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Pas mieux que lui?

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Le président de la République participera cet après-midi, en visioconférence, à une nouvelle réunion de la coalition des volontaires pour l’Ukraine. Interrogé sur RTL à propos de la polémique autour des déclarations du chef d’état-major Fabien Mandon, Emmanuel Macron a dénoncé une présentation déformée et sortie de son contexte – il a expliqué qu’un militaire accepte par nature certains sacrifices, tout en jugeant absurde de laisser penser que l’ensemble de la population serait concerné. Le chef de l’État a par ailleurs appelé à ne pas faire preuve de faiblesse face à une Russie qu’il estime de plus en plus agressive. Jeudi, il se rendra sur un site de l’armée de terre à Varces (Isère), où il pourrait apporter des précisions sur un futur service militaire volontaire.


Plus on approche de la fin, plus on est inexcusable de ne pas tenter une approche équilibrée et honnête du dernier mandat d’Emmanuel Macron.

Il me semble que dans l’entretien qu’il a donné à RTL et l’a conduit notamment à exposer la position française et européenne sur la Russie, l’Ukraine et le refus d’accepter quoi que ce soit qui ferait fi de l’accord du pouvoir ukrainien lui-même, si on était de bonne foi on devrait le créditer, sur ce plan, d’une cohérence et d’une constance indéniables.

En responsabilité

J’ose dire que pour le conflit israélo-palestinien et son acceptation officialisée de la solution à deux Etats, il n’a pas non plus, quelles que soient les objections soulevées, été indigne de ce qu’on attendait d’une présidence française.

Si je suis plus réservé, ici ou là, pour d’autres aspects de la diplomatie de notre pays, je ne méconnais pas que je ne sais pas tout et j’ai conscience que le citoyen aspire à ce que la France tape souvent du poing sur la table parce qu’il a cette immense liberté de l’irresponsabilité.

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Dans ce même entretien, le président, pour solidifier le pacte entre l’armée et la nation, justifie l’instauration d’un service militaire volontaire en apportant cette précision capitale que des soldats français ne seraient envoyés en Ukraine qu’une fois la paix sûrement établie.

Dans le registre intérieur, Emmanuel Macron ne peut que se contenter de formuler un souhait optimiste sur la capacité des parlementaires de trouver des compromis au-delà de l’esprit partisan de chaque groupe. Vœu pieux ?

Est-ce à dire que le président de la République retrouve, contraint et forcé, une sorte de sagesse qui tirerait du désastre qu’il a engendré avec la dissolution – qu’il n’a reniée que du bout des lèvres – une politique pragmatique où il se soucierait moins d’affirmer et de proposer que de faciliter ?

10 ans de perdus sur le plan régalien ?

Reste que demeure dans le bilan plus très éloigné de son évaluation finale un certain nombre d’ombres dont la plus visible est sa relative inaptitude à avoir jamais compris l’autorité et le caractère délibérément sans nuance qu’aurait dû imposer une stratégie authentiquement régalienne.

Comment le nouveau ministre de l’Intérieur, dont j’espère que la flagornerie, avec la critique de son prédécesseur, n’est pas la marque distinctive, peut-il asséner que le régalien est la grande force du président depuis 2017 alors qu’il s’agit de sa faiblesse fondamentale inspirée par un « en même temps » qui n’a pas lieu d’être dans ce secteur où l’action n’a pas le droit de se permettre la moindre hésitation ni retard ?

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D’ailleurs, s’il fallait une preuve aux antipodes des engagements constants du président, ce serait l’incroyable succès du Rassemblement national dont un dernier sondage révèle que Jordan Bardella serait gagnant dans tous les cas de figure, quel que soit son adversaire, Jean-Luc Mélenchon étant le plus nettement défait…

On ne peut pas ne pas se souvenir que l’obsession répétée d’Emmanuel Macron a été d’éviter le cauchemar que serait pour lui l’arrivée du RN à l’Élysée, avant des avancées probables aux élections municipales de 2026 ? Rien n’est joué mais tout laisse penser que l’état de la France en voie d’ensauvagement, crimes, délits et multiplication des zones et des séquences où une France transgressive est en roue libre, est la donnée essentielle qui explique le désaveu présidentiel.

La radicalité à la mode

Il y a encore plus grave, à mon sens, en tentant d’approfondir l’analyse. Alors que le président a cherché à placer dans le débat public l’exigence de rassemblement avec la répudiation de tout extrémisme, c’est le contraire qui s’est produit. Du RN (même si sa volonté de banalisation a limé ses griffes) à Reconquête et jusqu’à LFI, à rebours, c’est la radicalité qui a la cote et non plus les demi mesures! Je ne crois pas que, pour Jean-Luc Mélenchon, ce soit elle qui le plombe pour son nouvel essai présidentiel mais le fait qu’il fulmine une radicalité « haineuse ». C’est plus sa forme que son fond qui fait peur à une part de l’électorat dont il aurait besoin en plus d’une certaine jeunesse et de quelques banlieues au second tour!

Cette envie de radicalité qui domine est sans doute le signe le plus éclatant du déclin non réversible du macronisme. Et de son absence de futur au-delà de 2027.

À tout bien considérer, convient-il, alors que les jeux sont presque faits, dire comme au poker, au sujet d’Emmanuel Macron contre tous ceux qui aspirent à sa suite : pas mieux ?

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Des lettres pour faire du chiffre

Comment expliquer l’intensité de l’activité épistolaire de nos députés?


« Monsieur le ministre, je vous écris une lettre… » Poser une question écrite à un ministre, activité présentée par l’Assemblée comme « essentielle » à la démocratie, est un exercice très prisé par nos parlementaires. Dans ma circonscription, un député (dont je tairai le nom et le parti, non pas par charité politique mais parce qu’il appartient à une espèce très répandue) en a fait son passe-temps favori. Depuis son élection en juillet 2024, il a déjà adressé une trentaine de questions écrites, en moyenne une tous les quinze jours ! Quand la presse évoque l’agression d’un commerçant, il demande au ministre de l’Intérieur de réagir… Quand un électeur se fait arnaquer sur son smartphone, il questionne sur la lutte contre les SMS frauduleux… En cas de grosse chaleur, il interroge le ministre de l’Agriculture sur l’avenir des moissons…

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Ce faisant, il s’inscrit dans la tradition. Sous Macron, lors de la XVe législature (du 27 juin 2017 au 21 juin 2022), on a enregistré en cinq ans 45 666 questions écrites ! Soit grosso modo 25 questions par jour, chacun des 577 députés rédigeant en moyenne une question toutes les trois semaines ! Lors de la XVIe (du 28 juin 2022 au 9 juin 2024), on est dans les mêmes eaux, avec 18 707 questions enregistrées en un an, onze mois et douze jours. Et l’actuelle législature tient le rythme   du 18 juillet 2024 au 30 septembre 2025, soit quatre cent quarante jours, environ 10 000 questions ont été déposées, 22 par jour !

Ces chiffres sont comme le bikini d’une jolie fille, ils font impression mais cachent l’essentiel. Cette intense activité épistolaire sert principalement des élus qui, placés sous les feux critiques d’un observatoire citoyen, veulent prouver à leurs électeurs qu’ils ne siègent pas au Palais-Bourbon uniquement pour se rincer le gosier. Et face à ce déluge de questions qui ne mouillent personne, le gouvernement, quand il répond (en moyenne une fois sur deux), se contente d’affirmer que, conscient des problèmes évoqués, il met tout en œuvre pour y remédier… Bref, un jeu démocratique qui tourne à la farce démagogique.

Europe et Israël: des destins divergents?

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Le philosophe et linguiste Georges-Elia Sarfati nous propose dans son dernier essai de réfléchir la crise de l’identité européenne à la lumière d’une désaffiliation progressive, crise qu’il éclaire également par le rapport que l’Europe entretient avec Israël depuis la guerre des Six Jours et la crise pétrolière, et dans une sorte d’abdication de sa mémoire au profit d’une table rase où d’autres cultures viennent occuper le vide désormais créé. Notre contributrice l’a lu.


Dévoiement de l’humanisme et renoncement à sa propre tradition

« La Krisis de Husserl[1] constitue sans doute l’une des premières critiques du scientisme comme lieu de dévoiement du projet civilisationnel d’un humanisme rationaliste ». Car, si « les sciences galiléennes ont permis des progrès considérables, elles ont aussi habitué l’humanité à développer un rapport au monde objectivant, chosifiant le monde mais aussi la vie et la manière de s’y rapporter » dit Georges-Elia Sarfati. Et ce n’est pas la construction de l’UE qui arrangera les choses puisqu’elle dépossède les États de leur souveraineté et identité, et leur substitue « une vision technocratique » ; comme si « l’édification d’une armature juridique et économique pouvait suffire à nourrir un projet collectif cohérent et homogène. »

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Mais, selon l’auteur, la dérive du continent Europe va connaître une accélération à partir de 1967 et la guerre des Six Jours, et encore plus à partir du choc pétrolier de 1973 qui verra émerger « l’Eurabia ». Car, le prix du baril de pétrole dépendra à la fois du soutien ou non à Israël, et de mesures pour que la culture arabo-musulmane apparaisse comme constitutive de l’esprit européen. Ainsi, à l’abandon des racines gréco-latines, et pour un Bernanos, chrétiennes, succédera un révisionnisme culturel dont Georges-Elia Sarfati nous dresse l’inventaire en monnaie sonnante et trébuchante. Et les sommes allouées à ce projet de remplacement culturel donnent le vertige ! Par ailleurs, cette substitution civilisationnelle aura pour conséquence logique de favoriser la culture d’origine et de mettre à bas le principe d’intégration. L’auteur se réfère alors à Giuseppe Gagliano[2] qui n’hésitera pas à parler « d’Europe en offrande » et « d’abdication spirituelle. »

L’abandon du « rocher hébraïque » et ses conséquences

Israël apparaît donc doublement abandonné ; en tant qu’État mais aussi dans ses fondements anthropologiques. « Le refus de ce qu’Eliane Amado Levy-Valensi nomme « le rocher hébraïque » conditionne tous les mouvements radicaux qui prétendent émanciper l’humanité de ses chaînes : identité spécifique, universalisme différentialiste, autorité de la transmission, fidélité aux legs des Pères… et des mères » affirme Georges-Elia Sarfati. Et si la modernité consiste à permettre la critique de ce dont nous héritons, cela doit être en toute connaissance de cause ; à partir de l’archive et certainement pas de la table rase. Car que se passe-t-il dans ce cas ? « On y renoue, une fois de plus, avec le fantasme parricide, lequel, si l’on en croit ses promoteurs – et il faut les croire – abolit toutes les oppositions structurantes de l’ordre symbolique : la distinction féminin /masculin… jusqu’au principe même de la symbolisation. » Et l’on voit fleurir « la promotion des identités plurielles, nourrie du narcissisme des petites différences » qui « réunit ainsi toutes les conditions de la haine et du passage à l’acte, dès lors que la rivalité sans frein des égo rend suspect tout recours à la médiation symbolique. » Le vide existentiel qui caractérise désormais le mal être européen a profondément partie liée avec cette désymbolisation et se décline de trois façons : « Atomisation du corps social en individus de plus en plus isolés, souvent déracinés. Propagation d’une culture de masse dont les effets sur la subjectivité conduisent à une standardisation des imaginaires, allant de pair avec un recul de la référence livresque, qui a longtemps garanti la culture de l’intériorité. Et, finalement, crise de la représentation caractéristique du vide existentiel en question. » Georges-Elia Sarfati viseparticulièrement le wokisme qui « prolonge le déni des généalogies caractéristique des sociétés sans père, mais chapeautées par un tyran que tous les fils jalousent de détenir une prérogative absolue, pour essayer de défaire, une fois pour toutes l’intrigue générationnelle jusque dans le domaine des filiations intellectuelles. »

De l’antisionisme au palestinisme

Dans un second temps, mais dans la logique du premier, l’analyse porte sur un certain nombre d’idées simplistes qu’il s’agit de débouter. Ce que l’auteur appelle le palestinisme est « principalement destiné à l’opinion occidentale qui se veut progressiste, en faisant tacitement appel à ce que la mémoire collective de l’Europe comporte de plus répulsif : le racisme et le suprémacisme du Troisième Reich, l’impérialisme nord-américain pendant la guerre du Vietnam, le colonialisme français en Algérie, et la politique d’apartheid appliquée pendant le régime ségrégationniste d’Afrique du Sud. » Tous les ingrédients sont réunis pour être appliqués indistinctement à Israël.

Georges-Elia Sarfati va donc s’employer à les reprendre point par point. Il analyse le deux poids deux mesures appliqué à la question des réfugiés qui compte pour rien les réfugiés juifs qui ont dû quitter les pays arabo-musulmans et qui dépassent en nombre ceux que l’on appelle les réfugiés palestiniens. Il nous dit ensuite que « le véritable État palestinien avait été créé en 1922 (la future Jordanie) et que, par conséquent, la question palestinienne avait trouvé sa résolution plus d’un quart de siècle avant la création de l’État d’Israël ». Puis, il souligne que selon les principes du droit de la guerre, « Israël aurait été fondé à annexer l’ensemble des territoires conquis au cours de chacune des guerres d’agression subies, dont il est sorti victorieux. » Enfin, il rappelle que pour qu’il y ait colonisation il faut une position d’hégémonie et de souveraineté ailleurs, ce qu’à aucun moment ce pays n’a eue. C’est pourquoi définir le sionisme comme visant à l’institution d’un « État des juifs » en Palestine dénie l’antériorité du peuple juif en cette région et le souhait légitime de renouer avec une histoire interrompue.

Europe et sionisme

Ce retour en Orient d’un peuple qui en fut chassé va de pair avec l’autodétermination du juif par lui-même ; ce que Georges-Elia Sarfati appelle sa « désaliénation ». En effet, le juif fut toujours qualifié de l’extérieur de lui-même (voir La question juive de Sartre) Et c’est Jean-Marie Lustiger qui osera dire un jour : « Il nous faut de plus accepter aujourd’hui qu’Israël soit lui-même, que les juifs se définissent eux-mêmes et qu’ils se définissent comme ils l’entendent. » Et le « nettoyage de la situation verbale » selon Paul Valéry commence par la rectification d’un titre ; celui du livre de Théodore Herzl[3] communément traduit par « l’État juif » alors qu’il s’agit de « l’État des juifs ». La première formulation réduit Israël à une définition religieuse ; la seconde, fidèle à la conception contractuelle de la nation issue de la philosophie politique des Lumières est celle d’un projet national moderne, où, faut-il le rappeler, plus de 20%de la population n’est pas juive… 

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« Le sionisme affirme une dynamique de continuité avec le judaïsme historique, et cette continuité consiste dans l’actualisation de la promesse du Retour. » Mais, « cette continuité s’affirme aussi au prix d’une rupture, qui porte sur la révolution qu’introduit le sionisme par rapport à ce qu’on pourrait appeler le messianisme passif. » Et l’auteur de résumer : « Israël, c’est la mémoire de l’Orient, instruit de la mémoire de l’Europe, et rétabli en Orient. » Autre désaliénation, et pas des moindres quel’auteur nomme « le désenclavement théologique d’Israël » : « Au regard des deux monothéismes qu’Israël a engendrés et fécondés, le sionisme bat en brèche la compréhension exclusive du peuple d’Israël perçu comme « peuple du livre ». En devenant un État, Israël sort de sa condition « d’archive des nations » pour en devenir une à son tour et advenir à l’histoire.

