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Alain Finkielkraut: « Mai 68 n’était pas une révolution, c’était une interruption »


L’essentiel de L’Esprit de l’escalier avec Alain Finkielkraut


L’anniversaire de mai 68 

J’ai 68 ans et comme beaucoup de garçons et de filles de mon âge, j’ai « fait 68 ». Je n’étais pas un chef, j’étais un sans-grade, un protagoniste obscur, un étudiant parmi des milliers d’autres. J’ai défilé, j’ai chanté (faux) les chants révolutionnaires, avec une préférence marquée pour Bella Ciao, j’ai participé à des AG. Je ne tire de tout cela ni gloire ni honte. Mais face à la déferlante commémorative qui nous submerge, je voudrais qu’on rende à l’événement sa juste proportion. Un peu de modestie s’impose, on s’est poussé du col alors et je regrette que l’on recommence aujourd’hui. Pour oublier que nous étions des enfants gâtés de l’histoire, nous nous sommes raconté des histoires. Nous rêvions tout éveillés, nous fantasmions, nous les baby-boomers, un destin épique. Mais certains d’entre nous avaient beau scander « CRS-SS », nous ne sommes pas entrés en résistance. Nous n’avons pas pris le palais d’Hiver, nous n’avons pas fait la révolution. Mai 68 n’a dévoré ni ses ennemis ni ses enfants. Ce n’était pas une révolution, c’était, et de cela on peut en avoir la nostalgie, une interruption. Métro, boulot, dodo, la vie suivait son cours et tout d’un coup le temps a été suspendu. On a levé la tête et la conversation a rempli l’espace normalement dévolu aux transports. J’en conserve un souvenir ému et, sur ce point, je suis d’accord avec Maurice Blanchot : « Quoi qu’en disent les détracteurs de Mai, ce fut un beau moment lorsque chacun pouvait parler à l’autre, anonyme, impersonnel, homme parmi les hommes, accueilli sans autre justification que d’être un homme. » Et je continue à aimer des slogans comme : « Parlez avec vos voisins », « Il faut discuter partout et avec tous », même si, en bénéficiaire reconnaissant de la liberté des Modernes, j’apprécie à leur juste valeur le silence et la tranquillité.

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Mais il y a d’autres slogans qui me révulsent d’autant plus aujourd’hui qu’ils ont été suivis d’effets et que ces effets ont été dévastateurs : « L’éducateur doit être lui-même éduqué », « Professeurs, vous nous faites vieillir », « Ne dites plus “Monsieur le professeur”, dites “crève salope” », « Professeur, vous êtes aussi vieux que votre culture, votre modernisme n’est que la modernisation de la police ». En 1968, les jeunes sont apparus en majesté sur la scène du monde et ont dénoncé avec force l’autorité comme une modalité de la domination. Du printemps de Mai date la confusion du maître qui enseigne avec celui qui opprime. Dans la foulée de la grande révolte, Ricœur, qui était à l’époque président de l’université de Nanterre, a reçu sur la tête le contenu d’une poubelle. Et au lieu de tirer la leçon de cette barbarie, l’institution a entériné le contresens qui l’a rendue possible. De ce que la philosophie des Lumières nous a appris à considérer comme le propre de l’homme : penser et agir par soi-même, l’école a fait non plus le fruit d’une maturation, mais une propriété naturelle et même native. Dès lors, les enfants et les jeunes sont devenus « les acteurs de leur propre éducation » et l’autorisation a succédé à l’autorité. Pour la pédagogie issue de Mai 68, les enseignants doivent impérativement descendre de leur piédestal et, le plus tôt possible, mettre les élèves en situation de s’exprimer. On donne désormais la parole avant de donner la langue. Ainsi meurt le français dans son pays lui-même.

Mai 68, c’est aussi le triomphe de la spontanéité sur les conventions et les bienséances. On laisse les manières à la bourgeoisie expirante, on ne s’embarrasse plus de formes, on se défait de l’étiquette et des salamalecs, on affranchit la vie des contraintes du savoir-vivre, on liquide les derniers vestiges de la société hiérarchique. Dans l’univers de l’égalité, tout le monde devrait pouvoir être soi-même sans faire de chichis. C’est le début de la fin de la cravate. Le guindé fait place au cool. Seulement voilà : la spontanéité n’est pas toujours cool. Elle peut être brutale. Voici que, des injures aux crachats, de l’empiétement sur le domaine d’autrui, par des comportements toujours plus bruyants et péremptoires, aux agressions contre les détenteurs de l’autorité qui se sont multipliées depuis la poubelle de Ricœur, les incivilités envahissent l’espace et pourrissent l’existence. La civilité nous revient par l’intermédiaire de son antonyme et nous nous apercevons que l’inhibition n’est pas un rappel à l’ordre, comme on le disait en 1968, c’est un rappel à l’autre.

Pour ses nombreux laudateurs, Mai 68 est un événement planétaire. Dans le chapitre de L’Histoire mondiale de la France qui porte sur cette grande césure, Ludivine Bantigny affirme qu’une même contestation visait partout l’ordre établi et que dans le mouvement étudiant parisien on savait ce qui se passait à Berlin, à Trente, à Louvain, et on était en phase aussi avec les événements de Prague ou de Varsovie. Eh bien c’est faux, on n’était pas en phase, on projetait. Kundera l’a dit, mais qui écoute encore aujourd’hui Kundera ? Mai 68, écrit-il, « c’était une révolte des jeunes. L’initiative du Printemps de Prague était entre les mains d’adultes qui fondaient leur action sur leur expérience et leur déception historique. La jeunesse, certes, a joué un rôle important dans ce Printemps, mais non prédominant. Prétendre le contraire est un mythe fabriqué a posteriori en vue d’annexer le Printemps de Prague à la pléiade des révoltes estudiantines mondiales. » Et Kundera poursuit cette très éclairante comparaison : « Le Mai parisien mettait en cause ce qu’on appelle la culture européenne et ses valeurs traditionnelles. Le Printemps de Prague, c’était une défense passionnée de la tradition culturelle européenne dans son sens le plus large et le plus tolérant du terme, la défense autant du christianisme que de l’art moderne, tous deux niés pareillement par le pouvoir. » Le mot même de tradition hérissait les soixante-huitards et même les faisait éclater de rire. « Cours camarade, le vieux monde est derrière toi », disaient-ils. L’antiélitisme a commencé alors sa fulgurante carrière. La notion même de culture était contestée au nom de l’équivalence des goûts, des pratiques et des discours. Le pas était ainsi franchi, de la grande proclamation émancipatrice, tous les hommes sont égaux, à l’affirmation nihiliste, tout est égal. Kundera rappelle que ce sont les films, le théâtre, la littérature qui ont, tout au long des années 1960, préparé le Printemps de Prague, et que c’est l’interdiction à Varsovie d’une pièce de Mickiewicz, le grand poète romantique polonais, qui a déclenché la révolte des étudiants. Commentaire de Kundera : « Ce mariage heureux de la culture et de la vie marque les révoltes centre-européennes d’une inimitable beauté dont nous, qui les avons vécues, restons envoûtés à jamais. »

Nous n’avons pas vécu ces moments extraordinaires mais, à l’occasion du cinquantenaire, nous aurions pu essayer d’en recueillir le sens. Tel n’a pas été le cas. L’occasion de sortir du nihilisme n’a pas été saisie, car les cosmopolites autoproclamés, qui revendiquent l’héritage de 68, sont en fait des provincialistes. Ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez.

Mireille Knoll

Le 26 février 2006 a eu lieu une manifestation à la mémoire d’Ilan Halimi qui, après une longue séquestration et de terribles tortures, venait d’être assassiné par le « Gang des barbares ». J’y étais et j’ai constaté que derrière les représentants des principales forces politiques du pays, il n’y avait pratiquement que des Juifs. Nous étions entre nous, impitoyablement communautarisés par les autres Français qui ne voyaient pas une cause à défendre dans ce fait divers atroce. Certains devaient penser que le mobile des tueurs n’était pas l’antisémitisme, mais l’appât du gain. Les habitués gauchistes des manifestations, quant à eux, ne voulaient pas défiler derrière le CRIF, ce « lobby sioniste », comme ils disent, et les assassins n’avaient pas, à leurs yeux, le bon profil identitaire. Ils ne se seraient pas fait prier s’il s’était agi de nervis du Front national, mais l’antifascisme était pris à contrepied, et ils ne voulaient surtout pas stigmatiser, à travers les tortionnaires d’Ilan Halimi, la jeunesse en déshérence des quartiers dits « populaires ». À la tristesse du deuil s’ajoutait la mélancolie du délaissement.

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Pour Mireille Knoll, assassinée dans son appartement parisien soixante-dix ans après avoir échappé à la rafle du Vél’ d’Hiv, les Juifs n’étaient plus seuls. C’était, pour quelques-uns d’entre nous, un réconfort. Pas pour tous : le président du CRIF a fait savoir que les représentants du Front national et de la France insoumise n’étaient pas les bienvenus à cette marche blanche, et des jeunes gens excités de la Ligue de défense juive ont, par leurs insultes, contraint la police à exfiltrer les uns et les autres de la manifestation. Il était indigne de rompre ainsi le silence du deuil et il ne revenait pas aux Juifs de briser l’unité républicaine contre la barbarie qui les vise.

Si le parti de la France insoumise était en tous points sur la même ligne que les Indigènes de la République, il aurait dénoncé le caractère « sioniste » de cette mobilisation. Mélenchon a fait un autre choix, il faut s’en féliciter. Le Front national n’est plus un parti antisémite, même s’il y a encore des dinosaures pétainistes et révisionnistes comme Bruno Gollnisch en son sein. Ce ne sont pas les militants du Front national qui crient « Mort aux Juifs ! » dans les rues de Paris. Nous devons en prendre acte, au lieu d’habiller ce parti d’oripeaux qu’il ne porte plus.

Qu’on m’entende bien : je n’ai aucune indulgence ni pour le Front national ni pour la France insoumise. Le parti de Marine Le Pen n’est plus fasciste, mais c’est un parti poutino-trumpiste, deux raisons pour le combattre. Quant à Mélenchon, je n’oublie pas qu’il a osé dénoncer les prétendues accointances de Manuel Valls avec l’extrême droite israélienne, et si je l’avais oublié, le texte qu’il a publié sur son blog le lendemain de la marche pour Mireille Knoll m’aurait rafraîchi la mémoire. Mélenchon présente la Ligue de défense juive comme une milice du CRIF, ce qui, je cite ici Richard Prasquier, est un « stupéfiant mensonge. Tous les présidents du CRIF, depuis une vingtaine d’années, ont été traînés dans la boue par ce groupuscule. » Il affirme aussi que, selon le CRIF, « pour défendre la France, il faut être solidaire de la politique d’un État étranger et des crimes de son gouvernement ». Et il fait cet étrange aveu : « J’ai la prudence de ne pas écrire davantage ce que je pense quant au fond sur le danger qu’est, pour la patrie républicaine, ce type de communautarisme. » Que nous dirait-il, Mélenchon, s’il n’était pas retenu par cet interdit prudentiel ? En tout cas, il ne s’est jamais montré aussi agressif envers le communautarisme islamique. Il soigne son électorat, et quand il invoque la laïcité, c’est pour mieux pourfendre le concordat d’Alsace-Moselle. Il faut donc rester sur le qui-vive, mais aucune organisation juive n’a le droit de s’ériger en propriétaire de l’émotion suscitée par la mort de Mireille Knoll. Cette émotion n’est pas privatisable, on ne peut en exclure 40 % de l’électorat, c’est ce qu’a dit le fils de Mireille Knoll, et je le dis ici après lui.

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Le vrai plan qui sauverait les banlieues


Avec ses 48 milliards pour les « cités », le concepteur du plan banlieues Jean-Louis Borloo espère acheter le vivre-ensemble au prix du déshonneur.  Or, si ce plan anachronique est mis en œuvre, la France récoltera et la guerre civile et le déshonneur. 


Que la thérapie Borloo soit inefficace ne signifie pas que le mal qui ronge les banlieues ne doit pas être rapidement et massivement endigué. Bien au contraire, il est urgent de reconquérir les territoires perdus. Il en va de l’honneur du pays des droits de l’homme qui ne saurait tolérer que, sur son sol, des gamins encapuchonnés et armés fassent baisser la tête aux habitants des « cités ».

Au Moyen Âge, « ban-lieu » désignait d’ailleurs le lieu du ban, c’est-à-dire l’endroit où le seigneur rendait la justice. D’où les termes « bannis » ou « forbans ». Quelle ironie lorsque l’on songe à ce que sont devenus les environs de la cathédrale Saint-Denis !

Y rétablir l’ordre s’impose également comme un impératif d’ordre public. Le périphérique ne protègera pas plus la France de la violence qui gangrène les cités sensibles que la ligne Maginot ne l’avait protégée des envahisseurs. Le risque du retour de la violence mimétique n’est plus extérieur. Il réside dans l’affrontement entre deux modèles de société.

Pour réduire la fracture ouverte entre la France des banlieues et le reste du pays, il est indispensable d’adopter un train de mesures énergiques. Un tel traitement de choc matériellement et juridiquement possible semble symboliquement et moralement impensable à certains. Pourtant, ce  plan banlieue alternatif écarterait le spectre d’une guerre civile en ramenant les fameux territoires perdus dans le giron de la République. Il pourrait tenir en six mesures.

Légaliser le cannabis

La première consisterait à légaliser la consommation et la vente des drogues douces (herbe et résine de cannabis). Ce faisant, on ne liquiderait pas le gravissime problème que soulèvent la consommation et la vente de stupéfiants mais on transformerait de nombreux dealers en commerçants ordinaires. Beaucoup de caïds y regarderaient à deux fois avant de rester dans la marge, compte tenu du coût de l’illégalité (violences, emprisonnement). Deux fois sur trois, c’est pour protéger leur territoire que les dealers organisent des soulèvements et excitent la piétaille des « chouffeurs » qui font le guet. Les tribunaux et la police étant saturés par cette petite criminalité qui cause beaucoup de tort aux habitants, il convient d’y mettre un terme.

La deuxième mesure s’inspirerait des méthodes des imams salafistes et les dealers qui se font obéir au doigt et à l’œil de jeunes soi-disant incontrôlables. Comment réussissent-ils là où nous échouons ?  Tout simplement parce qu’ils ont compris que la seule chose que respectent les jeunes des cités, c’est le courage physique. Dealers ou islamistes n’exaltent pas la tolérance ou le vivre-ensemble mais la force et la certitude. Installer un rapport de force, disposer de certitudes inébranlables et dominer les groupes et non les individus, voilà leur secret.Le seul moyen de reprendre le contrôle des jeunes turbulents des banlieues serait de rétablir un service militaire fondé sur l’apprentissage de la discipline, des armes et le respect du drapeau. Un service militaire qui ne leur serait pas réservé mais qui, au contraire, permettrait un brassage générationnel et inclurait les filles. Trois ou quatre mois de classe seraient plus efficaces pour dégager une élite d’officiers et de sous-officiers chez les jeunes français de toutes origines et de tout sexe que l’académie « des dealers » proposée par Borloo.

Passer (enfin) le Kärcher

Tenons enfin la promesse jadis lancée par Sarkozy du Kärcher. Une troisième mesure consisterait ainsi à frapper très fort et de manière foudroyante contre le crime organisé en banlieue. Un déploiement des forces armées, si la police et la gendarmerie ne suffissent pas, devrait libérer les banlieues de l’occupation de la minorité de malfaisants qui y caillassent les pompiers. La mission des forces de l’ordre serait de saisir les armes, les produits stupéfiants et l’argent liquide mais aussi d’incarcérer les fauteurs de trouble et d’expulser les fichés S. Il faudrait agir sous le contrôle du pouvoir judiciaire mais avec une législation durcie.

La quatrième mesure serait économique. Il s’agirait de rompre avec la politique austéritaire. Au lieu de dépenser 48 milliards en cinq ans pour les banlieues, cessons de rembourser 44 milliards d’intérêts d’une dette qui n’est plus remboursable et cessons de contribuer à hauteur de 20 milliards par an au budget de l’UE. L’investissement massif dans les nouvelles technologies et dans les infrastructures partout sur le territoire national ferait repartir une croissance française qui s’époumone à 1,5% par an. Ceci est bien sûr inenvisageable dans le cadre imposé par la BCE et par la politique macroéconomique dictée par les traités européens.

Suspendre le regroupement familial

Si l’islam et l’immigration sont loin de résumer la question des banlieues, ils en sont néanmoins le cœur. La nécessité de concordat à l’égard de la religion musulmane en France formerait un cinquième chantier. Il faudrait également avoir suffisamment d’estomac pour tenir un langage de clarté et d’exigence à l’égard de l’Islam de France à la mode de ce que Bonaparte avait su faire avec le judaïsme. A cet égard, l’entretien que Jean-Louis Borloo a accordé au Monde est un morceau d’anthologie du politiquement correct : pas un mot sur l’islamisation des quartiers ou l’immigration en deux pages d’entretien !

Si le Grand remplacement n’existe pas, les banlieues révèlent bel et bien que des  petits remplacements localisés sont en cours. Il est essentiel de stopper ce mécanisme infernal avant qu’il ne soit trop tard. Pour cela, déracialisons la question migratoire. Comme l’illustrent la Guyane ou les banlieues, les Français de toutes origines veulent limiter drastiquement les flux humains entrants.

Ayons donc le courage de raccompagner massivement chez eux, c’est-à-dire par centaines de milliers les irréguliers. Ayons aussi l’audace de suspendre le regroupement familial.

Lorsque Borloo évoque le risque d’une fracture, il se trompe, la fracture est là. Si nous n’agissons pas promptement pour la refermer,  il faudra un jour amputer. Comme disait Bernanos, les optimistes n’ont pas pitié des hommes.

Liberté, égalité, débilité


Remplacer la « fraternité » républicaine par « l’adelphité » serait une hérésie linguistique. Car la fraternité n’a pas de sexe. N’en déplaise à certains militants, les langues ne se charcutent pas en fonction d’impératifs idéologiques.


Le Haut conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes a récemment proposé de remplacer « Liberté, Egalité, Fraternité » par « Liberté, Egalité, Adelphité ». Au nom de la morale : la fraternité, c’est sexiste.

Quels abrutis pseudo-étymologisants vont donc inventer des connotations sexistes aux mots qui n’en avaient pas ?

Et quand je dis « des abrutis », il s’agit d’un pluriel inclusif car mon humanisme instinctif me souffle que ce Haut conseil abrite en son sein unisexe des abrutis-mâles autant que des abrutis-femelles (scandaleusement invisibilisées par un pluriel sexiste — supprimons le pluriel qui regroupe sans distinguer !).

Niché au creux de la fière devise française, la notion de fraternité est la plus inclusive qui soit. Pourtant, par la même aberration consistant à prendre au pied de la lettre l’étymologie de patrimoine, on a décidé que le terme était sexiste.

A lire aussi: « Fraternité » et « droits de l’homme » supprimés : la Constitution inclusive est née

C’est refuser de voir l’évidence : le mot fraternité est justement d’un emploi asexué et inclusif. Il ne désigne pas en français contemporain le rapport de filiation entre frères, mais le sentiment de proximité entre les gens. Le mot fraternité est donc dénué de référence sexuelle.

En fait, le mot fraternité est l’illustration même d’une évolution sémantique dont le trait masculin s’est progressivement effacé au bénéfice du motif d’englobement. Depuis longtemps, fraternité désigne le rapport entre les humains, y compris les rapports entre femmes et hommes :

On va jusqu’à dire que le Roi aurait vécu trois ans « en fraternité » près de sa femme (La Varende, Anne d’Autriche,1938, p. 15), cité par le Trésor de la Langue Française

Entre frère et sœur :

… voyez Électre. Elle s’est déclarée dans les bras de son frère. Et elle a raison. Elle ne pouvait trouver d’occasion meilleure. La fraternité est ce qui distingue les humains. Giraudoux, Électre,1937, I, 13, p. 109), cité par le Trésor de la Langue Française

Entre personnes partageant quelque chose :

Unis dans la même souffrance pendant quatre ans, (…) nous avons gagné notre solidarité. Et nous reconnaissons avec étonnement dans cette nuit bouleversante [du 25 août 1944] que pendant quatre ans nous n’avons jamais été seuls. Nous avons vécu les années de la fraternité. Camus, Actuelles I,1944-48, p. 24), cité par le Trésor de la Langue Française

Et même entre les humains et les animaux :

Il y a fraternité complète entre l’Arabe et le cheval, comme entre nous et le chien (Lamart., Voy. Orient,t. 2, 1835, p. 242) ), cité par le Trésor de la Langue Française.

On conçoit cette ardente fraternité qui unissait saint François à la nature entière animée et inanimée (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. CVI) ), cité par le Trésor de la Langue Française.

