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Elon Musk, vox populiste

Le patron de X a fait de son combat pour la liberté d’expression un bras de fer politique en attaquant des gouvernements de gauche (Australie, Brésil, Angleterre) et l’Union européenne. Accusé de trafiquer l’algorithme de sa plateforme pour diffuser sa bonne parole, ce qui reste à prouver, il se livre surtout à un numéro d’ingérence.


« Un milliardaire arrogant », « un fieffé menteur », « le troll », le soutien d’« une internationale réactionnaire », « Fuck you ! ». Voici quelques commentaires qu’Elon Musk a inspirés respectivement à Anthony Albanese (le Premier ministre australien), Thierry Breton, Olaf Scholz, Emmanuel Macron et à la femme du président brésilien, Lula. Musk, lui, sur sa plateforme X, a qualifié les autorités australiennes de « fascistes d’extrême gauche », Alexandre de Moraes, le président du Tribunal suprême fédéral au Brésil, de « Dark Vador », Scholz d’« idiot incompétent » et Breton de « dictateur de l’Europe ».

Ces amabilités sont la conséquence de ce que le propriétaire de la plateforme X prétend être son grand combat pour la liberté d’expression. Les échanges prennent une forme aussi hyperbolique parce que, au milieu du charivari des réseaux sociaux, seuls ceux qui crient fort sont entendus et deviennent influents. Pour être « amplifié » par un algorithme, c’est-à-dire reposté suffisamment de fois pour devenir viral, un post politique doit souvent susciter un faisceau d’émotions fortes – indignation et mépris à l’égard d’un adversaire dénoncé, jouissance face à sa déconfiture imaginée… Il règne en ligne une concurrence féroce pour attirer l’attention générale. Si Musk défend la liberté d’expression sur son réseau, il montre par son insolence comment exploiter cette liberté. Ou plutôt, il semble vouloir exploiter cette liberté pour le compte des autres. Quand, le 6 novembre, il annonce la fin du règne des médias traditionnels en déclarant à ses plus de 214 millions d’abonnés, « Vous êtes les médias maintenant », en fait c’est lui, le gros poisson aux posts viraux, le richard capable de tenir tête aux grands de ce monde, le pote de Donald Trump, qui entraîne les autres, les petits, avec lui. Car son combat pour la liberté d’expression véhicule un combat politique. Au cours des dix dernières années, la liberté de parole est devenue la grande cause de la droite, face à la gauche qui promeut la cancel culture et accuse ses adversaires de répandre des fake news et des théories du complot. Ainsi, Musk se présente-t-il comme le défenseur des peuples occidentaux contre le poison idéologique de la gauche. À ce titre, il se permet des ingérences scandaleuses dans les affaires gouvernementales d’autres pays.

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Le glissement d’un combat vers l’autre commence en avril 2024, quand Musk entre en conflit simultanément et de manière acrimonieuse avec les autorités judiciaires du Brésil du socialiste Lula et le gouvernement travailliste en Australie. Les accusant de censure, il refuse leurs demandes de supprimer certains contenus et des comptes accusés de répandre la désinformation. Bien que le Brésil soit un des plus grands marchés de X, il justifie son intransigeance en déclarant que « les principes sont plus importants que les profits ». Hélas ! sa plateforme y étant interdite fin août, il capitule. En Australie en revanche, un tribunal donne raison à Musk qui, en septembre, y conspue un projet de loi contre la désinformation, et en novembre critique la nouvelle législation interdisant l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 16 ans.

Un combat pour la liberté d’expression ou un agenda politique ?

Mais c’est en août, après sa déclaration de soutien à Trump en juillet, que Musk passe à une vitesse supérieure en attaquant les autorités de l’Union européenne et du Royaume-Uni. L’UE n’est pas socialiste, mais aux yeux de Musk elle est une bureaucratie autoritaire gérée par une élite antipopuliste dont Thierry Breton, encore commissaire à l’époque, est l’archétype. Quand ce dernier, avant l’entretien avec Trump que Musk diffuse sur X le 12 août, le met en garde contre la possible « amplification de contenus toxiques », Musk l’accuse d’être antidémocratique. Le patron de X observe que les questions d’immigration et de multiculturalisme, qui tarabustent nombre d’électeurs occidentaux, sont refoulées dans le discours officiel des institutions et des politiques. La mission qu’il s’assigne, c’est de compenser ce refoulement en propulsant ces questions – et ceux qui les portent – sur le devant de la scène médiatique. Va-t-il jusqu’à utiliser, non seulement le langage hyperbolique, mais aussi la puissance des algorithmes ? C’est ce que suggèrent, à l’automne, une étude conduite par des chercheurs australiens[1] et deux autres publiées par le Washington Post et le Wall Street Journal. L’algorithme de X aurait été « tweaked » (« modifié ») pour booster le compte personnel de Musk et d’autres comptes diffusant des opinions comparables, surtout dans le contexte de l’élection américaine. Depuis décembre 2023, X est l’objet d’une enquête de la Commission pour des violations – surtout d’ordre commercial – du Règlement sur les services numériques (DSA). Cette enquête a été ensuite élargie afin de considérer de possibles « tweaks » commandés par Musk sur l’algorithme de X. L’UE s’intéresse donc non seulement à la modération des contenus ou au langage des posts, mais aussi à l’éventuelle promotion algorithmique de certains discours idéologiques. Qui n’est à ce jour pas prouvée.

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À ce stade, Musk n’occupe pas de fonction officielle, il peut donc dire ce qu’il veut sur qui il veut. Reste que ses prises de position tonitruantes sur la politique intérieure d’alliés de l’Amérique ont un petit parfum d’ingérence – elles paraissent avoir cessé après le 20 janvier, mais dès le 5 novembre, le patron de X était quasi ministre, ou au moins proche conseiller, du futur président américain : les bonnes manières diplomatiques auraient dû le pousser à s’abstenir. Avant Noël, il affiche son amitié avec Nigel Farage, le patron de Reform UK. Des rumeurs suggèrent qu’il va financer le parti par un don de 100 millions d’euros. Il est vrai qu’aux élections de 2014, Reform UK a obtenu 14,3 % des voix mais selon le système britannique, seulement 0,8 % des sièges aux Communes. Mais quand Farage tente de se dédiaboliser en prenant ses distances par rapport à l’activiste anti-islamiste sulfureux Tommy Robinson, Musk prend ses distances avec Farage. En janvier, Musk manifeste un enthousiasme plus durable pour le parti populiste allemand, l’AfD, en interviewant sa co-présidente, Alice Weidel, sur X. L’UE aurait mobilisé jusqu’à 150 spécialistes des règles du DSA et des algorithmes pour « fact-checker » l’opération. Musk est très critiqué par les parlementaires allemands et européens, mais il peut se targuer de contribuer à un rééquilibrage démocratique : selon une étude, l’AfD, donnée en deuxième position par les sondages pour les élections fédérales du 23 février, représenterait seulement 2,6 % des passages dans les émissions politiques sur les chaînes publiques en 2024[2].

Elon Musk apporte son soutien à l’AfD via vidéotransmission lors du lancement de la campagne électorale du parti, Halle (Saale), Allemagne, 25 janvier 2025 © Hendrik Schmidt/DPA/SIPA

L’ingérence britannique : un tournant décisif

Il est peu probable que le soutien de Musk à l’AfD change la donne électorale en Allemagne. En revanche, certaines de ses interventions ont clairement un impact politique au Royaume-Uni. Il faut revenir au mois d’août 2024, lorsque Musk entame une longue querelle avec le Premier ministre, Keir Starmer, et le Parti travailliste. Après la tuerie de Southport, le 29 juillet, où trois petites filles sont massacrées par un jeune homme, fils d’immigrés rwandais, les autorités divulguent très peu d’informations sur l’identité de l’assassin et son mobile, et affirment qu’il ne s’agit pas d’un acte terroriste. Ce silence radio doublé de déni alimente les spéculations en ligne prétendant que le tueur est un immigré clandestin et un terroriste musulman. Quand des émeutes violentes explosent dans certaines villes, Starmer rejette la faute sur des groupes d’extrême droite et dénonce des plateformes comme X, coupables selon lui de permettre la libre circulation de mensonges et de propos haineux. Tantôt furieux, tantôt moqueur, Musk réplique en accusant le travailliste de favoriser une communauté – celle des musulmans issus de l’immigration – aux dépens d’une autre, celle des Blancs et des non-musulmans. Le tout, pour préserver l’illusion de l’harmonie multiculturelle. Les déclarations de Musk sont un mélange d’hyperbole et de bon sens : « La guerre civile est inévitable, si des cultures incompatibles sont réunies ensemble sans assimilation. » Elles ne sont pas si éloignées des interventions de certains élus britanniques, comme Farage ou de la leader des conservateurs, Kemi Badenoch, sauf qu’elles ont beaucoup plus de portée.

Or, fin octobre, lors de la mise en accusation du suspect, les autorités révèlent qu’il possédait un manuel d’entraînement d’Al-Qaida et qu’il avait fabriqué une quantité d’un poison mortel, la ricine. En janvier, lors de son procès, le monde apprend que, non seulement, il avait un passé de violence et de démêlés avec la police, mais aussi qu’il avait été inscrit trois fois au programme officiel d’antiradicalisation. Bref, quel que fût son degré d’adhésion à l’idéologie islamiste, il s’agissait a minima d’une forme de terrorisme « d’atmosphère » que les autorités ont lamentablement échoué à prévenir. La dissimulation de ces informations pendant des mois conforte la thèse populiste diffusée par Musk selon laquelle les politiques mainstream ne sont pas dignes de la confiance publique.

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Un malheur ne vient jamais seul – pas plus qu’une opportunité pour Musk. En même temps que montait l’affaire de l’assassin de Southport, le scandale des « grooming gangs » revenait sur le devant de la scène. Aujourd’hui, tout le monde connaît l’histoire de ces hommes d’ascendance pakistanaise qui, pendant des années, ont pratiqué la pédocriminalité en prenant pour victimes des milliers de filles blanches. Jusqu’en 2011, l’omerta a régné sur le sujet, en partie pour préserver la paix sociale et l’illusion du multiculturalisme dans des villes gérées par des élus travaillistes. Après 2011, le scandale éclate, mais reste l’objet de tentatives médiatiques et politiques de contestation et de minimisation. En France, de nombreux journaux, dont Causeur, ont traité ce scandale. Mais sans doute avaient-ils moins d’écho que X.

Quel avenir pour Musk dans le paysage politique mondial ?

La chaîne GB News continue à enquêter. Le 1er janvier, elle révèle qu’en octobre, la ministre de la Protection des femmes et des enfants, Jess Phillips, a refusé la demande de la ville d’Oldham d’une enquête officielle sur les grooming gangs. Cette nouvelle arrive comme une bombe dans les médias britanniques et est immédiatement reprise par Musk qui affirme sur X que Starmer a été « complice » de l’omerta. Il somme le roi Charles de dissoudre son gouvernement, ce qui est impossible sur le plan constitutionnel. Goguenard, il demande à ses abonnés si l’Amérique ne devrait pas « libérer le peuple britannique ». Quant à Phillips, il la traite même d’« apologiste de génocide par viol ». Si l’emphase de Musk ne connaît pas de limites, c’est peut-être parce qu’il a un intérêt particulier pour le Royaume-Uni, certains de ses ancêtres étant anglais. Ainsi écrit-il que sa grand-mère, originaire de Liverpool, aurait pu être la victime des gangs si elle était née plus tard.

La pression sur le gouvernement travailliste devenant intolérable, il capitule en essayant de sauver l’honneur par un compromis. Le 16 janvier, la ministre de l’Intérieur annonce cinq enquêtes locales et un « audit » national sur les gangs. Le 21 janvier, Starmer est contraint d’annoncer une grande enquête sur la tuerie de Southport, qui doit être conduite « sans aucun égard pour des susceptibilités culturelles ». Le Premier ministre dispose d’une large majorité parlementaire, mais son image est désormais ternie et son autorité affaiblie par ces affaires. Les interventions intempestives de Musk, amplifiées sur les réseaux et abondamment commentées dans les médias traditionnels, y ont largement contribué.

Reste à savoir si son poste de conseiller auprès de Trump permettra à Musk de continuer à jouer ce rôle de trublion populiste mondial. Les différents gouvernements trouveront-ils le moyen de fermer X, ou seront-ils obligés par le droit démocratique à la liberté d’expression de tolérer des discours qu’ils détestent, autant sur le plan formel que sur celui de l’idéologie ? Si le rouleau compresseur Musk peut paraître monstrueux, il est parfaitement adapté aux conditions de notre époque. Si c’est un monstre, c’est notre monstre.


[1] T. Graham, M. Andrejevic, « A computational analysis of potential algorithmic bias on platform X during the 2024 US election » (document de travail), eprints.qut.edu.au.

[2] « Vergleich der Parteizugehörigkeit der Politiker in den politischen Talkshows von ARD und ZDF und dem Sitzanteil im Deutschen Bundestag im Jahr 2024 », de.statista.com.

Le champ des partisans

Le Salon de l’agriculture, qui ferme ses portes dimanche, ne se réduit pas au charme pastoral et la promotion patrimoniale. C’est aussi le lieu d’intenses affrontements idéologiques entre les trois principaux syndicats de la profession:  la Coordination rurale, la Confédération paysanne et la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles).


Comme chaque année à la fin du mois de février, ce n’est pas Paris qu’on met en bouteille, mais la France qui se concentre dans un hangar. Toutes ses provinces réunies pour exposer les plus beaux spécimens de leur race bovine, de leurs vins capiteux, de leur fromage robuste, de leur pitance et de  leur mangeaille… Au rythme de la peña baiona et des paquitos, c’est aussi la beuverie annuelle des Franciliens et le passage obligé des hommes politiques dont le toucher irrévérencieux (à l’heure de #Metoo) sur les postérieurs des bestiaux se fait l’écho d’un temps où le roi thaumaturge nourricier investissait de sa magie l’imaginaire du peuple.

En 2024, la précédente édition du Salon avait été marquée par la contestation agricole dont l’acmé fut le fameux siège de Paris. Résultat, l’an dernier, la Coordination rurale a récolté la moisson de la colère paysanne et  fait une percée spectaculaire lors des élections consulaires en remportant la présidence de 13 chambres d’agriculture (contre 3 auparavant) sur les 94 que compte le pays, et en recueillant 29,25 % des suffrages à l’échelle nationale. Pour la première fois, la FNSEA qui était la force hégémonique depuis les années 1960, est passée sous les 50% (46.83%).

Née à la fin de 1991, dans un contexte de montée de l’opposition à la PAC (politique agricole commune), la Coordination rurale s’est forgé une réputation de syndicat «  de droite réactionnaire » prônant un programme simple : « Moins de normes, moins d’impôts, moins de contrôle… laissez-nous faire. »

« On n’est pas contre les normes mais il y a une limite à tout… »

Il faut dire que le ras-le-bol est général : « on n’est pas contre les normes mais il y a une limite à tout… », « des normes ici, pas de normes là bas… ». Des thèmes qui plaisent alors que les agriculteurs se sentent pris entre l’enclume de l’inflation normative et fiscale qui enchérit leur coût de production et le marteau du libre échange qui les soumet à une concurrence déloyale.