Au terme d’un certain nombre de changements que nous ne pouvons tous évoquer ici, il reste pour Israël à s’extraire aussi d’un schéma idéologique assez récent ; celui qui voudrait en faire le défenseur du judéo-christianisme et, selon la formule de M. Onfray « le bateau amiral de l’Occident. » Georges-Elia Sarfatis’inscrit en faux et affirme : « Aussi longtemps que l’Europe persiste dans ses dérives, Israël ne saurait lui tenir lieu de substitut au Moyen-Orient ; tel n’est du reste pas son dessein. A l’inverse, l’affirmation d’Israël signe davantage sa sortie de l’Occident qu’une forme d’implantation de ce dernier entre le Nil et l’Euphrate. » Et d’éclairer ce qui les sépare : « la construction européenne, qui s’est détachée de ses fondements philosophiques, semble suivre une direction contraire : tandis que ses populations ont été éduquées à prendre en aversion l’idée de nation, Israël affirme sa singularité nationale, chèrement acquise sur l’hostilité des nations. » C’est pourquoi l’auteur conclut son ouvrage en opposant la « désaffiliation de l’Europe » à la « désaliénation d’Israël » bien plus qu’il ne les réunit dans un combat commun.

La grande désaffiliation, essai sur la crise de l’identité européenne, Georges-Elia Sarfati, Éditions FYP 272 pages.


[1] La Krisis présente une série de textes écrits par Husserl en 1935, parus intégralement et de manière posthume en 1954

[2] Fondateur du Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis) à Côme (Italie). Le coran européen : l’Europe en offrande, chronique d’une abdication spirituelle

[3] Théodore Herzl (1860-1904), journaliste et avocat juif austro-hongrois, est considéré comme le père du sionisme politique moderne.

Malaise dans la République

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Dans son livre, Sonya Zadig donne la parole à 15 femmes et 17 hommes ayant rompu avec un islam injuste et superstitieux.


Le tout récent livre de Sonya Zadig, clinicienne psychanalyste, Les enfants perdus de la république (Éditions Fayard, octobre 2025) est consacré aux apostats de l’islam. A travers un groupe web intitulé « les Apostats » Sonya Zadig a recueilli les témoignages poignants de 243 femmes et hommes (et la préséance n’est pas ici de pure forme car les femmes sont à la fois les premières cibles et les principales transmetteuses de la religion-culture qu’est l’islam).

Apostasie : un déchirement

Ce sont des « enfants de la République », des Français, nés en France pour la plupart, ou qui y sont arrivés très jeunes, venant du Maghreb pour la grande majorité d’entre eux. Ils ont été maltraités sous le joug d’une culture religieuse violente, rétive aux mœurs libérales respectant l’individu, puis déchirés par l’arrachement à cette socialisation de soumission à la fois terrifiante et rassurante. Leurs souffrances font écho à celles que Sonya Zadig a elle-même connues et qu’elle accueille dans son cabinet depuis plusieurs années. Des souffrances et des difficultés en grande part ignorées en France par les responsables politiques, par l’école, la justice, l’État garant de la sécurité des citoyens.

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L’ouvrage croise ainsi deux références précieuses : Malaise dans la culture de Sigmund Freud et Les territoires perdus de la République, publié en 2002 et remarquablement postfacé par Georges Bensoussan dans la réédition de 2015. Les récits emblématiques de 15 femmes puis de 17 hommes, retenus parmi ces nombreux cas étudiés par Sonya Zadig, dessinent pas à pas, l’un après l’autre, une réalité méconnue voire niée, de ces espaces où la violence peut se déchainer sur les enfants d’abord, sur les épouses, les filles, les sœurs, et sur les hommes entre eux. Or ces personnes issues d’un monde islamique archaïque dont elles se sont extirpées souvent au péril de leur vie, ne rendent pas seulement compte d’une contre-société qui se développe au cœur d’une France censée respecter les libertés individuelles de chacun. Les apostats de l’islam nous renvoient aux défis communs de l’époque, aux questions de l’identité, de la cohésion sociale, de la démocratie, et in fine de la nation.

Huis-clos familiaux

Tout commence dans la famille bien sûr. Le rôle des mères est primordial dans la transmission culturelle aux enfants, mais traditionnellement, sous la suprématie masculine. Réduites à la fonction reproductrice à tous les sens du terme, les femmes tendent à répercuter sur les enfants et particulièrement sur les filles, les violences qu’elles ont elles-mêmes subies en paroles et en actes. Les pères aussi sont violents, avec leur femme et avec leurs enfants, mais désormais en France, ils sont souvent absents et l’image paternelle est abîmée. Certains récits « décrivent un père inconsistant oscillant entre les beuveries et la fréquentation erratique des mosquées » tandis que les mères, investies d’une toute puissance inégalée sont souvent décrites comme « dépressives ou anxieuses, et psychiquement absentes ou, en colère contre leur sort -et contre leurs enfants. »

C’est dans le huis-clos familial en tous les cas, que se transmettent les contes terrifiants, la hantise des tourments de l’enfer, l’obsession de la virginité des filles, la haine des Juifs. Chacun vit sous l’œil omniprésent de dieu et sous le regard des autres. Le maintien de la réputation familiale est une préoccupation aussi constante que la crainte du châtiment divin. De même que les enfants sont liés à la famille par la mère, la Oum, la famille relie à la vaste « communauté des croyants », la Oumma. Le cheminement pour sortir de ce monde est alors difficile et douloureux. Péril mortel, l’apostasie est pourtant le gage d’une véritable naissance de l’individu libre.

Désorientés

« Les apostats avancent des raisons précises pour leur mouvement de sortie : le statut des femmes, les injustices et les violences dont ils ont été témoins oculaires ou victimes au sein de leur famille, les traumatismes nombreux dus aux djinns, au Sheitan, aux superstitions, et la certitude de savoir que, quoi qu’ils fassent hormis « se faire sauter avec une ceinture d’explosif », le Paradis d’Allah leur demeurera aussi inatteignable que la liberté qu’ils convoitent. » Et, parce que l’analyste n’est pas neutre ni désincarnée, Sonya Zadig nous dit qu’elle aussi a eu ce courage de rompre avec cet univers clos, le courage qui commence par « s’autoriser la liberté de pouvoir affirmer un « non », un non qui ne serait plus uniquement de refus mais de désir et d’assertion ».  

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Mais si leurs souffrances les mènent souvent au divan du psychanalyste, tant la rupture est culpabilisante et désorientante, les apostats de l’islam sont des enfants de notre époque : en quête d’identité, de repères, de sens. « Les apostats nous confrontent aux glissements symboliques de notre modernité et nous exhortent à faire preuve chacun à notre manière d’inventivité et de courage pour comprendre ce qui constitue notre identité (…) Leurs traumas et les violences qu’ils ont subies et continuent de subir nous concernent tous puisqu’il s’agit d’une question de santé publique. Pour moi, [conclut Sonya Zadig] la question qu’ils posent est éminemment éthique. » Et politique, pouvons-nous ajouter.

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Les Juifs de l’Occident et la tentation de la bonne conscience: une lecture politico-sociale

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Dans la diaspora juive, beaucoup ont désormais honte d’Israël, cet État juif qui se défend, qui porte les armes, qui assume la brutalité du réel. Ne souhaitant pas y être assimilés, ils peuvent verser dans l’antisionisme le plus dur. Analyse sociologique.


Il n’est pas du tout étonnant – et il serait même naïf de s’en étonner – que tant de Juifs en Occident, en Europe comme aux États-Unis, et même en Israël, ne se contentent pas de critiquer Israël, mais relayent comme des évidences les mensonges produits par la propagande islamiste ou relayés par l’activisme anti-israélien.

On peut bien sûr convoquer les explications habituelles : les analyses religieuses, les interprétations psychanalytiques, la vieille catégorie de la haine de soi, le tropisme vers les dominés, l’idéalisation de la figure de l’opprimé… Ces modèles d’intelligibilité existent, ils ont leur part de vérité, mais ils ne suffisent pas.

Ils laissent dans l’ombre l’essentiel.

Une clef de lecture souvent négligée : la position sociale

En réalité, il s’agit selon moi beaucoup moins de psychologie culturelle ou de survivances théologiques que d’une chose plus prosaïque : une logique de classe sociale.

La plupart de ces Juifs occidentaux appartiennent à une bourgeoisie cultivée, insérée dans les professions intellectuelles, universitaires, artistiques ou médico-sociales. Une bourgeoisie aisée mais inquiète, libérale mais fragile, progressiste mais saturée de culpabilité historique. Elle ne vit ni la menace physique, ni la proximité du conflit, ni l’expérience de l’insécurité quotidienne que connaissent les Israéliens. Elle vit dans ce monde protégé où le réel n’entre presque jamais sans avoir été filtré, médiatisé, interprété.

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Ce n’est pas un hasard si ces Juifs occidentaux s’informent beaucoup — mais dans des sources qu’ils choisissent soigneusement. Ils lisent, ils comparent, ils se sentent éclairés, mais leur éclairage repose souvent sur un écosystème médiatique homogène, produit par leur propre milieu. Ils rejettent instinctivement tout ce qui serait perçu comme « extrême », à commencer par les droites traditionnelles israélienne ou française — droites qu’ils réduisent souvent à des caricatures commodes afin de préserver la tranquillité morale de leur positionnement.

Honte sociale et quête d’innocence

Car c’est ici que se niche le ressort déterminant : une honte sociale, diffuse mais structurante.
Dans un Occident où la misère a acquis une dimension quasi sacrée, où la souffrance est devenue un critère moral, ces bourgeois cultivés portent en eux une gêne profonde d’appartenir au camp des privilégiés. Ils rêvent d’être du côté des humiliés et des offensés, comme si la misère seule ouvrait à la vérité du monde. Ils veulent participer symboliquement au drame humain, non pas depuis la place que leur confère leur histoire, mais depuis une place imaginaire qui les absout de leurs propres avantages.

Dans cette logique, les Palestiniens deviennent la figure parfaite : les « plus misérables des misérables », incarnation de la victime absolue. Face à eux, Israël — l’État juif, fort, armé, souverain — représente tout ce qu’il leur répugne d’être. Le Juif occidental ne veut pas être associé à la force ; il veut être associé à la souffrance, comme si sa propre légitimité morale dépendait de sa capacité à s’identifier aux plus vulnérables.

Ainsi s’opère un mécanisme paradoxal : en soutenant la cause palestinienne, ces Juifs occidentaux ne prennent pas tant position dans un conflit géopolitique qu’ils tentent de résoudre une tension interne à leur identité de classe.

Le refus d’être assimilé à la puissance

Il faut comprendre ce qui se joue ici : Israël représente l’inverse exact de l’image de soi que beaucoup de Juifs occidentaux veulent donner au monde.

Israël incarne :

• la souveraineté assumée,

• la force militaire,

• la détermination stratégique,

• l’affirmation identitaire,

• la décision politique en situation de danger.

Autant de réalités vécues par ces Juifs occidentaux comme des formes choquantes d’excès, comme si l’existence même d’un État juif combattant menaçait l’image morale qu’ils veulent projeter : celle d’un Juif universaliste, pacifique, généreux, appartenant aux forces douces du bien social.

Beaucoup d’entre eux ressentent presque une honte de cet État juif qui se défend, qui porte les armes, qui assume la brutalité du réel. Ils ne veulent pas être assimilés à cette puissance. Ils préfèrent l’image du Juif diasporique, discret, moral, souffrant — figure d’ailleurs infiniment plus confortable dans la culture occidentale contemporaine.

L’expression politique d’une classe

Il n’est donc pas surprenant que ces Juifs, en Amérique, aient voté pour l’actuel maire de New York, selon une orientation politique qui traduit moins un programme qu’un ethos : un désir de respectabilité progressiste, un rejet viscéral de toute figure associée à la fermeté ou à la défense identitaire.

A lire aussi, du même auteur: New-York: qui sont ces juifs progressistes qui ont voté pour M. Zohran Mamdani?

De même, en France, les intellectuels parisiens qui critiquent systématiquement Israël, qui ironisent sur Netanyahou, qui s’indignent de la guerre à Gaza sans jamais analyser la logique militaire du Hamas, sont les représentants fidèles de ce milieu. Ils ne parlent pas en tant que Juifs. Ils parlent en tant que bourgeois cultivés occidentaux, façonnés par un imaginaire de la tolérance illimitée, de la compassion sélective et de la bonne conscience morale.

Une contradiction fondamentale

Au fond, leur position repose sur une contradiction que la pensée contemporaine a du mal à affronter : ils se sentent obligés de défendre des victimes imaginaires pour ne pas avoir à regarder en face la réalité des victimes réelles. Ils préfèrent l’abstraction réconfortante – le Palestinien déshistoricisé, réduit à une pure souffrance – à la complexité du réel : les choix stratégiques d’Israël, les logiques de guerre asymétrique, la responsabilité du Hamas, la réalité des sociétés du Moyen-Orient.

La critique d’Israël, chez eux, n’est pas un geste politique : c’est un rituel social, un signe d’appartenance à un monde où la vertu s’exhibe et s’atteste par la dénonciation des puissants – quitte à transformer les faits pour que la morale ne soit jamais en défaut.

Ce mécanisme d’auto-distanciation morale explique aussi les profondes dissensions actuelles au sein de la communauté juive mondiale, fracturée entre ceux qui assument la souveraineté israélienne et ceux qui s’en protègent. Il éclaire également le déchirement de la société israélienne elle-même, où une partie de l’élite culturelle et urbaine rejette la posture de puissance nécessaire à la survie du pays, au nom du même imaginaire universaliste qui façonne les Juifs occidentaux.

L’aveuglement comme confort

Ainsi s’explique la facilité avec laquelle ces Juifs occidentaux relaient, parfois sans s’en rendre compte, les narratifs islamistes ou les accusations infondées de génocide : non par adhésion idéologique, mais par fidélité à un imaginaire social qui les rassure sur leur propre innocence.

Le ressort n’est ni religieux, ni psychologique avant tout. Il est social, moral et symbolique. Ils ont besoin que le monde se simplifie pour pouvoir s’y sentir bons.
Dans un monde où le réel devient complexe, conflictuel, tragique, Israël leur renvoie une image du Juif fort, politique, affrontant le danger — image qu’ils ne veulent pas assumer. Alors ils se défendent de cette image en attaquant Israël, et en se rangeant du côté des victimes imaginaires qui leur permettent de sauver leur place dans l’ordre moral des sociétés occidentales. Ce n’est pas Israël qu’ils accusent : c’est leur propre difficulté à affronter le réel.

La société malade

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🎙️ Podcast: BBC, France TV… comment les médias essaient de façonner la réalité

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Avec Nicolas de Pape, auteur de Médiacratie, et Jeremy Stubbs.


Nicolas de Pape, journaliste et contributeur de longue date à Causeur, nous parle de son nouveau livre, Médiacratie, qui, citations et dates à l’appui, montre comment les médias dominants ou « mainstream » ne cherchent plus à refléter la réalité avec plus ou moins de fidélité, mais à la façonner. Autrefois, les médias constituaient le quatrième pouvoir de la démocratie, ou du moins un contre-pouvoir. Aujourd’hui, ils veulent prendre le pouvoir, en montrant le monde tel que les élites progressistes voudraient qu’on le voie, et en disqualifiant toutes les autres approches.

