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Cinéma: dans Lisbonne enlaidie, Eugène Green sauve encore la beauté

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Cinéaste-poète génial, Eugène Green nous captive une fois encore avec L’Arbre de la connaissance


Faut-il encore présenter Eugène Green ? Natif des États-Unis (épicentre géographique de ce qu’il ne perd jamais une occasion de nommer la barbarie – et leurs habitants, comme de juste, les barbares) mais dès longtemps francophone de cœur, d’adoption et bien entendu naturalisé français, tout autant dramaturge, romancier, poète, que cinéaste sur le tard, ce fabuleux conteur, de bonne heure épris de musique baroque, est à sa manière en 2025, au Septième art ce que fut en son temps un Robert Bresson.

Cinéaste singulier

Né en 1947, le chef encadré d’une longue crinière chenue tel un preux chevalier du temps jadis, vieil amoureux de Lisbonne mais atterré par son enlaidissement ripoliné, est pourtant un moderne, au sens où son cinéma tellement singulier, si captivant, n’observe jamais le réel que d’un regard de sage souriant, pétri de cette ironie tout à la fois cruelle et bienveillante, pince-sans-rire et acide. Jamais en militant ou en donneur de leçons. Green est un moraliste, nullement un moralisateur, et encore moins un de ces procureurs bien-pensants dont l’époque est féconde.

Venons-en à son dernier film, en salles depuis déjà quelques jours, et dont votre serviteur (hélas victime d’un brutal ennui de santé), rend compte ici trop tardivement, toute honte bue. L’arbre de la connaissance a pour siège Lisbonne, tout comme en 2009 le film La Religieuse portugaise (on y retrouve d’ailleurs sous d’autres traits fictifs la merveilleuse actrice Ana Moreira). Dans La Sapienza (2014), un architecte d’âge mûr, méditant d’écrire une étude, devenait par le hasard d’une rencontre fortuite le cicérone d’un jeune et bel étudiant en architecture, le prenant sous son aile dans un « grand tour » transalpin, de Rome à Turin, pour lui faire découvrir les chefs d’œuvres de Borromini, devenant ainsi le mentor de son protégé dans sa carrière naissante.

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Ici, c’est un Ogre (dans le rôle, Diogo Doria, figure mythique de la scène et de l’écran lusitaniens, comme tel de longue date adoubé par un Raul Ruiz ou un Manoel de Oliveira) qui recueille Gaspar, chaste éphèbe aux boucles brunes (Rui Pedro Silva) en rupture de ban avec ses géniteurs, coincés dans le désert spirituel et esthétique de ces banlieues sans fin dont le siècle est fertile. Environnement capté d’ailleurs crument par l’objectif : escaliers mécaniques, immenses artères minérales, légions d’édifices réunis par une identique banalité – l’omniprésent, tentaculaire défi à tout beauté architecturale et urbanistique, désormais notre ordinaire hors centres villes au patrimoine rageusement lessivé. L’adolescent Gaspar sert d’appât pour attirer les meutes de touristes dans l’antre de l’Ogre.

Lisbonne: l’horreur touristique

Avec cette facétie mordante qui n’est qu’à lui, Green plante le décor d’une Ville aux sept collines désormais abâtardie, soumise à l’invasion diurne et nocturne de ces meutes polyglottes, ignares, ignoblement nippées, de ces troupeaux audioguidés, véhiculés en cyclopousses électriques ou en faux trains à vapeur miniatures :  Lisbonne ne s’appartient plus.  D’un geste de la main, Gaspar remet ces hordes de bipèdes transhumants sur leurs pattes, faisant s’évanouir, sous leurs culs interchangeables de touristes, leurs cohortes d’affreux tuk–tuks, pareils aux palanquins du diable. La multiplication des disparitions humaines, ragoût prisé de l’Ogre anthropophage, fait pendant ce temps la une des JT, autre trait d’un très haut comique. Gaspar ayant sauvé du chaudron un chien et une ânesse, le conte embarquera le spectateur médusé dans une fable sans borne assignée, conjuguant le saugrenu, la cocasserie, et la morsure musclée dans la chair même du temps présent.

Nul passéisme chez Green, mais la souffrance manifeste d’un poète qui, consterné, voit sous ses yeux se déliter de jour en jour, inexorablement, notre vieille, irremplaçable civilisation européenne et jusqu’à sa langue même, trésors d’autant plus chéris par lui que, de souche exogène, il a dû patiemment se les assimiler.

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Et si L’Arbre de la connaissance convoque, dans les rets d’un scénario foisonnant, stupéfiant d’allègre inventivité, la figure de la fille de Joseph 1er, Marie (1734-1816), laquelle, devenue folle, s’éteint au Brésil où elle s’était exilée dès l’annonce de l’invasion napoléonienne en 1808, ce n’est pas par pure nostalgie, non plus que l’apparition, au cœur du film, de Sebastiao Jose Carcalho e Melo, marquis de Pompal (1699-1782). Mais parce que la sapience – mariage de la sagesse et du savoir – appelle la rumeur de l’histoire et la puissance irrécusable du passé : double tresse de la connaissance à l’arbre duquel se fixera Helena, la femme-serpent du film, dans une séquence étrange et superbe… De même, les azulejos ne sont pas là pour faire joli. Ils sont la substance de Lisbonne. Et si Green privilégie les plans frontaux sur les visages, ce n’est pas davantage par pur esthétisme, mais parce qu’ils sont la face, la carnation même de la beauté humaine dans son âge idéal. Leur langage châtié n’a rien d’une coquetterie : c’est l’expression d’une perfection.

A quand une rétrospective Eugène Green, doublée d’une exposition, à la Cinémathèque française ?  


Maria Gomes et Rui Pedro Silva (C) JHR Films

L’arbre de la connaissance. Film d’Eugène Green. Avec Rui Pedro Silva, Maria Gomes, Diogo Doria, Ana Moreira, Leonor Silveira… France/ Portugal, couleur, 2025. Durée : 1h41 En salles.

Présidentielles à gauche: pourquoi pas la courte paille?

Réunie le 15 novembre dans les Yvelines chez Ali Rabeh, la «gauche unitaire» a annoncé qu’une grande primaire aurait lieu à l’automne 2026. Malheureusement, on ne trouve que des seconds couteaux parmi les postulants pour l’instant, les candidats naturels – Mélenchon pour la gauche dure et Glucksmann pour la gauche molle – souhaitant concourir séparément.


Eux au moins nous font bien rigoler. Eux, je veux dire la gauche façon puzzle qui se contorsionne en tout sens dans l’espoir de parvenir à s’afficher « unitaire » en vue des présidentielles de 2027. « Unitaire », vous l’aurez compris, face au danger suprême que représenterait l’extrême droite. C’est dire si l’heure est grave. Alors, aussi vrai que l’oignon fait la soupe, ils se sont dit, à gauche, que l’union devait faire la force. Ils ont même prêté serment là-dessus. C’était lors de la canicule estivale, en juillet dernier, à Bagneux. Présenter le moment venu un candidat commun, voilà l’objet du serment dont on ne sait s’il a été prononcé la main droite posée sur le dernier bouquin de Mélenchon ou la sainte bible du programme commun des années Mitterrand-Marchais.

Peut-être l’intense chaleur leur était-elle montée à la tête, ce qui expliquerait qu’ils se soient lancés dans cette lubie dont le préalable est tout de même l’harakiri consenti d’un certain nombre d’egos. Car il y a quelque peu embouteillage au portillon. Qu’on en juge !  Nous avons là Olivier Faure, le patron du PS, Marine Tondelier, la cheffe des écologistes, Benjamin Lucas, le coordinateur de Génération.s, les vrais-faux repentis du mélenchonisme pur et dur que sont Clémentine Autain, François Ruffin et surtout, en « guest star », celle qui se voyait Première ministre en 2024 et se voit manifestement encore tutoyant les sommets, la sémillante Lucie Castets. Tous individus dont, nul ne l’ignore, l’ambition n’est pas des plus tempérées ni l’ego particulièrement mince.

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Nonobstant, chose promise chose due, samedi dernier le serment de Bagneux a connu un semblant de mise en œuvre avec l’annonce de l’organisation d’une primaire de ladite gauche pour l’automne 2026. C’était en la bonne ville de Trappes. (Pour une initiative visant à élire un candidat destiné de toute évidence à passer, lui, à la trappe, le choix de cette ville paraît en effet des plus judicieux).

On sait déjà que MM. Mélenchon et Glucksman, entendant se la jouer perso, n’en seront pas. On ne se mélange pas, voyez-vous. Même à gauche. Quant au parti communiste, bien que tenant à rappeler sa puissante « culture antifasciste et une tradition d’union », il se tâte encore.

Pour le moment, nous avons trois candidats déclarés à cette joyeuse primaire : Clémentine Autain, Marine Tonnelier et François Ruffin. Olivier Faure, à l’instar des communistes, se tâte toujours. On sait qu’il n’a pas son pareil pour sortir du bois au dernier moment et couillonner son monde.

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Il est clair qu’il conviendra d’ajouter à ces candidatures annoncées celle de Lucie Castets. Sinon que serait-elle venue faire dans ce cirque ? C’est qu’elle croit ferme en son destin, au moins autant qu’elle y croyait en 2024 pour Matignon ! Qu’on se le dise ! Puisque Matignon lui est passé sous le nez, visons donc plus haut. L’Élysée, carrément. La chance sourit aux audacieux, n’est-ce pas. Le ridicule aussi, en l’occurrence. D’ailleurs, Dame Castets voit se profiler le plein succès pour ce tour de chauffe de la primaire : « Quand nous allons donner la date, se persuade-t-elle, cela va créer un effet d’entraînement, une dynamique ». Ce disant, elle se réfère à une enquête Elabe pour BFM TV révélant que 72% des électeurs du réjouissant Nouveau Front populaire souhaitent une candidature unique de la gauche. Autrement dit, un candidat ramasse miettes, puisque, à y regarder de près, celui-là – ou celle-là – aura à vendre à l’électeur l’illusion de représenter ne serait-ce qu’une once de cohérence programmatique. Pas gagné. D’autant, que le show de la primaire aura fait remonter à la surface, comme d’habitude, les oppositions, les contradictions, les détestations, bref tout ce qui apportera la démonstration éclatante que, à part une ambition démesurée, les comiques en lice n’ont à peu près rien en commun.

Aussi, pour éviter ce déballage si préjudiciable, ce naufrage annoncé, me permettrais-je de leur conseiller de recourir à la bonne vieille pratique de la courte paille. Évidemment, c’est beaucoup moins rigolo, surtout pour nous…

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Sur nos télés, les généraux ont remplacé les médecins

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De plus en plus de conservateurs inquiets craignent que le président français n’instrumentalise la menace russe pour ressouder l’opinion autour de lui, et afin de détourner l’attention sur les crises intérieures. Ivan Rioufol redoute ainsi dans sa chronique que la France s’entête à soutenir l’Ukraine jusqu’à provoquer une escalade militaire, alors même que les marges diplomatiques se referment.


Cette fois, ils évitent l’accusation en complotisme, craignant le ridicule. En effet, les batailleurs qui alertent, derrière Emmanuel Macron, sur Vladimir Poutine et sa « guerre hybride » voient partout la main de Moscou. Ceux qui accusent le chef de l’État de vouloir faire diversion, tandis que la France est la cible passive d’un djihad intérieur qui devrait mobiliser l’armée, sont plus banalement traités de « collabos », « munichois », « capitulards », etc.