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Au cœur du salon, le stand de la Coordination rurale attire le regard en même temps que le chaland. Attroupement de bonnets jaunes qui prennent l’apéritif et se réunissent dans la bonne humeur et l’envie d’en découdre. Un folklore qui séduit tant les professionnels de la terre que les urbains habitués du salon. C’est ici, qu’a rendez-vous le député européen et ancien élu versaillais François-Xavier Bellamy. Difficile rencontre pour l’agrégé en milieu agrarien. La position majoritaire du PPE (Parti populaire européen), groupe parlementaire auquel il appartient à Starsbourg, dont les membres allemands de la CDU-CSU sont les ardents partisans de l’accord de libre-échange avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie), irritent les bonnets jaunes. « Il y a des clivages politiques au Parlement européen mais il y a aussi des clivages nationaux, se défend Bellamy. Les députés de certains groupes n’ont pas forcément les mêmes intérêts. Les partenaires (allemands) de Marine le Pen sont par exemple favorables au Mercosur car ils savent qu’ils pourront vendre leur production industrielle en Amérique latine » (le député faisant peu de cas de la rupture entre le RN et l’AfD au printemps dernier) mais essuie les questions acerbes des paysans : « comment pouvez-vous rester dans un groupe parlementaire pareil ? » « Je comprends le ressentiment du monde paysan… » nous confie l’élu.

Reconnaissable à son béret et ses deux mètres de musculature paysanne, le médiatique Pierre-Guillaume Mercadal, responsable de la Coordination rurale dans le Tarn-et-Garonne ne s’étonne pas du succès de son organisation : « Il y a 8 tentatives de suicide tous les jours. Un mort toutes les 36 heures. 2 ou 3 fermes qui disparaissent tous les jours. Vous rajoutez à cela les accords de libre-échange et le statut d’invité d’honneur du Maroc qui est le premier concurrent de la France en matière agricole et la coupe est pleine ». Le dégagisme est assumé : « Nous ne croyons plus dans les beaux discours de la FNSEA et d’Emmanuel Macron. Les positions de Bellamy ne sont pas les nôtres. On se bat pour la souveraineté alimentaire de la France ». Un discours radical mais qui se traduit par une progression fulgurante. Dans la fédération que dirige Mercadal, la Coordination rurale est passée de 16 à 38 % aux dernières élections. Les témoignages récoltés dans les allées du salon offrent en effet un écho puissant aux tensions du monde agricole. Le responsable de la Coordination rurale pour le très maraicher département des Pyrénées-Orientales, Philippe Maydat déplore « la désertification de son département », conséquence d’une politique écologiste qui en voulant protéger le débit des fleuves, entrave le renouvellement naturel de l’eau. « On met en cause les agriculteurs qui pompent les nappes alors que c’est tout l’inverse. » Exemple type du leitmotiv de la coordination rurale : laissez faire les agriculteurs ! L’environnement, ils connaissent cela mieux que les gens des villes. Refus d’une modernisation mal comprise, d’une concentration capitaliste des unités d’exploitation qui abolirait la ferme artisanale et paysanne, alimentée par une fuite en avant normative et technocratique à laquelle seuls pourraient s’adapter les grands groupes… Le Granvillais Jean-Vincent Chantreau, secrétaire général de l’UFPA (Union française des pêcheurs artisans), partenaire de la Coordination rurale, dénonce le rachat de l’armement français par des capitaux néerlandais, comme le grignotage des zones de pêche françaises par nos voisins insulaires : « les Anglais nous emmerdent ».

La gauche José Bové en perte de vitesse

Tous aimeraient une agriculture moins encadrée, davantage tournée vers la consommation domestique, une politique protectionniste qui mette à l’abri les petites exploitations de la concurrence déloyale des grandes fermes du monde. Tous sont aussi lassés du monopole de la FNSEA, syndicat majoritaire et hégémonique depuis la grande réforme de l’agriculture française après-guerre : « Je suis à la Coordination rurale à cause de l’incompétence de la FNSEA. C’est un syndicat qui travaille pour ses propres intérêts. Il contrôle l’attribution des terres, les reprises d’exploitations dont il peut simplifier les démarches par rapport à d’autres ». Un discours clair, une communication efficace, des thèmes porteurs et portés par une critique générale de la mondialisation et de la bureaucratie… Comment s’étonner du succès de l’organisation. 

José Bové détruisant le McDo de Millau, les vocations paysannes d’étudiants maoïstes dans le Larzac, les RMIstes du soleil, le forum social, les fauchages d’OGM… l’agitprop paysanne était encore depuis les années 2000 le bastion de la gauche. La communication paysanne a opéré un virage surprenant vers la droite, réinventant son discours par des actions et des coups de com’ et un symbole ; les fameux « bonnets jaunes » – un savant mélange de gilets jaunes et de bonnets rouges. Symptôme d’un soixante-huitard à l’envers, le paysan d’avant-garde ne se bat plus contre le bétonnage du Larzac mais exhibe sur les réseaux sociaux sa bande de gaillards au nez rouge grillant de la bidoche avec un béret sur la tête à l’image du compte instagram « le Grand Gaulois » ou de la chaine de restauration Le Gueuleton.

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La Confédération paysanne, syndicat historique de la gauche agricole, qui défend une agriculture paysanne, de petite exploitation conjuguée à la protection de l’environnement, semble avoir renoncé aux coups de communication de l’ère Bové. Si le syndicat a maintenu ses positions (avec un habituel 20% des suffrages) conservant la direction de trois chambres régionales, il n’a pas réussi à capter la colère du monde paysan alors qu’il défend aussi un protectionnisme raisonné et bénéficie d’une certaine légitimité historique. Sa secrétaire générale Véronique Marchesseau assume une approche plus « complexe » et laisse les modes d’action « énervés » aux bonnets jaunes. La Confédération paysanne travaille en réseau avec des associations comme Terres de Lien qui lutte contre la déprise agricole et encourage les vocations. L’organisation recrute des étudiants en histoire ou en sciences sociales qui rêvent d’élever des chèvres ou de renouer avec le plaisir des choses simples. Sa défense de l’élevage et de la complémentarité entre homme et animal, son inquiétude concernant le retour du loup, l’éloignent des nouvelles gauches animalistes : « Il y a une déconnexion des populations urbaines avec le monde agricole » confesse la secrétaire générale par ailleurs éleveuse de vaches allaitantes dans le Morbihan.

Le tripartisme connu en politique depuis les législatives de 2022, le monde agricole la connaît depuis plusieurs décennies dans les chambres de commerce. Les uns et les autres ont dû apprendre à se supporter et les choses se passent généralement mieux qu’à l’Assemblée : en fonction des thèmes, les syndicats trouvent parfois des points d’accord et les représentants admettent parfois être bons copains à la ville comme dans les champs.

Vent de panique dans le syndicat de la startup nation

Ni ZAD, ni banquet gaulois, le stand de la FNSEA a, lui, des airs de hall de startup. Nous sommes reçus avec un verre d’eau citronné (dernier contact de la journée avec des molécules non-alcooliques). Arnaud Rousseau, le président, se fait attendre des journalistes. Il descend enfin, pose pour les photographes et remonte. Nous aurons droit finalement à son numéro deux, Luc Smessaert.

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Côté FNSEA, si l’on est sonnés par le recul électoral, on temporise : « la percée s’observe plutôt dans le sud-ouest. Là où la viande et le lait se portent bien comme en Normandie ou en Bretagne, la progression est retenue. C’est donc un effet de la crise. Après la contestation de 2023 on s’attendait au dégagisme. Ce qu’on a obtenu de la part du gouvernement n’était pas suffisant. Sur le fond, il y a de nombreux points d’accord. Simplement ils gueulent plus fort. » Un effet de conjoncture et une prime à la gouaille donc. Pourtant la FNSEA est accusée par ses concurrents de « cogérer » l’agriculture française, un terme qu’il réfute totalement, revendiquant un syndicalisme pragmatique et constructif : « Dans ces périodes, un syndicalisme de proposition peut passer pour un syndicalisme de cogestion. » Ambiance feutrée, discours pragmatique, approche constructive… la tête de l’organisation a tendance à singer les codes de politesse politique urbains. La base de la FNSEA est en revanche nettement plus offensive : c’est elle qui a initié le mouvement des pancartes retournées puis la fronde de début 2024. Sur le terrain, elle ferraille pour ne pas laisser à la Coordination rurale l’hégémonie de la contestation et de la culture du ras-le-bol. Un peu comme l’Eglise d’Ancien Régime (autre grand propriétaire foncier), le syndicat est partagé entre un haut clergé bien en cour et un bas clergé qui court après la contestation.

Des agriculteurs manifestent près de Chilly-Mazarin, le 31 janvier 2024 © Christophe Ena/AP/SIPA

Ces derniers ne sont jamais loin. Le jour de l’ouverture du Salon, le 22 février, certrains bonnets jaunes ont essayé de se rendre sur le stand de la FNSEA. Un cordon policier s’est alors interposé pour éviter, avec succès, les échauffourées. Depuis, aucun incident n’a été signalé. Cette année, 3 000 CRS étaient dépêchés, contre 1 000 l’an passé. Parmi eux, un agent, nous confie sans détour : « La FNSEA, ce sont des petites couilles. Ils sont cul et chemise avec le gouvernement. Le Mercosur coule la France ».

Le hall 4 qui accueille entreprises et syndicats n’est pas le plus couru. Autre ambiance au Hall 5, les Parisiens peuvent chaque année faire un tour de France éthylique et gustatif en jouant du coude pour se baffrer de Saint-Jacques cuites à la braise, de souris d’agneau et d’huitres de Cancale. Deux salles, deux ambiances mais un même constat : ce grand théâtre du Salon dans sa partie ludique comme dans sa partie institutionnelle révèle une France lassée de la froideur mondialisée et dont le terroir offre un dernier remède à l’oubli. C’est dans le vacarme des pancartes et le folklore des stands que la nation réaffirme, avec un certain sens de la mise en scène, sa nostalgie paysanne – où chaque bœuf, chaque fromage, chaque révolte, chaque coup de gueule, chaque jacquerie paysanne, chaque gouaille et chaque apéritif devient la dernière rébellion d’un imaginaire qui refuse de mourir.

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Causons ! Le podcast de Causeur

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Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, vient d’annoncer des mesures prises par le gouvernement français pour sanctionner le régime algérien. Les membres de la nomenklatura de ce pays ne jouiront plus de facilités dans l’obtention de visas pour voyager en France. L’Algérie a réagi en dénonçant les « provocations », « intimidations » et « menaces » dont elle ferait l’objet de la part du gouvernement français. Mercredi après-midi, M. Barrot a proposé aux autres États-membres de l’UE de punir, en réduisant les délivrances de visas, tous les pays tiers qui refusent de reprendre leurs citoyens expulsés. En revanche, les pays tiers qui coopèrent avec les États-membres de l’UE se verraient récompensés par des baisses de droits de douane. La France peut-elle espérer résoudre ainsi ses problèmes avec l’Algérie en créant un front uni en Europe ? Il est permis d’en douter quand on voit que le gouvernement français lui-même n’est pas uni sur cette question. La France va-t-elle enfin engager un vrai bras de fer avec le régime de Tebboune ? Malheureusement, nos politiques vont rarement jusqu’au bout de leurs raisonnements. Il faudra que la France se fasse encore humilier, que d’autres citoyens se fassent assassiner par des criminels sous OQTF, avant qu’on ne voie une véritable révolte contre le récit, imposé par les Algériens, d’une France coupable de crimes coloniaux.

Sous l’impulsion de Donald Trump, les Européens commencent à se préoccuper sérieusement de leur propre défense. Contrairement à l’interprétation dominante dans les médias « mainstream », il n’est pas encore certain que les Américains abandonnent à la fois l’OTAN et l’Europe. Il est toujours possible que Trump ne cherche qu’à pousser ses alliés à endosser enfin une plus grande part de responsabilité – à devenir de véritables partenaires, plutôt que des dépendants.

Selon le dernier baromètre d’opinion Ifop-Fiduciaire, celui qui se trouve en tête du classement des personnalités politiques préférées des Français serait Dominique de Villepin. Nos intervenants tentent de trouver une explication rationnelle à ce phénomène qui dépasse l’entendement.

Vatican / migrants: grand cœur mais pas trop

Si François enjoint les nations du monde entier à accueillir les migrants sans compter, l’État qu’il dirige ne donne pas franchement le bon exemple


Comment dit-on « gauche caviar » dans la langue de Dante ? En Italie, il existe une expression pour désigner les bonnes âmes qui donnent des leçons d’ouverture et d’humanité à la terre entière tout en restant bien protégées dans leur ghetto doré : le « parti ZTL », en référence aux zones à circulation limitée (Zona a traffico limitato), c’est-à-dire les centres historiques des grandes villes où vivent les classes aisées votant souvent à gauche.

À Rome, l’une des ZTL les plus fameuses est la Cité du Vatican. D’une surface d’environ 500 hectares, c’est le plus petit État au monde, le moins peuplé (avec 500 habitants environ et 4 500 travailleurs étrangers), mais aussi le plus inégalitaire de la zone euro (son indice de Gini s’élevant à 0,35). Dans un décret du 19 décembre 2024, il vient de renforcer sa législation antimigrants.

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Désormais « quiconque entre sur le territoire de l’État de la Cité du Vatican par violence, menace ou tromperie » encourt un à quatre ans de prison, 10 000 à 25 000 euros d’amende ainsi qu’une interdiction d’entrée pour une période de dix ans. Peu de pays européens possèdent des règles aussi répressives en la matière… On ne manquera pas de remarquer que celles-ci sont en totale contradiction avec les beaux discours du chef d’État local, le pape François, qui depuis son élection en 2013, ne cesse d’appeler ses homologues à accueillir davantage de sans-papiers chez eux et ne manque jamais de rudoyer les Occidentaux xénophobes. Rappelons que le souverain pontife a si peu de respect pour le principe – pourtant souverain – de frontières nationales qu’en 2023, il déclarait, avant de se rendre dans la cité phocéenne : « J’irai à Marseille, mais pas en France. » Que dirait-il si un immigré clandestin affirmait, au moment de rentrer dans la basilique Saint-Pierre, qu’il se trouve certes à Rome, mais pas au Vatican ? En attendant, pas sûr que les gardes suisses soient sensibles à cet argument venu d’en haut.

Révolution anti-woke: les fausses pudeurs de la French Tech

Officiellement, le milieu des start-up françaises est progressiste. Officieusement, la bien-pensance en agace plus d’un. Et beaucoup pensent que le libéralisme trumpiste est vital pour le secteur.


« On est à côté de la plaque. On est toujours des communistes et les USA rentrent dans l’ultralibéralisme. » La lassitude de ce grand nom de l’innovation qui a investi dans des dizaines d’entreprises en France est palpable.

« C’est la révolution aux États-Unis, tandis qu’en France on est perclus dans l’Ancien Régime. Faire des marges est devenu très difficile. Parler librement, je peux encore, mais pas dans la presse, pas sur un podcast. J’ai gagné des millions, mais je reste un mâle blanc », enchaîne un autre « business angel » qui, moins par fascination pour l’homme politique que par instinct d’entrepreneur sentant le vent tourner, a repoussé sa décision de quitter le monde des affaires au moment de la victoire de Trump.