Qu’il s’agisse du 7-Octobre, des manifestations propalestiniennes, de l’immigration, de l' »apocalypse » écologique, du Brexit, des origines du Covid-19… ou de personnalités comme Trump, Meloni, Musk ou Zemmour… les médias ont renoncé à l’impartialité en prétendant incarner toutes les vertus de l’objectivité, de l’équilibre et de l’ouverture au débat. Symbole suprême de leur arrogance, les services de vérification ou « fact checking » par lesquels ils prétendent corriger les erreurs des autres en ignorant les leurs. Le scandale de la BBC à propos du montage du discours de Donald Trump du 6 janvier 2021 représente le nec plus ultra du mensonge médiatique en démocratie.

Face aux réseaux sociaux, le pouvoir des médias dominants s’effrite, mais il n’est pas encore mort.

Nicolas de Pape, Médiacratie. Comment les médias façonnent notre réalité, Editions Perspectives libres, 2025.

La France a-t-elle besoin d’une droite cow-boy?

La méthode Trump commence à porter ses fruits aux États-Unis et sur certains dossiers internationaux. Malgré ses outrances, le président américain inspire d’autres chefs d’États et de partis, notamment en Europe. Mais en France, la droite n’ose jamais avouer qu’elle prend exemple sur l’Oncle Sam…


Le soir tombe sur Paris ce 5 octobre. À la télévision, la composition du gouvernement Lecornu vient d’être annoncée. Devant son écran, Bruno Retailleau est furieux. Si, comme promis, il a bien été reconduit à l’Intérieur, il a découvert, stupéfait, que le « traître » Bruno Le Maire a hérité, quant à lui, des Armées. Alors que ni le chef de l’État ni le Premier ministre n’ont jugé utile de le prévenir de cette nomination détonnante. Le Vendéen se sent trahi.

Rupture

À 21 h 22, il riposte en publiant un message sur X: « La composition du gouvernement ne reflète pas la rupture promise. Devant la situation politique créée par cette annonce, je convoque demain matin le comité stratégique des Républicains. » Le style a beau être policé, la transgression n’en demeure pas moins absolue. Jamais dans notre histoire, un ministre de haut rang n’avait critiqué, de façon si lapidaire et publique, l’exécutif auquel il était pourtant censé participer.

Dès le lendemain, Sébastien Lecornu en tire les conséquences d’abord en présentant la démission de son gouvernement, puis en acceptant quelques jours plus tard, « par devoir », d’être renommé à Matignon… mais cette fois sans Retailleau à Beauvau. Depuis, chez les Républicains, la sidération s’est muée en consternation. Comment leur président, pourtant si madré et réfléchi, a-t-il pu croire judicieux de tenter un coup de pression sur les réseaux sociaux, qui plus est dans la précipitation ? A-t-il sérieusement imaginé qu’il se ferait ainsi respecter du « socle commun » ? Gardons-nous de psychanalyser un homme si complexe et allons à l’essentiel : avec son offensive à ciel ouvert et à l’emporte-pièce, Retailleau a, rien qu’un instant et à rebours de toutes ses habitudes, tout simplement fait du Trump.

Prendre de court l’adversaire, faire des déclarations choc, passer en force. Depuis son retour à la Maison-Blanche il y a neuf mois, le président américain gouverne avec encore plus d’impétuosité que lors de son premier mandat. Pas un jour ne passe sans qu’il lâche une bombe. Quand il ne signe pas, en mai, un contrat record – dans lequel il n’oublie pas ses intérêts personnels – avec les pétromonarchies du Golfe, il prie, en septembre, pour Charlie Kirk sur écran géant en Arizona. Quand il ne rabroue pas, en février, Volodimir Zelensky dans le bureau ovale, il y contraint, en octobre, Benyamin Netanyahou de prendre son téléphone pour s’excuser auprès du Qatar afin d’obtenir un accord sur Gaza. S’il était français, on pourrait dire en parodiant la théorie des trois droites de René Rémond, que Trump est orléaniste à Riyad, légitimiste à Glendale et constamment bonapartiste dans la West Wing, où il a d’ailleurs fait rajouter quantité de dorures sur les murs et les meubles.

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On pourrait aussi remarquer qu’avec ses idées fantasques d’annexer Panama et le Groenland, ou de bombarder avec du lisier les militants du mouvement « No Kings » qui manifestent contre lui, le président américain se montre plus brutal et provocateur, voire insultant, que jamais. À sa décharge, Trump s’est retrouvé, depuis sa réélection, dans un contexte international encore plus féroce que celui qu’il avait laissé en 2020, sans qu’on puisse l’en tenir responsable. Guerre en Ukraine et 7-Octobre obligent, tous les dirigeants de la planète dignes de ce nom sont aujourd’hui condamnés à adopter le genre grand fauve.

Mais c’est aussi à l’intérieur de son pays que le président américain a vu ses méthodes énergiques et ses manières culottées encouragées. Et pas seulement par sa base MAGA. La bourgeoisie républicaine semble à présent moins se boucher le nez devant sa vulgarité à tous crins. Si l’establishment de Washington (le « blob ») et les campus restent résolument hostiles à Trump, les milieux économiques, eux, commencent à l’apprécier, voire à s’en inspirer. Il faut dire qu’en ignorant systématiquement les mises en garde des juristes, en se moquant souverainement du politiquement correct et en affichant sa libido dominandi de façon décomplexée, le président populiste arrive parfois à déplacer des montagnes. À l’heure où ChatGPT est devenu presque aussi intelligent que les meilleurs consultants de McKinsey, ne montre-t-il pas la voie aux patrons du monde à venir en concentrant ses efforts sur ce que la machine ne saura jamais faire : prendre des risques et imposer sa puissance ?

Distances

Parmi les leaders de droite en Europe, le trumpisme fait aussi école. Le brexiteur Nigel Farage au Royaume-Uni, la Première ministre Giorgia Meloni en Italie, la chef de l’AfD Alice Weidel en Allemagne : nombreux sont ceux qui admettent une parenté, aussi bien sur le fond que sur la forme, avec le président américain. Sauf qu’en France, pas question de concéder le moindre attrait pour lui. Non pas tant que le « cercle de la raison » pro-européen et pro-mondialisation règne encore dans les esprits. Mais la peur de passer pour le valet de l’Oncle Sam empêche tout le monde ou presque parmi nos élites d’avouer que l’homme à la mèche blonde et à la cravate rouge donne de l’espoir à beaucoup de nos concitoyens qui, comme lui, croient dans le retour des États-nations.

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Déjà entre 1986 et 1988, Jacques Chirac, qui privatisait à tour de bras à Matignon, était un libéral honteux qui ne reconnaissait pas prendre exemple sur Ronald Reagan. Et Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse au cours de son quinquennat de faire oublier notre retour dans le commandement intégré de l’OTAN et ses vacances à Wolfeboro dans le New Hampshire durant l’été 2007. Quant à Marine Le Pen, ne comptez pas sur elle pour remercier Trump d’avoir écrit en mai sur sa plateforme Truth Social, alors qu’elle venait d’être condamnée en première instance dans l’affaire des assistants parlementaires du FN, « Free Marine Le Pen ». Sans doute garde-t-elle un souvenir amer de sa visite en 2017 dans le lobby de la Trump Tower de New York, où le maître des lieux n’avait pas daigné descendre la saluer. En France, parmi les têtes d’affiche à droite, seul Éric Zemmour revendique une proximité idéologique avec le milliardaire peroxydé, dont il a fêté la réélection en se déplaçant à Washington pour l’occasion.

Et les électeurs français dans cette histoire ? D’après l’IFOP, 59 % d’entre eux pensent qu’il est carrément un « dictateur ». Raison de plus pour notre personnel politique de garder ses distances. Même si, pour certains sondés, le qualificatif « dictateur » est sans doute un compliment.

Haro sur le JAP!

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Trop souvent, le juge de l’application des peines tourne le dos aux victimes. Les syndicats d’agents pénitenciers sont outrés en ce lundi: un narcotrafiquant détenu au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (62), déjà connu pour s’être évadé par le passé, a obtenu une permission de sortie ce lundi 24 novembre afin de se rendre à un entretien professionnel.


« JAP » est l’acronyme désignant le juge de l’application des peines, magistrat exerçant auprès du tribunal judiciaire. Son rôle consiste principalement à superviser la manière dont la peine prononcée sera mise en œuvre pour une personne condamnée. Il est notamment chargé de déterminer les modalités du traitement pénitentiaire applicable à chaque condamné.

L’incompréhension d’une mère

Deux récentes affaires (parmi tant d’autres) permettent de démontrer que ce magistrat peut jouer un rôle néfaste dans l’administration de la justice et donc pour la société.

D’abord, l’affaire du jeune Adrien Perez, poignardé par un groupe de trois hommes lors d’une rixe, en juillet 2018, sur le parking de la boîte de nuit Le Phoenix, à Meylan près de Grenoble, alors qu’il fêtait son vingt-sixième anniversaire. Un de ses amis est gravement blessé. En juillet 2021, les deux suspects principaux, les frères Yanis et Younès El Habib, sont condamnés à quinze ans de réclusion criminelle, le troisième homme, Liam Djadouri, étant condamné pour violences aggravées. Au-delà du fait que Grenoble soit devenue depuis longtemps — comme tant d’autres villes françaises, mais aussi en raison d’une véritable tradition criminelle dans la capitale iséroise — une zone insécure, il existe réellement un problème de bonne justice dans cette affaire. Déjà, le 23 juillet 2020, un juge des libertés et de la détention décida de refuser la prolongation de la détention provisoire de Yanis El Habib, principal mis en examen pour meurtre et tentative de meurtre. Heureusement, sur appel du Parquet, il fut remis en prison par la Cour d’Appel de Grenoble.

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Récemment, sur CNews, la mère d’Adrien Perez a fait part de sa vive émotion après la remise de peine dont a bénéficié le meurtrier, incarcéré depuis 2021. Le condamné vient en effet d’être libéré sous condition pour bonne conduite par le JAP. Cela fait à peine cinq d’emprisonnement ! En plus de cette remise de peine, Patricia Perez ne comprend pas non plus comment l’individu a pu bénéficier d’aménagements durant sa peine. « J’ai dû supporter que le meurtrier de mon fils accumule 18 permissions de sortie depuis octobre 2024, pour aller faire du sport, qu’il se marie, qu’il attende un enfant. Il faut bien comprendre que mon fils, lui, n’aura jamais cette chance », déplorait-elle également[1]. Il est évident que pas un seul « bon comportement » ne peut justifier qu’un criminel ne fasse pas au moins dix ans sur les quinze prononcés. C’est intolérable. C’est même un accessit donné à ce type d’individus. S’il y a une récidive, le JAP aura une lourde responsabilité.

Précisons qu’afin d’apprécier la demande d’aménagement de peine, le JAP prend en considération les éléments factuels que sont la nature, la gravité et la durée des faits, le lieu de commission par référence (lieu de résidence de la victime) et la date de la commission des faits. Un pseudo débat contradictoire a alors lieu. Pseudo car le JAP rend ses décisions en présence du procureur, du condamné et de son avocat. Il est aussi assisté du service pénitentiaire d’insertion et de probation (le SPIP, la voix de son maitre le plus souvent). Il n’y pas de représentant des victimes… Ce qui prouve sans conteste que le droit pénal français privilégie toujours et encore les droits de la défense sur ceux des victimes. Qui s’est soucié de la famille du jeune Adrien, en l’espèce ? Personne. Avec le décès de leur enfant, elle a pris perpétuité morale. La pire…

Vendin-le-Vieil: une permission délirante

La seconde affaire se situe dans la récente prison de Vendin-le-Vieil dans le Pas-de-Calais. En effet, un détenu du nouveau quartier de lutte contre la criminalité organisée (QLCO) a obtenu une permission de sortie de quelques heures suscitant l’incompréhension. « Le chef d’établissement et le parquet ont rendu un avis défavorable, mais le juge d’application des peines a donné un avis favorable » à cette permission de sortie « travail » prévue lundi, indique une source judiciaire. « Le parquet a fait appel » mais la chambre d’application des peines a confirmé la décision en première instance, ajoute cette même source.

Il est avéré que ce détenu, dangereux, a un rendez-vous avec un potentiel employeur, bien que sa sortie de prison ne soit prévue qu’en… 2029. Selon une source syndicale, il s’agirait d’Ouaihid Ben Faiza, 52 ans, membre important d’un vaste réseau de trafic de drogue de Seine-Saint-Denis, qui s’était par ailleurs évadé de la prison de Villepinte en 2014. Sa cavale avait alors duré deux semaines[2]. Il est issu d’une fratrie qui a longuement régné sur le trafic de cannabis à la Courneuve. Il a, entre autres, été impliqué dans une fusillade qui a coûté la vie à un petit garçon de 11 ans, touché par une balle perdue, en 2005[3]. Là encore, les familles des victimes apprécieront…

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Ces détenus « sont censés être dangereux pour la société, on les met sous bulle, on met tout ce qu’il faut en termes de sécurité pour les couper de l’extérieur, et là il va sortir tout seul à l’extérieur et rentrer tranquillement le soir à 21 heures, on a du mal à comprendre », a réagi un syndicaliste d’UFAP UNSa Justice à Vendin-le-Vieil. Ce même syndicat a parlé à très juste titre d’ « une décision totalement déconnectée des exigences, des réalités et des contraintes imposées chaque jour aux personnels pénitentiaires ». Une nouvelle fois, un JAP, validé par la chambre d’application des peines, qui sait peut-être membre du très idéologique Syndicat de la Magistrature, dans un élan rousseauiste d’un autre temps, s’est mis en tête que c’est la société (et pourquoi pas la prison ?) qui avait perverti cet individu !  Cette décision insensée contrevient à tous les principes qui ont amené à la mise en place de telles prisons. Les extractions de ces quartiers spéciaux sont censées être extrêmement limitées, pour éviter au maximum les transports et donc les risques d’évasion. On se serait attendu à une réaction du ministère de la Justice. Rien à ce jour[4]

L’avocate du prisonnier précise : « ça ne se fait pas comme ça, une permission de sortir, il faut montrer patte blanche ». Et de rajouter que « les gens ne sortent pas de prison comme ça, du jour au lendemain, on fait en sorte qu’ils soient accompagnés (NDLR : il n’était même pas sûr que son client le soit…). Si on en arrive là aujourd’hui, ça veut dire que notre système fonctionne. Bien sûr que c’est pour la réinsertion ». Elle évoque par ailleurs le « comportement exemplaire » de son client, qui ferait preuve de « rédemption qui a été examinée, vérifiée ». Elle est dans son rôle. Et s’il arrive quelque chose, il est clair que tant le JAP que la chambre d’application des peines seront, au premier chef, responsables. Et que des sanctions implacables devront s’abattre sur eux. « La prison, c’est la privation de la liberté d’aller et venir, et rien d’autre » (V. Giscard d’Estaing)


[1] CNews 3/11/25

[2] https://www.20minutes.fr, 23/11/25

[3] https://www.rtl.fr, 23/11/25

[4] Gérald Darmanin a réagi sur Twitter après la rédaction de cet article NDLR : « La décision d’accorder une permission de sortir relève de l’autorité judiciaire, qui statue de façon indépendante. En tant que garde des Sceaux, je ne commente jamais une décision individuelle d’un juge, malgré l’opposition du procureur de la République et du chef d’établissement de la prison, qui s’impose à tous dans un État de droit. L’épisode concernant le détenu de la prison de haute sécurité de Vendin-le-Vieil met en lumière un enjeu plus large : notre cadre législatif d’application des peines doit être pleinement revu face aux réalités de la grande criminalité organisée. Ces profils particulièrement structurés et dangereux exigent des outils juridiques différents et une vigilance toute particulière. C’est pourquoi, dans le prolongement de la loi narcotrafic, des prisons de haute sécurité et de la création du Parquet national anti criminalité organisée (PNACO), je souhaite moderniser et consolider les règles encadrant l’exécution des peines pour les criminels les plus dangereux, dans le strict respect des principes fondamentaux du droit. Nous avons su le faire pour le terrorisme, nous le ferons contre la criminalité organisée : un droit spécifique et un juge d’application spécialisé qui connaît parfaitement les profils dangereux. Ce sera le cas dans le prochain texte de loi que je présenterai en début d’année prochaine. La sécurité des Français et la protection de l’ordre public resteront au cœur de mon action et de celle du ministère de la Justice »

Une cartographie de la connerie

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Le titre du livre fait évidemment référence à l’archipel du Goulag, mais peut-être aussi à la France archipelisée de Jérôme Fourquet. Dans L’archipel des cons (éditions de l’Onde), l’auteur de plusieurs livres drôles (J’irai cracher sur vos jobs, Les fausses lettres au Père Noël de vos stars préférées) et patron d’un podcast sur le football David Garnier se propose en véritable entomologiste de la connerie. Des petits, des gros, des grands, des jeunes, des vieux : en matière de cons, il y en a pour tous les goûts, tous les âges, tous les calibres.

