syriza, une véritable liste au Père Noël, accroît un peu plus le malaise : création de 300 000 emplois dans les secteurs privé, public et solidaire (l’équivalent de 2 millions d’emplois en France), salaire minimum à 751 euros, élargissement de la durée et du nombre de bénéficiaires de l’allocation chômage, etc. Ajoutez à cela la gratuité de l’électricité, des soins ou des transports publics pour les foyers vivant sous le seuil de pauvreté ainsi que la baisse de la TVA sur le fuel de chauffage. Même ceux qui jugent ces mesures justes et judicieuses ont bien du mal à expliquer comment un gouvernement grec dirigé par Syriza pourrait les financer sans effacer la dette, faire marcher la planche à billets et nationaliser les banques…

Dans l’état actuel des choses, Alexis Tsipras propose donc de mettre fin à l’austérité – ce qui, fait espérer du boulot aux chômeurs grecs et des augmentations de salaire aux fonctionnaires – avec l’accord de l’Union européenne et de la BCE. Cette proposition n’est sans rappeler la démarche qu’avait engagée François Hollande en 2012 : lui président fraîchement élu, revêtu d’une  légitimité sortie toute chaude des urnes,  il comptait convaincre Angela Merkel de faire un virage à 180 degrés en lui accordant ce qu’elle avait refusé à Sarkozy. Hollande prétendait que l’arrivée au pouvoir de la gauche française aurait un effet domino en Europe et déclencherait la victoire des gauches voisines, à commencer par les sociaux-démocrates allemands. Rétrospectivement, ce scénario s’est révélé un chouïa plus compliqué que prévu…

En Grèce, Syriza, comme d’autres formations de la gauche radicale en Europe, est piégée par la contradiction entre son analyse et son projet politique. Comme l’a montré le référendum écossais de septembre dernier, la peur des incertitudes liées à une sortie de l’Euro reste un facteur politique déterminant aux yeux des électeurs. Ces derniers préfèrent menacer de quitter l’euro,  plutôt que de mettre cette menace à exécution !

Pour le moment, Syriza navigue entre ces contradictions, au point que Tsipras se fait le chantre de l’ambiguïté : devra-t-il réformer d’une manière révolutionnaire ou révolutionner la réforme, sachant que ces deux options risquent d’entraîner des lendemains qui déchantent ; traduisez, en grec moderne, une « aube dorée ».

S’il arrivait aux responsabilités, Syriza aura une décision déchirante à prendre : soit renégocier, autrement dit accepter le principe de la politique actuelle moyennant quelques aménagements, soit assumer une franche rupture, y compris avec la frange de son électorat qui ne souhaite pas sortir de l’euro. Or, si Syriza opte pour la réforme – ce qui semble le plus probable –, il se mettra à dos toute la partie révolutionnaire de sa base. Pire encore, imaginez la réaction des Podemos, Front de Gauche, Occupy Wall Street et autres Indignés, si Tsipras se hollandise avant l’été.

Bref, les prochaines élections grecques clarifieront les positions idéologiques des uns et des autres. De ce point de vue, il serait salutaire pour toute l’Europe, hexagone compris, de voir un cousin idéologique de Jean-Luc Mélenchon accéder au pouvoir, avec tous les risques que cela comporte…

 *Photo : Nicolas Messyasz/SIPA/SIPA. 00681433_000013.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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