Officiellement, la French Tech est plutôt « progressiste », ouverte aux « minorités visibles », sensible aux « inégalités de genre » et convaincue que l’horizon économique hexagonal doit épouser les frontières de l’Union européenne. Sur LinkedIn France, on ne compte plus les classements d’« entrepreneur.e.s noir.e.s » ayant fait de « belles levées de fonds », ou encore de clubs d’investissement exclusivement réservés aux femmes appelant à encourager ces dernières « traînant aux pieds les boulets d’une société patriarcale et non inclusive ». Sur ce réseau mettant en relation les professionnels entre eux, l’élection de Trump a été perçue comme un « recul », un « drame » et le ralliement de Zuckerberg comme un geste « opportuniste », forcément « motivé par une personnalité torturée ».

Tout aussi officiellement (les chiffres sont publics), le financement des start-ups tricolores dépend en très large partie (aux alentours de 40 %) de fonds américains, mais aussi des aides de l’État (notamment à travers les prêts et les dons de la BPI). Un horizon économique qui se situe désormais au carrefour de deux idéologies opposées.

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Officieusement, la « start-up nation » déborde du cadre bâti par Emmanuel Macron. La bien-pensance agace, au moins autant que l’absence de patriotisme économique du président français. « Pourquoi Space X a réussi ? Parce que le gouvernement fédéral a commandé des fusées à Elon Musk », explique Thomas Fauré, l’un des rares entrepreneurs de la tech française à avoir le courage de s’exprimer à contre-courant de l’idéologie LinkedIn.

C’est ce milieu, largement dominé par une sociologie parisienne formée au sein des écoles de commerce, qui est aujourd’hui en passe d’être torpillé par un changement de régime politique et économique aussi radical que fulgurant. Est-ce en Seine-Saint-Denis, Californie rêvée par Emmanuel Macron, que les financiers de l’innovation française chercheront à rebâtir les rêves de la Silicon Valley ? Imposeront-ils les déterminants décomplexés de la révolution trumpienne aux entreprises françaises dont ils détiennent les capitaux ? La France est-elle en passe de devenir un champ de bataille extérieur entre ces gagnants et perdants aux visions opposées ?

Pour que la torpille américaine percute aussi la French Tech, il faudra d’abord un nouveau pouvoir à l’Élysée. Et les relais à qui la French Tech prête des accointances avec la mouvance trumpiste sont de plus en plus nombreux sur la scène politique française : Éric Zemmour, Sarah Knafo, Jordan Bardella, Éric Ciotti, David Lisnard… « Je pense que ce qu’il se passe aux États-Unis finira par arriver en France », conclut Thomas Fauré.

La famille Bibas et le quatrième cercueil

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Le souvenir de la famille Bibas hantera longtemps Israël.


Dernière minute. Le Hamas a restitué dans la nuit de mercredi à jeudi quatre nouveaux corps d’otages, en échange de plus de 600 prisonniers palestiniens, dont le Franco-Israélien Ohad Yahalomi (âgé de 49 ans lors de son rapt le 7-Octobre). Le président Macron a dit partager « la douleur immense » de la famille •

L’enterrement de la famille Bibas a uni un pays dans l’émotion. Des milliers d’Israéliens s’alignaient  sur la route du cortège entre Tel-Aviv et le cimetière de Nir Oz où Shiri, Ariel et Kfir furent enterrés dans le même cercueil. Ils seront physiquement unis et pour  tous ceux qui gardent  l’image de Shiri enserrant ses deux enfants dans ses bras au moment de son enlèvement, il ne saurait en être autrement. Le terroriste du Hamas qui a filmé la scène, comme le soldat nazi qui a photographié le petit garçon du ghetto de Varsovie, ont signé  eux-mêmes la condamnation la plus explicite de leur idéologie barbare.

Dans un discours d’une déchirante simplicité, Yarden Bibas s’est accusé de n’avoir pas su les sauver et a supplié son épouse de le protéger de lui-même:  תשמרי עליי מפני עצמי (tichmeri al mipnei atzmi) Il a imaginé que ses deux fils «gingy», les deux rouquins, que l’on voit  toujours rieurs sur les vidéos familiales, s’amusaient avec les anges, là-haut au-dessus des nuages…

Il ne fait pas de doute que le souvenir de la famille Bibas va hanter la mémoire d’Israël.

Le monde a oublié l’assassinat de sang-froid, à Itamar, de la famille Fogel, le père, la mère et leurs trois enfants, en 2011. Il s’agissait d’une implantation, cela a favorisé l’oubli. Les auteurs de ce crime horrible, les frères Awad, n’ont pas encore été libérés. Qu’en sera-t-il plus tard? Je pense qu’Israël est suffisamment fort pour libérer même des criminels pareils, si cela peut sauver des otages. Mais  malheureusement, je pense  aussi que, eux ou d’autres, les candidats ne manquent pas, attirés par le martyre et les récompenses qui vont avec. Nous les avons vus, enthousiastes et souvent très jeunes, lors des exhibitions d’otages par le Hamas.

C’est le résultat du martèlement idéologique exercé  sur des enfants depuis plusieurs générations par les organisations terroristes sous le regard complaisant de l’UNWRA. Tant que les effets de ce martèlement n’auront pas été éradiqués, Israël ne pourra laisser aux Palestiniens une  capacité de nuisance.

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Il y a eu en Israël des personnalités admirables qui ont œuvré à l’entente israélo-palestinienne. L’un d’entre eux s’appelait Oded Lifshitz, du même kibboutz Nir Oz que la famille Bibas.

C’est le quatrième cercueil du 20 février 2025.

Il avait 83 ans. Vétéran des guerres d’Israël il était de ceux qui faisaient le plus pour les Gazaouis. Cette proximité, le kibboutz l’a peut-être payée  cher, car les terroristes en connaissaient  les recoins. A l’enterrement de son mari, Yocheved Lifshitz a déclaré: « Nous avons combattu toute notre vie pour la justice et pour la paix. A ma grande tristesse, nous avons été frappés par ceux que nous avions aidés ». 

S’il y avait des Juifs israéliens qui soutenaient la Palestine, c’étaient les habitants de Nir Oz.

Les quatre cercueils nous le confirment: pour les Frères Musulmans – et le Hamas, ce sont les Frères Musulmans -, il n’y a pas de place pour des Juifs sur cette terre et pour certains d’entre eux, il  n’y a pas de place pour les Juifs sur la terre tout entière, article 7 de la charte. Les Juifs en diaspora  se demandent  qui dans leurs relations va lutter contre cette conception du monde et qui va s’en accommoder sous prétexte «qu’il faut comprendre le contexte».

Je me rappelle ce mot de «contexte» auquel se référait Charles Enderlin quand, poussé dans ses retranchements par les contradictions factuelles, il accusait Tsahal d’avoir assassiné l’enfant Mohamed al-Dura, une affaire dramatique par ses conséquences datant d’il y a plus de vingt ans. Toutes les expertises indépendantes ont montré que c’était un mensonge mais Enderlin fut exonéré de sa diffamation pour de simples questions de procédure. Ce montage a malheureusement forgé une image du soldat israélien tueur d’enfants qui s’est élargie au-delà des seuls faussaires du Hamas et dont, une génération plus tard, on perçoit les relents sous forme de crime rituel contemporain.

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C’est cette diffamation que réalimente le petit Palestinien au keffieh dans la crèche. Il faut le dire et le redire, les enfants palestiniens morts sous les bombes israéliennes sont les victimes d’une guerre que le Hamas a voulue, dont il est fier et dans laquelle il a utilisé sa population comme un instrument de propagande. Les enfants Bibas, eux, ont été tués par préméditation et à mains nues, l’enquête médico-légale, dont les résultats détaillés ont certainement été adressés dans les services correspondants étrangers est formelle. Il est techniquement élémentaire de distinguer les effets d’un bombardement et ceux d’un étranglement, et finalement l’absence de controverse sur les conclusions de l’autopsie, en dehors de l’inénarrable Rima Hassan et de ses misérables complotistes associés, en dit long sur la réalité de ce crime impardonnable, même s’il ne faut pas croire que l’hypothèse mensongère d’un bombardement israélien ne sera pas reprise un jour ou l’autre.

Seuls les nazis ont justifié leurs crimes comme les tueurs et les imams du Hamas ont osé le faire, et encore ne s’en sont-ils pas vanté à l’extérieur. 

Quiconque ne voit pas la différence entre le comportement des Israéliens, même si celui-ci ne relève pas tout le temps, malheureusement, d’un humanisme sans faille, et celui des organisations terroristes palestiniennes, est gangrené par la confusion morale.

Il ne faut pas rêver: les effets de l’endoctrinement religieux puissant et continu du Hamas dès l’enfance, dont Michael Prazan[1] montre dans son livre d’accablants exemples, ne disparaitront pas d’un revers de main ou d’une signature sur un morceau de papier : on devrait savoir aujourd’hui comme la déradicalisation est un processus incertain. Elle mettrait au mieux de longues années et personne n’en connait la formule magique. Au surplus, il ne s’agit pas uniquement de fanatisme religieux mais d’un terreau culturel de valorisation de la violence. Je me souviens de Oum Khalsoum chantant au Caire en mai 1967 «Egorge» à une population extatique…

En revanche, je n’ai entendu aucune déclaration de haine à l’enterrement de la famille Bibas. Bibas, dans l’espagnol qui confond le b et le v, c’est «vivas», la vie. 

Lehaim[2]


Elisabeth Lévy : « Le Hamas, ce sont des gens qui font danser des enfants devant les dépouilles d’enfants »


[1] Retrouvez un grand entretien avec Michael Prazan dans le prochain numéro de notre magazine, mercredi prochain NDLR

[2] « à la vie », en hébreu

Comment je me suis trompé sur Donald Trump…

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Si en campagne ses discours ont séduit les conservateurs du monde entier, son caractère imprévisible et les premières intentions diplomatiques de son second mandat inquiètent…


Qu’on ne se réjouisse pas trop vite : mon amende honorable est partielle. Je ne regrette pas sa victoire écrasante face à la mauvaise candidate démocrate. Les démocrates, d’ailleurs, après cette déroute, ne parviennent pas à se relever. Donald Trump les a assommés et continue à les tétaniser.

Mon erreur tient à mes impressions initiales. Il m’avait semblé percevoir de la part du nouveau président, dans ses premières attitudes, une sorte de normalité, comme s’il avait accepté de se couler dans une posture un peu plus classique que dans le passé. Sa présence à Notre-Dame de Paris, après qu’il avait pourtant annoncé qu’il ne viendrait pas – revirement laissant espérer un retour du bon sens – et son comportement avant la cérémonie et lors de celle-ci m’avaient confirmé la réalité d’un Donald Trump plus apaisé, moins imprévisible.

Cette analyse était fondée sur la certitude que son retour triomphal à la Maison-Blanche n’avait pu que lui donner davantage confiance en lui-même et donc moins de désir de surprendre, de contredire, de provoquer. Cette presque normalité apparaissait comme la conséquence prévisible d’une psychologie rassurée.

Un pouvoir renforcé, des dérives inattendues

Or c’est exactement le contraire qui s’est produit. Le constat, qui était pertinent, a engendré en réalité, notamment sur le plan international, des effets que j’estimais inconcevables. Tout ce qui aurait dû être de nature à pacifier la personnalité de Donald Trump l’a, paradoxalement, dégradé en libérant des pulsions qu’il était contraint de limiter lors de son premier mandat.

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Le second mandat, par le pouvoir quasiment absolu qu’il lui a octroyé, avec l’influence à la fois plus délétère que bienfaisante d’un Elon Musk, permet au président de s’abandonner avec une volupté dévastatrice et déstabilisatrice, à son incoercible besoin d’accomplir le contraire de ce qu’on attend de lui. Empruntant des chemins aux antipodes du bon sens et de la loyauté internationale.


Le renversement des alliances, la partialité au bénéfice de Poutine au point de gommer sa responsabilité exclusive dans l’invasion de l’Ukraine, son mépris pour le président Zelensky encore plus admirable qu’avant dans cette séquence, son dédain à l’encontre de l’Union européenne, le bloc de narcissisme et d’entêtement qu’il demeure malgré la vaillance cherchant à être persuasive de notre président qui continue son sans-faute sur cette partie du monde, sont autant de signes à la fois géopolitiques et psychologiques que Donald Trump est en roue libre, en posture erratique.

Son succès présidentiel ne l’a pas normalisé mais l’a gonflé.

Défendant les intérêts américains avec un cynisme et une brutalité sans pareils, il préfère la complicité avec une Russie gravement coupable, dans un dialogue au sommet dont on espère qu’il ne sera pas réduit à tout concéder à l’envahisseur, plutôt que de tenir la ligne de son prédécesseur qui, trop moqué, avait raison sur ce plan.

L’Europe face au mépris de Trump : quel avenir ?

Faut-il se consoler en comptant sur un sursaut de l’Europe face à l’indifférence ou, pire, au mépris de Donald Trump ? Rien n’est sûr.

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La manière dont le président Trump prétend se camper non seulement en pacificateur mais en régulateur ou en agitateur pour le monde entier trouvera rapidement ses limites comme peu à peu, aux États-Unis, l’incroyable désordre engendré par Musk au prétexte d’éliminer les incompétents, les inutiles.

Je me suis trompé sur Donald Trump parce que j’ai supposé que la confiance du peuple américain le conduirait sur des chemins à la fois personnels et politiques moins singuliers, plus heureusement traditionnels. Elle l’a fait dériver encore davantage.

Et probablement n’est-ce pas fini.

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Quand James Bond vire sa cuti

Daniel Craig est-il un homosexuel convaincant, dans le nouveau film du réalisateur de Call me by your name? Le film de Luca Guadagnino navigue entre le kitsch outrancier et le trip sensoriel… mais franchement, mieux vaut lire le bouquin de William S. Burroughs


Adapter à l’écran un roman du pontife de l’underground américain William S. Burroughs (1914- 1997) n’est pas une entreprise de tout repos. Politiquement très incorrect, homosexuel et camé jusqu’à la moelle des os, l’auteur des Cités de la nuit écarlate ou de Nova express n’est pas à mettre dans n’importe quelles mains. La forme fragmentée, syntaxiquement rompue, hallucinée, fantasmagorique de la plupart de ses textes (mise en pratique à travers la technique du cut-up) défie la transposition à l’image, en tous cas dans une veine réaliste. En 1997, l’immense David Cronenberg s’était risqué à adapter Le Festin nu (The Naked Lunch) ; il en est résulté un chef d’œuvre absolu du septième art. En 2017, Bertrand Mandico, le réalisateur de Conann s’est, quant à lui, attaqué aux Garçons sauvages, qui n’est certes pas un roman facile d’accès. Le film pas davantage ; mais Mandico s’en est bien sorti.  

Des scènes explicites

Voilà qu’à son tour le transalpin Luca Guadagnino (cf. Call Me By Your Name, le long métrage qui a lancé Timothée Chalamet, puis Suspiria, et Challengers) se confronte à Burroughs, cette fois à partir d’un roman de « jeunesse » (enfin, tout est relatif) rédigé en 1952, laissé inachevé, « fond de tiroir » publié finalement en… 1985. Après Junky, c’était le deuxième livre de Burroughs. Il faudra attendre 1995 pour que le regretté Christian Bourgois en propose une traduction en français. La sortie du film Queer est l’occasion de sa réédition, sous les auspices de la maison d’édition éponyme. La facture de ce «  roman d’apprentissage » reste encore assez classique : narration linéaire, récit à la troisième personne – sauf dans l’épilogue… Bref, pas de quoi affoler un scénariste (Justin Kuritzkes, en l’espèce).