Quand on est con…

D’après Georges Brassens, « quand on est con, on est con », et on ne peut pas y faire grand-chose. La connerie est partout, et pourtant, elle est peut-être le moteur de l’histoire le plus souvent négligé. Elle se rencontre souvent en voiture (ce qui laisse penser que les personnes qui n’ont pas le permis sont davantage épargnées). Ainsi, il y a le gros con, « par exemple celui qui gare son énorme 4×4 Mercedes à cent milles balles devant une pharmacie, en double file, avec ses gros warnings, entre, double une vieille dame en disant « Pardon mais je suis pressé » » ; le con en voiture : « Le con au volant est généreux, il expose sa connerie au monde et se produit en spectacle de manière théâtrale et bruyante. De grands gestes, des insultes imagées bien senties, des doigts, des bras d’honneur, des poings menaçants tendus, des grimaces, puis des affrontements physiques précédés d’insultes diverses […] » à distinguer de la conne en voiture. Le pauvre con cher à Nicolas Sarkozy et la pauvre conne chère à Alain Finkielkraut. Le sale con « qui à l’instar de Bernard Morin dans « Les Bronzés font du ski » lorsqu’il arrive dans son appartement et que les anciens locataires ont une petite heure de retard, […] vous expliquera que si tout le monde gagne une minute par-ci une minute par là le stationnement finira par être gratuit ». Bien sûr, le Splendid et Jacques Villeret ont beaucoup fait pour illustrer les cons en tout genre.

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Cons de gauche versus cons de droite

Et puis, et c’est là que ça va intéresser les lecteurs de Causeur, il y a la distinction entre les cons de gauche et les cons de droite. Pour l’auteur, « le con de droite est carabiné, mais le con de gauche est exaspérant. Quand il n’est pas dangereux ». Le con de gauche interprète tous les événements sous le prisme de sa lecture du bien et du mal, et les carnages cambodgiens, cubains, vietnamiens ne l’en détourneront pas. Le con de droite, lui, « n’en a rien à foutre. Il est autocentré, il pense à lui, à ses très proches, puis à ses semblables. Aucune vision transfrontalière ou transculturelle de sa connerie. Il se suffit à lui-même. C’est d’ailleurs son mantra ultime : « Moi, tant qu’on ne me fait pas chier »… » Tocqueville avait peut-être déjà cerné cette espèce comme « une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ».

Dans Mort aux cons (2007), Carl Aderhold avait imaginé un personnage qui s’était mis en tête de tuer les cons. Les tuer tous ? Pour de Gaulle, il s’agissait d’un trop vaste programme. L’entreprise de David Garnier est moins génocidaire. Parmi les catégories de cons, il se situe même parmi l’une d’entre elles : les vieux cons. Des vieux cons, il y en a toujours eu et même à l’époque des cavernes, on pouvait imaginer ce discours : « Et quoi le feu ? Ben quoi le feu ? On faisait comment nous quand on était jeunes ? On l’avait le feu ? Et alors ? On était malheureux ? On mangeait pas ? Eh ben si ! On mangeait froid, et ça faisait de nous des vrais hommes ! Oui il faisait froid dans la grotte, et alors ? On en est morts ? ». David Garnier, lui, n’aime pas les fêtards, l’arbitrage vidéo dans le foot, les enfants dans les avions et la télécommande de l’Apple TV. On s’y re-con-naîtra en partie.

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Lady Fox: elle flingue pas, elle cause

Rien ne prédestinait Claire Fox, alias Baroness Fox of Buckley, à siéger à la Chambre des lords. Brexiteuse convaincue, elle se dit «populiste de gauche» et appelle à débattre de tout avec tout le monde. Démocratie, liberté d’expression et responsabilité individuelle sont au cœur de son combat. Portrait.


Ne comptez pas sur Claire Fox pour éviter les sujets qui fâchent, elle qui aime tant ferrailler avec son époque. À Londres en octobre, elle ouvrait la 20e édition de la « Bataille des idées », un forum géant qui réunit chaque année deux jours durant 400 conférenciers et attire un public de 3 000 personnes, lequel sélectionne avec appétit, parmi la centaine de discussions proposées, les thèmes qui l’intriguent. Par tranche d’une heure et demie, simultanément dans les douze salles de Church House, on gamberge sur les controverses du moment : « Peut-on réparer un État dysfonctionnel ? », « Les deepfakes, nouveau défi médiatique ? », « Qui a peur de la révolte populiste ? », « Gatsby le Magnifique a 100 ans : que raconte le roman sur l’Amérique d’aujourd’hui ? », « Entendons-nous sur le mot “génocide” ». Trois à cinq intervenants proposent un exposé succinct, après quoi l’auditoire est invité à interroger, contredire, argumenter. Ça se passe dans le quartier de Westminster, le cœur politique de Londres.

Magnétisme et humour

Cette année, pour la première fois, on touchait au sujet de la guerre civile – qui eût paru extravagant il n’y a pas si longtemps. L’objectif n’est pas de souffler sur les braises. Mais, au contraire, de dézoomer. Intitulé de la séance : « Why is civil war a talking point ? » La question n’est pas « Sommes-nous à l’aube d’une guerre civile ? », mais « Pourquoi parle-t-on de guerre civile ? » Nuance. Claire Fox, rencontrée quelques jours plus tôt à Paris explique : « Des travaux universitaires sur ce thème déclenchent des controverses médiatiques et puis les gens ordinaires s’en emparent. Un de mes collègues à la Chambre des lords m’a dit qu’il trouvait irresponsable d’aborder ce sujet. S’il pense que c’est dangereux d’en parler, ça prouve qu’il y a un sujet. Il serait donc irresponsable de ne pas en débattre ! » Et c’est ainsi que Claire Fox accueille, dans ce barnum animé, des gens de tous milieux et tous âges, qui apportent leur écot à la conversation nationale. Le temps d’un week-end, elle est secondée par 170 bénévoles emportés par son enthousiasme, son magnétisme et son humour. Ils accueillent le public, lui tendent le micro, filment les débats.

Claire Fox, alias Baroness Fox of Buckley, 65 ans, porte de longs gilets sur de longues jupes hippies (réminiscence d’une jeunesse à l’extrême gauche) qu’elle marie avec des colliers de perles (unique signe extérieur de noblesse de cette figure issue de la plèbe irlandaise). Son allure reflète son parcours intellectuel, dont elle ne renie rien. Le Parti communiste révolutionnaire, qu’elle a fréquenté jusqu’à sa dissolution en 1997, a forgé sa culture politique. Vers la fin, cet organe trotskyste a délaissé la lutte anticapitaliste et les vieux schémas oppresseurs/opprimés pour se recentrer sur la défense des libertés civiles. Dans les années 2000, Fox poursuit sa mue, se convertissant au libéralisme économique et la responsabilité individuelle. Le cauchemar de Fox, c’est l’État nounou qui décide ce qui est bon pour ses administrés et met le peuple sous tutelle « pour son bien ».

L’Académie des idées, l’organisme qui orchestre la Bataille des idées, n’est pas un think tank. Cette association, qui emploie cinq personnes et demie, a juste vocation à générer des espaces de débats. « J’ai commencé ma carrière comme prof. Ce qui m’anime, c’est l’envie de créer des outils qui permettent aux gens de penser par eux-mêmes et de prendre part à l’histoire. » Tout sauf une société apathique ! Pas de safe space dans l’univers de Fox. Sans surprise, elle a été parmi les premiers et les plus vaillants opposants au wokisme et autres politiques victimaires. Cette femme-là n’a pas peur des bien-pensants.

Malgré elle, Fox va entrer en politique. Juin 2016, coup de tonnerre au Royaume-Uni : le Brexit l’emporte à 52 %. Mais pendant trois ans, rien ne bouge. Le pays demeure dans l’UE. Nigel Farage lance alors le Brexit Party dont l’unique objectif est de faire respecter et appliquer le vote populaire de 2016. Fox est une pro-Brexit de gauche. À l’approche des européennes de 2019, on lui propose d’être candidate pour le Brexit Party de Farage. Fox rigole. « Je n’ai jamais, ô grand jamais, souhaité occuper un poste politique. Mais quand j’ai réalisé que le gouvernement allait tout faire pour annuler le Brexit, j’ai pensé que ce serait nuisible à la démocratie. Ils allaient saper la confiance dans les institutions. Je me suis présentée. Et j’ai été élue. » De juillet 2019 à janvier 2020, Claire Fox, qui a milité pour quitter l’UE, occupe consciencieusement sa nouvelle fonction de députée européenne.

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Aux législatives de 2020, le parti Tory obtient une large majorité aux Communes ; Boris Johnson devient ainsi Premier ministre, largement grâce à sa fameuse promesse « Get Brexit done ! » Les Tories ont recueilli les suffrages des brexiteurs des régions post-industrielles traditionnellement travaillistes. Aussi, lorsque Johnson soumet à la reine d’Angleterre sa liste de nominations à la Chambre des lords, apparaît le nom de… Claire Fox. Comme un geste de gratitude envers les électeurs travaillistes. Fox rigole encore, elle qui milite pour la suppression de la chambre haute qu’elle tient pour antidémocratique. « Prêter serment chez les lords, on ne pouvait imaginer plus incongru. C’en était embarrassant… Tout bien réfléchi, j’ai pensé que j’avais une responsabilité. Plus d’un demi-million de personnes avaient voté pour ma liste aux européennes. C’était une façon de leur donner une voix. » Le 8 octobre 2020, Claire Fox prête serment à la Chambre des lords. Selon la tradition, elle est alors anoblie et reçoit le titre de Baroness Fox of Buckley (Buckley est la ville galloise où elle a passé son enfance), « non affiliée » (elle ne dépend d’aucun parti politique), nommée pairesse à vie.

Défense des libertés civiles

Depuis lors, elle prend à cœur son rôle de législatrice, scrute les propositions de loi qui arrivent de la Chambre des communes, met son poste au service de la défense des libertés civiles. « En ce moment, par exemple, on discute une loi sur la fraude dans les services sociaux, loi vertueuse, destinée à économiser l’argent des contribuables. Mais à y regarder de plus près, il y a une clause qui autoriserait l’État à surveiller votre compte bancaire. Il n’est pas rare que des mesures autoritaires se nichent au détour d’un alinéa. » Forte de cette expérience, reconsidère-t-elle son appel à supprimer la Chambre des lords ? Aucunement ! « Je suis pour un système monocaméral. Qui suis-je pour examiner les projets de loi ? Ce sont les élus, et seulement les élus, qui devraient s’en charger. » En attendant, ses interventions étant construites et argumentées, elle a gagné ses galons parmi les lords. « L’important, c’est de participer » : est-ce la phrase de Pierre de Coubertin (qui fut prononcée à Londres, justement…) ou plutôt le « Fight, fight, fight ! » de Trump qui résume le mieux le parcours de Claire Fox ? « Une sorte d’entre-deux », répond-elle. Elle participe, elle commente, elle défend ses convictions, courtoise mais combative, avec sa voix grasse de fumeuse et ce timbre à faire trembler les murs d’un pub anglais.

Claire Fox est née en Angleterre de parents irlandais et a grandi au Pays de Galles. « Culturellement, je suis une catholique d’Irlande ; mais ça ne veut pas dire grand-chose car je suis athée et pas irlandaise. » L’insécurité culturelle va-t-elle unir cet étrange pays constitué de quatre nations ? Cet automne, à la faveur du mouvement « Hisser les couleurs » on a pu voir les drapeaux des quatre régions (Écosse, Pays de Galles, Irlande du Nord, Angleterre) pavoiser ensemble. « En Irlande du Nord, les communautés catholique et protestante militent ensemble contre la réquisition d’hôtels pour l’accueil des migrants. Ils agitent leurs drapeaux côte à côte. Or je peux vous dire que les drapeaux, en Irlande du Nord, c’est sérieux. Mais les anciennes allégeances ne sont plus pertinentes pour comprendre les enjeux actuels. »

Claire Fox se dit populiste de gauche. On l’interroge sur Reform UK, le parti de Nigel Farage, au plus haut dans les sondages : « Ce que je peux vous dire, et c’est valable partout en Europe, aussi bien pour l’AfD ou le RN : ces partis sont des véhicules que le peuple utilise pour se faire entendre. Si l’immigration cristallise toutes les tensions, ce n’est pas une question de xénophobie. C’est que le contrôle des frontières est essentiel pour garantir la démocratie. L’État-nation est au fondement de la souveraineté populaire. Si vous ne savez plus qui entre dans le pays, si la citoyenneté devient une notion floue, c’est tout le système qui flanche. » Un peuple dessaisi de ses prérogatives, une démocratie qui perd pied, l’identité nationale qui se redéfinit : les mêmes enjeux s’imposent des deux côtés de la Manche. C’est pourquoi elle voudrait créer en France une réplique de la Bataille des idées. Most welcome, Lady Fox !

Pas mieux que lui?