Les lyncheurs sont les mêmes qui, durant la crise du Covid, conspuaient les résistants à l’hygiénisme d’État et à ses QR codes sanitaires, annonciateurs d’une société totalitaire soumise à la peur. Sur les télés, les généraux ont remplacé les médecins. Mais les mécanismes anxiogènes sont les mêmes. La déclaration du chef d’état-major des armées, le général Fabien Mandon, devant le congrès des maires de France, mardi soir, appelant le pays à préserver sa « force d’âme » et à « accepter de perdre ses enfants » dans un affrontement futur avec la Russie, a dévoilé l’état d’esprit d’un président esseulé et rejeté, en quête d’union nationale autour de sa personne. Le 11 juillet, le général Thierry Burkhard, prédécesseur de Mandon, avait attribué à la Russie une déclaration, en réalité introuvable, censée faire de la France « son premier adversaire en Europe ». En fait, tout est bon pour le pouvoir. Il attise les braises sur une poudrière, quitte à user de mensonges et de sanctions contre des opposants. Le général Paul Pellizzari a été radié de son grade pour avoir osé demander au gouvernement de saisir le Parlement en préalable aux livraisons d’armes à l’Ukraine, en regard des articles 35 et 53 de la constitution.

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« La crainte de la guerre est souvent la chance des tyrannies », expliquait Raymond Aron. Ce regard est utile pour comprendre les postures bellicistes de Macron face à Poutine, alors que le chef de l’Etat baisse les armes face à l’Algérien Abdelmadjd Tebboune et ses provocations. Le refus du débat et la disqualification de l’esprit critique sont les marques de la macronie et de ses médias. Pour avoir répété, avec le noyau dur de l’Union européenne, que la « Russie ne pouvait, ne devait, gagner la guerre », Macron a renoncé à son rôle de médiateur. Or le président est en passe de perdre la face. Cela fait plus de deux ans que la vaillante Ukraine recule, après l’échec de sa contre-offensive de juin 2023. Le lâchage des Etats-Unis risque de précipiter sa défaite. Une guerre généralisée serait dès lors envisageable si la France et les boutefeux européistes décidaient, pour imposer une Europe supranationale, de relancer le meurtrier conflit entre slaves.

Le dernier plan de paix concocté entre Américains et Russes n’est certes pas acceptable en l’état par l’Ukraine. Il serait pire, dans ses 28 points, que celui qui avait été élaboré à Istanbul en mars-avril 2022 avant d’être rejeté sous la pression britannique. « Je ne trahirai jamais l’Ukraine », a déclaré samedi Volodymyr Zelensky. Ce patriotisme l’honore. Reste que la corruption de son entourage a aggravé sa propre faiblesse. Dans les négociations, ouvertes hier à Genève, une paix est envisageable pour un esprit rationnel. Mais Macron pense-t-il à autre chose qu’à lui-même ?

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Romain Gary exhaussé-exaucé à la Contrescarpe

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Une adaptation mémorable de La Promesse de l’aube de Romain Gary, qui déjoue les poncifs-attendus et redonne son lustre à un roman empoussiéré par le culte, irritant parfois, qui lui est souvent rendu. Ici: le contraire. Pur régal.


« Cette suprême lucidité qu’il faut pour continuer à lutter et qui s’appelle l’aveuglement. »
Romain Gary, Clair de femme


Il l’ignore mais dans cinq ans, il tournera encore avec son adaptation de La Promesse de l’aube. « Il », c’est l’épatant Tigran Mekhitarian et sa troupe (ici Delphine Husté, qui crève l’écran en mère de Romain Gary, et Léonard Stefanica, homme-orchestre qui scande la pièce de sa musique, slave – entre autres).

Je suis content de prendre les paris de la prolongation indéfinie de ce spectacle – et d’être certain de le gagner. Je récapitule.

Gary d’abord : j’aime, de lui, essentiellement UN titre – mais « beaucoup-beaucoup ». Lequel ? Clair de femme (Folio) – un des secrets les mieux gardés de son œuvre polymorphe, que sa légende caricaturale offusque. Légende qui fait que, par ailleurs, longtemps j’ai ignoré Romain Gary.

Donc Clair de femme. Vous savez : « Michel, le bouche à bouche peut ramener à la vie, mais ce n’est pas une façon de vivre. » Ou : « Je sais qu’il existe des amours réciproques mais je ne prétends pas au luxe. » Ou : « La ‘’sagesse’’, cette camomille empoisonnée que l’habitude de vivre verse peu à peu dans notre gosier avec son goût doucereux d’humilité, de renoncement et d’acceptation. » Ou, une ultime – tellement dingue : « Elle était ‘’morte’’, comme on dit couramment chez ceux qui ne doutent de rien. » Bref : Clair de femme.

Puis j’ai appris à découvrir Gary, derrière les oripeaux. Et La Promesse de l’aube m’a, in fine, tardivement, conquis. Tout le monde le sait ou presque : c’est l’histoire des débuts dans la vie d’un futur écrivain-aviateur-Compagnon de la Libération-diplomate, etc., et un portrait « hénaurme », bouleversant parfois, de sa mère, et de leurs rapports complètement « hors normes » (euphémisme). Du rôle de cette mère, aussi, dans le destin de Gary. De la Pologne à Nice, de Paris à… Londres, et retour.

Ce qu’en a fait Tigran Mekhitarian est stupéfiant : tout est juste, drôle – tellement drôle -, émouvant, « exemplaire » (il est vrai que la matière – le roman – y contribue grandement). Ce jeune homme presque inconnu – Tigran M. – ne le restera pas longtemps (il monte, par ailleurs, en mars, Le Misanthrope au Théâtre Antoine – ce qui signifie qu’il commence à être sérieusement repéré quand même).

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Pareil pour Delphine Husté qui joue la mère : elle ressemble un peu, physiquement, à Irène Némirovsky, mais comme actrice, elle ne ressemble à personne : tellement juste, avec son accent venu du fond de la Russie ou de la Pologne. C’est peu dire qu’elle a « de l’abattage ». Inénarrable. Quant au troisième larron, Léonard Stefanica, qui joue tous les autres personnages (outre la musique, donc) : il est à la mesure de ses deux complices – c’est assez dire.

Ces gens – Gary, sa mère ; Kessel, sa mère aussi (l’« autobiographie » de celle-ci vient de paraître chez Arthaud, c’est pour cela que l’on ose le rapprochement, pertinent après sa lecture) – ces gens, donc, étaient vraiment bigger than life. Ils ont tellement – TELLEMENT – aimé la France, cru en la France. Ils lui ont tout donné. Elle leur a beaucoup rendu, aussi. Gary, Kessel, aujourd’hui, sont des classiques.

Courez – vraiment – voir ce spectacle : cela dure 1H30 – et c’est un des plus jolis moments de théâtre que j’ai vécus cette année.


NB – Pour plus de précisions à propos de Gary, j’aimerais signaler un tout petit livre, trop méconnu. Cela s’appelle Le sens de ma vie (Folio, 108 pages !) et c’est un long entretien accordé peu de temps avant que Gary ne mette fin à ses jours (décembre 1980).

Il y a dans les mots de ce géant (voir Kessel donc, ou Druon), une telle charge d’humanité, une telle affirmation de vulnérabilité – manifestation sophistiquée, comme à rebours, de sa puissance, de son énergie – qu’on n’a qu’une envie l’entretien achevé : relire Gary.

Réentendre sa voix, retrouver cette éthique impeccable, ce souci du monde comme il ne va pas, ce courage physique et moral, cette ardeur – cet amour de la France… et de la féminité, aussi. Si peu de triche – de jeu – chez cet homme d’action et de réflexion.

A part Malraux, Saint-Exupéry, et Drieu sans doute (en dépit des apparences), qui ? Combien sont-ils à enseigner lorsqu’ils se montrent ? Rares. Lisez. Édifiant. Sens strict.

Et surtout – n’oubliez pas : Tigran Mekhitarian, Delphine Husté et Léonard Stefanica au Théâtre de la Contrescarpe. Celles (ou ceux) qui n’aimeraient pas ce spectacle me seraient – totalement – étrangers.


La Promesse de l’Aube, de Romain Gary, adapté et mis en scène par Tigran Mekhitarian. Théâtre de la Contrescarpe (0142018188). Du jeudi au samedi, 21H. Samedi à 16H30 (et 21H parfois), Dimanche à 15H.

NB Comme « prévu » : pas de date de fin signalée dans le programme de la Contrescarpe : ils savent. (Sourire).

Et toujours : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil – à propos de 600 écrivains, femmes et hommes, de France et d’ailleurs.

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Un rebond des Bleus qui laisse un tantinet dubitatif

La France s’est imposée face à l’Australie samedi


En s’imposant face à l’Australie samedi au Stade de France par 48 à 33, son troisième et dernier match de la tournée automnale, la France a marqué son 5ème plus grand nombre de points dans une rencontre de son histoire. En 2003, en Coupe du monde, les Bleus en avaient inscrit 96 contre la Namibie, puis en Tournoi des Six nations, 56 en 2005 contre l’Italie, 53 en 2023 contre l’Angleterre chez elle, 51 contre le Pays de Galles.

Festival d’essais

La rencontre « enlevée, parfois spectaculaire », comme l’a pertinemment souligné le chroniqueur de Sud Ouest dimanche, Denys Kappès-Grangé, docteur es-Ovalie, a été un rare festival d’essais. En tout, il en a été marqué douze. Les Bleus en ont inscrit sept et les Wallabies cinq dont respectivement cinq et quatre transformés, étayage de réalisations peu commun, voire peut-être unique, entre deux formations de ce niveau. Avec les deux scores additionnés, c’est en effet un total de 81 points qu’affichait le tableau au coup de sifflet final.

En quête d’une réhabilitation, visiblement, les deux protagonistes se sont livrées à fond. Pour la France, il était impératif d’effacer sa double contre-performance, une amère défaite contre l’Afrique du sud et une victoire étriquée contre les Fidji, et pour l’Australie de mettre fin à une série humiliante de trois défaites consécutives dont une contre l’Italie et les deux autres contre l’Angleterre et l’Irlande. Ce en quoi les Springboks ont échoué…

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Si ce rebond des Bleus est rassurant, il n’a pas été toutefois totalement convaincant, ainsi que l’a reconnu Fabien Galthié, le sélectionneur-entraîneur, l’homme aux grosses lunettes noires. Sans ambages, il a déploré notamment une indiscipline presque atavique de ses joueurs.

« On est à 19-19 à la mi-temps avec un carton jaune, poursuit-il…  L’équipe a su réagir. Mais si on compare à il y a quatre ans, on n’est pas au même niveau… Douze essais encaissés en trois matches, c’est beaucoup trop. » De son côté, Maxime Lucu qui a écopé du carton jaune juste avant la pause a renchéri. « L’indiscipline fait qu’on défend énormément et on se met à la faute sur des petites erreurs bêtes. »

Un peu de sérieux !

Ce manque de rigueur qui fragilise la défense est le gros point noir des Bleus. En première mi-temps, ils ont commis huit fautes dont sept quand ils défendaient offrant ainsi indirectement les trois essais sur les cinq qu’ont aplatis les Wallabies. En revanche, ce qui est de bon augure, le paquet d’avants a tenu la dragée haute à ceux très rugueux d’en face. Ses coups de boutoir ont eu pour conséquence d’ébranler la muraille adverse et de permettre au XV tricolore de franchir la ligne d’en-but à quatre reprises au retour de la pause.

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L’avant-dernier essai a été marqué par Louis Bielle-Biarrey à la 72ème et le dernier par Maxime Lamothe à la 79ème  , tous les deux transformés, gommant de la sorte l’impression qui avait prévalu lors deux précédentes rencontres, à savoir que les Bleus n’étaient plus en mesure tenir la durée complète d’un match. Contre l’Afrique du sud, la France avait dévissée à la 60ème alors qu’elle menait. Contre les Fidji, elle a tangué jusqu’à la 70ème. Autre point positif, samedi soir a confirmé que la France dispose de deux jeunes trois-quarts d’exception, qui s’entendent parfaitement puisque jouant dans le même club, les Bordelais Nicolas Depoortere et Louis Bielle-Biarrey. Chacun a réalisé un doublé, en marquant un essai à chaque mi-temps. Comme quoi la rudesse de l’affrontement ne les avait pas émoussés.

En route pour la Coupe !