Le scénario, justement, nous transporte dans le Mexique des années 50, reconstitué dans les studios de Cineccitta de façon volontairement irréaliste, comme un décor urbain et paysager en carton-pâte.  William Lee, alter ego de l’écrivain (dans le rôle, un Daniel Craig en alpaga, gun au ceinturon, binoclard, mèche de cheveu plaquée sur le côté, mains baladeuses et faconde enjôleuse) traîne de zinc en zinc, parmi une faune de grosses tantes, un désœuvrement amer, dispendieux, qui plus est nourri de multiples addictions, dont celle, éventuellement rançonnée, qui le porte à lever les jeunes gens du cru, spontanément disponibles aux faveurs de ces oisifs expatriés yankees (par chance, dans le film, tous les latinos savent l’anglais). Mais le micheton héroïnomane sur le retour d’âge a décidément flashé sur Eugene, son compatriote en stage professionnel (activité qui lui laisse apparemment beaucoup de temps libre), un ravissant jeune homme, élégant, de surcroit agréablement galbé (Drew Starkey, cf. Outer Banks, sur Netflix ) – ce qui ne gâte pas sa photogénie. Lequel Eugene, quoiqu’un peu farouche et d’un naturel indépendant, ne tarde pas à céder aux avances de l’aîné. D’où quelques ébats « explicites », comme on dit. De fil en aiguille, Lee invite son charmant (et charmeur) escort à le suivre dans un périple exotique, direction la jungle équatoriale : « Tu n’auras rien à payer, juste être gentil avec moi, disons… deux fois par semaine ? »… L’idée étant (entre deux piquouzes du vieux toxico) de mettre la main sur une drogue, le yagé, sensée développer entre eux un pouvoir télépathique. Quoiqu’il en soit, après fellations généreusement  lactées (le drap servant de serviette éponge), le ci-devant 007 tringle vigoureusement son bel Eugene, qui y a pris goût – c’est déjà ça : on n’a pas tous les jours James Bond dans ses fesses.

Ridicule par instants

J’ai l’air de me moquer, mais avouons que, fondu dans le kitsch outré de l’improbable reconstitution se glisse, à un moment, l’étreinte chorégraphiée, ardente, sensuelle, capiteuse, de ces deux anatomies mâles, en transe sous l’effet de l’ayahuasca – et c’est, visuellement, une magnifique séquence. Saluons également la bande-son signée Trent Reznor et Atticus Ross, émaillée de titres de New Order, de Prince ou de Nirvana…  Luca Guadagnino ne résiste pas, dans une séquence onirique moins convaincante que celle évoquée plus haut, à transposer sur ses deux héros le célèbre épisode qui, bien réel, causa la mort accidentelle de Joan Vollmer, la femme de William S. Burroughs (la pauvre) : le colt de l’écrivain visait le verre que, par jeu, elle avait posé sur son crâne ; la balle s’est plantée dans le front ; le verre est tombé ; Joan aussi. Fallait-il à tout prix, dans le film, reporter sur les personnages de Lee et Eugene ce trauma, fondateur de l’écriture si particulière de Burroughs ? Un peu téléphoné, comme on dit. Enfin, dans le troisième et ultime « chapitre » du film, celui-ci distendu à l’excès, l’échappée de nos deux amis-amants dans l’antre tropical de la sorcière botaniste (Lesley Manville) dispensatrice de l’hallucinogène convoité, confine au ridicule par instants…

Et dire qu’en 2025, dans notre époque devenue si chatouilleuse pour ce qui tient à l’amour vénal, au fameux  « consentement » –  maître-mot de l’inquisition woke –  à la différence d’âge dans le rapport sexuel, et tout simplement au désir, tout ce petit monde de pervers polymorphes serait mis en examen vite fait ! L’univers Queer sex and drugs and rock and roll – n’est plus ce qu’il était, vraiment : c’est peut-être la leçon subliminale de ce film, plus consternant dans sa forme que dans ses intentions. Mon conseil, au sortir de la séance ? Filez acheter Queer, le roman. Rien de mieux qu’un retour aux sources.             

Queer. Film de Luca Guadagnino. Avec Daniel Craig, Drew Starkey…  Italie, Etats-Unis, couleur, 2024. Durée : 2h16

A lire: Queer, roman de William S. Burroughs. Editions Christian Bourgois, 2025.

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Amra-cadabra

Voir le visage souriant du criminel Mohamed Amra en une de tous les journaux et partout sur les télévisions a quelque chose de déplaisant, voire d’indécent.


On dirait un remake du retour de l’enfant prodigue. On en est quasiment à tuer le veau gras. Le veau médiatique en l’occurrence.

Une forêt de micros, de caméras, d’appareils photo, un escadron de motards de presse, une noria de bagnoles de chaînes radio-tv, bref l’effervescence qui accompagne d’ordinaire les déambulations programmées des rock stars ou d’altesses royales en visite d’État. Ne manque que le tapis rouge et l’escalier qui grimpe vers les sommets de la renommée.

Odieux sourire

Et surtout il y a ce sourire si complaisamment relayé, exposé. Grand format. Odieux sourire. Le sourire de la petite ordure qui triomphe, défie, provoque une fois encore. Et on en redemande, apparemment ! On lui tend le micro, on lui donne la parole. On s’inquiète de savoir comment il apprécie ce retour un rien forcé au pays, s’il est content d’y revenir. Il consent à répondre, bien sûr. Laconique, en star accomplie qu’un rien indisposerait.

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Le monde pourri de la drogue attendait son héros, l’indignité médiatique vient de le lui pondre tout chaud. Il s’appelle Amra. Avant trois ou quatre jours, de sa tronche et de son sourire indécent, dans les quartiers, les caves, les sous-sols, les parkings, ils feront des posters pour décorer leurs murs, comme il y eut ceux, en d’autres temps, du Che, le révolutionnaire sanguinaire prisé de la jeunesse des beaux quartiers. Amra-cadabra ! Vous êtes en mal d’idole ? Notre société confite en décadence vous en fabrique ! Elle vous en sort une du chapeau comme on en extirpe un lapin blanc ou une colombe idiote.

France détestée

L’arrestation de cet étron n’aurait dû générer que quelques lignes, et encore, exclusivement à la gloire des policiers dont le remarquable travail a permis la capture. Quant au transfèrement de Roumanie en France, voilà qui ne valait pas plus qu’un entrefilet pour signaler qu’il avait eu lieu. Mais non, on en fait l’événement du jour ! On mobilise, on claironne !

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Et pourquoi une telle gloire, pourquoi tant d’honneur ? Parce que l’évasion de cette ordure s’est faite dans le sang, parce qu’elle a été acquise au prix de l’assassinat, de l’exécution de sang-froid d’innocents abattus dans l’exercice de leur mission. Car c’est bien  cela, c’est bien le sang versé qui fait aujourd’hui la cote de ce type, qu’on n’aille pas nous raconter d’histoire ! L’évidence est là : évadé avec trois bouts de ficelle, il ne vaudrait pas plus de trois bouts de lignes en page quatre. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Ainsi fonctionne notre société malade, névrosée jusqu’à la moelle, infestée de la détestation d’elle-même, adonnée aux voluptés délétères de l’autoflagellation. Amra est un chef de guerre, la guerre que nous livre le narco-trafic. Il devrait être traité comme tel, en ennemi. Or l’abjecte ambiguïté du traitement médiatique qui lui est accordé fait qu’il l’est quasiment en héros. Dans le camp d’en face, on ne s’y trompe pas. On pavoise !

Et si, écœuré devant un tel spectacle, on en vient à changer de chaîne, on a toute chance ces jours-ci de tomber sur un décérébré de première qui ne craint pas de nous expliquer que, dans l’effroyable litanie des villages martyrs qu’on a eu à déplorer depuis les temps antédiluviens sous toutes les latitudes et toutes les civilisations, c’est bien sûr la France – la France honnie, détestée – qui aura été – elle et elle seule – l’inspiratrice de la barbarie nazie en ce domaine. Là, ce n’est pas en poster décoratif que le personnage mérite de terminer, mais au pavillon de Sèvres en mètre étalon de la bêtise humaine. Une bêtise noble, s’empresseront de faire valoir nos beaux esprits, puisque tout entière vouée au dénigrement, à la haine de la France. Cela vaut absolution, il est vrai.

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Un soir parmi d’autres dans un hôpital israélien

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Dr Lior B., pédiatre franco-israélienne, décrit avec émotion et sincérité une réalité souvent méconnue: celle d’une collaboration harmonieuse entre soignants juifs et arabes, au service de tous les enfants sans distinction.


Je  suis  Dr Lior B, pédiatre, Franco-israélienne. J’ai quitté ma France natale que j’aimais tant pour Israël il y a huit ans, alors que tout me souriait en France. Je l’ai quittée pour mes enfants car je sentais déjà gronder le tonnerre de l’antisémitisme, m’inquiétant déjà pour leur avenir en tant que Juifs. 

Alors j’ai dû plonger dans le grand bain de la société israélienne que je ne connaissais pas du tout mais que j’apprends à connaître et à aimer de jour en jour, tant j’y retrouve mes valeurs, chères à celle que je suis à savoir une femme, libre, et médecin. 

Alors j’ai pris goût, via des anecdotes de ma vie quotidienne, à dépeindre, vue de mon humble  lorgnette, cette société que l’on ne connait pas et pourtant que le tout un chacun se permet de juger sans vergogne.  

Ma dernière histoire en date du 23 février au soir

Je suis alors de garde jusque 23h dans un centre d’urgences pédiatriques dans le centre du pays.

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Se présente à moi une ado qui vomit non-stop depuis 24h, fatiguée et un peu déshydratée. En revanche, elle  est accompagnée d’une mère casse-tête du plus haut niveau, et ça aussi il faut savoir le gérer en pédiatrie  en plus de l’enfant malade. Bref je lui prescris un médicament anti vomitif et une perfusion pour la réhydrater. Toutes les trois minutes, la mère frappe à ma porte pour me dire que sa fille a tel et tel nouveau symptôme et est au bord du clapotage. Je vais quand-même vérifier l’état de l’enfant ayant toujours appris, en pédiatrie,  à faire confiance aux mères. Après avoir rassuré la mère, je réussis à l’envoyer chez l’infirmier Ahmed, de garde avec moi ce soir-là, pour recevoir son traitement. 

Au même moment, se présente un garçon de six ans, Assaf,  en vraie gêne respiratoire. Pour le coup, il est en réelle détresse respiratoire, c’est le genre d’enfant qui peut faire un arrêt respiratoire (puis un arrêt cardiaque…) en quelques secondes. Donc là, il faut agir très vite.  Je vais aussitôt chez Ahmed (l’infirmier) qui gère déjà l’enfant qui vomit. Je lui indique mes instructions de traitement pour le petit garçon dont l’état s’avère bien plus instable. Ahmed s’exécute directement et met en place le traitement dans la minute. Je lui demande aussi  de commander une ambulance pour le faire hospitaliser au plus vite et qu’il soit près d’une antenne de réanimation au cas où… 

Ambulance commandée .

Vomisseuse perfusée.

Rien à dire. 

Voilà le vrai Israël

Au bout de quinze minutes, on note une réelle amélioration de l’état respiratoire du petit Assaf. Et au bout d’une heure, ma vomisseuse a retrouvé le sourire et mange une banane.  Assaf nous quitte pour l’hôpital, son état est stabilisé. 

Je prépare la sortie de la jeune fille, arabe israélienne ; à la sortie, les parents me disent « merci Docteur, tu as été formidable ». Je les remercie du compliment,  sans prêter plus attention à la situation qui venait de se dérouler, car c’est somme toute une situation banale ici. Je me dis : « C’est bon, les enfants rentrent en bonne santé mais il faut se le dire, c’est grâce à Ahmed qui a été remarquable à gérer en même temps deux patients nécessitant des soins urgents, dans le calme et avec grand professionnalisme. » Je vais le voir et lui dis : « Merci Ahmed, tu as été formidable ! Tu as très bien géré la situation, c’est un vrai plaisir de travailler avec toi »

Lui : « Merci Lior, merci beaucoup. »

Une heure et demi à travailler main dans la main avec Ahmed, à savoir une médecin juive israélienne et  un infirmier arabe israélien, à nous occuper d’une enfant arabe israélienne et d’un enfant juif israélien. C’est la banalité en Israël… sachez-le.

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Et pour clôturer l’histoire, des parents arabes israéliens qui remercient la médecin juive et la médecin juive qui remercie son infirmier arabe. La boucle est bouclée. CQFD, voilà Israël n’en déplaise à ceux qui nous condamnent à longueur de journée. 

En quittant ma France pour Israël, je n’ai rien perdu de mon humanité. Tout au contraire, j’y ai découvert la tolérance, l’entraide, la solidarité ; surtout j’y apprends le courage de se battre pour ses valeurs. L’humble médecin que je suis pense précisément que ceux qui ont perdu leur humanité sont ceux qui n’arrivent plus à réagir et à hurler de colère et de douleur face à la barbarie qui frappe les Israéliens depuis le 7-Octobre, ceux qui n’arrivent pas à sortir du silence pour nous soutenir face à tant d’IN-humanité et d’actes barbares.

Être humain c’est savoir réagir et continuer le combat contre ceux qui pourrissent notre monde à coups d’attentats, de décapitations et de viols, ceux qui éventrent des femmes enceintes, nous prennent en otages – dont noss enfants qu’ils assassinent cruellement…  

Être humain, pour la pédiatre que je suis, c’est lorsqu’on apprend ce qu’ont vécu  Ariel, Kfir et Shiri Bibas, et que ne pouvant plus se taire,  on hurle de douleur et on laisse enfin exploser ses larmes. Être humain, c’est ne pas avoir peur d’être aux côtés de ceux qui combattent la barbarie, précisément comme nous autres Israéliens. 

Je suis le Dr Lior B, je suis pédiatre franco-israélienne et je suis fière des valeurs humanistes et du courage que m’inspirent les Israéliens dans mon quotidien.  Comme la majorité de mes compatriotes, je sais faire la part des choses, reconnaître qui sont les barbares, ceux avec qui jamais il ne faudra faire la paix car ils sont élevés dans la haine du Juif et resteront à jamais avides de notre sang, tout comme je sais m’occuper de TOUS les enfants, sans distinction ethnique, avec le même professionnalisme et la même empathie, et travailler main dans la main, avec reconnaissance envers ceux qui nous respectent, quelle que soit leur origine, et respectent notre droit à exister. Je suis pédiatre, franco-israélienne et je n’aspire qu’à la paix, mais pas à n’importe quel prix…

Elon Musk, vox populiste

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Elon Musk lors d’un meeting de Donald Trump au Madison Square Garden, New York, 27 octobre 2024 © AP Photo/Evan Vucci/SIPA

Le patron de X a fait de son combat pour la liberté d’expression un bras de fer politique en attaquant des gouvernements de gauche (Australie, Brésil, Angleterre) et l’Union européenne. Accusé de trafiquer l’algorithme de sa plateforme pour diffuser sa bonne parole, ce qui reste à prouver, il se livre surtout à un numéro d’ingérence.