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Emmanuel Macron et son homologue Brice Oligui Nguema, à Libreville, au Gabon, le 23 novembre 2025 © Thibault Camus/AP/SIPA

Le président de la République participera cet après-midi, en visioconférence, à une nouvelle réunion de la coalition des volontaires pour l’Ukraine. Interrogé sur RTL à propos de la polémique autour des déclarations du chef d’état-major Fabien Mandon, Emmanuel Macron a dénoncé une présentation déformée et sortie de son contexte – il a expliqué qu’un militaire accepte par nature certains sacrifices, tout en jugeant absurde de laisser penser que l’ensemble de la population serait concerné. Le chef de l’État a par ailleurs appelé à ne pas faire preuve de faiblesse face à une Russie qu’il estime de plus en plus agressive. Jeudi, il se rendra sur un site de l’armée de terre à Varces (Isère), où il pourrait apporter des précisions sur un futur service militaire volontaire.


Plus on approche de la fin, plus on est inexcusable de ne pas tenter une approche équilibrée et honnête du dernier mandat d’Emmanuel Macron.

Il me semble que dans l’entretien qu’il a donné à RTL et l’a conduit notamment à exposer la position française et européenne sur la Russie, l’Ukraine et le refus d’accepter quoi que ce soit qui ferait fi de l’accord du pouvoir ukrainien lui-même, si on était de bonne foi on devrait le créditer, sur ce plan, d’une cohérence et d’une constance indéniables.

En responsabilité

J’ose dire que pour le conflit israélo-palestinien et son acceptation officialisée de la solution à deux Etats, il n’a pas non plus, quelles que soient les objections soulevées, été indigne de ce qu’on attendait d’une présidence française.

Si je suis plus réservé, ici ou là, pour d’autres aspects de la diplomatie de notre pays, je ne méconnais pas que je ne sais pas tout et j’ai conscience que le citoyen aspire à ce que la France tape souvent du poing sur la table parce qu’il a cette immense liberté de l’irresponsabilité.

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Dans ce même entretien, le président, pour solidifier le pacte entre l’armée et la nation, justifie l’instauration d’un service militaire volontaire en apportant cette précision capitale que des soldats français ne seraient envoyés en Ukraine qu’une fois la paix sûrement établie.

Dans le registre intérieur, Emmanuel Macron ne peut que se contenter de formuler un souhait optimiste sur la capacité des parlementaires de trouver des compromis au-delà de l’esprit partisan de chaque groupe. Vœu pieux ?

Est-ce à dire que le président de la République retrouve, contraint et forcé, une sorte de sagesse qui tirerait du désastre qu’il a engendré avec la dissolution – qu’il n’a reniée que du bout des lèvres – une politique pragmatique où il se soucierait moins d’affirmer et de proposer que de faciliter ?

10 ans de perdus sur le plan régalien ?

Reste que demeure dans le bilan plus très éloigné de son évaluation finale un certain nombre d’ombres dont la plus visible est sa relative inaptitude à avoir jamais compris l’autorité et le caractère délibérément sans nuance qu’aurait dû imposer une stratégie authentiquement régalienne.

Comment le nouveau ministre de l’Intérieur, dont j’espère que la flagornerie, avec la critique de son prédécesseur, n’est pas la marque distinctive, peut-il asséner que le régalien est la grande force du président depuis 2017 alors qu’il s’agit de sa faiblesse fondamentale inspirée par un « en même temps » qui n’a pas lieu d’être dans ce secteur où l’action n’a pas le droit de se permettre la moindre hésitation ni retard ?

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D’ailleurs, s’il fallait une preuve aux antipodes des engagements constants du président, ce serait l’incroyable succès du Rassemblement national dont un dernier sondage révèle que Jordan Bardella serait gagnant dans tous les cas de figure, quel que soit son adversaire, Jean-Luc Mélenchon étant le plus nettement défait…

On ne peut pas ne pas se souvenir que l’obsession répétée d’Emmanuel Macron a été d’éviter le cauchemar que serait pour lui l’arrivée du RN à l’Élysée, avant des avancées probables aux élections municipales de 2026 ? Rien n’est joué mais tout laisse penser que l’état de la France en voie d’ensauvagement, crimes, délits et multiplication des zones et des séquences où une France transgressive est en roue libre, est la donnée essentielle qui explique le désaveu présidentiel.

La radicalité à la mode

Il y a encore plus grave, à mon sens, en tentant d’approfondir l’analyse. Alors que le président a cherché à placer dans le débat public l’exigence de rassemblement avec la répudiation de tout extrémisme, c’est le contraire qui s’est produit. Du RN (même si sa volonté de banalisation a limé ses griffes) à Reconquête et jusqu’à LFI, à rebours, c’est la radicalité qui a la cote et non plus les demi mesures! Je ne crois pas que, pour Jean-Luc Mélenchon, ce soit elle qui le plombe pour son nouvel essai présidentiel mais le fait qu’il fulmine une radicalité « haineuse ». C’est plus sa forme que son fond qui fait peur à une part de l’électorat dont il aurait besoin en plus d’une certaine jeunesse et de quelques banlieues au second tour!

Cette envie de radicalité qui domine est sans doute le signe le plus éclatant du déclin non réversible du macronisme. Et de son absence de futur au-delà de 2027.

À tout bien considérer, convient-il, alors que les jeux sont presque faits, dire comme au poker, au sujet d’Emmanuel Macron contre tous ceux qui aspirent à sa suite : pas mieux ?

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Des lettres pour faire du chiffre

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DR.

Comment expliquer l’intensité de l’activité épistolaire de nos députés?


« Monsieur le ministre, je vous écris une lettre… » Poser une question écrite à un ministre, activité présentée par l’Assemblée comme « essentielle » à la démocratie, est un exercice très prisé par nos parlementaires. Dans ma circonscription, un député (dont je tairai le nom et le parti, non pas par charité politique mais parce qu’il appartient à une espèce très répandue) en a fait son passe-temps favori. Depuis son élection en juillet 2024, il a déjà adressé une trentaine de questions écrites, en moyenne une tous les quinze jours ! Quand la presse évoque l’agression d’un commerçant, il demande au ministre de l’Intérieur de réagir… Quand un électeur se fait arnaquer sur son smartphone, il questionne sur la lutte contre les SMS frauduleux… En cas de grosse chaleur, il interroge le ministre de l’Agriculture sur l’avenir des moissons…

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Ce faisant, il s’inscrit dans la tradition. Sous Macron, lors de la XVe législature (du 27 juin 2017 au 21 juin 2022), on a enregistré en cinq ans 45 666 questions écrites ! Soit grosso modo 25 questions par jour, chacun des 577 députés rédigeant en moyenne une question toutes les trois semaines ! Lors de la XVIe (du 28 juin 2022 au 9 juin 2024), on est dans les mêmes eaux, avec 18 707 questions enregistrées en un an, onze mois et douze jours. Et l’actuelle législature tient le rythme   du 18 juillet 2024 au 30 septembre 2025, soit quatre cent quarante jours, environ 10 000 questions ont été déposées, 22 par jour !

Ces chiffres sont comme le bikini d’une jolie fille, ils font impression mais cachent l’essentiel. Cette intense activité épistolaire sert principalement des élus qui, placés sous les feux critiques d’un observatoire citoyen, veulent prouver à leurs électeurs qu’ils ne siègent pas au Palais-Bourbon uniquement pour se rincer le gosier. Et face à ce déluge de questions qui ne mouillent personne, le gouvernement, quand il répond (en moyenne une fois sur deux), se contente d’affirmer que, conscient des problèmes évoqués, il met tout en œuvre pour y remédier… Bref, un jeu démocratique qui tourne à la farce démagogique.

Europe et Israël: des destins divergents?

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Crédit photo : Mosaïque / Colloque Shibboleth – Centre Begin.

Le philosophe et linguiste Georges-Elia Sarfati nous propose dans son dernier essai de réfléchir la crise de l’identité européenne à la lumière d’une désaffiliation progressive, crise qu’il éclaire également par le rapport que l’Europe entretient avec Israël depuis la guerre des Six Jours et la crise pétrolière, et dans une sorte d’abdication de sa mémoire au profit d’une table rase où d’autres cultures viennent occuper le vide désormais créé. Notre contributrice l’a lu.


Dévoiement de l’humanisme et renoncement à sa propre tradition

« La Krisis de Husserl[1] constitue sans doute l’une des premières critiques du scientisme comme lieu de dévoiement du projet civilisationnel d’un humanisme rationaliste ». Car, si « les sciences galiléennes ont permis des progrès considérables, elles ont aussi habitué l’humanité à développer un rapport au monde objectivant, chosifiant le monde mais aussi la vie et la manière de s’y rapporter » dit Georges-Elia Sarfati. Et ce n’est pas la construction de l’UE qui arrangera les choses puisqu’elle dépossède les États de leur souveraineté et identité, et leur substitue « une vision technocratique » ; comme si « l’édification d’une armature juridique et économique pouvait suffire à nourrir un projet collectif cohérent et homogène. »

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Mais, selon l’auteur, la dérive du continent Europe va connaître une accélération à partir de 1967 et la guerre des Six Jours, et encore plus à partir du choc pétrolier de 1973 qui verra émerger « l’Eurabia ». Car, le prix du baril de pétrole dépendra à la fois du soutien ou non à Israël, et de mesures pour que la culture arabo-musulmane apparaisse comme constitutive de l’esprit européen. Ainsi, à l’abandon des racines gréco-latines, et pour un Bernanos, chrétiennes, succédera un révisionnisme culturel dont Georges-Elia Sarfati nous dresse l’inventaire en monnaie sonnante et trébuchante. Et les sommes allouées à ce projet de remplacement culturel donnent le vertige ! Par ailleurs, cette substitution civilisationnelle aura pour conséquence logique de favoriser la culture d’origine et de mettre à bas le principe d’intégration. L’auteur se réfère alors à Giuseppe Gagliano[2] qui n’hésitera pas à parler « d’Europe en offrande » et « d’abdication spirituelle. »

L’abandon du « rocher hébraïque » et ses conséquences

Israël apparaît donc doublement abandonné ; en tant qu’État mais aussi dans ses fondements anthropologiques. « Le refus de ce qu’Eliane Amado Levy-Valensi nomme « le rocher hébraïque » conditionne tous les mouvements radicaux qui prétendent émanciper l’humanité de ses chaînes : identité spécifique, universalisme différentialiste, autorité de la transmission, fidélité aux legs des Pères… et des mères » affirme Georges-Elia Sarfati. Et si la modernité consiste à permettre la critique de ce dont nous héritons, cela doit être en toute connaissance de cause ; à partir de l’archive et certainement pas de la table rase. Car que se passe-t-il dans ce cas ? « On y renoue, une fois de plus, avec le fantasme parricide, lequel, si l’on en croit ses promoteurs – et il faut les croire – abolit toutes les oppositions structurantes de l’ordre symbolique : la distinction féminin /masculin… jusqu’au principe même de la symbolisation. » Et l’on voit fleurir « la promotion des identités plurielles, nourrie du narcissisme des petites différences » qui « réunit ainsi toutes les conditions de la haine et du passage à l’acte, dès lors que la rivalité sans frein des égo rend suspect tout recours à la médiation symbolique. » Le vide existentiel qui caractérise désormais le mal être européen a profondément partie liée avec cette désymbolisation et se décline de trois façons : « Atomisation du corps social en individus de plus en plus isolés, souvent déracinés. Propagation d’une culture de masse dont les effets sur la subjectivité conduisent à une standardisation des imaginaires, allant de pair avec un recul de la référence livresque, qui a longtemps garanti la culture de l’intériorité. Et, finalement, crise de la représentation caractéristique du vide existentiel en question. » Georges-Elia Sarfati viseparticulièrement le wokisme qui « prolonge le déni des généalogies caractéristique des sociétés sans père, mais chapeautées par un tyran que tous les fils jalousent de détenir une prérogative absolue, pour essayer de défaire, une fois pour toutes l’intrigue générationnelle jusque dans le domaine des filiations intellectuelles. »

De l’antisionisme au palestinisme

Dans un second temps, mais dans la logique du premier, l’analyse porte sur un certain nombre d’idées simplistes qu’il s’agit de débouter. Ce que l’auteur appelle le palestinisme est « principalement destiné à l’opinion occidentale qui se veut progressiste, en faisant tacitement appel à ce que la mémoire collective de l’Europe comporte de plus répulsif : le racisme et le suprémacisme du Troisième Reich, l’impérialisme nord-américain pendant la guerre du Vietnam, le colonialisme français en Algérie, et la politique d’apartheid appliquée pendant le régime ségrégationniste d’Afrique du Sud. » Tous les ingrédients sont réunis pour être appliqués indistinctement à Israël.

Georges-Elia Sarfati va donc s’employer à les reprendre point par point. Il analyse le deux poids deux mesures appliqué à la question des réfugiés qui compte pour rien les réfugiés juifs qui ont dû quitter les pays arabo-musulmans et qui dépassent en nombre ceux que l’on appelle les réfugiés palestiniens. Il nous dit ensuite que « le véritable État palestinien avait été créé en 1922 (la future Jordanie) et que, par conséquent, la question palestinienne avait trouvé sa résolution plus d’un quart de siècle avant la création de l’État d’Israël ». Puis, il souligne que selon les principes du droit de la guerre, « Israël aurait été fondé à annexer l’ensemble des territoires conquis au cours de chacune des guerres d’agression subies, dont il est sorti victorieux. » Enfin, il rappelle que pour qu’il y ait colonisation il faut une position d’hégémonie et de souveraineté ailleurs, ce qu’à aucun moment ce pays n’a eue. C’est pourquoi définir le sionisme comme visant à l’institution d’un « État des juifs » en Palestine dénie l’antériorité du peuple juif en cette région et le souhait légitime de renouer avec une histoire interrompue.

Europe et sionisme

Ce retour en Orient d’un peuple qui en fut chassé va de pair avec l’autodétermination du juif par lui-même ; ce que Georges-Elia Sarfati appelle sa « désaliénation ». En effet, le juif fut toujours qualifié de l’extérieur de lui-même (voir La question juive de Sartre) Et c’est Jean-Marie Lustiger qui osera dire un jour : « Il nous faut de plus accepter aujourd’hui qu’Israël soit lui-même, que les juifs se définissent eux-mêmes et qu’ils se définissent comme ils l’entendent. » Et le « nettoyage de la situation verbale » selon Paul Valéry commence par la rectification d’un titre ; celui du livre de Théodore Herzl[3] communément traduit par « l’État juif » alors qu’il s’agit de « l’État des juifs ». La première formulation réduit Israël à une définition religieuse ; la seconde, fidèle à la conception contractuelle de la nation issue de la philosophie politique des Lumières est celle d’un projet national moderne, où, faut-il le rappeler, plus de 20%de la population n’est pas juive… 

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« Le sionisme affirme une dynamique de continuité avec le judaïsme historique, et cette continuité consiste dans l’actualisation de la promesse du Retour. » Mais, « cette continuité s’affirme aussi au prix d’une rupture, qui porte sur la révolution qu’introduit le sionisme par rapport à ce qu’on pourrait appeler le messianisme passif. » Et l’auteur de résumer : « Israël, c’est la mémoire de l’Orient, instruit de la mémoire de l’Europe, et rétabli en Orient. » Autre désaliénation, et pas des moindres quel’auteur nomme « le désenclavement théologique d’Israël » : « Au regard des deux monothéismes qu’Israël a engendrés et fécondés, le sionisme bat en brèche la compréhension exclusive du peuple d’Israël perçu comme « peuple du livre ». En devenant un État, Israël sort de sa condition « d’archive des nations » pour en devenir une à son tour et advenir à l’histoire.