Cette victoire a, en outre, eu comme atout pour la France de consolider sa 5ème mondiale et donc d’être tête de liste pour la Coupe du Monde qui se disputera du 1er octobre au 13 novembre en Australie. Elle est donc assurée de ne croiser en poule, dont le tirage aura lieu le 3 décembre, aucune des cinq autres meilleures nations de l’ovalie. Contrairement à ce qui était advenu en 2023 où pour accéder au quart de finale, elle avait affronté la Nouvelle-Zélande… La France s’était imposée par 27-13. Mais elle y avait laissé beaucoup de jus, cause probable de sa défaite en quart d’un petit point face à l’Afrique du sud (28-29) qui décrocha cette année-là le titre pour la seconde fois consécutive. Cette dernière, bien que vieillissante, fait déjà figure de favorite pour conquérir une troisième coupe d’affilée. Les Springboks, qui trois semaines avant ont vaincu les Bleus (17-32), ont été aussi, samedi, intraitables face l’Irlande. Ils l’ont emporté par un 24-13 après avoir marqué quatre essais contre un par la partie adverse.

Coïncidence, la France rencontrera le 5 février, au Stade de France, en ouverture du Tournoi des Six-nations, cette même Irlande. Un match très attendu pour connaître les potentialités réciproques de chacune des deux équipes en vue de la Coupe du Monde.

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Délire kitsch asiatique

Mélange foutraque de danses traditionnelles, de cirque et de music-hall, délire de formes, de couleurs et de kitsch asiatique, Post-Orientalist Express, au titre aussi divertissant qu’habilement accrocheur, est une explosion de virtuosité physique et d’images faites pour épater.


La danseuse coréenne Eun Me Ahn © Sukmu Yun

Sans queue, ni tête, et par là même devenant bientôt d’un mortel ennui, exécuté cependant à une vitesse infernale et avec une technique sidérante par des virtuoses, danseurs et acrobates, Post-Orientalist Express, ouvrage de la dame coréenne Eun-Me Ahn, est un déballage d’images spectaculaires qui font l’effet désiré sur un public peu exigeant sur le plan artistique, mais prompt à l’enthousiasme dès lors qu’on saute en l’air, que l’on tournoie avec frénésie et qu’on galope plus vite encore que son ombre…

L’ensemble tient du Cirque de Pékin, mais en moins tapageur, du music-hall, mais sans vulgarité, et d’un improbable patchwork de danses traditionnelles ayant fleuri dans plusieurs pays d’Asie.

Elle ose tout

Dans une capitale sinistre comme Séoul où parmi les tenues occidentales des fonctionnaires et des employés uniformément ternes et grises, une cravate rougeâtre ou bleu nuit apparaît comme une audace inouïe, sinon comme un signe de dépravation avérée alors que l’anthracite et le plomb sont les teintes de rigueur, les costumes du spectacle sont la grande affaire d’Eun-Me Ahn qui en est aussi l’auteur.

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Elle semble se rattacher à la floraison de couleurs vives et franches des vêtements traditionnels en Corée qui sont, chez les femmes surtout, aussi flatteurs et élégants… que dépourvus de fantaisie. Mais son délire à elle n’a pas de limites. Et même s’il vire parfois au kitsch de baraque foraine, il est d’une inventivité stupéfiante et joyeuse. Dans ce domaine, Madame Ahn ose tout. C’est même à ça qu’on la reconnaît, comme le balance la célèbre réplique de Michel Audiard. C’est cette inventivité folle des costumes qui porte Post-Orientalist Express et occulte bien à propos une « chorégraphie » d’un vide abyssal relevant au mieux de la gymnastique artistique. Pour l’assurer, il faut cependant des danseurs d’une énergie renversante, de petits soldats kamikazes qui n’ont vraiment pas froid aux yeux et qui acceptent d’aller au front avec une vaillance et une virtuosité sans bornes.

Incongru

Sur la scène du Théâtre de la Ville qui a vu se dérouler les œuvres maîtresses de Pina Bausch, de Merce Cunningham, de Lucinda Childs, de Jean-Claude Gallotta ou de Dominique Bagouet, découvrir ce divertissement coloré et racoleur apparaît tout à fait incongru. Mais l’opportunisme d’Eun-Me Anh y a déjà exercé ses ravages avec un Dancing Teen Teen qui mettait en scène des adolescents peroxydés.

Et le public d’aujourd’hui acclame sans se poser plus de question. Comme dans les émissions de variétés télévisées, il adule désormais le divertissement décérébré à l’état pur.


1h 15. De 5 € à 34 €
Informations pratiques et horaires.

Bourgogne: l’autre pays du whisky

Les whiskies de Michel Couvreur sont uniques au monde. Une élaboration 100% bourguignonne et un élevage durant des décennies dans des fûts andalous centenaires leur offrent un bouquet aromatique incomparable. L’entreprise familiale ne se repose pas sur ses lauriers et poursuit la perfection de ses précieux flacons.


Connaissez-vous Bouze-lès-Beaune ? Non ? Eh bien, honnêtement, vous n’avez rien perdu. Situé à quelques kilomètres de Beaune, en Bourgogne, ce village (non répertorié par mon GPS) est surtout réputé pour l’humidité atroce qui y règne, laquelle s’explique par la présence d’une source. « Bosa », en celte, signifiait « poche d’eau ». Mais dans l’oreille des Anglais qui visitent la région, Bouze sonne comme « Booze » qui veut dire « bibine ». Et là, l’affaire commence à avoir du sens, car pourquoi donc aller à Bouze-lès-Beaune ? Parce qu’on y élabore depuis 1978 l’un des meilleurs whiskies du monde, celui du regretté Michel Couvreur ! Ce personnage à la Simenon, né à Uccle en Belgique en 1928, non loin de Bruxelles, coche toutes les cases : il aimait les bons vins, les jolies femmes, la chasse et fumait le cigare, bref, le mâle blanc de plus de 50 ans dans toute son horreur. Longtemps, j’ai pensé comme Pierre Desproges qui disait : « Le whisky est le cognac du con. » Jusqu’au jour où j’ai goûté un whisky de Michel Couvreur.

Expérience ethétique totale

À l’aveugle, on s’y tromperait presque, tant il paraît suave et rond, avec des notes subtiles de raisins confits, comme un grand cognac. Déguster un whisky de Michel Couvreur est en fait une expérience esthétique totale. Il y a d’abord le plaisir de l’œil, la bouteille anglaise, lourde et de forme carrée (comme celles des Johnnie Walker), avec le goulot cacheté manuellement à la cire rouge et l’étiquette joliment calligraphiée « à l’anglaise » collée sur un angle. Pour ouvrir, il faut un tire-bouchon bien de chez nous : planté dans la cire, il va extraire un joli bouchon en liège agréable au toucher. Des parfums subtils émanent alors du flacon, il n’y a plus qu’à remplir un verre digne de ce nom (avec un pied et en forme de tulipe pour bien sentir les effluves).

Flacons emblématiques de la maison Michel Couvreur, au design fidèle à l’esprit britannique.

Quand on arrive à Bouze-lès-Beaune dans le brouillard, aucun panneau n’indique l’existence de la maison Michel Couvreur, privilège des riches et des domaines légendaires (comme château Rayas à Châteauneuf-du-Pape).

Cela fait un moment que nous roulons depuis Paris, la photographe Hannah Assouline et moi, et nous n’avons toujours pas vu un être humain dans cette foutue campagne française qui sent la mort. En tout cas, la famille Couvreur sait se protéger. Il faut dire que des milliers de collectionneurs dans le monde se battent pour avoir ses whiskies et, ces dernières années, des vols de toutes sortes (vins, fromages, huîtres, ruches, fruits et légumes, animaux, machines…) pourrissent la vie des gens de la campagne comme si notre pays était entré en guerre civile.

La photographe de Causeur prise d’un malaise !

Nous finissons par trouver la maison. Alexandra, la fille de Michel Couvreur, son mari Cyril et le fidèle maître de chais Jean-Arnaud Frantzen nous accueillent avec un coup de bourgogne aligoté et un morceau de claquebitou. Le but de notre visite est de comprendre comment on peut élaborer des nectars pareils, « cheu nous », en Bourgogne, dans le pays du vin !

A lire aussi, du même auteur : Le goût du large!

« Suivez-moi », ordonne la belle Alexandra, dont l’autorité naturelle me fait penser un peu à celle de Sharon Stone, « et prenez garde aux vapeurs d’alcool ». Nous voici en train de descendre un escalier glissant menant à « la cathédrale », nom donné à la galerie creusée par Michel Couvreur en 1972. Aussitôt, je suffoque, car la part des anges y est énorme, l’équivalent de 20 000 litres de whisky évaporés dans l’atmosphère chaque année. J’ai des visions, Sharon Stone vêtue d’une peau de léopard… Cette cathédrale engloutie et couverte de moisissures suinte l’humidité. Là réside l’un des secrets de la maison, car les whiskies conservés vingt ans dans de très vieux fûts andalous de Xérès perdent de leur violence, s’attendrissent, se fondent, s’harmonisent !

Prise d’un malaise, Hannah se précipite vers la sortie pour respirer un bon coup. J’observe soudain le visage de nos hôtes, comment peuvent-ils vivre au quotidien au milieu de ces vapeurs ? Curieusement, ils semblent à peu près normaux et font même plus jeunes que leur âge.

À l’origine, Michel Couvreur était négociant en vins, ici, en Bourgogne. Un jour, admirant son palais fabuleux, des amis écossais l’ont encouragé à s’intéresser de près au whisky. Michel s’est donc rendu en Écosse, a visité de grandes distilleries, étudié tout le processus de fabrication puis est rentré en Bourgogne avec la conviction qu’il était possible de produire un vrai whisky bourguignon, sachant qu’il n’existe pas d’appellation géographique protégée (contrairement au cognac ou au champagne) : n’importe qui peut faire du whisky dans le monde, à partir du moment où il y a de l’eau-de-vie de céréales (orge, blé, maïs, seigle) élevée au moins trois ans dans un fût de chêne de 700 litres.

Le génie de Michel Couvreur a été de comprendre que le plus important, dans le whisky, ce n’est pas tellement l’eau-de-vie en tant que telle (en sortant de l’alambic, elle est blanche, très puissante, et sent la poire ou la framboise), mais son contact prolongé avec un fût rare et précieux dans un chais paisible et humide. Tout est dans l’élevage ! Michel Couvreur a très vite opté pour les meilleurs fûts du monde, et les plus rares, ceux de Xérès en Andalousie. Âgés de 20 à 100 ans, ces fûts imprégnés de fino (un vin élevé sous voile, comme le vin jaune du Jura, et que les Espagnols dégustent à l’apéritif avec des tranches de pata negra) communiquent au whisky une complexité aromatique fascinante, faite de clou de girofle, de cannelle, de vanille, de tabac, de cuir, de moût de raisin frais… Mais il faut au moins douze années d’attente pour obtenir un nectar, et le stock, c’est ce qui coûte le plus cher.

La famille Couvreur est en train de réaliser le rêve du patriarche, distiller sur place, au village de Bouze, l’eau-de-vie d’orge bourguignon cultivé localement, car les distillats écossais sont devenus de plus en plus standardisés (l’orge venant d’Ukraine et du Canada). L’alambic a été construit dans une grange et les whiskies seront mis en bouteilles en 2034.

À la dégustation, les whiskies Michel Couvreur impressionnent tous par leur robe ambrée, leur nez de fleurs séchées et de pain grillé, leur longueur en bouche, leur sensation de fraîcheur, leur concentration… en un mot, leur élégance.


De 50 à 475 €. Chez tous les bons cavistes.

La « cathédrale » souterraine où mûrissent les futurs grands whiskies.