« Un milliardaire arrogant », « un fieffé menteur », « le troll », le soutien d’« une internationale réactionnaire », « Fuck you ! ». Voici quelques commentaires qu’Elon Musk a inspirés respectivement à Anthony Albanese (le Premier ministre australien), Thierry Breton, Olaf Scholz, Emmanuel Macron et à la femme du président brésilien, Lula. Musk, lui, sur sa plateforme X, a qualifié les autorités australiennes de « fascistes d’extrême gauche », Alexandre de Moraes, le président du Tribunal suprême fédéral au Brésil, de « Dark Vador », Scholz d’« idiot incompétent » et Breton de « dictateur de l’Europe ».

Ces amabilités sont la conséquence de ce que le propriétaire de la plateforme X prétend être son grand combat pour la liberté d’expression. Les échanges prennent une forme aussi hyperbolique parce que, au milieu du charivari des réseaux sociaux, seuls ceux qui crient fort sont entendus et deviennent influents. Pour être « amplifié » par un algorithme, c’est-à-dire reposté suffisamment de fois pour devenir viral, un post politique doit souvent susciter un faisceau d’émotions fortes – indignation et mépris à l’égard d’un adversaire dénoncé, jouissance face à sa déconfiture imaginée… Il règne en ligne une concurrence féroce pour attirer l’attention générale. Si Musk défend la liberté d’expression sur son réseau, il montre par son insolence comment exploiter cette liberté. Ou plutôt, il semble vouloir exploiter cette liberté pour le compte des autres. Quand, le 6 novembre, il annonce la fin du règne des médias traditionnels en déclarant à ses plus de 214 millions d’abonnés, « Vous êtes les médias maintenant », en fait c’est lui, le gros poisson aux posts viraux, le richard capable de tenir tête aux grands de ce monde, le pote de Donald Trump, qui entraîne les autres, les petits, avec lui. Car son combat pour la liberté d’expression véhicule un combat politique. Au cours des dix dernières années, la liberté de parole est devenue la grande cause de la droite, face à la gauche qui promeut la cancel culture et accuse ses adversaires de répandre des fake news et des théories du complot. Ainsi, Musk se présente-t-il comme le défenseur des peuples occidentaux contre le poison idéologique de la gauche. À ce titre, il se permet des ingérences scandaleuses dans les affaires gouvernementales d’autres pays.

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Le glissement d’un combat vers l’autre commence en avril 2024, quand Musk entre en conflit simultanément et de manière acrimonieuse avec les autorités judiciaires du Brésil du socialiste Lula et le gouvernement travailliste en Australie. Les accusant de censure, il refuse leurs demandes de supprimer certains contenus et des comptes accusés de répandre la désinformation. Bien que le Brésil soit un des plus grands marchés de X, il justifie son intransigeance en déclarant que « les principes sont plus importants que les profits ». Hélas ! sa plateforme y étant interdite fin août, il capitule. En Australie en revanche, un tribunal donne raison à Musk qui, en septembre, y conspue un projet de loi contre la désinformation, et en novembre critique la nouvelle législation interdisant l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 16 ans.

Un combat pour la liberté d’expression ou un agenda politique ?

Mais c’est en août, après sa déclaration de soutien à Trump en juillet, que Musk passe à une vitesse supérieure en attaquant les autorités de l’Union européenne et du Royaume-Uni. L’UE n’est pas socialiste, mais aux yeux de Musk elle est une bureaucratie autoritaire gérée par une élite antipopuliste dont Thierry Breton, encore commissaire à l’époque, est l’archétype. Quand ce dernier, avant l’entretien avec Trump que Musk diffuse sur X le 12 août, le met en garde contre la possible « amplification de contenus toxiques », Musk l’accuse d’être antidémocratique. Le patron de X observe que les questions d’immigration et de multiculturalisme, qui tarabustent nombre d’électeurs occidentaux, sont refoulées dans le discours officiel des institutions et des politiques. La mission qu’il s’assigne, c’est de compenser ce refoulement en propulsant ces questions – et ceux qui les portent – sur le devant de la scène médiatique. Va-t-il jusqu’à utiliser, non seulement le langage hyperbolique, mais aussi la puissance des algorithmes ? C’est ce que suggèrent, à l’automne, une étude conduite par des chercheurs australiens[1] et deux autres publiées par le Washington Post et le Wall Street Journal. L’algorithme de X aurait été « tweaked » (« modifié ») pour booster le compte personnel de Musk et d’autres comptes diffusant des opinions comparables, surtout dans le contexte de l’élection américaine. Depuis décembre 2023, X est l’objet d’une enquête de la Commission pour des violations – surtout d’ordre commercial – du Règlement sur les services numériques (DSA). Cette enquête a été ensuite élargie afin de considérer de possibles « tweaks » commandés par Musk sur l’algorithme de X. L’UE s’intéresse donc non seulement à la modération des contenus ou au langage des posts, mais aussi à l’éventuelle promotion algorithmique de certains discours idéologiques. Qui n’est à ce jour pas prouvée.

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À ce stade, Musk n’occupe pas de fonction officielle, il peut donc dire ce qu’il veut sur qui il veut. Reste que ses prises de position tonitruantes sur la politique intérieure d’alliés de l’Amérique ont un petit parfum d’ingérence – elles paraissent avoir cessé après le 20 janvier, mais dès le 5 novembre, le patron de X était quasi ministre, ou au moins proche conseiller, du futur président américain : les bonnes manières diplomatiques auraient dû le pousser à s’abstenir. Avant Noël, il affiche son amitié avec Nigel Farage, le patron de Reform UK. Des rumeurs suggèrent qu’il va financer le parti par un don de 100 millions d’euros. Il est vrai qu’aux élections de 2014, Reform UK a obtenu 14,3 % des voix mais selon le système britannique, seulement 0,8 % des sièges aux Communes. Mais quand Farage tente de se dédiaboliser en prenant ses distances par rapport à l’activiste anti-islamiste sulfureux Tommy Robinson, Musk prend ses distances avec Farage. En janvier, Musk manifeste un enthousiasme plus durable pour le parti populiste allemand, l’AfD, en interviewant sa co-présidente, Alice Weidel, sur X. L’UE aurait mobilisé jusqu’à 150 spécialistes des règles du DSA et des algorithmes pour « fact-checker » l’opération. Musk est très critiqué par les parlementaires allemands et européens, mais il peut se targuer de contribuer à un rééquilibrage démocratique : selon une étude, l’AfD, donnée en deuxième position par les sondages pour les élections fédérales du 23 février, représenterait seulement 2,6 % des passages dans les émissions politiques sur les chaînes publiques en 2024[2].

Elon Musk apporte son soutien à l’AfD via vidéotransmission lors du lancement de la campagne électorale du parti, Halle (Saale), Allemagne, 25 janvier 2025 © Hendrik Schmidt/DPA/SIPA

L’ingérence britannique : un tournant décisif

Il est peu probable que le soutien de Musk à l’AfD change la donne électorale en Allemagne. En revanche, certaines de ses interventions ont clairement un impact politique au Royaume-Uni. Il faut revenir au mois d’août 2024, lorsque Musk entame une longue querelle avec le Premier ministre, Keir Starmer, et le Parti travailliste. Après la tuerie de Southport, le 29 juillet, où trois petites filles sont massacrées par un jeune homme, fils d’immigrés rwandais, les autorités divulguent très peu d’informations sur l’identité de l’assassin et son mobile, et affirment qu’il ne s’agit pas d’un acte terroriste. Ce silence radio doublé de déni alimente les spéculations en ligne prétendant que le tueur est un immigré clandestin et un terroriste musulman. Quand des émeutes violentes explosent dans certaines villes, Starmer rejette la faute sur des groupes d’extrême droite et dénonce des plateformes comme X, coupables selon lui de permettre la libre circulation de mensonges et de propos haineux. Tantôt furieux, tantôt moqueur, Musk réplique en accusant le travailliste de favoriser une communauté – celle des musulmans issus de l’immigration – aux dépens d’une autre, celle des Blancs et des non-musulmans. Le tout, pour préserver l’illusion de l’harmonie multiculturelle. Les déclarations de Musk sont un mélange d’hyperbole et de bon sens : « La guerre civile est inévitable, si des cultures incompatibles sont réunies ensemble sans assimilation. » Elles ne sont pas si éloignées des interventions de certains élus britanniques, comme Farage ou de la leader des conservateurs, Kemi Badenoch, sauf qu’elles ont beaucoup plus de portée.

Or, fin octobre, lors de la mise en accusation du suspect, les autorités révèlent qu’il possédait un manuel d’entraînement d’Al-Qaida et qu’il avait fabriqué une quantité d’un poison mortel, la ricine. En janvier, lors de son procès, le monde apprend que, non seulement, il avait un passé de violence et de démêlés avec la police, mais aussi qu’il avait été inscrit trois fois au programme officiel d’antiradicalisation. Bref, quel que fût son degré d’adhésion à l’idéologie islamiste, il s’agissait a minima d’une forme de terrorisme « d’atmosphère » que les autorités ont lamentablement échoué à prévenir. La dissimulation de ces informations pendant des mois conforte la thèse populiste diffusée par Musk selon laquelle les politiques mainstream ne sont pas dignes de la confiance publique.

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Un malheur ne vient jamais seul – pas plus qu’une opportunité pour Musk. En même temps que montait l’affaire de l’assassin de Southport, le scandale des « grooming gangs » revenait sur le devant de la scène. Aujourd’hui, tout le monde connaît l’histoire de ces hommes d’ascendance pakistanaise qui, pendant des années, ont pratiqué la pédocriminalité en prenant pour victimes des milliers de filles blanches. Jusqu’en 2011, l’omerta a régné sur le sujet, en partie pour préserver la paix sociale et l’illusion du multiculturalisme dans des villes gérées par des élus travaillistes. Après 2011, le scandale éclate, mais reste l’objet de tentatives médiatiques et politiques de contestation et de minimisation. En France, de nombreux journaux, dont Causeur, ont traité ce scandale. Mais sans doute avaient-ils moins d’écho que X.

Quel avenir pour Musk dans le paysage politique mondial ?

La chaîne GB News continue à enquêter. Le 1er janvier, elle révèle qu’en octobre, la ministre de la Protection des femmes et des enfants, Jess Phillips, a refusé la demande de la ville d’Oldham d’une enquête officielle sur les grooming gangs. Cette nouvelle arrive comme une bombe dans les médias britanniques et est immédiatement reprise par Musk qui affirme sur X que Starmer a été « complice » de l’omerta. Il somme le roi Charles de dissoudre son gouvernement, ce qui est impossible sur le plan constitutionnel. Goguenard, il demande à ses abonnés si l’Amérique ne devrait pas « libérer le peuple britannique ». Quant à Phillips, il la traite même d’« apologiste de génocide par viol ». Si l’emphase de Musk ne connaît pas de limites, c’est peut-être parce qu’il a un intérêt particulier pour le Royaume-Uni, certains de ses ancêtres étant anglais. Ainsi écrit-il que sa grand-mère, originaire de Liverpool, aurait pu être la victime des gangs si elle était née plus tard.

La pression sur le gouvernement travailliste devenant intolérable, il capitule en essayant de sauver l’honneur par un compromis. Le 16 janvier, la ministre de l’Intérieur annonce cinq enquêtes locales et un « audit » national sur les gangs. Le 21 janvier, Starmer est contraint d’annoncer une grande enquête sur la tuerie de Southport, qui doit être conduite « sans aucun égard pour des susceptibilités culturelles ». Le Premier ministre dispose d’une large majorité parlementaire, mais son image est désormais ternie et son autorité affaiblie par ces affaires. Les interventions intempestives de Musk, amplifiées sur les réseaux et abondamment commentées dans les médias traditionnels, y ont largement contribué.

Reste à savoir si son poste de conseiller auprès de Trump permettra à Musk de continuer à jouer ce rôle de trublion populiste mondial. Les différents gouvernements trouveront-ils le moyen de fermer X, ou seront-ils obligés par le droit démocratique à la liberté d’expression de tolérer des discours qu’ils détestent, autant sur le plan formel que sur celui de l’idéologie ? Si le rouleau compresseur Musk peut paraître monstrueux, il est parfaitement adapté aux conditions de notre époque. Si c’est un monstre, c’est notre monstre.


[1] T. Graham, M. Andrejevic, « A computational analysis of potential algorithmic bias on platform X during the 2024 US election » (document de travail), eprints.qut.edu.au.

[2] « Vergleich der Parteizugehörigkeit der Politiker in den politischen Talkshows von ARD und ZDF und dem Sitzanteil im Deutschen Bundestag im Jahr 2024 », de.statista.com.

Le champ des partisans

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Oupette, égérie du Salon de l'agriculture 2025 © Alain ROBERT/SIPA

Le Salon de l’agriculture, qui ferme ses portes dimanche, ne se réduit pas au charme pastoral et la promotion patrimoniale. C’est aussi le lieu d’intenses affrontements idéologiques entre les trois principaux syndicats de la profession:  la Coordination rurale, la Confédération paysanne et la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles).


Comme chaque année à la fin du mois de février, ce n’est pas Paris qu’on met en bouteille, mais la France qui se concentre dans un hangar. Toutes ses provinces réunies pour exposer les plus beaux spécimens de leur race bovine, de leurs vins capiteux, de leur fromage robuste, de leur pitance et de  leur mangeaille… Au rythme de la peña baiona et des paquitos, c’est aussi la beuverie annuelle des Franciliens et le passage obligé des hommes politiques dont le toucher irrévérencieux (à l’heure de #Metoo) sur les postérieurs des bestiaux se fait l’écho d’un temps où le roi thaumaturge nourricier investissait de sa magie l’imaginaire du peuple.

En 2024, la précédente édition du Salon avait été marquée par la contestation agricole dont l’acmé fut le fameux siège de Paris. Résultat, l’an dernier, la Coordination rurale a récolté la moisson de la colère paysanne et  fait une percée spectaculaire lors des élections consulaires en remportant la présidence de 13 chambres d’agriculture (contre 3 auparavant) sur les 94 que compte le pays, et en recueillant 29,25 % des suffrages à l’échelle nationale. Pour la première fois, la FNSEA qui était la force hégémonique depuis les années 1960, est passée sous les 50% (46.83%).

Née à la fin de 1991, dans un contexte de montée de l’opposition à la PAC (politique agricole commune), la Coordination rurale s’est forgé une réputation de syndicat «  de droite réactionnaire » prônant un programme simple : « Moins de normes, moins d’impôts, moins de contrôle… laissez-nous faire. »

« On n’est pas contre les normes mais il y a une limite à tout… »

Il faut dire que le ras-le-bol est général : « on n’est pas contre les normes mais il y a une limite à tout… », « des normes ici, pas de normes là bas… ». Des thèmes qui plaisent alors que les agriculteurs se sentent pris entre l’enclume de l’inflation normative et fiscale qui enchérit leur coût de production et le marteau du libre échange qui les soumet à une concurrence déloyale.