Au terme d’un certain nombre de changements que nous ne pouvons tous évoquer ici, il reste pour Israël à s’extraire aussi d’un schéma idéologique assez récent ; celui qui voudrait en faire le défenseur du judéo-christianisme et, selon la formule de M. Onfray « le bateau amiral de l’Occident. » Georges-Elia Sarfatis’inscrit en faux et affirme : « Aussi longtemps que l’Europe persiste dans ses dérives, Israël ne saurait lui tenir lieu de substitut au Moyen-Orient ; tel n’est du reste pas son dessein. A l’inverse, l’affirmation d’Israël signe davantage sa sortie de l’Occident qu’une forme d’implantation de ce dernier entre le Nil et l’Euphrate. » Et d’éclairer ce qui les sépare : « la construction européenne, qui s’est détachée de ses fondements philosophiques, semble suivre une direction contraire : tandis que ses populations ont été éduquées à prendre en aversion l’idée de nation, Israël affirme sa singularité nationale, chèrement acquise sur l’hostilité des nations. » C’est pourquoi l’auteur conclut son ouvrage en opposant la « désaffiliation de l’Europe » à la « désaliénation d’Israël » bien plus qu’il ne les réunit dans un combat commun.

La grande désaffiliation, essai sur la crise de l’identité européenne, Georges-Elia Sarfati, Éditions FYP 272 pages.

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[1] La Krisis présente une série de textes écrits par Husserl en 1935, parus intégralement et de manière posthume en 1954

[2] Fondateur du Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis) à Côme (Italie). Le coran européen : l’Europe en offrande, chronique d’une abdication spirituelle

[3] Théodore Herzl (1860-1904), journaliste et avocat juif austro-hongrois, est considéré comme le père du sionisme politique moderne.

Malaise dans la République

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La psychologue et essayiste Sonia Zadig. DR.

Dans son livre, Sonya Zadig donne la parole à 15 femmes et 17 hommes ayant rompu avec un islam injuste et superstitieux.


Le tout récent livre de Sonya Zadig, clinicienne psychanalyste, Les enfants perdus de la république (Éditions Fayard, octobre 2025) est consacré aux apostats de l’islam. A travers un groupe web intitulé « les Apostats » Sonya Zadig a recueilli les témoignages poignants de 243 femmes et hommes (et la préséance n’est pas ici de pure forme car les femmes sont à la fois les premières cibles et les principales transmetteuses de la religion-culture qu’est l’islam).

Apostasie : un déchirement

Ce sont des « enfants de la République », des Français, nés en France pour la plupart, ou qui y sont arrivés très jeunes, venant du Maghreb pour la grande majorité d’entre eux. Ils ont été maltraités sous le joug d’une culture religieuse violente, rétive aux mœurs libérales respectant l’individu, puis déchirés par l’arrachement à cette socialisation de soumission à la fois terrifiante et rassurante. Leurs souffrances font écho à celles que Sonya Zadig a elle-même connues et qu’elle accueille dans son cabinet depuis plusieurs années. Des souffrances et des difficultés en grande part ignorées en France par les responsables politiques, par l’école, la justice, l’État garant de la sécurité des citoyens.

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L’ouvrage croise ainsi deux références précieuses : Malaise dans la culture de Sigmund Freud et Les territoires perdus de la République, publié en 2002 et remarquablement postfacé par Georges Bensoussan dans la réédition de 2015. Les récits emblématiques de 15 femmes puis de 17 hommes, retenus parmi ces nombreux cas étudiés par Sonya Zadig, dessinent pas à pas, l’un après l’autre, une réalité méconnue voire niée, de ces espaces où la violence peut se déchainer sur les enfants d’abord, sur les épouses, les filles, les sœurs, et sur les hommes entre eux. Or ces personnes issues d’un monde islamique archaïque dont elles se sont extirpées souvent au péril de leur vie, ne rendent pas seulement compte d’une contre-société qui se développe au cœur d’une France censée respecter les libertés individuelles de chacun. Les apostats de l’islam nous renvoient aux défis communs de l’époque, aux questions de l’identité, de la cohésion sociale, de la démocratie, et in fine de la nation.

Huis-clos familiaux

Tout commence dans la famille bien sûr. Le rôle des mères est primordial dans la transmission culturelle aux enfants, mais traditionnellement, sous la suprématie masculine. Réduites à la fonction reproductrice à tous les sens du terme, les femmes tendent à répercuter sur les enfants et particulièrement sur les filles, les violences qu’elles ont elles-mêmes subies en paroles et en actes. Les pères aussi sont violents, avec leur femme et avec leurs enfants, mais désormais en France, ils sont souvent absents et l’image paternelle est abîmée. Certains récits « décrivent un père inconsistant oscillant entre les beuveries et la fréquentation erratique des mosquées » tandis que les mères, investies d’une toute puissance inégalée sont souvent décrites comme « dépressives ou anxieuses, et psychiquement absentes ou, en colère contre leur sort -et contre leurs enfants. »

C’est dans le huis-clos familial en tous les cas, que se transmettent les contes terrifiants, la hantise des tourments de l’enfer, l’obsession de la virginité des filles, la haine des Juifs. Chacun vit sous l’œil omniprésent de dieu et sous le regard des autres. Le maintien de la réputation familiale est une préoccupation aussi constante que la crainte du châtiment divin. De même que les enfants sont liés à la famille par la mère, la Oum, la famille relie à la vaste « communauté des croyants », la Oumma. Le cheminement pour sortir de ce monde est alors difficile et douloureux. Péril mortel, l’apostasie est pourtant le gage d’une véritable naissance de l’individu libre.

Désorientés

« Les apostats avancent des raisons précises pour leur mouvement de sortie : le statut des femmes, les injustices et les violences dont ils ont été témoins oculaires ou victimes au sein de leur famille, les traumatismes nombreux dus aux djinns, au Sheitan, aux superstitions, et la certitude de savoir que, quoi qu’ils fassent hormis « se faire sauter avec une ceinture d’explosif », le Paradis d’Allah leur demeurera aussi inatteignable que la liberté qu’ils convoitent. » Et, parce que l’analyste n’est pas neutre ni désincarnée, Sonya Zadig nous dit qu’elle aussi a eu ce courage de rompre avec cet univers clos, le courage qui commence par « s’autoriser la liberté de pouvoir affirmer un « non », un non qui ne serait plus uniquement de refus mais de désir et d’assertion ».  

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Mais si leurs souffrances les mènent souvent au divan du psychanalyste, tant la rupture est culpabilisante et désorientante, les apostats de l’islam sont des enfants de notre époque : en quête d’identité, de repères, de sens. « Les apostats nous confrontent aux glissements symboliques de notre modernité et nous exhortent à faire preuve chacun à notre manière d’inventivité et de courage pour comprendre ce qui constitue notre identité (…) Leurs traumas et les violences qu’ils ont subies et continuent de subir nous concernent tous puisqu’il s’agit d’une question de santé publique. Pour moi, [conclut Sonya Zadig] la question qu’ils posent est éminemment éthique. » Et politique, pouvons-nous ajouter.

256 pages

Les Juifs de l’Occident et la tentation de la bonne conscience: une lecture politico-sociale

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Rassemblement contre la venue de Netanyahou à l'ONU, New York, 26 septembre 2025 © Robyn Stevens Brody/Sipa USA/SIPA

Dans la diaspora juive, beaucoup ont désormais honte d’Israël, cet État juif qui se défend, qui porte les armes, qui assume la brutalité du réel. Ne souhaitant pas y être assimilés, ils peuvent verser dans l’antisionisme le plus dur. Analyse sociologique.


Il n’est pas du tout étonnant – et il serait même naïf de s’en étonner – que tant de Juifs en Occident, en Europe comme aux États-Unis, et même en Israël, ne se contentent pas de critiquer Israël, mais relayent comme des évidences les mensonges produits par la propagande islamiste ou relayés par l’activisme anti-israélien.

On peut bien sûr convoquer les explications habituelles : les analyses religieuses, les interprétations psychanalytiques, la vieille catégorie de la haine de soi, le tropisme vers les dominés, l’idéalisation de la figure de l’opprimé… Ces modèles d’intelligibilité existent, ils ont leur part de vérité, mais ils ne suffisent pas.

Ils laissent dans l’ombre l’essentiel.

Une clef de lecture souvent négligée : la position sociale

En réalité, il s’agit selon moi beaucoup moins de psychologie culturelle ou de survivances théologiques que d’une chose plus prosaïque : une logique de classe sociale.

La plupart de ces Juifs occidentaux appartiennent à une bourgeoisie cultivée, insérée dans les professions intellectuelles, universitaires, artistiques ou médico-sociales. Une bourgeoisie aisée mais inquiète, libérale mais fragile, progressiste mais saturée de culpabilité historique. Elle ne vit ni la menace physique, ni la proximité du conflit, ni l’expérience de l’insécurité quotidienne que connaissent les Israéliens. Elle vit dans ce monde protégé où le réel n’entre presque jamais sans avoir été filtré, médiatisé, interprété.

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Ce n’est pas un hasard si ces Juifs occidentaux s’informent beaucoup — mais dans des sources qu’ils choisissent soigneusement. Ils lisent, ils comparent, ils se sentent éclairés, mais leur éclairage repose souvent sur un écosystème médiatique homogène, produit par leur propre milieu. Ils rejettent instinctivement tout ce qui serait perçu comme « extrême », à commencer par les droites traditionnelles israélienne ou française — droites qu’ils réduisent souvent à des caricatures commodes afin de préserver la tranquillité morale de leur positionnement.

Honte sociale et quête d’innocence

Car c’est ici que se niche le ressort déterminant : une honte sociale, diffuse mais structurante.
Dans un Occident où la misère a acquis une dimension quasi sacrée, où la souffrance est devenue un critère moral, ces bourgeois cultivés portent en eux une gêne profonde d’appartenir au camp des privilégiés. Ils rêvent d’être du côté des humiliés et des offensés, comme si la misère seule ouvrait à la vérité du monde. Ils veulent participer symboliquement au drame humain, non pas depuis la place que leur confère leur histoire, mais depuis une place imaginaire qui les absout de leurs propres avantages.

Dans cette logique, les Palestiniens deviennent la figure parfaite : les « plus misérables des misérables », incarnation de la victime absolue. Face à eux, Israël — l’État juif, fort, armé, souverain — représente tout ce qu’il leur répugne d’être. Le Juif occidental ne veut pas être associé à la force ; il veut être associé à la souffrance, comme si sa propre légitimité morale dépendait de sa capacité à s’identifier aux plus vulnérables.

Ainsi s’opère un mécanisme paradoxal : en soutenant la cause palestinienne, ces Juifs occidentaux ne prennent pas tant position dans un conflit géopolitique qu’ils tentent de résoudre une tension interne à leur identité de classe.

Le refus d’être assimilé à la puissance

Il faut comprendre ce qui se joue ici : Israël représente l’inverse exact de l’image de soi que beaucoup de Juifs occidentaux veulent donner au monde.

Israël incarne :

• la souveraineté assumée,

• la force militaire,

• la détermination stratégique,

• l’affirmation identitaire,

• la décision politique en situation de danger.

Autant de réalités vécues par ces Juifs occidentaux comme des formes choquantes d’excès, comme si l’existence même d’un État juif combattant menaçait l’image morale qu’ils veulent projeter : celle d’un Juif universaliste, pacifique, généreux, appartenant aux forces douces du bien social.

Beaucoup d’entre eux ressentent presque une honte de cet État juif qui se défend, qui porte les armes, qui assume la brutalité du réel. Ils ne veulent pas être assimilés à cette puissance. Ils préfèrent l’image du Juif diasporique, discret, moral, souffrant — figure d’ailleurs infiniment plus confortable dans la culture occidentale contemporaine.

L’expression politique d’une classe

Il n’est donc pas surprenant que ces Juifs, en Amérique, aient voté pour l’actuel maire de New York, selon une orientation politique qui traduit moins un programme qu’un ethos : un désir de respectabilité progressiste, un rejet viscéral de toute figure associée à la fermeté ou à la défense identitaire.

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De même, en France, les intellectuels parisiens qui critiquent systématiquement Israël, qui ironisent sur Netanyahou, qui s’indignent de la guerre à Gaza sans jamais analyser la logique militaire du Hamas, sont les représentants fidèles de ce milieu. Ils ne parlent pas en tant que Juifs. Ils parlent en tant que bourgeois cultivés occidentaux, façonnés par un imaginaire de la tolérance illimitée, de la compassion sélective et de la bonne conscience morale.

Une contradiction fondamentale

Au fond, leur position repose sur une contradiction que la pensée contemporaine a du mal à affronter : ils se sentent obligés de défendre des victimes imaginaires pour ne pas avoir à regarder en face la réalité des victimes réelles. Ils préfèrent l’abstraction réconfortante – le Palestinien déshistoricisé, réduit à une pure souffrance – à la complexité du réel : les choix stratégiques d’Israël, les logiques de guerre asymétrique, la responsabilité du Hamas, la réalité des sociétés du Moyen-Orient.

La critique d’Israël, chez eux, n’est pas un geste politique : c’est un rituel social, un signe d’appartenance à un monde où la vertu s’exhibe et s’atteste par la dénonciation des puissants – quitte à transformer les faits pour que la morale ne soit jamais en défaut.

Ce mécanisme d’auto-distanciation morale explique aussi les profondes dissensions actuelles au sein de la communauté juive mondiale, fracturée entre ceux qui assument la souveraineté israélienne et ceux qui s’en protègent. Il éclaire également le déchirement de la société israélienne elle-même, où une partie de l’élite culturelle et urbaine rejette la posture de puissance nécessaire à la survie du pays, au nom du même imaginaire universaliste qui façonne les Juifs occidentaux.

L’aveuglement comme confort

Ainsi s’explique la facilité avec laquelle ces Juifs occidentaux relaient, parfois sans s’en rendre compte, les narratifs islamistes ou les accusations infondées de génocide : non par adhésion idéologique, mais par fidélité à un imaginaire social qui les rassure sur leur propre innocence.

Le ressort n’est ni religieux, ni psychologique avant tout. Il est social, moral et symbolique. Ils ont besoin que le monde se simplifie pour pouvoir s’y sentir bons.
Dans un monde où le réel devient complexe, conflictuel, tragique, Israël leur renvoie une image du Juif fort, politique, affrontant le danger — image qu’ils ne veulent pas assumer. Alors ils se défendent de cette image en attaquant Israël, et en se rangeant du côté des victimes imaginaires qui leur permettent de sauver leur place dans l’ordre moral des sociétés occidentales. Ce n’est pas Israël qu’ils accusent : c’est leur propre difficulté à affronter le réel.

La société malade

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🎙️ Podcast: BBC, France TV… comment les médias essaient de façonner la réalité

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Broadcasting House, le siège social de la BBC, Londres, le 14 novembre 2025. Vuk Valcic/ZUMA/SIPA

Avec Nicolas de Pape, auteur de Médiacratie, et Jeremy Stubbs.