Sur la route de Tillinac

Philippe Verdin publie aux éditions du Cerf une biographie charpentée de Denis Tillinac (1947-2020) à la fois plongée dans la vie personnelle de l’écrivain-éditeur, essai littéraire et réflexion sur la France qui perdure


La postérité est indigne. Elle ne retient que l’écume. L’anecdote lui sert de corset. Comme si l’accessoire emportait tous les suffrages à l’heure du jugement dernier. Que reste-t-il alors de l’onde nostalgique, puissant sillon qui, de l’enfance à l’âge mur, soutient et élève l’écrivain de style ? Il fallait un homme de foi en habit de moine, ayant fait ses humanités éditoriales au temps de la rue Corneille, à la Table Ronde, un compagnon de route de Tillinac qui n’est pas allé à Moscou mais sur les routes départementales de Corrèze et du Bourbonnais pour s’approcher d’une page majeure de l’histoire littéraire et la retenir. Oui, la retenir et la propager à l’usage des admirateurs de cet insaisissable (ils sont nombreux) et alerter ceux qui ont un peu vite enfermé le personnage dans le folklore médiatique qu’il avait lui-même créé. Il est temps aujourd’hui de se souvenir. « On reconnaît une page de Tillinac à un style et quelques thèmes qui demeurent sa marque » souligne Verdin. Il ajoute : « J’ai vu un écrivain à l’œuvre : cinquante-neuf livres écrits en quarante ans, des centaines de chroniques, un style qui s’affirme dès les premiers romans, une mélodie de nostalgie sans aigreur, une expression des bonheurs fugaces, le goût des batailles où avec des copains on distribue des horions ». Oubliez les images prémâchées, les interventions télévisuelles au débotté, la mémoire est une fausse amie. Elle nous joue des tours. Car Tillinac est plus que Tillinac. Chez son biographe, il y a la volonté de comprendre un cheminement intérieur, de coller aux bornes temporelles, et d’expliquer, dans une belle langue claire, la composition d’une œuvre. Verdin dévoile les plaques en décomposant la machinerie de l’artiste. De quoi était fait Tillinac ? Il n’était pas à une contradiction près et souvent son propre ennemi. Pudeur et sédimentation sont les deux mamelles d’une littérature exigeante. Une complexité incompréhensible à notre époque du raccourci et de la diatribe. Tillinac, c’était un boomer hostile à l’esprit soixante-huitard, un fan d’Elvis, un gaulliste aimant l’Amérique, un chiraquien de cœur, un hussard sans idéologie, la Xaintrie en armoirie, un romantique se réfugiant dans les églises, un réactionnaire rabelaisien, un Français au carré portant en lui le spleen des campagnes et l’illusion des Maréchaux. Un écrivain en partance vers l’ailleurs, vers l’Afrique. Un voyageur de circonstance, le regard collé à la vitre embuée et les fesses dans le gras molletonné des sièges du « Capitole ». Parisien de souche et provincial d’essence. Bernanos dans son sac à dos. La gare d’Austerlitz comme seule boussole dans l’existence. Tillinac s’est trouvé au milieu du gué avec, dans le rétroviseur l’héritage de Blondin et du bar-Bac, la mythologie d’une Rive Gauche pensant mal, et aux prémices d’une renaissance, celle des duellistes des années 1980, jeunes turbulents à la plume vacharde, les jadis fringants Besson et Neuhoff. Le lecteur s’y perd. Tillinac est-il un fils de Dumas, de Rocroi ou des Yéyés ? Dans les librairies, une littérature pleureuse et exhibitionniste allait prendre le pouvoir et distribuer les cartes. Dans cette confusion des genres, Tillinac était-il un écrivain de droite, flibustier et cinglant, ou ce régionaliste des terres abandonnées ? Il était tout ça et mieux que ça. Verdin recompose le puzzle, accumule les témoignages et trace un portrait en trois dimensions. Il remonte le fil, l’enfance à Daumesnil, l’adolescence à Vichy, une scolarité fluctuante avant la rencontre de Jacques Ellul sur le déprimant campus de Pessac, puis les débuts du localier à Tulle fauché par la tornade Chirac, emporté par l’amitié, suivra la parution des premiers livres sous l’influence déterminante de Robert Laffont. On voit la fermentation de l’écrivain en mouvement. Spleen en Corrèze fut salué par l’indispensable François Bott. Et une voie commença à se dessiner dans les brumes de la Mitterrandie. Que Tillinac nous parle des maisons de famille, de Simenon, du rugby, qu’il mette en lumière Pirotte, Charnet, Kauffmann, la même phrase coule, elle fait corps avec le lecteur. Ce plaisir de lire est la seule chose qui doit demeurer. Vivre en mousquetaire est une biographie où il est autant question d’amitié, de permanence que de transmission. Nous avions lu, il y a quelques années, Philippe Verdin au sujet de Maurice Druon, sa stèle à Tillinac est un délice d’automne aussi savoureuse qu’une poêlée de giroles.

Denis Tillinac – Vivre en mousquetaire – Philippe Verdin – Cerf 272 pages

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La boîte du bouquiniste

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Aucun soldat n’est sorti indemne de la Grande Guerre. Il y a ceux qui sont morts dans des conditions épouvantables ; ceux qui ont reçu des blessures innommables ; et il y a ceux qui, miraculeusement épargnés, ont été foudroyés par les horreurs dont ils ont été les témoins.

Ce traumatisme, dirions-nous aujourd’hui, a forgé la sensibilité des écrivains plongés dans les tranchées. Certains n’en sont pas revenus, tels Péguy et Apollinaire, et les autres ont puisé dans leurs tourments pour rédiger de sublimes pages. Ils se nomment Cendrars, Genevoix, Dorgelès, Drieu la Rochelle, Céline… et chacun à sa façon a tiré les leçons de la boucherie. Leurs réflexions alimentant pêle-mêle pessimisme, patriotisme, pacifisme ou héroïsme.

Dès 1918, un certain Edmond Cazal publie Voluptés de guerre. La prose et le chapitrage de l’ouvrage sont le travail d’un littérateur. Un homme du métier qui a su traduire les notes de son journal de campagne en un essai troublant où tout est volupté. « Voluptés de la marche », « du feu », « du travail », « du dégoût », « de la contemplation », etc. À la différence des illustres cités plus haut, l’auteur est un « officier non-combattant ». Il demeure dans les QG à l’arrière du front, mais la réalité du terrain ne lui est pas étrangère. Il partage le quotidien des soldats, leurs rations, les campements de fortune dans des maisons en ruines ou des granges abandonnées, les journées de marche sous la pluie ou le cagnard, les tirs d’obus, les nuages de gaz…

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Est-ce à cause d’une nature singulière ou du poste qu’il occupe, on est frappé par le recul avec lequel il observe la guerre et ses ravages. Celui qui se présente comme un « homme excessivement civilisé », ou un « homme de civilisation raffinée », voit pourtant les corps mutilés et les paysages dévastés. Ses descriptions précises sont froides et distantes lorsqu’il s’agit de restes ou de sentiments humains. Mais elles sont portées par un souffle sincère et une émotion profonde lorsqu’il est face à un coucher de soleil, à un pot de fleurs qui a survécu à un bombardement, à un sourire d’une jeune fermière.

On comprend qu’il ne trouve pas la volupté dans l’horreur de la situation mais dans ce que celle-ci lui renvoie : la quiétude et le confort d’un monde en paix. Ce contrepoids est systématique : face à une chaise en bois, sa viande froide et une couche de paille, il pense à « la volupté du divan, de la table et du lit » ; face à l’attente d’un nouveau départ, en retrait des troupes, il loue « la volupté de la solitude et du silence » ; face aux cadavres qu’il visite à la morgue, il ressent « la volupté d’être un corps vivant ». Une seule fois la volupté se fait « ivresse », lorsqu’il tue un homme – vraisemblablement le seul de sa guerre. Il avoue que cette « ivresse de tuer » est « rapide, énorme, inoubliable » mais « honteuse ».

Qui était Edmond Cazal ? Le pseudo d’Adolphe d’Espie (1878-1956), plus connu sous un autre pseudo, Jean de La Hire. Il a été l’un des auteurs les plus populaires du début du xxe siècle, les grands journaux se sont arraché ses feuilletons, et ses romans (policiers, sentimentaux, fantastiques ou de cape et d’épée) se sont vendus à des centaines de milliers d’exemplaires. Mais dès la défaite de 1940 il a prôné, et incarné, la collaboration active. Fuyant la France et la prison à la Libération, il s’est fait rattraper par la damnatio memoriae.

Voluptés de guerre, Edmond Cazal, Les Éditions G. Crès et Cie, 1918.

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De bons moments à Creil

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


C’est presque devenu une habitude ; une très agréable habitude. Chaque année, je suis invité par Sylviane Léonetti, directrice de l’association organisatrice La Ville Aux Livres, au Salon du livre de Creil, dans l’Oise, pour y dédicacer mes bouquins et animer des débats avec des écrivains. J’ai la joie d’y retrouver les membres de l’équipe d’organisation qui, au fil du temps, sont devenus des amis, et, souvent, des copains écrivains. Pour la deuxième fois, j’ai entraîné ma Sauvageonne dans mes pérégrinations ; elle ne demandait que ça. De mon stand de dédicace, je surveillais sa chevelure ébouriffée qui baguenaudait dans les allées bordées d’ouvrages et de bandes dessinées. Parfois, je l’apercevais en train de discuter avec Sylviane ou avec le poète Dominique Sampiero dont elle apprécie les œuvres et la façon spectaculaire qu’il a de les lire sur scène. Ce salon est certainement le plus important au nord de Paris ; les visiteurs y sont fort nombreux, à l’image des auteurs. Et l’accueil y est exceptionnel, bienveillant et fraternel. Le samedi matin, ce fut la traditionnelle remise des prix. Celui de littérature adulte a été attribué à Stéphanie Hochet, pour son roman Armures ; celui de bande dessinée adulte à Éric Hérenguel, pour The Kong Crew Blast Exit, tome 7 ; celui de littérature jeunesse à Nicolas Michel pour Entre mes branches ; et celui de la bande dessinée jeunesse aux excellents Régis Hautière et Arnaud Poitevin pour Les spectaculaires, tome 7. L’après-midi, je retrouvais mes confrères et amis Thierry Clermont et Valère Staraselski qui signait son remarquable roman Les passagers de la cathédrale, paru au Cherche midi. Puis, ce fut un débat très rock’n’roll en compagnie de Stan Cuesta (auteur de La musique a gâché ma vie, chez Antidata) et Patrick Eudeline (Perdu pour la France, chez Séguier). J’étais heureux d’évoquer leurs opus que j’ai adorés. Le premier est un recueil de nouvelles qui, finalement, constitue une manière de roman ; le second est, sans aucun doute, le plus intime de l’ancien critique rock de Best et de Rock & Folk. Le soir, la Sauvageonne et moi, dînâmes à La Buvette, un chaleureux bistrot-restaurant à la cuisine très française situé à Saint-Maximin, en compagnie de Stan Cuesta, son épouse et de Dominique Zay. Joyeuse ambiance. (Dominique nous fit part de son projet : placer un mot secret au cours de l’entretien qu’il devait m’accorder le lendemain.) Le lendemain justement, j’eus l’immense plaisir de m’entretenir avec l’académicienne Danièle Sallenave (pour son livre La splendide promesse, chez Gallimard) et Isabelle Lonvis-Rome (pour Jouer ou tuer, chez Michalon), sur le thème « La promesse républicaine : un engagement ». Leurs propos et leur intelligence ont montré qu’il existait encore une gauche tolérante, humaniste qui n’a pas peur de dévoiler son amour pour la France et qui, malgré les guerres, poursuit son combat contre l’antisémitisme. Un combat essentiel, comme n’a pas manqué de le rappeler, le soir-même, le génial Hélios Azoulay, écrivain, poète, acteur compositeur et clarinettiste à la faveur d’une prestation fort appréciée avec son instrument fétiche. Un vrai régal.

Cinéma: dans Lisbonne enlaidie, Eugène Green sauve encore la beauté

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Rui Pedro Silva dans "L'arbre de la connaissance" (2025) © JHR Films

Cinéaste-poète génial, Eugène Green nous captive une fois encore avec L’Arbre de la connaissance


Faut-il encore présenter Eugène Green ? Natif des États-Unis (épicentre géographique de ce qu’il ne perd jamais une occasion de nommer la barbarie – et leurs habitants, comme de juste, les barbares) mais dès longtemps francophone de cœur, d’adoption et bien entendu naturalisé français, tout autant dramaturge, romancier, poète, que cinéaste sur le tard, ce fabuleux conteur, de bonne heure épris de musique baroque, est à sa manière en 2025, au Septième art ce que fut en son temps un Robert Bresson.