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Bref, l’évolution sémantique a privilégié un motif (la proximité affective) au détriment d’un autre (le rapport entre frères). Les militants de l’inclusivité font semblant de ne pas le remarquer. Ou alors ils sont authentiquement sourds à tout ce qui ne correspond pas à leur grille de lecture idéologique. Cela dit, l’un n’empêche pas l’autre : on peut être stupide et manipulateur. L’idéologie, ou « l’art de se convaincre des idées fausses » comme le disait le sociologue Raymond Boudon, est après tout un ressort narcissique puissant qui permet de se penser en justicier vengeant les injustices du monde. Sauf que les mots ne se réduisent pas à leur étymologie.

Comme le rappelle brillamment le regretté linguiste Pierre Cadiot :

« Il est nécessaire de distinguer plusieurs aspects hétérogènes du sens d’un mot :

– un aspect interne : celui qu’a le mot dans son miroir. Ce que le mot peu ou prou énonce ou raconte, parfois parce que c’est, croit-on, son « étymologie » : le mot boucherparle de « bouc » mais un boucher vend d’autres viandes que de bouc ; on ne met pas dans un panier que du pain, ce qui était le cas à l’origine du latin panarium ; l’orgeat est une boisson à base d’orge, pas de chance, il s’agit désormais d’amandes, etc. Autrement dit, les mots ont bien meilleure mémoire que les faits, infiniment : leur hystérésis se mesure à l’échelle historique ;

– un aspect externe : ce à quoi le mot sert à un moment, son usage référentiel, historiquement contingent : le mot atomeveut dire insécable, mais on le garde même une fois bien établie sa « seccabilité » ; le mot boucher sert à désigner les marchands de viande, alors qu’il désignait jadis un équarisseur ; le mot hôte signifie « accueil », en contradiction au moins apparente avec l’apparentement historique à latin hostis (qui voulait surtout dire « ennemi », ou « étranger », etc.). Il y a là le principe d’une optimisation systématique de l’arbitraire du langage. » (Pierre Cadiot, « Chapitre 11. Sur l’indexicalité des noms », in Danièle Dubois, Catégorisation et cognition : de la perception au discours, Editions Kimé « Hors collection », 1997, p. 243-269.)

Les langues ne s’organisent pas en fonction d’impératifs dogmatiques issus de systèmes philosophiques et politiques mais de systèmes d’opposition structurels qui échappent au contrôle des locuteurs qui en sont pourtant les producteurs. Il en va de la nature du langage qui n’est pas un objet manufacturé dont un contrôle qualité idéologique pourrait décider de la validation. La portée des mots change et ces modifications entraînent le système entier de la langue qui n’est fait que d’oppositions. Ces principes structurels sont au cœur de l’étude du langage, ainsi que l’arbitraire des évolutions au niveau historique. Il n’a jamais existé de créateur (ni de créatrice !) du langage qui l’aurait conçu de manière à propager une philosophie.

Seules les dictatures, en particulier nazi et soviétique, ont tenté de forcer les populations à adopter leur langue de bois pour les mettre en conformité avec la pensée qui était l’émanation du pouvoir du moment.

Seul un militantisme d’intimidation et/ou une profonde bêtise sémantique pourrait voir dans le mot fraternité une menace sociale. Il existe visiblement des demi-habiles, capables de repérer une racine mais pas de comprendre l’usage d’un mot en contexte, qui sont suffisamment haut placés pour dicter à la population comment parler et à la nation comment s’afficher. Au nom de leur morale étroite et doctrinale, ils introduisent une division dans la nation, soufflant sur les braises d’une guerre des sexes imaginaires qui est en passe de remplacer la lutte des classes pour les trublions désireux de se poser en directeurs de conscience.

La puissance du grotesque n’en finit plus de s’exhiber avec des revendications militantes d’autant plus décalées qu’elles oublient la nature des vrais combats féministes à mener — peut-être contre la misogynie de certaines populations de banlieues, par exemple ? Ou l’invisibilisation de la femme par le voile islamique ?

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Le multiculturalisme, une arme pointée vers l’Occident

Vingt-huit ans et déjà quatre essais. Le Québécois Jérôme Blanchet-Gravel, qui vient de publier La Face cachée du multiculturalisme aux Editions du Cerf, poursuit son travail de démolition de la bien-pensance actuelle.

Il l’avait commencé en s’attaquant aux tendances anti-occidentales et islamistes de la gauche multiculturaliste, qui embrasse sans réserve la cause palestinienne et qui, en dépit des courants intégristes de cette religion, idéalise l’islam sous la figure d’une force émancipatrice censée pouvoir contrer le capitalisme (Le nouveau triangle amoureux : gauche, islam et multiculturalisme). Son second livre, Le retour du bon sauvage. La matrice religieuse de l’écologisme, ébranlait encore la pensée dominante. Distinguant l’écologie, qui est la science de l’environnement, et l’écologisme, qui en est la dérive idéologique, l’auteur définissait le fondamentalisme écologiste en mettant en lumière son caractère apocalyptique et traditionnaliste qui le conduit à verser dans une vision apologétique des cultures primitives, considérées comme les seules aptes à sauver la planète de la crise écologique engendrée par le modèle de développement de l’Occident.

La troisième salve fut collective. Dans L’islamophobie, réalisé sous sa direction, les auteurs d’origine française et québécoise font voir sous différents angles comment les islamistes se servent de ce concept trompeur pour empêcher toute critique de l’islam et couvrir leurs menées politico-religieuses dans les sociétés occidentales.

Orientalisme et « écoromantisme »

C’est non sans une certaine logique que son dernier bébé est donc consacré au multiculturalisme. Au Canada, la notion a été érigée dans la Constitution en principe fondateur de l’identité du pays. Le multiculturalisme, ce courant idéologique qui conduit à la mise en place de politiques qui encouragent l’expression des particularités des diverses communautés et qui définissent avant tout les citoyens en fonction des groupes ethniques ou religieux auxquels ils appartiennent.

Jérôme Blanchet-Gravel l’examine non pas seulement sous l’angle sociologique ou politique, mais surtout du point de vue de l’imaginaire. Il s’attache à démonter les représentations, les mythes et les utopies sur la diversité dont le multiculturalisme imprègne l’Occident dans l’espoir de le transformer. Un multiculturalisme dont il identifie deux sources principales, chacune faisant l’objet d’une partie de l’ouvrage : l’orientalisme et l’« écoromantisme », néologisme désignant la symbiose du romantisme et de l’écologisme autour de leur fantasme commun du pouvoir rédempteur des cultures traditionnelles.

Dans la première partie sur l’orientalisme, il est question du grand rêve de refondation spirituelle de l’Occident par l’Orient qui a pris naissance au XIXe siècle et qui a été particulièrement entretenu dans la première moitié du XXe siècle par René Guénon, philosophe français converti à l’islam à la fin de sa vie. Cette fascination des cultures et des religions orientales a marqué durablement les jeunes de la contre-culture des années 1960-1970. Elle s’observe aussi par l’attraction que l’islam exerce, malgré ses dangereuses dérives, auprès des intellectuels de gauche qui s’entêtent à voir dans cette religion une civilisation phare du passé et un contrepoids au matérialisme déshumanisant de l’Occident capitaliste. Jérôme Blanchet-Gravel démontre comment l’orientalisme a transmis au multiculturalisme sa xénophilie inconditionnelle et son ouverture tout azimut à l’Autre. Les vivre-ensemblistes voient les religions étrangères comme des vecteurs incontournables d’authenticité et de régénération, ce qui explique leur rejet de la laïcité en France.

La deuxième partie nous amène à constater que le romantisme et son pendant moderne, l’écologisme, glorifient la tradition parce qu’elle serait plus pure et plus respectueuse de la nature, à l’encontre de la modernité qui, elle, serait affreusement aliénante et destructrice. Le penseur le plus radical de cette mouvance primitiviste que critique Jérôme Blanchet-Gravel est l’anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro, gourou universitaire opposé au métissage. Comme l’indique le titre du sixième chapitre, le multiculturalisme, en s’alliant à l’écoromantisme, passe de la défense des réserves fauniques à celle des réserves identitaires.

Le multiculturalisme n’est pas un progressisme

Les sociétés traditionnelles, formes originelles de l’espèce humaine, seraient à préserver afin de conserver la diversité culturelle et religieuse de l’humanité, au même titre que l’on doit préserver toutes les espèces vivantes pour protéger la biodiversité. L’auteur dénonce cette philosophie acritique qui hypostasie la notion de diversité culturelle et qui propose une vision toute angélique et passéiste du devenir humain.

Les multiculturalistes renoncent à l’idéal républicain pour retourner au communautarisme, à la tradition et à la croyance. Contrairement aux préjugés qui circulent à son sujet, le multiculturalisme ne constitue pas un projet libéral et progressiste. Tout au contraire, il est essentiellement réactionnaire et anti-occidental, car il veut obliger l’Occident à fractionner la société en une multitude de clans emmurés dans le passé.

Ainsi que l’a écrit le sociologue Michel Maffesoli dans sa préface, « le livre de Jérôme Blanchet-Gravel donne à penser ». Et à s’inquiéter du sort de notre monde…

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Culture: faites votre grand ménage de printemps!

Cessez toute activité ! Oubliez les grèves perlées, le gouvernement empêtré, les usagers résignés et les médias à la ramasse. Procurez-vous de toute urgence Le canard à l’orange, un film inédit en France de Luciano Salce. Il vient de sortir en DVD dans une version restaurée en haute définition chez ESC éditions dans la collection « Edizione Maestro ». Chez nous, Salce est moins connu que Risi mais l’œuvre de ce maître mérite un visionnage attentif. On lui doit notamment le très réussi La voglia matta avec Catherine Spaak en 1962.

Le canard à l’orange au menu DVD

Dans cette comédie italienne de 1975, il réunit ce qui se fait de meilleur dans le genre. Ugo Tognazzi et Monica Vitti forment un couple marié depuis dix ans et se laisse emporter par les joies de l’infidélité. L’adultère comme mécanique des fluides. C’est spirituel, enlevé, coquin et désabusé comme un bon boulevard romain. L’ironie tendre d’un cinéma dont chaque dialogue déclenche un rire amer et une étude des caractères qui nous éclaire sur l’époque. Le réalisateur a l’œil du sociologue et la fantaisie du meneur de revue. Contrairement à nos intellos hexagonaux, sérieux comme des papes, qui pratiquent un cinéma d’auteurs à se suicider. Pour ce rôle, Monica a remporté le Prix David di Donatello 1976 de la meilleure actrice ainsi que le Prix Ruban d’argent. Il y est question d’amants et de maîtresses, de pince-fesses et de mensonges en cascade, dans le décor confiné d’une bourgeoisie Seventies. La société de consommation et les modes venues d’outre-Atlantique déferlent sur une Italie traditionnelle. Ce choc des civilisations est irrésistible. Hugo Tognazzi cabotine, et puis surtout, Monica sensuelle et drôle, montre l’étendue de son immense talent. Dans le registre comique, elle fanfaronne à tout-va. A noter la présence bombesque de Barbara Bouchet en secrétaire légère et écervelée. Un numéro de composition aussi désarmant que sa plastique d’Aphrodite.

Qui se souvient de Raymond Mauriac?

Côté lectures, le printemps réserve des moments intenses surtout quand il s’agit de revisiter deux légendes : Rostand et un certain R. Mauriac. Toute son existence, Rostand (1868-1918) a été contraint à l’exploit. Quand on a écrit Cyrano de Bergerac à moins de trente ans et que l’on a été élu à l’Académie française à 33 ans, le public attend de vous du panache dans chaque pièce, dans chaque réplique. Rostand n’était pas un surhomme. Hypocondriaque et dépressif, la gloire pèsera lourd sur sa destinée. De ses premiers poèmes naïfs à la construction de sa villa Arnaga au Pays basque, François Taillandier lui dresse un portrait psychologique sur-mesure, plein de finesse et d’envolées lyriques dans L’homme qui voulait bien faire. « J’aimais les rimes, les belles tirades, tout cet apparat d’une parole poétique ritualisée, magnifiée » écrit-il, pour mieux nous faire comprendre son amour pour ce malade flamboyant. Une biographie comme on les aime, admirablement écrite, qui s’approche au plus près de l’œuvre et de l’homme.

Qui se souvient de Raymond Mauriac ? Pas François, la gloire des lettres, ni Pierre, le médecin, ni même Jean, le prêtre, non l’aîné, l’obscur avoué. Cet inconnu des biographes et des universitaires dont la trace a quasiment disparu, fut un véritable écrivain avec une langue propre, un rythme landais, une noirceur à se damner et une plume complètement originale. Les éditions Le festin sortent deux livres sur ce sujet mystérieux qui fut englouti sous l’aura du cadet nobelisé. Raymond Mauriac, frère de l’autre de Patrick Rödel qui a eu accès au fonds François Mauriac de la bibliothèque municipale de Bordeaux, a produit un ouvrage passionnant d’érudition et de sensibilité. Un conseil aux jurys des Prix d’automne, lisez-le ! Au travers d’une correspondance réelle et/ou imaginée, il redonne vie à ce frère oublié. Cet essai ouvre des champs littéraires jamais encore exploités, notamment sur les rapports entre les deux frères, le célèbre et l’autre.

L’héroïne la plus érotico-nostalgique de la BD

A cette occasion, Le festin édite Individu, le roman de Raymond paru sous le nom d’Housilane chez Grasset et couronné du prix du Premier roman en 1934. Enfin, un roman en bande-dessinée comme on le disait encore à la fin des années 70 au lancement de la revue (A suivre), le dernier volet des aventures de Jonas Fink intitulé Le libraire de Prague est bien là. Vous ne rêvez pas. Après L’Enfance en 1994 et L’Apprentissage en 1997, nous n’avions plus de nouvelles de Jonas, la création de Vittorio Giardino. On le retrouve donc à Prague en 1968 pendant le Printemps. Depuis vingt-et-un ans, nous nous demandions où se cachait Tatjana, l’héroïne la plus érotico-nostalgique de la BD mondiale. Elle porte toujours des lunettes aphrodisiaques. Un classique à posséder absolument dans sa bibliothèque.

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Drappier, chronique d’une cuvée de Champagne


Le visiteur égaré au fin fond de la Champagne se demande comment cette région grise et déprimante peut engendrer un vin devenu un symbole universel de fête. Mais les temps n’ont pas toujours été aussi florissants.


On peut reprocher aux soixante-huitards bien des choses, mais accordons-leur au moins d’avoir su garder le sens de l’humour et même parfois (vertu suprême !) de l’autodérision. Ainsi l’honorable maison de champagne Drappier, connue pour avoir fourni le général de Gaulle à La Boisserie, dix années durant, vient-elle de livrer plusieurs caisses de « cuvée Charles de Gaulle » à des anciens de Mai 68 (leurs noms ne nous ont pas été communiqués) désireux de célébrer les 50 ans de l’événement le mois prochain. « Cela ne manque pas de sel, en rigole Michel Drappier, la soixantaine élégante, qui roule dans une DS noire de 1969 et porte une montre Lip vintage automatique (le même modèle que celui créé pour le Général). « En mai 1968, de Gaulle et les vignerons de Champagne passaient pour être des suppôts du capitalisme. Aujourd’hui, il n’y a pas plus consensuel… »

« Un vrai champagne n’exhibe pas ses qualités. […] Il doit se retrancher dans une forme de sobriété »

Même si vous êtes allergique aux commémorations, laissez-vous servir une coupe, car, on l’ignore trop souvent, c’est au printemps que le champagne se déguste le mieux. Autrefois (il y a quelques siècles), les vins de Champagne repartaient naturellement en fermentation dès le mois d’avril, sauf que cette effervescence n’était pas désirée. Aujourd’hui, tout est fait pour qu’ils pétillent, mais, pour peu qu’on ait le palais un peu sensible, on ressent encore cette poussée de sève à l’œuvre au fond des bouteilles, comme une tension et une énergie qui rendent le vin particulièrement délectable au printemps.

Comment une région aussi sinistre et déprimante, presque ascétique, a-t-elle bien pu engendrer un vin pareil, devenu symbole universel de la fête et de la joie ? Étrangement, personne ne se pose cette question… Prenez donc le train au départ de Paris, un dimanche (merveilleux Intercités, moins cher et plus confortable que le TGV). Descendez à Bar-sur-Aube. Le ciel gris et poisseux vous tombe sur la tête. Alors que les paysages contemplés à travers la vitre du wagon évoquaient déjà les champs de bataille de 14-18, les rues vides de la ville donnent le sentiment qu’une bombe à neutrons a effacé toute trace de bipède. Ici, tout n’est que silence, travail et patience. Dans tous les villages de Champagne, c’est derrière les murs gris des grandes propriétés que se cachent l’aisance et la gloire champenoises. « Cet aspect janséniste, écrivait justement Jean-Paul Kauffmann, imprègne toujours le comportement des grandes maisons. […] Pas de nom à l’entrée. […] Mépris des apparences […]. Ce que confirme le dicton : “À bon vin, point d’enseigne.” […] Le champagne est un vin originellement austère. Les bulles font illusion. Avant l’effervescence, il est marqué par la raideur et l’intransigeance. […] Un vrai champagne n’exhibe pas ses qualités. […] Il doit se retrancher dans une forme de sobriété pour ce qui est des arômes et des bulles. Ce raffinement le distingue des autres vins pétillants. Le vieux fond champenois aime à entretenir l’idée d’une prédestination, la gratuité d’un don que le Ciel aurait octroyé à ce terroir, ce qu’on appelle la grâce[tooltips content= »Remonter la Marne, Fayard, 2013. »]1[/tooltips]. »

« Notre prozac à nous, c’est le champagne ! »

Comme Kauffmann, je ne suis pas loin de penser que le vin de Champagne résulte d’une grâce divine et qu’il est, à sa manière, un trait d’humour conçu pour libérer une énergie emprisonnée depuis des siècles. Plus un village champenois est sinistre, désert et mort, avec ses milliers de bouteilles enfouies et prêtes à exploser, plus ce village a d’humour… Ainsi en est-il d’Urville, dans le département de l’Aube, situé à mi-chemin entre Bar-sur-Aube et Colombey-les-Deux-Églises. Il y a encore un demi-siècle, Urville comptait plus de 600 habitants contre une petite centaine aujourd’hui. Pas de boulangerie, pas de bistrot, pas de pharmacie, rien ! La mort. « Comment faites-vous pour tenir ? demandé-je à Michel Drappier. Vous prenez du prozac ? – Le prozac, c’est un truc de citadin. Notre prozac à nous, c’est le champagne ! Nous en buvons tous les jours… Mon père, qui a 92 ans, a ainsi calculé qu’en 70 ans de vie active il a bien dû boire 27 000 bouteilles, soit environ deux par jour. Le champagne est riche en phosphore et excellent pour le cœur et le cerveau. »

Implantée ici depuis 1808, la maison Drappier est l’une des plus attachantes de toute la Champagne, et l’une des moins médiatiques. Ses plus vieilles parcelles ont été plantées par saint Bernard de Clairvaux lui-même, après 1115, pour produire son vin de messe. « C’était alors du bon vin rouge, à base de morillon noir (ancêtre du pinot noir bourguignon), et s’il lui arrivait de pétiller au printemps, c’était une “diablerie” ! Il fallait donc ouvrir les tonneaux et les bouteilles et agiter le vin afin que les bulles ensorcelées s’évanouissent. »

Michel Drappier, disciple moderne de saint Bernard de Clairvaux, devant sa parcelle fétiche de "La Grande Sendrée". Crédit photo Hannah Assouline.
Michel Drappier, disciple moderne de saint Bernard de Clairvaux, devant sa parcelle fétiche de « La Grande Sendrée ».
Crédit photo Hannah Assouline.

Michel Drappier, dont le visage, d’une façon très étrange, ressemble à celui du portrait de saint Bernard, voue un culte à ce grand personnage de la chrétienté médiévale : « Il avait lu les philosophes et les poètes grecs et latins, y compris L’Art d’aimer d’Ovide, ce qui était rare pour un cistercien. Sa culture était encyclopédique. Il s’intéressait aux techniques du travail du fer (il créa des forges qui subsistèrent jusqu’au xxe siècle), à l’exploitation des forêts, au travail du bois, à l’agriculture, au vin. C’était un stratège et un fin politique. Il fit connaître les vins de Champagne au roi de France et s’adonna au commerce afin de financer la construction de ses 350 abbayes dans toute l’Europe. »

Le champagne au temps du phylloxéra 

La maison Drappier repose toujours sur les sublimes caves voûtées du xiie siècle, construites par saint Bernard en 1152. « Il y laissait reposer les vins destinés à Louis VI le Gros, qui ne régnait guère que sur l’Île-de-France et ne buvait alors ni de bordeaux (propriété des Anglais) ni de bourgogne (propriété du duc de Bourgogne), le pauvre… Nous avons perpétué la tradition puisque nous fournissons aujourd’hui la présidence de la République. » 

Descendants de marchands de drap, les Drappier, pourtant, n’ont pas toujours connu pareille prospérité. Michel et son père André rappellent ainsi que, jusqu’au début des années 1950, ils faisaient partie de cette masse de vignerons prolétaires condamnés à vendre leurs raisins à bas prix aux grandes maisons de négoce qui faisaient alors la loi : « À l’époque, se souvient le père Drappier, les vignerons étaient pauvres et de gauche, et les agriculteurs, qui faisaient de la betterave et des céréales, riches et de droite. Aujourd’hui, c’est le contraire ! » Certains vignerons sont même devenus des stars internationales, comme Anselme Selosse, Pascal Agrapart et Francis Égly-Ouriet, dont les champagnes sont vendus à prix d’or. Résultat, un nouveau dicton affirme qu’en Champagne, un vigneron pauvre, c’est celui qui lave sa Mercedes à la main ! Mais que d’efforts pour en arriver là !