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Au cœur du salon, le stand de la Coordination rurale attire le regard en même temps que le chaland. Attroupement de bonnets jaunes qui prennent l’apéritif et se réunissent dans la bonne humeur et l’envie d’en découdre. Un folklore qui séduit tant les professionnels de la terre que les urbains habitués du salon. C’est ici, qu’a rendez-vous le député européen et ancien élu versaillais François-Xavier Bellamy. Difficile rencontre pour l’agrégé en milieu agrarien. La position majoritaire du PPE (Parti populaire européen), groupe parlementaire auquel il appartient à Starsbourg, dont les membres allemands de la CDU-CSU sont les ardents partisans de l’accord de libre-échange avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie), irritent les bonnets jaunes. « Il y a des clivages politiques au Parlement européen mais il y a aussi des clivages nationaux, se défend Bellamy. Les députés de certains groupes n’ont pas forcément les mêmes intérêts. Les partenaires (allemands) de Marine le Pen sont par exemple favorables au Mercosur car ils savent qu’ils pourront vendre leur production industrielle en Amérique latine » (le député faisant peu de cas de la rupture entre le RN et l’AfD au printemps dernier) mais essuie les questions acerbes des paysans : « comment pouvez-vous rester dans un groupe parlementaire pareil ? » « Je comprends le ressentiment du monde paysan… » nous confie l’élu.

Reconnaissable à son béret et ses deux mètres de musculature paysanne, le médiatique Pierre-Guillaume Mercadal, responsable de la Coordination rurale dans le Tarn-et-Garonne ne s’étonne pas du succès de son organisation : « Il y a 8 tentatives de suicide tous les jours. Un mort toutes les 36 heures. 2 ou 3 fermes qui disparaissent tous les jours. Vous rajoutez à cela les accords de libre-échange et le statut d’invité d’honneur du Maroc qui est le premier concurrent de la France en matière agricole et la coupe est pleine ». Le dégagisme est assumé : « Nous ne croyons plus dans les beaux discours de la FNSEA et d’Emmanuel Macron. Les positions de Bellamy ne sont pas les nôtres. On se bat pour la souveraineté alimentaire de la France ». Un discours radical mais qui se traduit par une progression fulgurante. Dans la fédération que dirige Mercadal, la Coordination rurale est passée de 16 à 38 % aux dernières élections. Les témoignages récoltés dans les allées du salon offrent en effet un écho puissant aux tensions du monde agricole. Le responsable de la Coordination rurale pour le très maraicher département des Pyrénées-Orientales, Philippe Maydat déplore « la désertification de son département », conséquence d’une politique écologiste qui en voulant protéger le débit des fleuves, entrave le renouvellement naturel de l’eau. « On met en cause les agriculteurs qui pompent les nappes alors que c’est tout l’inverse. » Exemple type du leitmotiv de la coordination rurale : laissez faire les agriculteurs ! L’environnement, ils connaissent cela mieux que les gens des villes. Refus d’une modernisation mal comprise, d’une concentration capitaliste des unités d’exploitation qui abolirait la ferme artisanale et paysanne, alimentée par une fuite en avant normative et technocratique à laquelle seuls pourraient s’adapter les grands groupes… Le Granvillais Jean-Vincent Chantreau, secrétaire général de l’UFPA (Union française des pêcheurs artisans), partenaire de la Coordination rurale, dénonce le rachat de l’armement français par des capitaux néerlandais, comme le grignotage des zones de pêche françaises par nos voisins insulaires : « les Anglais nous emmerdent ».

La gauche José Bové en perte de vitesse

Tous aimeraient une agriculture moins encadrée, davantage tournée vers la consommation domestique, une politique protectionniste qui mette à l’abri les petites exploitations de la concurrence déloyale des grandes fermes du monde. Tous sont aussi lassés du monopole de la FNSEA, syndicat majoritaire et hégémonique depuis la grande réforme de l’agriculture française après-guerre : « Je suis à la Coordination rurale à cause de l’incompétence de la FNSEA. C’est un syndicat qui travaille pour ses propres intérêts. Il contrôle l’attribution des terres, les reprises d’exploitations dont il peut simplifier les démarches par rapport à d’autres ». Un discours clair, une communication efficace, des thèmes porteurs et portés par une critique générale de la mondialisation et de la bureaucratie… Comment s’étonner du succès de l’organisation. 

José Bové détruisant le McDo de Millau, les vocations paysannes d’étudiants maoïstes dans le Larzac, les RMIstes du soleil, le forum social, les fauchages d’OGM… l’agitprop paysanne était encore depuis les années 2000 le bastion de la gauche. La communication paysanne a opéré un virage surprenant vers la droite, réinventant son discours par des actions et des coups de com’ et un symbole ; les fameux « bonnets jaunes » – un savant mélange de gilets jaunes et de bonnets rouges. Symptôme d’un soixante-huitard à l’envers, le paysan d’avant-garde ne se bat plus contre le bétonnage du Larzac mais exhibe sur les réseaux sociaux sa bande de gaillards au nez rouge grillant de la bidoche avec un béret sur la tête à l’image du compte instagram « le Grand Gaulois » ou de la chaine de restauration Le Gueuleton.

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La Confédération paysanne, syndicat historique de la gauche agricole, qui défend une agriculture paysanne, de petite exploitation conjuguée à la protection de l’environnement, semble avoir renoncé aux coups de communication de l’ère Bové. Si le syndicat a maintenu ses positions (avec un habituel 20% des suffrages) conservant la direction de trois chambres régionales, il n’a pas réussi à capter la colère du monde paysan alors qu’il défend aussi un protectionnisme raisonné et bénéficie d’une certaine légitimité historique. Sa secrétaire générale Véronique Marchesseau assume une approche plus « complexe » et laisse les modes d’action « énervés » aux bonnets jaunes. La Confédération paysanne travaille en réseau avec des associations comme Terres de Lien qui lutte contre la déprise agricole et encourage les vocations. L’organisation recrute des étudiants en histoire ou en sciences sociales qui rêvent d’élever des chèvres ou de renouer avec le plaisir des choses simples. Sa défense de l’élevage et de la complémentarité entre homme et animal, son inquiétude concernant le retour du loup, l’éloignent des nouvelles gauches animalistes : « Il y a une déconnexion des populations urbaines avec le monde agricole » confesse la secrétaire générale par ailleurs éleveuse de vaches allaitantes dans le Morbihan.

Le tripartisme connu en politique depuis les législatives de 2022, le monde agricole la connaît depuis plusieurs décennies dans les chambres de commerce. Les uns et les autres ont dû apprendre à se supporter et les choses se passent généralement mieux qu’à l’Assemblée : en fonction des thèmes, les syndicats trouvent parfois des points d’accord et les représentants admettent parfois être bons copains à la ville comme dans les champs.

Vent de panique dans le syndicat de la startup nation

Ni ZAD, ni banquet gaulois, le stand de la FNSEA a, lui, des airs de hall de startup. Nous sommes reçus avec un verre d’eau citronné (dernier contact de la journée avec des molécules non-alcooliques). Arnaud Rousseau, le président, se fait attendre des journalistes. Il descend enfin, pose pour les photographes et remonte. Nous aurons droit finalement à son numéro deux, Luc Smessaert.

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Côté FNSEA, si l’on est sonnés par le recul électoral, on temporise : « la percée s’observe plutôt dans le sud-ouest. Là où la viande et le lait se portent bien comme en Normandie ou en Bretagne, la progression est retenue. C’est donc un effet de la crise. Après la contestation de 2023 on s’attendait au dégagisme. Ce qu’on a obtenu de la part du gouvernement n’était pas suffisant. Sur le fond, il y a de nombreux points d’accord. Simplement ils gueulent plus fort. » Un effet de conjoncture et une prime à la gouaille donc. Pourtant la FNSEA est accusée par ses concurrents de « cogérer » l’agriculture française, un terme qu’il réfute totalement, revendiquant un syndicalisme pragmatique et constructif : « Dans ces périodes, un syndicalisme de proposition peut passer pour un syndicalisme de cogestion. » Ambiance feutrée, discours pragmatique, approche constructive… la tête de l’organisation a tendance à singer les codes de politesse politique urbains. La base de la FNSEA est en revanche nettement plus offensive : c’est elle qui a initié le mouvement des pancartes retournées puis la fronde de début 2024. Sur le terrain, elle ferraille pour ne pas laisser à la Coordination rurale l’hégémonie de la contestation et de la culture du ras-le-bol. Un peu comme l’Eglise d’Ancien Régime (autre grand propriétaire foncier), le syndicat est partagé entre un haut clergé bien en cour et un bas clergé qui court après la contestation.

Des agriculteurs manifestent près de Chilly-Mazarin, le 31 janvier 2024 © Christophe Ena/AP/SIPA

Ces derniers ne sont jamais loin. Le jour de l’ouverture du Salon, le 22 février, certrains bonnets jaunes ont essayé de se rendre sur le stand de la FNSEA. Un cordon policier s’est alors interposé pour éviter, avec succès, les échauffourées. Depuis, aucun incident n’a été signalé. Cette année, 3 000 CRS étaient dépêchés, contre 1 000 l’an passé. Parmi eux, un agent, nous confie sans détour : « La FNSEA, ce sont des petites couilles. Ils sont cul et chemise avec le gouvernement. Le Mercosur coule la France ».

Le hall 4 qui accueille entreprises et syndicats n’est pas le plus couru. Autre ambiance au Hall 5, les Parisiens peuvent chaque année faire un tour de France éthylique et gustatif en jouant du coude pour se baffrer de Saint-Jacques cuites à la braise, de souris d’agneau et d’huitres de Cancale. Deux salles, deux ambiances mais un même constat : ce grand théâtre du Salon dans sa partie ludique comme dans sa partie institutionnelle révèle une France lassée de la froideur mondialisée et dont le terroir offre un dernier remède à l’oubli. C’est dans le vacarme des pancartes et le folklore des stands que la nation réaffirme, avec un certain sens de la mise en scène, sa nostalgie paysanne – où chaque bœuf, chaque fromage, chaque révolte, chaque coup de gueule, chaque jacquerie paysanne, chaque gouaille et chaque apéritif devient la dernière rébellion d’un imaginaire qui refuse de mourir.

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Causons ! Le podcast de Causeur

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Conférence de presse de François Bayrou, aux côtés de Bruno Retailleau (au centre) et de Jean-Noël Barrot (à gauche) suite au comité interministériel du contrôle de l'immigration, Paris, 26 février 2025 © Jacques Witt/SIPA

Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, vient d’annoncer des mesures prises par le gouvernement français pour sanctionner le régime algérien. Les membres de la nomenklatura de ce pays ne jouiront plus de facilités dans l’obtention de visas pour voyager en France. L’Algérie a réagi en dénonçant les « provocations », « intimidations » et « menaces » dont elle ferait l’objet de la part du gouvernement français. Mercredi après-midi, M. Barrot a proposé aux autres États-membres de l’UE de punir, en réduisant les délivrances de visas, tous les pays tiers qui refusent de reprendre leurs citoyens expulsés. En revanche, les pays tiers qui coopèrent avec les États-membres de l’UE se verraient récompensés par des baisses de droits de douane. La France peut-elle espérer résoudre ainsi ses problèmes avec l’Algérie en créant un front uni en Europe ? Il est permis d’en douter quand on voit que le gouvernement français lui-même n’est pas uni sur cette question. La France va-t-elle enfin engager un vrai bras de fer avec le régime de Tebboune ? Malheureusement, nos politiques vont rarement jusqu’au bout de leurs raisonnements. Il faudra que la France se fasse encore humilier, que d’autres citoyens se fassent assassiner par des criminels sous OQTF, avant qu’on ne voie une véritable révolte contre le récit, imposé par les Algériens, d’une France coupable de crimes coloniaux.

Sous l’impulsion de Donald Trump, les Européens commencent à se préoccuper sérieusement de leur propre défense. Contrairement à l’interprétation dominante dans les médias « mainstream », il n’est pas encore certain que les Américains abandonnent à la fois l’OTAN et l’Europe. Il est toujours possible que Trump ne cherche qu’à pousser ses alliés à endosser enfin une plus grande part de responsabilité – à devenir de véritables partenaires, plutôt que des dépendants.

Selon le dernier baromètre d’opinion Ifop-Fiduciaire, celui qui se trouve en tête du classement des personnalités politiques préférées des Français serait Dominique de Villepin. Nos intervenants tentent de trouver une explication rationnelle à ce phénomène qui dépasse l’entendement.

Vatican / migrants: grand cœur mais pas trop

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© Vatican Mediai/SIPA

Si François enjoint les nations du monde entier à accueillir les migrants sans compter, l’État qu’il dirige ne donne pas franchement le bon exemple


Comment dit-on « gauche caviar » dans la langue de Dante ? En Italie, il existe une expression pour désigner les bonnes âmes qui donnent des leçons d’ouverture et d’humanité à la terre entière tout en restant bien protégées dans leur ghetto doré : le « parti ZTL », en référence aux zones à circulation limitée (Zona a traffico limitato), c’est-à-dire les centres historiques des grandes villes où vivent les classes aisées votant souvent à gauche.

À Rome, l’une des ZTL les plus fameuses est la Cité du Vatican. D’une surface d’environ 500 hectares, c’est le plus petit État au monde, le moins peuplé (avec 500 habitants environ et 4 500 travailleurs étrangers), mais aussi le plus inégalitaire de la zone euro (son indice de Gini s’élevant à 0,35). Dans un décret du 19 décembre 2024, il vient de renforcer sa législation antimigrants.

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Désormais « quiconque entre sur le territoire de l’État de la Cité du Vatican par violence, menace ou tromperie » encourt un à quatre ans de prison, 10 000 à 25 000 euros d’amende ainsi qu’une interdiction d’entrée pour une période de dix ans. Peu de pays européens possèdent des règles aussi répressives en la matière… On ne manquera pas de remarquer que celles-ci sont en totale contradiction avec les beaux discours du chef d’État local, le pape François, qui depuis son élection en 2013, ne cesse d’appeler ses homologues à accueillir davantage de sans-papiers chez eux et ne manque jamais de rudoyer les Occidentaux xénophobes. Rappelons que le souverain pontife a si peu de respect pour le principe – pourtant souverain – de frontières nationales qu’en 2023, il déclarait, avant de se rendre dans la cité phocéenne : « J’irai à Marseille, mais pas en France. » Que dirait-il si un immigré clandestin affirmait, au moment de rentrer dans la basilique Saint-Pierre, qu’il se trouve certes à Rome, mais pas au Vatican ? En attendant, pas sûr que les gardes suisses soient sensibles à cet argument venu d’en haut.

Révolution anti-woke: les fausses pudeurs de la French Tech

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Le président français Emmanuel Macron prononce un discours lors d'un événement de clôture de la première journée du Sommet d'action sur l'intelligence artificielle, au Grand Palais, à Paris, le 10 février © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Officiellement, le milieu des start-up françaises est progressiste. Officieusement, la bien-pensance en agace plus d’un. Et beaucoup pensent que le libéralisme trumpiste est vital pour le secteur.


« On est à côté de la plaque. On est toujours des communistes et les USA rentrent dans l’ultralibéralisme. » La lassitude de ce grand nom de l’innovation qui a investi dans des dizaines d’entreprises en France est palpable.

« C’est la révolution aux États-Unis, tandis qu’en France on est perclus dans l’Ancien Régime. Faire des marges est devenu très difficile. Parler librement, je peux encore, mais pas dans la presse, pas sur un podcast. J’ai gagné des millions, mais je reste un mâle blanc », enchaîne un autre « business angel » qui, moins par fascination pour l’homme politique que par instinct d’entrepreneur sentant le vent tourner, a repoussé sa décision de quitter le monde des affaires au moment de la victoire de Trump.