Cinéaste singulier

Né en 1947, le chef encadré d’une longue crinière chenue tel un preux chevalier du temps jadis, vieil amoureux de Lisbonne mais atterré par son enlaidissement ripoliné, est pourtant un moderne, au sens où son cinéma tellement singulier, si captivant, n’observe jamais le réel que d’un regard de sage souriant, pétri de cette ironie tout à la fois cruelle et bienveillante, pince-sans-rire et acide. Jamais en militant ou en donneur de leçons. Green est un moraliste, nullement un moralisateur, et encore moins un de ces procureurs bien-pensants dont l’époque est féconde.

Venons-en à son dernier film, en salles depuis déjà quelques jours, et dont votre serviteur (hélas victime d’un brutal ennui de santé), rend compte ici trop tardivement, toute honte bue. L’arbre de la connaissance a pour siège Lisbonne, tout comme en 2009 le film La Religieuse portugaise (on y retrouve d’ailleurs sous d’autres traits fictifs la merveilleuse actrice Ana Moreira). Dans La Sapienza (2014), un architecte d’âge mûr, méditant d’écrire une étude, devenait par le hasard d’une rencontre fortuite le cicérone d’un jeune et bel étudiant en architecture, le prenant sous son aile dans un « grand tour » transalpin, de Rome à Turin, pour lui faire découvrir les chefs d’œuvres de Borromini, devenant ainsi le mentor de son protégé dans sa carrière naissante.

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Ici, c’est un Ogre (dans le rôle, Diogo Doria, figure mythique de la scène et de l’écran lusitaniens, comme tel de longue date adoubé par un Raul Ruiz ou un Manoel de Oliveira) qui recueille Gaspar, chaste éphèbe aux boucles brunes (Rui Pedro Silva) en rupture de ban avec ses géniteurs, coincés dans le désert spirituel et esthétique de ces banlieues sans fin dont le siècle est fertile. Environnement capté d’ailleurs crument par l’objectif : escaliers mécaniques, immenses artères minérales, légions d’édifices réunis par une identique banalité – l’omniprésent, tentaculaire défi à tout beauté architecturale et urbanistique, désormais notre ordinaire hors centres villes au patrimoine rageusement lessivé. L’adolescent Gaspar sert d’appât pour attirer les meutes de touristes dans l’antre de l’Ogre.

Lisbonne: l’horreur touristique

Avec cette facétie mordante qui n’est qu’à lui, Green plante le décor d’une Ville aux sept collines désormais abâtardie, soumise à l’invasion diurne et nocturne de ces meutes polyglottes, ignares, ignoblement nippées, de ces troupeaux audioguidés, véhiculés en cyclopousses électriques ou en faux trains à vapeur miniatures :  Lisbonne ne s’appartient plus.  D’un geste de la main, Gaspar remet ces hordes de bipèdes transhumants sur leurs pattes, faisant s’évanouir, sous leurs culs interchangeables de touristes, leurs cohortes d’affreux tuk–tuks, pareils aux palanquins du diable. La multiplication des disparitions humaines, ragoût prisé de l’Ogre anthropophage, fait pendant ce temps la une des JT, autre trait d’un très haut comique. Gaspar ayant sauvé du chaudron un chien et une ânesse, le conte embarquera le spectateur médusé dans une fable sans borne assignée, conjuguant le saugrenu, la cocasserie, et la morsure musclée dans la chair même du temps présent.

Nul passéisme chez Green, mais la souffrance manifeste d’un poète qui, consterné, voit sous ses yeux se déliter de jour en jour, inexorablement, notre vieille, irremplaçable civilisation européenne et jusqu’à sa langue même, trésors d’autant plus chéris par lui que, de souche exogène, il a dû patiemment se les assimiler.

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Et si L’Arbre de la connaissance convoque, dans les rets d’un scénario foisonnant, stupéfiant d’allègre inventivité, la figure de la fille de Joseph 1er, Marie (1734-1816), laquelle, devenue folle, s’éteint au Brésil où elle s’était exilée dès l’annonce de l’invasion napoléonienne en 1808, ce n’est pas par pure nostalgie, non plus que l’apparition, au cœur du film, de Sebastiao Jose Carcalho e Melo, marquis de Pompal (1699-1782). Mais parce que la sapience – mariage de la sagesse et du savoir – appelle la rumeur de l’histoire et la puissance irrécusable du passé : double tresse de la connaissance à l’arbre duquel se fixera Helena, la femme-serpent du film, dans une séquence étrange et superbe… De même, les azulejos ne sont pas là pour faire joli. Ils sont la substance de Lisbonne. Et si Green privilégie les plans frontaux sur les visages, ce n’est pas davantage par pur esthétisme, mais parce qu’ils sont la face, la carnation même de la beauté humaine dans son âge idéal. Leur langage châtié n’a rien d’une coquetterie : c’est l’expression d’une perfection.

A quand une rétrospective Eugène Green, doublée d’une exposition, à la Cinémathèque française ?  


Maria Gomes et Rui Pedro Silva (C) JHR Films

L’arbre de la connaissance. Film d’Eugène Green. Avec Rui Pedro Silva, Maria Gomes, Diogo Doria, Ana Moreira, Leonor Silveira… France/ Portugal, couleur, 2025. Durée : 1h41 En salles.

Présidentielles à gauche: pourquoi pas la courte paille?

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L'histoire en marche. De gauche à droite : Marine Tondelier, Olivier Faure, Lucie Castets, Clémentine Autain et Francois Ruffin, Trappes, 15 novembre 2025 © Christophe SAIDI/SIPA

Réunie le 15 novembre dans les Yvelines chez Ali Rabeh, la «gauche unitaire» a annoncé qu’une grande primaire aurait lieu à l’automne 2026. Malheureusement, on ne trouve que des seconds couteaux parmi les postulants pour l’instant, les candidats naturels – Mélenchon pour la gauche dure et Glucksmann pour la gauche molle – souhaitant concourir séparément.


Eux au moins nous font bien rigoler. Eux, je veux dire la gauche façon puzzle qui se contorsionne en tout sens dans l’espoir de parvenir à s’afficher « unitaire » en vue des présidentielles de 2027. « Unitaire », vous l’aurez compris, face au danger suprême que représenterait l’extrême droite. C’est dire si l’heure est grave. Alors, aussi vrai que l’oignon fait la soupe, ils se sont dit, à gauche, que l’union devait faire la force. Ils ont même prêté serment là-dessus. C’était lors de la canicule estivale, en juillet dernier, à Bagneux. Présenter le moment venu un candidat commun, voilà l’objet du serment dont on ne sait s’il a été prononcé la main droite posée sur le dernier bouquin de Mélenchon ou la sainte bible du programme commun des années Mitterrand-Marchais.

Peut-être l’intense chaleur leur était-elle montée à la tête, ce qui expliquerait qu’ils se soient lancés dans cette lubie dont le préalable est tout de même l’harakiri consenti d’un certain nombre d’egos. Car il y a quelque peu embouteillage au portillon. Qu’on en juge !  Nous avons là Olivier Faure, le patron du PS, Marine Tondelier, la cheffe des écologistes, Benjamin Lucas, le coordinateur de Génération.s, les vrais-faux repentis du mélenchonisme pur et dur que sont Clémentine Autain, François Ruffin et surtout, en « guest star », celle qui se voyait Première ministre en 2024 et se voit manifestement encore tutoyant les sommets, la sémillante Lucie Castets. Tous individus dont, nul ne l’ignore, l’ambition n’est pas des plus tempérées ni l’ego particulièrement mince.

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Nonobstant, chose promise chose due, samedi dernier le serment de Bagneux a connu un semblant de mise en œuvre avec l’annonce de l’organisation d’une primaire de ladite gauche pour l’automne 2026. C’était en la bonne ville de Trappes. (Pour une initiative visant à élire un candidat destiné de toute évidence à passer, lui, à la trappe, le choix de cette ville paraît en effet des plus judicieux).

On sait déjà que MM. Mélenchon et Glucksman, entendant se la jouer perso, n’en seront pas. On ne se mélange pas, voyez-vous. Même à gauche. Quant au parti communiste, bien que tenant à rappeler sa puissante « culture antifasciste et une tradition d’union », il se tâte encore.

Pour le moment, nous avons trois candidats déclarés à cette joyeuse primaire : Clémentine Autain, Marine Tonnelier et François Ruffin. Olivier Faure, à l’instar des communistes, se tâte toujours. On sait qu’il n’a pas son pareil pour sortir du bois au dernier moment et couillonner son monde.

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Il est clair qu’il conviendra d’ajouter à ces candidatures annoncées celle de Lucie Castets. Sinon que serait-elle venue faire dans ce cirque ? C’est qu’elle croit ferme en son destin, au moins autant qu’elle y croyait en 2024 pour Matignon ! Qu’on se le dise ! Puisque Matignon lui est passé sous le nez, visons donc plus haut. L’Élysée, carrément. La chance sourit aux audacieux, n’est-ce pas. Le ridicule aussi, en l’occurrence. D’ailleurs, Dame Castets voit se profiler le plein succès pour ce tour de chauffe de la primaire : « Quand nous allons donner la date, se persuade-t-elle, cela va créer un effet d’entraînement, une dynamique ». Ce disant, elle se réfère à une enquête Elabe pour BFM TV révélant que 72% des électeurs du réjouissant Nouveau Front populaire souhaitent une candidature unique de la gauche. Autrement dit, un candidat ramasse miettes, puisque, à y regarder de près, celui-là – ou celle-là – aura à vendre à l’électeur l’illusion de représenter ne serait-ce qu’une once de cohérence programmatique. Pas gagné. D’autant, que le show de la primaire aura fait remonter à la surface, comme d’habitude, les oppositions, les contradictions, les détestations, bref tout ce qui apportera la démonstration éclatante que, à part une ambition démesurée, les comiques en lice n’ont à peu près rien en commun.

Aussi, pour éviter ce déballage si préjudiciable, ce naufrage annoncé, me permettrais-je de leur conseiller de recourir à la bonne vieille pratique de la courte paille. Évidemment, c’est beaucoup moins rigolo, surtout pour nous…

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Sur nos télés, les généraux ont remplacé les médecins

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Le chef d'état major des Armées Fabien Mandon à Paris, le 18 novembre 2025 © Franck Derouda/SIPA

De plus en plus de conservateurs inquiets craignent que le président français n’instrumentalise la menace russe pour ressouder l’opinion autour de lui, et afin de détourner l’attention sur les crises intérieures. Ivan Rioufol redoute ainsi dans sa chronique que la France s’entête à soutenir l’Ukraine jusqu’à provoquer une escalade militaire, alors même que les marges diplomatiques se referment.


Cette fois, ils évitent l’accusation en complotisme, craignant le ridicule. En effet, les batailleurs qui alertent, derrière Emmanuel Macron, sur Vladimir Poutine et sa « guerre hybride » voient partout la main de Moscou. Ceux qui accusent le chef de l’État de vouloir faire diversion, tandis que la France est la cible passive d’un djihad intérieur qui devrait mobiliser l’armée, sont plus banalement traités de « collabos », « munichois », « capitulards », etc.