La première moitié du XXe siècle fut cataclysmique et les vignerons champenois crevèrent de faim. D’abord, il y eut la crise du phylloxéra venu d’Amérique qui ravagea 99% du vignoble. Ensuite, la guerre de 14-18, qui détruisit la région et supprima toute une génération d’hommes. En 1917, la révolution enflamme la Russie, alors le premier pays importateur de champagnes au monde… Puis vinrent la prohibition aux États-Unis, suivie de la crise de 1929, puis la Seconde Guerre mondiale et le pillage organisé par l’occupant nazi. Après guerre, ce fut le début de la révolte. André Drappier se souvient d’une assemblée de vignerons au cours de laquelle le marquis d’Aulan, propriétaire de Piper-Heidsieck, eut des mots durs et humiliants pour les vignerons de l’Aube, qu’il considérait comme des bouseux. Micheline Drappier, épouse d’André et mère de Michel, sortit alors de ses gonds, prit le micro, et, roulant les r avec son accent champenois, s’adressa au marquis pour lui dire en substance qu’il était quand même bien content d’avoir les raisins de la famille Drappier et qu’il ferait bien d’être plus respectueux s’il ne voulait pas que ses serfs ressortent leurs fourches, comme leurs ancêtres de 1789…

Et Chirac fit entrer le champagne Drappier à l’Elysée…

De ce jour, les Drappier, comme des dizaines d’autres vignerons, se mirent à leur compte et décidèrent de produire leurs propres vins en créant leur marque. En 1952, André et Micheline lancent leur premier champagne qu’ils baptisent « Carte d’Or », le jaune de l’étiquette symbolisant les notes de gelée de coing qui avaient frappé les sommeliers. Avec 80% de pinot noir, 15% de chardonnay et 5% de meunier, c’est aujourd’hui encore la cuvée « classique » du domaine, à la fois lumineuse, fraîche, riche et tonique, un nectar qui se goûte et se mâche à la bonne franquette…

Quelques années plus tard, le colonel Gaston de Bonneval, ancien aide de camp du général de Gaulle pendant la guerre et parrain de Michel Drappier, fit goûter ce champagne au grand Charles qui en apprécia immédiatement la bulle racée et le bon goût fruité (il le buvait au dessert, car à l’époque, les champagnes étaient beaucoup plus sucrés qu’aujourd’hui). De surcroît, du petit bureau de de Gaulle, dont les fenêtres donnent sur la plaine, on aperçoit au loin les vignes en coteaux du domaine Drappier. Un signe ? De Gaulle, pourtant, refusa que les champagnes Drappier fussent livrés à l’Élysée, dont la cave se devait, à ses yeux, d’être une vitrine de la France, avec ses marques les plus prestigieuses (Krug, Dom Pérignon, Taittinger, Pommery, etc.). Drappier, c’était pour sa consommation personnelle uniquement ! Le père Drappier se rappelle avoir livré ses caisses à La Boisserie, dans les années 1960, et y avoir croisé André Malraux. Toutes les factures, réglées rubis sur l’ongle par Madame de Gaulle, ont été conservées dans les archives. Les champagnes Drappier n’entreront à l’Élysée qu’en 2001 à la demande de Jacques Chirac.

Le parcours de cette sympathique famille illustre la façon dont la Champagne n’a cessé d’évoluer, de s’adapter et de se réformer pour rester au sommet de la hiérarchie des grands vins de France. Le passage de relais du père (André) au fils (Michel) symbolise ce moment charnière où une nouvelle génération de vignerons comprend qu’on ne peut plus faire pisser la vigne et traiter chimiquement les sols comme on le faisait depuis quarante ans. « Mon père est un homme que j’adore et que je respecte profondément. Je lui dois tout. Mais c’est un homme de sa génération. Après guerre, la découverte des herbicides et des produits chimiques fut perçue comme une libération ! On n’avait plus à désherber mécaniquement, on ne craignait plus de perdre une partie de sa récolte à cause des maladies. Quel gain de temps, d’énergie et d’argent ! Trente ou quarante ans après, il a bien fallu remettre en question tout cela, face à l’appauvrissement des sols, à leur érosion, sans parler des cancers contractés par les vignerons à cause des produits chimiques toxiques. Quand mon père m’a confié la responsabilité du domaine, en 1986, j’ai tout repris à zéro, quitte à susciter son incompréhension. »

Un million d’euros l’hectare

Conversion à l’agriculture biologique, labours au cheval, composts naturels, réduction des doses de sucre et de soufre dans les vins, diminution des rendements, élevages plus longs, retour en force des barriques en bois de chêne, recherche des expressions des terroirs et des lieux-dits – la Champagne compte plus de climats que la Bourgogne ! Bref, un vrai retour aux sources qui traduit, depuis 1990, un besoin d’authenticité, une volonté d’assigner une origine aux vins, loin de la Champagne industrielle pensée comme une usine à bulles, même si celle-ci prévaut toujours, hélas ! Comme beaucoup d’autres vignerons de sa génération (il a le même âge que Selosse, son condisciple au lycée viticole de Beaune), Michel Drappier a ainsi accompli sa révolution culturelle et œnologique. Résultat, ses champagnes racontent une histoire, ils ont une identité et une personnalité, ils sont sains et naturels, ils ne donnent pas mal à la tête, ils expriment le bon goût du raisin frais, à l’image de la désormais célèbre cuvée « Brut Nature », 100% pinot noir, zéro dosage et zéro soufre : un fruit absolu, pur, exprimant la minéralité de sols vieux de plus de deux cents millions d’années (les mêmes qu’à Chablis).

L’esprit de saint Bernard traverse aussi bien le monde qu’il a traversé les siècles ! Quand Barack Obama vint à Paris en juin 2014, il esquiva le dîner prévu avec Poutine et Hollande et s’en alla dîner dans un restaurant de poisson célèbre (Helen, dans le 8e arrondissement) où la sommelière lui servit ce champagne, qui lui a plu, et qu’il fait désormais venir chez lui, aux États-Unis.

Cependant, comme tous les vignerons qui se battent pour rester indépendants, Michel Drappier se heurte aux géants du négoce champenois. « Ils ont la capacité d’investir des millions d’euros dans la publicité et dans le foncier. Pendant qu’un vigneron vend péniblement ses 20 000 bouteilles, la grande maison, elle, en vend 20 millions partout dans le monde ! On ne joue pas dans la même cour. »

Il n’existe plus de terres vacantes et cultivables en Champagne. Quand un propriétaire décide de prendre sa retraite et vend une de ses parcelles, LVMH (Krug, Ruinart, Veuve Clicquot, Moët et Chandon, Dom Pérignon et Mercier) n’hésite pas à faire monter les enchères et à lui offrir le double de ce qu’il demande, sachant que le moindre hectare de vigne se vend ici au moins un million d’euros… « J’admire énormément Bernard Arnault, ce qu’il a fait est extraordinaire, assure Michel Drappier. Il représente le luxe à la française aux yeux du monde entier. Mais en tant que vigneron, je ne peux pas faire autrement que de le considérer comme un “ennemi”… S’il pouvait nous manger, il le ferait. Nous voulons simplement continuer à exister… »

Le juste prix

Comme nous l’expliquions en décembre dernier, trouver un bon champagne à moins de 25 euros la bouteille est très difficile, et payer plus de 100 euros revient à financer le coût marketing de la marque (plus que le travail réel dans la vigne et dans la cave). Le bon segment de prix se situe entre 30 et 80 euros. C’est exactement le créneau des champagnes Drappier : 32 euros pour le Carte d’Or, 35 euros pour le Brut Nature et, au sommet, 78 euros pour la grande cuvée de champagne rosé « Grande Sendrée » 2008 qui a été élevée dix ans en bouteille et qui est un véritable concentré de parfums avec une longueur en bouche phénoménale.

Antisémitisme: ils en ont parlé ! Enfin presque…


Le « manifeste contre le nouvel antisémitisme » a fait parler. Parfois pour le saluer, souvent pour le nuancer. Il serait « dangereux » de parler d’antisémitisme en France. Et encore plus de nommer ses adeptes… L’édito d’Elisabeth Lévy.


C’est vrai, mais il ne faut pas le dire. Depuis quinze ans, au bas mot, l’existence d’un antisémitisme que l’on continue, bizarrement, à dire nouveau pour éviter de dire d’où il vient, est le secret de polichinelle le mieux gardé de la République. Des palais du gouvernement aux bistrots, tout le monde sait qu’il existe, qu’il n’est pas le fait de crânes rasés, mais de barbus, que c’est à cause de lui que des juifs quittent le pays : aussi surprenant que cela soit pour un journaliste de France Inter, on peut vivre avec des vieux crabes qui chantent des chants nazis, pas avec des gens qui agressent vos gosses. Il n’y a plus un enfant juif, aujourd’hui, dans les écoles publiques de Seine-Saint-Denis, tout le monde le sait, et tout le monde sait pourquoi : parce que dans la France d’aujourd’hui, il est, sinon impossible, très difficile pour des juifs « isolés » de vivre dans des quartiers majoritairement peuplés de musulmans. C’est un fait. Et si c’est vrai, on doit le dire.

L’antisémitisme est un problème français

Pour de nombreux juifs, et pour tous les Français qui pensent que l’antisémitisme n’est pas le problème des juifs, mais celui de la France, le plus désespérant n’est pas la peur mais le déni, le plus révoltant n’est même pas la haine islamiste (dont ils ne sont d’ailleurs pas, tant s’en faut, les seules cibles), mais l’indifférence ou le scepticisme de nombre de leurs concitoyens, l’indignation sélective de presque toute la gauche politique, culturelle et médiatique, qui ne voit les antisémites que quand ils sont bien de chez nous. L’émotion suscitée dans tout le pays par la mort de Mireille Knoll, la onzième citoyenne française assassinée parce qu’elle était juive depuis 2006, puis la parution, dans Le Parisien du 22 avril, d’un « Manifeste contre le nouvel antisémitisme »[tooltips content= »J’ai oublié d’envoyer ma signature, mais le cœur y était. Bravo à Philippe Val pour cette opération. »]1[/tooltips] signé par 300 personnalités dont Nicolas Sarkozy, Manuel Valls et Laurent Wauquiez, ont fait penser à beaucoup que le mur du silence avait enfin cédé sous les coups de boutoir du réel. Pas de périphrase ni d’euphémisation et encore moins d’excuse sociale : la plume de Philippe Val n’a pas tremblé quand il a rédigé ce texte qui établit un lien direct entre la recrudescence des actes antijuifs et la terreur que font régner les islamistes sur les musulmans de France, affirme que « l’antisémitisme musulman est la plus grande menace qui pèse sur l’islam du XXIe siècle », et appelle l’islam de France à ouvrir la voie de la réforme en frappant d’obsolescence « les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants ».

Le danger de la vérité

Les signataires s’attendaient à susciter quelques remous et même, on peut toujours rêver, un débat sur la meilleure façon de nommer les choses. Au lieu de quoi on a d’abord assisté à diverses leçons de maintien prodiguées par des éditorialistes offusqués et des politiques circonspects, regrettant que le manifeste emploie tel terme plutôt qu’un autre et prenne l’exemple de ceci plutôt que de cela. « Texte à côté de la plaque », tweetait sobrement La France insoumise, où on doit tenir l’antisémitisme pour un sujet casse-gueule. Il aurait fallu « maîtriser son expression », regrettait Laurent Joffrin, professoral. Quant à Claude Askolovitch, qui a eu le temps, en moins de 24 heures, d’écrire 30 pages en réponse au manifeste, il n’a visiblement pas trouvé celui de le lire. En effet, il y a par exemple trouvé l’idée que « la défense du juif implique le refus de l’islam ». Qu’un homme aussi subtil ne comprenne pas la différence entre le refus de l’islam et le refus de certaines de ses expressions, voilà qui laisse songeur.

On a aussi eu droit à de multiples variations sur l’air rebattu du « pas d’amalgame », jusqu’à celle de Jean-Pierre Chevènement, qu’on a connu mieux inspiré : le président de la Fondation pour l’islam de France a estimé qu’il était « dangereux de désigner “un nouvel antisémitisme musulman”, comme si tous les musulmans avaient tété l’antisémitisme avec le lait de leur mère ». On aimerait comprendre pourquoi il est dangereux de désigner « un nouvel antisémitisme musulman » : est-ce parce qu’il n’existe pas ou parce qu’il existe, mais qu’il ne faut pas le dire ?

Boubakeur outragé, Boubakeur brisé, Boubakeur martyrisé…

Mais le plus édifiant a été la réaction outragée et pour une fois unanime des autorités musulmanes qui ont fait assaut de susceptibilité. Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris (qui est d’ailleurs traité de « Français » dans les quartiers salafisés) a évoqué « le procès injuste et délirant d’antisémitisme fait aux citoyens français de confession musulmane et à l’islam de France », tandis qu’une trentaine d’imams estimaient que l’idée selon laquelle le Coran contenait des appels au meurtre était d’une « violence inouïe » – cela signifie-t-il qu’elle est fausse ou qu’elle est dangereuse ? Aurait-on mal lu les versets concernés ? Sur ce point, silence radio.

A lire aussi: « Islamophobie »: les bobards de M. Boubakeur

L’indignation de ces honorables hommes de foi devant les crimes antisémites est parfaitement sincère. Seulement, il y a toujours un mais, et même plusieurs. Mais les discriminations. Mais les amalgames. Mais il ne faut pas confondre la religion d’amour et de paix avec l’islamisme. Personne ne prétend que tous les musulmans soient antisémites, en tout cas, pas les signataires de la tribune. Reste que, si l’antisémitisme n’a rien à voir avec l’islam, il faudra bien nous expliquer pourquoi tant de juifs quittent les banlieues islamisées comme ils ont quitté il y a plus d’un demi-siècle pratiquement toutes les terres d’islam. Sans doute une de leurs étranges lubies.

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Femmes, je vous hais: islamistes et masculinistes, même combat

Une nouvelle attaque au véhicule bélier s’est déroulée il y a moins d’une semaine, le 24 avril, dans un des quartiers les plus vivants de Toronto, semant sur son passage un spectacle de désolation et de mort. Comme à Nice, comme à Londres, comme à Berlin, les principaux médias ont immédiatement imputé au véhicule lui-même la folie furieuse de son chauffeur afin de ne pas avoir à nommer (par prudence ou par lâcheté) le réel et ses causes. C’est donc une « camionnette folle » cette fois-ci, après les désormais célèbres « camion fou » et « voiture folle » qui, prise d’une crise de soudaine démence s’est ruée sur certains passants en zigzaguant habilement afin de faire le plus grand nombre de victimes choisies sur une distance d’environ deux kilomètres.

« Seulement » la haine des femmes

Tout dans le déroulement de cet attentat et dans son modus operandi semblait le raccrocher aux crimes islamistes dont les métropoles occidentales subissent les assauts répétés et auxquels il faut bien dire que les opinions publiques se sont en quelque sorte accoutumées : la nouvelle arrive, on intègre l’information, on l’évalue rapidement selon le nombre de victimes, on fustige son traitement médiatique et l’inefficacité politique, on se prépare à subir douloureusement la moraline padamalgamiste du chef d’Etat concerné qui ne saurait manquer de s’abattre à la manière d’un châtiment collectif – en l’occurrence ici celle, inégalable, du Premier ministre canadien Justin Trudeau -, on s’indigne, les tempéraments les plus doux disposent en offrande nounours, lumignons et roses blanches puis chacun reprend le cours de ses activités jusqu’à la prochaine attaque.

Sauf que, cette fois-ci, l’on apprend vite que le conducteur du véhicule, un certain Alek Minassian, étudiant de 25 ans originaire de l’Ontario, est l’auteur de la tuerie et que celle-ci n’aurait aucun rapport avec l’islamisme. L’individu serait « simplement » animé par une haine farouche envers les femmes, ce qui expliquerait que ce soit elles qu’il ait frappées quasi exclusivement dans sa course meurtrière. Il n’en faut pas davantage pour que l’événement soit illico presto rétrogradé au rang de simple fait divers tragique. Circulez (prudemment si possible), il n’y a rien à voir !

Si l’on considère pourtant que le terrorisme est un moyen utilisé par une idéologie – et pas forcément par une organisation structurée – afin de semer la terreur dans les populations civiles, cet acte constitue bien un acte terroriste, ayant fait en l’occurrence 10 morts et 14 blessés. De la même façon d’ailleurs, les actes islamistes commis par des personnes isolées pudiquement qualifiées de « loups solitaires » ou de « déséquilibrés », demeurent des actes terroristes (comme si, du reste, un terroriste pouvait être quoi que ce soit d’autre que déséquilibré psychiquement…) dans la mesure où ils sont commis au nom d’une idéologie criminelle qui utilise la terreur pour se faire entendre et gagner du terrain.

Accusées, couchez-vous

Avant son passage à l’acte, le tueur a laissé un message sur son compte Facebook permettant de le relier sans la moindre ambiguïté à la mouvance masculiniste, en l’occurrence les Incel (pour « célibataires involontaires »).

Ces individus mâles occidentaux, dont la prose désaxée permet à elle seule d’expliquer le célibat, oscillent constamment entre l’auto-complaisance geignarde, la victimisation et l’agressivité haineuse. Tout leur malheur vient des femmes qui, du fait de leur émancipation, ne sont plus des objets à libre disposition sexuelle. Ces dernières sont donc coupables du célibat involontaire des plaignants, préférant prétendument se tourner vers les hommes beaux et musclés, dénommés dans ce crypto-langage masculiniste les Chads. Il ne semble pas le moins du monde traverser l’esprit dérangé de ces curieux personnages que les femmes puissent aussi préférablement se tourner vers des hommes faisant bel usage de leur organe principal, à savoir leur cerveau…

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Comme dans tout système victimaire, l’individu ne se reconnaît pas responsable de sa situation : il en projette la faute sur quelqu’un d’extérieur à lui, sur une catégorie de personnes qu’il va rendre coupables à sa place de son malheur. On sait combien par exemple l’antisémitisme fonctionne selon le même processus mental. Le fantasme de toute puissance chez ces individus le dispute à l’impuissance réelle à laquelle leurs médiocres aptitudes relationnelles les réduit. La société occidentale démocratique est à leurs yeux le relais institutionnel des femmes libres, ces « féminazies » qui, en imposant leur domination sur le monde auraient réduit les hommes à la portion congrue. Cette idéologie, extrêmement virulente et active, est relayée par certains hommes divorcés qui ne supportent pas que celle qu’ils considéraient comme leur chose leur échappe, ou encore qui n’acceptent pas les décisions de justice confiant la garde des enfants du couple à la mère, ou tout simplement par certains hommes frustrés et vierges (comme c’est le cas revendiqué de nombreux Incel), c’est-à-dire des êtres no-life, socialement perturbés, et qui n’ont pas eu à perdre leur femme dans quelque divorce houleux puisqu’ils n’en ont jamais eu. La séduction heureuse (qui n’est pas la chasse), les efforts intellectuels, la construction sociale, sans même aller jusqu’à parler de sentiments, tout ceci ne les concerne pas puisque seule compte une sorte de retour fantasmatique à l’état de nature, état dans lequel leur propre naturel plaintif les placerait du reste en mauvaise posture.

Dans ce système idéologique, les femmes sont donc coupables, y compris de ce qu’elles subissent. La question du viol, par exemple, n’en est pas une : c’est bien fait pour elles, ce n’est que justice. Les femmes sont là, à disposition, pour être violées. En cas de désaccord, de résistance, le féminicide règle la question. En l’occurrence : tuer des femmes parce que ce sont des femmes.