Nicolas de Pape, journaliste et contributeur de longue date à Causeur, nous parle de son nouveau livre, Médiacratie, qui, citations et dates à l’appui, montre comment les médias dominants ou « mainstream » ne cherchent plus à refléter la réalité avec plus ou moins de fidélité, mais à la façonner. Autrefois, les médias constituaient le quatrième pouvoir de la démocratie, ou du moins un contre-pouvoir. Aujourd’hui, ils veulent prendre le pouvoir, en montrant le monde tel que les élites progressistes voudraient qu’on le voie, et en disqualifiant toutes les autres approches.

Qu’il s’agisse du 7-Octobre, des manifestations propalestiniennes, de l’immigration, de l' »apocalypse » écologique, du Brexit, des origines du Covid-19… ou de personnalités comme Trump, Meloni, Musk ou Zemmour… les médias ont renoncé à l’impartialité en prétendant incarner toutes les vertus de l’objectivité, de l’équilibre et de l’ouverture au débat. Symbole suprême de leur arrogance, les services de vérification ou « fact checking » par lesquels ils prétendent corriger les erreurs des autres en ignorant les leurs. Le scandale de la BBC à propos du montage du discours de Donald Trump du 6 janvier 2021 représente le nec plus ultra du mensonge médiatique en démocratie.

Face aux réseaux sociaux, le pouvoir des médias dominants s’effrite, mais il n’est pas encore mort.

Nicolas de Pape, Médiacratie. Comment les médias façonnent notre réalité, Editions Perspectives libres, 2025.

La France a-t-elle besoin d’une droite cow-boy?

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Donald Trump lors du sommet de Charm el-Cheikh sur la paix à Gaza, 13 octobre 2025 © AP Photo/Evan Vucci/SIPA$

La méthode Trump commence à porter ses fruits aux États-Unis et sur certains dossiers internationaux. Malgré ses outrances, le président américain inspire d’autres chefs d’États et de partis, notamment en Europe. Mais en France, la droite n’ose jamais avouer qu’elle prend exemple sur l’Oncle Sam…


Le soir tombe sur Paris ce 5 octobre. À la télévision, la composition du gouvernement Lecornu vient d’être annoncée. Devant son écran, Bruno Retailleau est furieux. Si, comme promis, il a bien été reconduit à l’Intérieur, il a découvert, stupéfait, que le « traître » Bruno Le Maire a hérité, quant à lui, des Armées. Alors que ni le chef de l’État ni le Premier ministre n’ont jugé utile de le prévenir de cette nomination détonnante. Le Vendéen se sent trahi.

Rupture

À 21 h 22, il riposte en publiant un message sur X: « La composition du gouvernement ne reflète pas la rupture promise. Devant la situation politique créée par cette annonce, je convoque demain matin le comité stratégique des Républicains. » Le style a beau être policé, la transgression n’en demeure pas moins absolue. Jamais dans notre histoire, un ministre de haut rang n’avait critiqué, de façon si lapidaire et publique, l’exécutif auquel il était pourtant censé participer.

Dès le lendemain, Sébastien Lecornu en tire les conséquences d’abord en présentant la démission de son gouvernement, puis en acceptant quelques jours plus tard, « par devoir », d’être renommé à Matignon… mais cette fois sans Retailleau à Beauvau. Depuis, chez les Républicains, la sidération s’est muée en consternation. Comment leur président, pourtant si madré et réfléchi, a-t-il pu croire judicieux de tenter un coup de pression sur les réseaux sociaux, qui plus est dans la précipitation ? A-t-il sérieusement imaginé qu’il se ferait ainsi respecter du « socle commun » ? Gardons-nous de psychanalyser un homme si complexe et allons à l’essentiel : avec son offensive à ciel ouvert et à l’emporte-pièce, Retailleau a, rien qu’un instant et à rebours de toutes ses habitudes, tout simplement fait du Trump.

Prendre de court l’adversaire, faire des déclarations choc, passer en force. Depuis son retour à la Maison-Blanche il y a neuf mois, le président américain gouverne avec encore plus d’impétuosité que lors de son premier mandat. Pas un jour ne passe sans qu’il lâche une bombe. Quand il ne signe pas, en mai, un contrat record – dans lequel il n’oublie pas ses intérêts personnels – avec les pétromonarchies du Golfe, il prie, en septembre, pour Charlie Kirk sur écran géant en Arizona. Quand il ne rabroue pas, en février, Volodimir Zelensky dans le bureau ovale, il y contraint, en octobre, Benyamin Netanyahou de prendre son téléphone pour s’excuser auprès du Qatar afin d’obtenir un accord sur Gaza. S’il était français, on pourrait dire en parodiant la théorie des trois droites de René Rémond, que Trump est orléaniste à Riyad, légitimiste à Glendale et constamment bonapartiste dans la West Wing, où il a d’ailleurs fait rajouter quantité de dorures sur les murs et les meubles.

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On pourrait aussi remarquer qu’avec ses idées fantasques d’annexer Panama et le Groenland, ou de bombarder avec du lisier les militants du mouvement « No Kings » qui manifestent contre lui, le président américain se montre plus brutal et provocateur, voire insultant, que jamais. À sa décharge, Trump s’est retrouvé, depuis sa réélection, dans un contexte international encore plus féroce que celui qu’il avait laissé en 2020, sans qu’on puisse l’en tenir responsable. Guerre en Ukraine et 7-Octobre obligent, tous les dirigeants de la planète dignes de ce nom sont aujourd’hui condamnés à adopter le genre grand fauve.

Mais c’est aussi à l’intérieur de son pays que le président américain a vu ses méthodes énergiques et ses manières culottées encouragées. Et pas seulement par sa base MAGA. La bourgeoisie républicaine semble à présent moins se boucher le nez devant sa vulgarité à tous crins. Si l’establishment de Washington (le « blob ») et les campus restent résolument hostiles à Trump, les milieux économiques, eux, commencent à l’apprécier, voire à s’en inspirer. Il faut dire qu’en ignorant systématiquement les mises en garde des juristes, en se moquant souverainement du politiquement correct et en affichant sa libido dominandi de façon décomplexée, le président populiste arrive parfois à déplacer des montagnes. À l’heure où ChatGPT est devenu presque aussi intelligent que les meilleurs consultants de McKinsey, ne montre-t-il pas la voie aux patrons du monde à venir en concentrant ses efforts sur ce que la machine ne saura jamais faire : prendre des risques et imposer sa puissance ?

Distances

Parmi les leaders de droite en Europe, le trumpisme fait aussi école. Le brexiteur Nigel Farage au Royaume-Uni, la Première ministre Giorgia Meloni en Italie, la chef de l’AfD Alice Weidel en Allemagne : nombreux sont ceux qui admettent une parenté, aussi bien sur le fond que sur la forme, avec le président américain. Sauf qu’en France, pas question de concéder le moindre attrait pour lui. Non pas tant que le « cercle de la raison » pro-européen et pro-mondialisation règne encore dans les esprits. Mais la peur de passer pour le valet de l’Oncle Sam empêche tout le monde ou presque parmi nos élites d’avouer que l’homme à la mèche blonde et à la cravate rouge donne de l’espoir à beaucoup de nos concitoyens qui, comme lui, croient dans le retour des États-nations.

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Déjà entre 1986 et 1988, Jacques Chirac, qui privatisait à tour de bras à Matignon, était un libéral honteux qui ne reconnaissait pas prendre exemple sur Ronald Reagan. Et Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse au cours de son quinquennat de faire oublier notre retour dans le commandement intégré de l’OTAN et ses vacances à Wolfeboro dans le New Hampshire durant l’été 2007. Quant à Marine Le Pen, ne comptez pas sur elle pour remercier Trump d’avoir écrit en mai sur sa plateforme Truth Social, alors qu’elle venait d’être condamnée en première instance dans l’affaire des assistants parlementaires du FN, « Free Marine Le Pen ». Sans doute garde-t-elle un souvenir amer de sa visite en 2017 dans le lobby de la Trump Tower de New York, où le maître des lieux n’avait pas daigné descendre la saluer. En France, parmi les têtes d’affiche à droite, seul Éric Zemmour revendique une proximité idéologique avec le milliardaire peroxydé, dont il a fêté la réélection en se déplaçant à Washington pour l’occasion.

Et les électeurs français dans cette histoire ? D’après l’IFOP, 59 % d’entre eux pensent qu’il est carrément un « dictateur ». Raison de plus pour notre personnel politique de garder ses distances. Même si, pour certains sondés, le qualificatif « dictateur » est sans doute un compliment.

Haro sur le JAP!

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Vendin-le-Vieil, 14 mai 2025 © Christian Liewig-pool/SIPA

Trop souvent, le juge de l’application des peines tourne le dos aux victimes. Les syndicats d’agents pénitenciers sont outrés en ce lundi: un narcotrafiquant détenu au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (62), déjà connu pour s’être évadé par le passé, a obtenu une permission de sortie ce lundi 24 novembre afin de se rendre à un entretien professionnel.


« JAP » est l’acronyme désignant le juge de l’application des peines, magistrat exerçant auprès du tribunal judiciaire. Son rôle consiste principalement à superviser la manière dont la peine prononcée sera mise en œuvre pour une personne condamnée. Il est notamment chargé de déterminer les modalités du traitement pénitentiaire applicable à chaque condamné.

L’incompréhension d’une mère

Deux récentes affaires (parmi tant d’autres) permettent de démontrer que ce magistrat peut jouer un rôle néfaste dans l’administration de la justice et donc pour la société.

D’abord, l’affaire du jeune Adrien Perez, poignardé par un groupe de trois hommes lors d’une rixe, en juillet 2018, sur le parking de la boîte de nuit Le Phoenix, à Meylan près de Grenoble, alors qu’il fêtait son vingt-sixième anniversaire. Un de ses amis est gravement blessé. En juillet 2021, les deux suspects principaux, les frères Yanis et Younès El Habib, sont condamnés à quinze ans de réclusion criminelle, le troisième homme, Liam Djadouri, étant condamné pour violences aggravées. Au-delà du fait que Grenoble soit devenue depuis longtemps — comme tant d’autres villes françaises, mais aussi en raison d’une véritable tradition criminelle dans la capitale iséroise — une zone insécure, il existe réellement un problème de bonne justice dans cette affaire. Déjà, le 23 juillet 2020, un juge des libertés et de la détention décida de refuser la prolongation de la détention provisoire de Yanis El Habib, principal mis en examen pour meurtre et tentative de meurtre. Heureusement, sur appel du Parquet, il fut remis en prison par la Cour d’Appel de Grenoble.

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Récemment, sur CNews, la mère d’Adrien Perez a fait part de sa vive émotion après la remise de peine dont a bénéficié le meurtrier, incarcéré depuis 2021. Le condamné vient en effet d’être libéré sous condition pour bonne conduite par le JAP. Cela fait à peine cinq d’emprisonnement ! En plus de cette remise de peine, Patricia Perez ne comprend pas non plus comment l’individu a pu bénéficier d’aménagements durant sa peine. « J’ai dû supporter que le meurtrier de mon fils accumule 18 permissions de sortie depuis octobre 2024, pour aller faire du sport, qu’il se marie, qu’il attende un enfant. Il faut bien comprendre que mon fils, lui, n’aura jamais cette chance », déplorait-elle également[1]. Il est évident que pas un seul « bon comportement » ne peut justifier qu’un criminel ne fasse pas au moins dix ans sur les quinze prononcés. C’est intolérable. C’est même un accessit donné à ce type d’individus. S’il y a une récidive, le JAP aura une lourde responsabilité.

Précisons qu’afin d’apprécier la demande d’aménagement de peine, le JAP prend en considération les éléments factuels que sont la nature, la gravité et la durée des faits, le lieu de commission par référence (lieu de résidence de la victime) et la date de la commission des faits. Un pseudo débat contradictoire a alors lieu. Pseudo car le JAP rend ses décisions en présence du procureur, du condamné et de son avocat. Il est aussi assisté du service pénitentiaire d’insertion et de probation (le SPIP, la voix de son maitre le plus souvent). Il n’y pas de représentant des victimes… Ce qui prouve sans conteste que le droit pénal français privilégie toujours et encore les droits de la défense sur ceux des victimes. Qui s’est soucié de la famille du jeune Adrien, en l’espèce ? Personne. Avec le décès de leur enfant, elle a pris perpétuité morale. La pire…

Vendin-le-Vieil: une permission délirante

La seconde affaire se situe dans la récente prison de Vendin-le-Vieil dans le Pas-de-Calais. En effet, un détenu du nouveau quartier de lutte contre la criminalité organisée (QLCO) a obtenu une permission de sortie de quelques heures suscitant l’incompréhension. « Le chef d’établissement et le parquet ont rendu un avis défavorable, mais le juge d’application des peines a donné un avis favorable » à cette permission de sortie « travail » prévue lundi, indique une source judiciaire. « Le parquet a fait appel » mais la chambre d’application des peines a confirmé la décision en première instance, ajoute cette même source.

Il est avéré que ce détenu, dangereux, a un rendez-vous avec un potentiel employeur, bien que sa sortie de prison ne soit prévue qu’en… 2029. Selon une source syndicale, il s’agirait d’Ouaihid Ben Faiza, 52 ans, membre important d’un vaste réseau de trafic de drogue de Seine-Saint-Denis, qui s’était par ailleurs évadé de la prison de Villepinte en 2014. Sa cavale avait alors duré deux semaines[2]. Il est issu d’une fratrie qui a longuement régné sur le trafic de cannabis à la Courneuve. Il a, entre autres, été impliqué dans une fusillade qui a coûté la vie à un petit garçon de 11 ans, touché par une balle perdue, en 2005[3]. Là encore, les familles des victimes apprécieront…

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Ces détenus « sont censés être dangereux pour la société, on les met sous bulle, on met tout ce qu’il faut en termes de sécurité pour les couper de l’extérieur, et là il va sortir tout seul à l’extérieur et rentrer tranquillement le soir à 21 heures, on a du mal à comprendre », a réagi un syndicaliste d’UFAP UNSa Justice à Vendin-le-Vieil. Ce même syndicat a parlé à très juste titre d’ « une décision totalement déconnectée des exigences, des réalités et des contraintes imposées chaque jour aux personnels pénitentiaires ». Une nouvelle fois, un JAP, validé par la chambre d’application des peines, qui sait peut-être membre du très idéologique Syndicat de la Magistrature, dans un élan rousseauiste d’un autre temps, s’est mis en tête que c’est la société (et pourquoi pas la prison ?) qui avait perverti cet individu !  Cette décision insensée contrevient à tous les principes qui ont amené à la mise en place de telles prisons. Les extractions de ces quartiers spéciaux sont censées être extrêmement limitées, pour éviter au maximum les transports et donc les risques d’évasion. On se serait attendu à une réaction du ministère de la Justice. Rien à ce jour[4]

L’avocate du prisonnier précise : « ça ne se fait pas comme ça, une permission de sortir, il faut montrer patte blanche ». Et de rajouter que « les gens ne sortent pas de prison comme ça, du jour au lendemain, on fait en sorte qu’ils soient accompagnés (NDLR : il n’était même pas sûr que son client le soit…). Si on en arrive là aujourd’hui, ça veut dire que notre système fonctionne. Bien sûr que c’est pour la réinsertion ». Elle évoque par ailleurs le « comportement exemplaire » de son client, qui ferait preuve de « rédemption qui a été examinée, vérifiée ». Elle est dans son rôle. Et s’il arrive quelque chose, il est clair que tant le JAP que la chambre d’application des peines seront, au premier chef, responsables. Et que des sanctions implacables devront s’abattre sur eux. « La prison, c’est la privation de la liberté d’aller et venir, et rien d’autre » (V. Giscard d’Estaing)


[1] CNews 3/11/25

[2] https://www.20minutes.fr, 23/11/25

[3] https://www.rtl.fr, 23/11/25

[4] Gérald Darmanin a réagi sur Twitter après la rédaction de cet article NDLR : « La décision d’accorder une permission de sortir relève de l’autorité judiciaire, qui statue de façon indépendante. En tant que garde des Sceaux, je ne commente jamais une décision individuelle d’un juge, malgré l’opposition du procureur de la République et du chef d’établissement de la prison, qui s’impose à tous dans un État de droit. L’épisode concernant le détenu de la prison de haute sécurité de Vendin-le-Vieil met en lumière un enjeu plus large : notre cadre législatif d’application des peines doit être pleinement revu face aux réalités de la grande criminalité organisée. Ces profils particulièrement structurés et dangereux exigent des outils juridiques différents et une vigilance toute particulière. C’est pourquoi, dans le prolongement de la loi narcotrafic, des prisons de haute sécurité et de la création du Parquet national anti criminalité organisée (PNACO), je souhaite moderniser et consolider les règles encadrant l’exécution des peines pour les criminels les plus dangereux, dans le strict respect des principes fondamentaux du droit. Nous avons su le faire pour le terrorisme, nous le ferons contre la criminalité organisée : un droit spécifique et un juge d’application spécialisé qui connaît parfaitement les profils dangereux. Ce sera le cas dans le prochain texte de loi que je présenterai en début d’année prochaine. La sécurité des Français et la protection de l’ordre public resteront au cœur de mon action et de celle du ministère de la Justice »

Une cartographie de la connerie

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Gérard Jugnot, "Les Bronzés font du ski" (1979). DR.