Les lyncheurs sont les mêmes qui, durant la crise du Covid, conspuaient les résistants à l’hygiénisme d’État et à ses QR codes sanitaires, annonciateurs d’une société totalitaire soumise à la peur. Sur les télés, les généraux ont remplacé les médecins. Mais les mécanismes anxiogènes sont les mêmes. La déclaration du chef d’état-major des armées, le général Fabien Mandon, devant le congrès des maires de France, mardi soir, appelant le pays à préserver sa « force d’âme » et à « accepter de perdre ses enfants » dans un affrontement futur avec la Russie, a dévoilé l’état d’esprit d’un président esseulé et rejeté, en quête d’union nationale autour de sa personne. Le 11 juillet, le général Thierry Burkhard, prédécesseur de Mandon, avait attribué à la Russie une déclaration, en réalité introuvable, censée faire de la France « son premier adversaire en Europe ». En fait, tout est bon pour le pouvoir. Il attise les braises sur une poudrière, quitte à user de mensonges et de sanctions contre des opposants. Le général Paul Pellizzari a été radié de son grade pour avoir osé demander au gouvernement de saisir le Parlement en préalable aux livraisons d’armes à l’Ukraine, en regard des articles 35 et 53 de la constitution.

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« La crainte de la guerre est souvent la chance des tyrannies », expliquait Raymond Aron. Ce regard est utile pour comprendre les postures bellicistes de Macron face à Poutine, alors que le chef de l’Etat baisse les armes face à l’Algérien Abdelmadjd Tebboune et ses provocations. Le refus du débat et la disqualification de l’esprit critique sont les marques de la macronie et de ses médias. Pour avoir répété, avec le noyau dur de l’Union européenne, que la « Russie ne pouvait, ne devait, gagner la guerre », Macron a renoncé à son rôle de médiateur. Or le président est en passe de perdre la face. Cela fait plus de deux ans que la vaillante Ukraine recule, après l’échec de sa contre-offensive de juin 2023. Le lâchage des Etats-Unis risque de précipiter sa défaite. Une guerre généralisée serait dès lors envisageable si la France et les boutefeux européistes décidaient, pour imposer une Europe supranationale, de relancer le meurtrier conflit entre slaves.

Le dernier plan de paix concocté entre Américains et Russes n’est certes pas acceptable en l’état par l’Ukraine. Il serait pire, dans ses 28 points, que celui qui avait été élaboré à Istanbul en mars-avril 2022 avant d’être rejeté sous la pression britannique. « Je ne trahirai jamais l’Ukraine », a déclaré samedi Volodymyr Zelensky. Ce patriotisme l’honore. Reste que la corruption de son entourage a aggravé sa propre faiblesse. Dans les négociations, ouvertes hier à Genève, une paix est envisageable pour un esprit rationnel. Mais Macron pense-t-il à autre chose qu’à lui-même ?

Journal d'un paria: Bloc-notes 2020-21

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Romain Gary exhaussé-exaucé à la Contrescarpe

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© Théâtre Le Contrescarpe

Une adaptation mémorable de La Promesse de l’aube de Romain Gary, qui déjoue les poncifs-attendus et redonne son lustre à un roman empoussiéré par le culte, irritant parfois, qui lui est souvent rendu. Ici: le contraire. Pur régal.


« Cette suprême lucidité qu’il faut pour continuer à lutter et qui s’appelle l’aveuglement. »
Romain Gary, Clair de femme


Il l’ignore mais dans cinq ans, il tournera encore avec son adaptation de La Promesse de l’aube. « Il », c’est l’épatant Tigran Mekhitarian et sa troupe (ici Delphine Husté, qui crève l’écran en mère de Romain Gary, et Léonard Stefanica, homme-orchestre qui scande la pièce de sa musique, slave – entre autres).

Je suis content de prendre les paris de la prolongation indéfinie de ce spectacle – et d’être certain de le gagner. Je récapitule.

Gary d’abord : j’aime, de lui, essentiellement UN titre – mais « beaucoup-beaucoup ». Lequel ? Clair de femme (Folio) – un des secrets les mieux gardés de son œuvre polymorphe, que sa légende caricaturale offusque. Légende qui fait que, par ailleurs, longtemps j’ai ignoré Romain Gary.

Donc Clair de femme. Vous savez : « Michel, le bouche à bouche peut ramener à la vie, mais ce n’est pas une façon de vivre. » Ou : « Je sais qu’il existe des amours réciproques mais je ne prétends pas au luxe. » Ou : « La ‘’sagesse’’, cette camomille empoisonnée que l’habitude de vivre verse peu à peu dans notre gosier avec son goût doucereux d’humilité, de renoncement et d’acceptation. » Ou, une ultime – tellement dingue : « Elle était ‘’morte’’, comme on dit couramment chez ceux qui ne doutent de rien. » Bref : Clair de femme.

Puis j’ai appris à découvrir Gary, derrière les oripeaux. Et La Promesse de l’aube m’a, in fine, tardivement, conquis. Tout le monde le sait ou presque : c’est l’histoire des débuts dans la vie d’un futur écrivain-aviateur-Compagnon de la Libération-diplomate, etc., et un portrait « hénaurme », bouleversant parfois, de sa mère, et de leurs rapports complètement « hors normes » (euphémisme). Du rôle de cette mère, aussi, dans le destin de Gary. De la Pologne à Nice, de Paris à… Londres, et retour.

Ce qu’en a fait Tigran Mekhitarian est stupéfiant : tout est juste, drôle – tellement drôle -, émouvant, « exemplaire » (il est vrai que la matière – le roman – y contribue grandement). Ce jeune homme presque inconnu – Tigran M. – ne le restera pas longtemps (il monte, par ailleurs, en mars, Le Misanthrope au Théâtre Antoine – ce qui signifie qu’il commence à être sérieusement repéré quand même).

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Pareil pour Delphine Husté qui joue la mère : elle ressemble un peu, physiquement, à Irène Némirovsky, mais comme actrice, elle ne ressemble à personne : tellement juste, avec son accent venu du fond de la Russie ou de la Pologne. C’est peu dire qu’elle a « de l’abattage ». Inénarrable. Quant au troisième larron, Léonard Stefanica, qui joue tous les autres personnages (outre la musique, donc) : il est à la mesure de ses deux complices – c’est assez dire.

Ces gens – Gary, sa mère ; Kessel, sa mère aussi (l’« autobiographie » de celle-ci vient de paraître chez Arthaud, c’est pour cela que l’on ose le rapprochement, pertinent après sa lecture) – ces gens, donc, étaient vraiment bigger than life. Ils ont tellement – TELLEMENT – aimé la France, cru en la France. Ils lui ont tout donné. Elle leur a beaucoup rendu, aussi. Gary, Kessel, aujourd’hui, sont des classiques.

Courez – vraiment – voir ce spectacle : cela dure 1H30 – et c’est un des plus jolis moments de théâtre que j’ai vécus cette année.


NB – Pour plus de précisions à propos de Gary, j’aimerais signaler un tout petit livre, trop méconnu. Cela s’appelle Le sens de ma vie (Folio, 108 pages !) et c’est un long entretien accordé peu de temps avant que Gary ne mette fin à ses jours (décembre 1980).

Il y a dans les mots de ce géant (voir Kessel donc, ou Druon), une telle charge d’humanité, une telle affirmation de vulnérabilité – manifestation sophistiquée, comme à rebours, de sa puissance, de son énergie – qu’on n’a qu’une envie l’entretien achevé : relire Gary.

Réentendre sa voix, retrouver cette éthique impeccable, ce souci du monde comme il ne va pas, ce courage physique et moral, cette ardeur – cet amour de la France… et de la féminité, aussi. Si peu de triche – de jeu – chez cet homme d’action et de réflexion.

A part Malraux, Saint-Exupéry, et Drieu sans doute (en dépit des apparences), qui ? Combien sont-ils à enseigner lorsqu’ils se montrent ? Rares. Lisez. Édifiant. Sens strict.

Et surtout – n’oubliez pas : Tigran Mekhitarian, Delphine Husté et Léonard Stefanica au Théâtre de la Contrescarpe. Celles (ou ceux) qui n’aimeraient pas ce spectacle me seraient – totalement – étrangers.


La Promesse de l’Aube, de Romain Gary, adapté et mis en scène par Tigran Mekhitarian. Théâtre de la Contrescarpe (0142018188). Du jeudi au samedi, 21H. Samedi à 16H30 (et 21H parfois), Dimanche à 15H.

NB Comme « prévu » : pas de date de fin signalée dans le programme de la Contrescarpe : ils savent. (Sourire).

Et toujours : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil – à propos de 600 écrivains, femmes et hommes, de France et d’ailleurs.

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Un rebond des Bleus qui laisse un tantinet dubitatif

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Nicolas Depoortere lors de France-Australie, 22 novembre 2025 © Christophe Ena/AP/SIPA

La France s’est imposée face à l’Australie samedi


En s’imposant face à l’Australie samedi au Stade de France par 48 à 33, son troisième et dernier match de la tournée automnale, la France a marqué son 5ème plus grand nombre de points dans une rencontre de son histoire. En 2003, en Coupe du monde, les Bleus en avaient inscrit 96 contre la Namibie, puis en Tournoi des Six nations, 56 en 2005 contre l’Italie, 53 en 2023 contre l’Angleterre chez elle, 51 contre le Pays de Galles.

Festival d’essais

La rencontre « enlevée, parfois spectaculaire », comme l’a pertinemment souligné le chroniqueur de Sud Ouest dimanche, Denys Kappès-Grangé, docteur es-Ovalie, a été un rare festival d’essais. En tout, il en a été marqué douze. Les Bleus en ont inscrit sept et les Wallabies cinq dont respectivement cinq et quatre transformés, étayage de réalisations peu commun, voire peut-être unique, entre deux formations de ce niveau. Avec les deux scores additionnés, c’est en effet un total de 81 points qu’affichait le tableau au coup de sifflet final.

En quête d’une réhabilitation, visiblement, les deux protagonistes se sont livrées à fond. Pour la France, il était impératif d’effacer sa double contre-performance, une amère défaite contre l’Afrique du sud et une victoire étriquée contre les Fidji, et pour l’Australie de mettre fin à une série humiliante de trois défaites consécutives dont une contre l’Italie et les deux autres contre l’Angleterre et l’Irlande. Ce en quoi les Springboks ont échoué…

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Si ce rebond des Bleus est rassurant, il n’a pas été toutefois totalement convaincant, ainsi que l’a reconnu Fabien Galthié, le sélectionneur-entraîneur, l’homme aux grosses lunettes noires. Sans ambages, il a déploré notamment une indiscipline presque atavique de ses joueurs.

« On est à 19-19 à la mi-temps avec un carton jaune, poursuit-il…  L’équipe a su réagir. Mais si on compare à il y a quatre ans, on n’est pas au même niveau… Douze essais encaissés en trois matches, c’est beaucoup trop. » De son côté, Maxime Lucu qui a écopé du carton jaune juste avant la pause a renchéri. « L’indiscipline fait qu’on défend énormément et on se met à la faute sur des petites erreurs bêtes. »

Un peu de sérieux !

Ce manque de rigueur qui fragilise la défense est le gros point noir des Bleus. En première mi-temps, ils ont commis huit fautes dont sept quand ils défendaient offrant ainsi indirectement les trois essais sur les cinq qu’ont aplatis les Wallabies. En revanche, ce qui est de bon augure, le paquet d’avants a tenu la dragée haute à ceux très rugueux d’en face. Ses coups de boutoir ont eu pour conséquence d’ébranler la muraille adverse et de permettre au XV tricolore de franchir la ligne d’en-but à quatre reprises au retour de la pause.

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L’avant-dernier essai a été marqué par Louis Bielle-Biarrey à la 72ème et le dernier par Maxime Lamothe à la 79ème  , tous les deux transformés, gommant de la sorte l’impression qui avait prévalu lors deux précédentes rencontres, à savoir que les Bleus n’étaient plus en mesure tenir la durée complète d’un match. Contre l’Afrique du sud, la France avait dévissée à la 60ème alors qu’elle menait. Contre les Fidji, elle a tangué jusqu’à la 70ème. Autre point positif, samedi soir a confirmé que la France dispose de deux jeunes trois-quarts d’exception, qui s’entendent parfaitement puisque jouant dans le même club, les Bordelais Nicolas Depoortere et Louis Bielle-Biarrey. Chacun a réalisé un doublé, en marquant un essai à chaque mi-temps. Comme quoi la rudesse de l’affrontement ne les avait pas émoussés.