L’internationale du féminicide

On le voit, les similarités avec la conception radicale islamiste de la condition féminine sont nombreuses. La femme violée est coupable car aguicheuse et non voilée, responsable de sa propre souillure, elle ne vaut pas même une pièce de deux euros qui peut passer de mains en mains, selon Hani Ramadan, le frère de celui qui ne semble pas penser bien différemment dans l’intimité révélée des chambres d’hôtel européennes: voilée ou violée, il faut choisir, et encore, la garantie de protection de la mode dite pudique n’est que superficielle. La femme qui ne se soumet pas à cet ordonnancement primaire et archaïque du monde peut/doit souffrir ou mourir. Les violences, les mariages arrangés, la polygamie, les crimes dits d’ « honneur » et qui font en réalité honte à l’humanité, les mutilations génitales que Justin Trudeau hésite à qualifier de « barbares » de peur d’en froisser les auteurs : tout ceci porte la même idéologie qui tient les femmes pour inférieures aux hommes et responsables de leurs problèmes. Et l’on se souvient bien sûr de ces deux jeunes filles égorgées et poignardées par un islamiste à Marseille en octobre 2017 ; l’on se souvient du tueur islamiste de la Manchester Arena qui visait spécifiquement des adolescentes au concert d’Ariana Grande lors de sa tournée Dangerous Woman Tour (tiens, tiens…) ; l’on se souvient des 276 jeunes nigérianes enlevées dans leur école par le groupe islamiste Boko Haram ; l’on se souvient du sort ignoble réservé aux femmes yézidis tombées entre les mains de l’Etat islamique en Irak et en Syrie…

Il n’y a donc pas que le modus operandi qui permette de faire le lien entre l’attaque de Toronto et l’idéologie islamiste : masculinistes et islamistes sont porteurs de la même vision, qui hait la démocratie occidentale et qui hait les femmes. Cette haine ne laisse d’ailleurs pas de surprendre par son intensité et son incohérence structurelle, au point qu’on peut se demander pourquoi ces hommes qui, de leur propre aveu, n’aiment pas les femmes, n’assumeraient pas une bonne fois pour toutes leur clair penchant, demeurant entre eux afin d’y accomplir leurs besognes sexuelles, ce qui permettrait à l’autre moitié de l’humanité de vivre paisiblement. Le mystère de cet acharnement demeure hélas entier, par-delà la question du pouvoir, et plusieurs millénaires de psychanalyse n’y suffiraient probablement pas…

Mais si la percée idéologique islamiste est actuellement la plus active et la plus virulente dans ce domaine, il ne faut pas s’y tromper : elle ne fait que créer un vigoureux appel d’air plus ou moins décomplexé là où une partie importante de la population mondiale se retrouve hélas. En Chine, en Inde, au Mexique – où désormais la notion de « féminicide » est inscrite dans les lois tant la violence meurtrière contre les femmes s’y exerce à plein comme dans la tristement célèbre Ciudad Juarez -, ce ne sont pas des islamistes qui tuent, torturent, réduisent les femmes en esclavage. Alek Minassian (pas davantage que son héros Elliot Rodger, cet autre masculiniste auquel il a rendu hommage sur Facebook juste avant la tuerie et qui assassina six personnes en 2014 en Californie) n’est pas islamiste, même s’il partage la même haine viscérale des femmes.

Les femmes, c’est la civilisation

Or, s’en prendre aux femmes, c’est de facto s’en prendre à la démocratie puisque l’égalité hommes-femmes fournit le paradigme de ce qu’est la démocratie : celle-ci instaure une égalité de droit là où la nature a créé une inégalité des forces physiques. La démocratie est une élévation de l’humanité par rapport à l’état de nature. L’islamisme, le masculinisme, la violence endémique contre les femmes en de nombreux points du globe (en France, une femme meurt tous les 2,5 jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint) ne sont que le reflet d’une sourde, paresseuse et imbécile jouissance de l’état de nature.

Les sociétés occidentales ont considérablement progressé dans ces domaines, même si rien n’est jamais ni parfait ni définitivement acquis (comme le prouve par exemple la régression de la condition des jeunes filles dans de nombreux territoires perdus de la République). Et ce sont précisément ces progrès que les arriérés du monde entier ne tolèrent pas, ce que la penseuse féministe Susan Faludi appelle le Backlash, ce retour de manivelle qui suit chaque amélioration de la situation féminine. Le spectre de la dystopie The Handmaid’s Tale n’est jamais très loin.

#Metoo, idiotes utiles

Dans ce dispositif occidental et progressiste, les attaques sans discernement qui sont menées par un certain néo-féminisme borné contre les hommes et, d’une manière générale, contre tout ce qui est masculin, ne rendent pas service à la cause qu’elles croient défendre. Les outrances de #balancetonporc et autres #metoo, le principe généralisé du lynchage tenant lieu de justice, les hystéries maladives visant la pénalisation de la drague ou des regards trop appuyés, la maltraitance inclusive et obsessionnelle de la culture et du langage, la dévirilisation systématique de ce dernier dans laquelle excelle précisément la figure molle et pathétique de Justin Trudeau (on se souvient de son accablant « peoplekind, not mankind ») créent et alimentent un climat misandre de guerre des sexes bien inutile. Il n’existe pas dans l’histoire de l’humanité de noble combat qui ne soit toujours guetté par le danger de sa radicalisation outrancière, ce qui à terme le décrédibilise et fournit des armes idéologiques à ses adversaires. Le néo-féminisme dans ses élucubrations actuelles en est un bon exemple.

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Ce que combattent les masculinistes, les islamistes et tous leurs complaisants zélateurs, mais aussi de l’autre côté les femmes qui nourrissent cette misandrie contemporaine selon laquelle tous les hommes seraient des requins ou des porcs (lorsqu’on dit « balance ton porc », on sous-entend bien que tout le monde en a un sous la main, de porc, ou sinon, au pire, on l’inventera), c’est la possibilité même d’une entente harmonieuse, mixte et équilibrée, entre les deux sexes dans un cadre institutionnel qui garantisse la liberté de chacun. Cette concorde entre hommes et femmes suppose toutefois que l’on ne s’acharne pas à vouloir à toute force en éradiquer les aspérités, les différences, les points de friction, les oppositions qui, précisément, en créent la dynamique. Car, à vouloir trop chasser le naturel, il faut toujours s’attendre à le voir resurgir violemment au galop et sous une forme incontrôlable.

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L’antisémitisme et l’islam: soyons réalistes, réformons l’irréformable

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Rémi Brague est l’un des plus éminents connaisseurs de l’Islam et du christianisme. Dans une interview au Figaro, il adresse des critiques acerbes au « Manifeste contre l’antisémitisme islamiste ». Il y traite les auteurs de ce texte d’ignorants, et s’applique à corriger leurs erreurs.  En tant que signataire du manifeste, je crois nécessaire de lui répondre.

L’antisémitisme n’est pas qu’un antijudaïsme

Son premier reproche vise l’usage du mot « antisémitisme », qu’il juge inapproprié, et auquel il préfère le mot « antijudaïsme ». Sur ce point de vocabulaire, Rémi Brague se trompe. Dans un appel destiné au grand public, le mot antisémitisme s’imposait, car tout le monde comprend qu’il désigne la haine envers les Juifs en tant que personnes. Le terme d’antijudaïsme eut été tout à fait inapproprié, car il désigne avant tout la dimension théologique de l’hostilité envers les Juifs. Nous n’en sommes hélas pas là : la haine islamiste envers les Juifs, quoique d’inspiration religieuse, ne vise pas le judaïsme, ne vise pas la religion ou la culture des Juifs. Elle vise les Juifs en tant qu’êtres humains, qu’ils soient croyants ou non, qu’ils soient adultes ou enfants. Les nazis non plus n’étaient pas animés par l’antijudaïsme, mais par cette pathologie que tout le monde nomme antisémitisme.

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On peut vite passer outre cette leçon de vocabulaire, car Rémi Brague a l’immense mérite de ne pas s’en servir pour minimiser la haine envers les Juifs qu’on trouve à une intensité spécifique chez les musulmans. « Mais attention à l’échappatoire facile : ‘Nous ne pouvons pas être antisémites, nous sommes nous-mêmes des Sémites!’. Car la vraie question est celle de l’antijudaïsme. Non la critique argumentée des dogmes du judaïsme, qui a son pendant dans la critique juive des croyances chrétiennes ou islamiques, mais bien la haine, mêlée de mépris ou d’envie, envers les juifs. (…) Quant aux pays islamiques, l’orientaliste hongrois Ignaz Goldziher raconte qu’il a entendu un Syrien battre son âne en le traitant de juif… C’était en 1874. D’après l’extraordinaire BD L’Arabe du futur, dans laquelle Riad Sattouf raconte son enfance dans la Libye, puis la Syrie des années 1980, la haine du juif y est répandue depuis le plus jeune âge. »

Islam, Eglise catholique: pas d’amalgame ?

Et ce n’est pas fini. Rémi Brague poursuit allègrement. « Le hadith attribue à Mahomet des déclarations plus raides encore. La biographie officielle de Mahomet, la Sira, raconte que celui-ci aurait fait torturer le trésorier d’une tribu juive pour lui faire cracher où le magot était enterré (traduction A. Badawi, t. 2, p. 281 s.). Les assassins d’Ilan Halimi s’en seraient-ils souvenus ? » Voilà ce qui s’appelle ne pas y aller par quatre chemins. Georges Bensoussan s’est vu intenter un procès en islamophobie pour beaucoup moins que cela.

Puisqu’il y a accord sur le constat, quel est le reproche essentiel adressé par Rémi Brague au manifeste ?

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Rémi Brague ne supporte pas du tout que le manifeste établisse un parallèle entre l’islam et l’Église catholique, quand il demande aux musulmans de faire à leur tour le travail de révision effectué par elle à l’occasion de Vatican II.

Il signale à juste titre deux différences qui rendent le renoncement à l’antisémitisme beaucoup plus difficile par les musulmans que pour les catholiques. À la différence des textes sacrés des autres religions, dans le Coran, Dieu s’exprime en personne, et, du coup, son message est inaltérable et vaut pour tous les temps. Par ailleurs, l’islam ne dispose pas d’une autorité supérieure habilitée, comme l’était Vatican II, à fixer le sens qu’il faut donner aux formulations du texte sacré.

Les autres se sont adaptés

Rémi Brague en conclut : « Tant qu’on n’aura pas affronté la question de l’auteur du Coran, on n’avancera pas. » Autrement dit, rien ne bougera tant que les musulmans n’auront pas changé la nature de leur Dieu. Ce qui n’est pas demain la veille. Un changement de cette nature n’est d’ailleurs facile pour aucune religion. Combien de Juifs et de Chrétiens ont-ils accepté de changer « leur concept de Dieu après Auschwitz », comme le demandait le théologien Hans Jonas, pour renoncer à l’indéfendable idée de sa toute-puissance ?

La connaissance de ce qu’est le Coran invaliderait donc les demandes du manifeste et condamnerait à l’inanité les efforts de réforme de l’Islam tentés par certains musulmans. Le diagnostic de Rémi Brague pousse au découragement et au renoncement. Les difficultés qu’il expose sont incontestables. Les surmonter est l’affaire des croyants. Mais ce n’est pas une raison pour que les sociétés démocratiques tolèrent chez elles des textes qui prêchent des incitations à la haine et à la violence contre un groupe humain, les Juifs, et cela quand ces incitations sont parfois suivies d’effets meurtriers. La responsabilité de nos sociétés est de dire franchement et publiquement aux religions et aux idéologies séculières ce qui n’est pas tolérable.

La religion juive s’est adaptée aux lois de la République quand Napoléon en a fait la condition impérative de sa reconnaissance par l’État. La religion catholique a fait de même, quand elle a cessé de combattre les droits de l’homme au nom des droits de Dieu.

La responsabilité des croyants

La responsabilité des croyants est de trouver les moyens de rendre leurs croyances et leurs textes sacrés compatibles avec les principes et les valeurs des sociétés démocratiques modernes. Si cela n’est pas théologiquement possible, cela l’est historiquement.

La première raison d’œuvrer dans ce sens est qu’une partie des musulmans de France se conforme déjà largement à la culture du pays où ils vivent. Ces Français musulmans s’indignent des crimes commis au nom de l’Islam. Ils condamnent les criminels en disant : « Ces gens-là ne sont pas de vrais musulmans. Leur Islam est une perversion de l’Islam véritable, qui est une religion d’amour et de miséricorde. » Eh bien, le meilleur moyen de leur donner raison est de désarmer les passages pousse-au-crime du Coran.

Cela suppose d’encourager toutes les tentatives allant dans ce sens. Quand Rémi Brague évoque « les intellectuels musulmans de bonne volonté », comme récemment « Rachid Benzine, (qui) souhaitent, non qu’on expurge le Coran, mais qu’on en fasse une ‘lecture critique’ », il a tort de leur répliquer que c’est mission impossible, le Coran étant ce qu’il est.

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Quand Tareq Oubrou, l’imam de Bordeaux, tout en critiquant le manifeste, déclare : « le Coran est sacré, pas son interprétation », il vaut mieux soutenir ses efforts que de démontrer qu’ils sont théologiquement voués à l’échec.

À moins de vouloir expulser de France les musulmans, en les jugeant définitivement non intégrables, nous n’avons pas d’autre perspective que leur intégration à notre culture. Cette intégration doit faire l’objet d’un combat culturel.

C’est pourquoi le manifeste contre l’antisémitisme islamiste est le meilleur service que l’on puisse rendre à l’Islam, afin qu’il se rende compatible, comme les autres religions l’ont fait, avec la démocratie et la modernité.

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Plan Borloo pour les banlieues: le retour des années 1980!

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Le plan « banlieues » proposé par Jean-Louis Borloo fait appel aux mêmes recettes appliquées dans les années 1980 qui ont mené aux émeutes de 2005. Il n’y a aucune raison de penser que ce nouveau recul de l’Etat n’aboutisse pas aux mêmes résultats. 


Pour Emmanuel Macron, protéger l’emploi c’est détruire le code du travail et privatiser les services publics. Dans son monde, œuvrer pour la paix c’est apporter un soutien inconditionnel à la gendarmisation du monde par les Etats-Unis et à leurs interventions. En fait, Emmanuel Macron est une sorte de réincarnation de Thatcher et Reagan à lui tout seul. Son monde, c’est celui des années 1980. Et c’est donc naturellement  à Jean-Louis Borloo qu’il s’est adressé pour élaborer un plan banlieues, sans doute après avoir hésité à consulter Bernard Tapie ou Roland Castro.

Le retour des tartes à la crème 

Il faut reconnaître que dans le genre Retour vers le futur, on n’est pas déçu en découvrant les propositions du célèbre avocat d’affaires qui vient de remettre son rapport à Matignon: création d’un fond de 5 milliards d’euros (ça ne coûte rien, dit-il, puisque cet argent sera prélevé sur les bénéfices des privatisations), création de « Maisons Marianne » (associations subventionnées de soutien aux femmes actives dans la vie du quartier), investissement d’un milliard d’euros dans le développement du RER, amélioration substantielle des statuts et salaires des travailleurs sociaux sur place, création d’une « Cour d’équité territoriale » pour punir les dirigeants qui ne feraient pas assez pour les banlieues, financement de « coachs d’insertion par le sport », de campus numériques (pour des raisons restant secrètes, les banlieues auraient « évidemment un avenir numérique majeur » précise l’expert), plans de formation, emplois francs, petits-déjeuners gratuits, « académie des leaders » (sorte d’ENA réservée aux étudiants de banlieue), développement et relance de l’apprentissage, dédoublement de classes à l’école, etc.

Dans cette énumération se retrouvent toutes les vieilles recettes des années 1980 qui ont transformé les banlieues en enfer après les avoir fait passer par la case émeutes en 2005. La question est donc de savoir si nos dirigeants sont aveugles ou de mauvaise foi.

Au royaume des aveugles…

Le premier non-sens de ce plan est son absence de bilan qui aurait dû servir à la formulation d’une problématique, puis à l’élaboration d’une stratégie. Au lieu de cela, on nous sert les misérables tartes à la crème du « retour de la République », de la transformation des territoires perdus en territoires gagnants ou encore de la lutte anti-apartheid (Marc Vuillemot, maire de la Seyne sur mer, incontestable champion avec son imbattable : « Inverser notre réalité et refaire République »). Cette absence de cap, inadmissible à ce niveau de dépenses, se vérifie dans l’éparpillement des mesures préconisées et leur entassement sans objectif ni même une seule direction commune. C’est sans doute une modernité absolue – voire de l’art contemporain – que d’annoncer un plan de 48 milliards d’euros sans énoncer ni constat, ni objectif à atteindre.

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Le deuxième non-sens de ce plan est de penser encore en 2018 qu’en arrosant les habitants avec de l’argent public par le biais de travailleurs sociaux, de coachs sportifs, d’éducateurs de rue ou d’associations en tout genre (ordinateurs, grands frères ou femmes émancipées), on résoudra un problème que l’on n’a même pas énoncé. L’idée d’acheter la paix sociale à coups de subventions est séduisante car elle calme la douleur, mais elle ne donne à terme que de très mauvais résultats : pour preuve, on en voit aujourd’hui le résultat.

Une ENA pour les pauvres

Le troisième non-sens du plan est cette obstination à ne pas connaître la réalité de l’école : le problème n’est pas de financer un dédoublement de classes ou de nouvelles ouvertures, mais de trouver des enseignants. On ignore donc encore dans les allées du pouvoir que l’école a été mise dans un tel état depuis ces années 1980 que non seulement plus personne ne veut y travailler, mais encore que les rares candidats aux concours d’enseignants (donc dotés d’un bac +4) sont d’un niveau trop faible pour être recrutés en nombre suffisant. Sans parler de la proposition écœurante de mépris de créer une ENA pour la banlieue – idée très justement dénoncée par Rachida Dati d’un côté et Malek Boutih de l’autre. Les propositions du rapport concernant l’enseignement sont d’une naïveté qui frise l’incompétence, notamment lorsqu’il est question d’apprentissage alors que le collège unique obligatoire le rend quasiment impossible parce que l’autorisant beaucoup trop tard et dans des conditions trop contraignantes. Que dire également de ces hypothétiques « cités éducatives », nouveaux gros machins souhaités par Borloo, quand les acteurs de terrain savent parfaitement que la petite taille d’un établissement scolaire (deux ou trois cents élèves maximum) est un atout important pour sa réussite.

Lorsque l’Etat n’est pas là…

Cet amateurisme navrant pourrait prêter à sourire si les dépenses et l’enjeu n’étaient pas de poids. Ce qui rend ce plan réellement dangereux pour les banlieues mais aussi pour la nation, c’est le refus de comprendre que le pire mal dont souffrent ces quartiers périphériques est le sentiment profond de la disparition de l’Etat. Et lorsque l’Etat recule, c’est la loi du plus fort qui avance, depuis la cour d’école jusqu’à la cage d’escalier. Ecole, sécurité, justice ou transports, ce n’est pas la République qui est en cause mais l’Etat, et sa disparition est sans doute une des raisons de l’islamisation de ces quartiers qui se tournent naturellement vers d’autres autorités.

…les pourris dansent

A ce titre, cynique et révoltante est la proposition de financer des mesures par l’argent des privatisations, donc par la vente des services publics et du retrait de l’Etat, puisque c’est précisément de cela dont ces quartiers ont un besoin absolu. Et quand, de plus, le plan propose d’encourager la « co-production de sécurité », alors on est partagé entre le dégoût et la colère. A fortiori dans ces quartiers, la sécurité des biens et des personnes doit être exclusivement dévolue à la police nationale et à la gendarmerie, et pas à des vigiles, ni à de la police municipale ni à des grands-frères, et encore moins à des associations religieuses comme cela s’est produit en 2005. L’Etat doit au contraire être très présent car il doit être vu pour exister. Dans ces quartiers, ce n’est pas de mots et de gargarismes républicains dont les habitants ont besoin, mais de la présence permanente et visible d’une police qui assure la tranquillité des gens et le respect de la loi, d’une justice rapide et ferme qui neutralise durablement les fauteurs de troubles, d’une école dont les cours se déroulent pacifiquement dans des niveaux homogènes (actuellement interdits par le ministère), et de transports dans lesquels on puisse rentrer tard la nuit si on est une jeune femme. Tout cela est faisable à moindres coûts mais suppose de ne plus traiter ces pauvres banlieues à travers des prismes idéologiques.

Le premier droit de tout citoyen dans un pays comme le nôtre devrait être de vivre en sécurité avec ses enfants et de bénéficier de services publics en bon état de marche. C’est du refus par l’Etat de leur accorder ce droit que les banlieues souffrent en premier lieu. Finalement, en lisant ces propositions, on en perçoit le seul objectif, et on comprend qu’il n’ait pas été annoncé : avoir la paix pour quelques années encore.

