Officiellement, le milieu des start-up françaises est progressiste. Officieusement, la bien-pensance en agace plus d’un. Et beaucoup pensent que le libéralisme trumpiste est vital pour le secteur.
« On est à côté de la plaque. On est toujours des communistes et les USA rentrent dans l’ultralibéralisme. » La lassitude de ce grand nom de l’innovation qui a investi dans des dizaines d’entreprises en France est palpable.
« C’est la révolution aux États-Unis, tandis qu’en France on est perclus dans l’Ancien Régime. Faire des marges est devenu très difficile. Parler librement, je peux encore, mais pas dans la presse, pas sur un podcast. J’ai gagné des millions, mais je reste un mâle blanc », enchaîne un autre « business angel » qui, moins par fascination pour l’homme politique que par instinct d’entrepreneur sentant le vent tourner, a repoussé sa décision de quitter le monde des affaires au moment de la victoire de Trump.
Officiellement, la French Tech est plutôt « progressiste », ouverte aux « minorités visibles », sensible aux « inégalités de genre » et convaincue que l’horizon économique hexagonal doit épouser les frontières de l’Union européenne. Sur LinkedIn France, on ne compte plus les classements d’« entrepreneur.e.s noir.e.s » ayant fait de « belles levées de fonds », ou encore de clubs d’investissement exclusivement réservés aux femmes appelant à encourager ces dernières « traînant aux pieds les boulets d’une société patriarcale et non inclusive ». Sur ce réseau mettant en relation les professionnels entre eux, l’élection de Trump a été perçue comme un « recul », un « drame » et le ralliement de Zuckerberg comme un geste « opportuniste », forcément « motivé par une personnalité torturée ».
Tout aussi officiellement (les chiffres sont publics), le financement des start-ups tricolores dépend en très large partie (aux alentours de 40 %) de fonds américains, mais aussi des aides de l’État (notamment à travers les prêts et les dons de la BPI). Un horizon économique qui se situe désormais au carrefour de deux idéologies opposées.
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Officieusement, la « start-up nation » déborde du cadre bâti par Emmanuel Macron. La bien-pensance agace, au moins autant que l’absence de patriotisme économique du président français. « Pourquoi Space X a réussi ? Parce que le gouvernement fédéral a commandé des fusées à Elon Musk », explique Thomas Fauré, l’un des rares entrepreneurs de la tech française à avoir le courage de s’exprimer à contre-courant de l’idéologie LinkedIn.
C’est ce milieu, largement dominé par une sociologie parisienne formée au sein des écoles de commerce, qui est aujourd’hui en passe d’être torpillé par un changement de régime politique et économique aussi radical que fulgurant. Est-ce en Seine-Saint-Denis, Californie rêvée par Emmanuel Macron, que les financiers de l’innovation française chercheront à rebâtir les rêves de la Silicon Valley ? Imposeront-ils les déterminants décomplexés de la révolution trumpienne aux entreprises françaises dont ils détiennent les capitaux ? La France est-elle en passe de devenir un champ de bataille extérieur entre ces gagnants et perdants aux visions opposées ?
Pour que la torpille américaine percute aussi la French Tech, il faudra d’abord un nouveau pouvoir à l’Élysée. Et les relais à qui la French Tech prête des accointances avec la mouvance trumpiste sont de plus en plus nombreux sur la scène politique française : Éric Zemmour, Sarah Knafo, Jordan Bardella, Éric Ciotti, David Lisnard… « Je pense que ce qu’il se passe aux États-Unis finira par arriver en France », conclut Thomas Fauré.