Le titre du livre fait évidemment référence à l’archipel du Goulag, mais peut-être aussi à la France archipelisée de Jérôme Fourquet. Dans L’archipel des cons (éditions de l’Onde), l’auteur de plusieurs livres drôles (J’irai cracher sur vos jobs, Les fausses lettres au Père Noël de vos stars préférées) et patron d’un podcast sur le football David Garnier se propose en véritable entomologiste de la connerie. Des petits, des gros, des grands, des jeunes, des vieux : en matière de cons, il y en a pour tous les goûts, tous les âges, tous les calibres.

Quand on est con…

D’après Georges Brassens, « quand on est con, on est con », et on ne peut pas y faire grand-chose. La connerie est partout, et pourtant, elle est peut-être le moteur de l’histoire le plus souvent négligé. Elle se rencontre souvent en voiture (ce qui laisse penser que les personnes qui n’ont pas le permis sont davantage épargnées). Ainsi, il y a le gros con, « par exemple celui qui gare son énorme 4×4 Mercedes à cent milles balles devant une pharmacie, en double file, avec ses gros warnings, entre, double une vieille dame en disant « Pardon mais je suis pressé » » ; le con en voiture : « Le con au volant est généreux, il expose sa connerie au monde et se produit en spectacle de manière théâtrale et bruyante. De grands gestes, des insultes imagées bien senties, des doigts, des bras d’honneur, des poings menaçants tendus, des grimaces, puis des affrontements physiques précédés d’insultes diverses […] » à distinguer de la conne en voiture. Le pauvre con cher à Nicolas Sarkozy et la pauvre conne chère à Alain Finkielkraut. Le sale con « qui à l’instar de Bernard Morin dans « Les Bronzés font du ski » lorsqu’il arrive dans son appartement et que les anciens locataires ont une petite heure de retard, […] vous expliquera que si tout le monde gagne une minute par-ci une minute par là le stationnement finira par être gratuit ». Bien sûr, le Splendid et Jacques Villeret ont beaucoup fait pour illustrer les cons en tout genre.

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Cons de gauche versus cons de droite

Et puis, et c’est là que ça va intéresser les lecteurs de Causeur, il y a la distinction entre les cons de gauche et les cons de droite. Pour l’auteur, « le con de droite est carabiné, mais le con de gauche est exaspérant. Quand il n’est pas dangereux ». Le con de gauche interprète tous les événements sous le prisme de sa lecture du bien et du mal, et les carnages cambodgiens, cubains, vietnamiens ne l’en détourneront pas. Le con de droite, lui, « n’en a rien à foutre. Il est autocentré, il pense à lui, à ses très proches, puis à ses semblables. Aucune vision transfrontalière ou transculturelle de sa connerie. Il se suffit à lui-même. C’est d’ailleurs son mantra ultime : « Moi, tant qu’on ne me fait pas chier »… » Tocqueville avait peut-être déjà cerné cette espèce comme « une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ».

Dans Mort aux cons (2007), Carl Aderhold avait imaginé un personnage qui s’était mis en tête de tuer les cons. Les tuer tous ? Pour de Gaulle, il s’agissait d’un trop vaste programme. L’entreprise de David Garnier est moins génocidaire. Parmi les catégories de cons, il se situe même parmi l’une d’entre elles : les vieux cons. Des vieux cons, il y en a toujours eu et même à l’époque des cavernes, on pouvait imaginer ce discours : « Et quoi le feu ? Ben quoi le feu ? On faisait comment nous quand on était jeunes ? On l’avait le feu ? Et alors ? On était malheureux ? On mangeait pas ? Eh ben si ! On mangeait froid, et ça faisait de nous des vrais hommes ! Oui il faisait froid dans la grotte, et alors ? On en est morts ? ». David Garnier, lui, n’aime pas les fêtards, l’arbitrage vidéo dans le foot, les enfants dans les avions et la télécommande de l’Apple TV. On s’y re-con-naîtra en partie.

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Lady Fox: elle flingue pas, elle cause

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Claire Fox prête serment à la Chambre des lords, 8 octobre 2020. DR.

Rien ne prédestinait Claire Fox, alias Baroness Fox of Buckley, à siéger à la Chambre des lords. Brexiteuse convaincue, elle se dit «populiste de gauche» et appelle à débattre de tout avec tout le monde. Démocratie, liberté d’expression et responsabilité individuelle sont au cœur de son combat. Portrait.


Ne comptez pas sur Claire Fox pour éviter les sujets qui fâchent, elle qui aime tant ferrailler avec son époque. À Londres en octobre, elle ouvrait la 20e édition de la « Bataille des idées », un forum géant qui réunit chaque année deux jours durant 400 conférenciers et attire un public de 3 000 personnes, lequel sélectionne avec appétit, parmi la centaine de discussions proposées, les thèmes qui l’intriguent. Par tranche d’une heure et demie, simultanément dans les douze salles de Church House, on gamberge sur les controverses du moment : « Peut-on réparer un État dysfonctionnel ? », « Les deepfakes, nouveau défi médiatique ? », « Qui a peur de la révolte populiste ? », « Gatsby le Magnifique a 100 ans : que raconte le roman sur l’Amérique d’aujourd’hui ? », « Entendons-nous sur le mot “génocide” ». Trois à cinq intervenants proposent un exposé succinct, après quoi l’auditoire est invité à interroger, contredire, argumenter. Ça se passe dans le quartier de Westminster, le cœur politique de Londres.

Magnétisme et humour

Cette année, pour la première fois, on touchait au sujet de la guerre civile – qui eût paru extravagant il n’y a pas si longtemps. L’objectif n’est pas de souffler sur les braises. Mais, au contraire, de dézoomer. Intitulé de la séance : « Why is civil war a talking point ? » La question n’est pas « Sommes-nous à l’aube d’une guerre civile ? », mais « Pourquoi parle-t-on de guerre civile ? » Nuance. Claire Fox, rencontrée quelques jours plus tôt à Paris explique : « Des travaux universitaires sur ce thème déclenchent des controverses médiatiques et puis les gens ordinaires s’en emparent. Un de mes collègues à la Chambre des lords m’a dit qu’il trouvait irresponsable d’aborder ce sujet. S’il pense que c’est dangereux d’en parler, ça prouve qu’il y a un sujet. Il serait donc irresponsable de ne pas en débattre ! » Et c’est ainsi que Claire Fox accueille, dans ce barnum animé, des gens de tous milieux et tous âges, qui apportent leur écot à la conversation nationale. Le temps d’un week-end, elle est secondée par 170 bénévoles emportés par son enthousiasme, son magnétisme et son humour. Ils accueillent le public, lui tendent le micro, filment les débats.

Claire Fox, alias Baroness Fox of Buckley, 65 ans, porte de longs gilets sur de longues jupes hippies (réminiscence d’une jeunesse à l’extrême gauche) qu’elle marie avec des colliers de perles (unique signe extérieur de noblesse de cette figure issue de la plèbe irlandaise). Son allure reflète son parcours intellectuel, dont elle ne renie rien. Le Parti communiste révolutionnaire, qu’elle a fréquenté jusqu’à sa dissolution en 1997, a forgé sa culture politique. Vers la fin, cet organe trotskyste a délaissé la lutte anticapitaliste et les vieux schémas oppresseurs/opprimés pour se recentrer sur la défense des libertés civiles. Dans les années 2000, Fox poursuit sa mue, se convertissant au libéralisme économique et la responsabilité individuelle. Le cauchemar de Fox, c’est l’État nounou qui décide ce qui est bon pour ses administrés et met le peuple sous tutelle « pour son bien ».

L’Académie des idées, l’organisme qui orchestre la Bataille des idées, n’est pas un think tank. Cette association, qui emploie cinq personnes et demie, a juste vocation à générer des espaces de débats. « J’ai commencé ma carrière comme prof. Ce qui m’anime, c’est l’envie de créer des outils qui permettent aux gens de penser par eux-mêmes et de prendre part à l’histoire. » Tout sauf une société apathique ! Pas de safe space dans l’univers de Fox. Sans surprise, elle a été parmi les premiers et les plus vaillants opposants au wokisme et autres politiques victimaires. Cette femme-là n’a pas peur des bien-pensants.

Malgré elle, Fox va entrer en politique. Juin 2016, coup de tonnerre au Royaume-Uni : le Brexit l’emporte à 52 %. Mais pendant trois ans, rien ne bouge. Le pays demeure dans l’UE. Nigel Farage lance alors le Brexit Party dont l’unique objectif est de faire respecter et appliquer le vote populaire de 2016. Fox est une pro-Brexit de gauche. À l’approche des européennes de 2019, on lui propose d’être candidate pour le Brexit Party de Farage. Fox rigole. « Je n’ai jamais, ô grand jamais, souhaité occuper un poste politique. Mais quand j’ai réalisé que le gouvernement allait tout faire pour annuler le Brexit, j’ai pensé que ce serait nuisible à la démocratie. Ils allaient saper la confiance dans les institutions. Je me suis présentée. Et j’ai été élue. » De juillet 2019 à janvier 2020, Claire Fox, qui a milité pour quitter l’UE, occupe consciencieusement sa nouvelle fonction de députée européenne.

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Aux législatives de 2020, le parti Tory obtient une large majorité aux Communes ; Boris Johnson devient ainsi Premier ministre, largement grâce à sa fameuse promesse « Get Brexit done ! » Les Tories ont recueilli les suffrages des brexiteurs des régions post-industrielles traditionnellement travaillistes. Aussi, lorsque Johnson soumet à la reine d’Angleterre sa liste de nominations à la Chambre des lords, apparaît le nom de… Claire Fox. Comme un geste de gratitude envers les électeurs travaillistes. Fox rigole encore, elle qui milite pour la suppression de la chambre haute qu’elle tient pour antidémocratique. « Prêter serment chez les lords, on ne pouvait imaginer plus incongru. C’en était embarrassant… Tout bien réfléchi, j’ai pensé que j’avais une responsabilité. Plus d’un demi-million de personnes avaient voté pour ma liste aux européennes. C’était une façon de leur donner une voix. » Le 8 octobre 2020, Claire Fox prête serment à la Chambre des lords. Selon la tradition, elle est alors anoblie et reçoit le titre de Baroness Fox of Buckley (Buckley est la ville galloise où elle a passé son enfance), « non affiliée » (elle ne dépend d’aucun parti politique), nommée pairesse à vie.

Défense des libertés civiles

Depuis lors, elle prend à cœur son rôle de législatrice, scrute les propositions de loi qui arrivent de la Chambre des communes, met son poste au service de la défense des libertés civiles. « En ce moment, par exemple, on discute une loi sur la fraude dans les services sociaux, loi vertueuse, destinée à économiser l’argent des contribuables. Mais à y regarder de plus près, il y a une clause qui autoriserait l’État à surveiller votre compte bancaire. Il n’est pas rare que des mesures autoritaires se nichent au détour d’un alinéa. » Forte de cette expérience, reconsidère-t-elle son appel à supprimer la Chambre des lords ? Aucunement ! « Je suis pour un système monocaméral. Qui suis-je pour examiner les projets de loi ? Ce sont les élus, et seulement les élus, qui devraient s’en charger. » En attendant, ses interventions étant construites et argumentées, elle a gagné ses galons parmi les lords. « L’important, c’est de participer » : est-ce la phrase de Pierre de Coubertin (qui fut prononcée à Londres, justement…) ou plutôt le « Fight, fight, fight ! » de Trump qui résume le mieux le parcours de Claire Fox ? « Une sorte d’entre-deux », répond-elle. Elle participe, elle commente, elle défend ses convictions, courtoise mais combative, avec sa voix grasse de fumeuse et ce timbre à faire trembler les murs d’un pub anglais.

Claire Fox est née en Angleterre de parents irlandais et a grandi au Pays de Galles. « Culturellement, je suis une catholique d’Irlande ; mais ça ne veut pas dire grand-chose car je suis athée et pas irlandaise. » L’insécurité culturelle va-t-elle unir cet étrange pays constitué de quatre nations ? Cet automne, à la faveur du mouvement « Hisser les couleurs » on a pu voir les drapeaux des quatre régions (Écosse, Pays de Galles, Irlande du Nord, Angleterre) pavoiser ensemble. « En Irlande du Nord, les communautés catholique et protestante militent ensemble contre la réquisition d’hôtels pour l’accueil des migrants. Ils agitent leurs drapeaux côte à côte. Or je peux vous dire que les drapeaux, en Irlande du Nord, c’est sérieux. Mais les anciennes allégeances ne sont plus pertinentes pour comprendre les enjeux actuels. »

Claire Fox se dit populiste de gauche. On l’interroge sur Reform UK, le parti de Nigel Farage, au plus haut dans les sondages : « Ce que je peux vous dire, et c’est valable partout en Europe, aussi bien pour l’AfD ou le RN : ces partis sont des véhicules que le peuple utilise pour se faire entendre. Si l’immigration cristallise toutes les tensions, ce n’est pas une question de xénophobie. C’est que le contrôle des frontières est essentiel pour garantir la démocratie. L’État-nation est au fondement de la souveraineté populaire. Si vous ne savez plus qui entre dans le pays, si la citoyenneté devient une notion floue, c’est tout le système qui flanche. » Un peuple dessaisi de ses prérogatives, une démocratie qui perd pied, l’identité nationale qui se redéfinit : les mêmes enjeux s’imposent des deux côtés de la Manche. C’est pourquoi elle voudrait créer en France une réplique de la Bataille des idées. Most welcome, Lady Fox !