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Alain Finkielkraut: « Mai 68 n’était pas une révolution, c’était une interruption »

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Alain Finkielkraut, septembre 2017. ©Hannah ASSOULINE/Opale/Leemage

L’essentiel de L’Esprit de l’escalier avec Alain Finkielkraut


L’anniversaire de mai 68 

J’ai 68 ans et comme beaucoup de garçons et de filles de mon âge, j’ai « fait 68 ». Je n’étais pas un chef, j’étais un sans-grade, un protagoniste obscur, un étudiant parmi des milliers d’autres. J’ai défilé, j’ai chanté (faux) les chants révolutionnaires, avec une préférence marquée pour Bella Ciao, j’ai participé à des AG. Je ne tire de tout cela ni gloire ni honte. Mais face à la déferlante commémorative qui nous submerge, je voudrais qu’on rende à l’événement sa juste proportion. Un peu de modestie s’impose, on s’est poussé du col alors et je regrette que l’on recommence aujourd’hui. Pour oublier que nous étions des enfants gâtés de l’histoire, nous nous sommes raconté des histoires. Nous rêvions tout éveillés, nous fantasmions, nous les baby-boomers, un destin épique. Mais certains d’entre nous avaient beau scander « CRS-SS », nous ne sommes pas entrés en résistance. Nous n’avons pas pris le palais d’Hiver, nous n’avons pas fait la révolution. Mai 68 n’a dévoré ni ses ennemis ni ses enfants. Ce n’était pas une révolution, c’était, et de cela on peut en avoir la nostalgie, une interruption. Métro, boulot, dodo, la vie suivait son cours et tout d’un coup le temps a été suspendu. On a levé la tête et la conversation a rempli l’espace normalement dévolu aux transports. J’en conserve un souvenir ému et, sur ce point, je suis d’accord avec Maurice Blanchot : « Quoi qu’en disent les détracteurs de Mai, ce fut un beau moment lorsque chacun pouvait parler à l’autre, anonyme, impersonnel, homme parmi les hommes, accueilli sans autre justification que d’être un homme. » Et je continue à aimer des slogans comme : « Parlez avec vos voisins », « Il faut discuter partout et avec tous », même si, en bénéficiaire reconnaissant de la liberté des Modernes, j’apprécie à leur juste valeur le silence et la tranquillité.

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Mais il y a d’autres slogans qui me révulsent d’autant plus aujourd’hui qu’ils ont été suivis d’effets et que ces effets ont été dévastateurs : « L’éducateur doit être lui-même éduqué », « Professeurs, vous nous faites vieillir », « Ne dites plus “Monsieur le professeur”, dites “crève salope” », « Professeur, vous êtes aussi vieux que votre culture, votre modernisme n’est que la modernisation de la police ». En 1968, les jeunes sont apparus en majesté sur la scène du monde et ont dénoncé avec force l’autorité comme une modalité de la domination. Du printemps de Mai date la confusion du maître qui enseigne avec celui qui opprime. Dans la foulée de la grande révolte, Ricœur, qui était à l’époque président de l’université de Nanterre, a reçu sur la tête le contenu d’une poubelle. Et au lieu de tirer la leçon de cette barbarie, l’institution a entériné le contresens qui l’a rendue possible. De ce que la philosophie des Lumières nous a appris à considérer comme le propre de l’homme : penser et agir par soi-même, l’école a fait non plus le fruit d’une maturation, mais une propriété naturelle et même native. Dès lors, les enfants et les jeunes sont devenus « les acteurs de leur propre éducation » et l’autorisation a succédé à l’autorité. Pour la pédagogie issue de Mai 68, les enseignants doivent impérativement descendre de leur piédestal et, le plus tôt possible, mettre les élèves en situation de s’exprimer. On donne désormais la parole avant de donner la langue. Ainsi meurt le français dans son pays lui-même.

Mai 68, c’est aussi le triomphe de la spontanéité sur les conventions et les bienséances. On laisse les manières à la bourgeoisie expirante, on ne s’embarrasse plus de formes, on se défait de l’étiquette et des salamalecs, on affranchit la vie des contraintes du savoir-vivre, on liquide les derniers vestiges de la société hiérarchique. Dans l’univers de l’égalité, tout le monde devrait pouvoir être soi-même sans faire de chichis. C’est le début de la fin de la cravate. Le guindé fait place au cool. Seulement voilà : la spontanéité n’est pas toujours cool. Elle peut être brutale. Voici que, des injures aux crachats, de l’empiétement sur le domaine d’autrui, par des comportements toujours plus bruyants et péremptoires, aux agressions contre les détenteurs de l’autorité qui se sont multipliées depuis la poubelle de Ricœur, les incivilités envahissent l’espace et pourrissent l’existence. La civilité nous revient par l’intermédiaire de son antonyme et nous nous apercevons que l’inhibition n’est pas un rappel à l’ordre, comme on le disait en 1968, c’est un rappel à l’autre.

Pour ses nombreux laudateurs, Mai 68 est un événement planétaire. Dans le chapitre de L’Histoire mondiale de la France qui porte sur cette grande césure, Ludivine Bantigny affirme qu’une même contestation visait partout l’ordre établi et que dans le mouvement étudiant parisien on savait ce qui se passait à Berlin, à Trente, à Louvain, et on était en phase aussi avec les événements de Prague ou de Varsovie. Eh bien c’est faux, on n’était pas en phase, on projetait. Kundera l’a dit, mais qui écoute encore aujourd’hui Kundera ? Mai 68, écrit-il, « c’était une révolte des jeunes. L’initiative du Printemps de Prague était entre les mains d’adultes qui fondaient leur action sur leur expérience et leur déception historique. La jeunesse, certes, a joué un rôle important dans ce Printemps, mais non prédominant. Prétendre le contraire est un mythe fabriqué a posteriori en vue d’annexer le Printemps de Prague à la pléiade des révoltes estudiantines mondiales. » Et Kundera poursuit cette très éclairante comparaison : « Le Mai parisien mettait en cause ce qu’on appelle la culture européenne et ses valeurs traditionnelles. Le Printemps de Prague, c’était une défense passionnée de la tradition culturelle européenne dans son sens le plus large et le plus tolérant du terme, la défense autant du christianisme que de l’art moderne, tous deux niés pareillement par le pouvoir. » Le mot même de tradition hérissait les soixante-huitards et même les faisait éclater de rire. « Cours camarade, le vieux monde est derrière toi », disaient-ils. L’antiélitisme a commencé alors sa fulgurante carrière. La notion même de culture était contestée au nom de l’équivalence des goûts, des pratiques et des discours. Le pas était ainsi franchi, de la grande proclamation émancipatrice, tous les hommes sont égaux, à l’affirmation nihiliste, tout est égal. Kundera rappelle que ce sont les films, le théâtre, la littérature qui ont, tout au long des années 1960, préparé le Printemps de Prague, et que c’est l’interdiction à Varsovie d’une pièce de Mickiewicz, le grand poète romantique polonais, qui a déclenché la révolte des étudiants. Commentaire de Kundera : « Ce mariage heureux de la culture et de la vie marque les révoltes centre-européennes d’une inimitable beauté dont nous, qui les avons vécues, restons envoûtés à jamais. »

Nous n’avons pas vécu ces moments extraordinaires mais, à l’occasion du cinquantenaire, nous aurions pu essayer d’en recueillir le sens. Tel n’a pas été le cas. L’occasion de sortir du nihilisme n’a pas été saisie, car les cosmopolites autoproclamés, qui revendiquent l’héritage de 68, sont en fait des provincialistes. Ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez.

Mireille Knoll

Le 26 février 2006 a eu lieu une manifestation à la mémoire d’Ilan Halimi qui, après une longue séquestration et de terribles tortures, venait d’être assassiné par le « Gang des barbares ». J’y étais et j’ai constaté que derrière les représentants des principales forces politiques du pays, il n’y avait pratiquement que des Juifs. Nous étions entre nous, impitoyablement communautarisés par les autres Français qui ne voyaient pas une cause à défendre dans ce fait divers atroce. Certains devaient penser que le mobile des tueurs n’était pas l’antisémitisme, mais l’appât du gain. Les habitués gauchistes des manifestations, quant à eux, ne voulaient pas défiler derrière le CRIF, ce « lobby sioniste », comme ils disent, et les assassins n’avaient pas, à leurs yeux, le bon profil identitaire. Ils ne se seraient pas fait prier s’il s’était agi de nervis du Front national, mais l’antifascisme était pris à contrepied, et ils ne voulaient surtout pas stigmatiser, à travers les tortionnaires d’Ilan Halimi, la jeunesse en déshérence des quartiers dits « populaires ». À la tristesse du deuil s’ajoutait la mélancolie du délaissement.

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Pour Mireille Knoll, assassinée dans son appartement parisien soixante-dix ans après avoir échappé à la rafle du Vél’ d’Hiv, les Juifs n’étaient plus seuls. C’était, pour quelques-uns d’entre nous, un réconfort. Pas pour tous : le président du CRIF a fait savoir que les représentants du Front national et de la France insoumise n’étaient pas les bienvenus à cette marche blanche, et des jeunes gens excités de la Ligue de défense juive ont, par leurs insultes, contraint la police à exfiltrer les uns et les autres de la manifestation. Il était indigne de rompre ainsi le silence du deuil et il ne revenait pas aux Juifs de briser l’unité républicaine contre la barbarie qui les vise.

Si le parti de la France insoumise était en tous points sur la même ligne que les Indigènes de la République, il aurait dénoncé le caractère « sioniste » de cette mobilisation. Mélenchon a fait un autre choix, il faut s’en féliciter. Le Front national n’est plus un parti antisémite, même s’il y a encore des dinosaures pétainistes et révisionnistes comme Bruno Gollnisch en son sein. Ce ne sont pas les militants du Front national qui crient « Mort aux Juifs ! » dans les rues de Paris. Nous devons en prendre acte, au lieu d’habiller ce parti d’oripeaux qu’il ne porte plus.

Qu’on m’entende bien : je n’ai aucune indulgence ni pour le Front national ni pour la France insoumise. Le parti de Marine Le Pen n’est plus fasciste, mais c’est un parti poutino-trumpiste, deux raisons pour le combattre. Quant à Mélenchon, je n’oublie pas qu’il a osé dénoncer les prétendues accointances de Manuel Valls avec l’extrême droite israélienne, et si je l’avais oublié, le texte qu’il a publié sur son blog le lendemain de la marche pour Mireille Knoll m’aurait rafraîchi la mémoire. Mélenchon présente la Ligue de défense juive comme une milice du CRIF, ce qui, je cite ici Richard Prasquier, est un « stupéfiant mensonge. Tous les présidents du CRIF, depuis une vingtaine d’années, ont été traînés dans la boue par ce groupuscule. » Il affirme aussi que, selon le CRIF, « pour défendre la France, il faut être solidaire de la politique d’un État étranger et des crimes de son gouvernement ». Et il fait cet étrange aveu : « J’ai la prudence de ne pas écrire davantage ce que je pense quant au fond sur le danger qu’est, pour la patrie républicaine, ce type de communautarisme. » Que nous dirait-il, Mélenchon, s’il n’était pas retenu par cet interdit prudentiel ? En tout cas, il ne s’est jamais montré aussi agressif envers le communautarisme islamique. Il soigne son électorat, et quand il invoque la laïcité, c’est pour mieux pourfendre le concordat d’Alsace-Moselle. Il faut donc rester sur le qui-vive, mais aucune organisation juive n’a le droit de s’ériger en propriétaire de l’émotion suscitée par la mort de Mireille Knoll. Cette émotion n’est pas privatisable, on ne peut en exclure 40 % de l’électorat, c’est ce qu’a dit le fils de Mireille Knoll, et je le dis ici après lui.

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Le vrai plan qui sauverait les banlieues

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"La Haine", un film de Matthieu Kassovitz.

Avec ses 48 milliards pour les « cités », le concepteur du plan banlieues Jean-Louis Borloo espère acheter le vivre-ensemble au prix du déshonneur.  Or, si ce plan anachronique est mis en œuvre, la France récoltera et la guerre civile et le déshonneur. 


Que la thérapie Borloo soit inefficace ne signifie pas que le mal qui ronge les banlieues ne doit pas être rapidement et massivement endigué. Bien au contraire, il est urgent de reconquérir les territoires perdus. Il en va de l’honneur du pays des droits de l’homme qui ne saurait tolérer que, sur son sol, des gamins encapuchonnés et armés fassent baisser la tête aux habitants des « cités ».

Au Moyen Âge, « ban-lieu » désignait d’ailleurs le lieu du ban, c’est-à-dire l’endroit où le seigneur rendait la justice. D’où les termes « bannis » ou « forbans ». Quelle ironie lorsque l’on songe à ce que sont devenus les environs de la cathédrale Saint-Denis !

Y rétablir l’ordre s’impose également comme un impératif d’ordre public. Le périphérique ne protègera pas plus la France de la violence qui gangrène les cités sensibles que la ligne Maginot ne l’avait protégée des envahisseurs. Le risque du retour de la violence mimétique n’est plus extérieur. Il réside dans l’affrontement entre deux modèles de société.

Pour réduire la fracture ouverte entre la France des banlieues et le reste du pays, il est indispensable d’adopter un train de mesures énergiques. Un tel traitement de choc matériellement et juridiquement possible semble symboliquement et moralement impensable à certains. Pourtant, ce  plan banlieue alternatif écarterait le spectre d’une guerre civile en ramenant les fameux territoires perdus dans le giron de la République. Il pourrait tenir en six mesures.

Légaliser le cannabis

La première consisterait à légaliser la consommation et la vente des drogues douces (herbe et résine de cannabis). Ce faisant, on ne liquiderait pas le gravissime problème que soulèvent la consommation et la vente de stupéfiants mais on transformerait de nombreux dealers en commerçants ordinaires. Beaucoup de caïds y regarderaient à deux fois avant de rester dans la marge, compte tenu du coût de l’illégalité (violences, emprisonnement). Deux fois sur trois, c’est pour protéger leur territoire que les dealers organisent des soulèvements et excitent la piétaille des « chouffeurs » qui font le guet. Les tribunaux et la police étant saturés par cette petite criminalité qui cause beaucoup de tort aux habitants, il convient d’y mettre un terme.

La deuxième mesure s’inspirerait des méthodes des imams salafistes et les dealers qui se font obéir au doigt et à l’œil de jeunes soi-disant incontrôlables. Comment réussissent-ils là où nous échouons ?  Tout simplement parce qu’ils ont compris que la seule chose que respectent les jeunes des cités, c’est le courage physique. Dealers ou islamistes n’exaltent pas la tolérance ou le vivre-ensemble mais la force et la certitude. Installer un rapport de force, disposer de certitudes inébranlables et dominer les groupes et non les individus, voilà leur secret.Le seul moyen de reprendre le contrôle des jeunes turbulents des banlieues serait de rétablir un service militaire fondé sur l’apprentissage de la discipline, des armes et le respect du drapeau. Un service militaire qui ne leur serait pas réservé mais qui, au contraire, permettrait un brassage générationnel et inclurait les filles. Trois ou quatre mois de classe seraient plus efficaces pour dégager une élite d’officiers et de sous-officiers chez les jeunes français de toutes origines et de tout sexe que l’académie « des dealers » proposée par Borloo.

Passer (enfin) le Kärcher

Tenons enfin la promesse jadis lancée par Sarkozy du Kärcher. Une troisième mesure consisterait ainsi à frapper très fort et de manière foudroyante contre le crime organisé en banlieue. Un déploiement des forces armées, si la police et la gendarmerie ne suffissent pas, devrait libérer les banlieues de l’occupation de la minorité de malfaisants qui y caillassent les pompiers. La mission des forces de l’ordre serait de saisir les armes, les produits stupéfiants et l’argent liquide mais aussi d’incarcérer les fauteurs de trouble et d’expulser les fichés S. Il faudrait agir sous le contrôle du pouvoir judiciaire mais avec une législation durcie.

La quatrième mesure serait économique. Il s’agirait de rompre avec la politique austéritaire. Au lieu de dépenser 48 milliards en cinq ans pour les banlieues, cessons de rembourser 44 milliards d’intérêts d’une dette qui n’est plus remboursable et cessons de contribuer à hauteur de 20 milliards par an au budget de l’UE. L’investissement massif dans les nouvelles technologies et dans les infrastructures partout sur le territoire national ferait repartir une croissance française qui s’époumone à 1,5% par an. Ceci est bien sûr inenvisageable dans le cadre imposé par la BCE et par la politique macroéconomique dictée par les traités européens.

Suspendre le regroupement familial

Si l’islam et l’immigration sont loin de résumer la question des banlieues, ils en sont néanmoins le cœur. La nécessité de concordat à l’égard de la religion musulmane en France formerait un cinquième chantier. Il faudrait également avoir suffisamment d’estomac pour tenir un langage de clarté et d’exigence à l’égard de l’Islam de France à la mode de ce que Bonaparte avait su faire avec le judaïsme. A cet égard, l’entretien que Jean-Louis Borloo a accordé au Monde est un morceau d’anthologie du politiquement correct : pas un mot sur l’islamisation des quartiers ou l’immigration en deux pages d’entretien !

Si le Grand remplacement n’existe pas, les banlieues révèlent bel et bien que des  petits remplacements localisés sont en cours. Il est essentiel de stopper ce mécanisme infernal avant qu’il ne soit trop tard. Pour cela, déracialisons la question migratoire. Comme l’illustrent la Guyane ou les banlieues, les Français de toutes origines veulent limiter drastiquement les flux humains entrants.

Ayons donc le courage de raccompagner massivement chez eux, c’est-à-dire par centaines de milliers les irréguliers. Ayons aussi l’audace de suspendre le regroupement familial.

Lorsque Borloo évoque le risque d’une fracture, il se trompe, la fracture est là. Si nous n’agissons pas promptement pour la refermer,  il faudra un jour amputer. Comme disait Bernanos, les optimistes n’ont pas pitié des hommes.

Liberté, égalité, débilité

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Université Paris-8 de Saint-Denis occupée, Crédit : Daoud Boughezala.

Remplacer la « fraternité » républicaine par « l’adelphité » serait une hérésie linguistique. Car la fraternité n’a pas de sexe. N’en déplaise à certains militants, les langues ne se charcutent pas en fonction d’impératifs idéologiques.


Le Haut conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes a récemment proposé de remplacer « Liberté, Egalité, Fraternité » par « Liberté, Egalité, Adelphité ». Au nom de la morale : la fraternité, c’est sexiste.

Quels abrutis pseudo-étymologisants vont donc inventer des connotations sexistes aux mots qui n’en avaient pas ?

Et quand je dis « des abrutis », il s’agit d’un pluriel inclusif car mon humanisme instinctif me souffle que ce Haut conseil abrite en son sein unisexe des abrutis-mâles autant que des abrutis-femelles (scandaleusement invisibilisées par un pluriel sexiste — supprimons le pluriel qui regroupe sans distinguer !).

Niché au creux de la fière devise française, la notion de fraternité est la plus inclusive qui soit. Pourtant, par la même aberration consistant à prendre au pied de la lettre l’étymologie de patrimoine, on a décidé que le terme était sexiste.

A lire aussi: « Fraternité » et « droits de l’homme » supprimés : la Constitution inclusive est née

C’est refuser de voir l’évidence : le mot fraternité est justement d’un emploi asexué et inclusif. Il ne désigne pas en français contemporain le rapport de filiation entre frères, mais le sentiment de proximité entre les gens. Le mot fraternité est donc dénué de référence sexuelle.

En fait, le mot fraternité est l’illustration même d’une évolution sémantique dont le trait masculin s’est progressivement effacé au bénéfice du motif d’englobement. Depuis longtemps, fraternité désigne le rapport entre les humains, y compris les rapports entre femmes et hommes :

On va jusqu’à dire que le Roi aurait vécu trois ans « en fraternité » près de sa femme (La Varende, Anne d’Autriche,1938, p. 15), cité par le Trésor de la Langue Française

Entre frère et sœur :

… voyez Électre. Elle s’est déclarée dans les bras de son frère. Et elle a raison. Elle ne pouvait trouver d’occasion meilleure. La fraternité est ce qui distingue les humains. Giraudoux, Électre,1937, I, 13, p. 109), cité par le Trésor de la Langue Française

Entre personnes partageant quelque chose :

Unis dans la même souffrance pendant quatre ans, (…) nous avons gagné notre solidarité. Et nous reconnaissons avec étonnement dans cette nuit bouleversante [du 25 août 1944] que pendant quatre ans nous n’avons jamais été seuls. Nous avons vécu les années de la fraternité. Camus, Actuelles I,1944-48, p. 24), cité par le Trésor de la Langue Française

Et même entre les humains et les animaux :

Il y a fraternité complète entre l’Arabe et le cheval, comme entre nous et le chien (Lamart., Voy. Orient,t. 2, 1835, p. 242) ), cité par le Trésor de la Langue Française.

On conçoit cette ardente fraternité qui unissait saint François à la nature entière animée et inanimée (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. CVI) ), cité par le Trésor de la Langue Française.

A lire aussi: Liberté, égalité… « adelphité »: une instance officielle veut effacer la « fraternité »

Bref, l’évolution sémantique a privilégié un motif (la proximité affective) au détriment d’un autre (le rapport entre frères). Les militants de l’inclusivité font semblant de ne pas le remarquer. Ou alors ils sont authentiquement sourds à tout ce qui ne correspond pas à leur grille de lecture idéologique. Cela dit, l’un n’empêche pas l’autre : on peut être stupide et manipulateur. L’idéologie, ou « l’art de se convaincre des idées fausses » comme le disait le sociologue Raymond Boudon, est après tout un ressort narcissique puissant qui permet de se penser en justicier vengeant les injustices du monde. Sauf que les mots ne se réduisent pas à leur étymologie.

Comme le rappelle brillamment le regretté linguiste Pierre Cadiot :

« Il est nécessaire de distinguer plusieurs aspects hétérogènes du sens d’un mot :

– un aspect interne : celui qu’a le mot dans son miroir. Ce que le mot peu ou prou énonce ou raconte, parfois parce que c’est, croit-on, son « étymologie » : le mot boucherparle de « bouc » mais un boucher vend d’autres viandes que de bouc ; on ne met pas dans un panier que du pain, ce qui était le cas à l’origine du latin panarium ; l’orgeat est une boisson à base d’orge, pas de chance, il s’agit désormais d’amandes, etc. Autrement dit, les mots ont bien meilleure mémoire que les faits, infiniment : leur hystérésis se mesure à l’échelle historique ;

– un aspect externe : ce à quoi le mot sert à un moment, son usage référentiel, historiquement contingent : le mot atomeveut dire insécable, mais on le garde même une fois bien établie sa « seccabilité » ; le mot boucher sert à désigner les marchands de viande, alors qu’il désignait jadis un équarisseur ; le mot hôte signifie « accueil », en contradiction au moins apparente avec l’apparentement historique à latin hostis (qui voulait surtout dire « ennemi », ou « étranger », etc.). Il y a là le principe d’une optimisation systématique de l’arbitraire du langage. » (Pierre Cadiot, « Chapitre 11. Sur l’indexicalité des noms », in Danièle Dubois, Catégorisation et cognition : de la perception au discours, Editions Kimé « Hors collection », 1997, p. 243-269.)

Les langues ne s’organisent pas en fonction d’impératifs dogmatiques issus de systèmes philosophiques et politiques mais de systèmes d’opposition structurels qui échappent au contrôle des locuteurs qui en sont pourtant les producteurs. Il en va de la nature du langage qui n’est pas un objet manufacturé dont un contrôle qualité idéologique pourrait décider de la validation. La portée des mots change et ces modifications entraînent le système entier de la langue qui n’est fait que d’oppositions. Ces principes structurels sont au cœur de l’étude du langage, ainsi que l’arbitraire des évolutions au niveau historique. Il n’a jamais existé de créateur (ni de créatrice !) du langage qui l’aurait conçu de manière à propager une philosophie.

Seules les dictatures, en particulier nazi et soviétique, ont tenté de forcer les populations à adopter leur langue de bois pour les mettre en conformité avec la pensée qui était l’émanation du pouvoir du moment.

Seul un militantisme d’intimidation et/ou une profonde bêtise sémantique pourrait voir dans le mot fraternité une menace sociale. Il existe visiblement des demi-habiles, capables de repérer une racine mais pas de comprendre l’usage d’un mot en contexte, qui sont suffisamment haut placés pour dicter à la population comment parler et à la nation comment s’afficher. Au nom de leur morale étroite et doctrinale, ils introduisent une division dans la nation, soufflant sur les braises d’une guerre des sexes imaginaires qui est en passe de remplacer la lutte des classes pour les trublions désireux de se poser en directeurs de conscience.

La puissance du grotesque n’en finit plus de s’exhiber avec des revendications militantes d’autant plus décalées qu’elles oublient la nature des vrais combats féministes à mener — peut-être contre la misogynie de certaines populations de banlieues, par exemple ? Ou l’invisibilisation de la femme par le voile islamique ?

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Le multiculturalisme, une arme pointée vers l’Occident

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Justin Trudeau rend visite à des membres de la communauté indienne de Montréal, août 2017. SIPA. AP22092716_000002

Vingt-huit ans et déjà quatre essais. Le Québécois Jérôme Blanchet-Gravel, qui vient de publier La Face cachée du multiculturalisme aux Editions du Cerf, poursuit son travail de démolition de la bien-pensance actuelle.

Il l’avait commencé en s’attaquant aux tendances anti-occidentales et islamistes de la gauche multiculturaliste, qui embrasse sans réserve la cause palestinienne et qui, en dépit des courants intégristes de cette religion, idéalise l’islam sous la figure d’une force émancipatrice censée pouvoir contrer le capitalisme (Le nouveau triangle amoureux : gauche, islam et multiculturalisme). Son second livre, Le retour du bon sauvage. La matrice religieuse de l’écologisme, ébranlait encore la pensée dominante. Distinguant l’écologie, qui est la science de l’environnement, et l’écologisme, qui en est la dérive idéologique, l’auteur définissait le fondamentalisme écologiste en mettant en lumière son caractère apocalyptique et traditionnaliste qui le conduit à verser dans une vision apologétique des cultures primitives, considérées comme les seules aptes à sauver la planète de la crise écologique engendrée par le modèle de développement de l’Occident.

La troisième salve fut collective. Dans L’islamophobie, réalisé sous sa direction, les auteurs d’origine française et québécoise font voir sous différents angles comment les islamistes se servent de ce concept trompeur pour empêcher toute critique de l’islam et couvrir leurs menées politico-religieuses dans les sociétés occidentales.

Orientalisme et « écoromantisme »

C’est non sans une certaine logique que son dernier bébé est donc consacré au multiculturalisme. Au Canada, la notion a été érigée dans la Constitution en principe fondateur de l’identité du pays. Le multiculturalisme, ce courant idéologique qui conduit à la mise en place de politiques qui encouragent l’expression des particularités des diverses communautés et qui définissent avant tout les citoyens en fonction des groupes ethniques ou religieux auxquels ils appartiennent.

Jérôme Blanchet-Gravel l’examine non pas seulement sous l’angle sociologique ou politique, mais surtout du point de vue de l’imaginaire. Il s’attache à démonter les représentations, les mythes et les utopies sur la diversité dont le multiculturalisme imprègne l’Occident dans l’espoir de le transformer. Un multiculturalisme dont il identifie deux sources principales, chacune faisant l’objet d’une partie de l’ouvrage : l’orientalisme et l’« écoromantisme », néologisme désignant la symbiose du romantisme et de l’écologisme autour de leur fantasme commun du pouvoir rédempteur des cultures traditionnelles.

Dans la première partie sur l’orientalisme, il est question du grand rêve de refondation spirituelle de l’Occident par l’Orient qui a pris naissance au XIXe siècle et qui a été particulièrement entretenu dans la première moitié du XXe siècle par René Guénon, philosophe français converti à l’islam à la fin de sa vie. Cette fascination des cultures et des religions orientales a marqué durablement les jeunes de la contre-culture des années 1960-1970. Elle s’observe aussi par l’attraction que l’islam exerce, malgré ses dangereuses dérives, auprès des intellectuels de gauche qui s’entêtent à voir dans cette religion une civilisation phare du passé et un contrepoids au matérialisme déshumanisant de l’Occident capitaliste. Jérôme Blanchet-Gravel démontre comment l’orientalisme a transmis au multiculturalisme sa xénophilie inconditionnelle et son ouverture tout azimut à l’Autre. Les vivre-ensemblistes voient les religions étrangères comme des vecteurs incontournables d’authenticité et de régénération, ce qui explique leur rejet de la laïcité en France.

La deuxième partie nous amène à constater que le romantisme et son pendant moderne, l’écologisme, glorifient la tradition parce qu’elle serait plus pure et plus respectueuse de la nature, à l’encontre de la modernité qui, elle, serait affreusement aliénante et destructrice. Le penseur le plus radical de cette mouvance primitiviste que critique Jérôme Blanchet-Gravel est l’anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro, gourou universitaire opposé au métissage. Comme l’indique le titre du sixième chapitre, le multiculturalisme, en s’alliant à l’écoromantisme, passe de la défense des réserves fauniques à celle des réserves identitaires.

Le multiculturalisme n’est pas un progressisme

Les sociétés traditionnelles, formes originelles de l’espèce humaine, seraient à préserver afin de conserver la diversité culturelle et religieuse de l’humanité, au même titre que l’on doit préserver toutes les espèces vivantes pour protéger la biodiversité. L’auteur dénonce cette philosophie acritique qui hypostasie la notion de diversité culturelle et qui propose une vision toute angélique et passéiste du devenir humain.

Les multiculturalistes renoncent à l’idéal républicain pour retourner au communautarisme, à la tradition et à la croyance. Contrairement aux préjugés qui circulent à son sujet, le multiculturalisme ne constitue pas un projet libéral et progressiste. Tout au contraire, il est essentiellement réactionnaire et anti-occidental, car il veut obliger l’Occident à fractionner la société en une multitude de clans emmurés dans le passé.

Ainsi que l’a écrit le sociologue Michel Maffesoli dans sa préface, « le livre de Jérôme Blanchet-Gravel donne à penser ». Et à s’inquiéter du sort de notre monde…

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Culture: faites votre grand ménage de printemps!

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Monica Vitti dans "Le canard à l'orange".

Cessez toute activité ! Oubliez les grèves perlées, le gouvernement empêtré, les usagers résignés et les médias à la ramasse. Procurez-vous de toute urgence Le canard à l’orange, un film inédit en France de Luciano Salce. Il vient de sortir en DVD dans une version restaurée en haute définition chez ESC éditions dans la collection « Edizione Maestro ». Chez nous, Salce est moins connu que Risi mais l’œuvre de ce maître mérite un visionnage attentif. On lui doit notamment le très réussi La voglia matta avec Catherine Spaak en 1962.

Le canard à l’orange au menu DVD

Dans cette comédie italienne de 1975, il réunit ce qui se fait de meilleur dans le genre. Ugo Tognazzi et Monica Vitti forment un couple marié depuis dix ans et se laisse emporter par les joies de l’infidélité. L’adultère comme mécanique des fluides. C’est spirituel, enlevé, coquin et désabusé comme un bon boulevard romain. L’ironie tendre d’un cinéma dont chaque dialogue déclenche un rire amer et une étude des caractères qui nous éclaire sur l’époque. Le réalisateur a l’œil du sociologue et la fantaisie du meneur de revue. Contrairement à nos intellos hexagonaux, sérieux comme des papes, qui pratiquent un cinéma d’auteurs à se suicider. Pour ce rôle, Monica a remporté le Prix David di Donatello 1976 de la meilleure actrice ainsi que le Prix Ruban d’argent. Il y est question d’amants et de maîtresses, de pince-fesses et de mensonges en cascade, dans le décor confiné d’une bourgeoisie Seventies. La société de consommation et les modes venues d’outre-Atlantique déferlent sur une Italie traditionnelle. Ce choc des civilisations est irrésistible. Hugo Tognazzi cabotine, et puis surtout, Monica sensuelle et drôle, montre l’étendue de son immense talent. Dans le registre comique, elle fanfaronne à tout-va. A noter la présence bombesque de Barbara Bouchet en secrétaire légère et écervelée. Un numéro de composition aussi désarmant que sa plastique d’Aphrodite.

Qui se souvient de Raymond Mauriac?

Côté lectures, le printemps réserve des moments intenses surtout quand il s’agit de revisiter deux légendes : Rostand et un certain R. Mauriac. Toute son existence, Rostand (1868-1918) a été contraint à l’exploit. Quand on a écrit Cyrano de Bergerac à moins de trente ans et que l’on a été élu à l’Académie française à 33 ans, le public attend de vous du panache dans chaque pièce, dans chaque réplique. Rostand n’était pas un surhomme. Hypocondriaque et dépressif, la gloire pèsera lourd sur sa destinée. De ses premiers poèmes naïfs à la construction de sa villa Arnaga au Pays basque, François Taillandier lui dresse un portrait psychologique sur-mesure, plein de finesse et d’envolées lyriques dans L’homme qui voulait bien faire. « J’aimais les rimes, les belles tirades, tout cet apparat d’une parole poétique ritualisée, magnifiée » écrit-il, pour mieux nous faire comprendre son amour pour ce malade flamboyant. Une biographie comme on les aime, admirablement écrite, qui s’approche au plus près de l’œuvre et de l’homme.

Qui se souvient de Raymond Mauriac ? Pas François, la gloire des lettres, ni Pierre, le médecin, ni même Jean, le prêtre, non l’aîné, l’obscur avoué. Cet inconnu des biographes et des universitaires dont la trace a quasiment disparu, fut un véritable écrivain avec une langue propre, un rythme landais, une noirceur à se damner et une plume complètement originale. Les éditions Le festin sortent deux livres sur ce sujet mystérieux qui fut englouti sous l’aura du cadet nobelisé. Raymond Mauriac, frère de l’autre de Patrick Rödel qui a eu accès au fonds François Mauriac de la bibliothèque municipale de Bordeaux, a produit un ouvrage passionnant d’érudition et de sensibilité. Un conseil aux jurys des Prix d’automne, lisez-le ! Au travers d’une correspondance réelle et/ou imaginée, il redonne vie à ce frère oublié. Cet essai ouvre des champs littéraires jamais encore exploités, notamment sur les rapports entre les deux frères, le célèbre et l’autre.

L’héroïne la plus érotico-nostalgique de la BD

A cette occasion, Le festin édite Individu, le roman de Raymond paru sous le nom d’Housilane chez Grasset et couronné du prix du Premier roman en 1934. Enfin, un roman en bande-dessinée comme on le disait encore à la fin des années 70 au lancement de la revue (A suivre), le dernier volet des aventures de Jonas Fink intitulé Le libraire de Prague est bien là. Vous ne rêvez pas. Après L’Enfance en 1994 et L’Apprentissage en 1997, nous n’avions plus de nouvelles de Jonas, la création de Vittorio Giardino. On le retrouve donc à Prague en 1968 pendant le Printemps. Depuis vingt-et-un ans, nous nous demandions où se cachait Tatjana, l’héroïne la plus érotico-nostalgique de la BD mondiale. Elle porte toujours des lunettes aphrodisiaques. Un classique à posséder absolument dans sa bibliothèque.

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Drappier, chronique d’une cuvée de Champagne

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Un pur rosé de saignée, expressif, franc et non filtré, délicieux sur un saumon de l'Adour

Le visiteur égaré au fin fond de la Champagne se demande comment cette région grise et déprimante peut engendrer un vin devenu un symbole universel de fête. Mais les temps n’ont pas toujours été aussi florissants.


On peut reprocher aux soixante-huitards bien des choses, mais accordons-leur au moins d’avoir su garder le sens de l’humour et même parfois (vertu suprême !) de l’autodérision. Ainsi l’honorable maison de champagne Drappier, connue pour avoir fourni le général de Gaulle à La Boisserie, dix années durant, vient-elle de livrer plusieurs caisses de « cuvée Charles de Gaulle » à des anciens de Mai 68 (leurs noms ne nous ont pas été communiqués) désireux de célébrer les 50 ans de l’événement le mois prochain. « Cela ne manque pas de sel, en rigole Michel Drappier, la soixantaine élégante, qui roule dans une DS noire de 1969 et porte une montre Lip vintage automatique (le même modèle que celui créé pour le Général). « En mai 1968, de Gaulle et les vignerons de Champagne passaient pour être des suppôts du capitalisme. Aujourd’hui, il n’y a pas plus consensuel… »

« Un vrai champagne n’exhibe pas ses qualités. […] Il doit se retrancher dans une forme de sobriété »

Même si vous êtes allergique aux commémorations, laissez-vous servir une coupe, car, on l’ignore trop souvent, c’est au printemps que le champagne se déguste le mieux. Autrefois (il y a quelques siècles), les vins de Champagne repartaient naturellement en fermentation dès le mois d’avril, sauf que cette effervescence n’était pas désirée. Aujourd’hui, tout est fait pour qu’ils pétillent, mais, pour peu qu’on ait le palais un peu sensible, on ressent encore cette poussée de sève à l’œuvre au fond des bouteilles, comme une tension et une énergie qui rendent le vin particulièrement délectable au printemps.

Comment une région aussi sinistre et déprimante, presque ascétique, a-t-elle bien pu engendrer un vin pareil, devenu symbole universel de la fête et de la joie ? Étrangement, personne ne se pose cette question… Prenez donc le train au départ de Paris, un dimanche (merveilleux Intercités, moins cher et plus confortable que le TGV). Descendez à Bar-sur-Aube. Le ciel gris et poisseux vous tombe sur la tête. Alors que les paysages contemplés à travers la vitre du wagon évoquaient déjà les champs de bataille de 14-18, les rues vides de la ville donnent le sentiment qu’une bombe à neutrons a effacé toute trace de bipède. Ici, tout n’est que silence, travail et patience. Dans tous les villages de Champagne, c’est derrière les murs gris des grandes propriétés que se cachent l’aisance et la gloire champenoises. « Cet aspect janséniste, écrivait justement Jean-Paul Kauffmann, imprègne toujours le comportement des grandes maisons. […] Pas de nom à l’entrée. […] Mépris des apparences […]. Ce que confirme le dicton : “À bon vin, point d’enseigne.” […] Le champagne est un vin originellement austère. Les bulles font illusion. Avant l’effervescence, il est marqué par la raideur et l’intransigeance. […] Un vrai champagne n’exhibe pas ses qualités. […] Il doit se retrancher dans une forme de sobriété pour ce qui est des arômes et des bulles. Ce raffinement le distingue des autres vins pétillants. Le vieux fond champenois aime à entretenir l’idée d’une prédestination, la gratuité d’un don que le Ciel aurait octroyé à ce terroir, ce qu’on appelle la grâce[tooltips content= »Remonter la Marne, Fayard, 2013. »]1[/tooltips]. »

« Notre prozac à nous, c’est le champagne ! »

Comme Kauffmann, je ne suis pas loin de penser que le vin de Champagne résulte d’une grâce divine et qu’il est, à sa manière, un trait d’humour conçu pour libérer une énergie emprisonnée depuis des siècles. Plus un village champenois est sinistre, désert et mort, avec ses milliers de bouteilles enfouies et prêtes à exploser, plus ce village a d’humour… Ainsi en est-il d’Urville, dans le département de l’Aube, situé à mi-chemin entre Bar-sur-Aube et Colombey-les-Deux-Églises. Il y a encore un demi-siècle, Urville comptait plus de 600 habitants contre une petite centaine aujourd’hui. Pas de boulangerie, pas de bistrot, pas de pharmacie, rien ! La mort. « Comment faites-vous pour tenir ? demandé-je à Michel Drappier. Vous prenez du prozac ? – Le prozac, c’est un truc de citadin. Notre prozac à nous, c’est le champagne ! Nous en buvons tous les jours… Mon père, qui a 92 ans, a ainsi calculé qu’en 70 ans de vie active il a bien dû boire 27 000 bouteilles, soit environ deux par jour. Le champagne est riche en phosphore et excellent pour le cœur et le cerveau. »

Implantée ici depuis 1808, la maison Drappier est l’une des plus attachantes de toute la Champagne, et l’une des moins médiatiques. Ses plus vieilles parcelles ont été plantées par saint Bernard de Clairvaux lui-même, après 1115, pour produire son vin de messe. « C’était alors du bon vin rouge, à base de morillon noir (ancêtre du pinot noir bourguignon), et s’il lui arrivait de pétiller au printemps, c’était une “diablerie” ! Il fallait donc ouvrir les tonneaux et les bouteilles et agiter le vin afin que les bulles ensorcelées s’évanouissent. »

Michel Drappier, disciple moderne de saint Bernard de Clairvaux, devant sa parcelle fétiche de "La Grande Sendrée". Crédit photo Hannah Assouline.
Michel Drappier, disciple moderne de saint Bernard de Clairvaux, devant sa parcelle fétiche de « La Grande Sendrée ».
Crédit photo Hannah Assouline.

Michel Drappier, dont le visage, d’une façon très étrange, ressemble à celui du portrait de saint Bernard, voue un culte à ce grand personnage de la chrétienté médiévale : « Il avait lu les philosophes et les poètes grecs et latins, y compris L’Art d’aimer d’Ovide, ce qui était rare pour un cistercien. Sa culture était encyclopédique. Il s’intéressait aux techniques du travail du fer (il créa des forges qui subsistèrent jusqu’au xxe siècle), à l’exploitation des forêts, au travail du bois, à l’agriculture, au vin. C’était un stratège et un fin politique. Il fit connaître les vins de Champagne au roi de France et s’adonna au commerce afin de financer la construction de ses 350 abbayes dans toute l’Europe. »

Le champagne au temps du phylloxéra 

La maison Drappier repose toujours sur les sublimes caves voûtées du xiie siècle, construites par saint Bernard en 1152. « Il y laissait reposer les vins destinés à Louis VI le Gros, qui ne régnait guère que sur l’Île-de-France et ne buvait alors ni de bordeaux (propriété des Anglais) ni de bourgogne (propriété du duc de Bourgogne), le pauvre… Nous avons perpétué la tradition puisque nous fournissons aujourd’hui la présidence de la République. » 

Descendants de marchands de drap, les Drappier, pourtant, n’ont pas toujours connu pareille prospérité. Michel et son père André rappellent ainsi que, jusqu’au début des années 1950, ils faisaient partie de cette masse de vignerons prolétaires condamnés à vendre leurs raisins à bas prix aux grandes maisons de négoce qui faisaient alors la loi : « À l’époque, se souvient le père Drappier, les vignerons étaient pauvres et de gauche, et les agriculteurs, qui faisaient de la betterave et des céréales, riches et de droite. Aujourd’hui, c’est le contraire ! » Certains vignerons sont même devenus des stars internationales, comme Anselme Selosse, Pascal Agrapart et Francis Égly-Ouriet, dont les champagnes sont vendus à prix d’or. Résultat, un nouveau dicton affirme qu’en Champagne, un vigneron pauvre, c’est celui qui lave sa Mercedes à la main ! Mais que d’efforts pour en arriver là !

La première moitié du XXe siècle fut cataclysmique et les vignerons champenois crevèrent de faim. D’abord, il y eut la crise du phylloxéra venu d’Amérique qui ravagea 99% du vignoble. Ensuite, la guerre de 14-18, qui détruisit la région et supprima toute une génération d’hommes. En 1917, la révolution enflamme la Russie, alors le premier pays importateur de champagnes au monde… Puis vinrent la prohibition aux États-Unis, suivie de la crise de 1929, puis la Seconde Guerre mondiale et le pillage organisé par l’occupant nazi. Après guerre, ce fut le début de la révolte. André Drappier se souvient d’une assemblée de vignerons au cours de laquelle le marquis d’Aulan, propriétaire de Piper-Heidsieck, eut des mots durs et humiliants pour les vignerons de l’Aube, qu’il considérait comme des bouseux. Micheline Drappier, épouse d’André et mère de Michel, sortit alors de ses gonds, prit le micro, et, roulant les r avec son accent champenois, s’adressa au marquis pour lui dire en substance qu’il était quand même bien content d’avoir les raisins de la famille Drappier et qu’il ferait bien d’être plus respectueux s’il ne voulait pas que ses serfs ressortent leurs fourches, comme leurs ancêtres de 1789…

Et Chirac fit entrer le champagne Drappier à l’Elysée…

De ce jour, les Drappier, comme des dizaines d’autres vignerons, se mirent à leur compte et décidèrent de produire leurs propres vins en créant leur marque. En 1952, André et Micheline lancent leur premier champagne qu’ils baptisent « Carte d’Or », le jaune de l’étiquette symbolisant les notes de gelée de coing qui avaient frappé les sommeliers. Avec 80% de pinot noir, 15% de chardonnay et 5% de meunier, c’est aujourd’hui encore la cuvée « classique » du domaine, à la fois lumineuse, fraîche, riche et tonique, un nectar qui se goûte et se mâche à la bonne franquette…

Quelques années plus tard, le colonel Gaston de Bonneval, ancien aide de camp du général de Gaulle pendant la guerre et parrain de Michel Drappier, fit goûter ce champagne au grand Charles qui en apprécia immédiatement la bulle racée et le bon goût fruité (il le buvait au dessert, car à l’époque, les champagnes étaient beaucoup plus sucrés qu’aujourd’hui). De surcroît, du petit bureau de de Gaulle, dont les fenêtres donnent sur la plaine, on aperçoit au loin les vignes en coteaux du domaine Drappier. Un signe ? De Gaulle, pourtant, refusa que les champagnes Drappier fussent livrés à l’Élysée, dont la cave se devait, à ses yeux, d’être une vitrine de la France, avec ses marques les plus prestigieuses (Krug, Dom Pérignon, Taittinger, Pommery, etc.). Drappier, c’était pour sa consommation personnelle uniquement ! Le père Drappier se rappelle avoir livré ses caisses à La Boisserie, dans les années 1960, et y avoir croisé André Malraux. Toutes les factures, réglées rubis sur l’ongle par Madame de Gaulle, ont été conservées dans les archives. Les champagnes Drappier n’entreront à l’Élysée qu’en 2001 à la demande de Jacques Chirac.

Le parcours de cette sympathique famille illustre la façon dont la Champagne n’a cessé d’évoluer, de s’adapter et de se réformer pour rester au sommet de la hiérarchie des grands vins de France. Le passage de relais du père (André) au fils (Michel) symbolise ce moment charnière où une nouvelle génération de vignerons comprend qu’on ne peut plus faire pisser la vigne et traiter chimiquement les sols comme on le faisait depuis quarante ans. « Mon père est un homme que j’adore et que je respecte profondément. Je lui dois tout. Mais c’est un homme de sa génération. Après guerre, la découverte des herbicides et des produits chimiques fut perçue comme une libération ! On n’avait plus à désherber mécaniquement, on ne craignait plus de perdre une partie de sa récolte à cause des maladies. Quel gain de temps, d’énergie et d’argent ! Trente ou quarante ans après, il a bien fallu remettre en question tout cela, face à l’appauvrissement des sols, à leur érosion, sans parler des cancers contractés par les vignerons à cause des produits chimiques toxiques. Quand mon père m’a confié la responsabilité du domaine, en 1986, j’ai tout repris à zéro, quitte à susciter son incompréhension. »

Un million d’euros l’hectare

Conversion à l’agriculture biologique, labours au cheval, composts naturels, réduction des doses de sucre et de soufre dans les vins, diminution des rendements, élevages plus longs, retour en force des barriques en bois de chêne, recherche des expressions des terroirs et des lieux-dits – la Champagne compte plus de climats que la Bourgogne ! Bref, un vrai retour aux sources qui traduit, depuis 1990, un besoin d’authenticité, une volonté d’assigner une origine aux vins, loin de la Champagne industrielle pensée comme une usine à bulles, même si celle-ci prévaut toujours, hélas ! Comme beaucoup d’autres vignerons de sa génération (il a le même âge que Selosse, son condisciple au lycée viticole de Beaune), Michel Drappier a ainsi accompli sa révolution culturelle et œnologique. Résultat, ses champagnes racontent une histoire, ils ont une identité et une personnalité, ils sont sains et naturels, ils ne donnent pas mal à la tête, ils expriment le bon goût du raisin frais, à l’image de la désormais célèbre cuvée « Brut Nature », 100% pinot noir, zéro dosage et zéro soufre : un fruit absolu, pur, exprimant la minéralité de sols vieux de plus de deux cents millions d’années (les mêmes qu’à Chablis).

L’esprit de saint Bernard traverse aussi bien le monde qu’il a traversé les siècles ! Quand Barack Obama vint à Paris en juin 2014, il esquiva le dîner prévu avec Poutine et Hollande et s’en alla dîner dans un restaurant de poisson célèbre (Helen, dans le 8e arrondissement) où la sommelière lui servit ce champagne, qui lui a plu, et qu’il fait désormais venir chez lui, aux États-Unis.

Cependant, comme tous les vignerons qui se battent pour rester indépendants, Michel Drappier se heurte aux géants du négoce champenois. « Ils ont la capacité d’investir des millions d’euros dans la publicité et dans le foncier. Pendant qu’un vigneron vend péniblement ses 20 000 bouteilles, la grande maison, elle, en vend 20 millions partout dans le monde ! On ne joue pas dans la même cour. »

Il n’existe plus de terres vacantes et cultivables en Champagne. Quand un propriétaire décide de prendre sa retraite et vend une de ses parcelles, LVMH (Krug, Ruinart, Veuve Clicquot, Moët et Chandon, Dom Pérignon et Mercier) n’hésite pas à faire monter les enchères et à lui offrir le double de ce qu’il demande, sachant que le moindre hectare de vigne se vend ici au moins un million d’euros… « J’admire énormément Bernard Arnault, ce qu’il a fait est extraordinaire, assure Michel Drappier. Il représente le luxe à la française aux yeux du monde entier. Mais en tant que vigneron, je ne peux pas faire autrement que de le considérer comme un “ennemi”… S’il pouvait nous manger, il le ferait. Nous voulons simplement continuer à exister… »

Le juste prix

Comme nous l’expliquions en décembre dernier, trouver un bon champagne à moins de 25 euros la bouteille est très difficile, et payer plus de 100 euros revient à financer le coût marketing de la marque (plus que le travail réel dans la vigne et dans la cave). Le bon segment de prix se situe entre 30 et 80 euros. C’est exactement le créneau des champagnes Drappier : 32 euros pour le Carte d’Or, 35 euros pour le Brut Nature et, au sommet, 78 euros pour la grande cuvée de champagne rosé « Grande Sendrée » 2008 qui a été élevée dix ans en bouteille et qui est un véritable concentré de parfums avec une longueur en bouche phénoménale.

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Antisémitisme: ils en ont parlé ! Enfin presque…

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Claude Askolovitch, Dalil Boubakeur et Jean-Luc Mélenchon. SIPA. 00666774_000056 / 00769607_000018 / 00828781_000031

Le « manifeste contre le nouvel antisémitisme » a fait parler. Parfois pour le saluer, souvent pour le nuancer. Il serait « dangereux » de parler d’antisémitisme en France. Et encore plus de nommer ses adeptes… L’édito d’Elisabeth Lévy.


C’est vrai, mais il ne faut pas le dire. Depuis quinze ans, au bas mot, l’existence d’un antisémitisme que l’on continue, bizarrement, à dire nouveau pour éviter de dire d’où il vient, est le secret de polichinelle le mieux gardé de la République. Des palais du gouvernement aux bistrots, tout le monde sait qu’il existe, qu’il n’est pas le fait de crânes rasés, mais de barbus, que c’est à cause de lui que des juifs quittent le pays : aussi surprenant que cela soit pour un journaliste de France Inter, on peut vivre avec des vieux crabes qui chantent des chants nazis, pas avec des gens qui agressent vos gosses. Il n’y a plus un enfant juif, aujourd’hui, dans les écoles publiques de Seine-Saint-Denis, tout le monde le sait, et tout le monde sait pourquoi : parce que dans la France d’aujourd’hui, il est, sinon impossible, très difficile pour des juifs « isolés » de vivre dans des quartiers majoritairement peuplés de musulmans. C’est un fait. Et si c’est vrai, on doit le dire.

L’antisémitisme est un problème français

Pour de nombreux juifs, et pour tous les Français qui pensent que l’antisémitisme n’est pas le problème des juifs, mais celui de la France, le plus désespérant n’est pas la peur mais le déni, le plus révoltant n’est même pas la haine islamiste (dont ils ne sont d’ailleurs pas, tant s’en faut, les seules cibles), mais l’indifférence ou le scepticisme de nombre de leurs concitoyens, l’indignation sélective de presque toute la gauche politique, culturelle et médiatique, qui ne voit les antisémites que quand ils sont bien de chez nous. L’émotion suscitée dans tout le pays par la mort de Mireille Knoll, la onzième citoyenne française assassinée parce qu’elle était juive depuis 2006, puis la parution, dans Le Parisien du 22 avril, d’un « Manifeste contre le nouvel antisémitisme »[tooltips content= »J’ai oublié d’envoyer ma signature, mais le cœur y était. Bravo à Philippe Val pour cette opération. »]1[/tooltips] signé par 300 personnalités dont Nicolas Sarkozy, Manuel Valls et Laurent Wauquiez, ont fait penser à beaucoup que le mur du silence avait enfin cédé sous les coups de boutoir du réel. Pas de périphrase ni d’euphémisation et encore moins d’excuse sociale : la plume de Philippe Val n’a pas tremblé quand il a rédigé ce texte qui établit un lien direct entre la recrudescence des actes antijuifs et la terreur que font régner les islamistes sur les musulmans de France, affirme que « l’antisémitisme musulman est la plus grande menace qui pèse sur l’islam du XXIe siècle », et appelle l’islam de France à ouvrir la voie de la réforme en frappant d’obsolescence « les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants ».

Le danger de la vérité

Les signataires s’attendaient à susciter quelques remous et même, on peut toujours rêver, un débat sur la meilleure façon de nommer les choses. Au lieu de quoi on a d’abord assisté à diverses leçons de maintien prodiguées par des éditorialistes offusqués et des politiques circonspects, regrettant que le manifeste emploie tel terme plutôt qu’un autre et prenne l’exemple de ceci plutôt que de cela. « Texte à côté de la plaque », tweetait sobrement La France insoumise, où on doit tenir l’antisémitisme pour un sujet casse-gueule. Il aurait fallu « maîtriser son expression », regrettait Laurent Joffrin, professoral. Quant à Claude Askolovitch, qui a eu le temps, en moins de 24 heures, d’écrire 30 pages en réponse au manifeste, il n’a visiblement pas trouvé celui de le lire. En effet, il y a par exemple trouvé l’idée que « la défense du juif implique le refus de l’islam ». Qu’un homme aussi subtil ne comprenne pas la différence entre le refus de l’islam et le refus de certaines de ses expressions, voilà qui laisse songeur.

On a aussi eu droit à de multiples variations sur l’air rebattu du « pas d’amalgame », jusqu’à celle de Jean-Pierre Chevènement, qu’on a connu mieux inspiré : le président de la Fondation pour l’islam de France a estimé qu’il était « dangereux de désigner “un nouvel antisémitisme musulman”, comme si tous les musulmans avaient tété l’antisémitisme avec le lait de leur mère ». On aimerait comprendre pourquoi il est dangereux de désigner « un nouvel antisémitisme musulman » : est-ce parce qu’il n’existe pas ou parce qu’il existe, mais qu’il ne faut pas le dire ?

Boubakeur outragé, Boubakeur brisé, Boubakeur martyrisé…

Mais le plus édifiant a été la réaction outragée et pour une fois unanime des autorités musulmanes qui ont fait assaut de susceptibilité. Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris (qui est d’ailleurs traité de « Français » dans les quartiers salafisés) a évoqué « le procès injuste et délirant d’antisémitisme fait aux citoyens français de confession musulmane et à l’islam de France », tandis qu’une trentaine d’imams estimaient que l’idée selon laquelle le Coran contenait des appels au meurtre était d’une « violence inouïe » – cela signifie-t-il qu’elle est fausse ou qu’elle est dangereuse ? Aurait-on mal lu les versets concernés ? Sur ce point, silence radio.

A lire aussi: « Islamophobie »: les bobards de M. Boubakeur

L’indignation de ces honorables hommes de foi devant les crimes antisémites est parfaitement sincère. Seulement, il y a toujours un mais, et même plusieurs. Mais les discriminations. Mais les amalgames. Mais il ne faut pas confondre la religion d’amour et de paix avec l’islamisme. Personne ne prétend que tous les musulmans soient antisémites, en tout cas, pas les signataires de la tribune. Reste que, si l’antisémitisme n’a rien à voir avec l’islam, il faudra bien nous expliquer pourquoi tant de juifs quittent les banlieues islamisées comme ils ont quitté il y a plus d’un demi-siècle pratiquement toutes les terres d’islam. Sans doute une de leurs étranges lubies.

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Femmes, je vous hais: islamistes et masculinistes, même combat

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Scène de recueillement à Toronto après l'attentat du du 24 avril 2018. SIPA. AP22194415_000001

Une nouvelle attaque au véhicule bélier s’est déroulée il y a moins d’une semaine, le 24 avril, dans un des quartiers les plus vivants de Toronto, semant sur son passage un spectacle de désolation et de mort. Comme à Nice, comme à Londres, comme à Berlin, les principaux médias ont immédiatement imputé au véhicule lui-même la folie furieuse de son chauffeur afin de ne pas avoir à nommer (par prudence ou par lâcheté) le réel et ses causes. C’est donc une « camionnette folle » cette fois-ci, après les désormais célèbres « camion fou » et « voiture folle » qui, prise d’une crise de soudaine démence s’est ruée sur certains passants en zigzaguant habilement afin de faire le plus grand nombre de victimes choisies sur une distance d’environ deux kilomètres.

« Seulement » la haine des femmes

Tout dans le déroulement de cet attentat et dans son modus operandi semblait le raccrocher aux crimes islamistes dont les métropoles occidentales subissent les assauts répétés et auxquels il faut bien dire que les opinions publiques se sont en quelque sorte accoutumées : la nouvelle arrive, on intègre l’information, on l’évalue rapidement selon le nombre de victimes, on fustige son traitement médiatique et l’inefficacité politique, on se prépare à subir douloureusement la moraline padamalgamiste du chef d’Etat concerné qui ne saurait manquer de s’abattre à la manière d’un châtiment collectif – en l’occurrence ici celle, inégalable, du Premier ministre canadien Justin Trudeau -, on s’indigne, les tempéraments les plus doux disposent en offrande nounours, lumignons et roses blanches puis chacun reprend le cours de ses activités jusqu’à la prochaine attaque.

Sauf que, cette fois-ci, l’on apprend vite que le conducteur du véhicule, un certain Alek Minassian, étudiant de 25 ans originaire de l’Ontario, est l’auteur de la tuerie et que celle-ci n’aurait aucun rapport avec l’islamisme. L’individu serait « simplement » animé par une haine farouche envers les femmes, ce qui expliquerait que ce soit elles qu’il ait frappées quasi exclusivement dans sa course meurtrière. Il n’en faut pas davantage pour que l’événement soit illico presto rétrogradé au rang de simple fait divers tragique. Circulez (prudemment si possible), il n’y a rien à voir !

Si l’on considère pourtant que le terrorisme est un moyen utilisé par une idéologie – et pas forcément par une organisation structurée – afin de semer la terreur dans les populations civiles, cet acte constitue bien un acte terroriste, ayant fait en l’occurrence 10 morts et 14 blessés. De la même façon d’ailleurs, les actes islamistes commis par des personnes isolées pudiquement qualifiées de « loups solitaires » ou de « déséquilibrés », demeurent des actes terroristes (comme si, du reste, un terroriste pouvait être quoi que ce soit d’autre que déséquilibré psychiquement…) dans la mesure où ils sont commis au nom d’une idéologie criminelle qui utilise la terreur pour se faire entendre et gagner du terrain.

Accusées, couchez-vous

Avant son passage à l’acte, le tueur a laissé un message sur son compte Facebook permettant de le relier sans la moindre ambiguïté à la mouvance masculiniste, en l’occurrence les Incel (pour « célibataires involontaires »).

Ces individus mâles occidentaux, dont la prose désaxée permet à elle seule d’expliquer le célibat, oscillent constamment entre l’auto-complaisance geignarde, la victimisation et l’agressivité haineuse. Tout leur malheur vient des femmes qui, du fait de leur émancipation, ne sont plus des objets à libre disposition sexuelle. Ces dernières sont donc coupables du célibat involontaire des plaignants, préférant prétendument se tourner vers les hommes beaux et musclés, dénommés dans ce crypto-langage masculiniste les Chads. Il ne semble pas le moins du monde traverser l’esprit dérangé de ces curieux personnages que les femmes puissent aussi préférablement se tourner vers des hommes faisant bel usage de leur organe principal, à savoir leur cerveau…

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Comme dans tout système victimaire, l’individu ne se reconnaît pas responsable de sa situation : il en projette la faute sur quelqu’un d’extérieur à lui, sur une catégorie de personnes qu’il va rendre coupables à sa place de son malheur. On sait combien par exemple l’antisémitisme fonctionne selon le même processus mental. Le fantasme de toute puissance chez ces individus le dispute à l’impuissance réelle à laquelle leurs médiocres aptitudes relationnelles les réduit. La société occidentale démocratique est à leurs yeux le relais institutionnel des femmes libres, ces « féminazies » qui, en imposant leur domination sur le monde auraient réduit les hommes à la portion congrue. Cette idéologie, extrêmement virulente et active, est relayée par certains hommes divorcés qui ne supportent pas que celle qu’ils considéraient comme leur chose leur échappe, ou encore qui n’acceptent pas les décisions de justice confiant la garde des enfants du couple à la mère, ou tout simplement par certains hommes frustrés et vierges (comme c’est le cas revendiqué de nombreux Incel), c’est-à-dire des êtres no-life, socialement perturbés, et qui n’ont pas eu à perdre leur femme dans quelque divorce houleux puisqu’ils n’en ont jamais eu. La séduction heureuse (qui n’est pas la chasse), les efforts intellectuels, la construction sociale, sans même aller jusqu’à parler de sentiments, tout ceci ne les concerne pas puisque seule compte une sorte de retour fantasmatique à l’état de nature, état dans lequel leur propre naturel plaintif les placerait du reste en mauvaise posture.

Dans ce système idéologique, les femmes sont donc coupables, y compris de ce qu’elles subissent. La question du viol, par exemple, n’en est pas une : c’est bien fait pour elles, ce n’est que justice. Les femmes sont là, à disposition, pour être violées. En cas de désaccord, de résistance, le féminicide règle la question. En l’occurrence : tuer des femmes parce que ce sont des femmes.