Officiellement, la French Tech est plutôt « progressiste », ouverte aux « minorités visibles », sensible aux « inégalités de genre » et convaincue que l’horizon économique hexagonal doit épouser les frontières de l’Union européenne. Sur LinkedIn France, on ne compte plus les classements d’« entrepreneur.e.s noir.e.s » ayant fait de « belles levées de fonds », ou encore de clubs d’investissement exclusivement réservés aux femmes appelant à encourager ces dernières « traînant aux pieds les boulets d’une société patriarcale et non inclusive ». Sur ce réseau mettant en relation les professionnels entre eux, l’élection de Trump a été perçue comme un « recul », un « drame » et le ralliement de Zuckerberg comme un geste « opportuniste », forcément « motivé par une personnalité torturée ».

Tout aussi officiellement (les chiffres sont publics), le financement des start-ups tricolores dépend en très large partie (aux alentours de 40 %) de fonds américains, mais aussi des aides de l’État (notamment à travers les prêts et les dons de la BPI). Un horizon économique qui se situe désormais au carrefour de deux idéologies opposées.

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Officieusement, la « start-up nation » déborde du cadre bâti par Emmanuel Macron. La bien-pensance agace, au moins autant que l’absence de patriotisme économique du président français. « Pourquoi Space X a réussi ? Parce que le gouvernement fédéral a commandé des fusées à Elon Musk », explique Thomas Fauré, l’un des rares entrepreneurs de la tech française à avoir le courage de s’exprimer à contre-courant de l’idéologie LinkedIn.

C’est ce milieu, largement dominé par une sociologie parisienne formée au sein des écoles de commerce, qui est aujourd’hui en passe d’être torpillé par un changement de régime politique et économique aussi radical que fulgurant. Est-ce en Seine-Saint-Denis, Californie rêvée par Emmanuel Macron, que les financiers de l’innovation française chercheront à rebâtir les rêves de la Silicon Valley ? Imposeront-ils les déterminants décomplexés de la révolution trumpienne aux entreprises françaises dont ils détiennent les capitaux ? La France est-elle en passe de devenir un champ de bataille extérieur entre ces gagnants et perdants aux visions opposées ?

Pour que la torpille américaine percute aussi la French Tech, il faudra d’abord un nouveau pouvoir à l’Élysée. Et les relais à qui la French Tech prête des accointances avec la mouvance trumpiste sont de plus en plus nombreux sur la scène politique française : Éric Zemmour, Sarah Knafo, Jordan Bardella, Éric Ciotti, David Lisnard… « Je pense que ce qu’il se passe aux États-Unis finira par arriver en France », conclut Thomas Fauré.

La famille Bibas et le quatrième cercueil

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Tel Aviv, Israël © Philippe Magoni/SIPA

Le souvenir de la famille Bibas hantera longtemps Israël.


Dernière minute. Le Hamas a restitué dans la nuit de mercredi à jeudi quatre nouveaux corps d’otages, en échange de plus de 600 prisonniers palestiniens, dont le Franco-Israélien Ohad Yahalomi (âgé de 49 ans lors de son rapt le 7-Octobre). Le président Macron a dit partager « la douleur immense » de la famille •

L’enterrement de la famille Bibas a uni un pays dans l’émotion. Des milliers d’Israéliens s’alignaient  sur la route du cortège entre Tel-Aviv et le cimetière de Nir Oz où Shiri, Ariel et Kfir furent enterrés dans le même cercueil. Ils seront physiquement unis et pour  tous ceux qui gardent  l’image de Shiri enserrant ses deux enfants dans ses bras au moment de son enlèvement, il ne saurait en être autrement. Le terroriste du Hamas qui a filmé la scène, comme le soldat nazi qui a photographié le petit garçon du ghetto de Varsovie, ont signé  eux-mêmes la condamnation la plus explicite de leur idéologie barbare.

Dans un discours d’une déchirante simplicité, Yarden Bibas s’est accusé de n’avoir pas su les sauver et a supplié son épouse de le protéger de lui-même:  תשמרי עליי מפני עצמי (tichmeri al mipnei atzmi) Il a imaginé que ses deux fils «gingy», les deux rouquins, que l’on voit  toujours rieurs sur les vidéos familiales, s’amusaient avec les anges, là-haut au-dessus des nuages…

Il ne fait pas de doute que le souvenir de la famille Bibas va hanter la mémoire d’Israël.

Le monde a oublié l’assassinat de sang-froid, à Itamar, de la famille Fogel, le père, la mère et leurs trois enfants, en 2011. Il s’agissait d’une implantation, cela a favorisé l’oubli. Les auteurs de ce crime horrible, les frères Awad, n’ont pas encore été libérés. Qu’en sera-t-il plus tard? Je pense qu’Israël est suffisamment fort pour libérer même des criminels pareils, si cela peut sauver des otages. Mais  malheureusement, je pense  aussi que, eux ou d’autres, les candidats ne manquent pas, attirés par le martyre et les récompenses qui vont avec. Nous les avons vus, enthousiastes et souvent très jeunes, lors des exhibitions d’otages par le Hamas.

C’est le résultat du martèlement idéologique exercé  sur des enfants depuis plusieurs générations par les organisations terroristes sous le regard complaisant de l’UNWRA. Tant que les effets de ce martèlement n’auront pas été éradiqués, Israël ne pourra laisser aux Palestiniens une  capacité de nuisance.

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Il y a eu en Israël des personnalités admirables qui ont œuvré à l’entente israélo-palestinienne. L’un d’entre eux s’appelait Oded Lifshitz, du même kibboutz Nir Oz que la famille Bibas.

C’est le quatrième cercueil du 20 février 2025.

Il avait 83 ans. Vétéran des guerres d’Israël il était de ceux qui faisaient le plus pour les Gazaouis. Cette proximité, le kibboutz l’a peut-être payée  cher, car les terroristes en connaissaient  les recoins. A l’enterrement de son mari, Yocheved Lifshitz a déclaré: « Nous avons combattu toute notre vie pour la justice et pour la paix. A ma grande tristesse, nous avons été frappés par ceux que nous avions aidés ». 

S’il y avait des Juifs israéliens qui soutenaient la Palestine, c’étaient les habitants de Nir Oz.

Les quatre cercueils nous le confirment: pour les Frères Musulmans – et le Hamas, ce sont les Frères Musulmans -, il n’y a pas de place pour des Juifs sur cette terre et pour certains d’entre eux, il  n’y a pas de place pour les Juifs sur la terre tout entière, article 7 de la charte. Les Juifs en diaspora  se demandent  qui dans leurs relations va lutter contre cette conception du monde et qui va s’en accommoder sous prétexte «qu’il faut comprendre le contexte».

Je me rappelle ce mot de «contexte» auquel se référait Charles Enderlin quand, poussé dans ses retranchements par les contradictions factuelles, il accusait Tsahal d’avoir assassiné l’enfant Mohamed al-Dura, une affaire dramatique par ses conséquences datant d’il y a plus de vingt ans. Toutes les expertises indépendantes ont montré que c’était un mensonge mais Enderlin fut exonéré de sa diffamation pour de simples questions de procédure. Ce montage a malheureusement forgé une image du soldat israélien tueur d’enfants qui s’est élargie au-delà des seuls faussaires du Hamas et dont, une génération plus tard, on perçoit les relents sous forme de crime rituel contemporain.

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C’est cette diffamation que réalimente le petit Palestinien au keffieh dans la crèche. Il faut le dire et le redire, les enfants palestiniens morts sous les bombes israéliennes sont les victimes d’une guerre que le Hamas a voulue, dont il est fier et dans laquelle il a utilisé sa population comme un instrument de propagande. Les enfants Bibas, eux, ont été tués par préméditation et à mains nues, l’enquête médico-légale, dont les résultats détaillés ont certainement été adressés dans les services correspondants étrangers est formelle. Il est techniquement élémentaire de distinguer les effets d’un bombardement et ceux d’un étranglement, et finalement l’absence de controverse sur les conclusions de l’autopsie, en dehors de l’inénarrable Rima Hassan et de ses misérables complotistes associés, en dit long sur la réalité de ce crime impardonnable, même s’il ne faut pas croire que l’hypothèse mensongère d’un bombardement israélien ne sera pas reprise un jour ou l’autre.

Seuls les nazis ont justifié leurs crimes comme les tueurs et les imams du Hamas ont osé le faire, et encore ne s’en sont-ils pas vanté à l’extérieur. 

Quiconque ne voit pas la différence entre le comportement des Israéliens, même si celui-ci ne relève pas tout le temps, malheureusement, d’un humanisme sans faille, et celui des organisations terroristes palestiniennes, est gangrené par la confusion morale.

Il ne faut pas rêver: les effets de l’endoctrinement religieux puissant et continu du Hamas dès l’enfance, dont Michael Prazan[1] montre dans son livre d’accablants exemples, ne disparaitront pas d’un revers de main ou d’une signature sur un morceau de papier : on devrait savoir aujourd’hui comme la déradicalisation est un processus incertain. Elle mettrait au mieux de longues années et personne n’en connait la formule magique. Au surplus, il ne s’agit pas uniquement de fanatisme religieux mais d’un terreau culturel de valorisation de la violence. Je me souviens de Oum Khalsoum chantant au Caire en mai 1967 «Egorge» à une population extatique…

En revanche, je n’ai entendu aucune déclaration de haine à l’enterrement de la famille Bibas. Bibas, dans l’espagnol qui confond le b et le v, c’est «vivas», la vie. 

Lehaim[2]


Elisabeth Lévy : « Le Hamas, ce sont des gens qui font danser des enfants devant les dépouilles d’enfants »


[1] Retrouvez un grand entretien avec Michael Prazan dans le prochain numéro de notre magazine, mercredi prochain NDLR

[2] « à la vie », en hébreu

Comment je me suis trompé sur Donald Trump…

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Trump préside une réunion à la Maison Blanche, le 26 février 2025 © CNP/NEWSCOM/SIPA

Si en campagne ses discours ont séduit les conservateurs du monde entier, son caractère imprévisible et les premières intentions diplomatiques de son second mandat inquiètent…


Qu’on ne se réjouisse pas trop vite : mon amende honorable est partielle. Je ne regrette pas sa victoire écrasante face à la mauvaise candidate démocrate. Les démocrates, d’ailleurs, après cette déroute, ne parviennent pas à se relever. Donald Trump les a assommés et continue à les tétaniser.

Mon erreur tient à mes impressions initiales. Il m’avait semblé percevoir de la part du nouveau président, dans ses premières attitudes, une sorte de normalité, comme s’il avait accepté de se couler dans une posture un peu plus classique que dans le passé. Sa présence à Notre-Dame de Paris, après qu’il avait pourtant annoncé qu’il ne viendrait pas – revirement laissant espérer un retour du bon sens – et son comportement avant la cérémonie et lors de celle-ci m’avaient confirmé la réalité d’un Donald Trump plus apaisé, moins imprévisible.

Cette analyse était fondée sur la certitude que son retour triomphal à la Maison-Blanche n’avait pu que lui donner davantage confiance en lui-même et donc moins de désir de surprendre, de contredire, de provoquer. Cette presque normalité apparaissait comme la conséquence prévisible d’une psychologie rassurée.

Un pouvoir renforcé, des dérives inattendues

Or c’est exactement le contraire qui s’est produit. Le constat, qui était pertinent, a engendré en réalité, notamment sur le plan international, des effets que j’estimais inconcevables. Tout ce qui aurait dû être de nature à pacifier la personnalité de Donald Trump l’a, paradoxalement, dégradé en libérant des pulsions qu’il était contraint de limiter lors de son premier mandat.

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Le second mandat, par le pouvoir quasiment absolu qu’il lui a octroyé, avec l’influence à la fois plus délétère que bienfaisante d’un Elon Musk, permet au président de s’abandonner avec une volupté dévastatrice et déstabilisatrice, à son incoercible besoin d’accomplir le contraire de ce qu’on attend de lui. Empruntant des chemins aux antipodes du bon sens et de la loyauté internationale.


Le renversement des alliances, la partialité au bénéfice de Poutine au point de gommer sa responsabilité exclusive dans l’invasion de l’Ukraine, son mépris pour le président Zelensky encore plus admirable qu’avant dans cette séquence, son dédain à l’encontre de l’Union européenne, le bloc de narcissisme et d’entêtement qu’il demeure malgré la vaillance cherchant à être persuasive de notre président qui continue son sans-faute sur cette partie du monde, sont autant de signes à la fois géopolitiques et psychologiques que Donald Trump est en roue libre, en posture erratique.

Son succès présidentiel ne l’a pas normalisé mais l’a gonflé.

Défendant les intérêts américains avec un cynisme et une brutalité sans pareils, il préfère la complicité avec une Russie gravement coupable, dans un dialogue au sommet dont on espère qu’il ne sera pas réduit à tout concéder à l’envahisseur, plutôt que de tenir la ligne de son prédécesseur qui, trop moqué, avait raison sur ce plan.

L’Europe face au mépris de Trump : quel avenir ?

Faut-il se consoler en comptant sur un sursaut de l’Europe face à l’indifférence ou, pire, au mépris de Donald Trump ? Rien n’est sûr.

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La manière dont le président Trump prétend se camper non seulement en pacificateur mais en régulateur ou en agitateur pour le monde entier trouvera rapidement ses limites comme peu à peu, aux États-Unis, l’incroyable désordre engendré par Musk au prétexte d’éliminer les incompétents, les inutiles.

Je me suis trompé sur Donald Trump parce que j’ai supposé que la confiance du peuple américain le conduirait sur des chemins à la fois personnels et politiques moins singuliers, plus heureusement traditionnels. Elle l’a fait dériver encore davantage.

Et probablement n’est-ce pas fini.

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Quand James Bond vire sa cuti

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© Pan distribution

Daniel Craig est-il un homosexuel convaincant, dans le nouveau film du réalisateur de Call me by your name? Le film de Luca Guadagnino navigue entre le kitsch outrancier et le trip sensoriel… mais franchement, mieux vaut lire le bouquin de William S. Burroughs


Adapter à l’écran un roman du pontife de l’underground américain William S. Burroughs (1914- 1997) n’est pas une entreprise de tout repos. Politiquement très incorrect, homosexuel et camé jusqu’à la moelle des os, l’auteur des Cités de la nuit écarlate ou de Nova express n’est pas à mettre dans n’importe quelles mains. La forme fragmentée, syntaxiquement rompue, hallucinée, fantasmagorique de la plupart de ses textes (mise en pratique à travers la technique du cut-up) défie la transposition à l’image, en tous cas dans une veine réaliste. En 1997, l’immense David Cronenberg s’était risqué à adapter Le Festin nu (The Naked Lunch) ; il en est résulté un chef d’œuvre absolu du septième art. En 2017, Bertrand Mandico, le réalisateur de Conann s’est, quant à lui, attaqué aux Garçons sauvages, qui n’est certes pas un roman facile d’accès. Le film pas davantage ; mais Mandico s’en est bien sorti.  