En route pour la Coupe !

Cette victoire a, en outre, eu comme atout pour la France de consolider sa 5ème mondiale et donc d’être tête de liste pour la Coupe du Monde qui se disputera du 1er octobre au 13 novembre en Australie. Elle est donc assurée de ne croiser en poule, dont le tirage aura lieu le 3 décembre, aucune des cinq autres meilleures nations de l’ovalie. Contrairement à ce qui était advenu en 2023 où pour accéder au quart de finale, elle avait affronté la Nouvelle-Zélande… La France s’était imposée par 27-13. Mais elle y avait laissé beaucoup de jus, cause probable de sa défaite en quart d’un petit point face à l’Afrique du sud (28-29) qui décrocha cette année-là le titre pour la seconde fois consécutive. Cette dernière, bien que vieillissante, fait déjà figure de favorite pour conquérir une troisième coupe d’affilée. Les Springboks, qui trois semaines avant ont vaincu les Bleus (17-32), ont été aussi, samedi, intraitables face l’Irlande. Ils l’ont emporté par un 24-13 après avoir marqué quatre essais contre un par la partie adverse.

Coïncidence, la France rencontrera le 5 février, au Stade de France, en ouverture du Tournoi des Six-nations, cette même Irlande. Un match très attendu pour connaître les potentialités réciproques de chacune des deux équipes en vue de la Coupe du Monde.

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Délire kitsch asiatique

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© Jean-Marie Chabot

Mélange foutraque de danses traditionnelles, de cirque et de music-hall, délire de formes, de couleurs et de kitsch asiatique, Post-Orientalist Express, au titre aussi divertissant qu’habilement accrocheur, est une explosion de virtuosité physique et d’images faites pour épater.


La danseuse coréenne Eun Me Ahn © Sukmu Yun

Sans queue, ni tête, et par là même devenant bientôt d’un mortel ennui, exécuté cependant à une vitesse infernale et avec une technique sidérante par des virtuoses, danseurs et acrobates, Post-Orientalist Express, ouvrage de la dame coréenne Eun-Me Ahn, est un déballage d’images spectaculaires qui font l’effet désiré sur un public peu exigeant sur le plan artistique, mais prompt à l’enthousiasme dès lors qu’on saute en l’air, que l’on tournoie avec frénésie et qu’on galope plus vite encore que son ombre…

L’ensemble tient du Cirque de Pékin, mais en moins tapageur, du music-hall, mais sans vulgarité, et d’un improbable patchwork de danses traditionnelles ayant fleuri dans plusieurs pays d’Asie.

Elle ose tout

Dans une capitale sinistre comme Séoul où parmi les tenues occidentales des fonctionnaires et des employés uniformément ternes et grises, une cravate rougeâtre ou bleu nuit apparaît comme une audace inouïe, sinon comme un signe de dépravation avérée alors que l’anthracite et le plomb sont les teintes de rigueur, les costumes du spectacle sont la grande affaire d’Eun-Me Ahn qui en est aussi l’auteur.

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Elle semble se rattacher à la floraison de couleurs vives et franches des vêtements traditionnels en Corée qui sont, chez les femmes surtout, aussi flatteurs et élégants… que dépourvus de fantaisie. Mais son délire à elle n’a pas de limites. Et même s’il vire parfois au kitsch de baraque foraine, il est d’une inventivité stupéfiante et joyeuse. Dans ce domaine, Madame Ahn ose tout. C’est même à ça qu’on la reconnaît, comme le balance la célèbre réplique de Michel Audiard. C’est cette inventivité folle des costumes qui porte Post-Orientalist Express et occulte bien à propos une « chorégraphie » d’un vide abyssal relevant au mieux de la gymnastique artistique. Pour l’assurer, il faut cependant des danseurs d’une énergie renversante, de petits soldats kamikazes qui n’ont vraiment pas froid aux yeux et qui acceptent d’aller au front avec une vaillance et une virtuosité sans bornes.

Incongru

Sur la scène du Théâtre de la Ville qui a vu se dérouler les œuvres maîtresses de Pina Bausch, de Merce Cunningham, de Lucinda Childs, de Jean-Claude Gallotta ou de Dominique Bagouet, découvrir ce divertissement coloré et racoleur apparaît tout à fait incongru. Mais l’opportunisme d’Eun-Me Anh y a déjà exercé ses ravages avec un Dancing Teen Teen qui mettait en scène des adolescents peroxydés.

Et le public d’aujourd’hui acclame sans se poser plus de question. Comme dans les émissions de variétés télévisées, il adule désormais le divertissement décérébré à l’état pur.


1h 15. De 5 € à 34 €
Informations pratiques et horaires.

Bourgogne: l’autre pays du whisky

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Alexandra Couvreur-Deschamps et Cyril Deschamps © Hannah Assouline

Les whiskies de Michel Couvreur sont uniques au monde. Une élaboration 100% bourguignonne et un élevage durant des décennies dans des fûts andalous centenaires leur offrent un bouquet aromatique incomparable. L’entreprise familiale ne se repose pas sur ses lauriers et poursuit la perfection de ses précieux flacons.


Connaissez-vous Bouze-lès-Beaune ? Non ? Eh bien, honnêtement, vous n’avez rien perdu. Situé à quelques kilomètres de Beaune, en Bourgogne, ce village (non répertorié par mon GPS) est surtout réputé pour l’humidité atroce qui y règne, laquelle s’explique par la présence d’une source. « Bosa », en celte, signifiait « poche d’eau ». Mais dans l’oreille des Anglais qui visitent la région, Bouze sonne comme « Booze » qui veut dire « bibine ». Et là, l’affaire commence à avoir du sens, car pourquoi donc aller à Bouze-lès-Beaune ? Parce qu’on y élabore depuis 1978 l’un des meilleurs whiskies du monde, celui du regretté Michel Couvreur ! Ce personnage à la Simenon, né à Uccle en Belgique en 1928, non loin de Bruxelles, coche toutes les cases : il aimait les bons vins, les jolies femmes, la chasse et fumait le cigare, bref, le mâle blanc de plus de 50 ans dans toute son horreur. Longtemps, j’ai pensé comme Pierre Desproges qui disait : « Le whisky est le cognac du con. » Jusqu’au jour où j’ai goûté un whisky de Michel Couvreur.

Expérience ethétique totale

À l’aveugle, on s’y tromperait presque, tant il paraît suave et rond, avec des notes subtiles de raisins confits, comme un grand cognac. Déguster un whisky de Michel Couvreur est en fait une expérience esthétique totale. Il y a d’abord le plaisir de l’œil, la bouteille anglaise, lourde et de forme carrée (comme celles des Johnnie Walker), avec le goulot cacheté manuellement à la cire rouge et l’étiquette joliment calligraphiée « à l’anglaise » collée sur un angle. Pour ouvrir, il faut un tire-bouchon bien de chez nous : planté dans la cire, il va extraire un joli bouchon en liège agréable au toucher. Des parfums subtils émanent alors du flacon, il n’y a plus qu’à remplir un verre digne de ce nom (avec un pied et en forme de tulipe pour bien sentir les effluves).

Flacons emblématiques de la maison Michel Couvreur, au design fidèle à l’esprit britannique.

Quand on arrive à Bouze-lès-Beaune dans le brouillard, aucun panneau n’indique l’existence de la maison Michel Couvreur, privilège des riches et des domaines légendaires (comme château Rayas à Châteauneuf-du-Pape).

Cela fait un moment que nous roulons depuis Paris, la photographe Hannah Assouline et moi, et nous n’avons toujours pas vu un être humain dans cette foutue campagne française qui sent la mort. En tout cas, la famille Couvreur sait se protéger. Il faut dire que des milliers de collectionneurs dans le monde se battent pour avoir ses whiskies et, ces dernières années, des vols de toutes sortes (vins, fromages, huîtres, ruches, fruits et légumes, animaux, machines…) pourrissent la vie des gens de la campagne comme si notre pays était entré en guerre civile.

La photographe de Causeur prise d’un malaise !

Nous finissons par trouver la maison. Alexandra, la fille de Michel Couvreur, son mari Cyril et le fidèle maître de chais Jean-Arnaud Frantzen nous accueillent avec un coup de bourgogne aligoté et un morceau de claquebitou. Le but de notre visite est de comprendre comment on peut élaborer des nectars pareils, « cheu nous », en Bourgogne, dans le pays du vin !

A lire aussi, du même auteur : Le goût du large!

« Suivez-moi », ordonne la belle Alexandra, dont l’autorité naturelle me fait penser un peu à celle de Sharon Stone, « et prenez garde aux vapeurs d’alcool ». Nous voici en train de descendre un escalier glissant menant à « la cathédrale », nom donné à la galerie creusée par Michel Couvreur en 1972. Aussitôt, je suffoque, car la part des anges y est énorme, l’équivalent de 20 000 litres de whisky évaporés dans l’atmosphère chaque année. J’ai des visions, Sharon Stone vêtue d’une peau de léopard… Cette cathédrale engloutie et couverte de moisissures suinte l’humidité. Là réside l’un des secrets de la maison, car les whiskies conservés vingt ans dans de très vieux fûts andalous de Xérès perdent de leur violence, s’attendrissent, se fondent, s’harmonisent !

Prise d’un malaise, Hannah se précipite vers la sortie pour respirer un bon coup. J’observe soudain le visage de nos hôtes, comment peuvent-ils vivre au quotidien au milieu de ces vapeurs ? Curieusement, ils semblent à peu près normaux et font même plus jeunes que leur âge.

À l’origine, Michel Couvreur était négociant en vins, ici, en Bourgogne. Un jour, admirant son palais fabuleux, des amis écossais l’ont encouragé à s’intéresser de près au whisky. Michel s’est donc rendu en Écosse, a visité de grandes distilleries, étudié tout le processus de fabrication puis est rentré en Bourgogne avec la conviction qu’il était possible de produire un vrai whisky bourguignon, sachant qu’il n’existe pas d’appellation géographique protégée (contrairement au cognac ou au champagne) : n’importe qui peut faire du whisky dans le monde, à partir du moment où il y a de l’eau-de-vie de céréales (orge, blé, maïs, seigle) élevée au moins trois ans dans un fût de chêne de 700 litres.

Le génie de Michel Couvreur a été de comprendre que le plus important, dans le whisky, ce n’est pas tellement l’eau-de-vie en tant que telle (en sortant de l’alambic, elle est blanche, très puissante, et sent la poire ou la framboise), mais son contact prolongé avec un fût rare et précieux dans un chais paisible et humide. Tout est dans l’élevage ! Michel Couvreur a très vite opté pour les meilleurs fûts du monde, et les plus rares, ceux de Xérès en Andalousie. Âgés de 20 à 100 ans, ces fûts imprégnés de fino (un vin élevé sous voile, comme le vin jaune du Jura, et que les Espagnols dégustent à l’apéritif avec des tranches de pata negra) communiquent au whisky une complexité aromatique fascinante, faite de clou de girofle, de cannelle, de vanille, de tabac, de cuir, de moût de raisin frais… Mais il faut au moins douze années d’attente pour obtenir un nectar, et le stock, c’est ce qui coûte le plus cher.

La famille Couvreur est en train de réaliser le rêve du patriarche, distiller sur place, au village de Bouze, l’eau-de-vie d’orge bourguignon cultivé localement, car les distillats écossais sont devenus de plus en plus standardisés (l’orge venant d’Ukraine et du Canada). L’alambic a été construit dans une grange et les whiskies seront mis en bouteilles en 2034.

À la dégustation, les whiskies Michel Couvreur impressionnent tous par leur robe ambrée, leur nez de fleurs séchées et de pain grillé, leur longueur en bouche, leur sensation de fraîcheur, leur concentration… en un mot, leur élégance.


De 50 à 475 €. Chez tous les bons cavistes.

La « cathédrale » souterraine où mûrissent les futurs grands whiskies.