L’internationale du féminicide

On le voit, les similarités avec la conception radicale islamiste de la condition féminine sont nombreuses. La femme violée est coupable car aguicheuse et non voilée, responsable de sa propre souillure, elle ne vaut pas même une pièce de deux euros qui peut passer de mains en mains, selon Hani Ramadan, le frère de celui qui ne semble pas penser bien différemment dans l’intimité révélée des chambres d’hôtel européennes: voilée ou violée, il faut choisir, et encore, la garantie de protection de la mode dite pudique n’est que superficielle. La femme qui ne se soumet pas à cet ordonnancement primaire et archaïque du monde peut/doit souffrir ou mourir. Les violences, les mariages arrangés, la polygamie, les crimes dits d’ « honneur » et qui font en réalité honte à l’humanité, les mutilations génitales que Justin Trudeau hésite à qualifier de « barbares » de peur d’en froisser les auteurs : tout ceci porte la même idéologie qui tient les femmes pour inférieures aux hommes et responsables de leurs problèmes. Et l’on se souvient bien sûr de ces deux jeunes filles égorgées et poignardées par un islamiste à Marseille en octobre 2017 ; l’on se souvient du tueur islamiste de la Manchester Arena qui visait spécifiquement des adolescentes au concert d’Ariana Grande lors de sa tournée Dangerous Woman Tour (tiens, tiens…) ; l’on se souvient des 276 jeunes nigérianes enlevées dans leur école par le groupe islamiste Boko Haram ; l’on se souvient du sort ignoble réservé aux femmes yézidis tombées entre les mains de l’Etat islamique en Irak et en Syrie…

Il n’y a donc pas que le modus operandi qui permette de faire le lien entre l’attaque de Toronto et l’idéologie islamiste : masculinistes et islamistes sont porteurs de la même vision, qui hait la démocratie occidentale et qui hait les femmes. Cette haine ne laisse d’ailleurs pas de surprendre par son intensité et son incohérence structurelle, au point qu’on peut se demander pourquoi ces hommes qui, de leur propre aveu, n’aiment pas les femmes, n’assumeraient pas une bonne fois pour toutes leur clair penchant, demeurant entre eux afin d’y accomplir leurs besognes sexuelles, ce qui permettrait à l’autre moitié de l’humanité de vivre paisiblement. Le mystère de cet acharnement demeure hélas entier, par-delà la question du pouvoir, et plusieurs millénaires de psychanalyse n’y suffiraient probablement pas…

Mais si la percée idéologique islamiste est actuellement la plus active et la plus virulente dans ce domaine, il ne faut pas s’y tromper : elle ne fait que créer un vigoureux appel d’air plus ou moins décomplexé là où une partie importante de la population mondiale se retrouve hélas. En Chine, en Inde, au Mexique – où désormais la notion de « féminicide » est inscrite dans les lois tant la violence meurtrière contre les femmes s’y exerce à plein comme dans la tristement célèbre Ciudad Juarez -, ce ne sont pas des islamistes qui tuent, torturent, réduisent les femmes en esclavage. Alek Minassian (pas davantage que son héros Elliot Rodger, cet autre masculiniste auquel il a rendu hommage sur Facebook juste avant la tuerie et qui assassina six personnes en 2014 en Californie) n’est pas islamiste, même s’il partage la même haine viscérale des femmes.

Les femmes, c’est la civilisation

Or, s’en prendre aux femmes, c’est de facto s’en prendre à la démocratie puisque l’égalité hommes-femmes fournit le paradigme de ce qu’est la démocratie : celle-ci instaure une égalité de droit là où la nature a créé une inégalité des forces physiques. La démocratie est une élévation de l’humanité par rapport à l’état de nature. L’islamisme, le masculinisme, la violence endémique contre les femmes en de nombreux points du globe (en France, une femme meurt tous les 2,5 jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint) ne sont que le reflet d’une sourde, paresseuse et imbécile jouissance de l’état de nature.

Les sociétés occidentales ont considérablement progressé dans ces domaines, même si rien n’est jamais ni parfait ni définitivement acquis (comme le prouve par exemple la régression de la condition des jeunes filles dans de nombreux territoires perdus de la République). Et ce sont précisément ces progrès que les arriérés du monde entier ne tolèrent pas, ce que la penseuse féministe Susan Faludi appelle le Backlash, ce retour de manivelle qui suit chaque amélioration de la situation féminine. Le spectre de la dystopie The Handmaid’s Tale n’est jamais très loin.

#Metoo, idiotes utiles

Dans ce dispositif occidental et progressiste, les attaques sans discernement qui sont menées par un certain néo-féminisme borné contre les hommes et, d’une manière générale, contre tout ce qui est masculin, ne rendent pas service à la cause qu’elles croient défendre. Les outrances de #balancetonporc et autres #metoo, le principe généralisé du lynchage tenant lieu de justice, les hystéries maladives visant la pénalisation de la drague ou des regards trop appuyés, la maltraitance inclusive et obsessionnelle de la culture et du langage, la dévirilisation systématique de ce dernier dans laquelle excelle précisément la figure molle et pathétique de Justin Trudeau (on se souvient de son accablant « peoplekind, not mankind ») créent et alimentent un climat misandre de guerre des sexes bien inutile. Il n’existe pas dans l’histoire de l’humanité de noble combat qui ne soit toujours guetté par le danger de sa radicalisation outrancière, ce qui à terme le décrédibilise et fournit des armes idéologiques à ses adversaires. Le néo-féminisme dans ses élucubrations actuelles en est un bon exemple.

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Ce que combattent les masculinistes, les islamistes et tous leurs complaisants zélateurs, mais aussi de l’autre côté les femmes qui nourrissent cette misandrie contemporaine selon laquelle tous les hommes seraient des requins ou des porcs (lorsqu’on dit « balance ton porc », on sous-entend bien que tout le monde en a un sous la main, de porc, ou sinon, au pire, on l’inventera), c’est la possibilité même d’une entente harmonieuse, mixte et équilibrée, entre les deux sexes dans un cadre institutionnel qui garantisse la liberté de chacun. Cette concorde entre hommes et femmes suppose toutefois que l’on ne s’acharne pas à vouloir à toute force en éradiquer les aspérités, les différences, les points de friction, les oppositions qui, précisément, en créent la dynamique. Car, à vouloir trop chasser le naturel, il faut toujours s’attendre à le voir resurgir violemment au galop et sous une forme incontrôlable.

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L’antisémitisme et l’islam: soyons réalistes, réformons l’irréformable

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Marche blanche en hommage à Mireille Knoll, mars 2018, Paris. SIPA. 00852015_000096

Rémi Brague est l’un des plus éminents connaisseurs de l’Islam et du christianisme. Dans une interview au Figaro, il adresse des critiques acerbes au « Manifeste contre l’antisémitisme islamiste ». Il y traite les auteurs de ce texte d’ignorants, et s’applique à corriger leurs erreurs.  En tant que signataire du manifeste, je crois nécessaire de lui répondre.

L’antisémitisme n’est pas qu’un antijudaïsme

Son premier reproche vise l’usage du mot « antisémitisme », qu’il juge inapproprié, et auquel il préfère le mot « antijudaïsme ». Sur ce point de vocabulaire, Rémi Brague se trompe. Dans un appel destiné au grand public, le mot antisémitisme s’imposait, car tout le monde comprend qu’il désigne la haine envers les Juifs en tant que personnes. Le terme d’antijudaïsme eut été tout à fait inapproprié, car il désigne avant tout la dimension théologique de l’hostilité envers les Juifs. Nous n’en sommes hélas pas là : la haine islamiste envers les Juifs, quoique d’inspiration religieuse, ne vise pas le judaïsme, ne vise pas la religion ou la culture des Juifs. Elle vise les Juifs en tant qu’êtres humains, qu’ils soient croyants ou non, qu’ils soient adultes ou enfants. Les nazis non plus n’étaient pas animés par l’antijudaïsme, mais par cette pathologie que tout le monde nomme antisémitisme.

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On peut vite passer outre cette leçon de vocabulaire, car Rémi Brague a l’immense mérite de ne pas s’en servir pour minimiser la haine envers les Juifs qu’on trouve à une intensité spécifique chez les musulmans. « Mais attention à l’échappatoire facile : ‘Nous ne pouvons pas être antisémites, nous sommes nous-mêmes des Sémites!’. Car la vraie question est celle de l’antijudaïsme. Non la critique argumentée des dogmes du judaïsme, qui a son pendant dans la critique juive des croyances chrétiennes ou islamiques, mais bien la haine, mêlée de mépris ou d’envie, envers les juifs. (…) Quant aux pays islamiques, l’orientaliste hongrois Ignaz Goldziher raconte qu’il a entendu un Syrien battre son âne en le traitant de juif… C’était en 1874. D’après l’extraordinaire BD L’Arabe du futur, dans laquelle Riad Sattouf raconte son enfance dans la Libye, puis la Syrie des années 1980, la haine du juif y est répandue depuis le plus jeune âge. »

Islam, Eglise catholique: pas d’amalgame ?

Et ce n’est pas fini. Rémi Brague poursuit allègrement. « Le hadith attribue à Mahomet des déclarations plus raides encore. La biographie officielle de Mahomet, la Sira, raconte que celui-ci aurait fait torturer le trésorier d’une tribu juive pour lui faire cracher où le magot était enterré (traduction A. Badawi, t. 2, p. 281 s.). Les assassins d’Ilan Halimi s’en seraient-ils souvenus ? » Voilà ce qui s’appelle ne pas y aller par quatre chemins. Georges Bensoussan s’est vu intenter un procès en islamophobie pour beaucoup moins que cela.

Puisqu’il y a accord sur le constat, quel est le reproche essentiel adressé par Rémi Brague au manifeste ?

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Rémi Brague ne supporte pas du tout que le manifeste établisse un parallèle entre l’islam et l’Église catholique, quand il demande aux musulmans de faire à leur tour le travail de révision effectué par elle à l’occasion de Vatican II.

Il signale à juste titre deux différences qui rendent le renoncement à l’antisémitisme beaucoup plus difficile par les musulmans que pour les catholiques. À la différence des textes sacrés des autres religions, dans le Coran, Dieu s’exprime en personne, et, du coup, son message est inaltérable et vaut pour tous les temps. Par ailleurs, l’islam ne dispose pas d’une autorité supérieure habilitée, comme l’était Vatican II, à fixer le sens qu’il faut donner aux formulations du texte sacré.

Les autres se sont adaptés

Rémi Brague en conclut : « Tant qu’on n’aura pas affronté la question de l’auteur du Coran, on n’avancera pas. » Autrement dit, rien ne bougera tant que les musulmans n’auront pas changé la nature de leur Dieu. Ce qui n’est pas demain la veille. Un changement de cette nature n’est d’ailleurs facile pour aucune religion. Combien de Juifs et de Chrétiens ont-ils accepté de changer « leur concept de Dieu après Auschwitz », comme le demandait le théologien Hans Jonas, pour renoncer à l’indéfendable idée de sa toute-puissance ?

La connaissance de ce qu’est le Coran invaliderait donc les demandes du manifeste et condamnerait à l’inanité les efforts de réforme de l’Islam tentés par certains musulmans. Le diagnostic de Rémi Brague pousse au découragement et au renoncement. Les difficultés qu’il expose sont incontestables. Les surmonter est l’affaire des croyants. Mais ce n’est pas une raison pour que les sociétés démocratiques tolèrent chez elles des textes qui prêchent des incitations à la haine et à la violence contre un groupe humain, les Juifs, et cela quand ces incitations sont parfois suivies d’effets meurtriers. La responsabilité de nos sociétés est de dire franchement et publiquement aux religions et aux idéologies séculières ce qui n’est pas tolérable.

La religion juive s’est adaptée aux lois de la République quand Napoléon en a fait la condition impérative de sa reconnaissance par l’État. La religion catholique a fait de même, quand elle a cessé de combattre les droits de l’homme au nom des droits de Dieu.

La responsabilité des croyants

La responsabilité des croyants est de trouver les moyens de rendre leurs croyances et leurs textes sacrés compatibles avec les principes et les valeurs des sociétés démocratiques modernes. Si cela n’est pas théologiquement possible, cela l’est historiquement.

La première raison d’œuvrer dans ce sens est qu’une partie des musulmans de France se conforme déjà largement à la culture du pays où ils vivent. Ces Français musulmans s’indignent des crimes commis au nom de l’Islam. Ils condamnent les criminels en disant : « Ces gens-là ne sont pas de vrais musulmans. Leur Islam est une perversion de l’Islam véritable, qui est une religion d’amour et de miséricorde. » Eh bien, le meilleur moyen de leur donner raison est de désarmer les passages pousse-au-crime du Coran.

Cela suppose d’encourager toutes les tentatives allant dans ce sens. Quand Rémi Brague évoque « les intellectuels musulmans de bonne volonté », comme récemment « Rachid Benzine, (qui) souhaitent, non qu’on expurge le Coran, mais qu’on en fasse une ‘lecture critique’ », il a tort de leur répliquer que c’est mission impossible, le Coran étant ce qu’il est.

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Quand Tareq Oubrou, l’imam de Bordeaux, tout en critiquant le manifeste, déclare : « le Coran est sacré, pas son interprétation », il vaut mieux soutenir ses efforts que de démontrer qu’ils sont théologiquement voués à l’échec.

À moins de vouloir expulser de France les musulmans, en les jugeant définitivement non intégrables, nous n’avons pas d’autre perspective que leur intégration à notre culture. Cette intégration doit faire l’objet d’un combat culturel.

C’est pourquoi le manifeste contre l’antisémitisme islamiste est le meilleur service que l’on puisse rendre à l’Islam, afin qu’il se rende compatible, comme les autres religions l’ont fait, avec la démocratie et la modernité.

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Plan Borloo pour les banlieues: le retour des années 1980!

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Jean-Louis Borloo aux "Etats généraux de la ville" à Paris, 26 avril 2018. ©DAN PIER / CROWDSPARK

Le plan « banlieues » proposé par Jean-Louis Borloo fait appel aux mêmes recettes appliquées dans les années 1980 qui ont mené aux émeutes de 2005. Il n’y a aucune raison de penser que ce nouveau recul de l’Etat n’aboutisse pas aux mêmes résultats. 


Pour Emmanuel Macron, protéger l’emploi c’est détruire le code du travail et privatiser les services publics. Dans son monde, œuvrer pour la paix c’est apporter un soutien inconditionnel à la gendarmisation du monde par les Etats-Unis et à leurs interventions. En fait, Emmanuel Macron est une sorte de réincarnation de Thatcher et Reagan à lui tout seul. Son monde, c’est celui des années 1980. Et c’est donc naturellement  à Jean-Louis Borloo qu’il s’est adressé pour élaborer un plan banlieues, sans doute après avoir hésité à consulter Bernard Tapie ou Roland Castro.

Le retour des tartes à la crème 

Il faut reconnaître que dans le genre Retour vers le futur, on n’est pas déçu en découvrant les propositions du célèbre avocat d’affaires qui vient de remettre son rapport à Matignon: création d’un fond de 5 milliards d’euros (ça ne coûte rien, dit-il, puisque cet argent sera prélevé sur les bénéfices des privatisations), création de « Maisons Marianne » (associations subventionnées de soutien aux femmes actives dans la vie du quartier), investissement d’un milliard d’euros dans le développement du RER, amélioration substantielle des statuts et salaires des travailleurs sociaux sur place, création d’une « Cour d’équité territoriale » pour punir les dirigeants qui ne feraient pas assez pour les banlieues, financement de « coachs d’insertion par le sport », de campus numériques (pour des raisons restant secrètes, les banlieues auraient « évidemment un avenir numérique majeur » précise l’expert), plans de formation, emplois francs, petits-déjeuners gratuits, « académie des leaders » (sorte d’ENA réservée aux étudiants de banlieue), développement et relance de l’apprentissage, dédoublement de classes à l’école, etc.

Dans cette énumération se retrouvent toutes les vieilles recettes des années 1980 qui ont transformé les banlieues en enfer après les avoir fait passer par la case émeutes en 2005. La question est donc de savoir si nos dirigeants sont aveugles ou de mauvaise foi.

Au royaume des aveugles…

Le premier non-sens de ce plan est son absence de bilan qui aurait dû servir à la formulation d’une problématique, puis à l’élaboration d’une stratégie. Au lieu de cela, on nous sert les misérables tartes à la crème du « retour de la République », de la transformation des territoires perdus en territoires gagnants ou encore de la lutte anti-apartheid (Marc Vuillemot, maire de la Seyne sur mer, incontestable champion avec son imbattable : « Inverser notre réalité et refaire République »). Cette absence de cap, inadmissible à ce niveau de dépenses, se vérifie dans l’éparpillement des mesures préconisées et leur entassement sans objectif ni même une seule direction commune. C’est sans doute une modernité absolue – voire de l’art contemporain – que d’annoncer un plan de 48 milliards d’euros sans énoncer ni constat, ni objectif à atteindre.

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Le deuxième non-sens de ce plan est de penser encore en 2018 qu’en arrosant les habitants avec de l’argent public par le biais de travailleurs sociaux, de coachs sportifs, d’éducateurs de rue ou d’associations en tout genre (ordinateurs, grands frères ou femmes émancipées), on résoudra un problème que l’on n’a même pas énoncé. L’idée d’acheter la paix sociale à coups de subventions est séduisante car elle calme la douleur, mais elle ne donne à terme que de très mauvais résultats : pour preuve, on en voit aujourd’hui le résultat.

Une ENA pour les pauvres

Le troisième non-sens du plan est cette obstination à ne pas connaître la réalité de l’école : le problème n’est pas de financer un dédoublement de classes ou de nouvelles ouvertures, mais de trouver des enseignants. On ignore donc encore dans les allées du pouvoir que l’école a été mise dans un tel état depuis ces années 1980 que non seulement plus personne ne veut y travailler, mais encore que les rares candidats aux concours d’enseignants (donc dotés d’un bac +4) sont d’un niveau trop faible pour être recrutés en nombre suffisant. Sans parler de la proposition écœurante de mépris de créer une ENA pour la banlieue – idée très justement dénoncée par Rachida Dati d’un côté et Malek Boutih de l’autre. Les propositions du rapport concernant l’enseignement sont d’une naïveté qui frise l’incompétence, notamment lorsqu’il est question d’apprentissage alors que le collège unique obligatoire le rend quasiment impossible parce que l’autorisant beaucoup trop tard et dans des conditions trop contraignantes. Que dire également de ces hypothétiques « cités éducatives », nouveaux gros machins souhaités par Borloo, quand les acteurs de terrain savent parfaitement que la petite taille d’un établissement scolaire (deux ou trois cents élèves maximum) est un atout important pour sa réussite.

Lorsque l’Etat n’est pas là…

Cet amateurisme navrant pourrait prêter à sourire si les dépenses et l’enjeu n’étaient pas de poids. Ce qui rend ce plan réellement dangereux pour les banlieues mais aussi pour la nation, c’est le refus de comprendre que le pire mal dont souffrent ces quartiers périphériques est le sentiment profond de la disparition de l’Etat. Et lorsque l’Etat recule, c’est la loi du plus fort qui avance, depuis la cour d’école jusqu’à la cage d’escalier. Ecole, sécurité, justice ou transports, ce n’est pas la République qui est en cause mais l’Etat, et sa disparition est sans doute une des raisons de l’islamisation de ces quartiers qui se tournent naturellement vers d’autres autorités.

…les pourris dansent

A ce titre, cynique et révoltante est la proposition de financer des mesures par l’argent des privatisations, donc par la vente des services publics et du retrait de l’Etat, puisque c’est précisément de cela dont ces quartiers ont un besoin absolu. Et quand, de plus, le plan propose d’encourager la « co-production de sécurité », alors on est partagé entre le dégoût et la colère. A fortiori dans ces quartiers, la sécurité des biens et des personnes doit être exclusivement dévolue à la police nationale et à la gendarmerie, et pas à des vigiles, ni à de la police municipale ni à des grands-frères, et encore moins à des associations religieuses comme cela s’est produit en 2005. L’Etat doit au contraire être très présent car il doit être vu pour exister. Dans ces quartiers, ce n’est pas de mots et de gargarismes républicains dont les habitants ont besoin, mais de la présence permanente et visible d’une police qui assure la tranquillité des gens et le respect de la loi, d’une justice rapide et ferme qui neutralise durablement les fauteurs de troubles, d’une école dont les cours se déroulent pacifiquement dans des niveaux homogènes (actuellement interdits par le ministère), et de transports dans lesquels on puisse rentrer tard la nuit si on est une jeune femme. Tout cela est faisable à moindres coûts mais suppose de ne plus traiter ces pauvres banlieues à travers des prismes idéologiques.

Le premier droit de tout citoyen dans un pays comme le nôtre devrait être de vivre en sécurité avec ses enfants et de bénéficier de services publics en bon état de marche. C’est du refus par l’Etat de leur accorder ce droit que les banlieues souffrent en premier lieu. Finalement, en lisant ces propositions, on en perçoit le seul objectif, et on comprend qu’il n’ait pas été annoncé : avoir la paix pour quelques années encore.

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