Des scènes explicites

Voilà qu’à son tour le transalpin Luca Guadagnino (cf. Call Me By Your Name, le long métrage qui a lancé Timothée Chalamet, puis Suspiria, et Challengers) se confronte à Burroughs, cette fois à partir d’un roman de « jeunesse » (enfin, tout est relatif) rédigé en 1952, laissé inachevé, « fond de tiroir » publié finalement en… 1985. Après Junky, c’était le deuxième livre de Burroughs. Il faudra attendre 1995 pour que le regretté Christian Bourgois en propose une traduction en français. La sortie du film Queer est l’occasion de sa réédition, sous les auspices de la maison d’édition éponyme. La facture de ce «  roman d’apprentissage » reste encore assez classique : narration linéaire, récit à la troisième personne – sauf dans l’épilogue… Bref, pas de quoi affoler un scénariste (Justin Kuritzkes, en l’espèce).

Le scénario, justement, nous transporte dans le Mexique des années 50, reconstitué dans les studios de Cineccitta de façon volontairement irréaliste, comme un décor urbain et paysager en carton-pâte.  William Lee, alter ego de l’écrivain (dans le rôle, un Daniel Craig en alpaga, gun au ceinturon, binoclard, mèche de cheveu plaquée sur le côté, mains baladeuses et faconde enjôleuse) traîne de zinc en zinc, parmi une faune de grosses tantes, un désœuvrement amer, dispendieux, qui plus est nourri de multiples addictions, dont celle, éventuellement rançonnée, qui le porte à lever les jeunes gens du cru, spontanément disponibles aux faveurs de ces oisifs expatriés yankees (par chance, dans le film, tous les latinos savent l’anglais). Mais le micheton héroïnomane sur le retour d’âge a décidément flashé sur Eugene, son compatriote en stage professionnel (activité qui lui laisse apparemment beaucoup de temps libre), un ravissant jeune homme, élégant, de surcroit agréablement galbé (Drew Starkey, cf. Outer Banks, sur Netflix ) – ce qui ne gâte pas sa photogénie. Lequel Eugene, quoiqu’un peu farouche et d’un naturel indépendant, ne tarde pas à céder aux avances de l’aîné. D’où quelques ébats « explicites », comme on dit. De fil en aiguille, Lee invite son charmant (et charmeur) escort à le suivre dans un périple exotique, direction la jungle équatoriale : « Tu n’auras rien à payer, juste être gentil avec moi, disons… deux fois par semaine ? »… L’idée étant (entre deux piquouzes du vieux toxico) de mettre la main sur une drogue, le yagé, sensée développer entre eux un pouvoir télépathique. Quoiqu’il en soit, après fellations généreusement  lactées (le drap servant de serviette éponge), le ci-devant 007 tringle vigoureusement son bel Eugene, qui y a pris goût – c’est déjà ça : on n’a pas tous les jours James Bond dans ses fesses.

Ridicule par instants

J’ai l’air de me moquer, mais avouons que, fondu dans le kitsch outré de l’improbable reconstitution se glisse, à un moment, l’étreinte chorégraphiée, ardente, sensuelle, capiteuse, de ces deux anatomies mâles, en transe sous l’effet de l’ayahuasca – et c’est, visuellement, une magnifique séquence. Saluons également la bande-son signée Trent Reznor et Atticus Ross, émaillée de titres de New Order, de Prince ou de Nirvana…  Luca Guadagnino ne résiste pas, dans une séquence onirique moins convaincante que celle évoquée plus haut, à transposer sur ses deux héros le célèbre épisode qui, bien réel, causa la mort accidentelle de Joan Vollmer, la femme de William S. Burroughs (la pauvre) : le colt de l’écrivain visait le verre que, par jeu, elle avait posé sur son crâne ; la balle s’est plantée dans le front ; le verre est tombé ; Joan aussi. Fallait-il à tout prix, dans le film, reporter sur les personnages de Lee et Eugene ce trauma, fondateur de l’écriture si particulière de Burroughs ? Un peu téléphoné, comme on dit. Enfin, dans le troisième et ultime « chapitre » du film, celui-ci distendu à l’excès, l’échappée de nos deux amis-amants dans l’antre tropical de la sorcière botaniste (Lesley Manville) dispensatrice de l’hallucinogène convoité, confine au ridicule par instants…

Et dire qu’en 2025, dans notre époque devenue si chatouilleuse pour ce qui tient à l’amour vénal, au fameux  « consentement » –  maître-mot de l’inquisition woke –  à la différence d’âge dans le rapport sexuel, et tout simplement au désir, tout ce petit monde de pervers polymorphes serait mis en examen vite fait ! L’univers Queer sex and drugs and rock and roll – n’est plus ce qu’il était, vraiment : c’est peut-être la leçon subliminale de ce film, plus consternant dans sa forme que dans ses intentions. Mon conseil, au sortir de la séance ? Filez acheter Queer, le roman. Rien de mieux qu’un retour aux sources.             

Queer. Film de Luca Guadagnino. Avec Daniel Craig, Drew Starkey…  Italie, Etats-Unis, couleur, 2024. Durée : 2h16

A lire: Queer, roman de William S. Burroughs. Editions Christian Bourgois, 2025.

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Amra-cadabra

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Mohamed Amra, "La Mouche", escorté par la police à Bucarest, Roumanie, 23 février 2025 © Vadim Ghirda/AP/SIPA

Voir le visage souriant du criminel Mohamed Amra en une de tous les journaux et partout sur les télévisions a quelque chose de déplaisant, voire d’indécent.


On dirait un remake du retour de l’enfant prodigue. On en est quasiment à tuer le veau gras. Le veau médiatique en l’occurrence.

Une forêt de micros, de caméras, d’appareils photo, un escadron de motards de presse, une noria de bagnoles de chaînes radio-tv, bref l’effervescence qui accompagne d’ordinaire les déambulations programmées des rock stars ou d’altesses royales en visite d’État. Ne manque que le tapis rouge et l’escalier qui grimpe vers les sommets de la renommée.

Odieux sourire

Et surtout il y a ce sourire si complaisamment relayé, exposé. Grand format. Odieux sourire. Le sourire de la petite ordure qui triomphe, défie, provoque une fois encore. Et on en redemande, apparemment ! On lui tend le micro, on lui donne la parole. On s’inquiète de savoir comment il apprécie ce retour un rien forcé au pays, s’il est content d’y revenir. Il consent à répondre, bien sûr. Laconique, en star accomplie qu’un rien indisposerait.

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Le monde pourri de la drogue attendait son héros, l’indignité médiatique vient de le lui pondre tout chaud. Il s’appelle Amra. Avant trois ou quatre jours, de sa tronche et de son sourire indécent, dans les quartiers, les caves, les sous-sols, les parkings, ils feront des posters pour décorer leurs murs, comme il y eut ceux, en d’autres temps, du Che, le révolutionnaire sanguinaire prisé de la jeunesse des beaux quartiers. Amra-cadabra ! Vous êtes en mal d’idole ? Notre société confite en décadence vous en fabrique ! Elle vous en sort une du chapeau comme on en extirpe un lapin blanc ou une colombe idiote.

France détestée

L’arrestation de cet étron n’aurait dû générer que quelques lignes, et encore, exclusivement à la gloire des policiers dont le remarquable travail a permis la capture. Quant au transfèrement de Roumanie en France, voilà qui ne valait pas plus qu’un entrefilet pour signaler qu’il avait eu lieu. Mais non, on en fait l’événement du jour ! On mobilise, on claironne !

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Et pourquoi une telle gloire, pourquoi tant d’honneur ? Parce que l’évasion de cette ordure s’est faite dans le sang, parce qu’elle a été acquise au prix de l’assassinat, de l’exécution de sang-froid d’innocents abattus dans l’exercice de leur mission. Car c’est bien  cela, c’est bien le sang versé qui fait aujourd’hui la cote de ce type, qu’on n’aille pas nous raconter d’histoire ! L’évidence est là : évadé avec trois bouts de ficelle, il ne vaudrait pas plus de trois bouts de lignes en page quatre. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Ainsi fonctionne notre société malade, névrosée jusqu’à la moelle, infestée de la détestation d’elle-même, adonnée aux voluptés délétères de l’autoflagellation. Amra est un chef de guerre, la guerre que nous livre le narco-trafic. Il devrait être traité comme tel, en ennemi. Or l’abjecte ambiguïté du traitement médiatique qui lui est accordé fait qu’il l’est quasiment en héros. Dans le camp d’en face, on ne s’y trompe pas. On pavoise !

Et si, écœuré devant un tel spectacle, on en vient à changer de chaîne, on a toute chance ces jours-ci de tomber sur un décérébré de première qui ne craint pas de nous expliquer que, dans l’effroyable litanie des villages martyrs qu’on a eu à déplorer depuis les temps antédiluviens sous toutes les latitudes et toutes les civilisations, c’est bien sûr la France – la France honnie, détestée – qui aura été – elle et elle seule – l’inspiratrice de la barbarie nazie en ce domaine. Là, ce n’est pas en poster décoratif que le personnage mérite de terminer, mais au pavillon de Sèvres en mètre étalon de la bêtise humaine. Une bêtise noble, s’empresseront de faire valoir nos beaux esprits, puisque tout entière vouée au dénigrement, à la haine de la France. Cela vaut absolution, il est vrai.

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Un soir parmi d’autres dans un hôpital israélien

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Image d'illustration © Unsplash

Dr Lior B., pédiatre franco-israélienne, décrit avec émotion et sincérité une réalité souvent méconnue: celle d’une collaboration harmonieuse entre soignants juifs et arabes, au service de tous les enfants sans distinction.


Je  suis  Dr Lior B, pédiatre, Franco-israélienne. J’ai quitté ma France natale que j’aimais tant pour Israël il y a huit ans, alors que tout me souriait en France. Je l’ai quittée pour mes enfants car je sentais déjà gronder le tonnerre de l’antisémitisme, m’inquiétant déjà pour leur avenir en tant que Juifs. 

Alors j’ai dû plonger dans le grand bain de la société israélienne que je ne connaissais pas du tout mais que j’apprends à connaître et à aimer de jour en jour, tant j’y retrouve mes valeurs, chères à celle que je suis à savoir une femme, libre, et médecin. 

Alors j’ai pris goût, via des anecdotes de ma vie quotidienne, à dépeindre, vue de mon humble  lorgnette, cette société que l’on ne connait pas et pourtant que le tout un chacun se permet de juger sans vergogne.  

Ma dernière histoire en date du 23 février au soir

Je suis alors de garde jusque 23h dans un centre d’urgences pédiatriques dans le centre du pays.

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Se présente à moi une ado qui vomit non-stop depuis 24h, fatiguée et un peu déshydratée. En revanche, elle  est accompagnée d’une mère casse-tête du plus haut niveau, et ça aussi il faut savoir le gérer en pédiatrie  en plus de l’enfant malade. Bref je lui prescris un médicament anti vomitif et une perfusion pour la réhydrater. Toutes les trois minutes, la mère frappe à ma porte pour me dire que sa fille a tel et tel nouveau symptôme et est au bord du clapotage. Je vais quand-même vérifier l’état de l’enfant ayant toujours appris, en pédiatrie,  à faire confiance aux mères. Après avoir rassuré la mère, je réussis à l’envoyer chez l’infirmier Ahmed, de garde avec moi ce soir-là, pour recevoir son traitement. 

Au même moment, se présente un garçon de six ans, Assaf,  en vraie gêne respiratoire. Pour le coup, il est en réelle détresse respiratoire, c’est le genre d’enfant qui peut faire un arrêt respiratoire (puis un arrêt cardiaque…) en quelques secondes. Donc là, il faut agir très vite.  Je vais aussitôt chez Ahmed (l’infirmier) qui gère déjà l’enfant qui vomit. Je lui indique mes instructions de traitement pour le petit garçon dont l’état s’avère bien plus instable. Ahmed s’exécute directement et met en place le traitement dans la minute. Je lui demande aussi  de commander une ambulance pour le faire hospitaliser au plus vite et qu’il soit près d’une antenne de réanimation au cas où… 

Ambulance commandée .

Vomisseuse perfusée.

Rien à dire. 

Voilà le vrai Israël

Au bout de quinze minutes, on note une réelle amélioration de l’état respiratoire du petit Assaf. Et au bout d’une heure, ma vomisseuse a retrouvé le sourire et mange une banane.  Assaf nous quitte pour l’hôpital, son état est stabilisé. 

Je prépare la sortie de la jeune fille, arabe israélienne ; à la sortie, les parents me disent « merci Docteur, tu as été formidable ». Je les remercie du compliment,  sans prêter plus attention à la situation qui venait de se dérouler, car c’est somme toute une situation banale ici. Je me dis : « C’est bon, les enfants rentrent en bonne santé mais il faut se le dire, c’est grâce à Ahmed qui a été remarquable à gérer en même temps deux patients nécessitant des soins urgents, dans le calme et avec grand professionnalisme. » Je vais le voir et lui dis : « Merci Ahmed, tu as été formidable ! Tu as très bien géré la situation, c’est un vrai plaisir de travailler avec toi »

Lui : « Merci Lior, merci beaucoup. »

Une heure et demi à travailler main dans la main avec Ahmed, à savoir une médecin juive israélienne et  un infirmier arabe israélien, à nous occuper d’une enfant arabe israélienne et d’un enfant juif israélien. C’est la banalité en Israël… sachez-le.

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Et pour clôturer l’histoire, des parents arabes israéliens qui remercient la médecin juive et la médecin juive qui remercie son infirmier arabe. La boucle est bouclée. CQFD, voilà Israël n’en déplaise à ceux qui nous condamnent à longueur de journée. 

En quittant ma France pour Israël, je n’ai rien perdu de mon humanité. Tout au contraire, j’y ai découvert la tolérance, l’entraide, la solidarité ; surtout j’y apprends le courage de se battre pour ses valeurs. L’humble médecin que je suis pense précisément que ceux qui ont perdu leur humanité sont ceux qui n’arrivent plus à réagir et à hurler de colère et de douleur face à la barbarie qui frappe les Israéliens depuis le 7-Octobre, ceux qui n’arrivent pas à sortir du silence pour nous soutenir face à tant d’IN-humanité et d’actes barbares.

Être humain c’est savoir réagir et continuer le combat contre ceux qui pourrissent notre monde à coups d’attentats, de décapitations et de viols, ceux qui éventrent des femmes enceintes, nous prennent en otages – dont noss enfants qu’ils assassinent cruellement…  

Être humain, pour la pédiatre que je suis, c’est lorsqu’on apprend ce qu’ont vécu  Ariel, Kfir et Shiri Bibas, et que ne pouvant plus se taire,  on hurle de douleur et on laisse enfin exploser ses larmes. Être humain, c’est ne pas avoir peur d’être aux côtés de ceux qui combattent la barbarie, précisément comme nous autres Israéliens. 

Je suis le Dr Lior B, je suis pédiatre franco-israélienne et je suis fière des valeurs humanistes et du courage que m’inspirent les Israéliens dans mon quotidien.  Comme la majorité de mes compatriotes, je sais faire la part des choses, reconnaître qui sont les barbares, ceux avec qui jamais il ne faudra faire la paix car ils sont élevés dans la haine du Juif et resteront à jamais avides de notre sang, tout comme je sais m’occuper de TOUS les enfants, sans distinction ethnique, avec le même professionnalisme et la même empathie, et travailler main dans la main, avec reconnaissance envers ceux qui nous respectent, quelle que soit leur origine, et respectent notre droit à exister. Je suis pédiatre, franco-israélienne et je n’aspire qu’à la paix, mais pas à n’importe quel prix…