Sur la route de Tillinac

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L'écrivain français Denis Tillinac © Photo: Hannah Assouline

Philippe Verdin publie aux éditions du Cerf une biographie charpentée de Denis Tillinac (1947-2020) à la fois plongée dans la vie personnelle de l’écrivain-éditeur, essai littéraire et réflexion sur la France qui perdure


La postérité est indigne. Elle ne retient que l’écume. L’anecdote lui sert de corset. Comme si l’accessoire emportait tous les suffrages à l’heure du jugement dernier. Que reste-t-il alors de l’onde nostalgique, puissant sillon qui, de l’enfance à l’âge mur, soutient et élève l’écrivain de style ? Il fallait un homme de foi en habit de moine, ayant fait ses humanités éditoriales au temps de la rue Corneille, à la Table Ronde, un compagnon de route de Tillinac qui n’est pas allé à Moscou mais sur les routes départementales de Corrèze et du Bourbonnais pour s’approcher d’une page majeure de l’histoire littéraire et la retenir. Oui, la retenir et la propager à l’usage des admirateurs de cet insaisissable (ils sont nombreux) et alerter ceux qui ont un peu vite enfermé le personnage dans le folklore médiatique qu’il avait lui-même créé. Il est temps aujourd’hui de se souvenir. « On reconnaît une page de Tillinac à un style et quelques thèmes qui demeurent sa marque » souligne Verdin. Il ajoute : « J’ai vu un écrivain à l’œuvre : cinquante-neuf livres écrits en quarante ans, des centaines de chroniques, un style qui s’affirme dès les premiers romans, une mélodie de nostalgie sans aigreur, une expression des bonheurs fugaces, le goût des batailles où avec des copains on distribue des horions ». Oubliez les images prémâchées, les interventions télévisuelles au débotté, la mémoire est une fausse amie. Elle nous joue des tours. Car Tillinac est plus que Tillinac. Chez son biographe, il y a la volonté de comprendre un cheminement intérieur, de coller aux bornes temporelles, et d’expliquer, dans une belle langue claire, la composition d’une œuvre. Verdin dévoile les plaques en décomposant la machinerie de l’artiste. De quoi était fait Tillinac ? Il n’était pas à une contradiction près et souvent son propre ennemi. Pudeur et sédimentation sont les deux mamelles d’une littérature exigeante. Une complexité incompréhensible à notre époque du raccourci et de la diatribe. Tillinac, c’était un boomer hostile à l’esprit soixante-huitard, un fan d’Elvis, un gaulliste aimant l’Amérique, un chiraquien de cœur, un hussard sans idéologie, la Xaintrie en armoirie, un romantique se réfugiant dans les églises, un réactionnaire rabelaisien, un Français au carré portant en lui le spleen des campagnes et l’illusion des Maréchaux. Un écrivain en partance vers l’ailleurs, vers l’Afrique. Un voyageur de circonstance, le regard collé à la vitre embuée et les fesses dans le gras molletonné des sièges du « Capitole ». Parisien de souche et provincial d’essence. Bernanos dans son sac à dos. La gare d’Austerlitz comme seule boussole dans l’existence. Tillinac s’est trouvé au milieu du gué avec, dans le rétroviseur l’héritage de Blondin et du bar-Bac, la mythologie d’une Rive Gauche pensant mal, et aux prémices d’une renaissance, celle des duellistes des années 1980, jeunes turbulents à la plume vacharde, les jadis fringants Besson et Neuhoff. Le lecteur s’y perd. Tillinac est-il un fils de Dumas, de Rocroi ou des Yéyés ? Dans les librairies, une littérature pleureuse et exhibitionniste allait prendre le pouvoir et distribuer les cartes. Dans cette confusion des genres, Tillinac était-il un écrivain de droite, flibustier et cinglant, ou ce régionaliste des terres abandonnées ? Il était tout ça et mieux que ça. Verdin recompose le puzzle, accumule les témoignages et trace un portrait en trois dimensions. Il remonte le fil, l’enfance à Daumesnil, l’adolescence à Vichy, une scolarité fluctuante avant la rencontre de Jacques Ellul sur le déprimant campus de Pessac, puis les débuts du localier à Tulle fauché par la tornade Chirac, emporté par l’amitié, suivra la parution des premiers livres sous l’influence déterminante de Robert Laffont. On voit la fermentation de l’écrivain en mouvement. Spleen en Corrèze fut salué par l’indispensable François Bott. Et une voie commença à se dessiner dans les brumes de la Mitterrandie. Que Tillinac nous parle des maisons de famille, de Simenon, du rugby, qu’il mette en lumière Pirotte, Charnet, Kauffmann, la même phrase coule, elle fait corps avec le lecteur. Ce plaisir de lire est la seule chose qui doit demeurer. Vivre en mousquetaire est une biographie où il est autant question d’amitié, de permanence que de transmission. Nous avions lu, il y a quelques années, Philippe Verdin au sujet de Maurice Druon, sa stèle à Tillinac est un délice d’automne aussi savoureuse qu’une poêlée de giroles.

Denis Tillinac – Vivre en mousquetaire – Philippe Verdin – Cerf 272 pages

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La boîte du bouquiniste

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DR.

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Aucun soldat n’est sorti indemne de la Grande Guerre. Il y a ceux qui sont morts dans des conditions épouvantables ; ceux qui ont reçu des blessures innommables ; et il y a ceux qui, miraculeusement épargnés, ont été foudroyés par les horreurs dont ils ont été les témoins.

Ce traumatisme, dirions-nous aujourd’hui, a forgé la sensibilité des écrivains plongés dans les tranchées. Certains n’en sont pas revenus, tels Péguy et Apollinaire, et les autres ont puisé dans leurs tourments pour rédiger de sublimes pages. Ils se nomment Cendrars, Genevoix, Dorgelès, Drieu la Rochelle, Céline… et chacun à sa façon a tiré les leçons de la boucherie. Leurs réflexions alimentant pêle-mêle pessimisme, patriotisme, pacifisme ou héroïsme.

Dès 1918, un certain Edmond Cazal publie Voluptés de guerre. La prose et le chapitrage de l’ouvrage sont le travail d’un littérateur. Un homme du métier qui a su traduire les notes de son journal de campagne en un essai troublant où tout est volupté. « Voluptés de la marche », « du feu », « du travail », « du dégoût », « de la contemplation », etc. À la différence des illustres cités plus haut, l’auteur est un « officier non-combattant ». Il demeure dans les QG à l’arrière du front, mais la réalité du terrain ne lui est pas étrangère. Il partage le quotidien des soldats, leurs rations, les campements de fortune dans des maisons en ruines ou des granges abandonnées, les journées de marche sous la pluie ou le cagnard, les tirs d’obus, les nuages de gaz…

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Est-ce à cause d’une nature singulière ou du poste qu’il occupe, on est frappé par le recul avec lequel il observe la guerre et ses ravages. Celui qui se présente comme un « homme excessivement civilisé », ou un « homme de civilisation raffinée », voit pourtant les corps mutilés et les paysages dévastés. Ses descriptions précises sont froides et distantes lorsqu’il s’agit de restes ou de sentiments humains. Mais elles sont portées par un souffle sincère et une émotion profonde lorsqu’il est face à un coucher de soleil, à un pot de fleurs qui a survécu à un bombardement, à un sourire d’une jeune fermière.

On comprend qu’il ne trouve pas la volupté dans l’horreur de la situation mais dans ce que celle-ci lui renvoie : la quiétude et le confort d’un monde en paix. Ce contrepoids est systématique : face à une chaise en bois, sa viande froide et une couche de paille, il pense à « la volupté du divan, de la table et du lit » ; face à l’attente d’un nouveau départ, en retrait des troupes, il loue « la volupté de la solitude et du silence » ; face aux cadavres qu’il visite à la morgue, il ressent « la volupté d’être un corps vivant ». Une seule fois la volupté se fait « ivresse », lorsqu’il tue un homme – vraisemblablement le seul de sa guerre. Il avoue que cette « ivresse de tuer » est « rapide, énorme, inoubliable » mais « honteuse ».

Qui était Edmond Cazal ? Le pseudo d’Adolphe d’Espie (1878-1956), plus connu sous un autre pseudo, Jean de La Hire. Il a été l’un des auteurs les plus populaires du début du xxe siècle, les grands journaux se sont arraché ses feuilletons, et ses romans (policiers, sentimentaux, fantastiques ou de cape et d’épée) se sont vendus à des centaines de milliers d’exemplaires. Mais dès la défaite de 1940 il a prôné, et incarné, la collaboration active. Fuyant la France et la prison à la Libération, il s’est fait rattraper par la damnatio memoriae.

Voluptés de guerre, Edmond Cazal, Les Éditions G. Crès et Cie, 1918.

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De bons moments à Creil

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Salon de Creil. Photo : Philippe Lacoche.

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


C’est presque devenu une habitude ; une très agréable habitude. Chaque année, je suis invité par Sylviane Léonetti, directrice de l’association organisatrice La Ville Aux Livres, au Salon du livre de Creil, dans l’Oise, pour y dédicacer mes bouquins et animer des débats avec des écrivains. J’ai la joie d’y retrouver les membres de l’équipe d’organisation qui, au fil du temps, sont devenus des amis, et, souvent, des copains écrivains. Pour la deuxième fois, j’ai entraîné ma Sauvageonne dans mes pérégrinations ; elle ne demandait que ça. De mon stand de dédicace, je surveillais sa chevelure ébouriffée qui baguenaudait dans les allées bordées d’ouvrages et de bandes dessinées. Parfois, je l’apercevais en train de discuter avec Sylviane ou avec le poète Dominique Sampiero dont elle apprécie les œuvres et la façon spectaculaire qu’il a de les lire sur scène. Ce salon est certainement le plus important au nord de Paris ; les visiteurs y sont fort nombreux, à l’image des auteurs. Et l’accueil y est exceptionnel, bienveillant et fraternel. Le samedi matin, ce fut la traditionnelle remise des prix. Celui de littérature adulte a été attribué à Stéphanie Hochet, pour son roman Armures ; celui de bande dessinée adulte à Éric Hérenguel, pour The Kong Crew Blast Exit, tome 7 ; celui de littérature jeunesse à Nicolas Michel pour Entre mes branches ; et celui de la bande dessinée jeunesse aux excellents Régis Hautière et Arnaud Poitevin pour Les spectaculaires, tome 7. L’après-midi, je retrouvais mes confrères et amis Thierry Clermont et Valère Staraselski qui signait son remarquable roman Les passagers de la cathédrale, paru au Cherche midi. Puis, ce fut un débat très rock’n’roll en compagnie de Stan Cuesta (auteur de La musique a gâché ma vie, chez Antidata) et Patrick Eudeline (Perdu pour la France, chez Séguier). J’étais heureux d’évoquer leurs opus que j’ai adorés. Le premier est un recueil de nouvelles qui, finalement, constitue une manière de roman ; le second est, sans aucun doute, le plus intime de l’ancien critique rock de Best et de Rock & Folk. Le soir, la Sauvageonne et moi, dînâmes à La Buvette, un chaleureux bistrot-restaurant à la cuisine très française situé à Saint-Maximin, en compagnie de Stan Cuesta, son épouse et de Dominique Zay. Joyeuse ambiance. (Dominique nous fit part de son projet : placer un mot secret au cours de l’entretien qu’il devait m’accorder le lendemain.) Le lendemain justement, j’eus l’immense plaisir de m’entretenir avec l’académicienne Danièle Sallenave (pour son livre La splendide promesse, chez Gallimard) et Isabelle Lonvis-Rome (pour Jouer ou tuer, chez Michalon), sur le thème « La promesse républicaine : un engagement ». Leurs propos et leur intelligence ont montré qu’il existait encore une gauche tolérante, humaniste qui n’a pas peur de dévoiler son amour pour la France et qui, malgré les guerres, poursuit son combat contre l’antisémitisme. Un combat essentiel, comme n’a pas manqué de le rappeler, le soir-même, le génial Hélios Azoulay, écrivain, poète, acteur compositeur et clarinettiste à la faveur d’une prestation fort appréciée avec son instrument fétiche. Un vrai régal.