En manque d’espace


En manque d’espace

conquete spatiale rosetta

Rosetta, Philae, Tchouri : dans une actualité mortifère, ces trois noms ont apporté un peu de joie prométhéenne dans les gazettes. Une sonde spatiale avait réussi à déposer un petit robot sur une comète, pour la première fois. L’exploit fut célébré universellement et le chef de l’État, tout heureux d’un projet franco-européen qui, pour une fois, avait parfaitement fonctionné, s’est exclamé : « Vous avez gagné, c’est une avancée considérable de la conquête spatiale. » Alors, d’où est venue la manière de mélancolie qui s’est emparée de votre serviteur ? La vision des premières photos qui renvoyaient, dans leur nudité glacée, au célèbre fragment de Pascal, « le silence de ces espaces infinis m’effraie » ? Non, répétons-le, nous ne ressentions pas de la frayeur, mais de la mélancolie.[access capability= »lire_inedits »] Sans doute est-elle celle de ma génération, qui a tellement rêvé à l’espace, à sa conquête, aux voyages qu’elle nous annonçait pour un futur proche qu’elle est secrètement déçue que cette épopée se réduise à un bout de ferraille téléguidé sur un caillou en perdition, sans un être humain à bord.

C’est que nous avions vu, vers l’âge de 5 ans, par la grâce de l’unique télé du quartier qui se trouvait au bistrot du coin, juché sur des épaules paternelles, les premiers pas de l’homme sur la Lune, une nuit de juillet 1969. C’est qu’ensuite nous avions lu Jules Verne dans De la Terre à la Lune et Ray Bradbury dans les Chroniques martiennes, le premier annonçant à propos de ses cosmonautes : « D’ailleurs, je les connais, ce sont des hommes ingénieux. À eux trois ils emportent dans l’espace toutes les ressources de l’art, de la science et de l’industrie », et le second : « Les hommes de la Terre vinrent sur Mars, ils venaient parce qu’ils avaient peur ou ignoraient la peur, parce qu’ils étaient heureux ou malheureux, parce qu’ils se sentaient ou ne se sentaient pas des âmes de pèlerins ». Et cela a continué, plus tard, en lisant notre cher Cyrano dans les États et Empires de la Lune, qui indiquait bien que ce désir avait toujours été une rêverie éminemment poétique : « Je m’étais attaché autour de moi quantité de fioles pleines de rosée, et la chaleur du soleil qui les attirait m’éleva si haut, qu’à la fin je me trouvais au-dessus des plus hautes nuées. »

On comprendra donc que Philae, nous invitant à résumer tout cela à un mauvais jeu vidéo qui nous force à rester sur le plancher des vaches, ne pouvait que nous rendre, au bout du compte, d’une tristesse infinie. Comme cet espace où nous n’irons jamais.[/access]

*Photo : wikicommons.

Décembre 2014 #19

Article extrait du Magazine Causeur



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Jacques & Cecil
Article suivant Couture et Murat : l’art pour l’art

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération