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L’antisémitisme et l’islam: soyons réalistes, réformons l’irréformable

Réponse au spécialiste de l'islam, Rémi Brague


L’antisémitisme et l’islam: soyons réalistes, réformons l’irréformable
Marche blanche en hommage à Mireille Knoll, mars 2018, Paris. SIPA. 00852015_000096

Rémi Brague est l’un des plus éminents connaisseurs de l’Islam et du christianisme. Dans une interview au Figaro, il adresse des critiques acerbes au « Manifeste contre l’antisémitisme islamiste ». Il y traite les auteurs de ce texte d’ignorants, et s’applique à corriger leurs erreurs.  En tant que signataire du manifeste, je crois nécessaire de lui répondre.

L’antisémitisme n’est pas qu’un antijudaïsme

Son premier reproche vise l’usage du mot « antisémitisme », qu’il juge inapproprié, et auquel il préfère le mot « antijudaïsme ». Sur ce point de vocabulaire, Rémi Brague se trompe. Dans un appel destiné au grand public, le mot antisémitisme s’imposait, car tout le monde comprend qu’il désigne la haine envers les Juifs en tant que personnes. Le terme d’antijudaïsme eut été tout à fait inapproprié, car il désigne avant tout la dimension théologique de l’hostilité envers les Juifs. Nous n’en sommes hélas pas là : la haine islamiste envers les Juifs, quoique d’inspiration religieuse, ne vise pas le judaïsme, ne vise pas la religion ou la culture des Juifs. Elle vise les Juifs en tant qu’êtres humains, qu’ils soient croyants ou non, qu’ils soient adultes ou enfants. Les nazis non plus n’étaient pas animés par l’antijudaïsme, mais par cette pathologie que tout le monde nomme antisémitisme.

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On peut vite passer outre cette leçon de vocabulaire, car Rémi Brague a l’immense mérite de ne pas s’en servir pour minimiser la haine envers les Juifs qu’on trouve à une intensité spécifique chez les musulmans. « Mais attention à l’échappatoire facile : ‘Nous ne pouvons pas être antisémites, nous sommes nous-mêmes des Sémites!’. Car la vraie question est celle de l’antijudaïsme. Non la critique argumentée des dogmes du judaïsme, qui a son pendant dans la critique juive des croyances chrétiennes ou islamiques, mais bien la haine, mêlée de mépris ou d’envie, envers les juifs. (…) Quant aux pays islamiques, l’orientaliste hongrois Ignaz Goldziher raconte qu’il a entendu un Syrien battre son âne en le traitant de juif… C’était en 1874. D’après l’extraordinaire BD L’Arabe du futur, dans laquelle Riad Sattouf raconte son enfance dans la Libye, puis la Syrie des années 1980, la haine du juif y est répandue depuis le plus jeune âge. »

Islam, Eglise catholique: pas d’amalgame ?

Et ce n’est pas fini. Rémi Brague poursuit allègrement. « Le hadith attribue à Mahomet des déclarations plus raides encore. La biographie officielle de Mahomet, la Sira, raconte que celui-ci aurait fait torturer le trésorier d’une tribu juive pour lui faire cracher où le magot était enterré (traduction A. Badawi, t. 2, p. 281 s.). Les assassins d’Ilan Halimi s’en seraient-ils souvenus ? » Voilà ce qui s’appelle ne pas y aller par quatre chemins. Georges Bensoussan s’est vu intenter un procès en islamophobie pour beaucoup moins que cela.

Puisqu’il y a accord sur le constat, quel est le reproche essentiel adressé par Rémi Brague au manifeste ?

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Rémi Brague ne supporte pas du tout que le manifeste établisse un parallèle entre l’islam et l’Église catholique, quand il demande aux musulmans de faire à leur tour le travail de révision effectué par elle à l’occasion de Vatican II.

Il signale à juste titre deux différences qui rendent le renoncement à l’antisémitisme beaucoup plus difficile par les musulmans que pour les catholiques. À la différence des textes sacrés des autres religions, dans le Coran, Dieu s’exprime en personne, et, du coup, son message est inaltérable et vaut pour tous les temps. Par ailleurs, l’islam ne dispose pas d’une autorité supérieure habilitée, comme l’était Vatican II, à fixer le sens qu’il faut donner aux formulations du texte sacré.

Les autres se sont adaptés

Rémi Brague en conclut : « Tant qu’on n’aura pas affronté la question de l’auteur du Coran, on n’avancera pas. » Autrement dit, rien ne bougera tant que les musulmans n’auront pas changé la nature de leur Dieu. Ce qui n’est pas demain la veille. Un changement de cette nature n’est d’ailleurs facile pour aucune religion. Combien de Juifs et de Chrétiens ont-ils accepté de changer « leur concept de Dieu après Auschwitz », comme le demandait le théologien Hans Jonas, pour renoncer à l’indéfendable idée de sa toute-puissance ?

La connaissance de ce qu’est le Coran invaliderait donc les demandes du manifeste et condamnerait à l’inanité les efforts de réforme de l’Islam tentés par certains musulmans. Le diagnostic de Rémi Brague pousse au découragement et au renoncement. Les difficultés qu’il expose sont incontestables. Les surmonter est l’affaire des croyants. Mais ce n’est pas une raison pour que les sociétés démocratiques tolèrent chez elles des textes qui prêchent des incitations à la haine et à la violence contre un groupe humain, les Juifs, et cela quand ces incitations sont parfois suivies d’effets meurtriers. La responsabilité de nos sociétés est de dire franchement et publiquement aux religions et aux idéologies séculières ce qui n’est pas tolérable.

La religion juive s’est adaptée aux lois de la République quand Napoléon en a fait la condition impérative de sa reconnaissance par l’État. La religion catholique a fait de même, quand elle a cessé de combattre les droits de l’homme au nom des droits de Dieu.

La responsabilité des croyants

La responsabilité des croyants est de trouver les moyens de rendre leurs croyances et leurs textes sacrés compatibles avec les principes et les valeurs des sociétés démocratiques modernes. Si cela n’est pas théologiquement possible, cela l’est historiquement.

La première raison d’œuvrer dans ce sens est qu’une partie des musulmans de France se conforme déjà largement à la culture du pays où ils vivent. Ces Français musulmans s’indignent des crimes commis au nom de l’Islam. Ils condamnent les criminels en disant : « Ces gens-là ne sont pas de vrais musulmans. Leur Islam est une perversion de l’Islam véritable, qui est une religion d’amour et de miséricorde. » Eh bien, le meilleur moyen de leur donner raison est de désarmer les passages pousse-au-crime du Coran.

Cela suppose d’encourager toutes les tentatives allant dans ce sens. Quand Rémi Brague évoque « les intellectuels musulmans de bonne volonté », comme récemment « Rachid Benzine, (qui) souhaitent, non qu’on expurge le Coran, mais qu’on en fasse une ‘lecture critique’ », il a tort de leur répliquer que c’est mission impossible, le Coran étant ce qu’il est.

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Quand Tareq Oubrou, l’imam de Bordeaux, tout en critiquant le manifeste, déclare : « le Coran est sacré, pas son interprétation », il vaut mieux soutenir ses efforts que de démontrer qu’ils sont théologiquement voués à l’échec.

À moins de vouloir expulser de France les musulmans, en les jugeant définitivement non intégrables, nous n’avons pas d’autre perspective que leur intégration à notre culture. Cette intégration doit faire l’objet d’un combat culturel.

C’est pourquoi le manifeste contre l’antisémitisme islamiste est le meilleur service que l’on puisse rendre à l’Islam, afin qu’il se rende compatible, comme les autres religions l’ont fait, avec la démocratie et la modernité.

Sur la religion

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André Sénik, professeur agrégé de philosophie.

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